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Enracinements polynésiens d'hier et d'aujourd'hui dans l'archipel de Nouvelle Calédonie

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par Tomasi TAUTU'U
Université de Nouvelle Calédonie - Master 2 arts, lettres et civilisations option francophonie 2012
  

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CHAPITRE II

APPROCHE ALTERITAIRE AUX TEMPS ANCIENS

« La vie indigène repose sur deux bases fondamentales : la femme qui donne l'enfant et la terre qui nourrit la famille. Toute atteinte portée à l'une ou l'autre de ces bases compromet la solidité de l'édifice et menace de ruiner la famille ».

Adrien Millet, 1929

1. Les relations de parenté intra-claniques.

A. Définitions, méthodologie et références biographiques

Aborder le domaine des relations sociales et d'échanges entre les divers groupes dans la période dite précoloniale, nous amène à réfléchir sur « l'altérité » observée dans ces sociétés de traditions orales. Même si ce concept d'altérité est sujet à des interprétations et à des critiques diverses en sciences sociales, il nous permettra de faire évoluer notre réflexion tout au long de cet exposé. Pour apporter un certain nombre d'éléments de réponse, nous nous intéresserons tout d'abord à ce que pouvait représenter le concept d'altérité chez les Océaniens en général et tout particulièrement chez les « Kanak » dans la période dite précoloniale. L'analogie avec les sociétés « austronésiennes » des îles voisines nous permettrait de confirmer l'hypothèse que les sociétés traditionnelles d'antan avaient des structures sociales complexes et s'appuyaient sur des positionnements et des statuts hiérarchisés et localisée dans son environnement, avec un système de chefferie attribué habituellement au système politique « polynésien ».

En reprenant le sens que nous lui avons attribué à ce concept : l'altérité propre aux Océaniens anciens se résume aux rapports entre les êtres, dans leur appartenance clanique ou d'un lieu dit, dans leur positionnement familial et leur origine généalogique et dans leur lien avec les esprits et les pouvoirs « surnaturels », au-delà des aptitudes et des compétences que chacun peut avoir. Tout individu pouvant avoir des liens de parenté entre eux de manière directe ou indirecte34(*), cette notion est important à développer car ces liens conditionnaient et conditionnent encore les relations entre les hommes.

Apparemment « l'altérité clanique » et « utérine » semble primer dans ces sociétés. Cette étude permet notamment d'éclairer les rapports sociaux entre les groupes faisant partie d'un ensemble culturel relativement homogène, et d'analyser ces rapports sous le faisceau des contacts entre « groupes accueillis » et « groupes accueillants » termes employés par l'anthropologue Michel Naepels35(*) . Les groupes accueillis peuvent provenir de la vallée la plus proche ou de celle plus éloignée, d'une aire linguistique différente et exceptionnellement d'un autre archipel voisin ou lointain.

Par extension, la différenciation ethnique et culturelle36(*) est une des caractéristiques de l'altérité aujourd'hui en Nouvelle Calédonie, ces groupes humains semblent jouer le jeu des nouveaux clans arrivés selon la vision kanak. L'altérité et l'identité sont des concepts indissolubles comme disait Adjaï Paulin OLOUKPONA-YINNON professeur chercheur à l'Université de Lomé et soutient que :

« ... le « moi » ne se conçoit pas sans « l'autre » qui n'est pas forcément son opposé, mais plutôt la condition de son existence. Il n'y a pas de « je » sans « autrui ». L'identité se définit donc forcément par référence à l'altérité, et vice-versa ».37(*)


Nous réfléchirons par conséquent à la question de savoir, quels sont les facteurs qui déterminent le processus d'identification culturelle ou identitaire ? Surtout dans le cadre de l'Accord de Nouméa, la culture kanak est au coeur du dispositif, il serait intéressant d'en rechercher les enjeux en termes de relations sociales et culturelles ?

A l'origine l'altérité est connue comme un concept philosophique signifiant « le caractère de ce qui est autre »38(*) ou la reconnaissance de l'autre dans sa différence. Comment les populations autochtones avant l'arrivée du Blanc en Nouvelle Calédonie vivaient l'altérité au quotidien ? Peut on, à l'heure d'aujourd'hui avoir une idée du regard qu'ils portaient sur autrui appartenant à un univers culturel que l'on suppose de notre angle de vue relativement, commun ? Pour tenter d'y répondre, nous interrogerons les anthropologues, et les ethnologues de la première heure, ainsi, ce que peut-nous apporter les écrits des premiers observateurs religieux ou autres, qui ont travaillé sur ce terrain encore vierge d'influence. Nous nous appuierons aussi sur les contes et les légendes rapportés de la tradition orale, et notamment sur les écrits des autochtones qui ont essayé de décrire de manière objective leur propre culture. Les supports référentiels se porteront sur l'ensemble océanien mais plus particulièrement sur la région du Nord de la Grande -Terre et de l'île d'Ouvéa sur lesquelles des populations dites « polynésiennes » se sont installées. Nous mettrons par la suite en relief, les traits forts qui seraient, selon nous, des critères de différentiations avant tout contact avec les Européens. Mais il est vrai que l'on pourrait nous reprocher d'émettre ici plus de postulats que de preuves irréfutables.

Pour aborder l'altérité des « Kanak » dans la période dite précoloniale, nous prendrons d'une manière arbitraire, les différents critères qui nous semblent les plus pertinents. Aussi, la notion de « vie en collectivité ou communautaire » a souvent été mise en avant par les premiers observateurs européens dont Maurice Leenhardt, reconnu mondialement au début du XXème siècle. Certains ont poursuivi cette réflexion jusqu'à comparer le système politique traditionnel à l'utopie de la société socialiste de Karl Marx ou de Engels, allant même jusqu'à rejeter toute notion d'individuation dans la pensée kanak.

Or, il est indéniable que le concept de parenté dans les sociétés traditionnelles fonde en fin de compte l'identité de chaque individu. Tout individu est lié à un groupe fonctionnel auquel seront greffées d'autres entités groupusculaires sans lesquelles il n'y aurait pas de cohérence  sociale. Maurice Godelier39(*) l'un des plus imminents ethnologues français contemporain a effectivement travaillé sur ce sujet. Par ailleurs, les différentes phases de développement de l'être humain que nous considérons comme universelles à divers degrés ou variantes sont celles de la petite enfance, de l'adolescence et de l'adulte auxquelles peut se rajouter la dichotomie (homme/femme et jeune/ vieux). Mais dans les sociétés océaniennes, ces concepts ne signifient rien si elles ne sont pas rattachées à des « rapports de parentés »- pour emprunter l'expression de Godelier- ou à des entités significatives pour elles.

Fig. 5- Partie de Pêche (cap Diémen, îles de l'archipel Tonga)

L'étude ethnologique approfondie de la société kanak n'a jamais été faite sans apriori. Les missionnaires ayant été les plus proches des populations ont pu écrire sur les us et coutumes de la société autochtone déjà effleurée par la Mondialisation40(*). Dans le milieu catholique, on peut citer le Père Lambert, auteur d'une oeuvre incontournable dans le milieu ethnologique contemporain : Moeurs et Superstitions datant de 1901. Ce missionnaire fit son premier séjour, dès janvier 1856 à l'extrême nord de la Nouvelle-Calédonie aux îles Belep, soit une dizaine d'années seulement après la prise de possession de la Grande-Terre par la France. Même si, à l'instar des autres missionnaires, son étude ethnographique avait des visées évangéliques ou pédagogiques41(*), ces observations ont le mérite d'avoir été réalisées lors des premiers contacts avant même que la modernité modifie le système traditionnel. Cet auteur a été le témoin à de nombreux rites aujourd'hui oubliés.

Dans le milieu protestant, le missionnaire Maurice Leenhardt a laissé un certain nombre d'écrits qui l'ont fait reconnaître en tant qu'ethnologue et devenu par la suite un professeur imminent dans le milieu intellectuel des Sciences Sociales. Sous couvert de son statut de missionnaire religieux, Maurice Leenhardt a pu s'infiltrer à l'intérieur du monde kanak par la sa maîtrise de la langue locale «  ajië » et analyser de l'intérieur la vision kanak en terme d'altérité42(*). Parmi ses informateurs, nous pouvons citer le pasteur Bouésoou Eurijisi (1866- 1947) surnommé « le sociologue kanak » par Raymond.H. Leenhardt. Ce pasteur nous a légué des écrits dans lesquels des éléments de la vision kanak peuvent être mis en évidence.

Cependant, les réserves d'Alban Bensa concernant ces archives de première main, doivent être prises en compte :

Ces quelques remarques - qui relèvent d'un travail classique de critique des sources - doivent mettre en doute la possibilité d'un usage positiviste et immédiat des « archives missionnaires », comme si on pouvait y lire noir sur blanc, sans médiation, les hiérarchies sociales, les représentations religieuses ou les croyances, comme si elles y étaient plus authentiques ou plus justes en raison de leur ancienneté. Savoir ce qui se jouait dans la relation missionnaire, quels intérêts expliquent le passage à l'écrit et quels furent les enjeux de la conservation de ces matériaux est indispensable à une appréciation la plus mesurée possible de ces documents. Pour toute archive, il faut s'interroger sur les conditions de sa production, de son élaboration : un matériau n'est jamais un « donné » pur, un matériau ethnographique n'existerait pas sans le biais qu'est la perspective que lui donne la relation interpersonnelle qui lui a donné naissance, un matériau historiographique sans celui de sa sélection, de son indexation, etc. Pour autant, il ne s'agit évidemment pas de dire que le matériau est inventé plutôt que donné : j'ai précisément essayé de montrer qu'il était produit, dans une situation dont on doit chercher à éclairer au mieux les tenants et les aboutissants ».

Les conseils de cet ethnologue doivent être pris en considération, en s'efforçant de ne pas tomber dans la crédulité excessive dont bon nombre de chercheurs amateurs et autodidactes sont fâcheusement victimes.

Une autre réflexion plus contemporaine a été menée pour la première fois par un collectif composé essentiellement de Kanak, sur leur propre société en 1975, période marquée d'une conscientisation culturelle et politique. Les noms des auteurs présumés de ce collectif ne sont pas mentionnés mais cet essai publié par la Société d'Etudes Historiques est intéressant par son originalité. Comme l'a évoqué Jean Louis Barbançon à ce propos :

«  En plus de sa valeur intrinsèque, ce texte a l'immense mérite d'exister et par là, il peut servir de base de travail, de document de référence. Et puis c'est le premier du genre, le premier à être écrit par des Mélanésiens, qui seuls, ont la connaissance intuitive de leur milieu, qui manquera toujours au chercheur le plus brillant »43(*).

On peut tout de même remarquer l'influence considérable de Maurice Leenhardt sur les auteurs. Pour sa part, Henri Mayet, receveur des postes et Télégraphes au début du XXème siècle, a écrit un essai concernant Les moeurs et coutumes dans la région de Canala, datant de 1930 et réédité en 1959. Il s'est inspiré de renseignements recueillis auprès de son ami ethnologue, Adrien Millet44(*), marqué par l'esprit évolutionniste et civilisateur. Il avoue tout de même 30 ans après, au terme de sa réflexion :

«  Que les Indigènes avaient su vivre en société parfaitement organisée, dominée par une caste noble dont la puissance était limitée par des lois bien établies et très rarement violées45(*) ».

D'autres auteurs plus contemporains ont mené des enquêtes de terrain ; l'un des plus éminents d'entre eux est sans doute, Jean Guiart qui a publié de nombreux écrits. Une de ses oeuvres considérée comme très complète et synthétique publiée  sous le titre : «  la chefferie en Mélanésie, structure de la chefferie en Mélanésie du sud », dont la dernière édition date de 1992. L'origine des différents clans de aires Ajie Arhö, Paici Cémuki, Dréhu et Ouvéa y est décrite et abordée avec précision. L'auteur expose ainsi quarante années de travail d'enquête ethnologique.

Enfin, comment ne pas citer Alban Bensa, Michel Naepels, Jean Claude Rivière, Patrice Godin etc. qui ont apporté de nouvelles données sur la connaissance du monde kanak et qui réalisent en ce moment un travail de terrain considérable en tenant compte des divers courants disciplinaires des Sciences Sociales.

D'autres travaux récents faits par des auteurs kanak reconnus en tant que, sociologues, philosophes, ethnologues, anthropologues ... pour n'en citer que quelques uns : Yves Béalo Gony, qui a rédigé un mémoire sur la monnaie kanak dans la région de Hienghène ; Wahéo Jacob sous couvert du CTRDP qui a publié en 1989, un recueil de contes et légendes d'Ouvéa ; également Thidjine-Maango , Béalo Wedoye ,Wassissi Konyi et W. Ihagé qui ont contribué à la rédaction de manuels d'Histoire et de Géographie46(*). Bien sûr, d'autres ouvrages pourront être cités dans ce chapitre afin d'alimenter nos propos. Malgré tout, les chercheurs contemporains sont, tout comme nous confrontés au paradoxe suivant : d'une part, la société dite «  traditionnelle » se transforme d'une manière constante et d'autre part, par contre les discours des représentants de la « Culture » restent figés et conservateurs, laissant très peu d'espace aux réformes possibles de ladite « Coutume ».

* 34 Un individu A, s'il n'a pas de liens de parenté avec un autre individu B, l'individu A peut avoir, par contre des liens de parenté avec un individu C qui sera lié avec B.

* 35 Opt.cité.

* 36 Les termes « ethnie et culture » sont souvent confondus et employés communément comme des synonymes.

* 37 OLOUKPONA-YINNON Adjaï Paulin, Douala 1893, La révoltes des esclaves mercenaires, Ed. Bayreuth African Studies 10, 96.p.

* 38 Selon la Grande Encyclopédie Bordas, le concept d'identité en psychologie « désigne le caractère de ce qui est le même en tant que le même s'oppose au différent ».

* 39 Collectif, Cultures et Personnalité, sous la direction d'Armand Touati, GODELIER : La prohibition de l'inceste ou le débordement de la parenté, Psychologue, p 25 à 32.

* 40 Nous considérons la venue des premiers navigateurs dans le Pacifique au XVIème à ouvert la voie de la Mondialisation.

* 41Père Lambert,  Moeurs et Superstitions, 1901, 367p. Dans la préface de son oeuvre, l'auteur avoue que : « ce travail n'est autre qu'une étude approfondie de leur prétendue religion, étude qui permettra au missionnaire d'en montrer l'inanité et de préparer ainsi la place à la vérité», p 1.

* 42 Cet auteur parlait couramment le « ajië » et a mis en place une retranscription phonétique.

* 43 Collectif (groupe d'autochtones calédoniens), Mélanésiens d'aujourd'hui, La société mélanésienne dans le monde moderne, SEHNC, Nouméa, 1976, 65 p, p 8.Notons que Dick Uckéwé ancien élu et Sénateur du RPCR, a été un des coauteurs de ce texte.

* 44 Une bibliographie intéressante de ce métis, photographe du père Luneau peut être consultée dans la revue Mwà véé, les Kanak à l'heure de la «nouvelle politique indigène », ADCK, n°57, septembre 2007, p 20 et 25.

* 45 MAYET Henri, Moeurs et Coutumes des Indigène, 52p, 1931 .p 6. Réédité en 1959.

* 46 Publié par le CTRDP en 1990.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway