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Enracinements polynésiens d'hier et d'aujourd'hui dans l'archipel de Nouvelle Calédonie

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par Tomasi TAUTU'U
Université de Nouvelle Calédonie - Master 2 arts, lettres et civilisations option francophonie 2012
  

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C. Le monde invisible

Un autre point sensible nous paraît fondamental pour la compréhension de « l'altérité » dans le monde océanien en général. C'est l' « omniprésence » du monde invisible. A l'arrivée des Européens en Océanie, les sociétés indigènes étaient polythéistes et de tradition orale.

Les ancêtres défunts fondateurs des clans étaient en fait des dieux, à qui l'on faisait référence lors des discours coutumiers pour situer sa descendance. Les esprits sont des défunts qui détenaient de leur vivant des pouvoirs magiques. Ces esprits étaient invoqués par l'intermédiaire d'un « prêtre » pour faire tomber la pluie, faire pousser les cultures, pour obtenir leur protection durant les guerres...

Photo 3- Case kanake d'un chef en 1874

Photo 4- Un jeune kanak, fils d'un chef

Chaque clan était doté d'un pouvoir spécifique par rapport sa fonction et à son rang. Les crânes des défunts reposaient dans un lieu tabou aménagé pour l'invocation de leurs esprits. Les objets ou les restes des défunts pouvaient être déposé dans un panier utile au prêtre pour le rituel. Cela explique sans doute l'anthropophagie que l'on a appliqué aux autochtones qui croyaient qu'en mangeant le foie, le coeur et le cerveau ou une membrane des personnes qui détenaient certains pouvoirs, on pouvait acquérir ces mêmes pouvoirs. Le père Rougeyron, un des premiers missionnaires catholiques arrivés à Balade, raconte ainsi :

«  Les divinités des jeunes garçons sont les mains droites de leur père ; grâce à elles ils peuvent devenir des combattants compétents. Même les petites filles ont leurs divinités : ce sont les ongles des mains de leur mère ; elles les conservent pour devenir en grandissant, fortes et active dans leur travail. Leur chef défunt est leur dieu le plus important, c'est le dieu de la guerre. Quand ils vont se battre, le prêtre met les restes du chef défunt dans un petit panier et les porte sur le champ de bataille, où le prêtre chante et confie l'issue du combat au chef défunt ».

Yves Béalo Gony, originaire de Hienghène nous confirme encore en 2008 que :

« La pensée kanak dira que l'échange est une manière de communiquer entre les hommes, et entre les hommes, les esprits et la nature, tout en respectant la différence hiérarchique, l'ordre des choses, le rang ... dans cet ordre d'idées, une citation de mon grand père : Ciihmoi ven Yalem, ven naamuûm ma ven tuun ne do, ai wedo ga vhiin kahok ! Respecte ton nom, ton objet et ton groupe tu seras un homme comblé par les esprits.80(*) »

Ainsi dans le monde kanak, les esprits ont une place prépondérante dans la vie de chaque personne à un point que l'on peut lire dans certains ouvrages réputés sérieux ce genre de thèse :

«  De par la structure tribale de la société, de par sa vie et son entourage, le Mélanésien traditionnel est incapable de délimiter son corps, de le circonscrire pour le dégager du monde ; de ce fait, il ne peut pas distinguer clairement le vivant du mort, deux états pourtant fondamentalement différents 81(*)».

Cette vision du kanak d'antan a été propulsée par Maurice Leenhardt qui a émit pour la première fois le concept de « kamo » 82(*):

Le kamo est un personnage vivant qui se reconnaît moins à son contour d'homme qu'à sa forme, on pourrait dire, à son aire d'humanité. C'est dans cette forme, et non dans la ligne extérieure que le personnage existe. L'humain dépasse ainsi toutes les représentations physiques de l'homme. Il n'est pas perçu objectivement, il est senti ».

Cette vision a été actuellement remise en cause par d'autres anthropologues dont Alban BENSA et Bernard Rigo notamment. Mais si cette thèse est exacte, cette notion d'humanité particulière ouvre les portes à toutes les réincarnations possibles de l'humain à l'animal ou au végétal. Les regrettés ancêtres sont alors omniprésents, le monde visible et/ou invisible est par conséquent confondu et l'on peut suggérer que le réel était constamment interprété. N'a-t'on pas dit que les premiers Européens débarquant pour la première fois dans les îles étaient considérés comme des esprits, des ancêtres venus leur rendre visite ? La venue « d'étrangers » par la mer aurait pu alors être facilement interprétée comme des présages venus des dieux etc. Les arrivants pouvaient aisément interpréter leur rencontre comme des présages de leurs dieux, et les accueillants étaient en fin de compte considérés comme des esprits bienfaisants etc. Ainsi dans cet état d'esprit, les interprétations se complétaient et donnaient une certaine cohérence dans les relations et dans les échanges entre groupes hétérogènes.

Le Père Lambert a réalisé une étude sur les moeurs et les superstitions des néo calédoniens durant son séjour en tant que missionnaire depuis 1856. Il publia en 1901 une oeuvre de plus de trois cent cinquante pages qui montre bien la place qu'occupe dans la vie des Indigènes, les croyances de plusieurs dieux ancestraux. Comme la plupart des missionnaires catholiques ou protestants qui se sont penchés sur ce thème, ils n'avaient pour objectif que de prouver que leurs anciennes religions n'avaient aucune valeur spirituelle sérieuse83(*). Aujourd'hui le monde invisible des dieux traditionnels a été remplacé en partie par le monde invisible des anges, des saints de la chrétienté et cela n'a sans doute pas été très difficile aux sociétés océaniennes d'accepter cette réforme spirituelle.

En conclusion de cette partie, il nous semble que l'organisation sociale de la société kanak dans la période dite précoloniale et les rapports entres les différents sujets ont sans doute bien évolué depuis la colonisation de peuplement à partir 1853. Si l'hégémonie de la culture occidentale met en évidence l'importance de la classe sociale et de la situation professionnelle du ménage - pour employer des termes d'économie moderne- les liens de parenté et l'appartenance clanique avec la « déification » du clan utérin, restent toutefois un mode d'identification entre les personnes en Océanie en générale 84(*) et joue un rôle primordial dans les relations sociales entre les êtres au-delà des structures mentales modernes.

Fig. 7- Rituel du sacrifice en Polynésie

Dans les temps anciens, l'arrivée de groupes humains extérieurs du milieu de vie conditionne l'accueil. Soit les groupes « étrangers85(*) » sont « rejetés» pour diverses raisons ou le plus souvent « accaparés ». Les règles de l'hospitalité et d'adoption pour des raisons d'intérêts généraux réciproques sont employées habituellement par les groupes accueillants en présence.

Enfin la hiérarchisation et l'interdépendance clanique semble être le fondement des relations sociales dans ces sociétés dites primitives et que les sujets ou groupes extérieurs redynamisaient et enrichissaient les relations dans des jeux de prestiges intra ou extra clanique.

Dans le contexte contemporain, l'arrivée des Européens a complètement bouleversé les relations socioculturelles internes à un tel point que ce qui pouvait être des clivages avant la colonisation sont devenus des repères identitaires. L'affirmation d'une appartenance à une identité culturelle en générale est un processus de survie face à l'hégémonie de la culture dominante. Le clivage ethnique, religieux ou socio économique émergeant dans le milieu « autochtone », comment ces derniers aujourd'hui composent ces nouvelles valeurs conceptuelles avec leur mode d'identification traditionnel en terme de relation sociale ? En d'autres termes, dans quelles mesures la vision kanak dans leur rapport à l'autre influe sur les relations socio culturelles modernes ? Peut on faire une analogie entre le les relations inter claniques, le mariage mixte, l'adoption extrinsèque ou l' « accueil » à la façon « traditionnelle » etc. et l'idéologie discursive des hommes politiques kanak et indépendantistes ?

* 80 Opt.cité ; p 18. 2007.

* 81 Collectif, Mélanésiens d'aujourd'hui, SEH, 1975 pp 55-56. Cette pensée semble tirée des extraits d'ouvrage de Maurice Leenhardt.

* 82 Maurice Leenhardt, Dokamo ( cf. ref)

* 83 & le père Lambert, Maurice Leenhardt.

* 84 Chez le Polynésien occidental, les liens de parenté sont aussi importants par rapport à l'héritage culturel laissé par les ancêtres, des fonctions qu'ils ont occupées dans le passé au sein des structures coutumières. Ces derniers temps, le statut administratif coutumier et religieux semble avoir pris beaucoup d'ampleur dans la conquête de prestige, notamment, la position socioprofessionnelle.

* 85 Le terme « étranger » ne correspond pas ici au concept occidental mais doit être remplacé par le terme « accueilli » en terme culturel.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery