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La "vie de nuit " dans la ville de Ngaoundéré au Cameroun de 1952 à  2009

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par Nicolas OWONA NDOUNDA
Université de Ngaoundéré Cameroun - Master en histoire 2009
  

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CHAPITRE III : LES PROBLÈMES LIÉS À LA VIE DE NUIT ET LES ACTIONS DES AUTORITÉS

III. LES PROBLÈMES LIÉS À LA VIE DE NUIT

La nuit se révèle très souvent être un moment où tout est permis. En la faveur de l'obscurité qu'elle procure, les hommes sont enclins à se livrer à tous les excès. Cet état de chose a naturellement des conséquences allant de l'insécurité à la pollution, en passant par la drogue.

4. L'insécurité

C'est dans les années 1990 que la criminalité a véritablement pris une tournure critique dans la ville de Ngaoundéré272(*). En effet, les mouvements politiques qui ont lieu à la suite de la légalisation du multipartisme, trouvèrent ici un écho favorable. Ajoutés à la pauvreté et la sous-scolarisation de la jeunesse, l'exode rural et le manque de perspective d'avenir, la ville et ses environs deviennent donc de véritable lieu d'insécurité urbaine, qui ne laisse aucun cercle inviolé. Même les lieux de culte et les religieux sont aujourd'hui la cible des malfaiteurs. On peut se souvenir de l'assassinat d'Yves Plumey dans la nuit du 2 au 3 septembre 1991273(*).

Une précision est tout de même nécessaire, à savoir que le banditisme se présente de nos jours comme une alternative de métier. Si être bandit est un métier, ce que la société attend de ceux qui font ce choix c'est d'en :

Assumer les conséquences, même capitales, comme on en tire les dividendes, plus lucratives que la plupart des activités honnêtes. Tout ce que la conscience collective demande au bandit, c'est de mourir dignement, sans se renier, sans pleurs, sans suppliques. A titre posthume, son "courage" rejaillira sur ses proches parents qui, tout de même, auront compté dans leurs rangs un homme célèbre.274(*)

La criminalité évolue dans la ville, ce d'autant plus qu'il y existe ce que l'on pourrait appeler une culture du courage. « Pour ne prendre que la période postcoloniale, un rapide examen exhume des noms célèbres, intrépides. Ce sont très souvent des individus dont les personnes âgées parlent avec émotion, leur attribuant une certaine dimension chevaleresque. Autour de certains, se sont construites de véritables épopées, louanges à la gloire posthume d'hommes assurément exceptionnels 275(*)».

Cette vision des bandits ne peut qu'encourager les jeunes désoeuvrés, au nom de la loi devenue maintenant populaire : « vivre heureux et mourir jeune », puisque la mort est inévitable. Les actions des bandits sont malheureusement encouragées par les parents qui, conscients du fait que leur enfant est sans emploi, ne s'inquiètent pas de la provenance de ses revenus, ou tout simplement font mine de ne rien voir. Parfois, ils sont eux-mêmes dans la peur de la réaction de leurs fils, qui pourraient leur ôter la vie. Le travail de la Police n'es est que plus difficile. En effet, les parents et les habitants des quartiers ont tellement peur de dénoncer ces bandits, qu'ils connaissent pourtant très bien. Les représailles pourraient être très sanglantes.

L'action de la police est elle-même freinée par une implication de ses éléments dans le gangstérisme urbain. Tout récemment encore, dans la nuit du 19 au 20 janvier 2009 un cambriolage dans les locaux du commissariat central impliquait un inspecteur de police. Les bureaux du commissaire central et de son adjoint avaient été "visités". Le butin se constituait d'une somme de 4 pistolets automatiques, plus de 250 munitions et 408 000 f.cfa276(*). La mission d'enquête conduite par l'inspecteur N°3 à la délégation générale à la sûreté nationale et composée de deux éléments de la direction de la sécurité publique, quatre de la direction de la police judiciaire, et du groupement spécial d'opération a conduit trois jours durant les enquêtes en collaboration avec la division régionale de la Police judiciaire de l'Adamaoua. Des enquêtes qui avaient conduit à l'interpellation de neuf personnels de la sûreté nationale, tous de faction le jour du cambriolage.

À l'issue des enquêtes, huit des policiers gardés à vue ont été relâchés tandis qu'un inspecteur de police a été transféré à Yaoundé. Il s'agissait de l'inspecteur Mbarkao Mbanga Daniel. Par ailleurs, le scénario envisagé par l'enquête fait état de ce que le suspect qui était de service ce jour là, était de mèche avec les voleurs qui seraient venus de l'extérieur. En fait l'inspecteur Mbarkao Daniel aurait ainsi ouvert la porte de secours proche des bureaux cambriolés aux malfrats. Après ce forfait, il serait retourné distraire ses copains de garde qui se trouvaient à l'entrée principale. Le suspect aurait déserté son poste la nuit du cambriolage et serait revenu aux alentours de 02h du matin. Heure à laquelle l'on a découvert que la porte de secours était ouverte277(*).

Ce qui précède permet de constater que la police est malheureusement complice dans la montée du banditisme. Cependant, il faut dire que les grandes vagues migratoires dans la ville ne sont pas en reste. En effet, pour Mohammadou Djaouro278(*), il est maintenant impossible pour lui de reconnaître la moitié des enfants qui jouent devant sa porte, tant ils sont nombreux. Autrefois dit-il, la ville était petite et tout le monde se connaissait. On savait que tel jeune vient de Tongo ou de Bali. Mais cela est aujourd'hui difficile. Il précise aussi que les parents sont de plus en plus irresponsable te abandonne leurs enfants à la rue. Ceux-ci grandissent en s'éduquant eux-mêmes. Ainsi, ils commencent tous par se faire enfants de la rue où ils sont exposés à la drogue, et en la faveur de quelques passages en prison, ils se muent en véritables bandits279(*).

Pour Mme Ngodjock Bernadette, affectueusement appelée Mâ Berna', habitante du quartier Sabongari Gare, les nuits de pluies sont très délicates. Il faut dormir pendant cette période d'un oeil parce qu'à tout moment votre porte pourrait être cassée par un voleur. Au cours d'une nuit dit-elle, elle ne fut sauvée que parce que le bandit l'entendit causer au téléphone. Profitant des promotions faites par les opérateurs de téléphonie mobile pour les appels de nuit, elle causait avec sa fille. Aux sons des pas à l'extérieur, elle éleva la voix afin que l'intrus sache qu'elle était éveillée. Employée au collège Mazenod, cette dame, bassa et mariée à un bassa islamisé, a perdu son fils en 2008. Devenu bandit lui-même, il a été assassiné d'une balle dans la tête, apparemment par les autres membres de son gang.

Mais, l'usage des armes à feu dans les braquages et autres actes de banditisme est un phénomène assez récent. Bien avant les années 1990, on ne dénombre pas d'agressions avec usage d'armes. Les couteaux et les poignards apparaissent avec les mouvements politiques auxquels nous avons déjà fait référence, et la vulnérabilité des forces de police pendant cette période280(*). Ces outils, les plus fréquemment dénoncés par les personnes agressées, ne cessent de faire des victimes. À la moindre réticence, les bandits n'hésitent pas à poignarder. Les périodes de jeûne de Ramadan sont aujourd'hui réputés comme étant les plus dangereuses dans la ville, puisque les hommes doivent nourrir un peu plus la famille, et acheter les vêtements neufs pour les femmes et les enfants281(*). Même si les non-musulmans profitent de ce temps de terreur et du laxisme apparent de la police pour commettre leurs méfaits.

Dès 2000, l'augmentation du nombre de motos dans la ville réoriente les activités des malfrats. Avec leurs couteaux, ils sèment des embuscades, arrachent les motos qu'ils revendent sans peine. Aujourd'hui, il faut préciser que même les conducteurs de mototaxis sont eux-mêmes impliqués dans les agressions. Il est de plus en plus risqué d'emprunter une moto dans la nuit. De l'avis de Fouda Guy282(*), entre 2002 et 2003, les bandits s'arrangeaient à transporter les passagers vers des destinations qu'ils n'avaient pas désiré. Ainsi, on vous amenait dans le bosquet situé entre le Collège de Mazenod et la Centrale SONEL, vous étiez dépouillé, au risque d'y laisser la vie. L'endroit étant obscur, et peu fréquenté, la nuit devient donc un moment de tous les dangers. Cette partie de la ville n'est pas la seule où ce type de problème se pose. On peut citer la route longeant le Champ de Prière, ou celle qui traverse l'Alliance Franco-camerounaise, ou le carrefour Douze Poteaux au quartier Sabongari.

Les vols et agressions avec l'usage d'armes à feu se font aussi de plus en plus récurrents. Mais, ces personnes s'attaquent difficilement aux petites gens, que l'on pourrait qualifier de pauvres. Cette tranche de la population est l'apanage de ceux armés de couteaux et de poignards en général. Ceux qui sont pourvus d'armes à feu s'attaquent aux personnes nanties ou à des entreprises. On peut ainsi se rappeler de l'attaque de l'agence de la société de transfert d'argent Express Union en 2007. Attaque qui a donné lieu à des échanges nourris de coups de feu qui a en pour conséquence la mort d'un inspecteur de police.

Face à cela, devrait-on éviter les motos lorsqu'on sait qu'aller à pieds est tout aussi dangereux ? La seule solution serait certainement d'être chez soi avant 19h et d'éviter de sortir de nuit. Mais, comme nous l'avons vu, même chez soi, rien ne garantit la sécurité. Le problème du banditisme est donc une véritable épine dans le pied de la ville de Ngaoundéré. La criminalité à Ngaoundéré est en grande partie due au problème de drogue auquel les autorités ont du mal à stopper.

5. La consommation de la drogue

Selon une enquête menée en 2002 par Emmanuel Wansi 283(*) sur un plan national, près de 25% de jeunes âgés de 15 ans consomment la drogue. Chez les adultes, près de 33% des femmes quadragénaires tentent l`expérience, contre à peine 15% des hommes du même âge. On note, en outre, des disparités socioprofessionnelles parmi les consommateurs. Seulement 8% de personnes ayant reçu une éducation supérieure ont pris des drogues avant l`âge de 16 ans, contre 22% de ceux qui n`ont pas pu poursuivre leurs études. La consommation de la drogue est particulièrement accentuée dans les maisons d`arrêt. Les principales raisons évoquées sont les difficultés de la vie, les ennuis financiers, la curiosité ou simplement pour se sentir bien. Il est vrai que les drogue vendues dans la ville sont diverses, mais il convient de s'attarder sur une en particulier : le Tramol.

Le Tramol, encore appelé Tramadol, est un analgésique central ayant une activité proche de celle de la codéine, car il est un analogue de celle-ci. Il peut entraîner une dépendance. Ses modes d'actions ne sont pas encore complètement connus, en plus de son action analgésique due au fixement sur les récepteurs morphiniques, il semble également empêcher la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, selon les doses utilisées. Il peut être utilisé par voie veineuse. Les doses utilisées sont de 50 à 100 milligrammes. Sa demi-vie est de cinq à sept heures, son élimination est essentiellement rénale. Les effets secondaires sont : nausées, vertiges, douleurs d'estomac, hypoglycémies, anxiété, crise d'angoisse, dépression (sur le long terme). Une dose trop importante de Tramadol (plus de 400 milligrammes en une prise) peut entraîner un collapsus284(*) suivi de spasmes et contractions musculaires importantes, la crise ressemblant symptomatiquement à l'épilepsie. Il n'est pas recommandé de prendre plus de 400 milligrammes par 24 heures285(*).


Le centre commercial de la ville de Ngaoundéré a été pendant longtemps un haut lieu de distribution de Tramol. L'un des principaux points où il était consommé était le lieu de la vente de thé et de bouillie et de chaï (sorte de thé local) au carrefour dit An 2000. L'étranger à la ville ne s'imaginerait même pas ce qui s'échange à cet endroit. Au levé du jour et à la tombée de la nuit, on y retrouvait une multitude de motocyclettes, destinées au taxi. Leurs chauffeurs, accroupis, assis à même le sol ou sur un banc de fortune, se réchauffaient avant d'entamer une journée ou une nuit de travail. Autour des tasses, une dizaine de jeunes gens prennent leur «remontant» agrémenté de Tramol.

Avec la nomination du nouveau délégué du gouvernement, l'endroit a été assaini. Mais la consommation elle, continue. Le soir venu, en face du studio photo Fujifilm, des vendeurs de bouillie et de beignets se chargent de ravitailler en drogue les mototaximen qui prennent le service de nuit. De l'autre côté de la route, le même service avec cette fois du lait, des oeufs, du thé et du pain pour nourrir les différents clients, qui profitent de cet espace de temps pour prendre leur dose quotidienne de stupéfiants.

Photo 18 : Vente de beignets et bouillie au carrefour An 2000 à côté du studio photo Fujifilm.

Cliché : Owona, le 21 août 2009.

Le fief du Tramol est tenu, selon notre informateur, par un certain Issa dit Longuè Longuè. Son entrepôt serait situé au Grand Marché. Il faut dire que cet individu se ravitaille au Nigeria essentiellement. Ses revenus sont estimés à plus de 20 000 f.cfa par jour. La marchandise est acheminée sur le territoire camerounais par des motos qui empruntent des voies de contournement. D'autres importateurs la dissimulent soigneusement dans des camions ou des véhicules personnels.

Pour acheter du Tramol, les codes sont multiples. Par exemple, vous pouvez demander au vendeur de vous donner le « mbaï » (le manioc). Le manioc ici étant réputé procurer la vigueur à l'homme. Ou encore demander le « biriiji » (l'arachide). Les comprimés sont essentiellement vendus auprès de tous les vendeurs ambulants de médicaments. Et parfois auprès des call-box en fonction du quartier (à Bali par exemple). D'autres drogues telles que le cannabis ou le chanvre indien s'acquiert principalement à la gare-voyageurs. Mais, pour tout achat, la maitrise du fulfulde est impérative. Les vendeurs sont assez méfiants.

Le prétexte que les consommateurs de Tramol brandissent est, le plus souvent, celui de l'entrain et de la résistance à la tâche. « On peut travailler pendant des heures sans être fatigué. Je prends 45 comprimés par jour, par vague de 10 toutes les 3 heures. Cela me permet de travailler pendant deux jours et deux nuits d'affilée. » Confie un mototaximan de la ville. Même si cela cause des pertes d'appétit et une soif constante. Ce médicaments, dont les variétés sont multiples (Trumol, Tramadol, Tralam, Tromal...), est surtout utilisé pour ne pas dormir. Une des propriétés qui intéresse particulièrement les mototaximen, surtout ceux qui travaillent de nuit. Cela leur permet de travailler longtemps sans dormir et surtout sans se fatiguer. Le Tramol est aussi mis à contribution pour des rapports sexuels à longue durée. Pendant un sondage informel auprès des élèves du Collège de Mazenod de Ngaoundéré, il apparaît que c'est pour cela que les jeunes en consomment, le but étant de montrer sa valeur à sa petite amie.

Mais le Tramol n'est pas le seul stupéfiant que l'on retrouve dans la ville de Ngaoundéré, même s'il est le plus consommé d'après notre informateur. Ce "succès" du Tramol est dû au fait qu'il est facile à trouver et les effets sont à longue durée, pour un prix assez dérisoire. Les autres stupéfiants pharmaceutiques sont le Diazépam, appelé sur le marché le « Bleu », reconnu pour être utilisé dans le traitement des malades psychotiques généralement en proie aux difficultés de sommeil. Il est justement utilisé à ces fins par les consommateurs, qui en prennent parfois trois d'un coup pour dormir durant de longues heures. Notre informateur, qui nous avoue en consommer de temps en temps, affirme que ces comprimés sont aussi utilisés en boîte de nuit par de jeunes garçons qui veulent faire le « rallye ».

Le « rallye » est une expression pour désigner le fait pour un groupe de garçons de coucher avec une même fille durant la même soirée. Cela implique que la fille doive être consentante. Et si elle ne l'est pas, les garçons versent un stupéfiant dans son verre à son insu. Par la suite, le forfait se poursuit dans le bosquet le plus proche, à l'abri des regards, puisque aucun des garçons ne doit l'emmener chez lui, par peur de représailles.

La Passion, semblable à un cocktail, est vendue au vu et au su de tous. Contrairement aux autres comprimés que l'on cache, celui-là est tout simplement exposé. Il doit être dilué dans un jus ou de l'eau pour faire de l'effet. Mais, celui-ci n'est pas assez fort, ainsi avons-nous pu entendre d'un jeune consommateur rencontré en boîte de nuit, apparemment élève de la classe de terminale, « toutes les passions ne sont pas condamnables ». Pour dire que l'on peut en prendre autant que l'on veut, c'est juste pour agrémenter la soirée.

Photo 19 : Échantillon de quelques uns des stupéfiants les plus vendues à Ngaoundéré286(*).

Cliché : Owona, le 14 août 2009.

La marijuana est un produit plutôt rare sur le marché et l'apanage de quelques initiés. Elle est de moins en moins sollicitée à cause des traces qu'elle laisse sur le consommateur, notamment l'odeur qui s'incruste sur les vêtements. Il est délaissé au profit des comprimés qui ne laissent pas de traces et dont les effets sont plus durables.

Les points de vente les plus connus sont : le Grand Marché, le Carrefour Ministre au Quartier Bali, la Gare (pour la marijuana), le Petit Marché, le Quartier Haoussa, et en face de la pharmacie la Vina. Il faut dire que ces drogues sont vendues dans la nuit au carrefour de la Joie à Joli Soir et devant les boîtes de nuit, le Marhaba au centre commercial principalement. Les vendeurs de médicaments sont chargés de la vente.

6. La dépravation des moeurs

Les difficultés financières ont grandement contribué à la dépravation des moeurs des populations de la ville de Ngaoundéré depuis les années 1952. La baisse de l'influence des autorités traditionnelles consécutives à la colonisation et la mise en place d'un État Camerounais, n'ont fait qu'accentuer ce malaise.

La prison du Lamido servait à réguler les comportements dans la ville. La prostitution telle que pratiquée aujourd'hui à ciel ouvert au vu et au su de tous, était prohibée. La consommation d'alcool aussi. Sa destruction le 27 juillet 1961 par Ndoumbé Oumar a pour effet de laisser croître ce phénomène qui n'épargne aucune classe d'âge. Le commerce du sexe s'étend et recrute ses meilleurs éléments dans une jeunesse de plus en plus influencée par le modèle de vie européen.

Pendant les vacances scolaires de juillet à septembre 2009, un fait était à remarquer, à savoir que les différentes boîtes de nuit de la ville étaient en quasi cessation d'activité faute de clients. En effet, cette période de l'année est particulièrement marquée par des migrations vers le Sud du pays. Cette observation permet de comprendre que ce sont les élèves qui sont les principaux clients des boîtes de nuit, ce qui est inquiétant lorsque nous savons qu'elles sont en principe interdites aux mineurs. Malheureusement, ces dérives touchent aussi les bars, où les jeunes sont livrés à la merci de tous les pervers en mal de plaisirs et de chairs fraîches.

Laissons de côté les raisons d'ordre économique qui pourrait justifier les dérives dans la vie de nuit, pour réfléchir à la déchéance d'une société où les jeunes s'engagent de manière incontrôlée dans la vie active. Une société marquée par une banalisation du sexe et une occidentalisation à outrance. Cette perte de modèle au profit d'une vie que l'on envie et où la télévision se mue en parent. La prolifération du câble amène nos enfants à envier l'Europe, on veut ressembler à tel ou tel comédien de série télé, sans trop se soucier de la manière d'acquérir des biens que l'on voit. L'envie et les rivalités entre filles, qui conduisent souvent à des paris inimaginables. Tel a un téléphone portable plus onéreux que le mien, il m'en faut un autre. Et là est peut-être le moindre mal. Lorsque des filles, d'un collège confessionnel de la ville, se livrent, au sortir d'une boîte de nuit, le défi de voir l'une et l'autre le nombre de garçon avec lesquels elles peuvent supporter de coucher en une soirée. Et qu'à la fin, elles sont toutes les deux abandonnées à l'hôpital par lesdits garçons qui se sont fait passer pour les héros qui les ont trouvées inconscientes dans la rue en passant. Résultat du défi : plusieurs points de couture au niveau des lèvres vaginales, sans compter les maladies vénériennes.287(*) Ce n'est peut-être pas de la prostitution, mais le symptôme d'une société à la dérive.

Pour le pasteur Kä Mana :

Si les femmes africaines sont aujourd'hui victimes ou agents d'une prostitution massive à l'échelle mondiale, cela est le signe que notre culture et nos civilisations d'Afrique ont subi une mutation pathologique qui nous a littéralement anéantis dans notre humanité. Cette mutation est due sans doute à l'inscription calamiteuse de nos pays dans l'ordre économique mondial depuis l'aube des temps modernes. Cet ordre a un impact négatif sur nos systèmes de désirs. Ceux-ci sont tellement aliénés, tellement extravertis qu'ils ne trouvent leur accomplissement que dans le mode de vie moderne fondé sur l'accumulation des biens matériels. Pour accumuler ces biens et nous inscrire dans la logique d'enrichissement, l'Afrique est prête à tout, jusqu'à vendre son propre être.288(*)

Les garçons ne sont pas en reste dans cette spirale dégradante. Ils se retrouvent au centre de la prostitution homosexuelle, même si encore embryonnaire dans la ville de Ngaoundéré. De plus en plus, les jeunes sont mus par la recherche constante de la facilité.

En Afrique, dans l'idée que chaque femme pouvait avoir d'elle-même, la perspective de se vendre aux hommes et de vivre d'un tel commerce s'inscrivait dans les marges honteuses de la société. La valorisation du mariage jouissait d'un tel éclat qu'il était préférable de bénéficier du statut de femme mariée dans un foyer polygamique que d'être seule, livrée aux lubies des hommes et condamnée à une prostitution déshonorante et déshumanisante. La prostitution ne saurait donc être envisagée du point de vue des relations d'échanges et encore moins assimilée à une relation à caractère humain, pas plus qu'une forme de sexualité.

Le fait de subir ces rapports sexuels de manière répétitive et non désirée entraîne une dissociation psychique afin de pouvoir départager les deux univers de la personne, et surtout protéger le domaine privé des atteintes vécues dans le versant prostitutionnel en se coupant de ce qui est vécu dans ce dernier. Ce versant en question n'est que simulation, totalement factice où toute relation humaine est artificielle. Les sentiments et les émotions n'y ayant pas place, ils sont refoulés car perçus comme des obstacles par le client de services sexuels. Rappelons ici le cas de la jeune Mélanie qui vit avec deux identités, celle de la nuit et celle du jour. Et les conséquences d'un tel comportement peuvent être multiples pour une fille de son âge. Déjà pour les personnes plus âgées ce n'est pas facile. Elles qui sont obligées de se purger avec du tabac afin de ne pas laisser le sexe se dégrader complètement.289(*)

Si nous pouvons, sans excuser le fait, comprendre la prostitution des immigrées tchadiennes et centrafricaines, du fait de la guerre dans leurs pays, comment expliquer celle des camerounaises ? L'absence d'emplois, facteur déterminant, peut encore permettre de pardonner les plus âgées. Mais comment comprendre la prostitution des camerounaises plus jeunes. Des enfants dont les familles n'ont pas de problèmes d'argent, puisqu'ils ont les moyens de les inscrire dans les établissements scolaires les plus coûteux de la ville. Peut-on y voir une libido débordante ? Sans oublier que la drogue se mêle à l'échantillon des problèmes de cette jeunesse laissée à elle-même en quelque sorte, par des parents qui, dépassés, ont démissionné de leur rôle. Cette situation n'est en rien contrecarrée par l'administration qui n'hésite pas à avouer son incapacité290(*).

Ces activités trouvent donc dans la nuit un moment et un espace d'expression propices. La commercialisation de la drogue devient dans la ville une affaire de tous et ce ne sont pas les forces de l'ordre qui sont épargnées par la vague de propagation de ces produits illicites. Il se pose le problème de l'incapacité des autorités à y mettre fin, faute de moyens humains. À Ngaoundéré, on consomme de la drogue pour se donner du courage, pour avoir la puissance sexuelle, pour passer une nuit agréable. La consommation de la drogue pourrait être considérée comme une des raisons qui expliqueraient le peu de considération que certains jeunes ont pour la vie. Ils se livrent à tous genres de défis dans lesquelles leurs vies est sans cesse en danger : défis de vitesse et d'agilité sur des motos, défis de consommation de drogue. On peut ainsi citer le pari qui a causé la mort d'Issa, soudeur dans la ville de Ngaoundéré.

Issa était âgé d'une trentaine d'années. Il gagnait sa vie comme soudeur de pneus au quartier Mbibar à Ngaoundéré. Suite à une dispute avec son ami Harouna, les deux amis décident de se lancer des défis. Issa se vantait de pouvoir consommer 100 comprimés de Tramol sans tituber, défi que son ami Harouna pense pouvoir relever. Les deux amis décident alors de faire le pari et commencent d'abord par la moitié : celui qui finit le premier 50 comprimés de Tramol recevra de l'autre la somme de 5000 f.cfa. Au terme de cette première épreuve, Issa sort vainqueur et empoche les 5000 francs de son ami Harouna. Ce dernier, ne voulant pas admettre sa défaite double la mise. Celui qui finit encore 50 comprimés de Tramol percevra cette fois-là de l'autre une somme de 10 000 f.cfa. Appâté par le gain facile, Issa avalera les 50 autres comprimés en un laps de temps. La réaction ne se fera pas attendre puisque quelques minutes seulement après, il va ressentir des malaises aigus. Il est immédiatement transporté à l'hôpital provincial de Ngaoundéré. C'est là qu'il rendra l'âme quelques minutes plus tard291(*).

Dans la même logique, de plus en plus de personnes fréquentent les bars, sans distinction de sexe, d'âge, ni de statut social. Les causes de l'alcoolisme sont multiples. Il n'existe pas des traits universels valables, mais du point de vue psychique, certaines caractéristiques sont plus souvent rencontrées chez les personnes dépendantes d'alcool :

- La tendance d'éviter les problèmes indifférents de la capacité réelle de les résoudre.

- L'incertitude dans les perspectives de la vie et l'inhibition.

- La dépendance aux autres.

- La capacité réduite de se contrôler, de supporter des déplaisirs ou d'attendre une récompense (la tolérance réduite à la frustration).

- Autocontrôle exagéré et refoulement des sentiments.

- Des difficultés dans la satisfaction de la nécessité d'attachement et d'appropriation.

- Souvent une mal-disposition et un état de confort psychique réduit. 292(*)

En plus des causes psychiques, nous pouvons aussi parler des causes professionnelles. Le chômage est un facteur de stress qui pousserait à l'alcoolisme. L'attitude du public influence aussi les jeunes dans leur attitude à l'égard de l'alcool. En effet, pendant que l'alcoolique est méprisé comme étant ivrogne, on admire ceux qui, à une fête, réussissent à boire le plus. La consommation temporaire excessive d'alcool, par exemple à l'occasion des fêtes diverses, est considérée comme un signe de virilité. Un vrai homme est celui qui supporte le plus d'alcool et, au contraire, celui qui ne boit pas du tout ou peu, est considéré faible ou un "casse-fête".

Dans cette large acceptation de l'alcool, l'opinion publique supporte la consommation d'alcool et promeut involontairement le péril et l'installation dans l'alcoolisme. En minimalisant la consommation élevée d'alcool, la société aide en fait celui menacé de devenir un alcoolique de s'illusionner pour longtemps que le péril dans lequel il se trouve n'est pas si grand.

Enfin, chaque conflit dans la famille ou au travail peut être déclencheur pour l'abus d'alcool. Mais la consommation d'alcool élevée est aussi à son tour la cause de difficultés familiales et de problèmes professionnels, de sorte que les conflits augmentent et se compliquent. Il devient de plus en plus fort le désir d'éviter ces conflits et de cette manière on peut constater comment ce cercle vicieux se ferme, et après un certain temps, ne peut plus être rompu qu'avec beaucoup d'effort.

La dépravation des moeurs dans la ville de Ngaoundéré trouve son meilleur terrain d'expression à travers la vie de nuit. À l'image des principales villes du pays, cette dépravation s'exprime plus ou moins de la même façon, rendant tristement célèbres des quartiers où sont mis en exergue des comportements de débrouillardise, devenus très vite de haut lieu où l'on peut noyer les soucis d'une vie fade et sans perspectives d'avenir. Ne peut-on voir à travers ces comportements l'expression d'une société en mal de repères ? En effet, lorsque l'on arrive à Douala, on est dirigé vers les lieux tels que la "rue de la joie" ou le carrefour "J'ai raté ma vie" ; à Yaoundé, pourtant capitale politique, le visiteur n'a que l'embarras de choix face aux multiples propositions : Mini Ferme Melen, Ngoa Ekelle Bonamoussadi, Carrefour de la Joie, Hôtel de ville... À Ebolowa, le Carrefour Tamsou est là pour vous égayer ; à Maroua, vous devez vous diriger vers Avion Me Laisse ou vers Domayo ; et comme nous l'avons vu à Ngaoundéré, Joli-Soir et Baladji I sont les références en ce qui concernent les distractions de nuit. Notre objectif n'est pas de souhaiter une société où toutes distractions seraient absentes, mais de dénoncer une société où la distraction devient le refuge, le moyen pour la population de se cacher dans l'illusion que tout va bien.

Examinant le problème d'alcoolisme dans la ville de Kigali au Rwanda, Ildegonde Karererwa écrit :

Il [l'alcoolisme] ravage tout particulièrement les nombreux quartiers spontanés de la capitale rwandaise où vivent des populations démunies. Seul exutoire pour oublier à peu de frais la misère et la vie sans perspective : s'enivrer à l'urwagwa, la bière de banane, en kinyarwanda. Partout les cabarets se multiplient, preuve du mal-être des habitants. Désormais modestement équipés de téléviseurs en noir et blanc, ils offrent un attrait supplémentaire dans une capitale où il n'y a qu'une télévision pour 100 habitants. L'affluence ne cesse d'augmenter. [...] Il ne s'agit pas pour les buveurs d'étancher leur soif : boire est un rituel auquel ils se livrent à longueur de journée en compagnie de leurs amis ou voisins.293(*)

On pourrait aisément trouver à ce pays l'excuse de la guerre, mais, le Cameroun ne vit-il pas une guerre à son tour ? Celle qu'apporte la pauvreté, avec ses scènes de banditisme parfois dignes des grandes réalisations hollywoodiennes, avec la prostitution de plus en plus présente et de plus en plus agressive, avec des enfants de la rue dont le nombre ne cesse d'augmenter, avec une informalisation des activités de nuit qui laisse apparaître l'incapacité pour les populations de gagner le pain quotidien décemment. Il faut tout de même s'interroger sur les personnes qui fréquentent les bars dans nos cités en général et dans la ville de Ngaoundéré en particulier.

Il s'agit, dans une observation rapide, des fonctionnaires, des hommes en tenue (militaires, gendarmes, policiers), surtout des débrouillards qui, la nuit venue, se retrouvent dans les bars pour se détendre, oubliés le stress d'une journée de travail, devant une bière et profiter des facilités qu'offrent les auberges tout près. C'est justement ce travail qui pose problème. En effet, lorsque l'observateur prend le temps d'écouter les conversations de ces consommateurs d'alcool, elles tournent autour de l'inadéquation entre le salaire et le travail demandé, ou encore du sexe, du football et de la politique. Loin d'être l'expression de la joie tant recherchée à travers une bière, les causeries sont justement le reflet d'un mal être social qui trouve dans la dépravation des moeurs son champ d'expression.

Dans cette spirale, il est à déplorer que les jeunes soient à leur tour englués dans cette décadence. De plus en plus d'enfants sont touchés par l'alcoolisme, et les étudiants ne sont pas en reste, habitués qu'ils sont en train de devenir, des concours du meilleur consommateur de bière. On peut voir à travers ces vices sociaux, d'autres qui s'y greffent : le vol (pour avoir sa dose d'alcool ou de drogue), la prostitution (car Bacchus ne va jamais sans Venus), sans oublier les conséquences familiales (divorce, négligence des enfants, maladies sexuellement transmissibles).

Malheureusement, la consommation de drogue vient s'ajouter à celle d'alcool qui touche déjà toutes les tranches d'âge et surtout les enfants de la rue. On les retrouve très souvent dans les bars en train de vider les fonds de bouteilles, ou accroupies dans un coin obscur fumant une cigarette ou aspirant de la colle emballée dans une chaussette.

* 272 Nyam a Ngam, C., 2007, p.25.

* 273 Voir la façade avant de la Cathédrale Notre Dame des Apôtres de Ngaoundéré où est enterrée Yves Plumey.

* 274 Saïbou Issa, 2004, "La répression du grand banditisme au Cameroun : entre pragmatisme et éthique". Recherches Africaines [revue en ligne], Numéro 03 - 2004, 3 octobre 2004. Disponible sur Internet : http://www.recherches-africaines.net consulté le 25 août 2009.

* 275 Ibid., 2004.

* 276 Yemga, 2009, "Ngaoundéré : Un policier présumé coupable", article paru dans le journal Mutations, mis en ligne sur le site www.cameroon-info.net consulté le 10 août 2009.

* 277 Ibid.

* 278 Entretien avec Mohammadou Djaourou, tenu le 20/08/09 à Tongo Pastorale, Ngaoundéré.

* 279Entretien avec Mme Ngodjock Bernadette, tenu le 10 août 2009 à Ngaoundéré.

* 280 Nyam a Ngam, C., 2007, p. 27

* 281 Ibid., p.28

* 282 Fouda Guy, entretien mené en décembre 2006 à Yaoundé.

* 283 Edzoa Y. M., 2008, "1 jeune sur 4 consomme de la drogue au Cameroun", article paru dans le quotidien Le Jour, et mis en ligne sur www.bonaberi.com le 04/07/2008, consulté le 06 août 2009.

* 284 Le collapsus est un délire aigu lié à l'épuisement, lire Piéron, H, 2000, p.83

* 285 www.doctissimo.fr, site Internet consulté le 06 août 2009.

* 286 Il faut préciser que le dosage de ces produits est une indication de notre informateur. Sur les sachets de ces comprimés on peut lire 50 mg (Trumol, Tramadol) et 100 mg (Tralam), mais la différence de prix montre bien qu'ils n'ont pas la même consistance. En partant de la gauche vers la droite l'Exol 5 coûte 100 f.cfa. Le comprimé, il est aux dires des consommateurs, comparable à 5 bières de marque Guinness. Le Diazépam vaut 250 f.cfa. Le sachet de 10 comprimés. Le sachet de Passion s'achète à 100 f.cfa. ; les différents types de Tramol ont des prix assez variant selon les vendeurs, mais les prix généralement pratiqués sont : Trumol, 200 f.cfa. ; Tralam (250 mg), Tramadol et Tromal, 250 f.cfa. ; enfin Tralam (1000 mg), 350 f.cfa. En marge de ces comprimés dont nous avons pu nous procurer des échantillons, on peut ajouter la marijuana, vendue à 200 f.cfa. le sachet. Pour notre informateur, il ne faut pas se fier aux indications sur le sachet, ces comprimés étant de la contrebande. Par ailleurs, en l'absence de tests chimiques appropriés, nous ne saurions nous prononcer sur ces dosages.

* 287 Témoignage anonyme d'un responsable de l'établissement confessionnel, le 4 août 2009 à Ngaoundéré.

* 288 Kä Mana, "La prostitution, plus qu'un mal local, une dérive globale", in Ecovox n°40, juillet-décembre 2008.

* 289 Entretien avec Ma Henriette, le 14 juin 2009 au quartier Baladji I.

* 290 Entretien avec Temde Joseph, le 24 septembre 2009.

* 291 Petsoko M., "Pari mortel : Il trépasse pour avoir voulu boire 100 comprimés de Tramol", article mis en ligne sur www.webcameroon.net le 12 octobre 2008 et consulté le 19 août 2009.

* 292 www.alcoolisme.org, consulté le 5 octobre 2009.

* 293 Karererwa I., 2005, "Kigali : alcoolisme et pauvreté, un cocktail redoutable", mis en ligne sur www.sifyainternational.com le 10/05/2005 et consulté le 05/10/2009.

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