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Quelle place pour la poésie dans l'édition de littérature pour la jeunesse en France (1992 - 2012) ?

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par Agnès Girard
Université du Maine - Master 1 Littérature Jeunesse 2013
  

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Université du Maine
UFR Lettres, Langues et Sciences humaines
Master 1 Littérature Jeunesse
Juin 2013

Quelle place pour la poésie dans l'édition

de littérature pour la jeunesse en France

(1992 - 2012) ?

(c)Mtus

Møtus : une autre « voix » pour la poésie

contemporaine.

Mémoire présenté par Agnès GIRARD

Sous la direction de Mme Aurore TOUYA

PAST Université du Maine, Editrice Editions Gallimard

Mes remerciements les plus sincères

à ma directrice de Mémoire, Mme Touya,
qui m'a chaleureusement guidée et soutenue tout au long de ce travail,

à Mr David, des éditions Mtus
qui s'est rendu très disponible,

aux poètes Jean-Michel Maulpoix, Michel Besnier, Thierry Cazals, et François David,
qui, grâce à nos échanges, ont rendu ce travail vivant,

à Alice Brière Hacquet et Elise Carpentier
pour nos échanges sur le travail de Rouge publié aux éditions Mtus,

à Véronique

qui m'a aidé à comprendre que

« ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément. »1,

à Catherine, Nathalie, Salomé, Christiane,
qui ont posé un regard attentif sur les pages de ce travail,

à mon mari et mes enfants

pour l'attention et le temps si précieux qu'ils m'ont accordé,

à Mattéo

pour ses dessins

Merci aux poètes

1 BOILEAU Nicolas, extrait de L'art poétique.

1

SOMMAIRE

Introduction 2

Chapitre I - Etats des lieux de la poésie dans la littérature pour la jeunesse 5

A - Existe-t-il une poésie pour la jeunesse ' 6

1 - Historique 6

2 - Un objet de controverse 11

3 - Une définition instable 19

B - Spécificité et enjeux de la production poétique en France 26

1 - Les anthologies 27

2 - Les comptines 32

3 - Les recueils 34

C - Un renouveau poétique à destination des plus jeunes 35

1 - Dépoussiérer la poésie : nouvelles formes, nouvelles pratiques 36

2 - Le souci de transmettre : l'impact visuel 41

3 - L'oralisation nécessaire : l'impact sonore 46

Chapitre II - Quelles sont les particularités de Møtus ' 49

A - Une structure associative engagée 50

1 - Des débuts difficiles 50

2 - Une prise de risque encouragée par les politiques d'Etat 53

3 - Une liberté 57

B - Les singularités 59

1 - Un catalogue original 59

2 - La problématique des collections 62

3 - Une « poé-litique » 66

C - Une reconnaissance 69

1 - Les prix de poésie 69

2 - La place médiatique, la visibilité 73

3 - La place à l'école : devenir « classique » 76

Chapitre III - Møtus : passeur de poésie 79

A - Volonté de faire vivre « la poésie » 80

1 - Sortir la poésie des murs : les Poèmes-affiches 80

2 - Une poésie du quotidien : les livres-objets 83

3 - « Les voix du poème » 86

B - La collection Pommes Pirates Papillons 90

1 - Choix des formats 90

2 - Choix des textes et des auteurs 92

3 - La place de l'image 95

C - L'album, média d'un genre nouveau 98

1 - Un rêve sans faim 98

2 - Des images polysémiques 104

3 - Pour une poésie sans fin 112

Conclusion 115

BIBLIOGRAPHIE 118

SITOGRAPHIE 125

2

Introduction

La poésie a longtemps été considérée comme un art majeur, essentiel à la formation et à l'épanouissement de l'être humain. Force est de constater pourtant que le genre semble avoir beaucoup perdu de son influence. Il suffit de relever le faible pourcentage que représente la production poétique dans l'ensemble des publications pour comprendre que la poésie est aujourd'hui souvent considérée comme un genre désuet, réservée à quelques initiés, seulement 1 % du lectorat français s'adonne à la lecture de poésie1. L'école constitue le premier, et souvent, l'unique lieu de rencontre entre la poésie et son public. La poésie du patrimoine, poètes et poèmes classiques, sont alors présentés à ce public, laissant peu de place à la poésie contemporaine. Lorsque cette dernière se risque à être destinée aux enfants, elle prend souvent la forme d'une poésie affadie, ou « utile », s'adaptant aux besoins de l'apprentissage de la langue. Dès lors, la question d'une définition de la poésie pour la jeunesse se pose.

Dans les publications présentées au lectorat, les anthologies ont longtemps été la forme privilégiée, proposant peu de textes inédits. Pourtant la poésie contemporaine est vigoureuse et les poètes français contemporains sont nombreux, mais, dans le domaine de l'édition, la poésie contemporaine est peu représentée. Ce paradoxe se double du constat de la vitalité de l'industrie de l'édition de littérature pour la jeunesse qui affiche, durant les vingts dernières années, une inflation sans précédent. « Sur la période des 9 premiers mois de l'année 2012, le livre jeunesse est la seule branche de l'industrie de l'édition à afficher un taux de croissance de 2,5 % tandis que le reste du marché a subi une atrophie de 2,7 % »2.

C'est pourquoi il nous a semblé intéressant d'examiner de près la place accordée à la poésie dans la littérature pour la jeunesse. Cela implique de cerner au préalable quel est notre objet. En effet, s'il existe toujours une poésie traditionnelle et reconnue proposée aux enfants, et nous verrons comment elle perdure, parallèlement se développe une création de pièces poétiques contemporaines à destination d'un jeune public, dans laquelle s'engagent des poètes d'aujourd'hui.

Notre travail cherchera à mettre au jour les pratiques contemporaines visant à dépoussiérer la poésie, pour la rendre attrayante, vivante, accessible au plus grand nombre

1DUBOIS Sébastien cité dans « La poésie se porte plutôt bien », publié le 7 mars 2011 < enviedecrire.com >. 2HELMLINGER Julien, « Le marché français du livre porté par le secteur jeunesse », mardi 27 novembre 2012, < www.actuallité.com >.

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d'enfants. Les enjeux sont de taille, il s'agit de donner vie à la poésie contemporaine, de la remettre au coeur d'une pratique quotidienne, en la rendant accessible, redonnant à la poésie en générale son statut d'art, essentiel à la formation et à l 'épanouissement de l'être humain. Nous nous attacherons particulièrement aux publications de Møtus, petite maison d'édition normande, qui, à travers un engagement dédié à la poésie contemporaine, et une spécificité de poésie pour la jeunesse, cherche à renouveler cette dernière, tout en maintenant un niveau d'exigence élevé du point de vue artistique. L'originalité des choix éditoriaux de cette maison d'édition nous ont permis de la référencer parmi les éditeurs de poésie pour la jeunesse comme la plus soucieuse de mettre la poésie à la portée des enfants. Ainsi, au regard de son histoire et de son fonctionnement, notre travail de recherche nous permettra de distinguer cet éditeur comme un découvreur et un passeur de poésie contemporaine, rôles essentiels pour la rendre accessible à la jeunesse.

Nous tenterons dans un premier temps d'établir un état des lieux précis de la place faite à la poésie pour la jeunesse dans l'édition contemporaine. A travers une tentative de définition de la poésie pour la jeunesse, nous nous interrogerons sur la place de la poésie classique à l'école. L' interrogation d'une spécificité d'une poésie pour la jeunesse et la controverse que cela suscite, nous amènera à une définition instable de ce genre dans ses dimensions formelle et thématique. Après l'étude de ce qu'est la poésie pour la jeunesse, il nous faudra interroger les canaux de sa transmission. Les formes de publication que l'on peut trouver dans l'édition de poésie sont souvent l'anthologie et le recueil, l'édition de comptines prenant aussi une grande place dans ce domaine. Nonobstant ce classicisme dans les moyens de transmettre une poésie jusque là classique, force est de constater qu'un renouveau poétique se pratique, tant sur les formes que les pratiques, prenant en compte l'urgence de « donner à voir » et de « donner à entendre » la poésie contemporaine afin de la faire vivre.

Nous analyserons, dans un deuxième temps les spécificités des éditions Møtus, structure associative engagée dans la promotion d'une poésie pour la jeunesse inédite et de qualité. Malgré les débuts difficiles de cette maison d 'édition, nous nous pencherons particulièrement sur la liberté qu'elle s'accorde et qui, malgré les risques que cela comporte, garantit une poésie débridée des carcans classiques, une poésie pour les enfants considérés comme de vrais lecteurs de poésie. A travers les singularités des éditions Møtus, nous nous attacherons à définir la « poé-litique » de cette maison, tant sur ces choix éditoriaux que sur

ces objectifs. A l'étude de la place médiatique accordée à cette maison d'édition, des prix décernés par les instances de la littérature pour la jeunesse et à la place que l'institution scolaire lui confère aujourd'hui, nous nous interrogerons sur son rôle de « découvreur » de poésie.

Enfin, dans le choix de ses pratiques, nous verrons comment les éditions Møtus atteignent directement leur public, dans un souci de faire vivre la poésie, de la rendre accessible. Puis nous verrons à travers le choix de ces formats, comment la maison d'édition s'est engagée dans une poésie pour la jeunesse de qualité. L'originalité de ce petit éditeur culmine dans la conception d'albums poétiques qui, à nos yeux, signe l'acte de naissance d'un objet hybride où textes poétiques et images s'associent, au service de la poésie, multipliant les niveaux de lecture. N'assiste-t-on pas là à l'émergence d'une association nouvelle? L'étude précise de l'album Un rêve sans faim1, nous donnera le point d'appui à cette réflexion. Cette étude des publications des éditions Møtus nous permettra de dégager comment se manifeste la volonté d'être passeur de poésie, tant par le renouvellement des thèmes que par celui des supports et des pratiques.

4

1DAVID François, Un rêve sans faim, ill.Olivier THIEBAUT, Landemer, Møtus, 2012.

Chapitre I - Etats des lieux de la

poésie dans la littérature pour la

jeunesse

(c)Mattéo GIRARD

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A - Existe-t-il une poésie pour la jeunesse ?

On ne peut faire l'économie d'un aperçu historique lorsque l'on commence un travail sur la poésie et la place qu'elle occupe dans la littérature pour la jeunesse, et c'est notamment à l'école et dans l'édition qu'elle a trouvé sa place. Mais cette appropriation de la poésie par l'école suffit-elle à parler d'une poésie pour la jeunesse ? La teneur du débat est contemporain. Les différentes publications de poésie pour la jeunesse qui nous sont proposées nous amèneront aussi à observer de plus près cette spécificité de la littérature de jeunesse.

1 - Historique

La poésie existe bien avant que ne surgisse la préoccupation de la rendre accessible à un public enfantin. On pourrait dans un premier temps tenter de définir ce genre littéraire, en raison de sa place particulière dans la littérature pour la jeunesse. Cependant il n'est pas simple de trouver un ensemble de règles qui fonctionnerait pour tous les textes dont la dimension poétique est avérée. Tout genre littéraire, on le sait, doit prendre en considération l'intention de l'auteur et l'horizon de réception des lecteurs, lesquels choisissent un texte en fonction du genre qu'il affiche. Dans la littérature pour la jeunesse les genres narratifs, tels le roman, la nouvelle ou le conte, dominent. Dans la bande dessinée même, l'image s'associe au texte mais le plus souvent il s'agit de produire une narration. L'album, quant à lui, genre plus volontiers propre à la littérature pour la jeunesse, développe généralement aussi une narration fondée sur l'utilisation conjointe, de façon redondante ou en complémentarité, de l'image et du texte. Le théâtre a cette spécificité qu'il n'a pas de narrateur, mais propose un discours direct mis en oeuvre sur un espace scénique. La poésie, pour y revenir, est un genre qui porte toute son attention sur les richesses de la langue, et, de ce fait, elle ouvre un espace de jeu sur le langage et s'autorise des formes et des pratiques multiples. Néanmoins, le classement générique va de pair avec la question délicate des frontières : il est des récits dont la dimension poétique est évidente et des poèmes qui, à leur façon, « racontent » une histoire. Ce franchissement des limites génériques d'une oeuvre à une autre impose un jeu sophistiqué sur les marges des genres littéraires. Dans la littérature pour la jeunesse aussi, les genres littéraires se mêlent et se métissent de plus en plus. Confiner la poésie pour la jeunesse à un genre, c'est probablement réduire le poétique à la forme du poème, sans supposer qu'il existe de la poéticité aussi dans l'album, le conte, la nouvelle, le roman ou le théâtre. D'ailleurs, la

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poésie se développe, en perpétuel mouvement. La poésie contemporaine se caractérise par une grande diversité formelle et une multiplicité de pratiques poétiques et de supports. Une définition de la poésie d'aujourd'hui ne sera pas aisée, mais il subsiste des repères. Décrire des tendances ne pourrait suffire à rendre compte de la multiplicité des poèmes qui s'écrivent de nos jours, car il existe sans doute presqu'autant de courants poétiques que de poètes. Jean Michel Maulpoix1, fort de constater qu'on ne peut définir la poésie, lui donne une fonction : « Voilà un travail, un « faire » qui touche à la langue, à ses ressources, à ses capacités de nomination, d'invention, de symbolisation, à son potentiel, à sa réalité plastique, physique, visuelle, sonore, à son entente, c'est-à-dire à tous les aspects de la langue que nous parlons, de sa réalité. »2 . Pour aborder notre travail, nous nous arrêterons donc à cette « non-définition » de la poésie contemporaine, dans sa relation étroite avec le langage, parce que d'une part, il serait vain d'énoncer toutes les tentatives de définition que les poètes eux-mêmes ou les critiques littéraires ont élaborées, et d'autre part parce que la poésie contemporaine étant en constante évolution, il nous faudrait sûrement revenir sur nos critères définitoires à peine une définition serait-elle posée.

Prenant en compte son évolution dans le temps et sa fonction langagière, il nous faut à présent considérer la poésie contemporaine en la rapportant à notre propos. Nous n'avons pas fait jusque-là de distinction entre poésie et poésie pour la jeunesse, nous en parlerons en effet ultérieurement. Une des raisons de cet amalgame est que la poésie pour la jeunesse est très liée à la poésie tout court. Nous sommes contraints de passer par une analyse des pratiques de la poésie à l'école car c'est presque exclusivement dans cette institution que se crée le premier contact des enfants avec ce genre littéraire, en tout cas de manière plus marquée que pour les autres genres. On peut observer un enfant lire un album ou un roman de façon autonome, dans le cercle familial, dans une bibliothèque, dans un but précis, ou pour le plaisir. Mais rarement nous observerons un jeune (enfant, adolescent, jeune adulte) lire un poème « gratuitement », s'il n'y est pas poussé par une injonction scolaire. C'est en effet, le plus souvent, l'école, le collège, le lycée et enfin l'université qui instaurent la relation entre l'individu et la poésie et, de ce fait, la dimension de contrainte semble entacher la relation à la poésie plus que celle qui se noue avec d'autres genres littéraires : l'histoire commence mal !

1Poète, critique littéraire français, professeur de poésie moderne à l'université ParisX-Nanterre, directeur de la revue critique : Le Nouveau Recueil (éd. Champ vallon), né en 1952.

2MAULPOIX Jean-Michel, < www.maulpoix.net>, séminaire : La poésie pour quoi faire ?Archives sonores (2007-2010) du séminaire mensuel public animé par Jean-Michel Maulpoix avec le concours de la Maison des écrivains et de la littérature et de l' Université Paris Ouest Nanterre.

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La poésie contemporaine a eu du mal à se faire une place à l'école primaire. D'autant que jusqu'aux années 1970, la poésie, dans l'institution scolaire, était soumise à deux objectifs primordiaux, la mémorisation et la moralisation (la morale au service de la famille ou de la patrie), et s'est donc longtemps déclinée dans les classes sous formes de poèmes à apprendre. Et force est de constater que les poètes sollicités étaient rarement contemporains : Hugo, Lamartine, La Fontaine occupent une place de choix ; leurs textes sont souvent supports de « récitation » ou objet d'étude d'un style littéraire, d'un courant, ou instrumentalisés à des fins de leçon de morale. Dès les années 1970, les choses changent.

Un renouveau s'opère dans le domaine institutionnel tout d'abord : les instructions officielles de 1972 préconisent l'ajustement de la pédagogie aux besoins et aux intérêts des élèves : « Un poème ne doit pas être d'abord en classe un morceau qu'il va falloir apprendre. Les résonances intimes qui font qu'un poème plaît à l'enfant échappent au maître... La pire erreur - fréquente pourtant dans les recueils scolaires - serait de dire aux enfants ce qu'il faut qu'ils admirent, à quel moment ils doivent être émus. »1 . L' éducation nouvelle, qui préconise de « placer l'élève au centre de l'apprentissage », revendiquée, dès 1930, par Claparède (et jugée alors antirépublicaine) revient en force et devient même instruction officielle (et, bien plus tard, fondera le principe organisateur de la loi d'orientation de 1989).

Un renouveau s'opère dans le domaine éditorial ensuite : le fonds que constituent les Chantefables de Desnos2, les Paroles3 de Prévert ou les poèmes de Maurice Carême4 tourne en boucle dans les écoles, et, parmi les objectifs pédagogiques à atteindre et les modalités pédagogiques à mettre en oeuvre, un brusque intérêt pour la poésie réapparaît. La liberté nouvelle donnée aux instituteurs de choisir le support pédagogique, constituera pour les éditeurs une aubaine : des publications pédagogiques, à destination des enseignants, plus concurrentielles les unes que les autres, vont fleurir. Encouragées par ces changements fondamentaux qui mettent l'enfant au coeur de l'apprentissage, de nombreuses publications d'anthologies, crées par les poètes eux-mêmes, voient le jour et soulignent la rupture avec les précédentes publications. Les précurseurs de ce renouveau sont : Jacqueline Held avec Poiravechiche (Grasset Jeunesse, 1973), Jean-Hugues Malineau avec Les couleurs de mon enfance (L'Ecole des Loisirs, 1977) et Prête-moi tes plumes (L'Ecole des Loisirs, 1978), Georges Jean avec Il était une fois la poésie (La Farandole, 1974), Claude Roy avec les

1Instructions relatives à l'enseignement du français à l'école élémentaire : MEN, 1972. 2DESNOS Robert, Trente chantefables , Gründ, Coll. Pour les enfants sages, 1944. 3PREVERT Jacques, Paroles, les éditions du Point du jour, coll. Calligraphe, 1946. 4CAREME Maurice, La lanterne magique, Les éditions ouvrières, 1947.

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Enfantasques (Gallimard, 1974), Jacques Charpentreau avec La ville enchantée (L'Ecole, 1977).

C'est surtout dans les préfaces de ces publications que le renouveau apparaît, et que se manifeste l'ambition d'envisager la poésie d'une façon différente. Les éditions proposent de plus en plus de « poèmes inédits pour les enfants » à l'instar de l'anthologie de Jacques Charpentreau La nouvelle Guirlande de Julie (Les éditions ouvrières). Le succès n'est pas au rendez-vous, mais ces anthologies permettront l'émergence d'une niche « poésie jeunesse » dans le secteur éditorial. Une autre rupture, dans les années 1980, sera l'occasion d'une réelle interrogation sur la poésie, avec la création en 1985 de la collection « Poèmes pour grandir » sous l'égide de Jean-François Manier et Martine Mellinette, aux éditions Cheyne, une collection toute entière dédiée à la poésie pour la jeunesse. Des poètes écrivent pour les enfants, les textes sont inédits et les auteurs vivants. Sans doute assistons-nous là à la naissance de la poésie contemporaine pour enfants dans le domaine éditorial. De nombreuses petites maisons d'édition verront le jour pendant ces années novatrices : Le Farfadet Bleu, Lo Pals d'enfance, et c'est aussi en 1988 que naîtront les éditions Møtus, éditeur de poésie « adulte » à ses débuts.

L'institution scolaire et l'édition ne parviendront pas cependant, à mettre la poésie au coeur des préoccupations concernant le développement de l'enfant. Elle restera, à l'école, un support pédagogique comme un autre. On observe, en effet, que, malgré les ressources innovantes que proposent les éditeurs avec la publication de textes de « poésie jeunesse », et bien que les textes institutionnels donnent une nouvelle place à la poésie dans les programmes de 1985, un écart considérable subsiste entre les prescriptions des décideurs et les pratiques de classe. « La poésie répond à l'intérêt des enfants pour la langue et pour les jeux de langage ; elle leur permet de déployer leur imaginaire, d'expérimenter la création, de prendre la mesure d'oeuvres exemplaires. Lire, écrire, apprendre, dire et rassembler des poèmes sont parmi les tâches les plus belles de l'école. »1 . La poésie est enfin reconnue comme une activité essentielle du langage, permettant à l'enfant d'explorer toutes les potentialités de sa langue, dénuée de la contrainte de l'utilitaire. La poésie est enfin mise à l'honneur et reconnue dans sa pleine dimension artistique. Pourtant, les nouvelles orientations ne permettront pas une pratique efficace de la poésie à l'école, au collège ou au lycée où les priorités sont données à la « maîtrise de la langue » dans sa dimension de communication, laquelle se décline en une

1Ecole élémentaire, programmes et instructions, CNDP, 1985.

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somme de compétences à acquérir. Les programmes de 2002, actualisés entre 2004 et 2010, proposent un dossier de seize pages1, concernant la place de la poésie à l'école, enrichi de huit pages d'une sélection de trente-huit ouvrages de poésie pour le cycle III, et d'une liste de trente ouvrages pour le cycle II, à l'école primaire. Cette grande place accordée à la poésie dans les nouveaux textes institutionnels confirme la volonté de renouveler, à l'école, les pratiques autour de la poésie. Ces instructions aux enseignants font la part belle à la poésie, afin de permettre au jeune lecteur de « solliciter le langage autrement que dans ses dimensions utilitaires, fonctionnelles, pour sortir de la conversation ordinaire, de l'expression convenue, de l'écriture d'un texte selon les normes d'un genre. »2. Perdant sa fonction utilitaire (où elle était support de mémorisation et de leçons de morale), la poésie est placée désormais au coeur de la construction intellectuelle du jeune écolier, même si elle semble paradoxalement, et encore une fois, réduite dans le livret de compétences à un « savoir faire », à une compétence utilitaire ainsi décrite : « L'expression écrite et l'expression orale doivent être travaillées tout au long de la scolarité obligatoire, y compris par la mémorisation et la récitation de textes littéraires »3. Le livret de compétences qui prône un socle commun cite deux compétences à acquérir en poésie : « dire de mémoire des textes patrimoniaux (textes littéraires, citations célèbres) » et promouvoir « le goût pour les sonorités, les jeux de sens, la puissance émotive de la langue ».4 Cet écart constaté entre les textes officiels et leur modalité de mise en place démontre combien est difficile la tâche des enseignants qui veulent faire vivre la poésie en classe.

En dépit des apparences, l'école est pourtant le seul lieu qui garantisse à tous le contact avec la poésie. Les éditions qui s'ouvrent sur une nouvelle approche du genre et veulent promouvoir une poésie « vivante » donneront peut-être l'impulsion aux prescripteurs pour tendre vers une nouvelle ère. On constate d'ailleurs que les dernières listes de l'Education nationale proposent d'initier les enfants aux textes poétiques par le biais d'une poésie actuelle, de recueils de poètes vivants, d'anthologies revues et adaptées pour la jeunesse, d'albums visant à faire découvrir des poètes reconnus et leur oeuvre. Et ces listes citent aussi un nombre croissant de recueils de comptines, plus ou moins réussis, mais tous également désireux de s'adresser à la jeunesse.

1MEN/DGESCO, Ressources pour faire la classe à l'école, Maîtrise de la langue - La poésie à l'école, MEN/DGESCO (Ministère de l'Education Nationale / Direction générale de l'Enseignement SCOlaire), 2004 (à jour 2010). 2Ibid. p.1. 3MEN/DGESCO, Le socle commun des connaissances et des compétences, 2005, p.5.

4Ibid. p.7.

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Le désir de poésie est là : il se manifeste comme une ambition et une dynamique volontariste affichée dans l'institution scolaire et comme une nouveauté incontournable pour les maisons d'édition, un élan prescripteur de nouvelles politiques éditoriales. Il est aussi à l'origine d'une interrogation contemporaine : existe-t-il une poésie « pour » la jeunesse ?

2 - Un objet de controverse

Le débat a déjà agité le monde culturel et éditorial : qu'est-ce que la littérature jeunesse ? Comment la définir ? En son sein, peut-on décliner tous les genres littéraires, y compris les formes poétiques ? Cette question de savoir si oui ou non il existe une poésie pour la jeunesse peut être étudiée à trois niveaux : celui des producteurs eux-mêmes, les poètes, celui des récepteurs, le public jeune dans sa grande diversité, et celui des transmetteurs, les médiateurs entre le poète et son lecteur.

Du côté des poètes, la question de l'existence d'une poésie pour la jeunesse ne fait pas grand débat. En effet, tous s'accordent à dire qu'ils ne sont pas des poètes pour les enfants. Ils affirment que le poème s'adresse aussi bien à un adulte qu'à un enfant : ce n'est pas le destinataire qui fait le poème, c'est le poème qui dialogue avec son lecteur, quel que soit l'âge de ce dernier. Et la réception du texte poétique étant une condition même de l'existence de la poésie, c'est par elle que l'écrivain devient poète. Certains poètes ont du mal à accepter qu'il existe une poésie pour les enfants, peut-être parce que cette visée rendrait le littéraire moins prestigieux : la reconnaissance d'une poésie pour la jeunesse, ou littérature pour la jeunesse tout simplement, effraie parce que cette production pourrait passer pour « mineure » par rapport à ce qui est reconnu comme la « grande » littérature censée être plus plus légitime. Cette question touche donc en premier lieu, à la légitimité de la littérature pour la jeunesse. Cette position est encore renforcée par une autre raison pour laquelle les poètes expriment leur méfiance vis-à-vis de la poésie pour la jeunesse : « depuis la moitié du XXe siècle la poésie contemporaine apparaît souvent « sévère », par ceux qui la pratiquent comme par ceux qui la critiquent, dans ce contexte, il est difficile de voir les poètes adhérer à l'idée de quelque poésie-jeunesse. »1 Dans cette conception de la poésie considérée comme une activité sérieuse, critique, grave, il n'y aurait pas de place pour une poésie jeunesse. Est-ce à dire que les défenseurs de cette position réduisent la poésie destinée à la jeunesse à n'être que joyeuse, gaie, ludique ? Est-ce à dire qu'il ne faut autoriser l'accès du jeune lecteur qu'à un univers

1MAULPOIX Jean-Michel, Echange de mails du 15 janvier 2013, avec son aimable autorisation.

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spécifiquement enfantin, qui se complaît dans un style édulcoré pour le préserver de la brutalité du monde ? Cela nous semble être une vision euphorique de l'enfance et de son rapport à la lecture.

Parallèlement, on sait combien le poète a du mal à se faire entendre, tant le genre peine à acquérir une reconnaissance publique. La poésie, même quand elle n'est pas « étiquetée » jeunesse, trouve péniblement sa place dans le secteur éditorial et sa faible visibilité dans les librairies ou les bibliothèques en est le témoin. Sur le plan commercial, la poésie, généralement associée au genre « théâtre », représente seulement 0,5% du chiffre d'affaire des maisons d'édition en 20101. Devant de tels chiffres, on comprend la difficulté que rencontrent les poètes pour faire publier leurs ouvrages. Reconnaître, en plus, l'existence d'une spécialité « jeunesse » serait peut-être à leurs yeux réduire encore la maigre place que leur accordent les éditeurs : une sorte de concurrence déloyale...

Un autre point de vue sur lequel les poètes s'entendent tous est qu'il y aurait un certain « danger » à parler d'une poésie « pour » la jeunesse : ce serait courir le risque de la réduire à des écrits « mièvres », « gnangnans », « fades », « édulcorés ». Ces qualificatifs péjoratifs sont ceux qui reviennent le plus souvent dans les interviews des poètes à propos de la poésie pour la jeunesse. Ainsi, dans la sphère universitaire de la poésie contemporaine, le propos est tenace : échangeant avec Jean-Michel Maulpoix dans le cadre de ce travail, il m'écrit : « Pour être tout à fait sincère, je dois vous dire que je n'aime pas trop la poésie "pour" la jeunesse... En général, dans les manuels scolaires par exemple, je retrouve une idée gnangnan de la poésie et je me dis qu'il faudra avec difficulté la corriger ensuite. »2. La représentation négative, aux yeux des poètes eux-mêmes, de la poésie pour la jeunesse et la difficulté des poètes à se faire reconnaître participent de cette frilosité, de cette réticence à reconnaître une poésie pour la jeunesse. S'il est indéniable que la dérive vers une poésie « facile » et « gnangnan » existe, la production contemporaine de poésie à destination de la jeunesse recèle néanmoins des textes de grande qualité. Nous y reviendrons.

Si, dans leur grande majorité, les poètes ne veulent pas être « étiquetés » comme « poètes pour les enfants », la plupart d'entre eux reconnaissent néanmoins qu'il existe une poésie accessible aux enfants. Dans les textes d'interviews d'auteurs de poésie, beaucoup nomment Jacques Prévert, le « poète de l'enfant », lui qui, pourtant, n'a pas écrit pour les enfants. Repris dans les manuels scolaires, dans les anthologies destinées à la jeunesse et, plus

1Rapport d'activité CNL, 2011.

2MAULPOJX Jean-Michel, Echange de mails du 9 janvier 2013, avec son aimable autorisation.

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récemment, dans les albums, les poèmes de Prévert font consensus autour de l'idée d'une poésie propre à l'enfance, sans lui être exclusivement destinée. Il faudrait peut-être ici distinguer poésie de l'enfant et poésie pour l'enfant : en effet, parler de l'enfant n'est pas forcément parler pour les enfants ni s'adresser à eux seuls. Plonger dans l'enfance et dans son univers est fréquent en poésie, mais ce ne sont pas pour autant des textes exclusivement -ni même particulièrement- destinés aux enfants. Dans la préface des fables de La Fontaine, dont le fabuliste accompagne la publication de son premier recueil, on note que son ouvrage était en principe destiné à un enfant de sept ans, le Dauphin, qu'il s'agissait d'instruire en l'amusant, et, cependant, bien des adultes se sont divertis et régalés à la lecture des fables, parce que, dit-il, elles parlaient à l'enfant resté en chacun d'eux. Il y aurait bien, dans ce cas, une poésie destinée à la jeunesse, qui pourtant trouve un public plus large. De même, il existe un mouvement inverse : des textes qui n'ont pas été spécialement élaborés pour un public jeune peuvent lui convenir, comme nous l'affirme Jean-Michel Maulpoix : « Pour ma part, je suis certain que nombre de mes textes peuvent être lus par des enfants et qu'ils le sont (...), mais ce n'est pas pour autant que j'écris des poèmes destinés en particulier à la jeunesse. »1

Une série de questions découle de ces deux constatations : qu'est-ce qui rend un texte poétique, quel qu'il soit, accessible à un jeune public ? Selon quels critères peut s'écrire une poésie à destination d'un jeune public ? L'enfant est-il un lecteur comme un autre ?

La première de ces interrogations pose le problème du choix d'un corpus « jeunesse » parmi l'abondante offre de poèmes. Qui dit choix dit tri : qui le fait ? Quelles visions le sous-tendent (visée morale ? esthétique ? culturelle ? patrimoniale?). Nous l'avons constaté dans la première partie de ce travail, la poésie donnée au regard de l'élève est multiple et diverse, et dépend en grande partie de celui qui a autorité sur l'enfant.

La deuxième question soulève le point de vue des poètes qui écrivent dans des revues, des collections ou des recueils destinés à un jeune public. Dans le souci de ne pas réduire le poétique, les poètes qui se sont aventurés sur les chemins de l'écriture pour enfant revendiquent une poésie qui a un rapport au monde des enfants, joyeux ou sombre, et à ce qui les touche. Jean-Pierre Siméon2 défend l'idée d'une poésie qui s'opposerait « à une poésie univoque pour les enfants », laquelle, selon lui, « ne donne du monde que ce qui paraît le plus souhaitable, une poésie qui ne fait que l'éloge du doux, du bon, de l'agréable, du merveilleux.»

1Ibid.

2 Enseignant, écrivain, poète, dramaturge, directeur de la collection « Grands fonds » chez Cheyne, directeur artistique du Printemps des Poètes, né en 1950.

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Il affiche sa volonté de dire « le monde tel qu'il (lui) semble, mais avec une certaine forme de confiance dans la vie. »1 La poésie n'a plus pour fonction de faire paraître le monde beau, elle dialogue avec le monde, dans sa part sombre aussi. On peut alors faire confiance aux poètes, lorsqu'ils écrivent pour les enfants, pour ne pas enfermer leurs mots dans un univers édulcoré sous prétexte que leurs textes sont destinés aux enfants. Comme le souligne Jean-Pierre Siméon : « Vouloir, pour protéger l'enfant de je ne sais quel dérangement ou malaise, alléger la poésie de son mystère, c'est s'en éloigner. »2 Ce qui fait le poème n'est pas le sujet qu'il évoque, mais, comme dans les autres arts, c'est sa manière de le traiter. Dans son rapport au monde de l'enfant, le poète va néanmoins devoir se poser la question de la langue utilisée, de ses outils, de ses niveaux, de ses référents. En effet, puisque l'enfant est un être en construction, on ne peut négliger le fait que son rapport au langage est différent de celui d'un adulte, c'est-à-dire qu'il ne dispose que de façon partielle des structures linguistiques d'un adulte. Toutefois, cette connaissance non exhaustive du langage n'empêche pas une relation complexe au texte ni la richesse de sa réception. Alors, heureux qui comme Pablo Picasso a « mis toute sa vie à savoir dessiner comme un enfant. », et avec Francis Bacon, on pourrait dire que la poésie, comme « la peinture ne saisira le mystère de la réalité que si le peintre (le poète) ne sait pas comment s'y prendre. » S'il est avéré que les adultes sont loin d'entretenir tous un rapport semblable au langage, les enfants, eux, ont en commun un rapport neuf aux mots, au langage, et, dans leur façon de le découvrir, ils entretiennent un lien d'innocence et d'ouverture que certains adultes ne peuvent plus revendiquer. La poésie est un champ où l'enfant laisse sa sensibilité découvrir les mots, leur sens, leur sonorité, leur surprise. Mais, de fait, la syntaxe, le lexique, les références textuelles, les degrés sémantiques, les jeux de langue, ne peuvent pas s'aborder de la même manière chez l'enfant ou l'adulte. Pour François David3, il y a une double façon de respecter l'enfant : premièrement, en lui proposant un texte avec ses propres références culturelles, considérant qu'une intertextualité difficile ne lui permettrait pas de comprendre le texte, et que solliciter des références culturelles inappropriées peut rendre le poème abscons ; deuxièmement, en le considérant comme un « vrai » lecteur, c'est-à-dire en lui proposant des textes qui lui « résistent », contenant par exemple des mots inconnus, comme chaque « vrai » lecteur peut en rencontrer. La difficulté de la première rencontre avec les mots n'est pas une complexité propre à la poésie, et n'est pas

1SIMEON Jean-Pierre, « Vous avez dit Poésie pour la jeunesse ? » dans La revue des livres pour enfants, n° 258, avril 2011, p.81.

2Ibid, p.86.

3Ecrivain, poète, directeur littéraire des éditions Møtus, né en 1950.

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incontournable. Toute la subtilité sera de garder une opacité dans le poème sans le rendre pour autant inaccessible à l'enfant. Tel est bien l'enjeu qui sous-tend le travail des poètes qui écrivent ou qui sélectionnent des poèmes pour les enfants : rendre le poème accessible à l'enfant. Pour Michel Cosem1 « un poème doit pouvoir grandir avec son lecteur »2 . Un même poème doit pouvoir éveiller des échos différents chez le lecteur en fonction de son âge. « Le loup et l'agneau » de La Fontaine ou « Demain dès l'aube »3 de Victor Hugo, textes appris dans mon enfance, ont résonné longtemps, à des degrés différents d'appropriation, au cours de ma construction intellectuelle. De fait, on reçoit un poème en fonction de son vécu, et avec Jean-Pierre Siméon, nous pouvons confirmer que « la lecture de la poésie est polysémique », « chacun lit dans le poème ce qu'il a besoin ou le désir de lire. »4 ; on pourrait ajouter : et la capacité de lire. Tout poème, écrit spécifiquement pour les enfants ou non, peut donc être accessible à un jeune public. Ainsi peut importe le lectorat initialement visé par le poème, peu importe le sujet traité, c'est sa façon de dire qui fait le poème. C'est ce que Alain Serres confirme lorsqu'il écrit « Je n'écris pas pour les enfants, j'écris aux enfants. ». Le danger de la simplification est sans doute réel et peut falsifier le rapport entre l'enfant et la poésie. Mais, à contrario, une simplicité recherchée, appropriée peut être une façon de promouvoir la rencontre entre le poète et son lecteur. Parlant de la littérature de jeunesse et de l'album en particulier, Nathalie Prince affirme :

« La simplicité, qui est au principe de cette littérature enfantine, fonctionne comme une « médiation » : alors qu'elle apparaît d'abord comme une contrainte ou comme un obstacle poétique dû à l'incompétence fondamentale et fondatrice de l'enfant, elle devient la clef et le moyen même d'un dépassement vers un monde poétique neuf. »5

De danger à éviter, cette simplicité devient nécessité pour que se fasse la mise en relation des enfants et de la poésie. A la question : peut-on parler de livres d'enfants ?, Michel Tournier répondait que des grands auteurs comme Perrault, La Fontaine, Lewis Carroll, Saint-Exupéry « ne visaient nullement un public enfantin. Seulement, comme ils avaient du génie, ils

1Ecrivain et poète, fondateur de la revue Encres Vives, directeur de la collection « Découvrir » aux éditions Seghers de 1974 à 1978, né en 1939.

2Revue Griffon p.7.

3Je suis pourtant une élève des années 70 et 80 , et pour qui, l'ambition en poésie des programmes de 1972, n'a pas profité. J'ai découvert dans mes classes les plus grands classiques de la poésie française.

4SIMEON Jean-Pierre, « Vous avez dit Poésie pour la jeunesse ? », La revue des livres pour enfants, n° 258, avril 2011, p.83.

5PRINCE Nathalie, La littérature de jeunesse, Armand Colin, Collection U.Lettres, 2010 p.192.

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écrivaient si bien, si limpidement, si brièvement [...] que tout le monde pouvait les lire, même les enfants. Ce " même les enfants " a fini par prendre pour moi une importance majeure, je dirais presque tyrannique. C'est un idéal littéraire vers lequel je tends sans parvenir - sauf exception - à l'atteindre. »1 L'auteur de Vendredi ou la vie sauvage2 nous livre ici une caractéristique fondamentale de la littérature destinée aux enfants : cette « limpidité » qui rend abordable pour des enfants un texte éminemment littéraire et donc riche d'interprétations.

Sous l'angle de la réception, le débat d'une poésie pour la jeunesse interroge aussi le statut de l'enfant-lecteur. L'enfant est-il un lecteur comme un autre ? Si tous les auteurs s'accordent pour dire qu'il n'y a pas de poésie pour les enfants mais que la poésie est « une et indivisible », et qu'un bon texte de poésie pour les enfants sera tout autant apprécié par les adultes, il convient tout de même de se poser la question des récepteurs. Lorsqu'on parle de poésie pour la jeunesse, de quel(s) destinataire(s) parle-t-on ? Qui est cette jeunesse ? Délimiter précisément les contours du public « jeunesse » est ardu, tant la diversité des récepteurs est grande. Tout d'abord, on le sait, la littérature quelle qu 'elle soit, est découverte par l'enfant grâce à l'intermédiaire d'un adulte. C'est souvent à l'école, nous l'avons vu aussi, que la première rencontre avec la poésie a lieu. Nous devons donc délimiter le public visé dans le cadre scolaire. La réception - et l'émotion esthétique - sera différente selon que l'on s'adresse à un bébé ou à un étudiant. Nous devons donc proposer un nouveau filtre qui nous ramène au propos de ce travail : les livres pour enfants. Ils s'adressent à un public souvent d'âge scolaire. Les publications pour la jeunesse varient donc du bébé à l 'adolescent. Depuis les thèses psycho-éducatives sur le « bébé-lecteur » nous devons nous intéresser à cette catégorie de récepteurs. Non lecteurs, enclins à la découverte sensorielle, ils sont le public favori pour les comptines, jeux de doigts, nursery rhymes, enfantines ou formulettes qui proposent à l'enfant une découverte du monde tout en musicalité, tonalité, sonorité et rythme. Plus tard, vers cinq ou six ans, ces formes poétiques sont aussi souvent l'occasion de l'expérience de l'absurde, du non-sens. Elles deviennent alors, pour les plus grands, une occasion de subversion, et constituent, dans le langage, l'espace où le « n'importe quoi » est autorisé. L'enfant construit dans cet univers langagier ses premières échappées sonores, merveilleuses et subversives. Marie-Claire Bruley souligne que « La comptine possède un vrai pouvoir de transgression [...] et les enfants y trouvent un grand appel d'air, une invitation

1TOURNIER Michel « Faut-il écrire pour les enfants ? » dans la revue de l'AFL - Les actes de lecture n°5, mars 1984, p.18.

2TOURNIER Michel, Vendredi ou la vie sauvage, Flammarion, 1971.

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à jeter pour un moment les principes et les règles qui les accompagnent partout dans leur vie. »1. Dès l'âge de l'apprentissage de la lecture, les enfants découvrent la poésie inscrite dans les programmes scolaires, elle doit être une matière enseignée, répondant à des objectifs précis. Les récepteurs, de l'école maternelle au lycée, sont de fait un public captif, contraint, par des injonctions pédagogiques, à appréhender ce genre que constitue la poésie. Les oeuvres du patrimoine littéraire et les classiques constituent la principale matière de la poésie, intégrée dans les manuels scolaires, ou groupée sous forme d'anthologies et plus rarement de recueils. L'enfant est à cet instant un lecteur en devenir, fragile, mais ouvert à toutes les découvertes que l'on veut bien lui proposer. Même si la façon dont le contact se produit est sujette à caution, il n'en reste pas moins qu'il y a bien un public pour la poésie, et que, de fait, il est d'âge scolaire. On peut dès lors parler d'une poésie pour la jeunesse. Comment un enfant pourra-t-il apprécier la poésie, si on ne lui propose que des textes abscons pour lesquelles il n'a pas les clefs de compréhension ou d'appréciation ? « Au risque de choquer, je l'écris comme je le pense, : Shakespeare, Goethe et Balzac sont entachés de cette disgrâce à mes yeux : les enfants ne peuvent pas les lire. »2 affirme encore Michel Tournier. Il ne suffit pas qu'un texte, reconnu pour sa qualité, soit un « classique » - à savoir que l'on peut étudier en classe - pour que l'enfant s'ouvre à la poésie. Il lui faut quelques clés, dont l'une des premières est l'envie. L'enfant est un lecteur « découvreur », qui ne deviendra acteur dans le choix de ses lectures, une fois adulte, que s'il a été accompagné dans cette découverte. L'école doit être le lieu qui forme un public de jeunes lecteurs de poésie, un lieu où la poésie se dévoile.

Considérant que se situe bien un lieu où la poésie se découvre et qu'il existe bien un public de jeunes lecteurs, il nous reste à voir quels moyens peuvent provoquer cette rencontre.

Il nous reste à aborder la question de la poésie pour la jeunesse sous l'angle des médiateurs. Les parents et les enseignants ne pourront être médiateurs que s'ils ont un rapport « joyeux » à la poésie. Dans les écoles, on le sait, les plus beaux projets sont portés par les amateurs de poésie eux-mêmes, et le contact avec la poésie dans le cercle familial ne se fera que si les proches sont lecteurs de poésie et en comprennent les enjeux. Or, on sait que seuls 1% des lecteurs lisent régulièrement de la poésie. Un constat peu glorieux s'impose : « Comment se fait-il, que la poésie, présente dans les programmes scolaires, ne trouve pas

1BRULEY Marie-Claire, PAINSET Marie-France, Au bonheur des comptines, Paris, Didier Jeunesse, Coll. Passeurs d'histoires, 2007.

2TOURNIER Michel « Faut-il écrire pour les enfants ? » dans la revue de l'AFL - Les actes de lecture n°5, mars 1984, p.18.

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plus de lecteurs ? »1. C'est pourquoi les politiques éducatives, régionales ou d'Etat multiplient les initiatives : un contact étroit entre Le Printemps des Poètes et l'école, l'OCCE2, le CNL3 ont institué des actions pédagogiques régionales ; des associations comme Lire et Faire Lire s'engagent. De nombreux acteurs travaillent à promouvoir le contact entre la poésie et les jeunes lecteurs. Car la poésie exige une médiation entre elle et son lecteur, c'est indéniable. Les poètes sont aussi très actifs dans cette démarche et des auteurs, toujours plus nombreux, entrent en contact avec le jeune public pour défendre leurs poèmes, soit dans le cadre scolaire, soit lors de manifestations publiques ou dans les médiathèques. Lorsque le poète rencontre ses jeunes lecteurs, c'est qu'il reconnaît l'existence d'un lectorat « jeunesse ». Entre les poètes et les lecteurs, le livre de poésie est le médium. Dans la sphère éditoriale, le genre existe et se développe. Dans le secteur de l'édition de jeunesse, qui se porte bien, nous trouvons un secteur poésie « jeunesse » encore peu représentatif mais qui commence à émerger sous plusieurs formes. Les comptines, d'inégale qualité, représentent une grande part de ce secteur ; elles se déclinent souvent sous la forme d'anthologies, de recueils, et ces derniers temps sous la forme d'albums. Les plus grands éditeurs de littérature jeunesse possèdent une collection de comptines : « Comptines à chanter » chez Milan Jeunesse, « Pirouette », « Comptines d'ici », « Comptines du Monde », « Les p'tits lascars »... chez Didier Jeunesse, « Les p'tites bouilles » chez Casterman, « Comptines à lire à deux » chez Lito, etc. Pour les lecteurs débutants ou plus confirmés, les anthologies constituent la forme de publication le plus souvent choisie par les éditeurs, regroupant autour d'un auteur, d'un courant ou d'un thème des poèmes du patrimoine ou des poèmes contemporains : Mon premier Baudelaire chez Milan Poche Junior, Poèmes de Victor Hugo chez Folio Junior, Les poèmes de la souris verte de Jean-Luc Moreau au Livre de Poche Jeunesse. Enfin, la poésie apparaît, et c'est un phénomène nouveau, sous forme d'album, support plus volontiers approprié aux plus petits. La majeure partie de ces livres sont illustrés, et même les recueils destinés aux plus grands s'accompagnent d'illustrations d' artistes reconnus, au moins pour ce qui concerne la couverture. Les éditeurs sont ainsi les premiers « passeurs » de cette poésie offerte à la jeunesse. En proposant des livres de poésie, ils sont les premiers garants d'une possible lecture. En effet, les autres médiateurs ne pourront proposer de lectures de poésie que si le support existe. Pour Louis Dubost, « ce sont les éditeurs qui ont forgé le concept de « poésie pour enfants », pour des

1Le printemps des poètes, dossier « le printemps de poètes en milieu scolaire »,Célia Galice, responsable des relations avec le milieu scolaire et universitaire, 30 novembre 2011, p.4.

2Office Centrale de la Coopération à l'Ecole, très engagée dans les systèmes coopératifs scolaires.

3Centre National du Livre.

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raisons très prosaïques et marchandes de rentabilité car tout ce qui est pour enfants, livres y compris, se vend bien. »1 On pourrait néanmoins objecter deux arguments : d'abord, ce ne sont pas les « grands » éditeurs qui publient le plus de poésie, le secteur n'étant pas assez porteur à leurs yeux. En revanche, bien des petits éditeurs le font, acceptant une rentabilité moindre. De plus, il faut bien que la poésie se donne à lire et pour cela que sa visibilité soit nette dans un secteur jeunesse où les genres sont de moins en moins indéfinissables dans une politique éditoriale qui guette le bestseller. Le médium que représente le livre est indispensable pour initier la jeunesse à la poésie. Génération de l'image, les enfants d'aujourd'hui ne pourront s'approprier ce genre que s'il leur est agréable, dénué de toute contrainte, à la hauteur de leurs attentes et de leurs possibilités. Le livre illustré, lui-même délaissé par les enfants en raison de la prépondérance des nouveaux médias, reste néanmoins un moyen sûr et plaisant de mettre la poésie, genre menacé, à leur portée.

Le concept de poésie pour la jeunesse ne fait, en réalité, débat que pour les poètes et les spécialistes de la poésie qui sentent bien la difficulté qu'il y a à faire reconnaître ce genre à part entière et ce débat s'intègre dans celui d'une légitimité de la littérature jeunesse. Cependant et de facto, ce genre résiste bien : un public existe, les poètes s'y adonnent, les livres s'y prêtent, et quelques éditeurs, bien qu'encore trop rares, proposent de belles publications. Mais si le débat persiste, c'est que les enjeux d'une production poétique sont importants : pour ne pas mourir oubliée sur les étagères poussiéreuses des bibliothèques, la poésie doit se donner à voir et à entendre. A travers les spécificités d'une poésie pour la jeunesse, nous comprendrons combien cette dernière peut redonner du souffle à la pratique poétique. L'enjeu est de taille : ne pas devenir une lecture réservée aux érudits, ne pas mourir, résister et vivre.

3 - Une définition instable

C'est à la lumière de son histoire récente et du débat, encore vigoureux, sur sa légitimité que nous pouvons tenter une définition de « la poésie pour la jeunesse », prise entre l'instabilité générique d'une part et une limitation - pour la jeunesse - qui peut passer pour réductrice et dangereuse, ensuite. Une grande majorité des poètes s 'accordent sur l'impossibilité d'assigner à la poésie un territoire fixe et clairement identifiable : « Le domaine de la poésie est illimité»2, affirmait Victor Hugo. Cette affirmation vaut aussi pour la poésie

1DUBOST Louis, dans l'article : La poésie jeunesse : des paroles d'éditeurs, Revue Griffon n°231, p.9. 2HUGO Victor, préface des Odes,1822.

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pour la jeunesse qui repousse toujours ses limites autant en ce qui concerne ses formes qu'en ce qui concerne ses thèmes. Sans doute cette multiplicité rend-elle sa représentation difficile et en fait-elle un objet suspect, tant aux yeux des poètes qu'à ceux des lecteurs.

Dans ses formes, en effet, la poésie « jeunesse » est multiple et diffuse : sous prétexte qu'elle est adressée à un jeune lecteur, elle sera déclinée en textes courts ou constituée d'extraits de poèmes choisis. Les comptines, les haïkus, les poèmes-devinettes sont les formes les plus représentatives du genre. Le fragment sélectionné d'un long poème peut-être aussi l'occasion d'une lecture accessible et d'une invitation à redécouvrir ultérieurement le texte : c'est le pari que font souvent les anthologies, comme celle dernière née des éditions Rue du Monde qui propose vingt-trois extraits , « petits éclats de poésie », de vingt-six poèmes dans « Pom pom poèmes »1. Il s'agit d'une anthologie sous forme d'album proposée aux tout-petits. Toutes les formes classiques de poésie sont représentées dans les publications de poésie pour la jeunesse : la ballade, le sonnet, la chanson, l'ode, le rondeau, le pantoum, ou d'autres formes textuelles, comme le calligramme, qui s'affranchissent des contraintes versifiées et rimées, ou encore la poésie en vers libre, ou, pour finir, la prose poétique d'où toute contrainte formelle a disparu. Ces différentes formes donnent à chaque poème une silhouette, et l'on sait que la dimension visuelle d'un poème constitue une invitation à entrer dans le texte, à laquelle les enfants sont très sensibles. Avec l'évolution des techniques de communication et d'imprimerie, la poésie contemporaine accentue encore cet « effet visuel » en jouant avec la typographie et en utilisant le recours à l'iconographie de façon libre, et apportant un supplément à la mise en valeur du poème. La table des matières de l'anthologie Si je donne ma langue au chat ...2 propose un florilège de jeux sur la typographie et l'iconographie par l'illustratrice (infographiste de formation) pour mettre ces poèmes en valeur sur la page. La plupart des recueils de poésie pour la jeunesse jouent sur la dimension visuelle : la composition, la typographie et la mise en page se conjuguent à juxtaposition du texte et de l'image et l'ensemble fait sens. La forme du poème sollicite toutes les nouvelles techniques de manière à valoriser l'effet visuel du poème en stimulant l'un des premiers sens chez l'enfant : la vision. Les formes, grâce à l'infographie et aux techniques d'imprimerie en constante évolution, se multiplient donnant libre court à la créativité sans limite des auteurs et des illustrateurs. Les

1SERRES Alain , Pom Pom poèmes, ill. HAYAT Candice, Paris, Rue du Monde, 2012.

2GALICE Célia, LEROYER Emmanuelle, Si je donne ma langue au chat, est-ce qu'il me la rendra ?, ill . Oréli, Paris, Bayard Jeunesse, 2010.

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poètes jouent, de plus en plus, avec cette grande technicité que leur proposent les maisons d'éditions.

La poésie, et en particulier la poésie pour la jeunesse, dans sa volonté de créer, de jouer, s'est détournée aussi des carcans grammaticaux, syntaxiques et lexicaux qui la bridaient. A l'école, nous l'avons vu, la poésie a perdu l'objectif unique qui a longtemps été le sien, d'apprendre les Belles Lettres, de faire l'éloge de la patrie ou de servir la morale. Les nouveaux programmes lui ont conféré l'objectif d'appréhender la création, de développer l'inventivité, de faire découvrir les subtilités de la langue. Elle s'affranchit de ses contraintes grammaticales, lexicales, et syntaxiques pour proposer des formes poétiques nouvelles. Les enfants en sont très friands tant ils se sentent complices de ces « écarts », de cette liberté nouvelle accordée au langage pour donner du sens, même jusque dans l'absurde. Les comptines du patrimoine, déjà, utilisaient cet effet de « langage enfantin » qui conférait aux enfants un genre maîtrisé, qui leur est propre.

Pie niche haut / oie niche bas / où l'hibou niche ? / Hibou niche ni haut ni bas / Hibou niche pas !

Dans cet exemple de comptine enfantine, la syntaxe et la grammaire ne sont pas à l'honneur : oubliant les articles, les adverbes, les formes grammaticales de négation, le texte joue sur des sonorités qui interpellent l'enfant. En « maltraitant » le langage, ce poème invite l'enfant à reconnaître des mots de sa propre langue et en même temps, à découvrir des sonorités nouvelles, comparables à celles d'une langue étrangère. Cette cascade de sonorités ne s'encombre pas de la syntaxe et laisse les mots chanter une « nouvelle » langue.

« Le rap des rats »' ou « Le Verlan des oiseaux et autres jeux de plumes »2 de Michel Besnier en sont une illustration contemporaine, qui fait la part belle au verlan :

« Le héron au long keb emmanché d'un long ouc »3

La poésie est libre et ne s'encombre plus de contraintes formelles et syntaxiques, ouvrant la porte à un espace infini de poésie potentielle. Nous sommes donc face à une poésie qui se construit sans limites, sans frontières, sans contraintes, libre de choisir de parler du monde comme elle le veut, dans une forme débridée et inventive, sans cesse réinventée. A l'inverse, on peut citer les contraintes fécondes de l'Oulipo4 : la contrainte, loin d'être limitation de la liberté, permet l'ouverture à l'innovation. Elle engendre nombre de poèmes ou de textes

1BESNIER Michel, Le rap des rats, ill. GALERON Henri, Landemer, Møtus, 1999.

2BESNIER Michel, Le verlan des oiseaux et autres jeux de plumes, ill.BOIRY, Landemer, Møtus, 1995.

3Ibid.

4OULIPO : Ouvroir de Littérature Potentielle, mouvement créé depuis 1960 par Raymond Queneau et François

Le Lionnais ; l'aventure oulipienne continue tous les mois en créant de nouveaux jeux avec la langue.

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littéraires, plus fous les uns que les autres, et accueille le lecteur dans un tour de passe-passe ludique avec le langage. La liberté ne résulte plus ici de la négation des contraintes mais naît de leur inventivité qui érige un genre nouveau : c'est en voulant déstabiliser les formes que les membres de l'Oulipo ont fait jaillir de nouvelles façons de jouer avec les mots : « le tautogramme », « le lipogramme », « la terine », « l'homophonie »... Autant de contraintes amusantes que le jeune lecteur de poésie pourra reprendre à son compte et expérimenter.

Considérant l'infinie diversité des formes poétiques et la multiplicité des thèmes abordés dans la poésie pour la jeunesse, force est de constater que le genre est sans limite. Pendant longtemps, la poésie destinée à la jeunesse a rendu hommage à la patrie, aux grands hommes, à la nature (la faune, la flore, les saisons) et elle se fixait un but moraliste et pédagogique, Elle traitait du temps qui passe, des sentiments (amour, nostalgie, enfance...) quand elle se voulait belle, douce et idéaliste. Plus tard, s'intéressant au côté obscur du monde, elle s'est voulue réaliste. La poésie publiée aujourd'hui est ouverte à tous les thèmes et les poètes renouvellent sans cesse leurs sujets. Néanmoins, il est notable que dans les publications pour la jeunesse, les thèmes abordés ont tendance à suivre des modes, soit parce que le sujet traité est d'une brûlante actualité et interpelle les auteurs ou les éditeurs (le racisme, l'écologie...), soit parce qu'une mode garantit aux éditeurs des ventes conséquentes : c'est le cas du recueil de Sophie Arnould1, préfacé par Jean Marie Pelt, professeur émérite de l'université de Metz et Président de l'Institut européen d'écologie. Les textes, dans ce cas, sont pauvres : seules la rime et l'allitération leur confèrent un caractère poétique( « Sacré renard / ce lascar / Je l'ai vu passer / dans le pré / et se cacher / derrière la haie »). Le découpage du recueil en quatre parties confine au simplisme: « A travers champs ; Au bord de l'eau ; Du côté de la ferme ; Au fond de la forêt ». Il n'existe aucune « résistance » dans ces textes qui proposent aux enfants des descriptions de la nature qui peuvent paraître, aux yeux de certains poètes assez mièvres. Les illustrations, appositions d'images très figuratives, ne donnent pas non plus les moyens de s'échapper du texte. Mais la littérature jeunesse a aussi connu ces dernières années une émergence de thèmes « sociétaux » qui font écho aux préoccupations légitimes de la jeunesse du XXe siècle. La poésie n'a pas fait abstraction de ce phénomène, et, à sa manière et avec ses caractéristiques, elle interpelle aussi l'enfant dans son questionnement du monde qu'elle relaie. Tous les thèmes sont exploités : la tolérance, la peur, la mixité sociale

1ARNOULD Sophie, 101 poésies du bout du pré pour partir à la découverte de la nature, Ill : collectif, BAYARD Jeunesse, 1998.

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avec, par exemple, la collection d'anthologies « La poésie » aux éditions Rue du monde. Les thèmes, on le voit, sont infinis.

Il subsiste pourtant une limite infranchissable dans la production poétique, comme dans la littérature jeunesse : celle qui est fixée dans la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse qui stipule dans son article 2 (modifié en 2010)1 que ces dernières

« ... ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés de crimes ou délits ou de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse, ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques ou sexistes. Elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse. »

On notera que la mention portant sur « les préjugés ethniques ou sexistes » n'a été ajoutée à cette liste qu'en 2010, signe évident que la société évolue, et avec elle, ses moeurs et ses lois. A travers ces évolutions, les publications pour la jeunesse voient leurs thèmes s'élargir. Certains thèmes restent cependant tabous, même si quelques éditeurs osent aborder des sujets « sociétaux » dans des collections de la littérature jeunesse : l'homosexualité et son revers l'homophobie, le travail des enfants, la guerre, le suicide, le chômage, la violence... D'autres font le choix de s'autocensurer, par conviction personnelle, par choix éditorial, ou par crainte des représailles de la loi. Le cas de l'album « la Clarisse »2 de David Dumortier est exemplaire à cet égard : après avoir été inscrit en 2000 sur la liste des ouvrages de référence du ministère de l'Education nationale, il a été supprimé puis remplacé par un autre recueil du même auteur ( Ces gens qui sont des arbres3). L'auteur proposait dans l'ouvrage litigieux le thème « pipi-caca » avec une phrase qui continue de scandaliser : « Clarisse met son doigt partout, même dans son derrière et sent son odeur... ». Certains thèmes sont refoulés dans le non-dit des sujets tabous. Certains auteurs et éditeurs les mettent en mots, les inscrivent dans la lettre pour les humaniser.

La poésie ne s'interdit donc aucun sujet dans le cadre autorisé par la loi, mais surtout, doit faire consensus entre les adultes qui permettront sa diffusion. Les thèmes traités sont donc extrêmement divers. Pourtant, ce n'est pas la question du sens qui prévaut dans un poème, mais plutôt sa capacité à interroger le lecteur en train de regarder le monde.

1Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 - art. 27.

2DUMORTIER David, La Clarisse, Cheyne, Coll. Poèmes pour grandir, 2000.

3DUMORTIER David, Ces gens qui sont des arbres, ill. Martine Mellinette, Cheyne, coll. Poèmes pour grandir, 2003.

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C'est donc sur la fonction de la poésie qu'il nous faut nous interroger maintenant. Pour beaucoup, la poésie est inutile. Dans cette affirmation se révèlent en réalité deux opinions contradictoires. L'une dénonce et condamne cette inutilité alors que l'autre la revendique. Les tenants de la première opinion réduisent la poésie à un genre sans intérêt, trop vague, peu sérieux, voire souvent ridicule et désuet, n'ayant aucune utilité fonctionnelle pour l'apprentissage du langage. La poésie, il est vrai, ne répond pas à des critères syntaxiques ou lexicaux propres à coder une langue. La poésie est détachée de toutes ces contraintes qui nous sont nécessaires à l'apprentissage d'un langage fonctionnel : la recette, la notice, le mode d'emploi, la lettre, le curriculum vitae... en somme, la société n'aurait nul besoin de poésie. Le roman ou l'essai littéraire, dans leur fonction de représentation du monde, n'appellent pas nécessairement non plus la poésie. Elle est ainsi reléguée au rang de l'inutile par ses détracteurs, et ne tiendrait qu'un rôle « ludique », au même titre que les autres arts, dans une société pragmatique, où l'utile rejoint le rentable, laissant peu de place au plaisir gratuit. Certes, d'un point de vue économique, la poésie est inutile. En 1960 déjà, Saint John Perse, au banquet Nobel déplorait : « La poésie n'est pas souvent à l'honneur. C'est que la dissociation semble s'accroître entre l'oeuvre poétique et l'activité d'une société soumise aux servitudes matérielles. »1 Si longtemps réduite à la fonction moralisante de quelques fables (« La raison du plus fort est toujours la meilleure »2, « Travaillez, prenez de la peine .
· c'est le fonds qui manque le moins »
3), à l'expression de relents patriotiques dans certains poèmes d'après-guerre (« Que la grande République/ Nous inspire une âme antique !/Gloire aux vaillants du temps jadis ! ! Frères, soyons leurs dignes fils »4 !), instrumentalisée pour des exercices de mémorisation, la poésie ne parviendrait pas à faire entendre sa voix : ce qui, en elle, excède les limites du langage ordinaire.

A l'inverse, cette « inutilité » de la poésie est revendiquée par certains, comme nécessaire : la poésie n'aurait pas à donner du sens au monde, elle n'en a pas la fonction, d'autres genres littéraires s'en chargent. La poésie est un art, et, comme les autres arts, elle interroge le monde, elle le questionne. Elle n'apporte pas de réponse, elle n'est pas « mimèsis », dans le sens où elle ne reproduit pas l'apparence du réel, mais en exprime la

1SAINT-JOHN PERSE, OEuvres comple tes , "Allocution au Banquet Nobel du 10 de cembre 1960", Gallimard, coll. de la Bibliothèque de la Ple iade, p. 443-447.

2De LA FONTAINE, Le loup et l'agneau.

3De LA FONTAINE, Le Laboureur et ses Enfants.

4BOUCHOR Maurice, « Les vaillants du temps jadis »,dans La lecture et la récitation (de 9 à 12 ans), appliquées a l'éducation, recueil élémentaire de morceaux choisis classés par ordre de difficulté et annotés, de BOITEL Julien, Paris, Armand Colin, 1909.

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réalité cachée. La poésie questionne le monde, elle est « inutile » lorsqu'on la confine à ce rôle de représentation ou de signification du réel. Elle nous donne le moyen d'aller plus loin dans notre démarche d'interrogation du monde. Son caractère dérangeant, son côté subversif, qui s'affranchit des lois du langage « utile », normé, contredit nos habitudes, à commencer par celles du langage. Elle ouvre une voie inexplorée sur laquelle nous pouvons nous laisser guider sur le chemin inconnu, obscur, incompréhensible et que pourtant nous sommes invités à explorer. Dans son article intitulé « A quoi bon encore des poètes ?'», Christian Prigent, écrivain et poète, affirme que la poésie ne saurait se plier à l'impératif de nombre de livres aujourd'hui, qui serait « de nous rassurer sur le monde, c'est-à-dire de le remplir de significations immédiatement consommables. »

La poésie n'a donc pas pour vocation de « raconter le monde », elle formule des interrogations sans cesse renouvelées sur la parole, sur la nomination des choses. Dans cet horizon de ne pas expliquer le monde, la place de la poésie dans la littérature pour la jeunesse qui attend des outils souvent immédiats de compréhension, n'est pas moins considérée comme un art subversif du langage. Souvent occasion de jeux poétiques, la poésie permet aux enfants de s'échapper des contraintes du langage, des représentations significatives des textes littéraires ou documentaires, et de jouer avec un langage réinventé : « Nos mois / seraient / moins gais / sans les moineaux » - « Un oiseau / qui mange trop / de granulés / devient / gras / nul / et Laid »2 La poésie ne cherche pas à rendre le monde lisible, elle questionne l'obscurité du monde, et se définit comme un « écart », écart à l'explication du monde, dans le choix de ses thèmes, écart au langage, dans la multiplicité de ses formes, écart aux conventions, dans son caractère subversif. La poésie jeunesse ne peut se réduire à la destination qu'en font quelques médiateurs : qu'elle soit écrite spécialement pour les enfants ou non, mais toujours proposée à leur lecture, il est difficile de lui donner des contours fixes et identifiables parce qu'elle se veut mouvante, au plus près des interrogations du poète et du lecteur. Elle correspond alors, comme son sens étymologique le rappelle, à un « faire », un « polein » : elle est une création, un artisanat qui s'élabore dans un territoire que partagent le lecteur et l'auteur. A Jean-Michel Maulpoix, que nous avons envie de convaincre, nous pourrions indiquer ce que lui même nous conseille : « que peut-être faudrait-il arrêter d'en parler, et se contenter de la lire. »3 Si

1PRIGENT Christian, A quoi bon encore des poètes ?, P.O.L, 1996 p.12.

2BESNIER Michel, Le verlan des oiseaux et autres jeux de plume, ill.BOIRY, Landemer, Møtus, coll.Pommes Pirates Papillons, 1995.

3MAULPOIX Jean-Michel, <www : maulpoix.net>, séminaire : La poésie pour quoi faire ? Archives sonores (2007-2010) du séminaire mensuel public animé par Jean-Michel Maulpoix avec le concours de la Maison des écrivains et de la littérature et de l' Université Paris Ouest Nanterre.

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l'on considère cette poésie comme un « faire », un travail en construction, il est alors difficile de la définir, non pas parce qu'elle est multiple mais parce qu'elle est vivante. La poésie pour la jeunesse n'échappe pas à cette logique d'insaisissabilité. Soit, lorsque les poèmes ne sont pas écrits pour les enfants, soit lorsque les poètes qui s'adressent aux enfants le font dans le respect de leurs lecteurs, ce qui fait la poésie c'est autant le poète que le lecteur de poésie, ce « faire » se retrouve donc des deux côtés de cet espace, dans l'écriture du poète et la lecture de l'enfant. Il faut la lire alors pour saisir l'insaisissable. « Pour dire cette complexité (de l'humain) multiple, contradictoire, mouvante, il faut un langage affranchi, un langage nouveau, celui que réinventent sans cesse, depuis des millénaires, les poètes. »1 dira Jean Pierre Siméon qui définit la poésie comme « l'éloge de cette complexité ».

Tiraillée entre une définition insaisissable et un débat de légitimité, la poésie pour la jeunesse balance aussi entre deux sphères que sont la poésie du patrimoine et la poésie contemporaine. Mais, qu'il s'agisse d'oeuvres du patrimoine ou de pièces de la création contemporaine, la transmission de la poésie pour la jeunesse doit relever les mêmes défis : il faut la faire vivre, la donner à lire. Nous dresserons dans un premier temps un inventaire des différentes catégories poétiques trouvées dans les ouvrages pour la jeunesse, puis nous nous interrogerons sur la nécessaire transmission orale de la poésie.

B - Spécificité et enjeux de la production poétique en France

Dans un colloque de 1993, Jean Perrot (universitaire spécialiste de la littérature de jeunesse), nourrissant le débat visant à définir la littérature pour la jeunesse, en faisait une approche stricto sensu : « La seule définition réaliste d'un livre d'enfant, aussi absurde que cela semble, est la suivante : c'est un livre qui apparaît dans le catalogue d'un éditeur pour la jeunesse. ». Cette définition nous conduit à nous interroger sur les ouvrages que les éditeurs de jeunesse ont publiés ces vingt dernières années dans la catégorie « poésie ». Nous effectuerons un premier zoom sur les supports choisis, les formes poétiques dominantes publiées et les enjeux de ces choix.

1SIMEON Jean-Pierre, La Vitamine P. La poésie, pourquoi, pour qui, comment ? Rue du Monde, Paris, 2012, p.8.

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1 - Les anthologies

Longtemps, les manuels scolaires ont proposé à la lecture des enfants des auteurs inscrits au panthéon de la poésie : Pierre de Ronsard, Victor Hugo, Jean de La Fontaine et tant d'autres encore appartiennent à cette culture commune que l'école a perpétuée. Tous les enfants scolarisés ont pu, à un moment de leur vie scolaire, se familiariser avec les « classiques », c'est-à-dire des textes reconnus, voire sacralisés, souvent édifiants, déclarés appropriés à l'étude en classe. En ce sens, l'école remplit sa mission de donner à tous les enfants une culture commune. Cette dernière se construit par l'étude des grands textes littéraires, des auteurs, des styles, des courants, et celle des ruptures littéraires constatées. Baudelaire, Verlaine, Prévert, Charpentreau, Desnos, Queneau sont à présent devenus des classiques d'une poésie destinée à la jeunesse, découverte à l'école et étudiée dans le but de faire découvrir et apprécier la poésie aux enfants, de l'étudier dans sa forme et sa fonction. A l'école primaire, dans les manuels scolaires, les poèmes choisis se présentent souvent comme une « récréation » poétique et marquent la fin d'une période d'apprentissage découpée en semaines de cours. Ils peuvent aussi servir d'illustration, au même titre qu'une gravure, un dessin, une photographie, ornementant un thème, une période, un courant. Ils deviennent alors un « plus », une récompense, un « supplément d'âme » non nécessaire. Dans un livre de lecture de CP1, par exemple, on trouve en pleine page un extrait de « Soyez polis » de Prévert. Quelquefois, écrite par des pédagogues, à des fins d'accompagnement des programmes, le texte poétique prend des fonctions didactiques et s'éloigne de toute poésie. Dans la méthode citée plus haut on peut trouver cette poésie : « Relire sa lecture, / c'est vraiment pas dur. / Redire tous les mots, / c'est très rigolo. / Lis et relis encore. / Les mots , ça se dévore ! »2 C'est souvent dans ces manuels que l'on retrouve cette poésie « gnangnan » qui n'a d'autre fonction que de divertir, de ménager une pause au cours des processus d'apprentissage. Dans les manuels scolaires, ces poésies « faciles » instrumentalisent la poésie à des fins pédagogiques, soit pour servir l'apprentissage de la lecture (on fait rimer des sons pour imprégner l'oreille de l'enfant au moment de la découverte de ce son), soit pour travailler sur la forme poétique rapidement, par exemple en expliquant le principe de la métaphore à un enfant. Le danger est grand de passer à côté de la vraie poésie, certes, et les habitudes prises, « qu'il faudra avec difficulté corriger ensuite »3, n'amèneront sans doute pas à une ouverture à la poésie . De fait,

1CROCOLIVRE, Lecture CP-CE1, sous la direction de Jean-Emile Gombert, Paris, Nathan, 2001, p.71. 2CROCOLIVRE, Lecture CP, livret 1, sous la direction de Jean-Emile Gombert, Paris, Nathan, 2001, p.25. 3MAULPOIX Jean-Michel, Echange de mails du 9 janvier 2013, avec son aimable autorisation.

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les manuels scolaires ne font pas appel à des écrivains pour rédiger leurs textes, mais à des pédagogues, qui ne sont ni poètes ni spécialistes de la poésie. Si l"ambition de la poésie à l'école existe bel et bien, elle ne trouve pas sa place, paradoxalement, dans les manuels scolaires. On le sait, l'enfant ne retourne pas par plaisir dans les manuels scolaires afin d'occuper son temps libre. Un autre support est alors à sa portée pour combler sa curiosité en matière de poésie : l'anthologie.

Les anthologies présentent d'autres intérêts mais poursuivent elles aussi l'objectif d'établir une culture commune. En proposant un groupement de textes poétiques, l'anthologie s'inscrit, bien plus que d'autres genres « jeunesse », dans le devoir de pérenniser une mémoire culturelle. Les classiques sont publiés, réédités, compilés et se retrouvent encore utilisés dans des anthologies, plus ou moins modernisées, réactualisées en fonction de critères de mode, de sujets sociétaux, à l'occasion du décès d'un poète ou d'une exposition sur son oeuvre. Les thèmes des anthologies sont divers. Les plus intéressantes du point de vue d'un amateur de poésie sont celles qui rassemblent les textes d'un poète unique, sans forcément tenir compte des publications de son vivant, assemblage défiant la chronologie, mais permettant, somme toute, de communiquer une vision de son univers à travers différents textes. Les préfaces de ces anthologies explicitent souvent les choix fait et justifient le thème retenu. C'est cependant toujours la fonction de « transmetteur » que revendiquent ces « passeurs » d'un patrimoine, : « leur objectif est de faire découvrir des textes de tous temps et de tous horizons, et de transmettre, par la poésie, des instants de questionnement, de surprise et, surtout, de plaisir. »1, « Tous les grands noms qui se sont imposés [...] pour devenir des « classiques », [...] sont ici présents. »2 La plupart de ces anthologies mettent en valeur des auteurs de renom, des thèmes conventionnels comme la nature, les animaux, le temps, les sentiments ou l'enfance, comme : Mon premier Baudelaire3 chez Milan, Les grands moments de la vie4 chez Gautier Languereau ou Fées, fantômes, farfadets en poésie chez Gallimard5. Quelques anthologies s'éloignent de ces aspects « classiques » et une évolution est notable dans le choix des thèmes, la forme des anthologies, les supports qui eux-mêmes évoluent. En 2003, une anthologie

1Si je donne ma langue au chat est-ce qu'il me la rendra ? Anthologies de poèmes choisis par Célia GALICE et Emmanuelle LEROYER, Ill.ORELI, Bayard jeunesse, Coll. Demande aux poèmes, 2010, p.2.

2PIQUEMAL Michel, préface de Mes premiers poètes, Milan Poche junior, coll.poésies, 2007 p.7. 3Mon premier Baudelaire, textes choisis par Michel Piquemal, Paris, Milan, coll.Milan Poche Poésies, 2002. 4OFFREDO Eva, Les grands moments de la vie, Ill. Eva Offredo, Paris, Gautier-Languereau, 2001. 5Fées, fantômes, farfadets en poésie, présenté par Féret-Fleury Christine, Paris, Gallimard jeunesse, 2000.

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différente voit le jour. Georges Jean1 propose son Nouveau Trésor de la poésie pour enfants2 qui regroupe des poèmes d'auteurs contemporains. Cette revendication de renouveau, justifiée dans la préface, affirme la nécessité d'une poésie destinée à la jeunesse et fait entrer une poésie contemporaine dans les écoles. Munie d'une postface destinée aux enseignants, cet ouvrage, en corrélation avec les nouveaux programmes de l'école primaire de 2002, se veut délibérément novateur. « Les poèmes réunis dans cette anthologie ont été écrits à l'usage des enfants par des poètes contemporains. »3. Dans les choix thématiques opérés, quelques initiatives sont aussi à souligner. S'il subsiste les sempiternels chapitres sur les animaux et la nature, deux chapitres, cependant, s'intitulent : « Découverte du pouvoir des mots » et « Découverte des autres ». Nous y retrouvons la volonté de proposer aux enfants une autre poésie que celle traditionnellement limitée aux thèmes classiques et neutres, mais l'aspect matériel du livre (225 pages, un péritexte de 12 pages) semble le destiner davantage aux adultes qu'aux enfants, même si les illustrations sont des dessins d'enfants (non signés).

Treize ans auparavant, avait été édité Demain dès l'aube,4, ouvrage intéressant en raison de sa démarche novatrice : Jacques Charpentreau, initiateur de ce projet, avait demandé alors à des poètes contemporains de sélectionner les plus beaux poèmes destinés à la jeunesse. La question d'une poésie « pour » la jeunesse faisait déjà débat, se manifestant par le refus d'inclure dans la liste des poèmes proposés une poésie « ...d'une mièvrerie, d'un infantilisme... » que souvent la poésie « Pour (sic) les enfants » proposait. A l'exception de Robert Desnos à qui, seul, on reconnaît « la plus belle réussite dans un genre difficile entre tous »5, point d'auteur pour la jeunesse dans la sélection établie. Seuls cinquante-six poètes sur cent soixante-huit proposés sont vivants (soit 33,33%). Le choix reste donc très classique, voire traditionnel : parmi les cinquante premiers poètes retenus, quarante-quatre sont de la tradition (soit 88%), six poètes sont vivants (soit 12%). Les dix premiers poètes les plus cités sont, par ordre de préférence, Victor Hugo, Guillaume Apollinaire, Arthur Rimbaud, Charles Baudelaire, Paul Verlaine, Jacques Prévert, François Villon, Pierre Ronsard, Jean de La Fontaine, Paul Eluard. Le premier poète vivant (Norge) arrive en vingtième position. Il semble que les choix effectués par les poètes contemporains l'ont été dans une visée de

1JEAN Georges (1920 - 2011), professeur de linguistique et de sémiologie à l'université du Maine, a publié de

nombreux recueils de poèmes, essais sur la théorie poétique, la pédagogie et des anthologies poétiques.

2JEAN Georges, Nouveau trésor de la poésie pour enfants, Le cherche midi, Paris, 2003.

3op.cit. p.7.

4CHARPENTREAU Jacques, Demain dès l'aube, les cent plus beaux poèmes pour la jeunesse, choisis par les

poètes d'aujourd'hui, Ill. CHARRIER Michel, Le Livre de Poche jeunesse, Paris, 1990, 2002.

5Ibid. p. 273.

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transmission. La revendication fréquente de « classique » revient souvent pour expliquer leur choix, « classique » dans le sens où « ce sont bien des poèmes à faire vivre dans les classes que les contemporains ont sélectionnés.»1. Pourquoi les instances scolaires et même les auteurs contemporains choisissent-ils des textes patrimoniaux ou classiques pour les enfants ? Quelles sont les particularités de ces textes et quel intérêt présentent-ils pour l'enfant ? Il convient dès lors de définir le patrimoine littéraire et les oeuvres classiques et d'en dégager les particularités. Selon le Robert, dictionnaire historique de la langue française, le patrimoine se définit par « les biens matériels et intellectuels hérités par une communauté. ». Les oeuvres du patrimoine écrit sont celles qui transmettent, au cours des siècles, les récits, les contes, les fables, les mythes qui fondent une culture. Ces récits sont des tentatives de réponse aux grandes questions qui préoccupent l'espèce humaine et sont communes à diverses civilisations. Ces dernières se structurant au fil du temps, les oeuvres du patrimoine, propres à chacune, se diversifient. Il faudra encore nuancer la masse de ces oeuvres entre textes fondateurs, et patrimoine français ou patrimoine régional, ou patrimoine générique (littérature de jeunesse). Les oeuvres « classiques », toujours selon Le Robert, sont celles des « écrivains qui font autorité, considérés comme des modèles à imiter (1611) et par conséquent dignes d'être étudiés en classe (1880).Par extension, au XIXe siècle, qualifiant avec une nuance péjorative ce qui ne s 'écarte pas des règles établies ». Socle commun, représentations partagées au travers de références communes, ces oeuvres rendent compte des aspirations, des valeurs de la société dans laquelle l'élève est appelé à s'insérer. L'ensemble de ces oeuvres patrimoniales et classiques constitue en quelque sorte une histoire du patrimoine culturel, dans ses continuités et ses ruptures. Elles ont pour fonction de nourrir et de continuer d'inspirer les créateurs contemporains. Elles doivent être dès lors connues de tous les enfants qui ne peuvent s'approprier un texte contemporain sans avoir connaissance des oeuvres du passé qui le font vibrer et résonner. Ces textes donnent une mémoire commune qui permet aux enfants de lire le monde, et les aide à construire des familiarités et des connivences dans leur culture littéraire, grâce à un aller-retour entre passé et présent.

Dans les démarches éditoriales d'anthologies actuelles, réside encore un peu ce classicisme répétitif : les éditions Milan, Gallimard ou Flammarion possèdent toutes une collection de poésie qui reprend les noms des grands poètes, classés par tranche d'âge du lectorat. C'est surtout dans la forme des supports que le renouveau se fait sentir, et dans le choix des thèmes.

1Ibid. p. 271.

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Certains éditeurs tentent une ouverture intéressante vers la poésie étrangère ou vers une forme de poésie spécifique que peu de lecteurs liraient si elle n'était proposée sous forme d'anthologie. C'est le cas, par exemple de La poésie arabe, Petite anthologie1, ou Mon livre de haïkus2. Les thématiques envisagées peuvent aussi révéler une poésie engagée telle La cour couleur, Anthologie de poèmes contre le racisme3. L'anthologie, dans son sens originel (du grec : anthos « fleur » et légô « choisir »), est souvent l'occasion pour le lecteur de choisir un texte dans une collection. Il devient alors seul maître de ses choix. L'anthologie se trouve alors renouvelée par ses thèmes nouveaux et contemporains et s'y côtoient des poètes d'univers et d'époques différents. Cette forme a l'avantage de proposer un éventail varié, si elle réussit à éviter la répétition de thèmes rebattus, ou la continuelle sollicitation de poètes classiques. Elle peut devenir un outil formidable pour le lecteur de poésie en devenir qui la feuillette au gré de ses envies et part à la rencontre d'univers insoupçonnés. Ancrée dans son rôle didactique, elle s'adresse aux enfants eux-mêmes et moins aux adultes prescripteurs : cette forme de publication développe des informations sur la vie de l'auteur, sur son oeuvre, placées au début ou à la fin de l'ouvrage. Ces indications sont réellement destinées aux enfants. Les textes sont adaptés à leur niveau de compréhension et les biographies simplifiées. La plupart de ces anthologies donnent aussi des renseignements sur la provenance du poème (Pierre Albert-Birot, Deux cent dix gouttes de poésie (CXXVII) in Poésies 1945-19674) ou des références sur les oeuvres principales dans les biographies. Toutes ces informations paratextuelles constituent aussi une invitation à lire d'autres textes de l'auteur, à entreprendre un parcours autonome de lecteur de poésie. L'anthologie, indéniablement didactique, est en passe de devenir le moyen idéal de mettre les poètes à la portée des enfants. L'enjeu est de taille : rendre la poésie accessible à un lectorat spécifique ; l'entreprise est d'envergure, et semble en bonne voie de réussite.

La publication la plus importante en terme de volumes semble être celle des anthologies de comptines.

1MARDAN-REY Farouk, La poésie arabe, petite anthologie, Ill. KORAICHI Rachid ; AKKAR Abdallah, Mango, Dada, 1999.

2MALINEAU Jean-Hugues, Mon livre de haïkus, Ill. COAT Janik, Albin Michel Jeunesse, Paris, 2012.

3HENRY Jean-Marie, La cour couleur, Anthologie de poèmes contre le racisme, Ill. ZAU, Rue Du Monde, Paris, 1998.

4COLLECTIFC, Les enfants en poésie, Paris, Gallimard jeunesse, 2012, p.89.

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2 - Les comptines

Les comptines se déclinent en albums, où texte et image se répondent, avec souvent une prédominance de l'image (malheureusement souvent criarde à outrance sous prétexte qu'elle s'adresse aux petits). Elles s'accompagnent souvent d'un support « audio », cassette au temps jadis et cédérom aujourd'hui. Genre hybride par excellence, la comptine, entre patrimoine oral et patrimoine écrit, représente souvent un des premiers contacts des tout-petits avec les sons de notre langue. En ce sens, elle appartient donc à ce territoire immense qu'est la poésie, mais aussi parce qu'elles sont invitation à l'imaginaire, elles permettent à l'enfant d'expérimenter des entorses au langage normé : non-sens, mots inventés, mots allongés par des syllabes, ou tout simplement absurdité des mots collés les uns aux autres, elles rappellent une des fonctions de la poésie : échapper à la norme, s'autoriser la magie, s'ouvrir vers un ailleurs. C'est souvent dans ce genre de formulettes que l'on retrouve les « gros mots », les effets paillards des phrases, les propos scabreux. Mais, dans cette profusion de publications de comptines « tout n'est pas littérature »1, et la qualité littéraire des textes publiés dans ce domaine est parfois sacrifiée à la quête du profit. La plupart des éditeurs de jeunesse à forte représentation sur le marché du livre de jeunesse ont une collection de comptines. La finalité est double : perpétuer une culture de la comptine appartenant au patrimoine culturel, et créer de nouvelles formulettes, favorisant ainsi la création et le divertissement chez l'enfant. Sous prétexte que « tout ce qui est dit, cadencé et rimé semble particulièrement toucher l'enfant qui ne sait pas lire »2 on assiste à une formidable inflation de créations de comptines et formulettes, de qualité tout à fait inégale, où les seuls aspects poétiques sont souvent des allitérations, rimes, utilisations d'onomatopées plus ou moins judicieuses. La réduction du poétique à ces seuls paramètres sert souvent une commande éditoriale en panne d'idées innovantes, emportée dans des contraintes de publications régulières portant le nom de « collection ». Depuis la reconnaissance du bébé comme une personne, la littérature et les jeux autour de cette classe d'âge se développent. Les comptines et formulettes, si elles sont une forme de poésie, ont aussi des fonctions linguistiques, psychologiques et symboliques. Les possibilités des champs éditoriaux sont larges et l'on voit se multiplier des productions de comptines, jeux de doigts ou formulettes sous la forme de

1Expression empruntée à M. FERRIER Bertrand, titre de son ouvrage publié aux Presses Universitaires de Rennes, collection « Interférences », Rennes, 2009.

2CHELEBOURG Christian, MARCOIN Francis, La littérature de jeunesse, Paris, Armand Colin, coll. 128, 2007, p. 27.

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publications de plus en plus diverses, qu'il s'agisse de livres, de jeux ou d'objets : rééditions de comptines sur support de plus en plus coloré et de plus en plus ludique, éveillant les sens chez l'enfant. L'ouïe est sollicitée grâce au support auditif, la vue grâce aux images et aux couleurs, le toucher grâce aux diverses matières utilisées1 et aux formes multiples2 (rondes, cubiques, en forme de ...) données aux objets-livres, et même l'odorat est convoqué par des incrustations d'odeurs dans le support3. Certaines collections utilisent aussi les comptines comme support psycho-éducatif4. On ne sait plus très bien si on a à affaire à un livre, à un jeu, à un jouet ou à un objet pédagogique d'éveil... mais on est souvent bien loin de la poésie. Certaines maisons d'édition choisissent le support de l'album, association de l'image et du texte, quelquefois accompagné d'un cédérom pour valoriser l'oralité de ces comptines et pour rééditer des comptines du patrimoine. Un autre phénomène participe de cette inflation de publications. Il s'agit des rééditions comportant de nouvelles mises en page, des qualités de papiers différentes ou des modifications d'illustrations. C'est le cas par exemple de Comptines et chansons pour s'endormir5 qui en est à sa quatrième édition. N'oublions pas que ces textes du patrimoine sont tombés dans le domaine public. C'est pourquoi tous les éditeurs peuvent les utiliser pour de nouvelles publications.

De nombreux éditeurs spécialisés « jeunesse », sont amenés ainsi à développer une collection « comptines », laquelle comptera parmi les lignes les plus rentables de la littérature pour la jeunesse, tant la place du « bébé-lecteur » se développe : les comptines constituent un patrimoine incontournable de notre société dès l'âge de la crèche.

Dans les anthologies de poèmes ou de comptines, il est rare de trouver les noms d'auteurs contemporains. En raison de leur fonction de transmission de la poésie, les anthologies, qui se renouvellent malgré tout, ne proposent que rarement de la poésie contemporaine. Il faut en effet du temps à un poète avant d'être édité, et davantage encore

1Mon tout premier livre de comptines, Ill. F. LAND Collection : Petit Nathan, 2005 : Les premières comptines et les premières notions adaptées aux tout-petits et proposées sous forme de livres-matières.

27 comptines à jouer, Ill. Oréli, Bayard Jeunesse, 2011, coll. Ma toute petite bibliothèque : Sept comptines et jeux de doigts qu'on a plaisir à chanter et à mimer avec les tout-petits, mises en images et réunies dans un joli cube.

3LALLEMAND Orianne, Mon premier livre des odeurs et des couleurs, éditions Auzou, 2009. Voici des fruits à découvrir grâce à leur couleur et à leur odeur. Une comptine amusante et facile à retenir donne des indices. Cet éditeur décline toute une collection de livres des odeurs et des couleurs.

4DIEDERICHS G., concepteur, Mes premières comptines de relaxation, Ill. E. Hayashi Collection : Petit Nathan, 2007 : Couplant l'écoute de sons de la nature (cri des animaux, bruits de vagues...) et des comptines avec indications de mimes ou de massage, ce livre-CD accompagne l'enfant dans la découverte de son corps, l'éveillant en douceur ou lui permettant de trouver le sommeil plus facilement. En quatrième de couverture, on trouve une présentation de Gilles Diederichs, musicothérapeute, sur l'importance de la musique, des sons et des massages dans le développement de l'enfant.

5Comptines et chansons pour s'endormir, ill. LE GOFF Hervé, Père Castor/flammarion, Coll. Les p'tits Albums, Paris, 2008.

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avant que sa valeur ne fasse de lui un auteur reconnu. Certes, les nouvelles formes d'anthologies de poésie pour la jeunesse sont sans doute le signe précurseur d'un nouveau statut de la poésie pour la jeunesse. Mais, la poésie contemporaine, elle, doit trouver, pour l'instant, d'autres chemins pour faire entendre sa voix, et le recueil est un support plus porteur de renouveau dans ce domaine.

3 - Les recueils

Dans les publications de poésie, le support propre à la poésie contemporaine est le recueil. Il peut concerner les grands poètes classiques, mais il est, en poésie pour la jeunesse, le support privilégié des auteurs contemporains. Dédié, la plupart du temps, à un poète, il est l'occasion de publier ses textes regroupés soit de façon chronologique, soit de façon thématique. Les publications pour la jeunesse de poètes contemporains sont souvent illustrées, mais ces images « atypiques » sont rarement l'occasion d'expansion de couleurs ou de papier glacé. Elles détonent dans ce sens des autres livres de jeunesse. La plupart du temps, les papiers sont choisis avec soin (papier ivoire de grande qualité pour la collection « Poèmes pour grandir » chez Cheyne), mettant en relief la matière, et donnant au livre un aspect artisanal. Volonté esthétique ou raison économique ? Un peu des deux sans doute : la plupart des maisons d'édition de poésie pour la jeunesse sont de petites structures, quelques-unes d'entre elles impriment même de façon artisanale leurs ouvrages. Cependant, les illustrations des ouvrages sont souvent faites par des artistes plasticiens, graphistes, peintres, artistes en calligraphie, sculpteurs ou photographes. Une grande attention est aussi apportée à la typographie, ce qui est une autre façon de faire vivre le texte. Que nous disent ces choix ? Ils renforcent l'idée que la poésie est un art. Les relations qu'elle entretient avec les autres arts la promeuvent et la confèrent à son rang. C'est d'abord une reconnaissance artistique que la poésie cherche à obtenir en s'alliant avec d'autres médias artistiques. Et puis, la poésie, dans ses blancs, dans ses espaces, laisse suffisamment de respiration au lecteur pour lui permettre l'appréhension d'un autre langage. Enfin, c'est une façon de proposer une entrée en poésie plus visuelle, donc plus accessible aux plus petits. L'image est souvent source d'interrogation, elle interpelle, elle questionne le lecteur dans sa réception des signes, des couleurs, dans le sens qu'il va donner au texte et à l'image. Dans un premier temps, l'image invite le lecteur mais elle participe aussi au mystère que la poésie lui propose : traces, dessins à interprétation multiples, dessins surréalistes l'emmènent vers un ailleurs. L'image emporte le lecteur et, avec elle, il

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s'aventure sur le chemin de la poésie. Rares sont les images qui redoublent le sens du poème (ou bien trop souvent dans les anthologies de comptines mal conçues). Au contraire, elles sont soit l'interprétation singulière de l'illustrateur qui reçoit le texte, soit une invitation à un ailleurs, laissant le poème à sa place dans la page et en proposant un nouveau dans les blancs que le texte a laissé. Dans le recueil, l'image ne se veut pas prépondérante comme dans l'album, elle laisse toute sa place au texte qu'elle invite le lecteur à découvrir. Dans la collection « Poèmes pour grandir », illustrée par Martine Mellinette1, les illustrations s'accordent « aux poèmes sans les étouffer et donnant au recueil une dimension visuelle unique : l'image dialogue avec l'écriture et l'écriture dessine avec l'image. »2 . C'est bien parce qu'il est question de la poésie, de cet art du langage, que le texte garde ici sa primauté et est mis en valeur par l'image. La poésie contemporaine est à l'honneur dans ces recueils. Le recueil doit donner la primauté au texte inédit, l'offrir à la découverte du lecteur qui en prend connaissance pour la première fois. Toute la différence avec les anthologies réside dans le fait qu'ici tout est fait pour que le texte, inédit de surcroît, soit accessible au lecteur. La tâche n'est pas aisée et pour cela, le texte joue aussi avec l'oeil du lecteur, et « dessine avec l'image ». Par sa forme et grâce à la typographie, le texte se courbe, invitant le lecteur à venir à lui.

Quelle que soit la forme de publication choisie par une maison d'édition, la volonté de rendre la poésie accessible à un jeune public est réelle. Les éditeurs sont les premiers passeurs de cette poésie, qu'elle soit patrimoniale ou contemporaine, ils effectuent des choix judicieux afin de mettre à disposition la poésie à ce lectorat. Afin de rendre cette poésie plus accessible aux plus jeunes, un renouveau poétique se met en place dans certaines maisons d'édition.

C - Un renouveau poétique à destination des plus jeunes

Parmi ces maisons d'éditions, il en est une que le parcours atypique a porté aux premières lignes de l'édition de poésie pour la jeunesse : les éditions Møtus se sont constituées en association en 1988 et ont fait le choix de s'installer en Basse Normandie. La proximité de cette maison, leur choix d'éditer de la poésie, le caractère artisanal et associatif et, cependant, leur reconnaissance dans le monde de la littérature pour la jeunesse leur confère un parcours hors des sentiers battus qu'il est intéressant de souligner. Loin de proposer un texte affadi sous prétexte qu'il s'adresse aux enfants, ou qu'il soit limité par la forme artisanale que revêt

1Illustratrice, co-fondatrice des édtions Cheyne.

2BOUTEVIN Christine, « Regards sur un éditeur, Cheyne a 30 ans », dans Nous Voulons Lire !, n° 186, novembre 2010.

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ces éditions, elles éditent des textes adaptés de poésie et participent de ce fait au renouveau de la poésie pour la jeunesse.

1 - Dépoussiérer la poésie : nouvelles formes, nouvelles pratiques

Malgré cette volonté de renouveler, de « dépoussiérer » la poésie, rares sont les éditeurs pour la jeunesse qui proposent de la poésie inédite.

Dans une interview, François David écrit à propos de la nouvelle qu'elle « ne se vend pas, dit-on, donc n'est guère éditée, donc ne se vend pas. »1. C'est une problématique attachée à l'existence des éditions Møtus. En effet, une des façons de proposer une poésie nouvelle est de puiser dans le répertoire des poètes vivants. Dans cette politique d'éditer des « inédits », les éditions prônent une volonté d'une poésie qui sort des sentiers battus, proposant une poésie nouvelle et vivante, loin de l'anthologie des « beaux textes ». François David s'attache à éditer des textes contemporains, pour plusieurs raisons, la première étant que la reconnaissance du métier de poète est primordiale pour lui, poète lui-même, il sait la nécessité pour les poètes de vivre de leur travail. De plus, il ne pourrait exister de poésie sans poètes contemporains. L'originalité de publier des textes inédits, est « un choix encore peu courant et précieux en poésie jeunesse, car, pour pouvoir faire des anthologies il faut bien que les textes aient déjà été publiés ! »2. L'éditeur souligne ici une problématique qui différencie les grandes maisons d'édition des petites maisons. En effet, il est plus facile pour les premières de publier des textes inédits à côté de textes qui font foi et qui seront plus vendus. Ainsi le risque est moindre que pour les petites maisons d'édition qui ne conçoivent la poésie vivante que dans le texte inédit et qui font le pari d'une poésie nouvelle et actuelle, sans la sécurité d'éditer d'autres textes qui assurent le succès de la maison.

Le héron au long keb emmanché d'un long ouc3

est une création poétique mais aussi un clin d'oeil à la poésie

le héron : un oiseau au long bec emmanché d'un long cou4

1DAVID François, « Le savoir ou pas », dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p.3.

2DAVID François, La revue des livres pour enfants, n°258, Paris, 2011, « Vous avez dit Poésie pour la jeunesse ? » , p.89.

3 BESNIER Michel, Le verlan des oiseaux et autres jeux de plumes, ill.BOIRY, Landemer, Møtus, 1995.

4JEAN Georges, Le plaisir des mots, Dictionnaire poétique illustré pour les petits et pour les grands, ill. Collectif, Paris, Gallimard, coll. Hors série,1982.

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de Georges Jean, éditée en 1982. La poésie contemporaine est vigoureuse et les auteurs présentent une réelle créativité, c'est en ce sens que les jeunes peuvent découvrir une poésie adaptée à leurs attentes, à leur langage.

Dans le choix des auteurs ou illustrateurs, la politique de Møtus souligne aussi la volonté de « renouveau ». C'est en étant « attentif, en recherche » que François David souligne le rôle de l'éditeur. Les éditions reçoivent quatre manuscrits par jour et le choix des textes publiés se font après lecture de ces manuscrits. François David reste pourtant fidèle à quelques auteurs de poésie qu'il avait publiés en poésie générale comme Michel Besnier à qui il a demandé d'écrire des textes plus adaptés à la jeunesse. Pour François David, « ce qui fait un auteur de poésie ce n'est pas le sujet, c'est sa manière, rare, de l'aborder. »1. Les critères de sélection sont basés sur l'« inattendu », ce qui sans doute explique la grande diversité de style à travers les textes et illustrations publiés chez Møtus. De Thierry Cazals qui propose des textes sous forme de Haïkus,

Neige / neige à perte de vue É et soudain / le petit cul tout blanc du lièvre

à Michel Besnier qui n'écrivait pas pour la jeunesse, François David arrive à soutirer de ces auteurs des formes adaptées pour la jeunesse. L'exigence de l'éditeur est simple : « proposer à l'enfant des textes avec certains mots qu'ils ne connaît pas et le traiter comme un vrai lecteur », mais proposer un texte dont le sujet n'est pas trop difficile à aborder, avec des références culturelles qu'il connaît. Dans cette recherche de poésie sans critère, sans carcan, une poésie libre, l'éditeur se laisse surprendre, s'émerveiller. C'est un véritable travail de création que ce métier d'éditeur, car chaque livre est une oeuvre où les agencements entre l'auteur, l'illustrateur et la mise en page, le choix du papier même, propose une oeuvre unique, qui ne ressemble à aucune autre, avec sa personnalité. Dans cette diversité, nous pouvons retrouver l'exigence d'une poésie vivante, muable, mouvante et par là ouverte à tous. « Avec François David, la poésie s'aventure toujours sur les terres du « libre-dire » et du non convenu »2 écrira Thierry Cazals à propos de sa collaboration avec l'éditeur.

Une aventure en effet, ce pourrait être ce qui définit le mieux le travail de François David. Une aventure qui se continue dans le choix des thèmes proposés à un jeune public.

1DAVID François, La revue des livres pour enfants, n°258, Paris, 2011, Vous avez dit Poésie pour la jeunesse ? , p.93.

2CAZALS Thierry, Comme une pousse de bambou, revue Griffon n° 189, novembre-Décembre 2003, p. 20.

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Le propos des sujets choisis pour la jeunesse, nous l'avons vu, est polémique. Y'a-t-il des sujets propres à la jeunesse ? Quelques éditeurs de jeunesse prennent le parti de proposer des thèmes graves, sensibles aux enfants. Les éditions Rue du Monde ont participé largement à ce renouveau « parce que le rapport au monde dynamique qu'il m'intéresse de partager avec les enfants inclut et le regard critique sur l'humanité, et l'imaginaire. » souligne Alain Serres1. La maison d'édition Cheyne et sa collection « poèmes pour grandir » prennent le même parti en proposant, dans ses thèmes, des questions adressées directement aux enfants, qui interrogent le monde. Jean Pierre Siméon dira : « Il ne s'agit pas de trier les thèmes car les enfants s'intéressent à tout du monde, n'est-ce pas ? Dans ses aspects les plus heureux et les plus négatifs. Ils sont confrontés aux mêmes choses que les adultes. »2. Møtus appartient à cette catégorie d'éditeurs qui font parler leur poésie sans l'édulcorer sous prétexte qu'elle s'adresse à des enfants. La forme poétique est peut-être même l'occasion de mettre en mots des sujets graves et réels. La politique des éditions Møtus tourne autour de la formule d'Apollinaire ; « J'émerveille ». Pour François David c'est une façon de transformer le quotidien en quelque chose de beau. Les thèmes abordés sont heureux, mais aussi graves : la guerre, la mort, la vieillesse, la différence et le racisme, le chômage, l'enfant tsigane, la faim dans le monde sont des sujets qui permettent à l'enfant de prendre du recul et de questionner cet univers auquel il appartient. Parlant de l'album Le bouleau de Loulou3, l'auteur nous dévoile sa déception à propos de sa réception médiatique. Le chômage est-il un sujet encore tabou ? En 2003, lorsque François David écrit cet article, il le termine par : « En littérature jeunesse, pour pouvoir aborder certains thèmes [...] il y a apparemment encore du boulot. »4 . Les éditions Møtus n'ont eu de cesse depuis de proposer des textes qui abordent des thèmes peu souvent traités par le biais de la poésie et même de l'humour. La prise de risque se situe aussi dans les thèmes choisis par les auteurs et les éditeurs. Mais ces choix garantissent un renouveau de la poésie qui touche plus les enfants et leur réalité. Quand l'enfant peut s'identifier à un héros, un personnage du poème, cette littérature s'ancre en lui plus facilement. Il peut devenir le personnage, il lui ressemble, il vit un quotidien identique. C'est une poésie ancrée dans le quotidien que nous proposent les éditions Møtus, une poésie qui prend

1SERRES Alain, directeur de Rue du monde, La revue des livres pour enfants n° 258, Vous avez dit Poésie pour la jeunesse ?, avril 2011, p.109.

2SIMEON Jean-Pierre, poète et directeur du Printemps des Poètes, La revue des livres pour enfants n° 258, Vous avez dit Poésie pour la jeunesse ?, avril 2011, p.86.

3DAVID François, Le bouleau de Loulou, ill. CORVAISIER Laurent, Paris Nathan Jeunesse, coll. Première Lune, 1999.

4DAVID François, Au boulot !, dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p. 16.

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naissance dans le quotidien de l'éditeur : François David crée d'abord des histoires pour ses enfants, écrit des poèmes au détour des rencontres qu'il effectue et choisit des thèmes qui s'ancrent dans la réalité. Cette volonté du quotidien se retrouvent aussi dans le choix des poètes vivants qu'il édite : des poètes qui vivent dans leur temps, qui écrivent avec leur temps.

Le renouveau de la poésie pour la jeunesse se joue aussi dans le choix des éditions Møtus à favoriser les formes brèves. Il nous faut faire un détour ici par le nom de cette maison d'édition. Motus est une latinisation de « mot » et fait référence à l'expression « motus et bouche cousue » pour réclamer la discrétion absolue. Cette locution est renforcée dans sa typographie par le ø barré scandinave qui symbolise la fermeture de la bouche ouverte. On pourrait trouver cette dénomination d'une maison d'édition contradictoire avec le rôle qu'elle se donne : promouvoir la langue. Lorsque François David provoque le questionnement du texte au monde, il le fait jusqu'au bout. En effet, on connaît sa prédilection pour le texte court : les contes, la nouvelle, la poésie concise, les haïkus caractérisent les choix éditoriaux de Møtus. Alors pour dire tant de choses à de si petits, il faut en dire le moins possible, mais le plus clair qu'il soit. Ce « motus » n'est pas une invitation au silence, mais à l'écoute de la forme brève que nous propose les textes de Møtus.

Chut1 / retiens tes mots / bouche cousue / motus / pour dire tellement plus / avec moins.

Dans cette approche du texte court, il y a aussi la volonté de dire doucement, en chuchotant, de dire et d'émouvoir. « Si émouvants les silences et les bouches ouvertes à la lecture de Chut chut petit doigt. Même avec les plus petits. A minuscules voix, en chuchotant, je lis. »2 nous explique François David. Cette contradiction entre les bouches ouvertes et les silences, cette invitation à l'écoute, Henri Galeron nous la propose aussi dans deux illustrations conçues pour les éditions : la première est celle d'un garçon qui pose son doigt sur sa bouche fermée, mais sa bouche appartient à un livre ouvert sur son visage. Ce n'est pas une interdiction de parler qu'illustre Galeron, mais une invitation à lire et à faire silence autour de la lecture. Cette invitation à la lecture est aussi présente dans le logo des éditions Møtus, dessiné par le même illustrateur : une bouche fermée mais la lèvre supérieure est un livre ouvert (illustration de la couverture de ce mémoire).

1DAVID François, Les croqueurs de mots, ill. Maes Dominique, Paris, Editions du Rocher, Coll. Lo païs d'enfance, 2004

2David François, « Mon petit doigt m'a dit », dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p. 16.

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(c)Mtus

Ce choix des éditions Møtus ne s'est jamais atténué depuis sa création et a même fait le thème d'un recueil de poèmes, Bouche Cousue,1 de François David en 2010 qui fait l'éloge du texte court et percutant, sensible et parlant, prouvant qu'en peu de mots l'essentiel peut être dit.

CHUCHOTEZ ! / Doucement / à toute petite voix / tentez / otez des sons / des lettres / des syllabes / jusqu'à ce qu'il ne reste plus que / CHU T !

Une des caractéristiques de la forme brève, depuis la création de cette maison d'édition, prend sa source dans les trois vers d'Yves Bonnefoy :

Les mots comme le ciel,

Infini

Mais tout entier soudain dans la flaque brève2

En revendiquant cette forme courte, François David revendique la grande place accordée à l'imagination et au ressentir de la poésie. Les formes brèves sont adaptées aux enfants parce qu'elles laissent le temps de respirer, de digérer les mots, de les penser, de les poser et surtout d'imaginer :

On a grillagé / la cour de récréation / Nos jeux sont en cage.3

Albin Michel a proposé une très belle anthologie4 de Haïkus avec la particularité d'avoir édité, en deuxième partie de cet ouvrage, des haïkus créés par des enfants :

1DAVID François, Bouche Cousue, ill. GALERON Henri, Landemer, Coll. Pommes Pirates Papillons, Møtus,

2010.

2BONNEFOY Yves, Dans le leurre du seuil, Paris, Mercure de France, 1975.

3BOUDET Alain, Le rire des cascades, ill. DAUFRESNE Michelle, Landemer, Møtus, 2001.

4MALINEAU Jean-Hugues, Mon livre de Haîkus,ill. COAT Janik, Paris, Albin Michel Jeunesse.

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Matin d'hiver / Deux mésanges se battent / Pour du beurre1

Une plage immense / Un tout petit crabe / Une très grosse peur2

Comme le montre Yves Bonnefoy, c'est tout un monde qui se reflète dans cette forme brève, un monde infini, telle notre imagination, mais saisissable enfin parce qu'à portée de main. « Cela reste un idéal, essayer de faire court, car moins on en dit, plus on laisse à ressentir, à imaginer 3». Il est intéressant de rapprocher la démarche de François David avec la pensée d'Yves Bonnefoy parlant du silence que Maulpoix résume ainsi : « Le bonheur du poète : consentir au silence au sein même de la parole »4. En choisissant le silence et la respiration dans ses formes poétiques, l'éditeur offre sa poésie à un lectorat qui est ouvert au monde et à ses multiples représentations.

La forme brève, les thèmes vivants et les textes inédits contribuent à faire de la poésie une langue innovante et surprenante. La poésie n'est plus l'écriture des poètes morts depuis longtemps, elle est devenue quotidienne, présente, telle est sans conteste la volonté des éditions Møtus. Avec les nouvelles technologies, propres à l'édition, elle peut même devenir palpable. La typographie, le choix de l'illustration et la transmission orale sont encore des moyens que l'éditeur s'octroie afin de transmettre cette poésie à tous les enfants.

2 - Le souci de transmettre : l'impact visuel

En accord avec Michel Butor, « la façon dont on dispose les mots sur une page doit être considérée comme une autre grammaire »5 et l'effet visuel du poème est , autant pour l'auteur que pour le lecteur une porte, une ouverture sur l'espace poétique. En amont de l'image illustrant le poème, le texte joue de cet effet visuel, par sa forme, sa typographie, il offre une spatialité qui sensibilise le lecteur.

Lorsqu'un poème se présente au lecteur, il met en scène sa relation avec lui. Trois effets permettent le dialogue entre le poème et le lecteur : les effets visuels, sonores, et de lecture. L'« impact »6 visuel du poème s'inscrit sur l'espace de la page. L'attention du lecteur se concentre sur ce que cet espace propose. La forme du poème, la typographie produisent

1lbid.p.56.

2lbid.p.47

3DAVID François, La revue des livres pour enfants, n°258, Paris, 2011, Vous avez dit Poésie pour la jeunesse ? ,

p.88.

4MAULPOIX Jean-Michel, « Introduction à la lecture de l'oeuvre d'Yves Bonnefoy », 2005,

<http:www.maulpoix.net>

5MELANCON Robert,« Entretien avec Michel Butor », E tudes franc aises, vol. 11, n° 1, 1975, p. 78,

< http://id.erudit.org/iderudit/036599ar.>

6MOUREY Jo, Des impacts à la pâte des mots, Les actes de Lecture n° 88, décembre 2004.

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alors des effets qui interpellent le lecteur. La forme, la mise en page, la typographie choisies par l'éditeur sont autant d'incitations faites au lecteur de relever le défi de la lecture. Le but de la poésie n'est pas tant de faire « passer un message » que de faire ressentir au lecteur « quelque chose » de l'ordre de l'invisible, du sensible, de l'indicible. Mélange subtil de rythmes, de sons, d'images, la poésie est un langage particulier auquel le poète, avec les mots pour simples outils, cherche sans cesse à donner un souffle nouveau. Les mots se donnent à voir, forment un tout sur la page, s'associent avec la typographie. Cette dernière permet la mise en forme du texte : le texte bouge, il est vivant, il se transforme, il devient animé. Cette animation s'entremêle au texte, soulignant le sens des mots ou le contredisant, premier jeu entre les mots et leur image, jeu entre le lisible et le visible du poème. On découvre « une heureuse typographie si le trait même de l'écriture fait soudainement surgir une émotion. »1 Métalangage avec ses propres codes, ses propres signes, la typographie ajoute du mystère à ce qu'est la poésie. Elle donne de la profondeur au poème, une résistance que le lecteur éprouvera. Par cette double fonction, d'invitation d'abord et de résistance ensuite, la typographie participe pleinement du fait poétique. Quelques courants poétiques ont exploité cet effet visuel. On pense tout de suite aux calligrammes2, croisement entre la calligraphie, l'art des belles lettres et l'idéogramme, symbole graphique représentant un mot ou une idée. Dans la poésie « spatialiste »3, ces effets visuels sont même autosuffisants, ils « sont » poèmes. La question qui pourrait se poser lorsque l'on contemple ces oeuvres est la suivante : Est-ce que le lecteur lit ou regarde les poèmes ? N'y a-t-il pas face à cette réduction extrême de la phrase, de la syntaxe, une autre façon d'être lecteur ? N'est-ce pas l'effet recherché justement ? Et qui peut prétendre s'adapter parfaitement à la perception de l'enfant ? On comprend alors que la typographie donne un caractère essentiel au poème, au recueil de poésies, surtout pour un jeune lectorat, qui regarde le poème avant d'entrer dans la lecture. On comprend dès lors pourquoi dans les recueils de poésie, on trouve généralement un travail très élaboré avec l'image : les dessins y sont originaux, les techniques artistiques nombreuses (typographies, encres, lavis, photographies ou tableaux), et toutes ces composantes « participent de ce que l'on appelle poème ou énonciation poétique. »4 Pour Jean-Michel

1COGNET Anne-Laure, Usages de la typographie dans l'album contemporain, in La revue des livres pour enfants n° 264, avril 2012.

2Néologisme inventé par Apollinaire au début du XXe siècle.

3« Le poème spatial est composé d'éléments linguistiques - mots, syllabes, lettres - disposés sur la page de telle sorte qu'ils fassent ressortir leurs présences les uns par rapport aux autres et qu'ils forment une unité de beauté poétique et de sens. Un projet linguistique lyrique. » Pierre Garnier.

4LEFORT régis , La poésie pour la jeunesse, in La littérature de jeunesse, itinéraires d'hier à aujourd'hui, Magnard, Paris 2008, p.373.

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Maulpoix, « les poèmes sont des objets de langue nettement découpés : des objets dont on pourrait dire qu'ils font image sur la page car c'est à l'oeil qu'ils se donnent pour commencer. »1 L'interruption des vers, leur segmentation sont dans le travail du poète l'occasion qui lui est donnée d'établir un rapport neuf à la langue, un renouvellement dans son rapport au monde. La disposition des vers sur la page n'est pas due au hasard, mais démontre toujours une intention particulière du poète, telle est la composition du poème d'Alain Boudet2 :

(c)Mtus

L'association entre le texte et l'espace, la forme du poème et sa relation aux mots, emporte le lecteur dans la lecture du monde que le poète lui propose. C'est un outil dont les éditions Møtus jouent souvent afin de rendre la poésie encore plus accessible à la jeunesse.

Il y a 20 ans, dans ses Entretiens sur la poésie,Yves Bonnefoy, comparait la crise de la poésie à une crise médiatique. Pour ce poète, ce n'était pas tant l'innovation dans la création poétique qui était en cause, que sa médiation qui tardait à s'affirmer. « C'est l'affaiblissement non pas de sa vigueur créatrice mais plutôt de sa relation au groupe social qui caractérise la crise de la poésie aujourd'hui.3». La poésie contemporaine, pourtant vigoureuse est en mal de médiation. Pour vivre, la poésie contemporaine doit se faire entendre, et pour cela emprunter des voies plus efficaces. La transmission de la poésie, contemporaine ou patrimoniale est une des conditions de sa survie. L'album est un moyen d'y parvenir.

L'album est le médium idéal. En effet, de plus en plus de poésie, y compris les anthologies, passe le cap de la publication sous forme d'album. On le sait, l'album est un

1MAULPOIX Jean-Michel, Qu'est-ce que la poésie ou que dire de la poésie ? http://www.maulpoix.net/definirlapoesie.htm.

2BOUDET Alain, Le rire des cascades, ill. DAUFRESNE Michelle, Landemer, Mtus, 2001.

3BONNEFOY Yves, Entretiens sur la poésie, Le Mercure de France, Paris, 1992, p.5.

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médium fort, où image et texte apportent, dans des schémas qui leur sont propres, un message. Le premier accessible à l'enfant est l'image. L'album, et les poètes ainsi que les éditeurs l'ont compris, est un support qui favorise le contact de la poésie avec son lectorat. Les dernières anthologies parues prennent, elles aussi, la forme d'album : on voit poindre un parti pris de rendre la poésie accessible par l'intermédiaire d'un autre art, qu'il s'agisse du graphisme, de la peinture, des pastels, du collage, de la photographie, de la typographie... Toutes les techniques sont utilisées pour mettre ce genre à part dans un « écrin de beauté », fonctionnant comme un « clin d'oeil » qui serait destiné à ceux qui ne sont pas naturellement portés vers la poésie.

Cependant, certains critiques, auteurs et éditeurs de poésie ne sont pas favorables à l'illustration des poèmes. Les éditions Pluie d'étoiles, fondées en 1998, spécialisées dans les recueils de poésie pour la jeunesse, proposent, elles, une formule nouvelle où l'illustration est absente. Elle peut être créée par le lecteur. Ces éditeurs avaient le sentiment que les illustrations nuisaient à l'approche directe des textes. Jean Pierre Siméon, dans son dernier ouvrage1, accuse les illustrations figuratives de contraindre la lecture. L'imagination, enjeu propre à la poésie, serait entravée par ces illustrations « plaquées », paraphrasant le poème, comme si celui-ci ne se suffisait pas à lui-même. Le critique évoque néanmoins une autre illustration possible, qui ne figerait pas l'interprétation du lecteur et lui permettrait de « rêver autour des poèmes ». Citant le travail de l'illustratrice Martine Mellinette, chez Cheyne éditeur, dans la collection Poèmes pour grandir, il souligne le mystère de l'illustration qui accompagne le questionnement que suggère le poème. On pourrait, en effet, faire une distinction entre les albums d'anthologies, les fabliers, qui illustrent les oeuvres du patrimoine littéraire et les « album-poèmes » qui sont véritable oeuvre de création. Qu'est ce qu'un « album-poème » ? Dans ces ouvrages, le traitement de l'image abandonne la simple illustration pour participer à l'énonciation poétique. Loin d'imposer une interprétation au lecteur, l'image accompagne celui-ci dans la découverte du mystère, et s'associe à l'interrogation du poète sur le monde. Perdant sa fonction de décorative, l'image propose au jeune lecteur un parcours de lecture autonome parce qu'elle elle autorise une « re-création » du contenu textuel. La lecture proposée a alors « une fonction active car elle ouvre au jeune lecteur la possibilité d'une lecture double, voire plurielle, d'où naissent les réflexions et les

1SIMEON Jean-Pierre, La Vitamine P. La poésie, pourquoi, pour qui, comment ? Rue du Monde, Paris, 2012, p.165.

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questionnements. »1 Certes tous les recueils de poésie, les anthologies ou les albums ne peuvent se vanter d'offrir cette double lecture. Des illustrations fades et figuratives, redondantes au texte, peuvent nuire. Mais il semble que des grands noms d'artistes se prêtent de plus en plus à ce travail. L'illustration devient moins l'expression figurée d'un texte qu'elle n'intercède en faveur d'une communication par l'image, d'un éveil de la sensibilité à la rêverie poétique. Nous retiendrons ici particulièrement le travail d'Henri Galeron, qui a illustré huit ouvrages des éditions Møtus (cf. bibliographie), plusieurs textes de François David chez d'autres éditeurs et a créé le logo de la maison d'édition Møtus. Pour lui l'image est « un mariage (d'amour) entre l'idée et son traitement technique afin de dissoudre le fantastique et ses effets trop bruyants dans une simple recherche d'atmosphère. Comme si l'image s'affinait jusqu'à pouvoir se frayer un chemin direct jusqu'au réservoir enfoui de nos images mentales »2. Inspiré des surréalistes, cet illustrateur propose des dessins qui prennent racine dans le réel et s'évadent vers le mystère, déroutant, mais propice à l'imagination.

La couverture de Mes poules parlent3 nous montre une poule à poitrine en forme de tête d'homme. Première ambiguité : de quoi parle-t-on ? D'une poule qui parle ? D'un homme déguisé en poule ? Que veut nous dire le poète-illustrateur quand le poète-auteur affirme que ses poules parlent ? Pourquoi cette bouche d'homme dit « møtus », nous demandant de nous taire (motus et bouche cousue) ? Qui parle de la poule ou de l'homme ? La poule fixe le futur lecteur droit dans les yeux, sans rien dire, alors que le livre annonce « Mes poules parlent ». L'homme, de profil, parle pour dire « taisez-vous ! ». L'invitation est passée et on ne sait trop de l'homme ou de la poule qui a le plus à dire : allons voir de plus près. L'image interroge le lecteur, l'emporte dans les méandres de questionnements infinis. Henri Galeron se revendique de ces artistes qui mettent à portée de vue des lecteurs, des techniques qui font entrer l'image dans notre imaginaire.

L' « album-poème » permet ce que ne dit pas le recueil de poèmes : usant de ces métalangages que sont la typographie, la mise en page et l'image, il propose une esthétique particulière où les différents niveaux de lecture du processus littéraire se dévoilent au lecteur à travers des chemins divers. On constate souvent que la réception par l'enfant est complexe et passe par la nécessaire médiation de l'adulte. Le texte ici rend à la poésie toute l'importance de

1ESCARPIT Denise, GODFREY Janie, Image, illustration,illustrateurs, in La littérature de jeunesse, itinéraires d'hier à aujourd'hui, Magnard, Paris, 2008, p. 284. 2VIE François, Henri Galeron, Gallimard, 1986. 3BESNIER Michel, Mes poules parlent, ill. GALERON Henri, Landemer, Mtus, 2004.

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la voix : sa médiation ne peut se faire que de façon orale. Or, l'oralité est en ultime instance ce qui permet au texte poétique de prendre corps.

Après « l'impact » visuel, arrive le temps de « l'impact » sonore. Les voix du poème participent pleinement de cet effet poétique. La survie de la poésie se joue aussi dans sa mise en voix.

3 - L'oralisation nécessaire : l'impact sonore

Quand on pense à la dimension orale de la poésie, on pense d'emblée à la traditionnelle récitation scolaire. Pour Jean Pierre Siméon1, la récitation peut devenir le moyen de détourner les enfants de la poésie, car ses exigences peuvent mettre l'enfant en difficulté : affronter un public, maîtriser sa gestuelle, sa respiration et sa voix, être attentif à l'articulation et à la tonalité et, au préalable, mémoriser...constituent un ensemble d'injonctions qui peuvent être une véritable surcharge pour l'écolier. Les difficultés que peut alors rencontrer l'enfant l'éloignent du poème, si ces pratiques sont la seule porte d'entrée sur la poésie. La mémorisation a sans doute ses mérites mais elle doit se faire de manière non mécanique, en lien avec un travail sur le théâtre, comme un art de la mise en scène des mots.

Mettre en voix signifie lire le poème à voix haute, pour l'offrir. Les mots ne résonnent pas de la même façon lorsqu'ils sont dit « dans la tête » ou à voix haute. Nous sommes souvent obligés de lire à voix haute une phrase que nous avons du mal à comprendre. Cette voix qui nous parle, et sort de nous pour y revenir : on l'écoute, on est plus attentif ; elle met à distance le lecteur et sa réception. Lire à voix haute un texte poétique, c'est aussi entendre toute sa musicalité, son rythme, sa densité. Le poème est ainsi fait qu'il nous propose, comme sa mise en espace sur la page, offerte à nos yeux, sa dimension sonore offerte à nos oreilles. Il est un tout dans sa diversité de sons choisis par l'auteur. Ces sonorités et ces silences sont ce que la forme et les blancs sont au texte écrit, ils donnent de l'épaisseur au poème, ils sont comme sa chair, sa texture sonore, sa raison d'être.

Ce qui distingue l'oral de l'écrit c'est que le premier est accessible immédiatement et s'adapte à tous les publics, en particulier aux plus jeunes, tandis que l'écrit nécessite un apprentissage de la lecture et une accessibilité aux livres qui n'est pas donnée à tout le monde. La lecture à voix haute est très pratiquée par François David et les poètes qu'il a édités, dans

1SIMEON Jean-Pierre, La vitamine F, La poésie, pourquoi, pour qui, comment ?, Rue du Monde, Coll. Contre-allée, Paris, 2012, p.119.

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les milieux culturels (musées, bibliothèques, écoles, théâtres) ou dans les espaces de vie ordinaire (crèches, maisons de retraites, marchés, restaurants, cafés, jardins publics...) . La « mise en bouche » de textes littéraires est à la mode. Dans une société où l'art de la parole est le plus souvent fonctionnel, cette envie de faire revivre le pouvoir des mots s'oppose à la fonction utilitaire du langage. Plaisir de partager la musicalité des mots, mais aussi, création de lien social, la lecture à haute voix est une activité physique qui, en raison de la nécessité corporelle, permet une mise en présence et un échange communautaire. « Les poèmes sont à réciter parce que ce qui fait leur force c'est leur voix (...). Sachant bien que la voix n'est pas du son mais du sujet. »1 En effet, au delà de la musicalité, c'est lui-même que le lecteur met en scène, c'est par sa voix, sa posture et sa subjectivité qu'il donne le poème en partage. Il possède sa propre réception du poème et il a sa personnalité pour le restituer. L'enjeu de cette oralité est donc primordial pour la poésie qui ne peut vivre que si elle est lue, mais c'est aussi un enjeu sociétal. On notera que le slam est aujourd'hui une des formes poétiques les plus appréciée des adolescents et que les textes de comptines et de poésie sont de plus en plus présentés dans les publications avec des supports sonores (les ventes du livre audio a connu une croissance de 8,9% en 2011 et près de 88% de ceux-ci étaient destinés à la jeunesse2).

Moyen de transmission essentiel, l'oralisation, comme l'affirme le témoignage de nombreux poètes, doit être une pratique courante avec les enfants. Les poètes des éditions Møtus n'hésitent pas à se rendre dans les écoles ou dans les lieux publics afin de rencontrer leurs lecteurs. Dans cette démarche, c'est l'oral qui est mis à l'honneur : lectures de poèmes, échanges, jeux et créations poétiques. Mais c'est surtout la représentation que les lecteurs ont du poète que ces échanges font évoluer. Jean-Pierre Siméon le souligne : « Les représentations du poète que les enfants véhiculent sont terriblement stéréotypées : ce n'est jamais une personne ordinaire, il est souvent très vieux ou mort, un peu farfelu... »3 Rendre vivante la poésie contemporaine passe par là aussi : il s'agit de refaire de nos poètes contemporains des troubadours, à savoir des personnes « normales » qui ont une fonction dans notre société. La rencontre avec le poète produit une dynamique qui rend la poésie moins académique : « et l'on comprend alors que la poésie vivante ne réside nulle part ailleurs

1MARTIN Serge, « A trop chercher la poésie, les poèmes se perdent », dans Les cahiers pédagogiques n°417, octobre 2003.

2CLARISSE Yves, Le livre audio cherche à « dépoussiérer » son image en France, fr.reuters.com, novembre 2011.

3SIMEON Jean-Pierre, La vitamine F, La poésie, pourquoi, pour qui, comment ?, Rue du Monde, Coll. Contre-allée, Paris, 2012, p.175.

mieux que dans la bouche du poète. »4. Les livres se dépoussièrent, les mots se libèrent du texte, la poésie prend vie et le poète existe. François David raconte souvent combien ses rencontres avec les enfants et leurs parents est source de créativité. Dans ces échanges naît et survit la poésie.

La poésie pour la jeunesse, connaît donc une belle vitalité, et la typographie, l'album et la mise en voix sont les outils indispensables de sa transmission. Ces moyens tendent à inscrire la poésie dans une dynamique porteuse. Dans cet envol, Møtus est une maison d'édition volontaire qui prend le parti de donner à la poésie des ailes, de la donner à vivre grâce à plusieurs innovations mises en place.

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4FLORY Emmanuel, « Parole vive », in Les cahiers pédagogiques n°417, octobre 2003, p.31.

Chapitre II - Quelles sont les

particularités de Møtus ?

(c)Mtus

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On le voit nettement dans la place que la poésie prend dans les publications pour la jeunesse, elle est un genre que certains ont pris le parti de « sauver ». C'est par des démarches engagées, que la poésie contemporaine, vigoureuse mais souffrant d'une crise médiatique, trouvera le moyen de se hisser à la portée des petites mains d'enfants qui grandiront. L'aspect économique peu porteur du secteur et paradoxalement la vigueur de sa création se trouvent relayés par des structures qui ne présentent pas toujours une « étiquette » de normalité. Les singularités des éditions Møtus placent cette maison aux frontières de la chaîne éditoriale contemporaine. A l'exercice de l'analyse de ces fonctionnements « atypiques », nous interrogerons la place du livre de poésie afin de rendre compte de l'impact de ces particularités sur la reconnaissance de ce genre.

A - Une structure associative engagée

En mettant l'accent sur le côté artisanal de ses productions à ses débuts, Møtus fait le pari de donner à la poésie une certaine place dans le monde éditorial. L'enjeu est le même : faire vivre la poésie et même si les chemins pour y parvenir sont semés d'embûches, les sentiers de traverses sont souvent l'occasion d'arriver à bon port.

1 - Des débuts difficiles

Pour les éditions Møtus l'aventure de la littérature jeunesse prend naissance en 1992. Cette date explique notre volonté de situer cette recherche à partir de cette année précise. Mais « au début, il y a bien failli ne pas y avoir de début »1 souligne François David.

Avant la création des éditions Møtus , François David lance la revue VOIX / E / S , revue du texte court. Le projet regroupait un auteur de nouvelle, « genre méprisé » selon François David, deux comédiens et un musicien qui enregistraient la nouvelle et la musique car le support était une cassette, un illustrateur pour la couverture et le petit livret de la revue. Le constat d'échec est rapide : « Trop difficile. Trop d'ennuis. Trop coûteux »2. Cette expérience a duré à peu près un an, avec la parution de cinq numéros. Mais deux tendances apparaissent : l'amour du texte court, et la collaboration avec des illustrateurs comme André François ou Claude Lapointe, et des auteurs comme Jean L'Anselme.

1DAVID François, « Møtus : débuts et buts » dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p.6. 2Ibjd.

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Malgré cette rude expérience, les éditions Møtus sont fondées en 1988, à la suite de deux évènements. Le premier est l'acquisition d'une imprimante à marguerite1 qui permettait une jolie impression sur des supports épais. Le deuxième événement est l'envie d'éditer les textes d'un ami, poète, que les éditeurs ne prenaient pas le risque d'éditer parce que la poésie ne se vendait pas trop. Malgré les difficultés de la revue VOIX / E / S naît le projet d'éditer ces textes courts de façon artisanale : imprimante à marguerite, reliure des feuillets à la machine à coudre et couverture au papier fabriqué feuille à feuille. Le premier texte inédit édité est Littorines2 de Michel Besnier3, proposé d'une part dans une belle édition publique, d'autre part dans un coffret avec une gravure originale en frontispice. Les éditions avant 1992, publient donc des textes de poésie générale. L'accueil des ouvrages est chaleureux mais le travail artisanal ne permet pas une production en grand nombre. L'investissement dans un matériel un peu plus performant permet des publications plus nombreuses mais encore réalisées de façon artisanale. Les éditions ne se fixent pas d'objectifs chiffrés, elles comptent sur les ventes d'un ouvrage publié pour tenter d'en publier un nouveau. L'édition se fait prudemment, au jour le jour, et l'intérêt des textes et la beauté des ouvrages fabriqués plaisent : la couverture est en papier vélin de Rives et les pages intérieures en Centaure ivoire. Le tirage public se doublait d'un tirage de tête encore plus sophistiqué. Treize recueils sont édités. L'aventure dure cinq années, trois textes réédités sont à nouveau au catalogue : Littorines de Michel Besnier, Eclats de LoIc Herry et Fugue de François David. Les années sont difficiles, et François David souligne : « même les poètes les plus ardents à saluer la qualité de nos livres n'allaient pas jusqu'à les acheter »4. les exemplaires se vendent peu mais la volonté de publier de la poésie inédite, le plaisir du texte et l'accueil chaleureux donnent l'élan nécessaire pour faire perdurer cette aventure.

Puis, en 1992, à l'occasion d'une soirée organisée à Cherbourg avec les deux derniers auteurs publiés, des textes que Jean-Louis Maunoury avaient écrits pour les jeunes lecteurs sont mis en voix par des élèves de théâtre. La salle est enthousiaste et l'envie de publier ces textes se concrétise. Bestiole et bestiaux5 paraît en 1992 et marque le début des éditions pour

1Imprimante qui se caractérise par la disposition, sur un disque plat rotatif (marguerite), des caractères à frapper. Pour imprimer, un ruban imbibé d'encre est placé entre la marguerite et la feuille de telle façon que lorsque la matrice frappe le ruban, celui-ci dépose de l'encre uniquement au niveau du relief du caractère.

2BESNIER Michel, Littorines, Landemer, Mtus, 1988.

3Michel Besnier est né à Cherbourg en 1945, professeur de lettres, il est l'auteur de poèmes, essais, nouvelles et romans dont le premier, Le bateau de mariage (Seuil, 1988), a fait l'objet d'une adaptation au cinéma.

4DAVID François, « Mtus : débuts et buts » dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p.7. 5MAUNOURY Jean-Louis, Bestioles et bestiaux, ill. de MONT-MARIN Consuelo, Landemer, Mtus, 1992.

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la jeunesse. C'est donc « sans but » que ce tournant se fait, né du hasard d'une rencontre entre un public, des auteurs et un éditeur. La confection artisanale perdure : le peu de moyens financiers oblige les éditions à fabriquer eux mêmes leurs ouvrages. La collection Pommes Pirates Papillons propose des livres publiés au fur et à mesure des demandes, avec une avance d'une vingtaine d'ouvrages seulement. La mise en page est réalisée par François David, les couvertures en couleurs sont commandées chez un imprimeur, les pages intérieures sont imprimées par les éditions Møtus en quantité minime et réimprimées à la demande en assurant une petite avance, la reliure est faite par les membres de la maison d'édition. Le produit est conçu de façon encore artisanale. François David évoque lui-même la « présentation [alors] un peu frustre » (reliure en spirales visible)des deux premiers ouvrages s'agissant de la littérature jeunesse où le public est habitué, durant ces années, aux couleurs vives et aux grands formats. En parallèle de la qualité des textes et des illustrations, par un travail déjà engagé sur l'esthétique, le travail sur l'objet-livre se poursuit donc car l'aspect formel du livre de poésie est un atout indéniable de médiation. Pourtant déjà...

Les ventes des ouvrages de poésie pour la jeunesse se développent, la poésie se lit, les livres de Møtus s'achètent. La surprise est heureuse mais la première difficulté se fait alors sentir : il faut répondre à la demande ; un choix s'impose alors : les éditions ne peuvent continuer à publier à la fois des livres de poésie tout public et des livres de littérature pour la jeunesse. Le dernier recueil de poésie « adulte » est publié en 1988. Le choix éditorial est fait, même si la douleur d'arrêter d'éditer les auteurs pour « adulte » est encore décelable dans les propos de François David. Les éditions Møtus se spécialisent dans la littérature pour la jeunesse. Avec ce tournant, s'anime le débat de la reconnaissance d'une littérature destinée à la jeunesse. Face à la réaction d'un auteur, amer de voir s'envoler ses espoirs d'être publié en poésie adulte par Møtus et lançant que cela donnera à la maison peut-être plus de « clients », l'éditeur répond « que Møtus n'avait certainement pas pour objet de viser un puissant chiffre d'affaires, mais que voir un nombre de lecteurs grandissant témoigner de leur intérêt en achetant [leurs] livres était pour [eux] un chaleureux et précieux encouragement »1. Le texte et les illustrations choisis dans ces recueils expliquent le succès rencontré par les ouvrages édités. Certes, les publications n'avoisinent pas les grands chiffres des sorties des albums à succès, mais s'agissant de poésie, les chiffres sont très bons et dépassent les éditions de poésie

1DAVID François, « Møtus : débuts et buts » dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p.7.

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pour adulte : aujourd'hui la plupart des titres sortent entre 2 000 et 3000 exemplaires et la réédition de certains ouvrages atteint les 13 000 exemplaires.

Les débuts de cette maison d'édition atypique, née sous le signe du hasard, ont été difficiles, mais la prise de risque et l'engagement sont deux facteurs qui ont consolidé cette structure associative, lui permettant de faire évoluer la conception de la poésie pour la jeunesse et sa médiation.

2 - Une prise de risque encouragée par les politiques d'Etat

Dans les ouvrages de Møtus, l'inscription « Publié avec le concours du C.R.L. Et le soutien financier de la région Basse-Normandie, de la ville de Cherbourg et du Conseil Général de la Manche » apparaît systématiquement et nous interroge sur les paramètres économiques de cette maison d'édition. La croissance des ventes nous conduit à nous pencher sur les contraintes économiques que cette augmentation engendre et les choix éditoriaux que cela entraîne.

Lorsque l'on interroge François David sur le choix d'oeuvrer au sein d'une structure associative, la réponse semble évidente. Dans ses débuts, la maison d'édition avait juste besoin d'une structure juridique pour publier des textes poétiques que l'éditeur jugeait de qualité et dont il appréciait la beauté. Il n'est pas question un seul instant de profit ou de rentabilité, aussi la structure associative à but non lucratif s'est-elle imposée naturellement. Plusieurs maisons d'éditions se sont constituées en association (Soc et Foc1, La Renarde Rouge2 par exemple) : il s'agissait de petites structures adaptées à un engagement de type bénévole qui amoindrissait les coûts. Cependant, aussi petite que soit la maison d'édition, un éditeur se pose forcément la question de la rentabilité du livre. L'association doit pouvoir rembourser les frais de la réalisation d'un livre et avancer les fonds pour un nouveau projet éditorial. « Or Møtus est une association de bénévoles et, si nous ne faisons pas de bénéfices, nous ne pouvons pas travailler à fond perdus »3, souligne François David. Faire le pari de publier des textes inédits, et seulement ceux-là, c'est encore prendre un vrai risque au niveau de la réception : comment anticiper l'accueil commercial d'un livre dont l'auteur ou l'illustrateur sont, la plupart du temps, inconnus ? En effet, certains coûts sont évaluables : les avances sur droits d'auteurs et d'illustrateurs et le pourcentage sur les ventes (entre 4% et 8%

1Soc et Foc, créée en 1979.

2La Renarde Rouge créée en 1994.

3DAVID François, La revue des livres pour enfants, n° 258, avril 2011, p. 89.

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sur le prix de vente public TTC, 10 % pour le couple auteur/illustrateur chez Møtus), les coûts industriels (entre 7% et 12%), les frais de création (15% pour un livre illustré), la promotion (3%), la diffusion (entre 4% et 7%), la rémunération du détaillant (entre 25% et 40%), la distribution (entre 8% et 15%), les frais de structure de la maison d'édition (entre 5% et 20%) et la TVA (5,5%)1. Mais d'autres données sont aléatoires : l'accueil du livre sur le marché n'est pas évaluable. Dès lors, le risque existe bel et bien, lors de la publication d'un livre, de ne pas rentrer dans ses frais. En littérature pour la jeunesse néanmoins, un avantage est appréciable : « un livre édité il y a quinze ans peut continuer à être lu aujourd'hui »2. Ainsi, l'album Nasr Eddin Hodja, un drôle d'idiot3, sorti en 1996 et réimprimé plusieurs fois, atteint aujourd'hui les 12 000 exemplaires vendus. Des recueils comme Mes poules parlent4 (2004) ou Le Rap des rats5 (1999) dépassent les 7 000 exemplaires vendus, Le Verlan des oiseaux (1996), fabriqué pendant la période artisanale de Møtus, s'approche des 8 000 exemplaires vendus ce qui est un chiffre considérable pour de la poésie où les tirages sont souvent inférieurs à 600 exemplaires et les ventes moindres encore.

L'investissement matériel des éditions Møtus a été progressif. D'une forme artisanale contraignante à l'évolution des choix techniques et commerciaux classiques, cette maison d'édition a progressé de façon évidente. Au tout début, les livres étaient stockés dans la maison de François David, mais depuis 2007 un distributeur6 a pris le relais. Ce dernier stocke les livres publiés et envoie les commandes aux libraires. Moyennant un pourcentage sur les livres vendus, le distributeur permet un gain de place dans les locaux des éditions et une réactivité au niveau de la fourniture des détaillants. La structure s'est dotée d'une salariée pour le fonctionnement qui n'était assuré que par les membres de l'association les premières années. L'imprimante à marguerite a été abandonnée au profit d'un imprimeur, et depuis le début de l'année 2013, un diffuseur7 fait la promotion des ouvrages de Møtus. Le diffuseur permet une visibilité en librairie laissant des livres en dépôt. Cependant, outre le coût que le diffuseur s'octroie sur chaque livre vendu, le retour des invendus est risqué. François David est conscient que ce « problème des "retours" a coulé beaucoup de petits éditeurs »8. Tous les

1Sources issues du tableau « Derrière le prix d'un livre », MINI sandrine, Revue des livres pour enfants n° 252,

avril 2010.

2DAVID François, La revue des livres pour enfants, n° 258, avril 2011, p. 94.

3MAUNOURY Jean-Louis, Nasr Eddin Hodja, un drôle d'idiot, ill. Henri Galeron, Landemer, Mtus, 1996.

4BESNIER Michel op.cit.

5BESNIER Michel, op.cit.

6Distibuteur pour les libraires : Daudin distribution.

7Diffusion en France : CED.

8DAVID François, La revue des livres pour enfants, n° 258, avril 2011, p. 94.

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secteurs où des économies pouvaient être faites ont tendance à être normalisés au même titre qu'une maison d'édition de taille moyenne. Quelques postes stratégiques restent gérés par les bénévoles. Le travail de mise en page, de composition est effectué par François David, en collaboration avec les auteurs illustrateurs. De même, les premiers ouvrages publiés sont toujours au catalogue et encore directement réalisés par Møtus, en fonction de la demande. Pour François David le risque de travailler avec un diffuseur est double : d'une part il engendre des frais sur les ouvrages que ce dernier promeut auprès des détaillants, mais aussi sur tous les autres ouvrages de la maison d'édition, même ceux qu'ils ne promeut pas ; d'autre part le système de retour des invendus, si ces derniers sont trop nombreux, peut déséquilibrer le ratio publication/vente. Møtus avait jusque-là évité ce risque en imprimant ses ouvrages en fonction de la demande. Or, il est plus coûteux de réimprimer un texte que de réaliser un premier tirage plus conséquent, sachant que, la plupart du temps, les subventions et les aides ne sont accordées que lors de la première publication, et que l'impression en grande quantité est moins coûteuse que plusieurs impressions en quantité moindre. Cependant, aujourd'hui, le succès des ventes des ouvrages de Møtus engendrent des ré-impressions fréquentes et il est à noter que le CRL accorde parfois, désormais, des aides aux éditeurs pour les ré-éditions.

La « fabrique » de livres de poésie, tenue par les artisans bénévoles de cette association s'est développée et avec elle le nombre d'ouvrages publiés et la reconnaissance du travail effectué : aujourd'hui, les 2 000 à 3 000 tirages d'un ouvrage ne permet plus une fabrication artisanale que permettait la vingtaine de livres fabriqués à l'avance au commencement de cette structure. La question de parvenir à l'équilibre est cruciale dans le domaine de l'édition, à fortiori dans celui de l'édition de poésie, genre moins lu que d'autres. Comment les aides publiques peuvent-elles amoindrir ce risque ?

La renaissance de la poésie a été favorisée par les politiques d'Etat : l'éducation nationale a transformé ses programmes, incitant au renouveau poétique ; les politiques culturelles ont permis à la poésie de sortir des bibliothèques. L'état, grâce au CNL1, soutient des actions sur toute la chaîne du livre, et de nombreux projets autour de la poésie (en 2011, 357 000 € ont été accordés au Printemps des Poètes). Grâce à l'état, Le Printemps des Poètes2

1CNL : Centre National du Livre : alimenté par le produit d'une taxe sur l'édition, il a pour mission l'aide à l'édition ou à la réédition de certains livres, l'aide aux auteurs et à la littérature francophone non française, l'aide aux bibliothèques et à la diffusion du livre à travers les librairies. < www.centrenationaldulivre.fr>.

2Printemps des Poètes : Association Loi 1901, Centre de ressources pour la poésie et coordonnateur de la manifestation de mars, Le Printemps des Poètes, est une initiative de Jack Lang et d'Emmanuel Hoog. Il est soutenu par le Ministère de la Culture, via le Centre national du Livre, le Ministère de l'Education nationale, et le Conseil régional d'Ile-de-France.< www.printempsdespoetes.com>.

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met aussi à disposition une ressource inestimable pour la poésie. L'état subventionne aussi des projets en région : le Centre Régional du Livre (CRL). Des politiques de ville se mettent en place aussi, promouvant la poésie, souvent en partenariat avec les médiathèques : création de « maisons de la poésie », constitution d'un fonds, hommages rendus à des poètes. Pour François David ces aides sont essentielles au fonctionnement de la maison d'édition. Le fait d'être installée dans une région où le nombre d'éditeurs est réduit constitue aussi une chance supplémentaire, puisque les aides allouées sont inversement proportionnelles au nombre de structures. François David reconnaît avoir beaucoup de chance de bénéficier des aides de la ville de Cherbourg, du Conseil Général de la Manche et du Conseil Régional de Basse-Normandie. Certes, la tâche administrative est chronophage, et le renouvellement des subventions allouées n'est pas acquis d'une année sur l'autre, mais depuis vingt-cinq ans, le travail de cette petite fabrique qui grandit a su séduire les instances qui allouent fidèlement les subventions aux projets de la maison d'édition. Juste retour des choses, les éditions Møtus donnent à la ville de Cherbourg, à la Manche et à la Basse-Normandie une image de marque, et sont un vecteur local vers la culture nationale et internationale. Ainsi, en 2012, le Centre Régional des Lettres de Basse-Normandie accompagne trois éditeurs normands à la soixante-quatrième foire internationale du livre de Francfort, Møtus en faisait partie. Développant dès lors un potentiel international, les albums de Møtus s'exportent désormais (La tête dans les nuages1, La petite fille qui marchait sur les lignes2, Du sucre sur la tête3) et risquent de s'exporter davantage. L'album Un rêve sans faim4 a ainsi été récemment publié en Corée du Sud, les droits pour deux autres recueils poétiques Le Rap des rats et Mes poules parlent ont été acquis en 2013 par la Chine.

Les débuts audacieux, les choix éditoriaux assumés et l'accroissement des contraintes économiques auraient pu avoir raison de cette maison d'édition si les aides des partenaires financiers n'étaient pas bien réelles. Sébastien Dubois5 parle d'une économie « sous perfusion ». En 2011, la poésie est le secteur (regroupé avec le théâtre) qui a obtenu le plus grand nombre d'aides accordées par le CNL6 . Ces aides constituent une condition nécessaire à la survie des éditions de poésie, telles les éditions Møtus.

1DAVID François, La tête dans les nuages,ill. SOLAL Marc, Landemer, Mtus, 1998.

2BEIGEL Christine, La petite fille qui marchait sur les lignes, ill. KORKOS Alain, Landemer, Mtus, 1998.

3VINAU Thomas, Du sucre sur la tête, ill. Lisa NANNI, Landemer, Mtus, 2011.

4DAVID François, Un rêve sans faim,ill. THIEBAUT, Landemer, Mtus, 2012.

5DUBOIS Sébastien, chercheur à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et à l'école de management de

Rouen a écrit une thèse sur la sociologie et l'économie de la poésie contemporaine française.

6Centre National du Livre, Rapport d'activité 2011, p. 26.

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3 - Une liberté

Mais moralement, ces aides publiques ne sont-elles pas une façon de contrôler, ou du moins d'infléchir des tendances sectorielles vers une production tout public ? Peuvent-elles être interprétées comme une entrave à la liberté de publier des textes « libres » ?

En effet, les modalités d'attribution des demandes de subventions font l'objet d'un rapport d'expertise présenté à des commissions qui émettent un avis. Au vu de cet avis, les décisions d'attribution, de refus ou d'ajournement sont prises par le président du CNL. Ces aides et avec elles, la possibilité de publier les ouvrages de poésie passe donc par des décideurs externes à la maison d'édition. Dès lors, la maison d'édition ne va-t-elle pas chercher à se mettre en adéquation avec les politiques d'attribution des fonds, c'est-à-dire à répondre à certaines attentes, pour voir ses ouvrages publiés ? Les décideurs n'étant plus l'équipe de la maison d'édition, on pourrait le craindre. Les critères d'examen des dossiers sont la qualité littéraire ou scientifique du projet présenté, son originalité, sa cohérence et sa pertinence éditoriales, les risques commerciaux pris par l'éditeur1. On aurait tendance à penser que seules les maisons d'édition, répondant à des critères préétablis auront la chance d'obtenir des subventions.

Or, la première chose qui frappe lorsque l'on regarde le fonds des livres édités chez Møtus, est la diversité des formats et des illustrations. Une diversité qui peut paraître déroutante tant les méthodes utilisées pour les illustrations et les formes des livres, et des livres-objets sont différentes. A l'approche de ce fonds, tenter de grouper les ouvrages par catégories semble vain tant il est difficile d'associer deux ouvrages. Cela agace même les bibliothécaires qui cherchent à les faire entrer dans une classification. Cette diversité, cet effet kaléidoscope, nous offre la réponse à la question de diversité et par là même à celle de liberté de choix. L'éclectisme des thèmes traités est une preuve supplémentaire, s'il en fallait, que l'on n'enferme pas les éditions Møtus dans une politique éditoriale « convenue ». Parmi les 11 300 nouveaux titres de littérature pour la jeunesse parus en 20112, combien relèvent d'une production de masse, privilégiant les côtés les plus faciles de l'enfance, ou ressemblant à la lecture d'enfance des parents ou bien usant des facilités de mode et d'entrecroisements médiatiques (novélisation ou « livrisation ») ? Le renouveau des thèmes, en revanche, permet une vraie réflexion de l'enfant sur le monde, une possibilité de faire appel à son esprit critique.

1CNL : < www.centrenationaldulivre.fr>, Aides à l'édition, Subventions pour la publication d'un ouvrage. 2Source : GfE( Consumer Choices France dans < www.enviedecrire.com> publié le 30 novembre 2012.

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Møtus, dans le domaine de la poésie, n'hésite pas à choisir des thèmes ancrés dans la réalité du monde d'aujourd'hui : la faim dans le monde, le chômage, les sans-abris, la différence, l'exclusion, le racisme. François David les revendique même :

« Il me semble qu'en littérature jeunesse, on évoque très souvent et parfois avec un peu de complaisance, l'univers des enfants tel qu'il est, mais qu'on ne trouve pas tellement de livres qui permettraient de prendre du recul, voire de questionner cet univers... Il peut y avoir des livres pleins d'humour mais qui réveillent autant qu'ils éveillent. Des livres nullement traumatisants, mais nullement démagogiques non plus. »1

Les thèmes ne sont pas figés. Au contraire, les nouveautés proposées, grâce à leur forme originale, grâce aux diverses techniques picturales utilisées, grâce aux thèmes abordés, redonnent à la poésie contemporaine sa fonction de « découvreur » du monde, son rôle de mise à distance et d'interrogation sur le monde que l'on regarde et qui nous regarde.

Le slogan de Møtus, « dire moins pour en dire plus », ce symbole du ø barré dans le nom de la maison d'édition, invite à l'écoute, mais une écoute active, qui engendre des interrogations et met en branle l'imagination. Il y a une démarche éducative derrière ce slogan et une ouverture au monde poétique avec l'idée d'un avenir à construire : former des poètes. De même, le travail d'équipe entre les auteurs et les illustrateurs et l'éditeur permet un dialogue incessant entre le texte et l'image. Ainsi, une grande liberté est laissée aux artistes, limitée seulement par quelques contraintes matérielles. Michel Besnier parle « d'une relation de confiance, d'amitié, d'estime »2 avec François David. Henri Galeron écrit que François David lui laisse « une entière liberté quant à l'interprétation qu['il] donne des poèmes de cette collection. [François David] connaît [s]es prédilections et [ils s'accordent] presque toujours sur les choix des textes à illustrer qu'il [lui] propose. »3 La confiance, la liberté d'action font donc partie du travail de la maison d'édition et lui donnent une éthique de création qui autorise des audaces et des découvertes. François David donne aussi souvent leur chance à de jeunes créateurs : Alice Brière-Hacquet et Elise Carpentier4 ont toutes les deux apprécié non seulement le professionnalisme mais aussi les relations cordiales de proximité et les conseils de François David. Il existe aussi aux éditions Møtus une éthique de fabrication : le choix du papier recyclé et le caractère évolutif du catalogue soulignent une préoccupation écologique évidente. D'autre part, sur chaque vente de l'album Un rêve sans faim un euro est reversé à

1DAVID François, « A rebrousse-poil» dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p.10. 2BESNIER Michel, Echange par correspondance du 6 mars 2013, avec son aimable autorisation.

3GALERON Henri, Entretien graphique (propos recueillis par Charlotte Javaux) sur le site < www.ricochet-jeunes.org>.

4BRIERE-HACQUET Alice, Rouge, ill. CARPENTIER Elise, Landemer, Mtus, 2010.

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l'ONG Sharana, permettant une corrélation entre le thème de l'album et la réalité qu'il dénonce.

Les orientations choisies par cette petite maison d'édition ont permis depuis ses débuts de fabriquer des livres essentiels. Passant d'une production artisanale à des techniques plus adaptées en raison de la demande grandissante de son lectorat, faisant fi des techniques de « marketing » classiques, mais aidées par les politiques culturelles, les éditions Møtus se sont engagées dans une voie où chaque livre est pensé comme un projet à part entière, afin d'en faire « un objet unique ». A propos des petits éditeurs de « poésie jeunesse », Jacqueline Held écrivait : « Si le "petit éditeur" affronte les tempêtes et risque de voir un seul projet compromettre son fragile équilibre, en revanche, il est seul "maître à bord", libre de céder à ses envies, voire à ses coups de foudre. »1 Les engagements de Møtus et les choix effectués ces dernières années révèlent un souci évident d'offrir une poésie de qualité aux enfants.

B - Les singularités

Une édition « soutenue », mais une création poétique volontaire, exigeante qui ne perd pas son âme face aux injonctions économiques, telle est la volonté de François David. Cette exigence de qualité appelle des procédés originaux qui constituent sa politique éditoriale.

1 - Un catalogue original

La plupart des maisons d'édition proposent des catalogues annuels très attractifs (illustration, qualité du papier, choix des formats...) qui présentent les nouvelles publications de la maison, en même temps que les ouvrages plus anciens, soulignés d'une revue de presse. Certaines grandes maisons d'édition sortent même plusieurs catalogues annuels, jouant des thèmes, des saisons, de l'âge des lecteurs ou des attentes des médiateurs. Le travail que cela représente est chronophage et les coûts importants. Et on le sait, la majorité des catalogues finiront avec la liasse familiale des papiers recyclés, dans une poubelle. Cependant, c'est une devanture que les maisons d'édition ne peuvent pas négliger. Véritables vitrines, avec les sites internet, les catalogues sont l'outil indispensable de tous les médiateurs du livre. Pour l'éditeur c'est une force de vente qu'il ne faut pas rater, aussi les catalogues rivalisent-ils entre eux et d'originalité et de beauté. Møtus confectionne son « catalogue évolutif » de façon atypique.

1HELD Jacqueline, « Poésie jeunesse et "petits éditeurs" » dans la revue Nous voulons lire n°152, décembre 2003, p. 35.

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Outre la fait de ne pas gaspiller du papier, ce catalogue a l'avantage de témoigner d'une recherche créatrice et d'économiser du temps de travail pour sa mise en page.

Il se présente comme un dossier. Une couverture rouge à rabat cartonnée, où, en première de couverture sont apposés le nom des éditions et son ø barré, et le logo dessiné par Henri Galeron : une bouche avec la lèvre supérieure en forme de livre ouvert. Les mots « Catalogue évolutif » sont précisés par la mention « fonds & nouveautés ». La quatrième de couverture nous explique le fonctionnement du catalogue agrémenté d'une illustration d'Henri Galeron.

« Si vous souhaitez avoir un oeil sur tous les ouvrages publiés par Mtus il vous suffit de conserver ce catalogue et d'y glisser les suppléments annuels »

Dans ce rabat se trouvent cinq petites brochures agrafées où tout le fonds des éditions est regroupé en plusieurs collections : « poésie » compte la collection Pommes Pirates Papillons, comprenant vingt-deux recueils et les rééditions de trois recueils adultes publiés aux débuts de la maison d'édition ; la brochure « Albums et Contes » regroupe douze albums ; La brochure « Mouchoir de poche » présente les ouvrages de la collection du même nom ; les pages consacrées aux « Inclassables » présentent neuf ouvrages regroupés avec les « Livres-objets » au nombre de douze ; puis, la dernière brochure accueille les vingt-quatre « Poèmes-affiches » et les vingt-neuf « cartes postales ». Depuis l'année 2010, le caractère évolutif est souligné par l'ajout d'une nouvelle brochure annuelle : les suppléments 2010, 2011, 2012 présentent les nouveautés au catalogue pour chaque année. Les brochures, de qualité identique à celles des collections, reprennent une illustration choisie parmi les nouveautés. La couverture apporte cependant le soin de faire référence au logo des éditions Møtus. En 2010, c'est l'illustration d'Henri Galeron pour le recueil Bouche cousue1 qui est repris, en 2011, l'illustration de Lisa Nanni pour l'album Du sucre sur la tête2 se complète d'une petite pomme rouge barrée qui rappelle le ø scandinave et, en 2012, l'illustration d'Olivier Thiébaut de la page de couverture d'Un rêve sans faim3 nous propose une cuillère en bois anthropomorphisée, bouche fermée. Cette volonté de marquer chaque brochure révèle le travail de continuité que l'éditeur veut donner à ses publications. C'est un point nécessaire, nous semble-t-il, parce que le catalogue présente une grande diversité qui peut déstabiliser le lecteur. Les suppléments annuels empêchent la visibilité de la collection des ouvrages, à part

1DAVID François, Bouche cousue, ill. Henri GALERON, Landemer, Mtus, 2010. 2VINAU Thomas, Du sucre sur la tête, ill. Lisa NANNI, Landemer, Mtus, 2011. 3DAVID François, Un rêve sans faim, ill. Olivier THIEBAUT,Landemer, Mtus, 2012.

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ceux de la collection « Mouchoir de poche » qui est très visible. En effet cette collection se distingue par son impression « en réserve » avec les textes et les illustrations en blanc ou rouge (ou vert depuis 2011) sur des aplats noirs. Ces choix graphiques différencient très nettement les livres de cette collection des autres ouvrages. Cependant, le reste des ouvrages des feuillets annuels du catalogue évolutif ne permet pas de situer les albums ou les recueils dans les collections préexistantes. Un détour par le site internet1 est nécessaire où l'on trouve une page par collection. L'avantage de cette forme évolutive est l'économie de papier, donc l'amoindrissement des coûts. Le travail effectué concerne les dernières parutions de l'année et ainsi ne demande pas une nouvelle mise en page qui pourrait paraître fastidieuse, entremêlant les anciennes publications aux nouvelles. Le fait d'avoir séparé le fonds des nouvelles parutions incite aussi l'utilisateur de ce catalogue à le conserver. La nuisance du gaspillage du papier est moins importante. Conservées dans son dossier rouge cartonné et illustré de petite taille (12,5 cm sur 18,5 cm), les nouvelles brochures annuelles s'encastrent les unes après les autres. L'originalité de ce catalogue ne manque pas d'interroger le lecteur qui a davantage l'habitude de tenir dans ses mains un catalogue classique, François David souligne que « d'ailleurs la réaction de presque tous les visiteurs dans les Salons est de trouver ce catalogue non seulement original, mais beau, et aussi d'apprécier le côté évolutif. Je ne sais combien de fois j'ai entendu la remarque "et en plus, c'est écologique" »2. N'est-ce pas le début d'une démarche créatrice que nous propose cet éditeur, nous faisant nous interroger dès l'origine de ce catalogue sur sa place dans le monde de l'édition ? La démarche du catalogue « évolutif » est pour le moins atypique et présente des aspects économiques et écologiques intéressants.

Cependant la différence entre certaines collections ne semblent pas très nette. C'est le cas par exemple de la collection « Albums et contes » et celles des « Inclassables » où l'on trouve dans la première des livres très originaux comme La tête dans les nuages qui ne raconte pas une histoire illustrée mais des textes poétiques sur les illustrations de Marc Solal, ou comme Nasr Eddin Hodja, un drôle d'idiot qui appartient au patrimoine des contes et légendes du monde et cependant catalogué dans les « Inclassables ». De même on trouve certains ouvrages comme Sens dessus dessous qui propose, sur le principe des ambigrammes, un livre de poésie dans la rubrique « Inclassables ». Ainsi, aussi du recueil de poésies d'Alain Boudet, Le rire des cascades, qui n'appartient pas à la collection Pommes Pirates Papillons. Les nouvelles sorties des ouvrages dans les petites brochures annuelles ne donnent

1< www.motus.zanzibart.com>

2 Echanges de mails avec François David du 15 mai 2013, avec son aimable autorisation.

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qu'exceptionnellement leur appartenance à telle ou telle collection. La volonté de produire des livres uniques et singuliers explique sans doute ce brouillage des frontières entre genres littéraires. Ainsi, pour mettre en évidence les haïkus de Thierry Cazals , la forme oblongue de Le petit cul tout blanc du lièvre', ne convient pas au format de la collection Pommes Pirates Papillons. Le recueil sera alors publié dans un format à part, pensé comme un objet unique, classé dans les Inclassables. Le lecteur, amateur de poésie, ne pourra pas se contenter d'un coup d'oeil à la rubrique « Poésie » au risque de passer à côté d'oeuvres de poésie dans les autres fascicules, tant tous les livres de Møtus proposent des textes poétiques.

Le catalogue des éditions Møtus a été, comme chaque ouvrage de cette maison, pensé comme un objet unique et une façon d'interpeller l'utilisateur sur sa fonction. La catégorisation des ouvrages est floue. Mais n'est-ce pas sur la question des collections que veut nous faire réfléchir François David ?

2 - La problématique des collections

S'il est un mot qui ennuie l'éditeur c'est bien ce mot de « collection ». Pour le dictionnaire Larousse, une collection est « un ensemble de livres publiés chez le même éditeur et ayant une caractéristique commune (thème, format, présentation, etc.) ». Du latin collectio :« action de recueillir, de rassembler », cette réunion d'objets d'un même type, cette série de livres ayant une unité suppose une compilation qui s'oppose foncièrement à la conception du « livre singulier » que revendique François David.

La collection est un outil qui permet au médiateur du livre (parent, enseignant, éducateur ou bibliothécaire) de se repérer. Grâce à cette catégorisation, il pourra retrouver un thème, guider une recherche, classer par genre ou par âge. Le métier de bibliothécaire suppose une grande capacité à ordonner un fonds d'ouvrage, qui pour être rangés et consultables doivent répondre à des critères sélectifs de classement. La classification décimale Dewey2 est un outil indispensable à la conservation de notre patrimoine. Certes, les critères de plus en plus précis nous obligent à faire entrer le livre dans une catégorie au détriment de bien d'autres dans les quelles il aurait pu être répertorié : un choix est toujours l'abandon d'autres

1CAZALS Thierry, Le petit cul tout blanc du lièvre, Landemer, Mtus, 2003.

2La classification décimale de Dewey (CDD) est un système visant à classer l'ensemble du fonds documentaire d'une bibliothèque, développé en 1876 par Melvil Dewey un bibliographe américain. Les dix classes retenues correspondent à neuf disciplines fondamentales : philosophie, religion, sciences sociales, langues, sciences pures, techniques, beaux-arts et loisirs, littératures, géographie et histoire, auxquelles s'ajoute une classe « généralités ». (source wikipedia.org)

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choix possibles. Mais la conservation de notre patrimoine culturel et son utilisation la plus efficace possible en dépend.

En littérature pour la jeunesse cette catégorisation prend des allures restrictives de classement. Le premier critère étant l'âge du récepteur, cela peut poser quelques restrictions de choix parfois aléatoires. En effet, la réception de la lecture chez les enfants répond à plusieurs critères qui ne se réduisent pas à l'âge. L'évolution psychomotrice, la sensibilité, l'avancement dans les apprentissages intellectuels sont autant de critères variables chez des enfants du même âge. Contraindre les enfants dans une catégorie d'âge, c'est prendre le risque de leur restreindre l'ouverture à une lecture multiple. Pourtant la plupart des éditeurs classent leurs ouvrages en fonction de ce premier critère. Nous le savons, le livre et l'album en particulier, offrent une multitude de portes d'entrée dans la lecture, qu'elle soit textuelle ou iconographique. L'épaisseur des personnages, le décryptage des images, le sens multiple d'un thème traité sont autant d'ouvertures que les enfants découvrent et redécouvrent à la lecture suivante. Combien de fois avons-nous adultes, découvert encore un autre sens, un détail, une référence que l'on n'avait pas perçu à la première lecture ? Un album n'est pas un objet de lecture linéaire et sa lecture suppose l'éveil de plusieurs sens les plus divers à la fois. On peut alors supposer que la lecture de tel ouvrage ne s'adresse pas à des enfants d'un certain âge particulièrement mais qu'elle ouvre des possibilités multiples de lecture. Du bébé au jeune adulte, la littérature pour la jeunesse offre une multitude de livres qu'il faut cependant mettre à la portée d'un lectorat. On n'installe pas, dans une bibliothèque, des romans pour adolescents à la portée d'un lectorat de deux ou trois ans. La sectorisation comporte des risques de catégorisation sectaire : en effet, on voit de plus en plus une catégorisation par sexe, confinant les enfants dans un genre (fille ou garçon) qui leur ressemble, bloquant toute ouverture sur la découverte de l'autre dans ses différences. « Une segmentation Filles/Garçons a clairement émergé, plébiscitée par les enfants, acceptée, voire encouragée par les parents, avec la complicité des éditeurs du monde entier » précise Charlotte Ruffault1. La lecture, si elle est un fabuleux moyen de s'échapper, peut aussi, comme dans ce cas, devenir un dangereux moyen de « formater » un lecteur.

Dans la politique de François David, le principe de collection paraît restrictif, celle par âge, absurde :

1RUFFAULT Charlotte, « Les tendances actuelles du marché » Revue des livres pour enfants n° 252, avril 2010,p.81.

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« Dans un salon du livre jeunesse, une maman cherchait un livre pour son enfant qu'elle tenait en mains. Elle regardait les quatrièmes de couverture, puis elle remettait les livres dans la pile en lui précisant : "Non, c'est du 5 ans" ou "Celui-là non plus, c'est du 9 ans".

On aurait pu penser qu'elle achetait une paire de chaussures et vérifiait que c'était la

bonne taille. Les vilains petits canards, qui ont bien le droit de lire aussi, ils chaussent du combien ? »1

Mais le travail d'éditeur est ainsi fait qu'il faut bien donner des noms de collection, ranger les livres dans des cases où ils seront organisés, étiquetés à un genre, un thème, un format, un âge, « une caractéristique commune ». Ce travail de collection, les éditions Møtus, s'y sont contraints à contre-coeur. Les livres proposés sont tous « hors collection », mais cependant, rangés sous des listes contraignantes et restrictives. Ce paradoxe explique peut-être le manque de clarté que nous avons soulignés précédemment à propos des frontières entre les collections. Il reste que pour François David, « une histoire a sa propre exigence de dimension qui échappe ou devrait échapper à ces contingences. »2. L'exigence des collections appellent des contraintes qui peuvent modifier le livre et son aspect littéraire, c'est ce qui est le plus gênant sans doute pour un éditeur qui fait de libres choix dans le but de créer une oeuvre. C'est sous un aspect « artisanal » que l'éditeur conçoit ses livres, tel un artiste peintre qui ne s'encombre pas des contraintes matérielles ou des contraintes de réception pour exercer son art. Quel que soit son critère, la collection a tendance à fixer un cadre dans lequel beaucoup d'oeuvres ne pourront pas entrer. Faut-il pour autant ne pas les publier ou en changer le contenu ? François David, auteur et éditeur, me relate dans notre entretien de la surprise qu'il a eu à la publication d'un de ses ouvrages : Chut ! Chut ! Petit doigt3. A l'origine, le titre était Mon petit doigt m'a dit4, mais pour des contraintes éditoriales la directrice des éditions lui a demandé de changer son titre. Pour l'auteur, rentrer dans des cases peut dénaturer le sens du texte. L'histoire de ces deux ouvrages joue littéralement sur l'expression de langage si familière. En garder le titre était une référence essentielle pour François David. Chut ! Chut ! Petit doigt ne dévoile pas au lecteur cette connotation littérale. Ainsi certaines contraintes typographiques peuvent entraver le sens que l'auteur a voulu offrir au lecteur. Douze années plus tard, les éditions Møtus rééditeront ce texte sous le titre d'origine. Dans son travail d'éditeur, François David privilégie trois axes : la qualité, l'exigence et la liberté des choix. Cette dernière n'est pas toujours

1DAVID François, « Chaussure à son pied» dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p. 26. 2DAVID François, « Hors collections» dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p. 26. 3DAVID François, Chut!Chut!Petit doigt, ill. MOLLIER Myriam, Paris, Père Castor-Flammarion,1997. 4DAVID François, Mon petit doigt m'a dit, ill. LEONARD Aude, Landemer, Mtus, 2009.

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évidente à respecter mais c'est une direction que les éditions Møtus se sont fixées. Les contraintes ne devant pas entraver la créativité de l'auteur ou de l'illustrateur.

Afin de ne pas s'arrêter à ces contraintes, l'éditeur s'adapte. Créer des collections est nécessaire ? Et bien, en voilà une où chaque livre pourra trouver sa place : les « Inclassables ». Est-ce un simple jeu de mots ou une véritable envie de poésie ? Sans nul doute une envie de poésie, parce que la poésie trouve sa place partout dans cette maison d'édition. Ainsi, face à la contrainte de catégorisation et à celle de rentrer dans des cases, les éditions Møtus retirent le cadre, l'élargissent, le suppriment.

« Aux éditions Mtus, nous avons trouvé peut-être une solution en réunissant sous le nom d'"Inclassables" des livres très différents les uns des autres tant pour le format que pour la forme, le texture et l'inspiration : inclassables oui, heureusement. »1

Dans cette collection se côtoient des ouvrages qui jouent avec les formes et avec le sens ; des histoires, de la poésie, des mots d'enfants, des ambigrammes se mélangent aux illustrations variées : du noir, du blanc, des couleurs, des photographies, des sculptures de terre, et des formes et des formats atypiques. Dans les bibliothèques du département jeunesse, ces livres ne sont pas rangés tous au même endroit. On en trouve dans les rayons Poésie, Contes ou Albums.

On pourrait rapprocher la démarche de François David de l'interrogation de Georges

Perec :

« Que me demande-t-on, au juste ? Si je pense avant de classer ? Si je classe avant de penser ? Comment je classe ce que je pense ? Comment je pense quand je veux classer ? [...] Tellement tentant de vouloir distribuer le monde entier selon un code unique ; une loi universelle régirait l'ensemble des phénomènes : deux hémisphères, cinq continents, masculin et féminin, animal et végétal, singulier pluriel, droite gauche, quatre saisons, cinq sens, six voyelles, sept jours, douze mois, vingt-six lettres.

Malheureusement ça ne marche pas, ça n'a même jamais commencé à marcher, ça ne marchera jamais. N'empêche que l'on continuera encore longtemps à catégoriser tel ou tel animal selon qu'il a un nombre impair de doigts ou des cornes creuses. »2

Une envie d'ouverture à tous les possibles définissent cette démarche, dans le souci de ne pas enfermer cette littérature dans un « code unique ». Les éditions Møtus publient peu de livres (six à dix livres par an), mais essaient de mettre en évidence une nouveauté sur chaque projet, afin qu'ils ne se ressemblent pas. En créant cette collection « Inclassables », les

1DAVID François, « Hors collections» dans la revue Griffon, n° 189, Novembre-Décembre 2003, p. 26. 2PEREC Georges, Penser/Classer, Librairie du XXIe siècle, Seuil, Paris, 2003.

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éditions Møtus répondent plus à une logique de liste, à la manière d'Umberto Eco, une liste de littérature contemporaine qui sert à « re-mélanger le monde après que les listes ont servi à des fins d'inventaire, puis d'ordre. »1 S'il fallait parler de collection ce serait alors plus dans le sens où les ouvrages proposés dans cette liste « Inclassables » seraient des pièces de collection, à savoir des livres que leur rareté, leur valeur et leur caractère esthétique désignent pour faire partie d'une collection. François David justifie la spécificité de cette collection ainsi : « Peut-être que les livres que j'ai envie d'écrire ou de publier sont justement des livres qu'on a du mal à ranger. »2

A travers une volonté d'écrire et de publier des textes libres, le catalogue évolutif et les frontières mouvantes des collections dessinent les lignes de force des éditions Møtus,. Une politique éditoriale serait-elle en train de se définir ?

3 - Une « poé-litique »

Le parcours atypique des éditions Møtus, depuis ses débuts artisanaux, jusqu'à aujourd'hui nous interroge sur la politique de cette maison d'édition. Le choix de la poésie pour la jeunesse, un genre doublement spécifique a été la résultante d'un hasard. Comment une politique éditoriale peut-elle tenir le cap de publications toujours aussi proches de ses objectifs alors qu'elle est le fruit du hasard et publie souvent des surprises ?

Dans l'entretien mené avec François David, lui demandant quelle était sa politique éditoriale, il me répond nettement : « pas de politique ! ». François David souligne que les éditions Møtus « dispos[ent] de moyens beaucoup moins importants que les grands éditeurs et de ce fait, [leur] production se doit d'être différente. »3 Les grandes lignes éditoriales des éditions Møtus sont régies par des contraintes économiques, comme toute maison d 'édition, certes et ces contraintes ne permettent pas une marche en avant commerciale très fluide. Chaque projet éditorial doit être pensé, non pas comme l'occasion d'un « best-seller » mais comme la potentialité d'éditer un nouveau projet. Il est vrai que des succès comme La tête dans les nuages4 procurent de grandes satisfactions, celle ne pas s'être trompé en le publiant et celle de rendre possible de nouveaux projets de publication. L'avantage de la structure associative évite de tomber dans une logique mercantile à la recherche de bénéfices. Chaque

1Entretiens avec UmbertoEco : < http://www.telerama.fr/livre/umberto-eco-internet-encourage-la-lecture-de-livres-parce-qu-il-augmente-la-curiosite>.

2DAVID François, Tirelivre, n° 6, Revue annuelle de la bibliothèque de Caen, novembre 2001.

3Ibid.

4

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projet éditorial est pensé comme un projet unique, travaillé individuellement, que les publications précédentes ont permis de financer, une politique au jour le jour où un ouvrage pousse l'autre. Les éditions pourraient envisager d'augmenter le prix du livre. Hedwige Pasquet, présidente des éditions Gallimard Jeunesse1, explique que l'écart entre le coût de fabrication et de revente du livre jeunesse affecte l'ensemble des acteurs de la chaîne du livre jeunesse. Un album pour enfants sera vendu en moyenne de 18 à 20 € (contre une moyenne de 20 et 24 € pour un roman adulte grand format) alors que sa fabrication coûte aussi cher qu'un beau livre d'art2. Le prix moyen du livre jeunesse grand format est inférieur à son homologue de littérature générale, et le prix moyen des livres publiés chez Møtus est inférieur à celui du livre jeunesse en France (entre 8,50 et 14 € ). Mais le prix réduit du livre fait partie de la volonté de rendre la poésie accessible au plus grand nombre. De plus, bénéficiant de subventions pour sa création, la maison d'édition ne trouverait pas normal de proposer des livres à prix élevés, selon François David.

Les prix bas proposés ne réduisent cependant pas l'exigence de qualité dont fait preuve l'éditeur. François David s'est entouré pour créer ses oeuvres des plus grands noms de poètes ou d'illustrateurs. Il assure par ces choix d'une grande qualité des textes et des illustrations qui font appel à diverses techniques artistiques. Cette notoriété assoit le travail de l'éditeur dans une relation de qualité et de confiance entre les auteurs ou les illustrateurs et l'éditeur. « En tant qu'éditeur, il ne me viendrait pas à l'esprit de proposer des modifications à un écrivain comme Michel Besnier ou à un illustrateur tel qu'André François »3 assure François David. Une grande liberté est laissée à ces créateurs, « libre de frayer des voies nouvelles et de témoigner par là qu'il[s] [sont] vraiment [des] créateur[s] »4. Pour François David, il n'est pas question de plier aux contraintes économiques qui amoindriraient cette exigence de qualité et cette liberté créatrice. La confiance est une qualité qui revient souvent dans les témoignages des personnes qui ont travaillé avec cet éditeur. A côté de cette confiance accordée aux artistes reconnus, l'éditeur se dévoile aussi comme un « découvreur » de nouveaux talents. Soucieux de donner sa chance à de jeunes artistes, François David multiplie les rencontres avec les auteurs et les illustrateurs (neuf rendez-vous étaient prévus au Salon du Livre Jeunesse de

1Hedwige Pasquet, présidente des éditions Gallimard Jeunesse, à propos de « Littérature jeunesse : la rémunération des auteurs et des illustrateurs en questions » dans le site « Actualitté, Les univers du livre », le vendredi 22 juin 2012. 2< http://www.actualitte.com/societe/litterature-jeunesse-la-remuneration-des-auteurs-et-des-illustrateurs-en-questions-34917.htm>

3DAVID François, revue Griffon.

4Ibid.

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Montreuil en 2012). François David souligne la difficulté d'illustrer des recueils de poésie, on n'illustre pas un poème comme on illustre une histoire. L'éditeur demande alors aux illustrateurs d'envoyer trois images dont une en noir et blanc. La sélection se fait sur deux-cents illustrateurs, le choix n'est pas simple. Les illustrations d'Aude Léonard1, par exemple dévoilent toute son invention et sa créativité. Les Éditions Møtus ont publié les premiers livres de cette jeune illustratrice dont le talent a tout de suite été reconnu au niveau international puisqu'elle fait partie des cinquante illustrateurs sélectionnés dans le prestigieux catalogue « illustrarte ». Pour les auteurs de poésie, il en est de même. Thierry Cazals, repéré par François David, a publié son premier livre pour la jeunesse aux éditions Møtus : Le petit cul tout blanc du lièvre, recueil de poèmes brefs sur la nature dans l'esprit du haïku. Trois autres livres paraissent ensuite aux éditions Møtus, notamment : L'enfant qui avait peur du silence, Un éléphant au paradis et Mon ami Merlin. Découvreur de « voies nouvelles », l'éditeur fait prévaloir le souci d'originalité et de qualité. En créant la collection « mouchoir de Poche » François David accentue cette originalité, proposant aux auteurs d'illustrer eux-mêmes leur texte. Sans rivaliser avec le travail d'un illustrateur, la place de l'auteur est mise à l'honneur dans cette collection, confrontant son texte avec « une écriture signalétique » dans le sens où la forme graphique choisie doit faire signe et affirmer le texte, telle une « signature » de l'auteur. On trouve dans ces petits formats des auteurs ou des illustrateurs de renom : David Dumortier, Michel Besnier ou François David. On y retrouve aussi les auteurs ou illustrateurs découverts dans d'autres collections : Thierry Cazals, Marc Solal, Christine Beigel, ainsi que des auteurs inconnus jusque-là. La volonté de la diversité est ainsi soulignée, tel une ligne directrice qui plane sur la totalité des publications. Le parti-pris de donner cette liberté à des auteurs divers, François David le tient sûrement de sa qualité d'auteur. Publié chez trente éditeurs différents, il connaît la place de l'auteur et revendique une reconnaissance de ce métier. La plupart des auteurs illustrateurs confirment qu'il est attentif aux droits d'auteurs, aux conditions de publication de leurs textes ou images et se fait souvent le conseiller des jeunes novices qui débutent dans le métier. C'est une philosophie que nous propose cette maison d'édition, reliant l'exigence de qualité, le souci de la diversité et les contraintes économiques, François David propose une production de textes « originaux » créant un lien entre l'auteur vivant et son public.

1Aude Léonard a illustré en 2007 chez Møtus son tout premier livre Le soleil se meurt dans un brin d'herbe. D'autres recueils ont suivi : Une vache dans ma chambre, Mon petit doigt m'a dit. Elle figure dans le catalogue « Illustrarte » en 2007.

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Se mettre à la place du lecteur est aussi une des clés de sa politique :

« Je me demande simplement si l'intérêt du jeune lecteur n'est pas aussi d'être confronté à la
diversité, à la surprise, voire à certaines difficultés car après tout, s'il ne rencontre guère de

constructions ou d'expressions nouvelles dans ses lectures, comment les découvrira-t-il ? »1

Il s'agit de faire confiance au lecteur, l'enfant, dans son désir de découverte dans sa curiosité naturelle, et dans sa bienheureuse naïveté. Le travail de l'éditeur est de mettre en place ce fragile équilibre entre les auteurs et les lecteurs. Sans idée préconçue sur la finalité d'un projet éditorial, l'éditeur est « découvreur » de talents, accordant une grande confiance aux créateurs, et « metteur en scène » de ses talents que le public, espère-t-il, rencontrera. Etre éditeur pour François David, c'est accepter de prendre le risque de l'incertitude, sans savoir à l'avance ce qu'un livre dit « de jeunesse » doit être, comment il doit être fabriqué, écrit, illustré, l'incertitude de savoir à quel âge il s'adresse, à quelle collection il appartient.

Ces livres doivent être des surprises, dans le sens de « cadeaux » offerts aux jeunes, et moins jeunes lecteurs. C'est une « poé-litique » éditoriale que nous propose François David, une philosophie du livre, de sa conception à sa réception, mettant la poésie à l'honneur. Puisque c'est ce genre moins lisible que d'autres qui a été choisi, peu représenté dans le domaine de la littérature pour la jeunesse, il faut, sans aucun doute, exiger un travail de création et d'originalité qui la rendra accessible, une poésie inédite, contemporaine qui doit pouvoir s'offrir. Comment le travail éditorial des éditions Møtus est-il reçu dans le domaine de la littérature pour la jeunesse ? L'objectif de rendre la poésie moins hermétique est-il atteint ?

C - Une reconnaissance

En analysant les prix qui récompensent les créations des éditions Møtus, en faisant un détour sur les étalages des bibliothèques et des librairies, et en consultant les revues de littérature pour la jeunesse, nous pourrons tester la visibilité de ses productions. Ceci constituant un des critères pour rendre la poésie plus accessible, nous pourrons ainsi vérifier si l'objectif est atteint.

1 - Les prix de poésie

Le nombre de prix littéraires en France, très médiatisés pour la plupart, rythme les saisons des lecteurs et des éditeurs. Tout est établi de façon à ce que les sorties des ouvrages,

1Ibid.

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susceptibles de recevoir un prix, entrent dans un calendrier annuel préétabli. La durée médiatique du livre lauréat est courte et le prix reçu laisse la place à un second prix programmé. A l'instar du catalogue, le prix est aussi une vitrine pour l'éditeur et permet un accroissement des ventes considérable de l'ouvrage sélectionné, ainsi que celui des ouvrages nominés. Or en poésie générale, il existe beaucoup de prix mais pratiquement aucun n'est relayé par les médias. Ici encore, le passage de l'information se fait dans un cercle intime de connaisseurs et d'amateurs (Prix Max jacob, Prix Guillaume Apollinaire, Prix du Printemps des Poètes...) relayés par des cercles de poètes, des villes, des maisons de poésie, des sites internet qui souvent sont en même temps à l'origine de ces prix.

Pour ce qui est de la littérature pour la jeunesse, peu de ces prix de poésie se font le relais des publications pour la jeunesse. D'ailleurs, il en existe peu et l'on peut se demander si la double étiquette de « genre mineur » n'est pas dans ce domaine presque palpable. La littérature pour la jeunesse, et la poésie en particulier suscitent des débats vifs sur sa légitimité qui auraient tendance à réduire aussi sa visibilité et son besoin de reconnaissance, à côté d'une littérature plus générale. Pourtant et grâce à des relais qui veulent sortir la poésie de son carcan, quelques initiatives, même rares, sont à souligner. Il faut cependant, à y regarder de plus près, constater aussi que quelques grands prix de littérature pour la jeunesse, de renom, ne prennent pas non plus la position de passeur de poésie. En effet, Les prix Sorcières, par exemple qui est peut-être le prix le plus médiatisé en littérature pour la jeunesse ne propose pas de catégorie poésie. Rappelons que le Prix Sorcières est un prix qui distingue chaque année, depuis 1986, une oeuvre de la littérature jeunesse, sélectionnée parmi les publications par l'Association des Libraires Spécialisés Jeunesse (ALSJ) en partenariat avec l'Association des bibliothécaires de France (ABF) depuis 1989. Pourtant, la revue « Citrouille » de l'ASLJ publie tous les mois un magazine d'information sur la littérature jeunesse, dans lequel apparaît la rubrique Théâtre, Poésie, Contes. De même, le très prestigieux Salon du livre et de la presse jeunesse de Seine Saint-Denis décerne « les pépites » du salon, prix qui récompensent de nouvelles créations. Parmi les huit catégories proposées, aucune ne décerne de prix pour la poésie pour la jeunesse. Inutile de chercher dans les médias la place de la poésie, elle ne s'y trouve pas encore de façon très visible. Il est nécessaire de rentrer dans un cercle plus spécifique de poésie pour y trouver des prix qui encouragent la création poétique pour la jeunesse.

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Parmi ceux-là, le prix Poésyvelines des collégiens est un prix départemental mis en place en 2010 par le Conseil général des Yvelines et qui prend appui sur la Maison de Poésie de Saint Quentin en Yvelines. Ce prix récompense un recueil de poésie contemporaine d'expression française. Un jury de collégiens, sous la responsabilité d'un adulte, envoie son classement à un jury départemental qui regroupe les sélections. Le prix des découvreurs de la ville de Boulogne-sur-mer est un prix décerné sur le même principe. Depuis 1997, ce prix est décerné par un jury ouvert constitué de lycéens et de collégiens de troisièmes (plus d'un millier pour l'édition 2011) de différents établissements volontaires de l'ensemble des académies de France. De nombreuses initiatives encore par des médiathèques ou bibliothèques de ville, soutenues par les villes et les départements proposent des Prix afin de médiatiser le fonds de poésie, de le rendre plus vivant, en proposant la lecture de poètes contemporains et une sélection de poèmes préférés des lecteurs. C'est le cas par exemple du prix Mon poète à moi qui s'adresse aux plus petits (4 à 6 ans). Ces initiatives restent locales et les répercussions nationales ne sont pas flagrantes. Il n'existe pas, par exemple, de liste des ouvrages sélectionnés accessibles et on ne peut pas savoir si les éditions Møtus y sont bien représentées .

On trouve aussi des initiatives plus médiatisées : le prix poésie des lecteurs lire et faire lire initié par l 'association Lire et Faire Lire et le Printemps des Poètes tous les ans, depuis 2003. Le principe est de faire découvrir quatre ouvrages de poésie, sélectionnés par un comité de professionnels du livre, aux enfants des écoles maternelles et primaires et des collèges. Après ces lectures, le recueil du lauréat est choisi : les choix des lecteurs sont recensés, par l'intermédiaire d'un bulletin de vote, au niveau départemental puis au niveau national par Lire et faire lire. Møtus a vu ses ouvrages nominés six fois sur treize sélections et ces auteurs obtiennent le prix trois fois (en 2004 pour Le rap des rats de Michel Besnier, en 2006 pour Poèmes sans queue ni tête, d'après Edward Lear, adapté par François David, et en 2008 pour Grand-mère arrose la lune, de Jean Elias ) et détient, de ce fait, le palmarès des prix obtenus sur les huit maisons d'éditions représentées depuis 2003. Ce palmarès est une façon de récompenser le travail de l'éditeur, confirmant ses choix et sa volonté de se placer sur le marché d'une poésie jeunesse vivante. L'autre prix reconnu sur le territoire français est le prix Joël Sadeler1. Créé en 2001 à l'initiative de l'association L'épi de seigle pour promouvoir la poésie pour la jeunesse, ce prix s'adresse aux éditeurs francophones et récompense un

1SADELER Joël : poète sarthois décédé en 2000.

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ouvrage de poésie jeunesse publié l'année précédente, d'un auteur vivant. En juillet 2003, il devient, le prix Joël Sadeler-Ville de Ballon et l'association Donner à Voir reprend la maîtrise des contacts avec les éditeurs, la constitution du jury, l'annonce et la publication des résultats. Là encore, les éditions Møtus se distinguent puisqu'en douze années de sélection, trois de leurs ouvrages ont obtenu le prix (en 2005 pour Mes poules parlent, en 2009 pour Je dors parfois dans les arbres et en 2012 pour Un éléphant au paradis). Fait marquant, sur les dix éditeurs d'où proviennent ces ouvrages, aucun n'a été nommé plus d'une fois, seules les éditions Møtus le sont trois fois.

Outre les prix obtenus pour les publications de poésie, les éditions Møtus ont été remarquées pour Les bêtes curieuses (illustré par Henri Galeron) à travers sa nomination au prix de l'illustration Hans Christian Andersen 2012. C'est le plus grand prix international qui récompense, tous les deux ans, les auteurs et illustrateurs de littérature pour la jeunesse. La plus haute distinction pour un auteur de livre pour enfants parfois surnommé « le petit prix Nobel de littérature ». Les seuls auteurs et illustrateurs français à l'avoir obtenu sont René Guillot en 1964 avec Le grand livre de la brousse et Tomi Ungerer en 1998. Motus a obtenu aussi le prix Bernard Versele1 pour son recueil poétique Mes poules parlent en 2007. L'ouvrage Noir / Voir a reçu le prix de La Nuit du Livre2. Les illustrations d'Aude Léonard dans ce premier recueil Le soleil meurt dans un brin d'herbe ont aussi été remarquées. Elle figure dans le catalogue international « Illustrarte » 2007 où près de 1500 illustrateurs venus de soixante pays sont sélectionnés à la Biennale Internationale de l'illustration pour enfants de Lisbonne, pour le grand prix, les mentions spéciales et la sélection de cinquante illustrateurs pour le catalogue et l'exposition. Lisa Nanni qui a illustré Du sucre sur la tête3 fait partie de la sélection du catalogue « Illustrarte » 2012.

Les prix de poésie, contrairement à ce qu'ils indiquent, ne sont pas des récompenses financières qui permettraient à un auteur une autonomie créatrice. Par contre, ils sont pour les auteurs et les illustrateurs une reconnaissance dans le domaine littéraire de jeunesse et dans celui de la poésie en particulier, un encouragement à la création. Par ces différents prix et récompenses des auteurs ou illustrateurs que les éditions Møtus ont accompagnés, on peut

1Le Prix Bernard Versele est prix littéraire récompensant les oeuvres de littérature pour la jeunesse. Il a été créé en 1979 en hommage à Bernard Versele, psychologue qui a consacré sa vie professionnelle aux enfants. Il récompense des ouvrages choisis par un jury composé d'enfants de 3 à 13 ans. Ils étaient 45 000 à participer à ce choix en 2012.

2La Nuit du Livre® est un prix littéraire original qui célèbre la beauté dans les livres, ces chefs-d'oeuvre qui révèlent deux talents : celui de l'auteur, qu'il soit écrivain, photographe ou illustrateur, mais aussi celui du fabricant.

3Op.cit.

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d'ores et déjà parler de l'éditeur comme un « découvreur » de poésie, étape indispensable à sa médiation.

Certes, ces prix sont impulsés par des cercles de poésie déjà convaincus de sa nécessité, mais ils contribuent à une représentation et une visibilité bien réelle dans ce vaste monde de la littérature de jeunesse.

2 - La place médiatique, la visibilité

A l'instar des prix décernés, la place médiatique offerte à la poésie est retreinte et sa visibilité s'en trouve amoindrie. Dans une société où la médiatisation du livre passe par une forte publicité, le constat que les productions poétiques inédites ne rentrent pas dans les rouages du marché du livre est criant.

Dans les revues de littérature de jeunesse, régionales ou nationales, la place accordée aux publications « poésie » est limitée, quand cette rubrique n'est pas inexistante. Les éditions Møtus implantées en province, dans le département de la Manche, jouissent d'une visibilité locale régulière. La presse locale, les revues des bibliothèques départementales et régionales leur consacrent régulièrement des articles dès la parution d'un nouvel ouvrage ou lors d'une intervention locale dans les classes, les médiathèques ou d'autres lieux d'exposition. En 2012, le conseil général et la Bibliothèque départementale de prêt de la Manche, dans le cadre du quatorzième Printemps des poètes, leur ont consacré une exposition : « Møtus ! Un éditeur manchois...qui fait du bruit ». Des expositions, des rencontres avec des auteurs, des illustrateurs et François David, des ateliers de création, des lectures et des mises en voix musicales des poèmes édités chez Møtus ont été programmés dans les bibliothèques de la Manche. Une brochure illustrée a été éditée à cette occasion laissant découvrir les animations du mois de mars au mois de mai 2012 soulignant les spécificités des éditions Møtus et privilégiant les rencontres avec le public. Localement, une revue littéraire1 leur consacre régulièrement un article à l'occasion de la sortie d'un album ou de la programmation d'une rencontre, d'un salon du livre local. Cette communication permet, outre la reconnaissance locale de la structure, une communication sur la poésie pour la jeunesse. Au niveau national, les éditions Møtus apparaissent dans les revues critiques spécialisées de littérature pour la jeunesse2 qui soulignent cette double spécificité de publier de la poésie pour la jeunesse.

1Livre/Echange, revue trimestrielle consacrée à l'actualité du livre et à la vie littéraire en Basse-Normandie. 2Griffon, La revue des livres pour enfants, Ricochet.

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Le nombre de livres des éditions Møtus dans les librairies reste cependant dérisoire. Sur cinq librairies visitées à Caen, trois librairies générales avec une partie réservée à la littérature jeunesse n'ont aucun livre de cette édition à disposition. Même s'ils connaissent le nom de la maison d'édition et l'emplacement régional, les libraires ne proposent que des ventes sur commande. Une autre structure, plus grande, propose un petit rayon poésie générale dans lequel un bac à disposition des enfants présente des ouvrages de poésie pour la jeunesse : on trouve alors deux ouvrages de Møtus, contre sept ouvrages de Cheyne Editeur et treize ouvrages de Rue du Monde (la plupart des titres appartiennent à la liste de l'Education nationale). Le dernier album Un rêve sans faim1 est présent au rayon albums. Dans la librairie spécialisée jeunesse du centre ville de Caen, vingt-six titres sont consultables (cent-vingt-quatre volumes). Cette forte représentation des éditions Møtus s'explique par la venue prochaine sur le stand de cette librairie au Salon du Livre de Caen de l'auteur Thierry Cazals qui viendra dédicacer son livre édité chez Møtus. La libraire nous confie en avoir, en temps normal, la moitié à disposition, soit une douzaine. A la FNAC, grande chaine de distribution du livre, tous les ouvrages des éditions Møtus sont disponibles sur commande mais aucun ouvrage n'est en stock dans le magasin. Les rayons Poésie de cette enseigne témoigne du peu d'intérêt pour le genre. Pour les plus grands, le rayon Arts Musique et Poésie ne propose aucun ouvrage de poésie. Et on peut remarquer la présence de quelques albums de Rue du monde et de Bayard Jeunesse dans le rayon Poésie et Comptines pour les plus jeunes. Les recueils de comptines prennent apparemment la place dans ce rayon somme toute assez important. Dans les rayons librairie jeunesse des trois grandes chaines commerciales autour de Caen, aucun ouvrage de poésie pour la jeunesse n'est présent. Que nous disent ces chiffres ? D'une part que les libraires sont victimes d'une très grande production et d'un turnover important, les sorties très médiatisées sur un temps très court de romans laissent peu de place à un stock de poésie qui a besoin d'une plus longue période de consultation pour se faire connaître, étant moins médiatisé. La poésie contemporaine qui a besoin de temps, survit difficilement dans un marché du livre de plus en plus rapide. D'autre part, la poésie générale étant déjà peu visible en librairie, la spécificité de poésie spécialisée jeunesse restreint d'autant plus cette visibilité. La crise médiatique dont parlait Yves Bonnefoy en 1992 semble encore contemporaine au regard des vitrines de nos librairies. Notons, de plus, que Caen est la capitale régionale bas-normande, que les éditions Møtus en sont la seule structure éditrice

1Op.cit.

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pour la jeunesse localement. On pourrait espérer une représentation plus grande de cette maison d'édition dans les librairies locales. Du côté des bibliothèques, le constat diffère. La poésie étant un genre qui se prête à la lecture et à la relecture, les bibliothèques s'efforcent de proposer à leurs utilisateurs les genres les plus diversifiés possibles. Loin d'égaler le nombre des contes ou des romans pour enfants, la poésie est cependant bien représentée dans les bibliothèques de la ville de Caen. On trouve par exemple tous les titres de la collection Pommes Pirates Papillons des éditions Møtus (20 recueils de 1992 à 2010).

Au niveau national, la présence en librairie des livres de poésie de Motus est incertaine. La spécificité régionale, déjà peu soulignée, certes, en Basse Normandie ne pèse plus sur le reste du territoire. Ainsi, au hasard de promenades dans quelques librairies bretonnes, peu de libraires connaissent les éditions Møtus. Paris connaît une situation particulière car l'éditeur avait pris soin de travailler avec un représentant sur cette région et les éditions y sont plus présentes. Pourtant les publications de Møtus ont souvent été repérées par les médias nationaux comme France Inter dans « L'as-tu lu mon p'tit loup ? »1 ou la presse dans Le Nouvel Observateur, ou Le Soir, grand quotidien belge qui a à diverses reprises accordé une large place aux éditions Møtus. Les revues spécialisées jeunesse accordent aussi une place importante aux ouvrages publiés chez Møtus. Ainsi, Janine Despinette2, a souvent fait référence aux ouvrages de Møtus. Ils sont aussi souvent remarqués par Carla Poesio3 qui s'est spécialisée dans la littérature jeunesse internationale. Le cercle universitaire fait aussi référence aux éditions Møtus, c'était le cas de l'université du Maine qui a accueilli François David, éditeur, lors du troisième colloque international (2011). Comment fonctionne la médiatisation de la poésie contemporaine pourtant si vigoureuse, reconnue et en même temps si peu visible ? L'économie de la poésie, nous le constatons, s'oppose aux théories dominantes du marché du livre. Cependant, la poésie contemporaine vit grâce à ses réseaux spécifiques. L'engagement des éditeurs, de quelques libraires, des associations ou des maisons de la poésie aident à la montrer, à la partager. François David et de nombreux auteurs ou illustrateurs publiés aux éditions Møtus, sillonnent les sentiers de traverses, les chemins buissonniers, loin de l'autoroute de la diffusion du livre, des chemins qui permettent les rencontres et font

1"L'as-tu lu mon pt'it loup" est une chronique hebdomadaire consacrée à la littérature enfantine, produite et présentée par Denis Cheissoux sur France Inter.

2 Janine DESPINETTE, critique littéraire et chercheuse, est fondatrice du Centre International d'Etudes en Littérature de Jeunesse (CIELJ) et co-fondatrice du Site Ricochet "Le site de référence sur la littérature pour la jeunesse" (qui reçoit 4 millions de visiteurs par an).

3Carla POESIO est critique littéraire spécialisée dans la littérature jeunesse et internationale. Elle fait partie des membres du Jury du Bologna Children's Book Fair, le plus important de tous les salons internationaux du livre jeunesse.

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rencontrer la poésie à ses lecteurs. Le choix de prendre un diffuseur depuis le début 2013 doit permettre de modifier les choses sur le plan national. Les mises en place des nouveautés des éditions Møtus ont été multipliées par cinq depuis le début de l'année.

La production poétique contemporaine est donc peu visible et c'est à travers des réseaux spécifiques, impulsée par des personnalités convaincues et des politiques d'Etat, qu'elle est médiatisée. Le risque est que la poésie se trouve piégée dans un cercle confidentiel. Mais si sa médiation est la condition préalable de sa rencontre avec le public, il semble que le renouveau poétique à l'école soit l'occasion des prémisses de cette médiation.

3 - La place à l'école : devenir « classique »

La reconnaissance du travail patient et passionné des éditeurs de poésie pour la jeunesse passe par les prix, la place médiatique et la reconnaissance que l'institution pédagogique donne à certains auteurs contemporains.

Nous l'avons vu, le renouveau poétique est une volonté de l'Education nationale, et les titres proposés dans les listes sont le reflet de cette volonté de renouveau. Sorties le 31 janvier 2013, les nouvelles listes de référence de livres de littérature pour le cycle 2 et le cycle 31 proposent de nombreux ouvrages des éditions Møtus : pour le cycle 2 : Mes poules parlent, Noémie lit et crie, Le petit cul tout blanc du lièvre dans la catégorie Comptines, abécédaires et jeux langagiers, Mère la soupe dans la catégorie Contes et Fables, Est-elle Estelle ?, La petite fille qui marchait sur les lignes dans la catégorie Albums ; pour le cycle 3, Nasr Eddin Hodja, un drôle d'idiot dans la catégorie Contes et Fables, Le rire des cascades, Le soleil meurt dans un brin d'herbe, dans la catégorie Poésie. Pour le collège, la liste, réactualisée en 2012, propose deux ouvrages de poésie : Mon Kdi n'est pas un Kdo et Un rêve sans faim. Dans une interview de 2012, François David affirmait que le succès de certaines de ses publications tenait à « ce que plusieurs de ces titres ont été salués par des Prix de renom et qu'un grand nombre de poèmes qui les composent font maintenant partie d'anthologies et de manuels »2. Ces onze ouvrages sélectionnés participent effectivement à la reconnaissance de la maison d'édition mais favorisent aussi la rencontre des médiateurs et des éducateurs avec les textes inédits de poésie. Ils deviennent de ce fait une référence commune à tous les enseignants et aux enfants des classes françaises. La résultante n'est pas négligeable, elle permet une ouverture sur le travail des éditions Møtus. En accord avec Jean-Pierre Siméon, on constate

1MEN-DGESCO, La littérature à l'école, Listes de référence, 2013, eduscol.education.fr/litterature-ecole. 2DAVID François, « La poésie Jeunesse : des paroles d'éditeurs », Griffon n° 231, mars-avril 2012, p.8.

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que « dans le domaine de la poésie, le répertoire fourni aux enseignants par l'usage, l'édition ou l'institution via les manuels et les anthologies est le lieu quasi exclusif où, d'une part, se constituent les représentations [que se font les enseignants de la poésie] et où, d'autre part, elles se perpétuent, c'est-à-dire, à proprement parler, elles font école »1. La liste fait foi, de ce fait, elle fait connaître les ouvrages qui sont reconnus comme des références incontournables et la majorité des enseignants, premiers médiateurs de ce genre auprès des enfants, n'entrent souvent en contact avec la poésie qu'à travers cette liste. Figurer dans « la » liste de référence des oeuvres de littérature jeunesse pose aussi paradoxalement le problème de la reconnaissance d'autres textes qui n'y figurent pas. Par essence, le choix est toujours aussi le résultat d'une exclusion. « La » liste devient ainsi « la » référence incontournable à laquelle on doit se référer. A la place d'être une ouverture sur les textes elle procure une contrainte due à ses propres limites. Pour François David, « lorsque cette liste devient obligatoire et que les autres ouvrages, hors liste, sont méconnus ou réduits à la portion congrue, on peut quelque peu s'interroger. Et espérer que la littérature, surtout "jeunesse", invite le lecteur à se délivrer de tout guide imposé... »2. L'année où François David écrivait cela, effectivement, un seul titre des éditions Møtus appartenait à la liste de référence de 2002. C'est peu mais la progression du nombre de titres référencés sur la liste 2013 a permis une reconnaissance des ouvrages publiés. Ce sont ces ouvrages que l'on trouve dans les maigres rayons des libraires quand ils existent. Certes, la liste reste encore restreinte mais elle permet une culture commune aux enfants des classes françaises et une visibilité pour Møtus à l'échelle nationale, au sein de la profession des Professeurs des écoles, ce qui n'est pas négligeable. Ce qui nous amène à une autre problématique : n'y a-t-il pas un paradoxe à vouloir faire de ces poèmes sélectionnés des pépites de littérature classique alors qu'ils se revendiquent comme « nouveaux et insolites » ? La poésie contemporaine, inédite, peut-elle devenir « classique » dans le sens où nous le décrivions au début de ce mémoire ? Et n'aurions-nous pas, à nouveau, des noms de poètes imposés à l'école comme les seuls ouvertures possibles sur une poésie balisée ? Devenir « classique » comporte cette ambiguïté d'une ouverture sur une culture commune mais aussi d'un enfermement dans une liste qui peut s'affadir et vieillir et qui restreint les ouvertures vers d'autres textes. Il en va de la responsabilité des médiateurs, qui permettront aux enfants de « découvrir peu à peu, patiemment, librement, son propre guide, unique, en soi »3. Pour Jean-

1SIMEON Jean-Pierre, La vitamine P, Op.cit. p. 157.

2DAVID François, « Du vin dans son eau », Griffon n° 189, novembre-décembre 2003, p. 22. 3Ibid.

Pierre Siméon1 aussi, les autres occasions de rencontrer la poésie par une démarche spontanée et volontaire sont tellement rares que l'idée de poésie se forme à partir du corpus livré par l'édition pédagogique.

L'enjeu alors n'est plus seulement d'éditer des textes de poésie et la façon de le faire, mais devient le moyen de faire « passer » la poésie : comment les textes inédits s'offrent-ils aux lecteurs, comment faire découvrir des poètes sans en imposer une liste restrictive ? Comment amener le lecteur à s'ouvrir sur une autre poésie, en fait comment former des poètes ? Il semblerait que la poésie soit mouvante, vivante, et qu'elle ne se satisfasse peu des carcans dans laquelle on la confine, voire qu'elle s'y oppose par nature. Il n'est pas facile de faire passer un genre qui évolue, qui est divers, multiple, diffus dans d'autres genres, pourtant c'est aussi un des enjeux pour que vive la poésie. C'est aussi une de ses richesses qui font de la poésie un genre à part.

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1SIMEON Jean-Pierre, La vitamine P, Op.cit. p. 157.

Chapitre III - Møtus : passeur de

poésie

(c)Mtus

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Dans sa démarche éditoriale, Møtus a su s'imposer ces 25 dernières années, parmi les éditeurs, comme un précurseur de la poésie ouverte à la jeunesse, un artisan qui façonne le texte, le dépose sur la route de ses lecteurs. Reconnus par les médiateurs du livre et par les instances publiques, nommés par les critiques littéraires, les ouvrages des éditions Møtus, par leurs choix ont participé au renouveau poétique tant attendu. Les rencontres avec le public sont encore un enjeu que les éditions Møtus n'ont pas laissé aux mains du hasard. Le texte même, nous y viendrons, nous laisse entrevoir que cette poésie est libre de toute contrainte, vivante dans la lettre, une poésie « sans fin » en somme.

A - Volonté de faire vivre « la poésie »

Dans cette volonté de ne pas laisser se ternir la poésie, on peut dégager trois axes chez Møtus qui font de cette poésie offerte aux enfants une poésie vivante, contemporaine et ancrée dans le quotidien. On trouve trois expériences qui jouent sur l'impact visuel et l'impact sonore et qui permettent de mettre la poésie à portée de main du public.

1 - Sortir la poésie des murs : les Poèmes-affiches

La première de ces expériences remonte au début de la maison d'édition, avant les publications destinées à la jeunesse. Lors d'un stage où François David présentait avec passion la poésie contemporaine, le bilan des enseignants fut de trouver la poésie contemporaine compliquée, enfermée dans une tour d'ivoire, beaucoup moins accessible que celle des poètes comme Victor Hugo. Désespéré, François David décide alors de faire des « poèmes-affiches ».

Pendant un an, dans la Manche, non seulement dans les maisons de la culture, mais aussi sur les murs des commerçants, sur les murs de la ville et dans les lieux de vie, les bénévoles de l'association ont collé des affiches sur lesquelles étaient inscrits des poèmes au milieu d'illustrations. Chaque affiche était l'occasion d'une rencontre entre un poète et un peintre. Le format imposé était un carré pouvant se déplacer sur l'axe médian, pour y inscrire le poème et l'illustration pleine page. Quelques grands noms de la poésie et de l'illustration se sont prêtés au jeu : Pierre Lebigre, André François, Michel Besnier... La taille des affiches est de 40 cm x 60 cm et les poèmes s'adressent aux adultes, la décision de s'adresser à la jeunesse n'étant pas encore née. Une affiche peut rentrer dans la catégorie jeunesse cependant, celle

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d'André François : « Un dragon peut en cacher un autre » qui représente le paysage du Cotentin, ses rives sauvages et découpées, vues par l'illustrateur, transfigurées en dragon dormant. Cette expérience n'a pas duré longtemps mais l'impact a été important : pendant un an « la poésie sortait de ses murs et rencontrait son public »1. Les gens ont vraiment rencontré la poésie, offerte, gratuite, et « ont réagi avec passion à ces poèmes-affiches »2, l'objectif était atteint : faire sortir la poésie des livres pour l'inscrire dans l'espace public. Lorsque la poésie est offerte aux yeux des lecteurs, elle suscite des réactions inattendues, elle s'impose visuellement et sensibilise le public. Elle devient de facto un sujet dans la polis, la cité et revêt une fonction politique. Tous les mois de cette année, les villes et villages de la Manche ont permis une lecture gratuite de la poésie à un public auquel elle n'est pas accessible habituellement. Ces affiches n'étaient pas à vendre, la seule volonté de la rencontre entre le citoyen et la poésie dominait. L'impact visuel de ces affiches a permis un contact, peut-être le seul, entre un lecteur et un poème.

Après ce succès, les bénévoles décident de publier ces poèmes-affiches qui sont aujourd'hui l'une des spécificités des éditions Møtus. Dans le catalogue ils sont regroupés sous la rubrique : Poèmes-affiches et Cartes postales. On pourrait penser à l'indication d'une allée d'un magasin de souvenirs. C'est peut-être la volonté de cette maison d'éditions, justement, de faire en sorte que le poème peut s'emporter sous le bras comme le poster de la région visitée, la carte postale régionale qui permet de montrer, donner à voir l'endroit où l'on s'est reposé. La poésie est un pays duquel on peut prélever quelques éclats pour s'en souvenir, une carte postale, des posters qui nous laisseront le souvenir d'une contrée que l'on a visitée et qui donneront aussi sans doute l'envie de la partager avec d'autres, l'envie de la faire découvrir. Ces poèmes-affiches ont deux fonctions : celle de la rencontre visuelle avec un lecteur et celle d'une envie de partage avec d'autres lecteurs potentiels. On accroche ce poème-affiche dans un espace où l'on veut qu'il soit lu et vu. On assiste à une des spécificités des éditions Møtus de sortir la poésie des livres fermés, la donner à voir, la donner à lire et comme un effet de ricochet, la proposer à l'infini, à d'autres lecteurs dans d'autres lieux, à l'instar de cette collection si bien nommée « Mouchoir de poche », faite de petits livres que l'on peut transporter dans sa poche.

Dans le rayon « Poèmes-affiches », aujourd'hui, on peut retrouver les premières affiches qui militaient pour une poésie « hors des livres », sur papier affiche, au prix de 4,60 €

1DAVID François, La revue des livres pour enfants n°258, Op.cit. p. 90.

2DAVID François, Tirelivre, n° 6, Revue annuelle de la bibliothèque de Caen, novembre 2001.

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prix modique qui contribue à l'accessibilité de la poésie, ou sur « très beau papier » au prix de 15,50 €, proposant une esthétique fidèle aux premières publications pour adultes des éditions Møtus. Ils sont au nombre de dix et ils proposent des textes brefs qui pourront être lus et relus, comme celui de H. Labrusse1 : « Il y a des mots que nous scellâmes dans la maison. Hors du cercle. Hors des murs. La plus ancienne différence garde encore auprès d'elle, en sa parure, dire et présence, essor et décision. » Ce poème se présente sur l'affiche « Les couleurs » dans un carré central où les mots, tassés les uns à côtés des autres, sans alinéa, sans mise à la ligne, semblent piégés dans ces quatre limites que constituent le contour du carré. Il s'agit bien de sortir les mots prisonniers de la page afin de les offrir à la lecture directe. La collection des « Poèmes-affiches » s'est étoffée des poésies destinées à la jeunesse. Une série reprend les illustrations et poèmes des deux ouvrages : Les poètes et le clown et La tête dans les nuages. Dans cette série en couleur deux posters donnent les clés des éditions Møtus : l'un est l'illustration poétique du « Doigt sur la bouche » d'Henri Galeron, faisant référence au nom de la maison d'édition, l'autre est un poème de François David, destiné aux enfants et qui parle de Møtus :

Motus - tu sais - c'est des délires - lire et - aimer - mériter - tes sourires - hirondelles - dès l'aurore - or des feuilles - oeil d'un mot - oh petit - innocent - s'en allant - en secret - créer des - dessins d'ânes - d'animaux -

L'enchaînement des phonèmes est accentué par l'écriture des mots placés tout autour du poster, les uns à la suite des autres, permettant de lier les deux mots animaux et motus dans la même dynamique de l'effet poétique recherché : une boucle. L'illustration de Pierre Lebigre apporte à ce poème une autre touche sensible au poète : le clown en équilibre jongle avec des balles où sont inscrites les lettres du mot møtus. La sensation que tout peut arriver, que rien n'est figé, la sensation que de la fragilité naît la surprise sont représentées dans ce poster. Motus s'affiche comme un jongleur de mots, en équilibre, qui se doit de « mériter [les] sourires » des enfants. Une autre série de poèmes-affiches destinés aux enfants est proposée en noir et blanc (30 cm x 40 cm) et reprend les poèmes et illustrations que l'on peut trouver dans la collection « Pommes Pirates Papillons ». Dans ces quatorze affiches on retrouve des extraits choisis mais aussi l'illustration de la couverture de Guerre et Paix de Selçuk et le « logo maison » un calligramme de Møtus : le M dessine les contours d'une « drôle » de

1LABRUSSE Hugues, né le 21 juin 1938, est écrivain (poète et essayiste), agrégé de l'Université (Philosophie), professeur honoraire et membre de la commission du livre au Centre Régional des Lettres de Basse-Normandie.

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maison aux deux toits pointus, le ø est figuré par un soleil barré d'un vol d'oiseau, ailes déployées, le T est le poteau électrique reliant des fils qui viennent et qui repartent, le U est figuré par une brèche dans un mur de pierre et le S est dessiné comme un chemin sinueux dont on ne connaît pas le point de chute. Le voyage, la différence, la relation, la découverte, la surprise, la mise en relativité, telles sont les invitations que nous proposent ce « logo maison », à l'image des éditions. Le coût de ces poèmes-affiches reste très abordable (2,30 € en noir et blanc et 3,80 € en couleur) ce qui favorise l'acquisition d'une affiche que l'on peut commander sur le catalogue ou le site de Møtus .

L'impact visuel de ces affiches permettra sans aucun doute l'interrogation immédiate chez l'enfant qui le découvrira. Certes, ces affiches ne pourront jamais remplacer le livre de poésie, elles n'en ont sans doute ni la prétention ni la teneur. Mais elles fournissent, à l'instar de l'expérience menée au début des éditions Møtus, l'occasion d'une approche singulière, d'un impact direct de la poésie chez le jeune lecteur et à la fois l'occasion d'une poésie visuelle quotidienne. Accrochée sous nos yeux, la poésie parvient à proposer des ouvertures vers un ailleurs possible derrière ces murs, comme des brèches de liberté sur nos quotidiens cloisonnés. L'objectif de sortir la poésie des murs est ici parfaitement calculé. Mais il est une autre spécificité que les éditions Møtus mettent en avant afin d'amener la poésie au coeur du quotidien, c'est la collection des Livres-objets.

2 - Une poésie du quotidien : les livres-objets

Si les poèmes-affiches sont une autre façon d'offrir la poésie à tous, les livres-objets sont encore un moyen de faire découvrir la poésie aux enfants, sous une forme moins conventionnelle que le livre. Le mot même « livre-objet » interroge : s'agit-il d'un livre ou d'un objet ? Le texte est-il mis en avant ou l'objet prime-t-il sur le texte ? En quoi les livres-objets participent à rendre la poésie plus accessible ?

Il existe un antécédent avec les poèmes-objets d'André Breton qui apporte avec le surréalisme une nouvelle approche de la poésie. En 1942, il en propose cette définition : « Le poème-objet est une composition qui tend à combiner les ressources de la poésie et de la plastique et à spéculer sur leur pouvoir d'exaltation réciproque ».1 Pour Breton, ce « jeu » des mots avec les objets doit pouvoir provoquer une « sensation nouvelle », « inquiétante et complexe ».

1Repris in Le Surréalisme et la peinture, Gallimard, 1965. Cf. Je vois J'imagine, Poèmes-objets, Gallimard, 1991, p. 8.

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La sensation est-elle convoquée dans ces livres-objets que nous propose le catalogue ? Bracelet, collier, boucles d'oreilles, valise, poupée russe, bloc-note, bouteille, porte-clé, boîte d'allumettes invitent les sens. Mais le support est l'occasion d'y inscrire un poème. Le poème se fait le prolongement de l'objet : il est ce que François David nomme un « pré-texte ». Ainsi dans l'entretien qu'il accorde à La toute petite Librairie à Gannat1, il parle du poème La Petite fille aux allumettes n'est pas morte qui fut d'abord une rencontre avec l'objet, une boîte d'allumettes. La conception du poème est venue à la suite de cette rencontre. François David explique que cet objet est à l'origine du poème « Sans[...]la boîte d'allumettes, jamais je n'aurais écrit ce texte »2. Le conte d'Andersen, La petite marchande d'allumettes, pré-existe aussi au poème de François David, il est le texte antérieur qui permet de le mettre en relief, il permet de ce fait une interaction entre les deux textes. Le lecteur n'est plus simple spectateur, il devient acteur. Il doit décrypter les codes, il ne peut le faire qu'en étant moteur de ses actes : ouvrir la boîte d'allumettes, déplier la feuille en accordéon où s'inscrit le texte, le lire et en décoder les références textuelles. Les sens sont mis en éveil, les sensations tactiles et visuelles interpellent, provoquent la surprise et l'envie d'aller plus loin, invitant au prolongement du texte qui apporte avec lui ses surprises. Ces sens comblent le manque que la lecture seule pourrait procurer : si le poème-objet n'est saisi que par l'oeil, il est alors maintenu à distance et ne peut se dévoiler pleinement au lecteur. La manipulation est nécessaire et appelle avec elle la subtilité de la surprise : comment ouvrir ? quel sens privilégier? Pourquoi ce titre ? C'est tout le corps qui est mobilisé. Alors que chaque objet du quotidien, avec sa fonction propre, appelle des manipulations systématiques, presque automatiques, les poèmes-objets interrogent le geste. Ils ont bien alors cette fonction de « dépayser la sensation »3 qui était un des objectifs d'André Breton à travers ces poèmes-objets. Lorsque les « Bonbons-mots »4 se dévoilent à nos yeux, la manipulation de ces objets particuliers laissent également découvrir d'autres sensations surprenantes. Le bruit de l'ouverture du sachet et du papier cristal qui entoure chaque papillote procure l'effet d'un avertissement « acidulé » avant la découverte du texte. La mise en perspective sonore du quatrain participe de ce dépaysement sensationnel : « On dit qu'il est en or / Mais c'est une rose / Un ruisseau de miel / A nos lèvres closes ». Cette façon non-conventionnelle d'entrer dans le texte incite le mouvement du corps tout entier du

1 Motus (1): vidéo de la rencontre avec l'éditeur « Motus » à « La toute Petite Librairie » de Gannat de Richard Morier < www.dailymotion.com>.

2Ibid.

3Breton André, « Situation surréaliste de l'objet », 1935, in Position politique du surréalisme, Denoël-Gonthier, p. 137.

4PIRES Aline, Les Bonbons-mots, Møtus, coll. Livres-objets, 2007.

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lecteur : aller vers la poésie. Les objets sont en ce sens de véritables vecteurs, ils guident le lecteur en provocant surprise, étonnement et interrogation et font appel à des sens rarement invités à la lecture d'un texte.

Lorsque François David crée cette collection « Livres-objets » certains s'écrient qu'il ne s'agit pas de livres mais d'objets et « même lorsque nous avons voulu [...] l'enregistrer avec son numéro ISBN1 , [La poupée russe] nous a été retournée en mentionnant quelque chose comme "ceci n'est pas un livre". Alors si ce n'était pas un livre, qu'est-ce que c'était ? »2. Yves Pinguilly3 écrivait à propos de La petite fille aux allumettes n'est pas morte : « Le mot livre ne convient pas [...] il s'agit d'un objet [...] mais je continue à écrire livre et ceci pour deux raisons. D'une part, pourquoi réserver le mot livre aux seules pages habillées d'une couverture et, d'autre part, parce que ce livre-objet donne à lire du texte »4. De plus, il ne s'agit pas d'un écrin qui enferme un texte quelconque qui relèverait d'un effet « beau papier-cadeau » qui cacherait un présent fade. Le pré-texte est mêlé au texte. Le vecteur sensationnel de l'objet amène le lecteur au poème qui résonne des sens éveillés au préalable et qui s'ancre dans son enveloppe, provocant chez le lecteur un émerveillement. Pour François David le support n'est pas un simple prétexte, mais une façon de dire autrement, « une mise en forme particulière », une manière, rare, de l'aborder »5. Dans cette façon d'aborder le texte on retrouve l'envie d'émerveiller, cher à Apollinaire qui avait fait sienne cette devise : « J'émerveille ». Le quotidien dans ces poèmes-objets se retrouve transformé et interpelle merveilleusement les enfants. Les réactions de ces jeunes lecteurs sont sensibles au regard de ces livres-objets qui touchent, décortiquent, appréhendent l'objet avec leur corps pour en pénétrer le sens et en atteindre les mots. Avec Pierre Reverdy on peut alors comprendre que « la poésie est atteinte quand une oeuvre d'art quelconque s'intègre, ne fût-ce qu'un moment, à la vie réelle de l'homme par l'émotion qu'elle provoque dans son esprit comme dans sa chair ». Les sens permettent au poème de s'ancrer dans le quotidien. Ce n'est plus une poésie confidentielle que nous propose ces poèmes-objets mais une poésie à portée de main, qui étonne, qui interroge, qui, en même temps, remet la poésie à sa place, proche de nous, et transcende notre quotidien.

1ISBN : (International Standard Book Number) est le système international de numérotation normalisée des livres, il est délivré en France, par L'AFNIL (Agence Francophone pour la Numérotation Internationale du Livre).

2DAVID François, « Ceci n'est pas un livre », Griffon, Op.cit. p. 23.

3PINGUILLY Yves, né en 1944 à Brest a écrit des romans, albums, contes, recueils de poésie, théâtre, et quelques documentaires sur la peinture.

4PINGUILLY Yves, Griffon, Op.cit.

5DAVID François, La revue des livres pour enfants, Op.cit.

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Les enfants à chaque fois émerveillés ont permis le succès de La poupée russe, un livre-objet créé pour eux. En effet, l'aventure avait mal commencé et les bibliothécaires et les libraires ne voulaient pas des 2 000 exemplaires publiés par Møtus. La poupée russe était toujours très bien accueillie par les enfants, leurs réactions toujours enjouées et surprises. Cela a garanti à ce livre-objet une belle réussite car aujourd'hui le titre est épuisé. François David écrit « chaque fois que je montre La poupée russe aux enfants, qu'ils ouvrent des yeux immenses et crient " c'est magique ! " en la découvrant, je me dis que ce serait bien que ceux qui avaient douté de ce livre-objet à sa sortie puisse les voir et les entendre »1. Les éditions Møtus ont-elles été précurseurs dans le succès des livres-objets qui continuent quelques années après. Dans ma valise, évoque « le voyage sur l'île la plus déserte, avec pour tout bagage, tout le poids d'un poème »2 ; les poèmes-objets translucides se présentent comme une vitre où l'on peut lire que « Le plus important / ça ne s'entend pas / ça reste invisible / entre les mots ». On peut trouver encore Les boucles d'oreilles où sont inscrits a droite « Toi » et à gauche « Émoi », un collier-poème (« Les mots voyagent sur mon cou comme s'ils découvraient le monde »), des broches, d'autres colliers et bracelets. On découvre encore un bloc note Tes mots sur mes mots, salué par Philippe Geneste3 et qui invite le lecteur à écrire par-dessus un quatrain laissé en filigrane par l'auteur sur chacun des cent trente-deux feuillets. L'invitation de François David est claire : « Ecris sur mes mots / tes mots / auront un peu / le goût des miens ». Dans ce petit outil du quotidien, le bloc note permettra une lecture par éclats et une invitation à écrire, invitation à rendre la poésie accessible à tous et à la partager.

Dans cette volonté d'« émerveiller », les éditions Møtus proposent une poésie quotidienne, une invitation à transcender le prosaïque. En proposant une autre façon d'appréhender la poésie, qui fait appel à nos sens, la poésie nous renvoie son image : celle d'un langage universel, partagé par tous. Quand François David nous propose ces livres-objets, on touche la poésie du bout des doigts et ainsi, reflet d'un miroir, la poésie nous touche.

3 - « Les voix du poème »4

1DAVID François, Tirelivre, Op.cit.

2< http://motus.zanzibart.com>, « Livres-objets ».

3Enseignant, rédacteur de la revue Marginales, Philippe Geneste est l'auteur de nombreux articles publiés dans les revues L'École émancipée puis L'Émancipation, Plein Chant, Gazogène, a écrit un article sur Tes mots sur mes mots de François David dans : http://lisezjeunessepg.blogspot.fr/2011.

4Thème choisi par les manifestations du quinzième Printemps des poètes (2013).

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Le partage de la poésie passe aussi et principalement par la mise en voix des poèmes. Si l'oralisation du poème permet à la poésie une dynamique, elle est aussi une occasion d'éprouver la réception de l'enfant en la confrontant à une poésie nouvelle, drôle ou grave. Les manières dont les poèmes peuvent rencontrer leurs publics sont multiples, les nombreux salons de poésie regorgent d'idées plus originales les unes que les autres. Dans le cadre de ce travail, deux expériences intéressantes ont permis de mettre en exergue la confrontation de la poésie et de l'enfant à partir des textes édités chez Møtus.

La première est la mise en voix des poèmes de la collection Pommes Pirates Papillons par les Brigades d'Intervention Poétique (BIP)1 : groupes de comédiens et musiciens, qui entreprennent de nombreuses actions-surprises en tous lieux publics pour la diffusion orale de la poésie. Un corpus de textes d'auteurs contemporains principalement, d'ici et d'ailleurs, sont mis en voix et en musique. La BIP de Basse Normandie2 a proposé à plusieurs occasions de mettre en bouche les textes des éditions Møtus dans les écoles, collèges et lycées de la région. La soudaineté de l'intervention place encore une fois la poésie au coeur du quotidien, la surprise éveille les sens. Le spectacle mis en place de façon plus statique est aussi proposé dans les médiathèques ou des lieux de spectacle, dans la rue, lors d'occasion qui permettent la rencontre de la poésie avec le public. L'attrait principal de ces exhibitions est que la poésie sort des livres et prend vie. La mise en voix donne aux poèmes du corps, il devient la chair du poème. Lorsque la BIP de Basse Normandie interprète Le rap des rats3 le style Rap est musicalement restitué, les mots prennent une autre texture. Les artistes s'amusent de la musicalité du texte et donnent une interprétation personnelle de ce poème. Le texte vit, les mots se partagent, le public, conquis accueille à travers le rythme et la musique, les intonations et les accents, un texte qu'il n'aurait sans doute pas lu de la même manière individuellement. Alors les vers d'Andrée Chedid prennent sens :

« Rythmes

D'où vient le son
Qui nous ébranle

Où va le sens

Qui se dérobe

1Les Brigades d'Intervention Poétique ont été crées en 1998 dans le cadre des Langagières, quinzaine autour de la langue et de son usage organisée par la Comédie de Reims, Centre Dramatique National. Le concept a été mis en place par Christian Schiaretti et Jean-Pierre Siméon.

2BIP de Basse Normandie : une comédienne, Malika Labrume, une accordéoniste, Monique Lemoine et un contrebassiste, Renald Fleury.

3Op.cit.

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D'où vient le mot
qui libère
Où va le chant
Qui nous entraîne
D'où surgit la parole
Qui comble le vide
Quel est le signe
Qui fauche le temps ? »1

La BIP permet une poésie vivante et joue son rôle de passeur dans la mesure où elle permet à l'enfant d'exercer son oreille poétique. La voix devient le vecteur incontournable qui donne vie au poème et qui permet à l'enfant ou à d'autres publics, les sens en alerte, l'invitation à la poésie. Une rencontre qui pourra se prolonger dans la lecture des recueils que les artistes prennent soin de montrer (livres, textes et illustrations). La promotion de la poésie est ainsi comblée, quand elle atteint son public par la voix, elle incite aussi à la lecture. La voix se fait alors le vecteur du texte « le chant qui nous entraîne ». Cette oralité place le lecteur dans le groupe, dans la rue, au coeur de la cité et la poésie est prétexte à l'échange dans ce groupe, elle tisse du lien social.

« Ainsi chemine

Le langage de terre en terre de voix en voix

Ainsi nous devance
le poème
Plus tenace que la soif
Plus affranchi que le vent ! »2

La deuxième expérience est la rencontre d'un poète avec les enfants d'une classe. Quels sont les enjeux d'une telle rencontre ? Ils sont multiples et participent aussi à redonner vie à la poésie. Au début d'un atelier avec Thierry Cazals3, auteur publié chez Møtus, le poète se présente : poète mais homme avant tout. La présentation de sa pratique est ancrée dans le quotidien. La présentation du poète est longue, elle prend son temps, mais elle est rebondissante d'exemples concrets : sa vie parisienne, ses enfants, sa scolarité et ses cours de français, ses rencontres, ses émotions, sa pratique poétique. Cette introduction permet

1CHEDID Andrée, « Épreuves du langage », États provisoires du poème II, La Comédie de Reims et Cheyne Éditeur, 2000, page 13.

2CHEDID Andrée, « Épreuves du langage ». Op.cit.

3Atelier du vendredi 24 mai avec les enfants de la classe de 5ème de Mme Vastel du collège Jacques Monod à Caen.

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indéniablement aux enfants de comprendre que le poète, celui-là, que l'on peut toucher, avec qui l'on parle est un homme comme les autres. L'accessibilité engendre la pratique : s'il écrit des poèmes, nous pouvons aussi le faire, d'ailleurs il nous en persuade. Petit à petit, un mot, une émotion, une sensation, mais aussi un sourire, un échange, un clin d'oeil, une main guidée le poète n'explique pas il guide. Il n'est plus seulement passeur, il devient « faiseur » de poésie. L'exercice est si simple et si difficile en même temps : aller chercher dans son expérience, dans son vécu des mots pour dire. Dire quoi ? Dire comment ? Sonder ses émotions intérieures est un exercice guère pratiqué dans l'expérience des jeunes apprentis poètes. Alors le poète accompagne, se fait « accoucheur » du mot, de la formule recherchés, sans jamais en proposer d'autres, attendant ceux qui provoqueront l'émotion. Dans cette démarche, Thierry Cazals permet une rencontre, qu'Alain Freixe définissait ainsi : « cet entre deux, cette dimension à chaque fois neuve et inouïe d'un je et d'un tu, cet espace tiers entre un toi et un moi, espace autre, par où passer est possible. C'est dans cette rencontre que je définirais volontiers par ses qualités - timbre, tons, résonances, couleurs... - que se joue la transmission. [...] Ne s'agit-il pas d'être des passeurs de poésie ? »1 Dans cette pratique de « faiseur » de poète Thierry Cazals emprunte cette citation à Ogiwara Seïsensui, poète japonais : « Le haïku est comme un cercle, une moitié fermée par le poète, l'autre moitié par le lecteur ». A travers cette rencontre, les élèves de la classe de cinquième ont tous été initiés à la pratique du haïku, l'espace d'un moment, ils ont offert leurs mots, leurs émotions aux autres et sont devenus un instant « poète ». Thierry Cazals a commencé cette rencontre en racontant son premier contact avec la poésie, à l'école, lorsqu'un professeur leur avait fait faire un cycle d'apprentissage sur la poésie, la découvrant et l'écrivant. La boucle est bouclée, eux aussi sont devenus « poètes » sur ce temps limité, mais peut-être ont-ils senti que la poésie est accessible, pouvant être faite par tous et pour tous. Pour ce poète il s'agit, comme le disait Montaigne d' « allumer des feux », non pas de « remplir des vases ».

Ces manifestations autour de la poésie, les rencontres avec les poètes, les salons de poésie, la semaine de la poésie à travers le Printemps des poètes, témoignent d'un renouveau dans les pratiques permettant de rendre la poésie accessible. Elles sont aussi l'occasion pour les enfants de s'exercer à la pratique poétique « Les voix du poème » offrent une ouverture nouvelle sur le texte poétique, le rendant accessible autrement et invitant à devenir poète.

1FREIXE Alain, « L'heure des étoiles » dans La revue de l'AFL, Les actes de lecture n°67 septembre 1999. Texte rédigé par Alain Freixe, après son passage dans plusieurs écoles d'une ZEP. Alain Freixe est poète, enseignant et chargé de mission « Poésie » à la Délégation à l'Art et à la Culture du rectorat de l'académie de Nice. Il n'écrit pas de poésie pour la jeunesse.

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B - La collection Pommes Pirates Papillons

La poésie c'est avant tout un texte. Les poésies inédites des éditions Møtus puisent leur ressources parmi les textes des poètes vivants, contemporains. La poésie est présente dans tous les livres, mais la collection Pommes Pirates Papillons est toute dédiée à la poésie et répond à quelques règles de fonctionnement.

1 - Choix des formats

La collection naît avec la publication de Bestioles et bestiaux en 1992 et ouvre les portes des éditions Møtus à la littérature pour la jeunesse. Depuis vingt-et-un ans, vingt-quatre recueils de poésie inédite adressée à la jeunesse ont été édités (Cheyne Editeur a publié trente-quatre titres « jeunesse » en vingt-huit ans). Le succès est au rendez-vous, la poésie s'exprime de différentes façons.

Dans cette collection on peut distinguer deux formes de livres qui retracent l'histoire des éditions : ceux du début, reliés à la main avec une spirale visible. La couverture de ces premiers ouvrages est cartonnée en couleur et imprimée chez un professionnel, les feuillets (paginés ou non) sont imprimés par les membres de l'association. En 1993, dès la parution du troisième recueil, Crocodiles et cornichons1, la spirale est dissimulée sous la couverture qui est pliée afin de constituer couverture et quatrième de couverture. La tranche du livre repliée est ainsi utilisée pour indiquer le titre, les noms de l'auteur et illustrateur et le nom de Møtus. La tranche permet dans les rayonnages des bibliothèques de repérer les livres de Møtus. Sept ouvrages de 1993 à 1996 sont ainsi publiés. Le paratexte de la fin nous donne d'ailleurs l'indication « achevé d'imprimer à Landemer » ainsi que la date. Puis en 1999 apparaît le premier recueil entièrement fabriqué chez l'imprimeur : Le rap des rats2. Depuis cette date, tous les ouvrages de la collection sont imprimés chez un professionnel. Des similitudes sont communes à tous les livres de la collection. La taille des ouvrages, tout d'abord, (15,5 cm x 21,5 cm) qui permet aux enfants d'appréhender le livre comme un autre. Ni trop petit pour ne pas réduire la poésie à un genre moins important qu'un autre, ni trop grand pour ne pas encombrer, volonté d'installer la poésie dans le quotidien, le format du livre permet une juste équilibre entre le choix de la forme brève des poèmes et l'illustration qui s'exprime sur une page entière. Le nombre de pages, un peu plus d'une soixantaine pour la majorité des

1LEBIGRE Pierre, Crocodiles et cornichons, Landemer, Møtus, 2000. 2Op.cit ?

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ouvrages. Le nombre de poèmes tourne autour d'une trentaine pour chaque livre. La couverture couleur pelliculée tranche avec les illustrations en noir et blanc choisies afin de mettre en évidence le texte et le dessin. L'impression sur papier recyclé qui permet un effet sensible au toucher : le grain plus épais, la matière des dépôts résiduels sur le papier donne une texture très sensuelle au toucher. Cette démarche entérine l'idée que la poésie se perçoit ainsi par les sens. Dans les rayons de la bibliothèque, les livres de Møtus se distinguent par l'épaisseur du recueil, le nombre de pages (une soixantaine), la quantité de poèmes qui en en font des oeuvres à part, dans un rayon où la poésie, la plupart du temps, se découvre sur de petits recueils, courts et brefs ou regroupée en anthologies. Dans cet aspect formel il nous faut aussi souligner le paratexte qui se trouve sur les deux rabats de couverture et de quatrième de couverture : les illustrations, continuées sur ces rabats, se répandent à l'intérieur des pages, comme une invitation à ouvrir le livre. En accord avec Brigitte Ouvry-Vial, « le terme "livre" ne désigne [...] pas strictement le texte mais plus globalement l'ensemble du dispositif donnant à voir et à lire, organisant la lecture du texte et des images, donc le texte et l'ouvrage matériel qui le porte. »1 Sur ces rabats, le paratexte propose une ouverture sur l'auteur, l'illustrateur, sur la collection Pommes Pirates Papillons ou les logos ou l'adresse du site des éditions Møtus, mais il propose aussi une façon poétique d'entrer dans le texte : « Elles avaient lu LE VERLAN DES OISEAUX, elles avaient lu LE RAP DES RATS, elles avaient adoré les poèmes et les illustrations de Boiry et Galeron, cependant elles étaient jalouses... » peut-on lire sur le rabat de la couverture ; « Les poules à leur tour sont donc venues parler à Michel Besnier. Elles l'ont convaincu que leur caquetage méritait bien un livre. Il l'a écrit. Il leur a seulement emprunté une plume pour qu'Henri Galeron l'illustre. »2 peut-on lire encore sur le rabat de la quatrième de couverture. L'éditeur s'approprie le livre pour en faire un objet qui transmet un texte et une illustration. Il devient le garant de ce texte, il le choisit, le met en forme, grâce à des techniques qui inviteront le lecteur à rentrer dans le texte. Recueils de poésie inédite, ils se présentent aussi comme un projet à part entière où l'illustrateur prend toute sa place. Outre la couverture en couleur, pelliculée, chaque recueil propose une illustration par poème réalisée par un artiste. Lorsque François David parle des auteurs et illustrateurs d'un livre, il n'hésite pas à employer le terme « couple », soulignant ainsi l'indissociable travail effectué par les deux compositeurs du livre. La mise en forme de cette

1OUVRY-VIAL Brigitte, « La lecture littéraire comme relation à... », Analyser la littérature pour la jeunesse : Théories littéraires et concepts opératoires, cours 2012-2013 de l'Université du Maine, Master 1 LIJE.

2Rabat de la quatrième de couverture du livre Mes poules parlent de M.BESNIER, Op.cit.

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collection n'est pas laissée au hasard. En effet, par ses caractéristiques formelles, les livres de Pommes Pirates Papillons constituent de « vrais » livres de poésie, adaptés à une lecture autonome mais aussi adressés à des lecteurs-médiateurs qui sauront proposer rapidement une lecture dissociée des poèmes grâce à la « table des matières », majoritairement présente dans les recueils ou, au contraire, en en proposant une lecture continuelle tant les poèmes constituent une unité de composition. Le paratexte propose aussi une ouverture sur d'autres recueils de la collection, ce qui est une façon encore d'inviter les lecteurs (ou médiateurs) vers de nouveaux textes poétiques .

L'aspect formel de cette collection semble donc engager un virage dans le domaine de la littérature pour la jeunesse. Dans l'interview consacrée aux éditions Møtus, dans la revue Griffon, l'éditeur déclare accorder une grande attention à la forme qui est « première en poésie ». Cette forme, en effet, engendre une adhésion de la part du lecteur qui sera tenter d'entrer dans la poésie ou pas. L'aspect visuel de l'objet « livre » est une porte d'entrée , elle en constitue une des conditions de s'approprier ce genre. Elle devra alors être une « forme belle, originale, musicale et exigeante » qui « n'est pas forcément une forme absconse. C'est peut-être même le contraire ». Dans cet écrin extérieur, préexiste le texte qui ne dément pas non plus de faire de Pommes Pirates Papillons une collection originale, toute dédiée à la poésie.

2 - Choix des textes et des auteurs

Dès le début de cette collection, le choix du titre annonce le commencement d'une poésie dédiée à la jeunesse : Pommes Pirates Papillons. Personnellement, ces trois mots m'évoquent la terre d'où nait le fruit, la mer que s'invente l'enfant dans le jeu de rôle et l'air où s'envole l'insecte. Les trois éléments réunis, la terre, l'eau et l'air constituent un paysage dans lequel l'enfant peut faire évoluer son imaginaire. L'allitération en p évoque de petits bonds qui permettent de passer de l'un à l'autre de ces éléments, en totale liberté, sans contrainte. Qu'en est-il du choix de ce nom pour l'éditeur ? François David évoque « un petit clin d'oeil à Baudelaire, à ses Petits poèmes en prose avec cette triple allitération qui peut facilement être reçue et perçue par les enfants. »1 Il est vrai que c'est surtout Charles Baudelaire qui donne à l'allitération son apogée en France. Il en fait le principe fondateur de ses Correspondances. Dans Le Spleen de Paris, sous-titré Petits Poèmes en Prose, Baudelaire s'attache à confronter

1DAVID François, La revue des livres pour enfants, Op.cit. p. 92.

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son écriture en prose à l'observation de la vie parisienne de son époque mais revendique cette écriture poétique, avec un langage imagé et métaphorique. Que nous racontent ces Petits Poèmes en Prose ? Ils dessinent un tableau de la vie parisienne de son époque. Cette allusion à Baudelaire, engage à regarder de plus près les textes de la collection Pommes Pirates Papillons : ils constituent aussi le regard de poètes sur leur société. Les lieux, les personnes, les croyances, les sentiments sont autant de thèmes abordés avec le regard nouveau et contemporain de nos poètes. A l'instar des Petits Poèmes en Prose, les poèmes de la collection Pommes Pirates Papillons sont une critique de notre société, une voix que le poète énonce, tantôt enjouée et heureuse tantôt grave et sombre. A travers l'humour, toujours imagé, le texte nous donne à réfléchir sur le monde, notre monde.

Pour ne pas enfermer ces poètes et ces illustrateurs dans une « liste » qui réduirait leur capacité à dépasser leur différence, la collection, tente de faire découvrir une technique différente pour chaque livre, et de proposer un couple auteur - illustrateur différent, soutenant l'idée que chaque livre se doit d'être singulier. Editer des textes éclectiques dans une collection où la forme est contrainte, c'est mettre en avant le paradoxe que la poésie contemporaine est accessible par ses différences justement, jouant de la multitude des possibilités de réception. La poésie peut alors ouvrir des perspectives autres que le formatage dans lequel le principe de collection a tendance à l'enfermer. « Un poète est un monde enfermé dans un homme »1 écrivait Victor Hugo, nous laissant deviner que la poésie propose une multitude de voix. Plus que des recueils ces livres de poésie sont comparés à des « poèmes-romans » proposant une entrée dans un thème, comme un lieu où le poète a fait escale le temps du recueil. Dans Un éléphant au paradis, le narrateur nous emmène découvrir le paradis « J'ai frappé toc toc toc / aux portes du paradis»2 et entraîne le lecteur dans une série de poèmes qui peuvent se lire d'une manière autonome mais qui composent le texte tel un voyage dans ce lieu imaginaire. Dans Le rap des rats, Michel Besnier nous transporte dans la vie quotidienne et insolite du royaume des rats, bêtes au symbole négatif, mal vu par les hommes. Cette description du quotidien des rats force le narrateur à se mettre à leur place, et inverse notre vision du monde et à travers le regard de ces bêtes sur l'homme, interroge notre rôle dans la société : « On en a ras le bol / nous les rats / d'être symboles / du choléra / de la peste / et du reste / Hiroshima / c'est pas nous / le Rwanda / c'est pas nous / la vache fada / c'est pas nous / la grippe du

1HUGO Victor, La légende des siècles, « Un poète est un monde »,1877. 2CAZALS Thierry, Un éléphant au paradis, Op.cit. p. 4.

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poulaga / c'est pas nous / l'air cracra / c'est pas nous »1. Mes poules parlent propose aussi une vision du poète sur le monde vu à travers les yeux des habitants d'un poulailler. Les questions sociales sont clairement interrogées : la place de la femme à travers la poule, la représentation du « chef » à travers le coq ou l'interrogation des enfants sur le monde à travers les poussins. Michel Besnier raconte avec humour la vie quotidienne si laborieuse : « J'ai vécu / (mais pas de ma plume !) / J'ai pondu / j'ai couvé / j'ai gratté / sans ergoter / j'ai chanté / kot kot kot / coûte que coûte / j'ai pris des / coups dans l'aile / et travaillé du jabot / Toute une vie / doux gésier ! / Pour finir / en cocotte »2.. Les allitérations, la vision du poète sur la vie quotidienne conforte l'idée que Pommes Pirates Papillons est un bel hommage à Baudelaire.

Le logo de cette collection, inscrit sur chaque ouvrage reprend cette allitération et les sens rebondissent entre eux : le sabre du pirate coupe la pomme en deux et l'on découvre, invisible jusque là, le coeur de la pomme en forme de papillon qui est prêt à s'envoler. Le logo et le nom de cette collection permettent donc de se constituer une image de la poésie sans en figer le genre.

Les ouvrages réunis sont tous différents mais sont aussi exigeants. Les poètes choisis par l'éditeur requiert une grande attention. Lorsque François David propose à Michel Besnier d'écrire pour la jeunesse, ce dernier accepte et « s 'autorise plus d'amusement et de jeu avec les mots » car c'est une collection « jeunesse » tout en espérant ne pas s'adapter « à de jeunes lecteurs comme un adulte bêtifiant »3. Pour François David, les choix se fondent sur « une préférence pour les textes riches en humour ou en émotion , avec toute la vigilance nécessaire pour distinguer la sensibilité de la sensiblerie. » On retrouve alors les poètes comme Philippe de Boissy, Michel Besnier ou Jean-Louis Maunourv dont d'autres recueils avaient été précédemment publiés par Møtus. On y trouve aussi de vrais poètes que François David

1BESNIER Michel, Le rap des rats, Op.cit. p. 10.

2BESNIER Michel, Mes poules parlent, Op.cit. p. 8.

3BESNIER Michel, échange par correspondance du 6 mars 2013.

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sollicite pour écrire dans la collection, Thierry Cazals est de ceux là : « J'ai lu votre livre et si un jour vous aviez envie d'écrire pour la jeunesse, nous serions intéressés ».1 Un an plus tard, l'auteur envoie à la maison d'édition un recueil de haïkus pour la jeunesse, Le petit cul tout blanc du lièvre2, (qui n'appartient pas à la collection Pommes Pirates Papillons) publié en 2003. Thierry Cazals, en 2011, écrit un recueil dans cette collection, Un éléphant au paradis qui a obtenu le prix de Joël Sadeler 2012. Il écrit, à propos du travail de l'éditeur, « le métier d'éditeur est avant tout un art de l'attention. Attention aux mots, attention à leur respiration dans la page, attention aux moindres détails qui façonnent un livre[...]. François David est de cette famille-là. Un éditeur-artisan qui ne "fabrique" pas les livres, mais les aide à naître... »3

En choisissant de vrais poètes, l'éditeur peut installer ses publications dans une poésie inédite, adressée aux enfants, mais pas une poésie faite pour les enfants, dans un souci de réduction du sens et de la forme, mais une poésie où le poète se place à la hauteur des enfants, lui proposant une poésie qui se fait interrogation sur le monde, sur son monde. Les paroles d'Alain Serres résonnent de cette exigence pour les enfants : « Les poètes dessinent des fenêtres sur les murs et nos yeux les ouvrent. Encore faut-il apprendre aux enfants à les regarder... ».4

Dans cette collection offerte au regard de l'enfant, François David met aussi une exigence toute particulière aux illustrations des recueils.

3 - La place de l'image

« II est impossible de dissocier, dans Pommes Pirate Papillons, les poèmes des illustrations qui les accompagnent. Mais là encore, on ne trouvera nullement de constante. L'illustrateur a toute liberté pour réaliser des compositions qui soient en accord avec l'esprit du poème sans pour autant être redondantes »5.

La question que l'on pourrait se poser est : à quoi sert l'image dans un recueil de poésie ? Le livre de jeunesse illustré ; outre l'effet esthétique recherché, permet à l'image de se révéler comme un langage à part entière, avec ses codes, ses fonctions et ses effets. Le non-lecteur accède au sens, le lecteur y découvre d'autres sens. L'image participe à la fonction du texte et permet au lecteur une entrée multiple et polysémique. Cependant dans la collection

1DAVID François, La revue des livres pour enfants, Op.cit. p.93.

2CAZALS Thierry, Le petit cul tout blanc du lièvre, ill. Zaü, Landemer, Mtus, 2009.

3CAZALS Thierry, « Comme une pousse de bambou », Griffon 2003, Op.cit. p. 20.

4SERRES Alain, Propos recueillis par Annie Falzini, libraire à L'Oiseau Lire, dans le dossier « Musique et

poésie », revue Citrouille n° 49, mars 2008.

5DAVID François, Griffon, Op.cit.

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Pommes Pirates Papillons, l'image ne surcharge pas le texte. Le choix d'une illustration en noir et blanc permet de lire le texte et l'image sur un même niveau, sans que le regard soit attiré par des couleurs chatoyantes, permettant un juste équilibre entre les deux. C'est le cas aussi des montages photographiques d'Aude Léonard qui se présentent en noir et blanc. La présentation du texte et de l'image sur des pages différentes, ce que Sophie Van Der Linden nomme les images « isolées », donne son indépendance à l'un comme à l'autre, tant pour la narration que pour l'expression. Ce procédé permet une prépondérance du texte, lui donnant une place primordiale, tout en permettant une « indépendance du point de vue de l'expression de l'illustrateur »1. Quelquefois, l'illustration n'est pas systématiquement placée sur ce que les typographes appellent la « belle page », la page de droite, où le regard se fixe dès l'ouverture du livre, accordant une prédominance à son contenu. Dans les recueils de la collection Pommes Pirates Papillons, les images et les textes sont réparties indifféremment sur les pages gauches ou droites du livre, ne donnant plus la priorité à l'illustration. Cette volonté séparatrice de l'image isolée et du texte sur une page et l'autre page, ce choix de l'impression en noir et blanc des deux supports, permettent de donner un place particulière au texte et à l'illustration et contribuent à la mise en valeur de chaque expression. Le texte ne doit pas être caché par l'image, mais au contraire, dans un jeu d'interpellation, il doit être révélé par l'image. Ces illustrations permettent une mise en perspective des mots qui éprouvent le sens, et l'imaginaire. Le surréalisme narratif d'Henri Galeron nous propose souvent des dessins étranges, qui interrogent, qui surprennent, sans interpréter le texte mot à mot, ils le mettent en relief par d'autres interrogations, d'autres pistes de lecture et de compréhension.

Pour provoquer l'étonnement, la curiosité, l'interrogation, François David apporte une attention toute particulière à la diversité des illustrateurs et de leurs techniques. « François David souhaite une technique différente pour chaque livre, et un couple auteur-illustrateur différent à chaque fois. Les deux livres avec Besnier sont une exception à cette règle. L'unité de la collection est donnée par le papier recyclé, le format, la couverture souple et l'impression en une couleur. »2 explique Henri Galeron en 2006. Les techniques sont différentes d'un ouvrage à un autre, telle est la volonté de François David cherchant à créer des livres singuliers et uniques. Photos retouchées par Aude Léonard, travail à la plume par Boiry, travail sur les contours par Romuald Reutimann, envolées graphiques et légères par Ana Yael, illustrations surréalistes par Lisa Nanni, les images sont à chaque fois une ouverture

1VAN DER LINDEN Sophie, Lire l'album, l'Atelier du Poisson Soluble, 2006, p.45.

2 GALERON Henri, entretien dans Parole, la revue de l'institut suisse jeunesse et médias, mars 2006.

sur des techniques différentes qui proposent une lecture nouvelle du poème qu'elles illustrent. Ne pas paraphraser le texte, telle est la volonté de l'éditeur. La collaboration entre auteur et illustrateur n'est pas systématique, ainsi François David laisse l'illustrateur libre d'interpréter le poème. Les contraintes sont matériellement déterminées au préalable (format, couleur en noir et blanc, support sur papier recyclé) mais l'éditeur laisse le texte se dévoiler à travers le regard de l'artiste.

L'interprétation d'un texte par un artiste ne comporte-t-elle pas le risque de réduire le texte à une subjectivité, empêchant l'imaginaire que les poèmes proposent ? La question pourrait en effet se poser tant les illustrations choisies, loin d'être redondantes, emportent le lecteur dans un univers propre à l'artiste qui illustre les poèmes. Mais les artistes dont s'entoure François David ne font pas que donner une interprétation personnelle au texte, il offre une autre poésie, une autre façon d'entrer dans le thème, une lecture polysémique du texte. C'est encore en interrogeant le lecteur que la poésie prend forme, traçant ici ou là des références graphiques ou textuelles l'artiste invite le lecteur à l'imaginaire, son imaginaire. Loin d'être des images closes sur elles-mêmes ou simples échos du texte, elles s'ouvrent à leur tour sur un monde infini d'interprétations. Les références iconographiques foisonnent, telles les références intertextuelles des poèmes. Ainsi, ne peut-on s'empêcher de voir dans l'image de couverture de Mon kdi n'est pas un kdo1, l'hommage signé de Henri Galeron à Andy Warhol et ses travaux sur les boîtes de soupe Campbell2, interprétation d'un artiste du Pop Art sur la société de consommation de son époque.

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Les illustrations des poèmes de la collection Pommes Pirates Papillons, François David les définit comme « autant de perspectives différentes [...] pleinement adaptées aux divers univers poétiques »3. L'objectif de rendre le livre unique confère à cette collection de recueils une

1BESNIER Michel, Mon kdi n'est pas un kdo, ill. Henri GALERON, 2008. 2WARHOL Andy, Campbell's soup Cans, 1962.

3DAVID François, Griffon, Op.cit.

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représentation particulière de la poésie, la présentant comme une poésie sans cesse renouvelée, multiple et différente d'un recueil à un autre. Cette exigence se trouve à la fois dans les textes inédits et dans les images que les éditions ont choisis de regrouper dans cette collection. Mise à part le format du livre, le logo de la collection et son nom, aucune ressemblance entre les livres n'est identifiable. Cette diversité des oeuvres permet à chacun de rentrer comme il l'entend dans la poésie. La voie n'est pas unique, la poésie nous est offerte dans sa diversité la plus large comme une occasion la plus vaste de faire se rencontrer le poète et son lecteur.

A travers cette collection, les éditions Møtus remplissent pleinement leur rôle d'édition de littérature pour la jeunesse, spécialisée de surcroît dans l'édition de poésie. Cette double démarche, exigeante, difficile, lente, parce que le temps est nécessaire à la poésie, coïncide bien dans cette collection toute dédiée à la poésie. Cette collection nous conforte dans le fait que la poésie contemporaine pour la jeunesse est vigoureuse et qu'elle a son lectorat. Le succès des ouvrages confirme qu'elle est devenue une des voies indispensables pour la rencontre des poètes contemporains et du jeune lectorat. Dans cette mission de rendre la poésie accessible à un lectorat enfantin, les éditions Møtus usent de cette pratique du face à face de l'image en l'inscrivant encore plus en avant. En effet, c'est dans le rapport que la poésie entretient avec l'album, genre à part, que les éditions Møtus accomplissent aussi leur rôle de passeur de poésie.

C - L'album, média d'un genre nouveau

Nous nous proposons, à travers l'analyse du dernier album édité par Møtus d'analyser en quoi le genre « album » peut donner à la poésie une place de choix, lui permettant d'accéder à un lectorat ouvert et coutumier du genre.

1 - Un rêve sans faim1

1DAVID François, Un rêve sans faim, Op.cit. Couverture.

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Un rêve sans faim, est un album qui a demandé une élaboration de trois ans, de la conception du projet à la réalisation finale. Il est le résultat d'une grande collaboration entre François David, l'auteur et Olivier Thiébaut, l'illustrateur. Cette coopération révèle un lien étroit entre le poète et le peintre : les deux artistes bas normands se sont déjà rencontrés, pour le projet Les hommes n'en font qu'à leur tête1, publié aux éditions Sarbacane en 2011.

L'artiste Olivier Thiébaut crée des tableaux en relief, dans lesquels il procède par superposition d'objets récupérés ou collectionnés, qu'il « met en scène » à travers des compositions faisant intervenir différentes techniques. Dans Un rêve sans Faim, on pourra admirer des collages, des découpages, des peintures. Ces compositions rappellent des installations miniatures, présentant beaucoup de relief. Ce travail de « compagnonnage », dont parle François David, sous-entend un questionnement permanent sur la façon dont ce thème grave, la faim dans le monde, doit être traité pour le présenter aux enfants. Il s'agit de trouver un équilibre entre la violence inhérente au thème et la volonté de le mettre à la portée des enfants. Voilà donc l'enjeu du livre : « en dire suffisamment sans en montrer trop ». Poursuivant toujours l'objectif « d'en dire moins pour en dire plus », cette collaboration a pris le temps nécessaire tout en parvenant à ses fins. Il aura fallu, ici ou là, moduler le texte, retirer ou ajouter des éléments dans l'illustration : tout cela prend du temps. La partition s'est aussi jouée avec le photographe Hervé Drouot2 qui a pris les clichés des compositions d'Olivier Thiébaut. Le choix des cadrages n'est pas laissé au hasard. Le tableau original qui a servi à la couverture de l'album a également été utilisé pour les illustrations de la quatorzième, de la

1DAVID François, Les hommes n'en font qu'à leur tête, Sarbacane, 2011.

2Hervé Drouot est photographe professionnel, installé dans la Manche et a crée un site où il expose les photographies de ses voyages < www.croquelaterre.com>

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dix-huitième et la quarante-et-unième pages. Certains éléments du tableau ont été retouchés afin de s'adapter aux poèmes associés.

La première de couverture propose un paratexte discret, les noms de l'auteur, de l'illustrateur et de l'éditeur sont apposés en petits caractères fins dans la partie supérieure. Le titre lui même laisse toute la place aux personnages de l'illustration qui occupent la page entière. La police choisie pour le titre offre des lettres légèrement ombrées, annonçant par ce décalage le jeu graphique des deux dernières pages sur les mots « faim » et « fin ». L'échelle de représentation de la cuillère en bois et le dessin sommaire des yeux et bouches fait de ces ustensiles de cuisine des êtres anthropomorphisés que l'enfant lecteur identifiera comme une famille, ou du moins, comme une mère, son enfant et une foule autour. Ces cuillères humanisées énoncent subtilement les thèmes que l'album va développer, à savoir la question centrale de la nourriture, le dénuement dont souffre une grande partie de la population de la planète (en effet les ustensiles sont vieux, désuets et usés) et les liens humains (sociaux, familiaux). La couleur terreuse du paratexte rappelle la couleur dominante de l'album, associée à une terre aride donc peu féconde.

La quatrième de couverture et son rabat proposent un contraste éloquent : l'image se déploie horizontalement, séparée en deux selon un tracé irrégulier qui évoque une déchirure. Dans cette bipartition de l'espace de la double page de couverture, le monde qui souffre de la faim est représenté sur la partie supérieure. On y découvre des ustensiles de cuisine, vieillis, usés vides ou contenant des herbes sèches. En revanche, la partie inférieure de l'image présente une belle étendue bleue, symbole de notre planète, accueillant une petite étoile jaune, symbole d'espoir, et une grosse miche de pain doré, symbole de vie. Le contraste est fort entre le pain appétissant d'une part et l'absence de nourriture d'autre part. Néanmoins, le fait que ces deux univers alimentaires partagent la même page dit à la fois la séparation et l'appartenance conjointe à un seul et unique monde. La vision du lecteur se referme sur le paratexte de la quatrième de couverture : « Sur chaque exemplaire vendu, 1 euro est reversé à l'ONG Sharana », et le logo de l'ONG, apposé en bas à droite de la page. Cela signe l'implication concrète des auteurs dans la lutte contre la faim et engage, par conséquent, le lecteur-acheteur lui-même dans un acte volontaire servant la même cause. La quatrième de couverture présente en outre un court poème issu du coeur de l'album et repris comme un écho final d'espérance. En effet, le vers initial « J'ai fait un rêve » n'est pas sans évoquer le discours célèbre de Martin Luther King, message d'espoir universel. Cette parenté implicite manifeste clairement

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l'importance accordée au combat à mener pour vaincre la faim. Le court poème se termine par une note d'espoir (« pourront partout bien se nourrir ») et rend l'enfance à l'espace du jeu et du plaisir (« et rire et rire et rire ») qui devrait lui être réservé « sur tous les continents ». La forme de l'album est, on le voit, très étudiée. Les couvertures souples possèdent en outre des rabats qui offrent au regard les tableaux complets d'Olivier Thiébaut en grand format. Sur ces rabats, aucun paratexte ne vient se superposer à l'image, ce qui confère à cette dernière sa dimension de véritable oeuvre d'art.

Les première et dernière pages de l'ouvrage donnent à voir un tissu déchiré qui fait écho à des lambeaux du même tissu présent sur les images des rabats, créant ainsi une continuité visuelle visant à aiguiser la perception du lecteur. Ce tissu est éminemment symbolique : d'abord parce que ces deux couleurs peuvent renvoyer à la bipartition du monde en deux univers que tout oppose ; ensuite parce que la déchirure évoque la souffrance et le manque ; enfin parce que étymologiquement, « texte » et « tissu » ont la même origine : le nom latin « textus » évoque cet entrelacs de fils qui s'entremêlent, ce qui peut ici représenter la façon dont les humains sont inextricablement liés les uns aux autres, comme le sont les mots et les images dans l'album. D'ailleurs, tous les textes de l'album sont des poèmes posés délicatement sur une photo de vieux tissu rapiécé qui se marie avec les mots. Comme les fils du tissu, le texte est composé de réseaux entremêlés. Ce choix crée un continuum visuel dans l'album, et semble exprimer le parti pris des auteurs : la faim dans le monde est affaire de tous, nous sommes indubitablement liés les uns aux autres et coresponsables du sort de chacun. C'est pourquoi la faim dans le monde ne concerne pas seulement ceux qui en souffrent mais est bien l'affaire de tous.

Abandonnant toute hiérarchie dans le corpus des poèmes proposés et favorisant les effets de circularité dans la lecture, l'album a renoncé tant à numéroter ses pages qu'à identifier chaque poème par un titre propre. L'absence de pagination et de titres donnés aux poèmes permet une circulation libre dans l'album qui, par ailleurs, ne propose pas de table de matières. Ces éléments marquent une différence majeure avec la structure habituelle d'un recueil de poésie. C'est pourquoi les poèmes peuvent se lire de façon autonome, même si une volonté évidente de continuité traverse l'album. Enfin, on peut également souligner le refus d'une régularité immuable dans la distribution du texte et de l'image : l'un ou l'autre peut apparaître aussi bien en page de gauche, la fausse page, qu'en belle page, niant ainsi la

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prédominance possible de l'un sur l'autre. Les deux arts sont alors placés à égalité, tous deux à part égale, au service de la même cause.

Dans cet aspect formel, les pages de seuils ont un rôle important concernant l'entrée et la sortie du lecteur dans l'album. Trois pages de garde ouvrent l'album. La première présente le titre en lettres blanches sur fond de tissu beige, sans aucune autre mention. La deuxième porte les mentions obligatoires de toute publication. La troisième indique outre le titre, les noms des auteurs et de la maison d'édition. Le jeu sur la couleur se remarque ainsi dès ces premières pages : le titre passe des lettres blanches aux lettres marron foncé, encore une manière de souligner que l'album est pensé selon un jeu de contrastes (ici opposition entre clair et foncé) et de continuité (les mots identiques du titre). Ces premières pages anticipent sur le récit . Les pages de garde finales jouent sur les mêmes oppositions de couleur et utilisent aussi la répétition de mots. Mais le procédé est plus élaboré et plus subtil. En effet, les deux dernières pages présentent, par un jeu visuel et sonore, le trajet à réaliser pour aller de la « faim » (le mot occupe une pleine page) à la « fin » (le mot occupe seul la page suivante) de cette calamité qui s'abat encore sur tant d'êtres humains. Le mot « faim » apparaît en bicolore (beige et marron), la couleur foncée révélant que le premier vocable contient en quelque sorte le second (le mot « fin ») : manière artistique et symbolique d'affirmer la possible éradication du fléau qu'est la famine. Le glissement d'un terme à un autre, qui joue bien sûr de leur homophonie, fait disparaître le mot « faim » au profit du mot « fin » de la page suivante : sorte de pied de nez poétique et final des auteurs qui affirment ainsi qu'en finir avec la faim est possible. Les pages de gardes finales renvoient ainsi au récit de l'album.

Du point de vue sémantique, dès le titre de l'album, le lecteur entre dans un univers où les jeux sur la langue révèlent la richesse de cette dernière et ouvrent dans le même temps les portes de l'imaginaire. Ainsi Un rêve sans faim est un titre lisible à plusieurs niveaux. La première tension ressentie oppose l'idée de rêve, qui évoque un univers onirique et plaisant de réalisation des désirs, et la réalité terrible de la faim dans le monde. De plus, la perception visuelle du titre souligne le décalage entre l'expression communément attendue « sans fin » et l'expression choisie « sans faim » : écart qui est l'occasion pour le lecteur de réaliser un pas de côté pour lire autrement. Si la notion de rêve apporte indéniablement une connotation positive à l'album, le thème de la faim dans le monde n'y est cependant pas traité sur le mode léger. L'espoir demeure certes, mais l'objectif des auteurs est de dénoncer une réalité concrète et prosaïque afin de promouvoir une réelle prise de conscience chez les enfants occidentaux.

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C'est pourquoi l'album élabore un jeu constant d'allers et retours entre l'univers des enfants en Occident et l'univers de ceux qui grandissent dans un monde où la première des préoccupations reste celle de se nourrir. Ainsi, les illustrations et les textes se complètent et se répondent, mettant l'accent sur l'abondance dans les pays riches, au regard de laquelle le dénuement dans les pays pauvres paraît plus extrême encore. Ce contraste saisissant vise également à révéler ce qu'a d'insupportable la passivité des habitants des pays riches face au nombre élevé d'enfants qui meurent de faim chaque année. On peut dès lors affirmer que cet album poursuit une double visée : non seulement dénoncer la famine dans le monde mais également souligner la nécessité absolue, voire l'urgence, d'agir.

Du point de vue thématique, les poèmes s'organisent aussi en réseau, ce qui donne à l'album son unité. Les allers-retours entre le constat de la famine dans le monde et le message d'espoir ou les solutions proposées pour en sortir sont nombreux. Les poèmes (titrés et numérotés par mes soins selon leur ordre d'apparition dans l'album) s'enchainent selon la logique suivante :

Constat

Espoir ou
solution

Constat ou
cause

Espoir et
Solution

Constat ou
cause

Solution et
Espoir

1 - L'enfant de la faim

5 - J'ai fait un
rêve

8 - Canne à sucre

11 - Petites idées

15 - Sècheresse

18 - Petit bracelet

2 - Radidja

6 - Anagrammes

9 - Catastrophes

12 - Spiruline

16 - Eau vitale

19 - Terre
féconde

3 - La soupe au
caillou

7 - Le riz nous
nourrit

10 - chiffres

13 - Dessin
d'enfant

17 -

Télé/absence

20 - Faim et fin

4 - Le temps du
quotidien

 
 

14 - Argent de la faim

 
 

Le va-et-vient entre la dure réalité de la famine (colonnes 1, 3 et 5) et les messages d'espoir, ou les solutions proposées à ce fléau (colonnes 2, 4 et 6) est ici constant. L'histoire de la faim dans le monde est ainsi traitée comme une histoire à rebondissements, une histoire qui commence avec le personnage de la petite Radidja et se termine avec tous les enfants du monde, allant du singulier vers l'universel.

En entrant plus en avant dans l'album, l'analyse de trois doubles pages peut rendre compte de l'intérêt de choisir le support album pour donner au thème son intention et sa perception.

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2 - Des images polysémiques

Habituellement, dans les albums pour enfant, une histoire est racontée et c'est le plus souvent le texte qui assume la continuité narrative, l'image venant en complément du récit. Dans cet album, le parti pris de choisir pour le texte des poèmes, et donc des pièces ayant chacune son autonomie, on peut poser l'hypothèse que ce sont les images qui prennent en charge la continuité narrative d'une histoire qui est toujours différente et toujours identique. Un enfant qui a faim vaut pour tous les enfants qui ont faim. C'est pourquoi il nous semble important d'analyser de près quelques images de l'album tant dans leur dimension intrinsèque (fortement poétique) que dans le lien qu'elles tissent avec le texte qu'elles accompagnent et enfin dans leur relation avec l'ensemble de l'album.

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Dans cette première image, la mère a un oeil ouvert, l'oeil qui veille sur son enfant. En ouvrant les yeux, elle retrouve une dignité, la dignité de celui qui peut regarder en face. En contraste, les yeux baissés de ce personnage sur la couverture laissaient penser à une impuissance, une fatalité. Mais curieusement, cet oeil ouvert est unique et placé à la place de la bouche. Olivier Thiébaut fait souvent appel au symbolisme. Cette bouche, avec laquelle on appelle, on crie, est transfigurée par un oeil qui regarde le lecteur. Ce dernier est ainsi interpelé dans son rôle : ce personnage semble dire « regarde, et vois ce qui se passe ! ». L'enfant, serein, rassuré, apaisé, dans ce rêve, peut se sentir protégé par cette mère, ils se penche sur elle. Autour des personnages, l'entourage en coton crée un univers onirique, d'où surgit un ciel bleu, visible

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pour la première fois dans l'album. Le papillon, qui est un détail, dont l'illustrateur est friand, participe à l'énonciation de la chaîne de causes à effets. « L'effet papillon » semble souligner que l'enchaînement des petites actions peut avoir de grandes conséquences. Le papillon est apparu dès la deuxième double page de cet album, seul symbole de vie sur l'illustration du deuxième poème. Et on retrouve ce papillon dans le monde rêvé de cette image. L'illustrateur semble vouloir dire que par « l'effet papillon », une cause infime peut avoir de grands effets. Mais une double lecture est possible. La première peut vouloir dire que la famine n'est pas un fléau surgie du hasard et qu'elle est souvent la conséquence de catastrophes naturelles, de politiques intergouvernementales dérisoires, de choix économiques catastrophiques, ce que d'autres poèmes de l'album mettront en avant, donc que l'effet papillon peut se lire dans le sens que des causes infimes peuvent avoir de grands effets. Mais par un jeu de miroir, cet effet papillon peut vouloir dire l'inverse, qu'en choisissant de mettre en place de petites actions, il peut y avoir de grandes conséquences sur l'éradication de la famine, et d'autres doubles pages de l'album les mettent aussi en avant. Il s'agit de petites, toutes petites idées, d'un petit grain de riz, d'une petite algue très nutritive, d'une toute petite ration, d'une petite attention, d'un livre acheter dont « 1 euro est reversé à l'ONG Sharana ».

Les images et le texte semblent se répondre : en effet, le poème de cette double page donne un effet d'écho au rêve de l'illustration, écho qui sera repris par la répétition du vers « J'ai fait un rêve » et par la triple répétition des mots « et rire ». La référence au célèbre texte de Martin Luther King, « I have a dream », lui donne une dimension de possible. La lutte contre l'apartheid s'il elle fut un rêve, à une époque, est devenue aujourd'hui une réalité et tous les hommes quelque soit leur couleur de peau ont acquis les mêmes droits. L'auteur déplace cette lutte célèbre et s'en sert comme d'un exemple de ce que tous les hommes doivent revendiquer : manger à sa faim. La couleur bleue de l'enfant sur l'illustration permet ce rapprochement de la lutte raciale avec ce combat si contemporain qu'est la famine. Les coupelles, symbolisées par des épis de blés, remplies de riz, figurant des soleils ou des fleurs, font écho aux mots rêves et espérance du poème. L'espoir, le rêve, tiennent dans ces choses aussi simples et réelles que des céréales, qui donnent vie, et qui sont représentées dans des coupelles, telles des offrandes. Le texte et l'illustration se complètent pour donner à ce message une dimension réaliste et ainsi possible.

Cette image correspond au cinquième poème de l'album, après quatre autres poèmes qui dépeignent la famine dans sa dimension quotidienne et réaliste. On retrouve les

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personnages, cuillères anthropomorphisées, de la couverture, mais l'environnement a changé. Dans l'album,dès le début et souvent encore jusqu'à la fin, la couleur ocre, symbole de terre aride, domine. Dans cette image là, l'illustrateur nous dépeint un parterre de couleur verte, signe de fertilité. Le papillon fait le lien aussi entre le regard de la mère sur cette image et celui de Radidja « au regard sans regard », illustration du deuxième poème où l'on voit pour la première fois un papillon. Ce regard, cet oeil, donne aussi un fil conducteur puisqu'on le retrouvera sur les armes anthropomorphisés d'une autre image. Ces yeux accentuent le message des auteurs qui en faisant le choix de parler de la famine, de la montrer à travers cet album, prônent pour que la parole soit plus forte que la fatalité. En montrant un petit singe qui se bouche les oreilles sur le neuvième poème, l'illustrateur fait référence aux singes de la sagesse, maxime picturale qui promet le bien-être à celui qui ne voit rien, n'entend rien, ne parle pas. C'est grâce au discours que la famine pourra s'éradiquer, c'est en prenant conscience du fléau que les hommes pourront proposer des solutions, afin que l'intolérable prenne fin. Il faut montrer et dire pour solutionner cette fatalité, qui si nous agissons n'en sera plus une. C'est un parti pris contre la mise à distance de la réalité, que les auteurs ont donné à lire et à regarder : d'abord dans le jeu sur les regards et les seuls êtres humains, victimes de famine, représentés dans cet album, cadrés par une photographie ou une image télévisuelle, pour l'illustrateur ; ensuite par le jeu de mots, les anagrammes de « famine-infâme », « poires-espoir », « le matin -aliment », « notre faim - main forte », « after dinner- rire d'enfant », par le jeu de miroir comme « le riz /nous / nou /rrit », le jeu d'homophonie comme « faim et fin » pour l'auteur. Tous ces jeux poétiques, qu'ils soient textuels ou visuels donnent du sens à chaque poème et enchaînent les poèmes les uns aux autres pour énoncer un même message.

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Dans cette deuxième image, nous retrouvons la couleur dominante de l'album, l'ocre, constituée à base d'argile. Sur l'arrière plan, une silhouette est peinte, dont le visage rappelle la forme ovale de la cuillère en bois. Mise à part, les deux photos très réalistes des enfants victimes de famine, l'illustrateur a choisi de ne faire apparaître l'homme que sous forme d'ombre, de silhouette. La silhouette est constituée de sable collé et coloré, travaillé à la truelle, faisant apparaître, principalement sur le visages, des rayures. La vieillesse, l'usure du personnage sont ainsi dévoilées. Sur un deuxième plan, on voit apparaître une petite voiture miniature décapotable, objet de jeu pour les enfants. Elle roule sur une plate bande de route qui est figurée par un collage de morceaux d'un mètre de couturière où l'on peut lire les nombres qui s'enchaînent les uns après les autres. Les passagers de cette voiture sont deux pièces de monnaie. L'illustrateur n'a pas travaillé le décalage sur les échelles dans cette illustration, et la voiture miniature cache la majeure partie du visage de la silhouette. L'homme semble ainsi crier, la voiture figurant une bouche grande ouverte. Au premier plan, les cannes à sucre s'alignent verticalement et semblent enfermer la silhouette, tel les barreaux d'une prison. Le contraste recherché par l'illustrateur entre le monde occidental et le monde qui a faim est encore fortement souligné. La voiture, les pièces de monnaie, les kilomètres calculés sont des représentations du monde occidental qui contrastent avec la terre aride, la silhouette décharnée et la canne à sucre qui sont celles du monde victime de la famine. Puis l'illustrateur établit un rapport entre ces deux mondes, en transfigurant la voiture miniature en bouche ouverte, il propose un rapport de cause à effet.

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Ces images portent le texte de François David qui dénonce l'absurdité des politiques agricoles des pays pauvres : faire pousser de la canne à sucre, qui ne nourrit pas les habitants des pays frappés de famine, mais qui se vent contre de l'argent, à des pays qui en ont besoin pour élaborer leur nouvelles technologies. La terre ne sert plus à nourrir les enfants, elle alimente les pays riches en carburant. La situation absurde est ainsi dénoncée, par le texte d'abord « pour donner à manger aux enfants », par le dessin ensuite qui représente une bouche qui a faim et qui doit se nourrir par une voiture dont les seuls passagers sont des pièces. Le contraste se fait aussi par une interaction entre le dessin et le texte : « les voitures roulent bien fières » s'opposent à l'homme décharné juste représenté par une silhouette, un homme issu de cette terre, peint par cette terre, qui ne le nourrit pas, mais qui alimente les autos du monde occidental. L'image raconte l'homme affamé, le texte raconte l'homme riche. Les barreaux représentés par les cannes à sucre enferme l'homme dans une prison. Olivier Thiébaut interprète cette absurdité dénoncée par l'auteur. Les hommes sont prisonniers de leurs échanges commerciaux, ils s'enferment dans leur propres barreaux. Non seulement leur terre ne sert plus à faire pousser les céréales nécessaires à leur survie, mais de surcroît, en faisant pousser de la canne à sucre pour les pays riches, ils condamnent leur terre. L'illustration, à son tour, nous dit plus que ne dit le texte. Elle continue là où le poème s'était arrêté. Les trois niveaux de lecture de cette image, en trois plans bien distincts constituent une lecture en trois épisodes. L'histoire commence loin, là-bas, continue avec la représentation de l'apport des pays pauvres aux pays riches et se terminent sur les conséquences de cette relation entre ces deux parties du monde. Le texte et l'image se répondent. Les premiers vers du poème parlent de la canne à sucre, continue sur les voitures des pays riches, et terminent sur les enfants mal-nourris . L'image fait le parcours en sens inverse : l'homme qui a faim sur lequel est apposée la petite voiture miniature et les barreaux de canne à sucre qui ferment le tableau.

Dans l'album cette double page est la huitième, et commence la série des poèmes qui tentent d'expliquer les causes de la faim dans le monde. Les politiques agricoles mondiales pourraient expliquer une partie de la famine . L'auteur, François David s'est alimenté pour écrire ses poèmes des écrits de Jean Ziegler1 qui est connu pour cette phrase « l'agriculture mondiale peut aujourd'hui nourrir douze milliards de personnes [...] donc les enfants qui meurent de faim sont assassinés »2. Les causes de la famine dans le monde sont dénoncées par

1ZIEGLER Jean, homme politique et sociologue suisse, a été rapporteur spécial auprès de l'ONU sur la question du droit à l'alimentation dans le monde, de 2000 à 2008.

2ZIEGLER Jean , L'Empire de la honte, Éditions Fayard, 2005.

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ce penseur sociologue qui les dévoile tout en pensant que la famine n'est pas une fatalité et que nous sommes les acteurs de l'éradication de ce fléau sur la planète. L'album Un rêve sans faim reprend les mêmes principes, à l'échelle des enfants. Expliquer, comprendre, pour mieux agir, tel est l'objectif de ce livre. Dans l'objectif de sortir le monde de ce fléau, l'album, et avec lui cette double page alterne entre les messages d'information : description de la famine, recherches des causes de cette famine, messages d'espoir, petites solutions. Les solutions à l'échelle de l'enfant ne sont pas oubliées, ainsi faire un dessin « pour l'enfants de là-bas » (treizième poème) constitue déjà un pas vers la prise de conscience qui pourra faire bouger les choses. L'étude de cette double page permet plus que la culpabilité des pays riches, la prise de conscience que les deux parties de ce monde sont liées et ne peuvent pas vivre l'une sans l'autre. Elle s'insère dans le groupe des deux autres poèmes qui donnent les causes de la guerre : les catastrophes naturelles, les guerres à travers le poème « Il y eut une sècheresse » mais aussi le rapport de l'homme avec le profit à travers le poème « Vite / compter vite ». Cette double page donne à l'album une continuité dans l'écho de la couleur dominante de l'image, le choix des silhouettes que l'on retrouve dans deux autres poèmes, du petit jouet du monde occidental (la voiture miniature) que Olivier Thiébaut dissémine dans toutes les illustrations (toupie, puzzle, taille-crayon, poupée, doudou, ours en peluche, figurine de singe, figurines d'animaux africains, lettres et chiffres en bois). Le propos de la famine dans le monde est ainsi rapporté à l'univers de l'enfant.

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La dernière image que nous avons choisi d 'étudier est celle de la dernière double page. La couleur dominante reste l'ocre, mais s'accompagne de couleurs, comme pour dire que la terre aride n'est pas une fatalité pour la faim dans le monde. Elle peut produire les céréales nécessaires à la nutrition des hommes : les pois cassés de couleur verte, le riz blanc, et d'autres préparations culinaires qui remplissent les bols. Une fleur posée dans un bol qui présente même une possibilité de saveur et de parfum La fleur est aussi symbole de joie et de bonheur. Elle connote donc doublement l'image : tel un végétal, elle nourrit, tel un ornement, elle fait plaisir. Le pain est symbole de vie et prend une place toute particulière ici. Il est rond, bien doré, façonné de façon circulaire et est situé au milieu des autres aliments. C'est la plus grosse pièce de nourriture présentée. Cette boule de pain, aliment de base presque banal sur les tables des occidentaux, prend ici la place d'honneur, indispensable élément de la nutrition. Il est traité comme l'aliment « roi », soulignant le contraste avec l'utilisation banale et quotidienne que l'on en fait. Le message est clair et renvoie à ce documentaire « We feed the world »1 où les premiers séquences montrent le gaspillage de tonnes de pain, montagnes de pain qui s'accumulent avant d'être jetées. La partie supérieure de l'image offre au lecteur la vision d'une terre fertile où l'arbre vert repousse, où les êtres vivants (ici un oiseau) repeuplent ces arbres. La cuillère en bois, qui n'est plus anthropomorphisée, retrouve la place d'un ustensile commun de cuisine. Il redevient l'outil propre à la nutrition. Il sert à servir le riz, mais à la fin de cet ouvrage on ne peut s'empêcher de le voir comme un personnage repu,

1We Feed the World est un film documentaire autrichien réalisé en 2005 par Erwin Vagenhofer et sorti en 2007. Le réalisateur s'est inspiré du livre de Jean Ziegler : L'Empire de la honte, Op.cit.

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reposé et serein. L'accumulation de plats, sur laquelle il est allongé, lui garantit sa nourriture future.

Ces images abondent le texte du poème court de quatre vers. Cette brièveté, cher à François David, contraste avec l'infini richesse de la terre qui peut nourrir « tous les enfants du monde ». L'image et le texte semblent être en phase, semblent être même redondantes, tant « féconde » joue avec l'amas de nourriture et les êtres vivants (animaux et végétaux), tant « ronde » est figurée par le pain arrondi, tant la multitude des grains céréaliers de l'image résonnent avec « tous les enfants du monde ». De plus, le premier vers entreprend de nous transporter sur une vérité indéniable, appuyant l'hypothèse que nourrir toute la planète est possible et n'est pas qu'une idéologie. C'est concret, les poèmes précédents qui présentent des solutions font écho à cette réalité : l'argent de la guerre, l'utilisation de la spiruline, la culture de céréales appropriées. Cependant c'est en analysant le texte dans ses détails que l'on peut comprendre que ces images ne sont pas redondantes. La dernière syllabe de « nourrir » , « rir » tranche les rimes riches en « onde » (ronde/féconde/monde) de ce poème. L'effet de la rupture souligne l'importance du mot nourrir, mais en même temps casse le rythme d'un monde où tout est enjolivé, bien rond, et où tout se répète pourvu que l'équilibre existe. Ce procédé participe à dénoncer encore une fois la passivité des hommes sur cette difficulté que constitue le fait de se nourrir dans une partie du monde où tout ne tourne pas rond. Dans l'image, la présence de cette cuillère en bois tranche elle aussi avec l'abondance « normale » de nourriture. Elle nous rappelle que trouver sa nourriture est un combat quotidien, représenté par un ustensile du quotidien, geste répétitif de la préparation des repas. La cuillère devient utile, elle est ustensile de utensilis (mot latin) « dont on peut faire usage » parce qu'enfin les aliments sont présents.

Ce poème est le dernier de l'album, en écho au rêve du premier album, il confère à la lutte contre la famine son statut de possible et nécessaire. Cependant, il donne aussi un avertissement, déjà rencontré dans d'autres poèmes. La prise de conscience est nécessaire et l'éradication ne pourra se faire sans cette première étape. C'est une invitation à passer du rêve , rêve de manger à sa faim aujourd'hui, décrit dans le premier poème entrant de l'ouvrage, à une réalité, celle de nourrir tous les enfants du monde, dernier poème qui ferme l'album. Le message d'espoir est très souligné, mais un avertissement est présent aussi : notre volonté d'éradiquer ce fléau et notre participation sont indispensables. Ce message est accentué par le jeu visuel et sonore des mots faim et fin des deux dernières pages.

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Il semble que le travail de longue haleine des auteurs de cet album ait été bénéfique à l'objectif de rendre un sujet aussi grave d'une portée poétique toute particulière. Les textes isolés de leurs illustrations n'auraient sans doute pas été portés à cette finesse. De même, les illustrations sans les mots ne proposeront pas tant d'émotion. La poésie des mots semble indissociable de celle des images et vice-versa. Plus qu'un manque il semblerait que cette interaction pousse encore plus de loin la poésie, dans une sphère où seul le plaisir de l'album peut nous transporter.

3 - Pour une poésie sans fin

Les jeux d'écho qui donnent à l'album Un rêve sans faim une prolifération de sens et de traits poétiques se constate à plusieurs niveaux. Sur l'espace de la double page, tout d'abord, le texte et l'illustration semblent se répondent. Les poèmes et les images donnent chacune par leur propres techniques une poésie au thème difficile qui est abordé. Les jeux de mots, les rimes, les allitérations, les répétitions, les anagrammes sont autant de procédés qui servent le propos de l'auteur qui donne une vision concrète mais pleine d'espoir de la famine. Les procédés employés par Olivier Thiébaut servent aussi une poétique du propos, difficile à traiter. Le choix de « mise en scène », l'ajout d'objets récupérés, les matériaux naturels employés (pigment, sable, matières diverses) dans les tableaux ancrent le sujet dans une réalité sans tomber dans le cliché de montrer l'horreur brute d'un enfant atteint de famine. Deux photos de visages d'enfants malnutris suffisent à rappeler à notre mémoire que tous les jours nous sommes envahis par ces clichés qui ne nous font même plus réagir tant le nombre les ont fait tomber dans une horrible banalité. La poésie de cet album, tant par les images que par les mots choisis veulent réveiller nos consciences endormies par la fatalité. Les jeux typographiques participent aussi à cet éveil. Sur cette espace de double page, l'interaction des images et des textes rendent aussi un effet poétique. Un jeu entre le visible et le dicible s'est installé : ce que ne peut dire le texte, l'image le suggère, ce que ne peut montrer l'image, le texte l'imagine. Selon Sophie Van Der Linden, « dans l'album, l'image est prépondérante : l'occupation spatiale du livre [par le texte] ne pourra être supérieure à celle des images. Pour autant le texte n'est pas rendu secondaire, il constitue même souvent l'expression prioritaire, notamment dans les récits »1 De fait, si les images permettent la mise en page d'un très bel album, le texte participe à cette mise en page, et nous l'avons vu, la particularité ici est que le

1VAN DER LINDEN Sophie, Lire l'album, l'Atelier du Poisson Soluble, 2006, p.87.

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texte est de la poésie. La continuité des pages est donnée par les images prioritairement, mais aussi par les références inter-textuelles des textes entre eux et les références inter-iconiques des illustrations entre elles. Les échos se retrouvent de pages en pages, les références antérieures donnent sens au poème et les objets ou mots utilisés dans les images ou les textes des poèmes produiront un impact sur les suivants. Ainsi ces rappels iconiques ou textuels donnent une unité à l'histoire de la faim dans le monde qui présente un début, des rebondissements et une fin. L'enchaînement des pages par ces effets d'allers-retours donnent à l'album une continuité, conférant au discours une unité tout en lui proposant une libre circulation autonome. A un troisième niveau encore les références textuelles ou iconographiques puisées dans le patrimoine culturel donnent à ces poèmes une prolifération de sensibilité. Ces références culturelles donnent aux poèmes une profondeur et un relief qui permettent de parler d'une poésie profonde, à la portée des enfants et non affadie.

Ces allers-retours, ces interactions entre images et poèmes, cette continuité des doubles pages, les références intertextuelles et les apports culturels nombreux nous permettent de parler d'une poésie qui s'auto-engendre, une poésie « sans fin » en somme. Le déplacement du regard du lecteur de ce que dit le texte vers ce qu'il suggère et de ce que dit l'image vers ce qu'elle suggère favorise une lecture entre les lignes. La polysémie du texte et de l'image participent toutes deux à élaborer la poésie de l'album, appelant les émotions et les sensations grâce aux jeux sur les mots et sur les images et les procédés. Cette façon de proposer la poésie à des enfants c'est aussi remettre la poésie au coeur de son quotidien. D'une part parce que les thèmes traités le concernent, et loin d'être des thèmes « gnangnans » ils peuvent interroger le monde et notre façon de s'y placer. Ainsi, l'enfant a la possibilité de passer d'une « poésie de l'école », jolie et agréable, à une « poésie sociale »1, celle qui lui permet de transformer sa vision du monde et du même coup de se transformer à partir de ce monde. D'autre part parce que l'album est sans doute le média le plus utilisé par l'enfant, sa forme d'expression adéquate présentant une interaction du texte et de l'image peut être le média idéal pour faire découvrir la poésie aux jeunes enfants. Le plaisir partagé à la lecture de l'album Un rêve sans faim nous montre que le public à qui s'adresse cette poésie n'est pas limité aux enfants. Les interférences avec des textes réservés aux adultes ont permis à ces derniers d'y trouver beaucoup de profondeur, c'est ce que nous avons découvert précédemment. Quoiqu'il en soit, si « « la poésie est un petit monde bizarre : à la fois très exigeant dans sa recherche et toujours en

1CHENOUF Yvanne. LACOURTHIADE Sèverine. , « Projet Poésie », Les actes de lecture n° 115, septembre 2011.

quête d'échange et de reconnaissance »2, il semblerait que l'album pourrait jouer ce rôle de médiateur incontournable, donnant l'occasion de découvrir la poésie, ce genre en mal de reconnaissance.

Aujourd'hui le combat éditorial se situe désormais dans la diversité des formats. Certains éditeurs l'ont compris. Des poètes, et avec eux, des artistes ont choisi de s'adresser aux enfants, par l'intermédiaire de l'album-poème. Il semble que ce soit un format au service de la poésie, une forme idéale pour promouvoir la poésie contemporaine.

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2MATJLPOIX Jean-Michel cité dans « La poésie envers et contre tout », Magazine littéraire n° 499, été 2010.

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Conclusion

Dans le domaine de la poésie, les pratiques traditionnelles marquent le pas : les pratiques scolaires, les recueils et les anthologies de la poésie classique ne semblent plus toujours correspondre aux souhaits des enfants d'aujourd'hui. Pourtant, ce public manifeste de réelles attentes et on constate une belle vitalité de la poésie contemporaine. Il existe bien une poésie pour la jeunesse, et des poètes s'engagent à l'alimenter. Le détour par l'inattendu, la surprise, la voix et l'image contribue donc de manière évidente à désacraliser la poésie, et à la diffuser auprès d'un public d'enfants et d'adolescents. Ils ne découvrent pas la poésie car c'est un art premier. Mais ils l'appréhendent grâce à des voies nouvelles qui se multiplient et contribuent à la découverte de ce genre qu'il faut « sauver ».

Dans ce contexte, Møtus fait partie des précurseurs et conjugue ses efforts avec d'autres éditeurs qui participent à promouvoir ce genre encore trop souvent méconnu. Certains petits éditeurs sont à saluer dans cette démarche : Cheyne Editeur, le Farfadet Bleu, La Renarde Rouge, Corps Puce, Soc et Foc et Rue du Monde. De même certaines collections chez des éditeurs de renom sont à distinguer : Enfance en Poésie chez Gallimard Jeunesse, les Albums Dada chez Mango, Mes Premiers Poèmes chez Milan, Poésie et Comptines chez Bayard Jeunesse. Toutes ces collections et ces éditions nous ont permis de dépasser le recours exclusif à l'anthologie et de renouveler la poésie pour la jeunesse, voire la faire naître en confrontant la jeunesse à la création poétique contemporaine. Mais la diversité et l'originalité des collections que proposent les éditions Møtus marquent un pas de plus, permettant une poésie tout de suite accessible aux enfants. Depuis une trentaine d'année, l'édition jeunesse ouvre ses portes à une poésie proposée aux enfants qui ne les sous-estime pas en leur proposant des auteurs contemporains, des poètes vivants qui écrivent pour des lecteurs attentifs à la poésie inédite.

Ces initiatives renouent avec la notion de plaisir d'autant plus que le support médiatique aussi est innovant. Il s'agit de l'album-poème, objet hybride qui offre, à travers une porosité des genres, une poésie féconde. Grâce à l'album, la poésie sort de sa tour d'ivoire, elle n'est plus un genre sacralisée, inaccessible, elle devient quotidienne, proche et atteignable. L'album-poème, comme Un rêve sans faim1, est un livre qui dans son objet, dans son sujet et dans sa structure efface les frontières entre les genres, certes, mais aussi entre supprime les

1Op.cit.

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carcans dans lesquels on a longtemps enfermé la poésie. Il est à espérer que cette façon d'offrir la poésie aux plus jeunes permettra d'en faire des lecteurs de poésie qui, adultes encore, en deviendront insatiables. « L'origine de la poésie se perd dans l'insondable abîme des âges, car l'homme naît poète, les enfants en témoignent »1. L'enjeu pour la poésie est de de ne pas mourir, redorer son blason à la lumière de nouvelles pratiques, de nouveaux supports, d'un nouveau public, et de nouveaux poètes. Statue trop longtemps délaissée au Musée des Arts, la poésie peut revivre son heure de gloire à travers un genre qui lui sied bien : l'album. Le plaisir partagé des albums-poèmes permettra sans doute à l'enfant d'apprécier une poésie qui lui est adressée. Alors ainsi, ne sera-t-il pas contraint de découvrir la poésie contemporaine à l'université, étudiant-adulte, néophyte en l'art de la poésie parce que jamais confronté à son écriture au préalable, si toutefois, il a la chance d'accéder à des études supérieures. Et quand bien même si ce n'était pas le cas, proposer de lire des albums-poèmes, c'est offrir l'art de la poésie à tous les enfants, une poésie sans fin.

Nous ne pourrons, sans doute, jamais donner une définition tout à fait définitive de la poésie tant elle travaille une dimension infinie de la langue, mais on peut désormais trouver des voies qui nous y conduisent.

Alors nous terminerons ce travail sur cette belle définition que m'a offerte Michel Besnier, poète, lors de notre échange.

« Lors d'un de mes échecs au permis de conduire, l'examinateur m'a dit : "le code de la route, ce n'est pas de la poésie". Il m'a donné, sans le savoir, une définition de la poésie : "la poésie, ce n'est pas le code de la route". »2

Certes, pour les chemins de traverses qu'emprunte la poésie, il n'est guère besoin de code de la route, juste une destination commune, celle où la poésie se vit et se partage.

1PERET Benjamin, poète surréaliste du XXe siècle (1899-1959). 2BESNIER Michel, échange par correspondance du 6 mars 2013.

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(c)Mattéo GIRARD

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BOUDET Alain, Le rire des cascades, ill. DAUFRESNE Michelle, 2001.

BRIERE-HACQUET Alice, Rouge, ill. CARPENTIER Elise, 2010.

CAZALS Thierry, Le petit cul tout blanc du lièvre, Ill. Zaü, 2003

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MAUNOURY Jean-Louis, Nasr Eddin Hodja, un drôle d'idiot, ill. Henri Galeron,

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Collection Poèmes-affiches, éditions Møtus

Les couleurs, H. Labrusse et M.Mousseau

Un dragon peut en cacher un autre, A. François

Le clown, F. David et P. Lebigre

La tête dans les nuages, F. David et M. Solal

Doigt sur la bouche, H. Galeron Logo maison, H.Galeron

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Collection Livre-objets et Poèmes-objets, éditions Møtus

120

Livres-objets translucides, F. David

Dans ma valise, F. David et H. Galeron

La petite fille aux allumettes n'est pas morte, F. David et E. Marie

La poupée russe, F. David et B. Vernochet

Boucles d'oreilles, F. David

Le collier, F. David

Les bonbons-mots, A. Pirès

Le bracelet, F. David

Tes mots sur mes mots, F. David

Autres Editeurs

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BRENDLÉ Chloé, « La poésie en vers et contre tout », Magazine littéraire n° 499, été 2010.

CHENOUF Yvanne. LACOURTHIADE Sèverine, « Projet Poésie », Les actes de lecture n° 115, septembre 2011.

COGNET Anne-Laure, « Usages de la typographie dans l'album contemporain », dans La revue des livres pour enfants n° 264, avril 2012.

COLLEVILLE Nathalie, « A toutes faims ...utile », Livre Echange n°60, octobre 2012.

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ECO Umberto, Entretiens : « Internet encourage la lecture de livres parce qu'il augmente la curiosité », </ http://www.telerama.fr/livre>.

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GALICE Célia, responsable des relations avec le milieu scolaire et universitaire, Dossier « Le printemps de poètes en milieu scolaire » novembre 2011.

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Autres

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SITOGRAPHIE

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LES ILLUSTRATIONS

Couverture : Henri GALERON, Logo des éditions Møtus,. p.5 : Mattéo GIRARD, « La poésie au musée », 2013.

p.40 : Henri GALERON, Le doigt sur la bouche / palmiers, carte-postale et poème affiche, éditions Møtus.

p.43 : Michelle DAUFRESNE, illustration de « La mouette rieuse », Le rire

des cascades, Alain Boudet, Landemer, Møtus, 2001.

p.49 : Henri GALERON, illustration de la couverture de Mes poules parlent, Michel BESNIER, Landemer, Møtus, 2004.

p.79 : Marc SOLAL, illustration de la couverture de La tête dans les nuages, François DAVID, Landemer, Møtus, 1998.

p.94 : Gilles PENNANEAC'H, logo de la collection Pommes Pirates Papillons, illustrateur du livre, La véridique et lamentable histoire du ponza bleu, François DAVID, Landemer, Møtus, 1993, (épuisé).

p.98 : Henri GALERON , illustration de la couverture de Mon Kdi n'est pas un Kdo, Michel Besnier, Landemer, Møtus, 2008 (à gauche) et Andy WARHOL, Campbell's soup Cans, 1962 (à droite).

p.99 : Olivier THIEBAUT, illustration de la couverture de Un rêve sans faim, François DAVID, Landemer, Møtus, 2012.

p.104 : Olivier THIEBAUT, illustration du poème « J'ai fait un rêve » dans Un rêve sans faim, François DAVID, Landemer, Møtus, 2012.

p.107 : Olivier THIEBAUT, illustration du poème « La canne à sucre » dans Un rêve sans faim, François DAVID, Landemer, Møtus, 2012.

p.110 : Olivier THIEBAUT, illustration du poème « Aussi vrai que la terre est ronde » dans Un rêve sans faim, François DAVID, Landemer, Møtus, 2012.

p.117 : Mattéo GIRARD « La poésie dans la cité », 2013.

QUELLE PLACE POUR LA POÉSIE DANS L'ÉDITION JEUNESSE EN FRANCE (1992-2012)?

DÉPOUSSIÉRER LA POÉSIE

FORMES ACTUELLES

EXISTE-T-IL UNE POÉSIE JEUNESSE ?

· La vitalité de la littérature de jeunesse: une chance de promouvoir la poésie

· Un éditeur «jeunesse» engagé à «sauver» la poésie: Møtus, éditeur atypique

· La poésie Ç jeunesse » a son public

· Volonté d'un renouveau poétique - dans les programmes scolaires - dans l'édition «jeunesse»

· Un objet difficile à définir

· Des poèmes classiques

· Une forme privilégiée : l'anthologie

RESSOURCES NOUVELLES

DONNER VIE À LA POÉSIE CONTEMPORAINE

UN GENRE PEU CONSIDÉRÉ

· Des textes ancrés dans le quotidien

· Des rencontres entre le poète et son public

· Des livres de poésie contemporaine à destination de la jeunesse

· Møtus : un éditeur original, découvreur de poésie

· Ecole : premier et unique lieu de rencontre avec la poésie

· Risque d'une poésie mièvre, affadie

· Renouveler les thèmes

· Sortir la poésie des murs, la rendre visible

· Les poètes sont vivants, vitalité de la poésie contemporaine

RENDRE LA POÉSIE ACCESSIBLE

PRATIQUES INNOVANTES

· Développer la dimension sonore : la poésie se dit, s'écoute.

· Développer la dimension visuelle : la poésie se lit, se regarde.

· Former des lecteurs de poèmes

· Møtus : les «voix» de la poésie

UN GENRE PEU REPRÉSENTÉ

· Un lectorat réduit

· La place limitée de la poésie dans la littérature jeunesse

· Politiques culturelles : développer la poésie, genre méconnu

· Médiatiser la poésie

· Remettre la poésie au coeur de la cité

MøTUS PASSEUR DE POÉSIE

L'Album-Poème au service de la poésie pour la jeunesse

MØTUS : UNE AUTRE «VOIX» POUR LA POÉSIE JEUNESSE CONTEMPORAINE






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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery