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Quelle place pour la poésie dans l'édition de littérature pour la jeunesse en France (1992 - 2012) ?

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par Agnès Girard
Université du Maine - Master 1 Littérature Jeunesse 2013
  

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2 - Une poésie du quotidien : les livres-objets

Si les poèmes-affiches sont une autre façon d'offrir la poésie à tous, les livres-objets sont encore un moyen de faire découvrir la poésie aux enfants, sous une forme moins conventionnelle que le livre. Le mot même « livre-objet » interroge : s'agit-il d'un livre ou d'un objet ? Le texte est-il mis en avant ou l'objet prime-t-il sur le texte ? En quoi les livres-objets participent à rendre la poésie plus accessible ?

Il existe un antécédent avec les poèmes-objets d'André Breton qui apporte avec le surréalisme une nouvelle approche de la poésie. En 1942, il en propose cette définition : « Le poème-objet est une composition qui tend à combiner les ressources de la poésie et de la plastique et à spéculer sur leur pouvoir d'exaltation réciproque ».1 Pour Breton, ce « jeu » des mots avec les objets doit pouvoir provoquer une « sensation nouvelle », « inquiétante et complexe ».

1Repris in Le Surréalisme et la peinture, Gallimard, 1965. Cf. Je vois J'imagine, Poèmes-objets, Gallimard, 1991, p. 8.

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La sensation est-elle convoquée dans ces livres-objets que nous propose le catalogue ? Bracelet, collier, boucles d'oreilles, valise, poupée russe, bloc-note, bouteille, porte-clé, boîte d'allumettes invitent les sens. Mais le support est l'occasion d'y inscrire un poème. Le poème se fait le prolongement de l'objet : il est ce que François David nomme un « pré-texte ». Ainsi dans l'entretien qu'il accorde à La toute petite Librairie à Gannat1, il parle du poème La Petite fille aux allumettes n'est pas morte qui fut d'abord une rencontre avec l'objet, une boîte d'allumettes. La conception du poème est venue à la suite de cette rencontre. François David explique que cet objet est à l'origine du poème « Sans[...]la boîte d'allumettes, jamais je n'aurais écrit ce texte »2. Le conte d'Andersen, La petite marchande d'allumettes, pré-existe aussi au poème de François David, il est le texte antérieur qui permet de le mettre en relief, il permet de ce fait une interaction entre les deux textes. Le lecteur n'est plus simple spectateur, il devient acteur. Il doit décrypter les codes, il ne peut le faire qu'en étant moteur de ses actes : ouvrir la boîte d'allumettes, déplier la feuille en accordéon où s'inscrit le texte, le lire et en décoder les références textuelles. Les sens sont mis en éveil, les sensations tactiles et visuelles interpellent, provoquent la surprise et l'envie d'aller plus loin, invitant au prolongement du texte qui apporte avec lui ses surprises. Ces sens comblent le manque que la lecture seule pourrait procurer : si le poème-objet n'est saisi que par l'oeil, il est alors maintenu à distance et ne peut se dévoiler pleinement au lecteur. La manipulation est nécessaire et appelle avec elle la subtilité de la surprise : comment ouvrir ? quel sens privilégier? Pourquoi ce titre ? C'est tout le corps qui est mobilisé. Alors que chaque objet du quotidien, avec sa fonction propre, appelle des manipulations systématiques, presque automatiques, les poèmes-objets interrogent le geste. Ils ont bien alors cette fonction de « dépayser la sensation »3 qui était un des objectifs d'André Breton à travers ces poèmes-objets. Lorsque les « Bonbons-mots »4 se dévoilent à nos yeux, la manipulation de ces objets particuliers laissent également découvrir d'autres sensations surprenantes. Le bruit de l'ouverture du sachet et du papier cristal qui entoure chaque papillote procure l'effet d'un avertissement « acidulé » avant la découverte du texte. La mise en perspective sonore du quatrain participe de ce dépaysement sensationnel : « On dit qu'il est en or / Mais c'est une rose / Un ruisseau de miel / A nos lèvres closes ». Cette façon non-conventionnelle d'entrer dans le texte incite le mouvement du corps tout entier du

1 Motus (1): vidéo de la rencontre avec l'éditeur « Motus » à « La toute Petite Librairie » de Gannat de Richard Morier < www.dailymotion.com>.

2Ibid.

3Breton André, « Situation surréaliste de l'objet », 1935, in Position politique du surréalisme, Denoël-Gonthier, p. 137.

4PIRES Aline, Les Bonbons-mots, Møtus, coll. Livres-objets, 2007.

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lecteur : aller vers la poésie. Les objets sont en ce sens de véritables vecteurs, ils guident le lecteur en provocant surprise, étonnement et interrogation et font appel à des sens rarement invités à la lecture d'un texte.

Lorsque François David crée cette collection « Livres-objets » certains s'écrient qu'il ne s'agit pas de livres mais d'objets et « même lorsque nous avons voulu [...] l'enregistrer avec son numéro ISBN1 , [La poupée russe] nous a été retournée en mentionnant quelque chose comme "ceci n'est pas un livre". Alors si ce n'était pas un livre, qu'est-ce que c'était ? »2. Yves Pinguilly3 écrivait à propos de La petite fille aux allumettes n'est pas morte : « Le mot livre ne convient pas [...] il s'agit d'un objet [...] mais je continue à écrire livre et ceci pour deux raisons. D'une part, pourquoi réserver le mot livre aux seules pages habillées d'une couverture et, d'autre part, parce que ce livre-objet donne à lire du texte »4. De plus, il ne s'agit pas d'un écrin qui enferme un texte quelconque qui relèverait d'un effet « beau papier-cadeau » qui cacherait un présent fade. Le pré-texte est mêlé au texte. Le vecteur sensationnel de l'objet amène le lecteur au poème qui résonne des sens éveillés au préalable et qui s'ancre dans son enveloppe, provocant chez le lecteur un émerveillement. Pour François David le support n'est pas un simple prétexte, mais une façon de dire autrement, « une mise en forme particulière », une manière, rare, de l'aborder »5. Dans cette façon d'aborder le texte on retrouve l'envie d'émerveiller, cher à Apollinaire qui avait fait sienne cette devise : « J'émerveille ». Le quotidien dans ces poèmes-objets se retrouve transformé et interpelle merveilleusement les enfants. Les réactions de ces jeunes lecteurs sont sensibles au regard de ces livres-objets qui touchent, décortiquent, appréhendent l'objet avec leur corps pour en pénétrer le sens et en atteindre les mots. Avec Pierre Reverdy on peut alors comprendre que « la poésie est atteinte quand une oeuvre d'art quelconque s'intègre, ne fût-ce qu'un moment, à la vie réelle de l'homme par l'émotion qu'elle provoque dans son esprit comme dans sa chair ». Les sens permettent au poème de s'ancrer dans le quotidien. Ce n'est plus une poésie confidentielle que nous propose ces poèmes-objets mais une poésie à portée de main, qui étonne, qui interroge, qui, en même temps, remet la poésie à sa place, proche de nous, et transcende notre quotidien.

1ISBN : (International Standard Book Number) est le système international de numérotation normalisée des livres, il est délivré en France, par L'AFNIL (Agence Francophone pour la Numérotation Internationale du Livre).

2DAVID François, « Ceci n'est pas un livre », Griffon, Op.cit. p. 23.

3PINGUILLY Yves, né en 1944 à Brest a écrit des romans, albums, contes, recueils de poésie, théâtre, et quelques documentaires sur la peinture.

4PINGUILLY Yves, Griffon, Op.cit.

5DAVID François, La revue des livres pour enfants, Op.cit.

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Les enfants à chaque fois émerveillés ont permis le succès de La poupée russe, un livre-objet créé pour eux. En effet, l'aventure avait mal commencé et les bibliothécaires et les libraires ne voulaient pas des 2 000 exemplaires publiés par Møtus. La poupée russe était toujours très bien accueillie par les enfants, leurs réactions toujours enjouées et surprises. Cela a garanti à ce livre-objet une belle réussite car aujourd'hui le titre est épuisé. François David écrit « chaque fois que je montre La poupée russe aux enfants, qu'ils ouvrent des yeux immenses et crient " c'est magique ! " en la découvrant, je me dis que ce serait bien que ceux qui avaient douté de ce livre-objet à sa sortie puisse les voir et les entendre »1. Les éditions Møtus ont-elles été précurseurs dans le succès des livres-objets qui continuent quelques années après. Dans ma valise, évoque « le voyage sur l'île la plus déserte, avec pour tout bagage, tout le poids d'un poème »2 ; les poèmes-objets translucides se présentent comme une vitre où l'on peut lire que « Le plus important / ça ne s'entend pas / ça reste invisible / entre les mots ». On peut trouver encore Les boucles d'oreilles où sont inscrits a droite « Toi » et à gauche « Émoi », un collier-poème (« Les mots voyagent sur mon cou comme s'ils découvraient le monde »), des broches, d'autres colliers et bracelets. On découvre encore un bloc note Tes mots sur mes mots, salué par Philippe Geneste3 et qui invite le lecteur à écrire par-dessus un quatrain laissé en filigrane par l'auteur sur chacun des cent trente-deux feuillets. L'invitation de François David est claire : « Ecris sur mes mots / tes mots / auront un peu / le goût des miens ». Dans ce petit outil du quotidien, le bloc note permettra une lecture par éclats et une invitation à écrire, invitation à rendre la poésie accessible à tous et à la partager.

Dans cette volonté d'« émerveiller », les éditions Møtus proposent une poésie quotidienne, une invitation à transcender le prosaïque. En proposant une autre façon d'appréhender la poésie, qui fait appel à nos sens, la poésie nous renvoie son image : celle d'un langage universel, partagé par tous. Quand François David nous propose ces livres-objets, on touche la poésie du bout des doigts et ainsi, reflet d'un miroir, la poésie nous touche.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote