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Penser la justice dans le monde, une urgence Rawlsienne

( Télécharger le fichier original )
par Eric Christian BONG NKOT
Université de Yaoundé 1 - Mémoire rédigé en vue de l'obtention d'un diplôme d'études approfondies ( DEA ) en philosophie.  2009
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITE DE YAOUNDE I

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FACULTE DES ARTS, LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

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DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE

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THE UNIVERSITY OF YAOUNDE I

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FACULTY OF ARTS, LETTERS AND HUMAN SCIENCES

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DEPARTMENT OF PHILOSOPHY

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PENSER LA JUSTICE DANS LE MONDE,

UNE URGENCE RAWLSIENNE.

Mémoire rédigé en vue de l'obtention d'un Diplôme d'Etudes Approfondies

(DEA) en Philosophie.

Option : Philosophie Morale et Politique.

Présenté par 

BONG NKOT Eric Christian

Maîtrise en Philosophie.

Sous la direction de

Charles Romain MBELE

HDR de l'Université de Strasbourg,

Chargé de cours à l'Ecole Normale Supérieure,

Université de Yaoundé I.

Année académique 2009-2010.

A Azé

REMERCIEMENTS

Pendant la réalisation de ce travail, nous avons reçu de nombreux appuis. Nous voulons en citer quelques uns. Nous sommes reconnaissant au professeur Charles Romain Mbele qui a supervisé ce travail de la conception à la réalisation. Nous avons tiré un immense profit des innombrables suggestions et critiques que nous avons reçues. Nous sommes reconnaissant à Etienne Mulunde, à Olivier Ntibiringuirwa. Nous avons une dette à l'égard de Mlle Eléonore Ketcha, M. Francis Tchassem, M. John Ndah, Mme Annette Mouangue, dont les relectures ont aidé à la réalisation du manuscrit définitif.

Sans la bonne volonté de ces personnes, nous n'aurions jamais pu terminer ce travail.

RESUME

Cette étude est une exploration analytique et critique qui s'attaque au problème de la domination comme modalité de justice sociale et internationale. Elle veut premièrement montrer que l'éthicité d'une théorie de la justice et du droit doit prendre pour critère la double exigence qui conditionne la théorie de l'Etat-nation chez Rawls : l'autonomie doctrinale d'une conception politique de la justice et l'autonomie complète des citoyens d'une société démocratique. Cette hypothèse passe par le refus du décisionnisme politique schmittien pour une société plus ouverte, le refus de s'enliser dans le dualisme monde sensible / monde intelligible de Kant pour une conception politique de la justice, le refus de lire la justice sociale en termes d'efficacité économique comme le fait l'utilitarisme pour une meilleure défense de la liberté citoyenne et de l'égalité. Deuxièmement cette étude essaye de montrer comment la catégorie d'autonomie peut se conjuguer en termes de relations internationales. Dans ce cas le libéralisme politique rawlsien soulève des perspectives intéressantes pour une critique de la théorie de l'identité postnationale et ses conséquences. Notamment celle qui se manifeste par la désunion de la référence politique et de l'appartenance culturelle. Troisièmement cette étude soutient la possibilité de penser la politique autrement à travers l'élucidation des conditions pouvant enclencher l'effectuation d'une promesse de vie meilleure à travers la coopération sociale. Ce qui conduit à poser deux thèses :

1-On ne peut parler de justice sociale sans la reconnaissance du droit à une vie meilleure pour tous, en particulier pour les personnes les plus défavorisées.

2-On ne peut parler de justice cosmopolitique sans la reconnaissance du droit des peuples à un développement égal et à une infrastructure adaptée à leurs besoins.

ABSTRACT

This study is an analytical and critical exploration addressing the issue of dominion as social and international justice modality. Firstly, it aims to show that the ethicity of a theory of justice or law must have as criteria the double constraint which is the basis of Rawls's Nation-state theory: the doctrinal autonomy of a political conception of justice and the entire autonomy of citizens of a democratic society. This hypothesis considers the refusal of Schmitt's political decisionism for a more open society, the refusal to involve in a dualism tangible world / intelligible world of Kant for a political conception of justice, the refusal to interprete social justice in terms of economic efficiency as Utilitarism for a better defence of freedom and equality of citizens. Secondly, this study attempts to show how the category of autonomy can be seen in terms of international relations. In this case Rawls's political liberalism rises interesting perspectives for a critical study of the postnational identity theory and its consequences. Especially, the one manifest by the separation between political reference and cultural belonging. Thirdly, this study backs the possibility to consider politics differently through the elucidation of conditions which engage the effectiveness of insurance for a better life trough social cooperation. This leads to two theses: 1- we cannot talk of social justice without the consideration of the right for a better life, in particular for the poorest. 2- We cannot talk of cosmopolitan justice without the consideration of people's right to an equal development and to infrastructures adapted to their needs.

INTRODUCTION GENERALE

La justice élève une nation, mais l'iniquité est la honte des peuples.

I- Présentation du travail

Notre intérêt pour la question de la justice dans la pensée de John Rawls s'inscrit dans un projet de recherche plus général : comprendre la défense des rapports inégaux comme point crucial de la philosophie politique. Du moins telle semble être l'orientation qui en ressort depuis Platon. Cette question traverse le texte de La République dans son ensemble. Ici, Platon discute deux principales conceptions de la justice. La première, celle qu'il approuve, pose une conception hiérarchique de la notion de justice selon laquelle une organisation sociale juste est celle qui est calquée sur le modèle de l'âme humaine1(*). L'autre conception à laquelle il s'oppose, soulève l'idée que la justice est la quête de prudence rationnelle dans un contexte où la coopération sociale est la condition de l'autoréalisation individuelle. Ainsi, la question de l'essence de la justice d'abord posée dans les écrits du philosophe athénien, surgit inévitablement en politique lorsque les participants à la coopération sociale commencent à s'intéresser aux principes qui gouvernent leur mode de vie. Aussi dans le monde actuel, il n'est plus étrange de voir la justice établie comme fondement de l'ordre social, idéal dont se revendique toute politique humaine.

Plus spécifiquement dans ce travail, nous avons choisi de nous attaquer au problème de la domination comme modalité de justice sociale et internationale, en lui substituant l'alternative du respect et de l'égalité. Le climat social de notre monde est influencé par une certaine vague idéologique qui tente d'extraire de l'action politique, les considérations prescriptives du droit et de la morale pour la fonder sur l'efficacité économique et la performance individuelle. Les idées qui sont la cause la plus profonde de cette définition des rapports sociaux découlent d'une théorie de l'hétéronomie des valeurs sociales qui a profondément influencé leurs dispositions communes, à savoir les doctrines téléologiques classiques élaborées principalement en Angleterre, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Ceux qui, en s'y ralliant, croient trouver des arguments pour organiser le monde, ne doivent pas ignorer que le corpus philosophique qui constitue les doctrines téléologiques élabore dans son ensembles une conception métaphysique de l'individu, faisant de ce dernier la source ultime des revendications légitimes.

La relation de ce système avec le problème de la domination cité plus haut saute aux yeux, lorsqu'on considère le type de rapport au monde que définit la glorification de l'efficacité économique et la sublimation de la performance individuelle. Que se soit au niveau national ou international, l'interaction humaine est marquée du sceau de la répression de l'oppression, de la discrimination, qui sont autant de formes de l'injustice. Etat des choses qui nous oblige à repenser le fondement des sociétés actuelles et le type de rapport qui les gouverne, dans le but d'assouplir les formes coercitives de cette rationalité de la domination. Il convient dès lors, pour parvenir à une véritable analyse du problème de la justice dans le monde, de dépasser l'ancien modèle marxiste qui réduisait la critique sociale à la critique de l'économie politique. Nous nous intéresserons à toutes les nouvelles formes de légitimation de la domination, pour penser les fondements philosophiques nécessaires à la création d'un espace démocratique fondé sur la justice politique.

Pour ce faire, nous situerons notre analyse dans un cadre théorique bien particulier : la théorie de la justice comme équité  du philosophe américain John Rawls, sous l'angle et à l'aide d'une notion : la justice. Comment et à quelles conditions la catégorie philosophique de justice peut aider à penser l'interaction humaine sous un autre mode que la domination ? Tel est le prétexte de la présente réflexion.

D'abord pourquoi la notion de justice ? Il est d'un intérêt majeur de mettre en perspective la période historique qui fonde la défense des valeurs démocratiques dont se réclament les sociétés actuelles, puisque l'idée de justice est au coeur même de la conception démocratique de la société. Les théories sociales qui émergèrent après la deuxième guerre mondiale constituent un effort pour réorganiser politiquement l'ensemble des peuples autour d'un impératif pratique dont le mot d'ordre est la lutte contre la mort de l'espèce humaine et pour la survie de l'humanité. Que se soit en Occident ou sous les Tropiques, la démocratie est devenue après 1945, l'objet d'une vaste interrogation ouvrant la perspective d'une déconstruction plus radicale de ses principes. En Europe, le défi posé à la philosophie était de prouver que la démocratie pouvait encore apporter une contribution efficace à la prise en charge de ce nouvel impératif que le totalitarisme nazi a imposé à l'humanité : «  penser et agir en sorte que Auschwitz ne se répète pas, que rien de semblable n'arrive2(*). » 

En Afrique, l'impératif philosophique s'est fondé sur une double approche. D'abord les revendications d'indépendance étaient fondées sur une analyse des traditions devant fournir la preuve que les Africains sont capables de se forger un destin historique. Après les indépendances, il fallait trouver une « philosophie du développement » capable de conduire les nouveaux Etats indépendants à la souveraineté, au bonheur et à l'émancipation des populations. Ce commentaire d'Alain Renaut nous instruit d'avantage :

La prise de conscience progressive de ce qui n'apparaissait à Adorno que comme « la barbarie administrative de l'Est » et, plus généralement la découverte de tout ce dont l'humanité est capable « au nom du droit démocratique des hommes à disposer de ceux qui leur ressemblent » ne put que rendre plus redoutable encore l'interrogation : comment philosopher et notamment comment philosopher sur les chances de la démocratie et de ses valeurs, après les totalitarismes de l'Ouest et de l'Est et après la colonisation3(*).

Dans ce contexte, un thème émerge autour duquel des théories s'affrontent, du moins dans le monde anglo-saxon : la protection de droits individuels. Ici, on cherche à savoir si une fois les principes du libéralisme politique posés, on peut aisément parvenir à une résolution des problèmes relatifs à l'allocation et à la redistribution des richesses économiques, sociales, symboliques, que pose une organisation sociale ayant pour principe la protection et l'affirmation des droits individuels. John Rawls est une figure incontournable dans cette interprétation du libéralisme. En intégrant dans la tradition libérale l'héritage de Marx et de Weber, il a su poser la nécessité pour le libéralisme politique de compléter sa conception de la justice sociale par l'articulation d'un principe de différence et de juste égalité des chances au traditionnel principe de l'égalité des droits.

Le thème de la justice est envisagé dans la pensée de John Rawls dans le sens d'une assignation impartiale des droits. Le plus important ici n'est pas de parvenir à une doctrine de la justice qui serait une solution miracle applicable à n'importe qu'el type de société. Ce qui intéresse Rawls, c'est le fondement qui convient le mieux à une société démocratique. En d'autres termes, il est question pour le philosophe américain de parvenir à une conception de la vie politique où les exigences démocratiques de liberté et d'égalité se concilient. C'est pour cette raison que la justice est érigée en « première vertu des institutions sociales »4(*) dont le centre d'intérêt est la structure de base de la société.

Pour nous, écrit-il, l'objet premier de la justice, c'est la structure de base de la société, ou plus exactement la façon dont les institutions sociales les plus importantes répartissent les droits et devoirs fondamentaux et déterminent la répartition des avantages tirés de la coopération sociale.5(*)

Ces institutions sociales les plus importantes se divisent en deux groupes, définissant ainsi le binôme social de Rawls. Le premier groupe des institutions sociales, fondé sur le traditionnel principe d'égalité des droits, définit la constitution politique d'une société démocratique. Le second groupe, fondé sur un principe de différence et d'égalité des chances, définit les conditions de l'égalité démocratique dans une société pluraliste.

Cette bipolarisation des institutions fondamentales de la société traduit le désir pour Rawls de donner une nouvelle approche de la justice distributive. Approche convenable aux sociétés contemporaines, traversées par le fait du pluralisme et son corollaire d'inégalités. Pour atteindre cet objectif, le philosophe américain recourt à une fiction théorique qui place les individus dans une situation idéale de choix pour les meilleurs principes de justice sociale acceptables pour tous, en particulier pour les membres de la société les plus défavorisés. C'est la « position originelle » dans laquelle les individus ignorent les conditions du monde dans lequel ils vont vivre une fois le contrat passé, et la place qu'ils y occuperont : ils sont derrière un « voile d'ignorance ». Dans ces conditions particulières, l'individu va rationnellement et raisonnablement choisir un système lui garantissant les meilleures conditions possibles de justice pour lui-même, mais compatibles avec celles des autres membres de la société. Ces meilleures conditions possibles de justice, Rawls les définit sous la forme de deux principes fondamentaux : le principe de libertés égales et le principe de différence et d'égalité des chances. Voici la formulation que donne Rawls :

Premier principe :

Chaque personne doit avoir un droit égal au système total le plus étendu de libertés de base égales pour tous, compatible avec un même système pour tous.

Second principe :

Les inégalités économiques et sociales doivent être telles qu'elles soient : a) Au plus grand bénéfice des plus désavantagés, dans les limites d'un juste principe d'épargne et b) attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, conformément au principe de la juste (fair) égalité des chances.6(*)

Mais aussi élégants et formels que puissent être ces principes, ils doivent se comprendre en fonction d'une hiérarchisation (règle de priorité) qui conditionne la théorie rawlsienne de la justice. Cette hiérarchisation stipule que ces principes fondamentaux de justice sociale s'organisent selon un ordre qui exige la satisfaction prioritaire du premier principe avant de passer au second. Puis la satisfaction du second avant le troisième, et ainsi de suite. C'est ce que Rawls appelle un ordre « sériel ou lexical »7(*). Cet ordre lexical consacre deux règles de priorité. La première règle pose la priorité de la justice politique sur la justice économique. Le principe politique d'égale liberté pour tous doit obtenir une pleine satisfaction dans l'organisation sociale, avant de songer à l'application du second principe. C'est dire que chez Rawls, la liberté possède une valeur absolue. Une conception existentialiste du sujet politique qui découvre son essence dans la liberté. De même que l'existentialisme sartrien pose la fin de la liberté par le commencement de la liberté, l'ordre lexical rawlsien pose comme condition de limite d'une liberté, le gain d'une autre liberté plus importante. Deux cas sont envisageables à cet effet :

Une réduction de liberté doit renforcer le système total de libertés partagé par tous ; une inégalité de liberté doit être acceptable pour ceux qui ont une liberté moindre.8(*)

Bref, l'ordre lexical, dans sa première priorité, détermine les conditions de possibilité d'une restriction de liberté. Elle n'est acceptable qu'au cas où elle assure le gain d'une plus grande liberté pour tous, ou si elle est volontairement consentie par ceux qui la subissent. Ainsi l'utilitarisme qui fonde la violation des libertés citoyennes de base sur un gain important des avantages socio-économiques est exclu de l'organisation sociale.

On ne peut pas refuser à certains groupes sociaux les libertés politiques égales pour tous sous prétexte que s'ils les exerçaient, cela permettrait de bloquer des politiques essentielles à l'efficacité et à la croissance économique.9(*)

L'ordre sériel pose ensuite la priorité du juste sur le bien. Cette règle de priorité demande la subordination lexicale du volet (b) du second principe d'efficacité économique, à la maximisation de la somme totale des avantages. Elle suppose aussi la juste égalité des chances comme antérieure au volet (a) du second principe. Deux cas sont encore envisageables :

Une inégalité des chances doit améliorer les chances de ceux qui en ont le moins ; un taux d'épargne particulièrement élevé doit, au total, alléger la charge de ceux qui ont à le supporter.10(*)

En somme, l'ordre lexical est une forme d'organisation qui permet à Rawls d'établir une relation d'ordre entre les deux principes de justice, et plus loin entre le juste et le bien. La priorité du juste sur le bien détermine une lecture politique de la justice qui s'oppose à l'utilitarisme. Un concept apparaît pour légitimer cette opposition : l'autonomie.

Rawls définit sa conception politique de la justice en rapport à l'idée kantienne de l'autonomie. C'est la distinction kantienne entre l'autonomie de la raison et son hétéronomie, qui fonde l'opposition entre politique et métaphysique chez Rawls. Revenant sur le principe d'égale liberté pour tous, il déclare « (...) qu'il y a une interprétation kantienne de la conception de la justice dont ce principe dérive. Cette interprétation est basée sur la conception kantienne d'autonomie. »11(*)

Le moment de l'autonomie, c'est-à-dire l'idée que la volonté de chaque être raisonnable peut être conçue comme volonté législatrice universelle, se présente comme solution à l'opposition entre le monde sensible et le monde intelligible chez Kant. Ainsi, l'autonomie n'est pas une valeur parmi tant d'autres. Elle est le principe sur lequel John Rawls veut fonder l'indépendance de la raison humaine par rapport à l'autorité et à la transcendance, dans un contexte démocratique. Catherine Audard le note avec conviction :

La politique chez Rawls doit être conçue comme un pur pouvoir pratique, autonome par rapport à la raison pure théorique, c'est-à-dire la faculté cognitive. Elle ne peut être simple application prédéterminée et « compréhensive » du bien.12(*)

Cette lecture d'une conception politique de la justice est poursuivie dans Libéralisme politique, ouvrage dans lequel Rawls se propose un remaniement des thèses développées dans Théorie de la justice. La justice y est appréhendée, non pas en rapport avec une conception métaphysique du bien, mais comme un instrument de stabilité politique et de cohérence sociale, pacifiant les sociétés démocratiques dans leurs conflits internes. La justice fournit une plate forme commune pour la stabilité et la cohérence sociale, dans un contexte de désaccord fondamental entre les conceptions religieuses, morales, métaphysiques, auxquelles adhèrent les citoyens d'une démocratie constitutionnelle. Ce commentaire de Catherine Audard est assez instructif :

La théorie de la justice comme équité chercherait à réconcilier ou à pacifier les sociétés pluralistes en présentant les principes de justice auxquels les citoyens doivent se soumettre comme étant purement « politiques », c'est-à-dire ne mettant pas en question leurs croyances personnelles. Ces principes n'ayant aucune prétention à la vérité ne pourraient être en concurrence avec la foi religieuse, les options morales et les appartenances philosophiques des citoyens.13(*)

Ces clarifications nous permettent de saisir l'autonomie comme principe à partir duquel Rawls légitime les pratiques et les institutions politiques. Deux conditions fondent cette légitimation. Premièrement, pour être légitimes, les institutions politiques doivent assurer l'autonomie complète des citoyens. A cet effet, Rawls considère les principes premiers de justice comme des impératifs catégoriques au sens kantien du terme.14(*) La deuxième condition pose que l'expression de cette autonomie doit se faire dans des conditions qui excluent l'injustice ; des conditions elles-mêmes justes donneront, selon Rawls, des résultats justes. Ainsi la catégorie d'autonomie plonge la théorie rawlsienne de la justice sociale dans une ambivalence se jouant entre l'autonomie doctrinale d'une théorie politique de la justice, et l'autonomie complète des citoyens d'une démocratie.

II- Problématique

Le problème qui oriente cette réflexion est celui des conditions de possibilité de l'autonomie politique dans le contexte de globalisation. Il serait peut-être naïf de poser ce problème dans un monde global où le réalisme politique considère l'utilité comme principe fondamental de toute politique de reconnaissance. Ici, soit on proclame l'impossibilité de fonder la conduite des affaires politiques sur des normes éthiques, soit on réduit la politique à la quête de l'efficacité économique. Etat de choses qui nous obligent à justifier pourquoi au-delà de ces égarements, il est encore nécessaire de poser aujourd'hui la question de l'autonomie dans le monde.

A quelle(s) condition(s) aujourd'hui une redéfinition de la politique peut-elle affirmer l'autonomie des institutions sociales, afin qu'elles puissent promouvoir l'autodétermination des peuples ? Quelles sont les conditions de possibilité d'une émancipation du vécu politique des carcans de l'injustice ?

Ainsi posée, notre question requiert pour son traitement une catégorie jouant le rôle de support théorique, et un cadre épistémologique à l'intérieur duquel les articulations de cette catégorie se déploient. La catégorie qui nous conduira à la mise en perspective du discours et de la pratique institutionnelle de la justice est l'autonomie rationnelle. Le cadre théorique structurateur étant la théorie de la justice comme équité de John Rawls. La problématique se précise dès lors en ces termes : l'autonomie rationnelle peut-elle aider à la déconstruction, mieux à la refondation des systèmes de répression par lesquels l'idéologie capitaliste néolibérale conditionne la justice cosmopolitique (Banque mondiale, F.M.I, et autres organismes internationales)? Si oui, à quelle condition cette refondation peut-elle promouvoir la reconnaissance du droit au développement des individus et des peuples ?

Ainsi posée, notre problématique doit donner ses « lettres de créances ». Au nom de quoi invoquer la théorie de la justice comme équité ? John Rawls est en effet un philosophe contemporain très important et très controversé. Il reconnaît que les sociétés démocratiques sont constituées de modèles d'inégalités injustes et de façon systématique d'attribuer certaines positions aux personnes, quand il s'agit de hiérarchie de pouvoir, de statut et de distribution des ressources, qui persistent dans le temps. Son oeuvre se présente dès lors comme une source intarissable d'idées dont ne saurait faire l'économie un philosophe de la politique. Robert Nozick, pourtant fervent opposant aux idées de Rawls, pense que depuis la publication de Théorie de la justice, il n'est plus possible à un philosophe de la politique de travailler en ignorant ce corpus, à défaut il devra justifier son refus. Théorie de la justice représente à yeux

Une oeuvre systématique puissante, profonde, subtile et de grande envergure dans le domaine de la philosophie politique et morale qui n'a rien connu de tel depuis les écrits de John Stuart Mill, pour autant que ceux-ci l'égalent. C'est une source d'idées éblouissantes, intégrées en un tout engageant. Désormais les philosophes de la politique doivent travailler dans le cadre de la théorie de Rawls, soit dire pourquoi ils s'y refusent.15(*)

La théorie de la justice comme équité se veut à la fois ouverte et fermée. Ouverte, parce qu'elle implique l'exigence de déconstruire une culture politique fondée sur une idéologie de la domination. A cet effet, Rawls présente sa théorie comme une machine de guerre lancée contre l'utilitarisme16(*). Fermée, par son ethnocentrisme, la théorie de la justice comme équité plonge ses racines et trouve ses arguments dans la tradition politique libérale occidentale, et la plupart de ses commentateurs restent enfermés dans cette tradition politique. Tout se passe comme si le discours de Rawls ne restait pertinent, et ses thèses efficaces qu'à l'intérieur de sa propre  « tribu». Déconstruire cette vision « tribaliste » de la pensée rawlsienne consiste pour nous à l'arracher de son « provincialisme politique » pour qu'elle soit jouée sur l'espace public mondial en général comme une partition dont on notera l'ensemble des mouvements. Ainsi, comme théorie enracinée dans une histoire particulière, la pensée de Rawls est fragile en quelques points, notamment la substitution du traditionnel principe d'égalité par le principe d'équité. Mais comme pensée admettant un dépassement et une ouverture vers un ailleurs possible, celui du refus du décisionnisme politique pour une société plus ouverte, la théorie de Rawls est plus que jamais vivante.

Dans ce travail, nous nous proposons, du point de vue de la démarche, de faire une lecture critique de la théorie de la justice comme équité. Mais cette lecture ne peut être complète qu'à travers une lecture avec la théorie de la justice comme équité. La première est une sorte d'examen critique à l'intérieur d'une philosophie, des problèmes liés à ses options et paradigmes. La seconde lecture, s'appuyant sur l'histoire, scrute le réel politique de notre monde afin d'analyser les multiples coagulations de l'autonomie dans le monde.

Trois axes de recherches devraient dès lors retenir notre attention. Tout d'abord, il sera question de chercher au niveau de la pensée de Rawls comment s'articule l'opposition entre le rationnel et le raisonnable en politique, la théorie et la pratique, la raison pure théorique et la raison pure pratique. Finalement, quelles incidences l'autonomie peut-elle avoir vis-à-vis de la justice ? Et au nom de ces incidences, quel usage politique peut-on faire de la conception rawlsienne de l'autonomie rationnelle ? Le premier axe de notre recherche sera intitulé : Enjeux du concept d'autonomie dans la théorie de la justice comme équité. L'exploration à ce niveau met en exergue la double exigence qui conditionne la pensée de John Rawls : l'autonomie doctrinale d'une conception de la justice et l'autonomie complète des citoyens d'une démocratie.

Une fois les enjeux de l'autonomie rationnelle examinés, ses limites et ses ambiguïtés soulignées, nous procéderons avec et contre la théorie de la justice comme équité à une mise en perspective des modalités de l'autonomie politique dans le monde. Ceci constituera le second axe de notre réflexion. Pour l'essentiel, il essayera de détecter au sein de l'immanence politique du monde néolibéral, certaines pratiques et quelques discours ayant pour but la négation de cette autonomie rationnelle. D'où le titre : Critique sociale et modalités de l'autonomie politique dans le monde. Cette partie se veut beaucoup plus pratique, car c'est le devenir de la société en tant qu'organisation politique qui nous intéresse ici. C'est dans son fonctionnement qu'il faut voir les diverses manoeuvres par lesquelles l'affirmation de l'autonomie rationnelle est paralysée. Plusieurs discours sont explorés pour voir comment au sein de ceux-ci, l'autonomie de la raison est éjectée de l'espace public contemporain. Mais cette enquête sur l'autonomie de la raison dans l'espace public contemporain, doit déboucher sur un programme de libération. D'où le titre de notre troisième partie : Réinvestir la théorie de la justice comme équité. L'intérêt de cette partie réside dans l'opposition entre une théorie fondée sur l'histoire politique occidentale, et ses possibilités d'ouverture dans des aires non occidentales. Ensuite, il y a la mise en exergue de l'autonomie de la raison comme programme. Nous ne prétendons pas faire de cette catégorie, une clé ouvrant toutes les portes. Mais en là posant comme hypothèse, il est possible de parier avec elle pour une critique sociale féconde.

PREMIERE PARTIE 

ENJEUX DU CONCEPT D'AUTONOMIE DANS LA  THEORIE DE LA JUSTICE COMME EQUITE

LIMINAIRE

Cette première partie veut élucider le statut de l'autonomie dans la théorie de la justice comme équité. Comment cette dernière s'articule-t-elle vis-à-vis de l'autonomie rationnelle au sein de la philosophie politique ? Cette interrogation vise à comprendre d'abord les rapports entre la théorie de la justice comme équité et la critique sociale. Cette question nous permettra ensuite de voir dans quelle mesure la pensée de Rawls peut être gratifiée de philosophie de l'immanence sociale, ou si elle n'est qu'une critique sociale très utopistique, au sens où l'entend Ernst Bloch lorsqu'il oppose l'utopistique à l'utopie concrète17(*).

Cette première partie se divisera en trois chapitres. Le premier chapitre, intitulé « De l'Etat-nation -nation démocratique... », met en exergue la double exigence qui conditionne la théorie de l'Etat-nation démocratique chez Rawls, à savoir l'autonomie doctrinale d'une conception politique de la justice et l'autonomie complète des citoyens d'une société démocratique.

Le second chapitre intitulé « Au monde » se propose de scruter la question des rapports interétatiques dans la pensée rawlsienne. Il se propose de voir comment la catégorie d'autonomie se conjugue en termes de relations internationales.

Quelle est la pertinence théorique et pratique de l'autonomie, entendue comme faculté humaine à se donner des lois et les respecter sans contraintes extérieure, face à la désespérance totale ? La théorie de la justice comme équité peut-elle être considérée comme pensée de l'autonomie politique ? La réponse à cette question est l'objet du troisième chapitre.

CHAPITRE I : DE L'ETAT-NATION DEMOCRATIQUE...

Une difficulté évidente apparaît lorsqu'on veut retracer l'articulation de l'autonomie par rapport à la question de la justice dans la pensée de Rawls. Comment parler de l'autonomie politique chez un penseur qui n'a pas explicitement traiter de cette catégorie ? Cependant, réfléchir sur cette catégorie implique une analyse des rapports entre théorie et pratique sociale dans la pensée de Rawls.

A. DE L'AUTONOMIE DOCTRINALE D'UNE CONCEPTION DE LA JUSTICE...

La question de l'autonomie doctrinale, c'est-à-dire la possibilité pour une théorie politique d'être acceptée comme moralement valable, se penche sur la place de l'individu dans la construction sociale. Les idées traditionnelles qui assujettissaient l'ordre des valeurs politiques d'une part, à une problématique théologique18(*), et d'autre part à une problématique de la domination19(*) sont rejetées au profit d'une détermination des fins bonnes qui puissent valoir absolument et soient objectivement pratiques. Du point de vue de Rawls, ce qui importe désormais c'est la constitution de l'objectivité dans l'ordre politique fondé sur les principes de la raison pratique, en liaison avec les conceptions politiques appropriées de la personne et de la société.20(*)

Dans cette perspective, l'essentiel dans la réflexion politique est qu'elle puisse concevoir dans le cadre de l'immanence au sujet, des normes non seulement subjectives (c'est le sujet qui les pose), mais aussi intersubjectives. Il s'agit en effet de savoir comment concevoir des normes que je puisse poser et qui pourtant, limitant mon individualité, puissent valoir à la fois pour moi et pour tous. Une réflexion sur les fondements de la législation sociale doit s'arrimer à la question d'une limitation de l'individualité capable de fonder la communication et l'intersubjectivité. Ceci pour deux raisons.

Il est premièrement question de renforcer l'idée moderne selon laquelle une société démocratique n'est envisageable qu'avec l'existence de normes trans-individuelles. En l'absence de ces dernières, l'intersubjectivité est substituée par un culte du moi, de l'individualité. Contre le développement d'un tel culte, il est requis de penser à nouveau la transcendance des normes sociales par rapport à la subjectivité.

Deuxièmement, il convient d'évacuer de la théorie sociale toute problématique théologique. Se proposer de penser la transcendance des principes de justice sociale n'est pas une invitation à briser le cercle de l'immanence, à sortir du cadre de la subjectivité pour opérer un retour à une normativité calquée sur le modèle prémoderne de la loi divine, ou de l'extériorité des traditions. Il n'est pas question de ramener à la vie sociale, les figures de transcendance faisant appel à un cosmopolitisme ouvert et infini. Dans les models de normativité sociale défini par la loi divine, l'extériorité des traditions ou le cosmopolitisme ouvert et infini, le sens des valeurs et des normes politiques n'est pas pour le sujet.

Les sociétés démocratiques actuelles se construisant sur la base d'un Désenchantement du monde21(*), l'immixtion dans la théorie sociale d'une problématique théologique n'est pas souhaitable. Le défi qui se pose aux sociétés contemporaines, et la problématique fondamentale de la théorie sociale, concernent le moyen de savoir comment concilier l'exigence d'indépendance individuelle avec l'existence nécessaire des normes politiques, qui suppose bien la limitation de l'individualité. Alain Renaut l'énonce en ces termes :

Comment à l'intérieur de l'immanence à soi qui définit la subjectivité, penser encore la transcendance d'une normativité et limiter l'individualité ? 22(*) 

On comprend dès lors que l'orientation rawlsienne de la philosophie politique développe l'idée de l'autonomie doctrinale autour du problème de la transcendance dans l'immanence. Voyons à présent les contours de ce développement.

1. L'idée de Raison Publique

La raison publique est le fondement de la légitimité du pouvoir politique. Cette notion s'interprète différemment selon les approches de l'organisation sociale qu'on adopte. Dans la théorie sociale moderne, l'idée au fondement de la raison publique est qu'une décision collective, portant sur les termes de l'association politique et impliquant l'exercice du pouvoir contraignant, n'est légitime que si elle possède une justification publique. Cette forme de légitimation de l'exercice du pouvoir politique s'appuie sur l'idée d'un droit fondée en raison, base normative sur laquelle l'Occident voulait établir les rapports entre les individus et les peuples après la première guerre mondiale.

a. La raison publique dans le décisionnisme politique de Carl Schmitt

En 1932, l'idée d'un droit fondé en raison est désavouée par la régénérescence d'un concept politique de pouvoir souverain. Il ressort de ce concept une conception décisionniste de la politique, développée dans l'ouvrage de Carl Schmitt intitulé La Notion de politique23(*). Ici, la raison publique se fonde essentiellement sur la puissance coercitive de l'Etat vis-à-vis de ses ennemis externes et internes. Car la mission régalienne de l'Etat est de sauver les citoyens des affres de l'autonomie à laquelle ils aspirent continuellement. A cet effet, le souverain décide de l'Etat d'exception24(*). Et dans la mesure où les forces subversives de la société évoquent toujours la question de la justice et de la vérité, le souverain doit également se réserver le droit de définir ce qui publiquement passe pour juste et vrai. Son pouvoir décisionnaire est la source de toute validité.

Pareille analyse du pouvoir souverain de l'Etat se rencontre chez Hobbes. Ici, les croyances publiques relèvent du domaine de l'Etat. Quant aux croyances privées, l'Etat observe une attitude de neutralité. S'appuyant sur la distinction hobbesienne entre les croyances publiques et les croyances privées, Schmitt pense que Hobbes commet une erreur lourde de conséquences. La neutralité de l'Etat devant les croyances privées des citoyens représente à ses yeux, une porte ouverte à la subjectivité de la conscience morale bourgeoise et de l'opinion privée. C'est en cela qu'elle s'affirme comme contre-pouvoir politique pour accéder à la législation parlementaire et chasser le Léviathan du trône. Mais il convient de noter que cette lecture schmittienne de Hobbes esquive un fait : la souveraineté politique chez Hobbes se conçoit en relation avec le droit positif. Ce dernier dans son essence suggère une législation libérée de la transcendance du droit naturel. En ce sens, la souveraineté chez Hobbes contient en gestation l'idée de l'Etat de droit que Schmitt veut banaliser.

En somme, la pensée de Carl Schmitt défend une théorie décisionniste de la raison publique, prenant pour cible l'idée d'un droit fondé en raison, pierre angulaire de la démocratie libérale. L'idée ici est que la concentration du pouvoir politique autour d'un seul individu représente la voie sûre pour la stabilité et le progrès social. A l'inverse, c'est l'association au sein de l'Etat démocratique de la péréquation des intérêts, la domination de la majorité et la formation des élites, qui constituerait la cause principales de la crise de l'Etat de droit25(*). Sur cette position centrale, viennent se greffer diverses idées annexes qui généralement ne font qu'en découler. La plus provocante, peut-être, consiste à affirmer que l'élément le plus important dans la crise de l'Etat de droit est la carence en rigueur et en autorité dont font preuve les bases normatives de la démocratie libérale. Si ce raisonnement se nourrit des idées relatives à la crise de l'Etat de droit26(*), il sert aussi de tremplin au développement des régimes totalitaires et justifie la politique annexionniste hitlérienne qui a provoqué la seconde guerre mondiale. Contre cette orientation de la raison publique, Rawls propose une nouvelle lecture de la justification politique qui montre qu'il est possible de prévoir des désaccords, même au sein de la raison publique, sans pour autant saper l'autorité de l'Etat.

b. La raison publique dans l'optique rawlsienne ou l'émergence d'une conception non métaphysique du sujet du droit.

Les analyses rawlsiennes sur les principes de justice sociale présentent l'ordre des valeurs politiques d'une société démocratique dans sa rigueur et son autorité, sans tomber dans le décisionnisme politique de Schmitt. L'idée fondamentale ici est que l'autonomie humaine représente la seule base sur laquelle on peut ériger la raison publique. Rawls procède à une lecture de la procédure kantienne de l'impératif catégorique, pour construire une théorie politique qui soit parfaitement autonome et adaptée à la démocratie libérale. Ici, les principes qui légitiment l'action politique sont ceux que choisiraient les citoyens libres et égaux, rationnels et raisonnables, placés dans des conditions équitables. Dans ce propos, Rawls se veut plus clair :

La loi morale est une idée a priori de la raison, mais elle n'est pas a priori dans le sens où un ordre public de conduites unifiées devrait obligatoirement reposer sur elle. Car je ne crois pas que Kant soutienne que la loi morale soit a priori dans ce sens. Ce qu'il affirme en fait, c'est que la loi morale est la seule façon que nous ayons de construire un ordre public de conduites unifiées sans tomber dans l'hétéronomie.27(*)

Rawls justifie son retour à la philosophie de Kant par deux raisons. D'abord pour saisir le statut de l'autonomie des valeurs sociales dans la nouvelle interprétation de la raison publique qu'il propose ; interprétation issue des idées fondamentales et communes implicites dans la culture politique d'une démocratie libérale que sont : l'idée de société comme système équitable de coopération organisé en vue de l'avantage mutuel, et l'idée de personnes libres et égales. Ensuite, pour examiner le statut de la justice politique à l'heure de l'émergence du pluralisme social, et esquisser la figure d'une nouvelle solidarité politique.

Pour Rawls, la construction d'une base publique de justification de l'action politique, en tenant compte du pluralisme raisonnable des sociétés démocratique est nécessaire à partir d'une intégration totale des citoyens dans leur souveraineté. Ce changement de conscience qui fait passer les citoyens d'une conscience plurielle à une conscience républicaine, leur permet de se considérer comme libres et égaux, en même temps qu'ils considèrent la société comme « un système équitable de coopération organisé en vue de l'avantage mutuel. »

Rawls s'abreuve ainsi à la source kantienne. Sur le plan historique, la philosophie de Kant représente (après Descartes) le moment de la modernité où la souveraineté du sujet s'est installée et radicalisée. Un moment décisif de l'histoire de la philosophie en ce sens que, comme le dit Heidegger : « La philosophie kantienne amène pour la première fois dans la clarté et la transparence d'une fondation, la pensée et le dasein moderne dans leur ensemble »28(*).

Cette affirmation de la souveraineté du sujet s'inspire des courants de pensée humaniste où se profine ce que Cassirer désigne par « la conception nouvelle, spécifiquement moderne des relations du sujet et de l'objet.29(*) » Ici, le propre du sujet fait surgir prioritairement la liberté comme créativité capable de fonder elle-même un avenir non déterminé, c'est-à-dire la capacité du moi à opposer à la nature la liberté comme valeur propre. C'est pourquoi la pensée de Kant impulse une nouvelle formulation de la question de la vérité scientifique, non plus en termes d'adéquation au noumène, mais en termes d'intersubjectivité, c'est-à-dire la capacité pour un discours à valoir universellement, pour toute la communauté des sujets. Alain Renaut, dans son Kant aujourd'hui, observe que 

La perspective d'une constitution de l'objectivité à l'intérieur de la subjectivité (Kant) sera, de fait, tout autant à l'oeuvre dans l'interrogation sur l'élaboration d'objets pratiques, c'est-à-dire sur le processus par lequel le sujet moral parvient à déterminer les fins bonnes qui puissent valoir absolument et soient donc objectivement pratiques.30(*)

La raison pratique est le lieu où se manifeste la liberté humaine, à la fois comme possibilité pour la raison spéculative et comme réalité capable de transformer nos actions pratiques en institutions. Kant est en effet convaincu que la moralité se déduit de l'essence de la liberté. Mais la valeur propre de la loi morale fait apparaître au premier plan comme une proposition synthétique31(*) a priori qui pose qu'une volonté est absolument bonne quand la maxime qui la gouverne peut s'ériger en loi universelle. A cet effet, c'est le binôme caractéristique de la nature humaine, c'est-à-dire son appartenance à la fois au monde sensible et au monde intelligible qui rend possible l'impératif catégorique. Et comme le monde intelligible est le fondement du monde sensible, la nécessité idéale du monde intelligible s'impose à l'homme comme un devoir.

Ainsi, l'opposition entre le monde sensible et le monde intelligible gouverne la philosophie de Kant. Et la solution à cette opposition est donnée dans la troisième règle d'action où Kant concilie la valeur absolue de la loi à la liberté de la personne humaine. Le temps fort de cette conciliation est l'autonomie, c'est-à-dire l'idée que la volonté de chaque être raisonnable peut être conçue comme volonté législatrice universelle. L'être humain est considéré comme auto législateur, car s'il obéissait à une loi extérieure, il serait un moyen et non une fin. Il est placé au dessus de la nature comme législateur et sujet. Au règne de la nature où les choses reçoivent des lois, Kant oppose le règne des fins, règne dans lequel l'homme se donne sa loi, où il y a communication32(*) des volontés. Le droit se définit ici comme l'ensemble des conditions permettant l'accord des libertés d'après une loi universelle de liberté. A la conception théologique du droit, Kant oppose l'autonomie de la raison ; à celle qui veut définir le droit à partir de la nature, il oppose la transcendance de la raison.

L'intérêt de ce retour à Kant réside dans la saisie du fondement de la législation sociale. Le droit s'inscrit dans la raison pratique, vue l'urgence de la réalisation de la liberté humaine comme finalité, c'est-à-dire possibilité pour la raison spéculative et réalité capable de transformer nos actions en institutions. Rawls désarticule obligation morale et institutionnalisation du réel dans le souci de préserver l'autonomie complète des principes de justice politique. Car, pense-t-il, en se cramponnant sur le dualisme monde sensible/monde intelligible, l'hétéronomie reste un danger permanent qui guette les principes fondamentaux du droit ; tandis qu'une fois ce dualisme abandonné, l'autonomie de la conception politique de la justice et son indépendance vis-à-vis de tout contenu cognitif prédéterminé, sont préservées. A ce sujet, Rawls déclare à propos de Kant :

Sa conception morale a une structure caractéristique qu'on peut mieux discerner quand ces dualismes ne sont pas pris au sens qu'il leur donne et que leur portée morale est formulée dans le cadre d'une théorie empirique.33(*)

Rawls prend acte des nouveaux défis auxquels fait face la législation sociale et ses principes, à partir d'une réinterprétation du dualisme kantien en termes de «  point de vue ». Cette notion évite toute illusion objectivante et préserve l'autonomie des normes et des principes politiques. La philosophie de l'histoire de Kant est désormais perçue comme une réconciliation de points de vues théorique et pratique, de deux modèles de pacification entre les hommes : un « modèle théorique » qui fait de l'histoire une pensée systématique et un « modèle pratique » dans le cadre duquel c'est l'idée de liberté (l'idée d'un sujet moral juste par lui-même) qui permettrait de se représenter la constitution républicaine34(*).

J'aborderais la doctrine de Kant, écrit-il, non pas comme une conception dualiste caractérisée par la distinction entre un monde de phénomène et un monde intelligible, mais comme une doctrine incluant des « points de vue » correspondant à des interrogations différentes mues par des intérêts différents et auxquelles répondent des idées et des principes différents.35(*)

De là Rawls se détache de la philosophie transcendantale de Kant sur trois points. Premièrement sur le sens de l'autonomie doctrinale. Kant présente une conception de l'autonomie qui pense la transcendance des principes de l'organisation sociale sous l'activité de la raison pure théorique. Pour Rawls, la transcendance des principes de l'organisation sociale se pense sous le prisme d'une autoconstitution de la raison pratique. Ainsi l'autonomie d'une doctrine se détermine par la manière dont elle présente l'ordre des valeurs politiques. Une théorie politique est autonome,

Si elle représente, ou montre que l'ordre des valeurs politiques est fondé sur les principes de la raison pratique en liaison avec les conceptions politiques appropriées de la société et de la personne.36(*)

La deuxième différence se situe au niveau de la conception fondamentale de la société et de la personne. Kant définit l'essence de la personne dans sa dimension intelligible. Cette dernière, en tant que fondement de l'ordre sensible, impose sa nécessité idéale pratique à la personne sous la forme du devoir. C'est certainement ce qui justifie le fait que Kant considère certaines personnes (en l'occurrence les serviteurs, les femmes, les handicapés) comme inapte à la citoyenneté politique.37(*) A ce point de vue qui tend vers un élitisme social, Rawls oppose le premier principe de justice, celui d'une liberté égale et la plus étendue pour tous, ainsi que la première partie du second principe, les fonctions ouvertes à tous.

Quant à la conception fondamentale de la société, Kant définit l'essence de la société dans des rapports de personne à personne. Même le rapport juridique qu'implique le droit de propriété n'est pas un rapport entre le propriétaire et la chose possédée, mais le propriétaire et d'autres personnes. Dans ces conditions, l'émergence de l'Etat, «  société organisée, ayant un gouvernement autonome et jouant le rôle d'une personne morale distincte à l'égard des autres sociétés analogues avec lesquelles elle est en relation » 38(*), trouve sa légitimité « comme moyen de garantir avant tout l'Etat juridique contre les ennemis extérieurs du peuple »39(*). Pour Rawls, la société étant « un système équitable de coopération, organisé en vue de l'avantage mutuel », l'émergence de l'Etat se légitime par la défense des libertés citoyennes de base (Etat de droit libéral) et par une répartition des bénéfices de la coopération sociale orientée vers l'avantage des plus défavorisés (Etat social).

Le troisième et dernier point de distinction prend en considération les buts des deux positions. Kant veut fournir une défense à la fois de notre connaissance de la nature et de notre connaissance de la liberté, à travers la loi morale. L'idée de rationalité ici est enracinée dans la pensée de l'action, fondement de la réflexion philosophique. C'est pourquoi la conception de la nature que Kant veut formuler doit être compatible avec la liberté morale. Une conception de la philosophie comme défense, qui rejette toute doctrine remettant en cause l'unité fondamentale de la raison.

Le souci de Rawls, par contre est de fournir une base publique de justification pour les principes de justice politique en tenant compte du pluralisme des sociétés démocratiques. Il fonde pour cela ses réflexions sur les idées fondamentales et communes implicites dans la culture politique d'une démocratie libérale. L'espoir ici étant de développer en fonction de ces idées, une conception politique de la justice pouvant contribuer efficacement à la pacification des sociétés démocratiques divisées par une pléthore de doctrines compréhensives.

En dépit de ces différences, il n'est cependant pas maladroit pour Rawls de désigner sa conception de la raison publique comme une « une interprétation kantienne de la justice comme équité ». La dimension kantienne ici tient de l'option fondamentale de la démarche, celle d'une recomposition du droit politique au nom d'une conception non métaphysique du sujet de droit. Rawls reprend la conception kantienne de la philosophie comme défense. Mais il s'agit ici d'une défense de la possibilité d'une démocratie constitutionnelle juste. Il y a aussi l'adoption d'un certain nombre de procédures méthodologiques, dont la plus important ici est le recours au voile d'ignorance. Ce dernier reprend la philosophie pratique de Kant dans sa finalité, c'est-à-dire la construction du sujet politique comme un pur sujet nouménal40(*).

- Rawls et l'utilitarisme

Il existe naturellement des différences entre le constructivisme politique de Rawls et l'utilitarisme41(*). Celle qui se manifeste avec plus de clarté dans l'oeuvre de Rawls pose que l'utilitarisme est incompatible avec les idées libérales de liberté et d'égalité. Certes des développements plus contemporains de cette doctrine, notamment avec John Harsanyi, ont essayé de contrer la critique rawlsienne et montrer la nécessité d'adopter la vision utilitariste de la critique sociale, en élaborant la perspective de « l'ajustement des échelles »42(*). Cette voie consiste à définir un système de mesure, de caractéristiques d'utilité telle que l'échelle d'utilité de chaque personne soit coordonnée avec celle des autres individus, de façon que l'égalité sociale soit représentée à la même échelle que l'égalité d'utilité marginale. Ainsi, quelque soit le sens déterminent des valeurs sociales, les utilités affectées à chaque individu reflèteraient ces valeurs. Ceci est possible soit par l'ajustement correct des échelles entre personne, soit par l'adéquation, le dénombrement des utilités et les choix effectués dans une situation d'incertitudes hypothétiques analogue à la position originelle de Rawls, et à la condition supplémentaire que l'ignorance soit interprétée comme probabilité d'être n'importe qui.

Mais les arguments utilitaristes qui soutiennent cette perspective ne sont pas de taille à désarmer la critique rawlsienne. De même, l'acceptabilité de la « position originelle » sur laquelle repose la critique rawlsienne pêche par son mutisme sur la clarté de ce qui sera choisit dans cette situation. Comme le remarque Amartya Sen, l'hypothèse d'incertitude qui conditionne le choix prudentiel opéré derrière le « voile d'ignorance », n'offre pas de garantie certaine pour un jugement moral dans la vie réelle.43(*) Toutefois, la critique rawlsienne, prenant pour cheval de bataille les concepts de liberté et d'égalité reste d'actualité. Quel est son contenu ?

La problématique de l'égalité dans la pensée utilitariste se fonde sur la notion d'utilité44(*). Ici, les valeurs sociales fondamentales sont orientées vers le bien-être de l'individu, un bien être qui se configure comme bonheur du grand nombre. C'est ce que souligne avec conviction ce propos de John Stuart-Mill : « l'idéal utilitariste c'est le bonheur général et non le bonheur personnel »45(*).

Soucieux d'impartialité, l'utilitarisme oblige l'individu à adopter face à lui-même, le regard d'un spectateur impartial et détaché, pour qui l'individu n'a pas d'influence particulière. Ainsi, pour ce qui concerne la répartition des utilités, le gain le plus infime de la somme totale des utilités justifie les inégalités et les injustices sociales.

Lorsqu'on aborde la question de la répartition en attribuant de façon hypothétique des fonctions d'utilités identiques aux individus, l'optimum utilitariste exige l'égalité absolue des utilités. Cette égalité se transmet à la somme totale des utilités sous une condition : tous les individus doivent avoir la même fonction d'utilité. Mais en réalité, cette conception de l'égalité n'est possible que sous l'effet d'un heureux hasard. Il se trouve que l'hypothèse d'utilité marginale à une incidence sur l'utilité totale, au point où cette dernière devra subir de fréquentes violations, puisque les personnes sont distinctes les unes des autres. L'égalité des utilités marginales ne s'arrime à l'égalité du total des utilités que si les êtres humains sont identiques. Une fois la diversité humaine introduite, ces deux types d'égalité peuvent diverger. Ainsi, la diversité du genre humain impose des préoccupations de justice distributive, au lieu de se soucier uniquement des résultats à caractères « agrégatifs » comme cela se voit dans l'utilitarisme.

Voilà ce qui excite la méfiance de Rawls. Il situe la racine des contradictions de l'utilitarisme dans sa manière de traiter avec l'individualité. L'utilitarisme émet une confusion entre impartialité et impersonnalité. Redonner à la personne humaine son rôle prééminent, voilà l'objectif de la  théorie de la justice comme équité. 

Ici, l'égalité juridique se fonde sur les deux principes de justice, en référence aux « biens sociaux premiers ».46(*) Il faut entendre ici des « choses que tout homme rationnel désire ou est supposer désirer », c'est-à-dire les droits, les libertés, les possibilités offertes à l'individu, les revenus et la richesse, les bases sociales du respect de soi-même. Les libertés de base jouissent d'une priorité donnée par le premier principe qui exige que  « chaque personne ait un droit égal à la liberté fondamentale la plus large qui soit compatible avec une liberté similaire pour les autres » Le second principe vient compléter celui-là, en exigeant l'efficacité économique et l'égalité politique, et jugeant la répartition en fonction d'un indice de biens premiers. Il condamne les inégalités et les injustices, sauf au cas où elles représentent un avantage pour chacun. Ce principe intègre le  principe de différence qui accorde la priorité à la défense des intérêts des plus défavorisés. Et cela conduit au « Maximin » définit non sur les utilités individuelles, mais sur l'indice des biens premiers. Mais étant donnée la priorité des libertés, aucune compensation n'est permise entre libertés fondamentales et gains économiques ou sociaux.47(*)

Ainsi, la critique rawlsienne de l'utilitarisme en référence à l'égalité, met au jour son intérêt pour les « biens premiers ». La répartition des biens sociaux est jugée, non plus en fonction des utilités, mais des indices de biens premiers. Rawls justifie cela en termes de responsabilité d'une personne à l'égard de ses propres finalités.

Mais cette perspective définie par les « biens sociaux premiers » semble n'être possible que dans une situation idéelle où les personnes seraient fondamentalement identiques. Tout comme dans l'utilitarisme, la pensée de Rawls fait peu cas de la diversité humaine. Pourtant dans la réalité, les besoins individuels diffèrent et varient en fonction du climat, du lieu géographique, des conditions de travail, etc. Ce qui est en cause ici ce n'est pas seulement le fait d'ignorer quelques cas difficiles dans la répartition, mais aussi la négligence des différences réelles. Dès lors, juger la répartition en référence aux « biens premiers » semble mener à une morale partiellement aveugle.

- Rawls et la métaphysique

La conséquence la plus provocante de la philosophie transcendantale de Kant, aux yeux de Rawls, est sans doute celle qui confère un caractère métaphysique aux principes d'action politique. Rawls juge cette thèse insoutenable dans le contexte d'une démocratie moderne. Le titre d'un article datant de 1985 en dit long sur ce sujet : La théorie de la justice comme équité : politique et non métaphysique.48(*) La pièce maîtresse de son argumentation ici est l'idée selon laquelle

(...) dans une démocratie constitutionnelle, la conception politique de la justice devrait être, autant que possible indépendante des doctrines religieuses et philosophiques à controverse.49(*)

Dans un article antérieur, The Independance of Moral Theory, Rawls affirmait déjà l'indépendance de la philosophie morale par rapport aux autres disciplines philosophiques, parmi lesquelles la métaphysique. Certes reconnaît-il, la métaphysique a une influence sur la philosophie morale en ce qu'elle contribue efficacement au développement d'une théorie générale de la morale. Mais l'idée d'une justice politique propre à un Etat démocratique et pluraliste, ne s'accommode pas d'une conception morale générale. Rawls observe à cet effet que

(...) en matière de pratique politique, aucune conception morale générale ne peut fournir un fondement publiquement reconnu pour une conception de la justice, dans le cadre d'un Etat démocratique moderne.50(*)

Ainsi, l'interprétation de l'impératif catégorique faite par Rawls a pour but de purifier l'éthique kantienne des hypothèses métaphysiques. Bien entendu, le voile d'ignorance reformule l'idée d'un sujet nouménal universel. Mais cette reformulation du sujet nouménal répond plus à un besoin pratique, plus spécifiquement à une pratique du droit, ou encore à la constitution juridique fondamentale d'une société démocratique moderne. Ici, seul le sujet juridique, c'est-à-dire celui qui détermine les principes de justice sociale, peut être considéré comme sujet moral. Dès lors les principes premiers de justice sont établis dans toute leur rigueur et leur autorité, puisqu'ils sont élevés au rang d'impératif catégorique, à la fois au sens conceptuel ou méta éthique du terme où ils représentent des exigences inconditionnellement valables, mais aussi au sens d'une éthique normative. C'est l'universalisation stricte du sujet de droit qui fournit la légitimation politique à travers la transformation d'un choix rationnel en choix moral.

Suite à ces analyses, il est possible de penser que, contrairement à ce qu'il prétend, Rawls nous offre une théorie plus kantienne qu'il ne le pense. Puisque l'ordre des valeurs politiques d'une démocratie qu'il veut présenter dans sa rigueur et son autorité, se fonde sur l'idée d'un sujet de droit universel, nouménal, métaphysique. Mais cette conclusion omet un aspect très important de la pensée de Rawls. La vie politique ne dépend exclusivement pas de l'universalisation du sujet juridique. Un autre modèle de légitimation politique, porté par « l'équilibre réfléchi » vise la reformulation de la conception publique de la justice reconnue dans les démocraties libérales. La justification par « l'équilibre réfléchi » présente l'éthique démocratique rawlsienne à l'aune d'une objectivité morale en accord avec les lois de l'esprit critique. Il s'agit d'un principe méthodologique de négation qui élimine les données incompatibles à la pratique de la démocratie libérale, et instaure l'expérience du débat critique au coeur de l'espace public. Rawls renonce ainsi à une universalisation excessive et introduit le débat consensuel au sein de l'expérience démocratique.51(*)

C'est le caractère libéral de ce débat qui efface les risques de transformation du système de droits et devoirs qui déterminent la vie politique en un discours absolu. Le débat critique ouvre la tendance conservatrice de la pratique démocratique vers un projet émancipateur. Il intègre en fait la possibilité d'une remise en question permanente de l'idéologie qui fonde les règles d'action politique. Le débat critique est essentiellement proposition d'un « ailleurs », d'un « autrement qu'être » en réponse à l' « être ainsi et pas autrement »52(*) que professe l'idéologie. C'est lui qui justifie le rejet des doctrines compréhensives particulières. Ainsi, le libéralisme politique de Rawls ne fonctionne pas comme une doctrine vraie, mais « comme un composant (...) que l'on peut ajouter à de nombreuses doctrines distinctes ou qui peut en être dérivé »53(*).

Dans l'ensemble, la quête de solution au problème de la transcendance dans l'immanence amène Rawls à une critique du kantisme, de l'utilitarisme, et de la métaphysique. L'espoir ici étant d'écarter du champ politique, tout ce qui menace l'autonomie de la raison (l'idéalisme transcendantal de Kant est une menace de ce genre) et d'aboutir à une conception du libéralisme politique qui préserve et défend cette autonomie. La lecture rawlsienne de l'impératif catégorique kantien vise l'établissement des principes d'actions, non une augmentation de la connaissance. Ceci est matérialisé par l'usage de la position originelle qui, pour Rawls

(...) incorpore, selon nous, toutes les exigences pertinentes de la raison pratique en liaison avec des conceptions de la société et de la personne qui sont elles-mêmes des idées de la raison pratique.54(*)

Dans la strate suivante de notre réflexion, nous allons nous intéresser à cette notion de position originelle.

2. De la notion de position originelle.

Bien qu'elle manifeste les « exigences pertinentes » de la raison pratique, la position originelle est et reste avant tout une situation posée. Il s'agit d'une construction intellectuelle servant à la justification des acquis de la démocratie libérale moderne : idées de liberté et d'égalité, le principe de tolérance. Nous allons nous intéresser ici à deux idées fondamentales qui la définissent : l'idée de la « délibération rationnelle » comme forme que revêt le choix des principes et l'interprétation du contrat social en termes « d'expérience de pensées ».

a. L'idée de la « délibération rationnelle ».

La construction de la « position rationnelle » répond au besoin pour Rawls de circonscrire dans sa théorie une sphère rationnelle déterminée à l'extérieur par les contraintes du raisonnable. Au centre de cette tentative se trouve la situation fictive du  voile d'ignorance. Avec elle se définit l'universalité de la contrainte morale, toutes les conditions contingentes susceptibles de fausser le jugement des individus ou des groupes lorsqu'ils prennent position sur les questions de justice de façon idéale dans la société (race, classe sociale, niveau intellectuel, situation matrimoniale et sociale, etc.) sont éliminées, et la question d'intérêts, des biens, des personnes particulières dans leur diversité empirique et leur contradiction entre en considération. Ensemble d'exigences que seules les principes de justice peuvent satisfaire. Ici se déploie le moment de la philosophie politique comme forme d'une délibération rationnelle dans le cadre du raisonnable, c'est-à-dire d'une universalité préalablement établie.

Mais si le temps fort de l'exposé de la position originelle est la détermination d'une sphère rationnelle à l'intérieur de laquelle pourra se déployer un discours analogue à la théorie économique, la question de la valeur de la démonstration rawlsienne se pose. Comment en fait comprendre la quête de justice comme contrainte extérieure ? Car il apparaît que les partenaires ne parviennent à « prendre leur décision en respectant seulement ce qu'ordonnent les principes de rationalité dans les limites de leur situation » 55(*) qu'à travers une extériorisation du raisonnable, c'est-à-dire en faisant de la caractéristique d'être raisonnable des partenaires, une contrainte déterminante de la situation dans laquelle va se déployer une démarche exclusivement rationnelle.

Cependant, il est difficilement envisageable qu'on puisse empêcher, de façon logique, la manifestation de la contrainte extérieure du raisonnable à l'intérieur du rationnel. C'est dire que dans la position originelle, il est difficile de différencier celui qui délibère de celui qui pose les contraintes de la délibération. Les deux semblent être la seule et même voix, celle de l'homodémocraticus. Dès lors, dans le rationnel rawlsien se trouve quelque chose qui empiète sur le raisonnable. Et dans la mesure où l'on comprend l'éthique démocratique comme étant liée à la pratique du langage, le dédoublement du rationnel et du raisonnable qu'autorise la philosophie rawlsienne est irrecevable. Car du dualisme rationnel raisonnable, il est réellement question d'articuler deux exigences d'un même discours prononcées par le même locuteur : le citoyen d'une démocratie moderne.

A cet effet, la sphère des contraintes raisonnables au sein de laquelle se déroule la délibération rationnelle concernant le sort réservé aux aspirations du moi empirique dans la société manifeste une problématique classique liée à l'idée du contrat social : le passage du multiple à l'un. Mais la démonstration rawlsienne dévoile des orientations propres qui distinguent la théorie rawlsienne des autres théories du contrat : Rawls procède à un traitement rationnel du raisonnable.

Chez Rousseau et Kant par exemple, l'idée de contrat social présente des individus rationnels et raisonnables qui, pris dans l'engrenage de la contradiction relative à ces deux notions trouvent dans l'acte du contrat le principe du dépassement de cette contradiction. L'acte du contrat est le lieu de manifestation de la nature rationnelle et du raisonnable des individus. Pour Rawls par contre, la dualité rationnel et raisonnable des individus s'affirme à travers le sens commun d'une culture démocratique moderne. Dans ce sens, Jacques Bidet observe que :

C'est en tant que rationnels et raisonnables que les citoyens se reconnaissent comme libres et égaux et exigent des principes à partir desquels on pourrait définir des institutions justes, assurant non seulement une liberté et une égalité ponctuelle, mais un régime producteur de liberté et d'égalité, c'est-à-dire de justice.56(*)

Deux caractéristiques majeures définissent la démarche rationnelle des partenaires au moment de la délibération.

- Au moment de la délibération, la démarche rationnelle prend la forme d'une sélection. Dans les théories du contrat social de Rousseau, Hobbes, Kant, la démarche rationnelle va d'une situation hypothétique insoutenable (l'état de la nature), à l'énoncé du contrat social comme dénouement des contradictions de l'état de nature. Rawls opère une relecture de cette tradition du contrat en la généralisant et la réoriente vers la fondation, non de l'Etat, mais des principes de justice. Dans La Justice comme équité, il affirme que :

La position originelle généralise l'idée familière du contrat social. Elle accomplit cette généralisation en posant que l'objet de l'accord est constitué par les principes premiers de justice pour la structure de base, et non pour une forme particulière de gouvernement comme chez Locke.57(*)

Ici, les partenaires sont appelés à choisir les principes et les normes politiques universelles de la raison délibérante.

- En second lieu, la démarche rationnelle suppose la réinterprétation des deux caractères de la personne (rationnel et raisonnable) en eux instances morales que chacun défend. Dans la position originelle, les partenaires sont appelés à défendre les intérêts les plus élevés des citoyens, c'est-à-dire leur capacité à exercer ces deux instances essentielles de l'être. Les partenaires sont rationnels en tant qu'ils défendent rationnellement les intérêts moraux des citoyens. Voici comment Rawls exprime le principe de cette démarche :

Les conceptions de la justice doivent être classées en fonction de leur capacité à être acceptée par des personnes placées dans des circonstances que je viens de citer. Comprise en ces termes, la question de la justification trouve sa réponse dans la solution d'un problème de délibération : nous avons à établir quels principes il serait rationnel d'adopter dans la situation contractuelle. Ceci relie la théorie de la justice à la théorie du choix rationnel.58(*)

Ainsi, c'est la quête du choix rationnel qui fournit au raisonnable un traitement rationnel. Ceci est possible d'une part par la transformation des deux instances morales en intérêts à défendre moralement. Et d'autre part, par la défense de ses intérêts en termes d'examen des solutions alternatives qui se présentent aux partenaires. C'est pourquoi Rawls établit un lien important entre la théorie de la justice et la théorie du choix rationnel. D'ailleurs, il affirme que « la théorie de la justice est une partie, peut-être même la partie la plus importante de la théorie du choix rationnel ».59(*) Certes il essayera plus tard une autocritique sur ce point en affirmant qu'il « s'agit tout simplement d'une erreur qui impliquerait que la justice comme équité est à la base hobbesienne (selon l'interprétation commune à Hobbes) plus que kantienne ».60(*) Il se corrigera même par la suite en inversant la tendance, c'est-à-dire en affirmant que c'est la théorie du choix rationnel qui constitue une partie de la théorie de la justice. Au final, c'est l'idée du choix des principes comme « délibération rationnelle » qui se trouve ici renforcée.

b. L'idée de contrat social comme « expérience de pensée ».

La réduction du contrat social à une « expérience de pensée » exprime la dimension historique de la pensée de Rawls, c'est-à-dire son identification à la tradition politique moderne. Pour mieux cerner cet aspect de la démonstration rawlsienne, nous allons scruter deux notions inhérente à la position originelle : « les circonstances de la justice » et le « voile d'ignorance ».

L'analyse rawlsienne des « circonstances de la justice » s'oppose à celui qui peut être considéré comme le concepteur de cette notion à savoir David Hume. Le débat ici réactualise l'opposition entre Rawls et l'utilitarisme. L'utilitarisme de Hume introduit dans la critique sociale une légitimation de la propriété privée fondée sur l'efficacité économique. La justice n'est plus le résultat d'un engagement contractuel (comme c'est le cas chez les penseurs contractualistes modernes), mais une convention sociale adoptée pour son utilité, une règle de priorité qui indique qu'il faut laisser à chacun ce qu'il a acquis. L'adoption d'un tel principe dans la coopération sociale procure à la justice tout son sens.

Dans l'approche rawlsienne, c'est le consensus universel entourant les principes de justice qui donne un sens à la notion de justice. La coopération dans la « société bien ordonnée » se fonde sur l'égalité juridique des individus (premier principe). Il n'est plus possible à certain d'imposer aux autres une conduite sociale jugée juste. La lecture rawlsienne des « circonstances de la justice » pose l'idée fondamentale selon laquelle la justice est une question sociale. Car dans la société démocratique « bien ordonnée », l'affirmation de l'indépendance de chacun (prétention à ne dépendre de personne) provoque le règne des circonstances historiques favorables à la revendication de justice.

Ainsi, au réalisme humien qui se veut exploration des règles d'efficacité émergent spontanément dans l'histoire, Rawls oppose la détermination des principes universels acceptables par des personnes libres et égales. La norme sociale de justice se conçoit ici, non plus comme une règle conventionnelle tacite, mais comme un principe publiquement choisi dans une situation contractuelle. L'argumentation que propose Rawls à partir des « circonstances de la justice » ne pose pas de fondement immédiat à l'Etat, mais l'établissement des principes à partir desquels on parvient à fonder en justice l'Etat démocratique. Les principes de justice sont dès lors des principes d'un Etat démocratique jouissant d'une légitimité politique. De cette idée se dégagent deux conclusions sur lesquelles il importe de nous arrêter quelques instants.

Tout d'abord, inscrire la légitimité politique de l'Etat démocratique dans les limites des principes de justice laisse une marge de manoeuvre importante pour la désobéissance civile. Cette dernière se justifie dans le cas d'une injustice « flagrante », c'est-à-dire quand l'action de l'Etat n'est plus conforme aux principes de justice. Car la désobéissance civile est  « (...) un acte politique s'adressant au sens de la justice de la collectivité ».61(*)

L'autre conclusion que Rawls déduit de cette idée pose que la désobéissance civile doit être non violente. La violence est «  incompatible avec la désobéissance civile comme appel public ». Compte tenu de la peur que suscite la violence dans le public, une désobéissance civile qui s'accompagne de violence se contenterait d'être une menace, au lieu d'être un appel public. Allant dans le même sens, Marshall Cohen, dans son « Liberalism and Disobedience », pense qu'une désobéissance civile fondée sur la violence rendrait les citoyens insensibles à toute persuasion rationnelle ou morale.62(*) Il pousse même sa réflexion plus loin en limitant son approbation sur la condamnation rawlsienne de la violence, dans le cas où elle s'enprend à l'intégrité physique des personnes. Selon lui, Rawls est convaincant « lorsqu'il s'agit de la violence contre les biens ». Mais en acceptant la thèse de la non violence dans la désobéissance civile, Cohen réduit l'application de la violence au seul domaine des biens publics :

S'enprendre avec violence, dit-il, à des biens ayant une importance symbolique peut être un moyen spectaculaire mais pas vraiment menaçant de faire valoir une protestation efficace.63(*)

Certes on peut soupçonner dans la thèse rawlsienne des relents conservateurs, puisqu'il semble soutenir la parité naturelle entre justice et harmonie sociale, et oubli le danger que représente dans une société démocratique, la formation des groupes de pression stables et bien organisés, afin d'exploiter et léser ceux qui ne sont pas des leurs (nous pensons aux sectes occultes, associations religieuses extrémistes, etc.) Mais il faut aussi noter que la thèse de Cohen sur la justification de la violence exercée sur les biens publics, manque de réalisme. Car il n'est pas possible, dans les situations d'hystérie populaire qui accompagnent souvent la désobéissance civile, de distinguer les biens publics des biens privés. De plus, la destruction des biens publics crée des dommages irréversibles dont souffre plus tard l'ensemble de la communauté. Nous pensons que la création au sein des institutions sociales d'un cadre juridique dans lequel les associations peuvent défendre les intérêts des citoyens, peut permettre de juguler certaines dérives liées à la protestation citoyenne.

Au surplus, la considération économique qu'introduit le principe de différence place la détermination des principes de justice au dessus de la seule question de la légitimité de l'Etat. Elle intègre aussi celle de la société civile. Cela résulte d'un renouvellement profond de la théorie contractualiste, renouvellement qui permet à la théorie rawlsienne de couvrir la totalité du champ social.

S'agissant du voile d'ignorance, sa définition réduit le contrat social à une « expérience de pensée » (a device of representation). Cette dernière ne renvoie pas à une ascèse intellectuelle, mais à une expérience théorique de la raison pratique ramenée à sa donnée essentielle, où elle désigne la raison pratique vivant elle-même sa propre expérience. Dans Justice comme équité, Rawls développe l'idée que le voile d'ignorance établit, eu égard à la justice, l'impossibilité d'une défense unilatérale des intérêts personnels.64(*) Cela suppose que les normes sociales doivent non seulement recevoir un consensus universel, mais aussi être admises comme des principes publics devant réguler la coopération sociale. Ce qui fait des principes de justice rawlsien l'expression la plus rigoureuse des droits de l'homme et du citoyen. Dès lors en envisageant le contrat social comme une simple « expérience de pensée » Rawls ramène la philosophie du contrat à une philosophie de la conscience. Ceci est plus significatif lorsqu'on s'arrête sur le sens des notions d'individu, partenaires, citoyens.

La notion d'individu possède une connotation empirique et désigne des êtres réels dans une société réelle. Quant aux partenaires, la représentation dont ils font l'objet dans la position originelle leur confère un statut exclusivement rationnel. En tant que tel, ils sont « mutuellement désintéressés », « mutuellement différents ». Cependant, ils ont la lourde responsabilité de défendre les intérêts supérieurs des citoyens. Ces derniers déterminent les choix des partenaires, puisque c'est à eux que se réfèrent les partenaires dans la position originelle lorsqu'ils doivent choisir les principes de gouvernances publics. Les citoyens possèdent un sens de la justice provenant de la culture politique d'une démocratie. Ainsi, les principes des justices choisis par les partenaires doivent être en accord avec le sens de la justice des citoyens d'une société démocratique bien ordonnée. Ce qui veut dire que les principes qui conviennent aux citoyens d'une société démocratique bien ordonnée, qui est une société idéale, conviennent à tous. A cet effet, la philosophie politique devient possibilité de construction de la société idéale dans l'immanence, puisque son essence réside dans la détermination et l'application institutionnelle des principes auxquels adhèreraient les citoyens d'une telle société.

Mais ceci n'appelle pas à l'introduction (consciente ou non) dans l'argumentation rawlsienne d'une norme de « bien », valeur reconnue par tous comme idéal à réaliser. La métaphore du voile d'ignorance définit catégoriquement les conditions à partir desquelles les principes justes peuvent être « choisis » parmi d'autres. A cet effet, elle suppose seulement une procédure acceptable par tous, en définissant le degré d'ignorance des partenaires dans la situation initiale, afin d'aboutir à une juste procédure. Le consensus auquel parviennent les partenaires dans la position originelle, ne porte pas sur une norme de « bien » à partir de laquelle on pourrait évaluer les institutions sociales. Il porte plutôt sur une forme de répartition acceptable des moyens, à partir de laquelle chaque citoyen pourra vaquer à la poursuite de ses intérêts. Ainsi, dans l'argumentation rawlsienne, la position originelle et le voile d'ignorance définissent les conditions menant aux principes de la juste procédure. La position originelle mérite dès lors d'être comprise dans le cadre d'une construction où c'est le voile d'ignorance qui figure la situation d'égalité de laquelle émerge la différence acceptable. « C'est ainsi que les partenaires en arrivent au principe de différence ».65(*)

Dès lors, on peut mieux saisir le rejet de l'utilitarisme dans la critique sociale. Cette doctrine croit pouvoir fondre les valeurs humaines en une valeur unique : l'utilité. D'une part, sa démarche suppose un ensemble d'utilités communes à tous. D'autre part, en fondant la liberté dans un espace homogène de biens, elle rend légitime la logique du sacrifice de la liberté des uns au profit d'une prospérité économique plus importante pour le plus grand nombre. Pour Rawls, un tel point de vue résulte d'une méconnaissance de la véritable nature de la liberté. Le propre de la liberté réside dans le fait que chacun peut, et à tout moment, changer sa conception du bien. Ainsi, les contradictions immanentes aux relations sociales ne sont pas uniquement dues au fait que les individus «  veulent les mêmes sortes de choses pour satisfaire des désirs semblables,  mais parce que leurs conceptions du bien diffèrent »66(*).

Par ailleurs, au regard du second principe, l'approche comptable et globalisante de la répartition utilitariste n'assure pas un sort favorable aux plus défavorisés. Elle légitime plutôt le sacrifice des uns pour le plus grand bien des autres. Ainsi, «  on peut supposer que le principe d'utilité exige que certains, les moins fortunés, acceptent des perspectives de vie moins bonnes au nom du bien des autres »67(*). Dès lors la logique de la « délibération rationnelle » apparaît comme critique d'une position par rapport à une autre préalablement fondée. L'utilitarisme est jugé à la lumière des principes de la justice comme équité.

C'est là le fondement de l'engagement philosophique de Rawls qui se résume dans un conflit majeur entre deux théories de la démocratie libérale. L'une, expression de l'Etat providence (welfare State) se veut la quête du plus grand bien de tous, mais son argumentation fournit aux puissants le monopole de la gestion du bien-être général. L'autre théorie se veut défense de l'égalité et subordonne la question de l'inégalité à l'appréciation des plus faibles. La portée pratique de cet engagement se manifestera dans la conception que Rawls se fait des institutions justes.

B. À L'AUTONOMIE POLITIQUE DES CITOYENS D'UNE DEMOCRATIE.

Le projet pratique de l'autonomie doctrinale de Rawls manifeste une critique des institutions politiques et des principes qui les gouvernent. Cette critique doit exprimer à son tour l'autonomie des citoyens, conformément à la célèbre formule de Rousseau selon laquelle  « l'obéissance à une loi qu'on s'est donnée est liberté ». C'est dire que dans l'optique rawlsienne, l'autonomie complète des citoyens d'une démocratie se manifeste dans l'exercice du pouvoir constituant, au moment où ils tentent de se donner une constitution démocratique. Car c'est le moment où  « notre raison est absolument spontanée et ne dépend de rien en dehors d'elle-même »68(*). Ainsi s'exprime le sens du politique chez Rawls. Pour en saisir la portée quelques précisions méritent d'être faites.

Le sens du politique pose comme préalable la possibilité d'une application pratique des principes de justice à la structure de base de la société. Ceci se présente sous la forme d'une procédure démocratique que doit suivre celui qui se pose la question de la justice dans une société ; un procès idéal à quatre étapes qui se déploie dans une levée « progressive » du voile d'ignorance.

Rawls appelle cette démarche la « séquence des quatre étapes »69(*). Ici, le philosophe américain examine premièrement comment le premier principe de la justice s'applique aux institutions démocratiques. Dans Libéralisme politique, il est signifié que  « la séquence des quatre étapes dans son ensemble est un système qui permet d'élaborer une conception de la justice et de guider l'application de ses principes au bon domaine et dans le bon ordre »70(*). On peut dès lors comprendre que les développements résultant de la  séquence des quatre étapes  visent à définir une théorie des institutions conférant un caractère général aux connaissances qui résultent des réflexions rawlsiennes sur le processus politique et économique de la « société bien ordonnée ».

Cette progression des idées rawlsiennes soulève des conséquences sur lesquelles il semble important de s'arrêter, vue quelles adhèrent difficilement à l'hypothèse d'une levée « progressive » du voile d'ignorance. La théorie de Rawls se situe au centre d'une tension entre deux démarches épistémologiques : la démarche historiciste et la démarche déductive.

La démarche historiciste fonde la théorie de Rawls dans l'histoire. Ici, l'activité philosophique se définit comme évaluation d'institutions sociales données, en référence à des principes énoncés suite à une réinterprétation des idées de la conscience démocratique. C'est cette démarche qui gouverne la définition des libertés de base. Dans ce texte de Justice et démocratie, Rawls s'explique:

Il s'agit d'examiner la constitution des Etats démocratiques afin de dresser une liste de libertés qui, en général, y sont protégées et d'étudier le rôle de ces libertés dans les constitutions qui ont bien fonctionnés. Quoique ce genre d'information ne soit pas disponible pour les partenaires dans la position originelle, elle est disponible pour nous (...), et il est donc possible que cette connaissance historique influence le contenu des principes de justice que nous avons admis comme des choix possibles pour les partenaires (...) supposons que nous avons trouvé une liste de libertés de base qui atteigne le but de la justice comme équité. Nous traitons cette liste comme un point de départ qui peut s'améliorer (...). »71(*)

A la suite de ce propos, on comprend que la tache des partenaires dans la position originelle ne consiste pas à produire « ex nihilo » les principes, mais à déterminer quelles options protègent ces libertés de base définies dans la tradition démocratique libérale. L'examen des notions de « justice politique » et de « constitution » dans Théorie de la justice (pp. 257-264) pose comme donnée l'ensemble des institutions existantes de la démocratie, et propose en même temps de mener une réflexion sur les conditions nécessaires à une meilleure démocratisation de ces institutions.

Une fois la démarche historiciste de la critique sociale en vue, Rawls adopte une démarche déductive dont la rigueur apporte la crédibilité à son argumentation. Cette démarche déductive s'observe dans la définition des conditions de légitimation de la liberté, et dans l'examen des conditions de possibilité de l'Etat de droit. Dans le premier cas, la déduction pose que la limitation de la liberté est déductible des exigences même de la liberté. Ce précepte de la démonstration rawlsienne met hors-jeu l'opinion utilitariste qui soutient la réduction de la liberté en vue d'avantages socio-économiques de quelques uns. La déduction procède des principes aux institutions : le principe d'égales libertés  « exige un droit égal de tous les citoyens à participer au processus institutionnel qui établit les lois auxquelles ils doivent se conformer (...) »72(*).

Dans le second cas, une société bien ordonnée est celle dans laquelle les individus sont conscients du fait qu'ils ont un sens de la justice, et du fait que certains peuvent se rebeller face aux exigences de la justice. D'où la légitimation de la force coercitive de l'Etat. Rawls se rapproche ici de Hobbes pour qui, la rigueur de la convention sociale repose sur l'existence d'un « pouvoir commun établit au dessus des deux parties, dotée d'un droit et d'une force qui suffisent à leur imposer l'exécution »73(*). Mais pour Hobbes, un système social ne peut être considéré comme rationnel que si la perte de liberté qu'il occasionne est moindre que celle qui prévaudrait en son absence.

Ces précisions étant faites, nous allons articuler notre exposé sur l'autonomie complète des citoyens sur la nature des institutions politiques et économiques justes.

1. Nature des institutions politiques justes.

Les réflexions au sujet des institutions politiques se résument dans l'ensemble à une analyse des droits que ces institutions doivent promouvoir. Ces droits englobent deux secteurs : le secteur privé et le secteur public.

a. Le secteur privé

Ce secteur englobe le système adéquat des libertés dans lequel les formes politiques et juridiques garantissent pleinement aux individus, une faculté d'agir conformément à leur nature d'être rationnel et raisonnable. Parmi ces libertés, Rawls accorde la priorité à la liberté de conscience. Elle est le fondement des autres libertés, et c'est elle qui définit l'identité politique du sujet comme être rationnel et raisonnable. A cet effet, l'autonomie individuelle s'affirme dans le rejet de la soumission de quiconque aux principes d'un autre, et donc à ses intérêts. La liberté de conscience définit, à la fois, la faculté pour chacun de poser un intérêt ultime sur la base duquel il mesure ses autres intérêts, et l'échelle des valeurs d'une personne, c'est-à-dire ce qui façonne son individualité. Elle ne s'affirme donc pas sans reconnaissance corrélative de la même liberté pour autrui.

Avec cette survalorisation de la liberté de conscience, le premier principe, lexicalement prioritaire, apparaît comme le fondement de la libre détermination du sens de l'existence. Ce qui ne manque pas de susciter la méfiance de certains penseurs socialistes disciples de Marx. L'objection ici porte sur le fait qu'une telle conception de la liberté reste formelle dans l'Etat, laissant le véritable pouvoir aux aristocrates. Pour que sa théorie ne manifeste pas des relents aristocratiques, Rawls développe la notion de « valeur d'une liberté » 74(*) et introduit une nuance. Si le premier principe pose l'égalité des libertés pour tous, la « valeur d'usage » (usefulness) de ces libertés varie selon la position socio-économique des citoyens. A cet effet, la répartition définie par le principe de différence est légitime selon que les moins avantagées obtiennent le maximum d'usage de ces libertés également reparties.

Ainsi, le second principe détermine la valeur de la liberté et conditionne le premier principe. Certes peut-on croire ici que la logique de maximisation du sort des plus défavorisés, présente dans le second principe, s'étend dans la détermination des libertés. Mais tel n'est pas le cas. Le principe de différence implique la maximisation, non des libertés, mais de leur seule valeur.75(*) Etant dès lors qu'elle est régulée par le principe de différence, la liberté ne pose pas d'égalité substantielle entre les individus.

Cependant, il est nécessaire de souligner que dans le cadre des libertés publiques, cette détermination de la valeur de la liberté n'est pas suffisante. Il faut y ajouter la disposition équitable des conditions pratiques de leur mise en oeuvre. C'est dire que la valeur des libertés publiques est assurée si ces libertés se déterminent selon la norme de l' « égalité équitable des chances » (fair opportunity) conditionnant l'accès aux charges politiques.76(*) Il s'agit là d'un principe constitutionnel que Rawls formule ainsi :

Ceux qui ont les mêmes dons et motivations devraient avoir les mêmes chances d'accéder à des responsabilités publiques, quelque soit leur origine de classe ou leur niveau économique.77(*)

b. Le secteur public

Ce secteur vient équilibrer les réflexions sur le secteur privé des libertés. Son développement se focalise sur la question de la limitation de la participation politique. Il comporte deux volets : la limitation égale et la limitation inégale.

- La limitation égale

Cette notion se donne la quête d'un équilibre politico-institutionnel à partir duquel Rawls cherche à dépasser l'opinion libérale selon laquelle « les libertés politiques ont moins d'importance intrinsèque que la liberté de conscience et la liberté de la personne » 78(*) tout en conservant son attachement au libéralisme classique. Certes l'autonomie individuelle, c'est-à-dire la faculté humaine à s'autogouverner à travers les lois qu'ils construisent, est le fondement de la légitimité de la vie civique. Mais Rawls est conscient du danger que représente l'excès de « participation » politique des individus. Aussi pense-t-il qu'une solution permanente à ce problème devrait porter sur la quête d'un équilibre des forces en présence : accroître la participation politique des citoyens jusqu'au moment où elle devient une menace pour les libertés de base, et inversement. Voici comment Rawls formule cette solution :

Nous n'avons besoin ni d'abandonner complètement le principe de la participation, ni de permettre sa domination sans limites. Au lieu de cela, nous devons limiter ou élargir son étendu jusqu'au point où l'accroissement marginal de sécurité que procure à la liberté un usage plus grand des mécanismes constitutionnels devient juste égal à la menace que représente, pour la liberté, la perte marginale de contrôle sur les responsables politiques. La décision n'est donc pas une question de tout ou rien. Il s'agit au contraire d'évaluer l'une par rapport à l'autre de petites variations dans l'étendue et la définition des différentes libertés. La priorité de la liberté n'exclut pas des échanges marginaux à l'intérieur du système des libertés. En outre, elle permet, sans cependant l'exiger, que certaines libertés - par exemple celles couvertes par le principe de participation - soient considérées moins essentielles puisque leur rôle principal est de protéger les autres libertés.79(*)

Il ressort de ce propos une filiation de la pensée de Rawls à la pensée libérale de Benjamin Constant, notamment sur le fait qu'il place le secteur public de la société (Etat) au service du secteur privé (l'individu). Mais en même temps, lue dans toute sa rigueur, l'argumentation rawlsienne semble élucider dans un souci d'équilibre, les dangers relatifs à la fois à l'excès et au manque de participation.

Réactualisation rawlsienne du vieux conflit opposant la « liberté des modernes » à la « liberté des anciens »,80(*) dont l'analyse ne propose pas de solution originale, mais soulève des conclusions émanant aussi bien des traditions libérales (extension du champ politique) que démocratiques (inégalité de propriété). Pour mieux comprendre la solution rawlsienne à ce conflit, il faut la lire en rapport avec l'ensemble de sa théorie. Les limitations égales pour tous de la liberté de participation politique dépendent de la pleine réalisation des conditions de la « valeur » de cette liberté politique (exigence inscrite dans le premier principe) et d'une limitation de la « valeur » de la liberté d'appropriation (exigence dans le second principe).

Mais la logique d'équilibre avancée par Rawls peut être sujette à deux critiques. Premièrement, on ne peut aisément restreindre le pouvoir étatique par une « limitation de la participation ». Au contraire, l'excès de participation politique des citoyens peut se dresser comme un contre pouvoir aux prétentions absolutistes du pouvoir étatique. Donc, c'est l'usage rawlsien de la notion de « participation » qui pose problème. Deuxièmement, dans un Etat, l'intersubjectivité s'exprime aussi bien dans le domaine politique qu'économique. A cet effet, la question de l'équilibre ne peut être examinée en fonction d'un principe. Plutôt, c'est au regard des deux principes pris dans leur ensemble qu'il faudrait l'envisager. La tache de la philosophie politique revient dès lors à définir la nature des institutions assurant un juste partage entre les formes publiques et privées de la propriété.

- La limitation inégale

Ce volet interpelle le principe de différence qui exige l'égalité dans toutes les situations, sauf au cas où l'inégalité est à l'avantage des plus défavorisés. Dès lors, le raisonnement ici s'oriente dans la perspective de ceux qui ont le moins de libertés politiques. Rawls affirme à cet effet :

Il faut toujours justifier une égalité dans la structure de base aux yeux des plus désavantagés. Ceci s'applique à tous les biens sociaux premiers, et, en particulier à la liberté. C'est pourquoi la règle de la priorité nous demande de montrer que l'inégalité des droits serait acceptée par les moins favorisés en échange d'une plus grande protection de leurs autres libertés qui résulterait de cette restriction.81(*)

Ce propos s'accorde avec la formulation achevée du premier principe formulé plus loin : « une inégalité des libertés doit être acceptable par les citoyens ayant une moindre liberté »82(*). Au nom de la « limitation inégale », Rawls adhère à la vision utilitariste de la participation politique qui prescrit d'accorder plus de libertés politiques aux plus compétents. Selon le philosophe américain, ce point de vue peut être acceptable à condition qu'il se pose en faveur d'une « plus grande sécurité des autres libertés »83(*) non du bien-être comme semble le soutenir Stuart-Mill.

Le problème de la légitimité d'une inégalité des libertés politiques est examiné sur la base des contingences historiques. Le fait fondamental ici est la prise en considération des faits de l'histoire humaine, qui semblent en accord avec la thèse selon laquelle la privation des libertés politiques semble nécessaire au cas où elle est au service de la quête d'un ordre social qui favoriserait la jouissance de la totalité de ces libertés. L'analyse de certains faits historiques, à l'exemple de l'esclavage, du servage, amène Rawls à conclure qu' « il faudrait peut-être renoncer à une partie de ces libertés, quand ceci s'avère nécessaire pour transformer une société moins heureuse en une société où l'on peut jouir pleinement de toutes les libertés égales pour tous ».84(*)

Mais cet exposé dégage à son tour des incohérences. La différence de traitement évoqué par le second principe s'envisage, eu égard au bien sur lequel l'on consent au partage inégal. Mais dans le présent exposé, Rawls semble prétendre au contraire : la différence d'accès à la citoyenneté doit procurer un meilleur accès aux libertés personnelles ; la citoyenneté et la liberté personnelle étant deux biens différents. Rawls semble supposer qu'en référence aux « limitations inégales » de participation politique, certains préfèreront moins de citoyenneté pour plus de libertés privées. Une utilisation incohérente du principe de différence (Rawls passe d'un bien à un autre) qui dévoile une dimension jusqu'ici implicite de la « priorité lexicale » du premier principe sur le second. L'aspect le plus évident de cette « priorité lexicale » montre que les libertés ne peuvent être négociables contre le bien-être social. Mais le revers implicite de cette priorité semble nous faire comprendre que, des libertés politiques peuvent être négociables contre des libertés personnelles, en vue d'un meilleur système de liberté.

Dans l'ensemble, la pensée de Rawls considère les idées politiques du point de vue de la fin supposée du mouvement de l'histoire, c'est-à-dire le développement et l'affirmation de la démocratie libérale comme mode de gouvernance rationnel qui convient le mieux à l'humanité. A cet effet, il nous fournit une théorie politique trop concrète, historiquement située, puisqu'il rappelle que sa théorie s'inscrit dans l'histoire constitutionnelle américaine.85(*) Son projet politique se nourrit de l'expérience historique de la démocratie constitutionnelle.

Ainsi à la quête de l'autonomie complète des citoyens, la théorie rawlsienne des institutions politiques justes dévoile la quête d'un équilibre entre l'individualisme libéral et le socialisme. A la première doctrine, Rawls retient la priorité des libertés individuelles. Au second système, il retient la « valeur équitables » des libertés politiques. Mais si l'idéal de participation de tous est sans cesse rappelé dans l'argumentation rawlsienne, un accent particulier est mis sur les dangers qu'elle comporte. Dangers aux vues desquels Rawls recommande une limitation de la participation politique, au besoin inégale, en vue de la défense des autres libertés.

Dès lors l'argumentation en faveur des libertés individuelles se développe avec l'idée qu'une limitation de la citoyenneté pourrait les conforter. Mais sans l'élucidation de l'implication de l'économique dans le politique, cette discussion sur la participation reste incomplète. C'est à cette tache que nous nous attèlerons dans la prochaine section de notre réflexion.

2. Les institutions économiques justes.

Concevoir de façon adéquate l'articulation entre justice politique et efficacité économique, telle est la finalité des spéculations rawlsiennes sur l'implication de l'économique dans le politique. En d'autres termes, il est ici question de comprendre comment les deux principes de justice

Fonctionnent en tant que conception de l'économie politique, c'est-à-dire en tant que critères pour évaluer les rapports économiques et les programmes de politiques économiques, ainsi que les institutions qui leur sont liées.86(*)

Dans cette progression d'idées, Rawls définit (et c'est la son mérite) la question de la justice sociale comme articulation entre contractualité et efficacité. Contre l'utilitarisme, il soutient que l'efficacité économique doit être tenue dans le cadre de la contractualité. Pour mieux saisir la portée de cette thèse, nous essayeront d'élucider le sens du concept de marché dans la pensée rawlsienne, de manière à pouvoir comprendre le fondement du lien social, et la place des rapports non marchands dans l'économie de marché.

a. Le fondement du lien social

Si la quête d'institutions politiques adéquates à la structure de base d'une société juste focalise l'attention de Rawls sur l'examen des rapports existant entre l'individu et le pouvoir politique, le citoyen et l'Etat, l'implication de l'économique dans le politique soulève le problème de la nature du lien social. Dans ce débat sur la nature du lien social, Rawls déploie son argumentation en faveur du concept du marché, qu'il considère comme essence du lien social, forme suprême de la coordination économique en générale. En effet, la thèse qui soutient que l'exigence de justice s'impose à l'efficacité économique semble avoir pour corollaire, la thèse du marché comme lieu de manifestation de l'efficacité économique et de liberté, grâce à la possibilité de choix du métier qu'il donne et à la décentralisation du pouvoir qu'il assure. Ceci est rendu possible par l'existence de la propriété privée des firmes, et leur affrontement sur le marché.

Mais Rawls prend soin de préciser que la propriété privée des biens de production ne possède pas de légitimité naturelle. La légitimité ici est le résultat d'un choix contractuel à partir duquel elle est permise dans une société autorisant la propriété privée du capital. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre ce propos :

Il n'y a pas de relation essentielle entre le recourt à la liberté du marché et la propriété privée des moyens de production. Cette relation est un hasard historique dans la mesure où théoriquement du moins, un régime socialiste peut profiter aussi des avantages de ce système.87(*)

A cet effet, l'argumentation sur l'implication de l'économique dans le politique pose le problème du choix du système économique le mieux adapté à la « société bien ordonnée », plus spécifiquement le choix entre libéralisme et socialisme. Lequel de ces deux régimes figure le mieux la « société ordonnée » ?

Pour répondre à cette question, Rawls distingue cinq systèmes sociaux fondés sur l'économie de marché ; des régimes considérés comme possédant des institutions politiques, économiques et sociales pertinentes. Il s'agit, (a) le capitalisme du laisser faire, (b) le capitalisme de l'Etat providence, (c) le socialisme d'Etat avec économie dirigée, (d) la démocratie des propriétaires, (e) le socialisme démocratique.88(*) Selon lui, les trois premiers systèmes sociaux sont incompatibles avec le libéralisme politique de la théorie de la  justice comme équité, parce qu'ils violent à des degrés divers la justice. Le « laisser faire » viole le principe d'égalité équitable, l'Etat providence ne respecte pas le principe de différence, le socialisme d'Etat est incompatible avec le principe d'égales libertés. Reste la démocratie des propriétaires et le socialisme démocratique. La distinction entre ces deux systèmes sociaux réside dans le fait que le marché possède une fonction allocative et distributive dans le premier, et seulement allocative dans le second. L'entreprise conserve le profit de son activité, mais celui-ci n'est pas distribué à des personnes privées, propriétaires du capital. Rawls remarque cependant que «  la théorie de la justice, en elle-même, ne favorise ni l'une ni l'autre de ces formes de régime »89(*), mais peut aider à déterminer lequel des deux régimes est le meilleur dans des conditions historiques déterminées.

Pourtant il est possible de comprendre, de façon pertinente, le modèle social que préfère Rawls, eu égard à sa prétention d'être préférable aux autres à l'intérieur d'un choix possible. La pensée rawlsienne s'organise autour du concept de « démocratie des propriétaires »90(*) qu'il présente comme étant une alternative au capitalisme. Ce système comporte des institutions politiques et économiques conformes aux exigences de la « société bien ordonnée. » Ici, l'Etat a une responsabilité économique, celle d'assurer par une régulation volontariste du marché la meilleure efficacité de la production d'une part, et un système de redistribution équitable d'autre part ; soit une juste égalité des chances et un minimum social définit par le principe de différence.

L'activité de l'Etat se résume à deux fonctions essentielles définies sous la forme de quatre « départements » spécialisés.91(*) Premièrement, l'Etat doit oeuvrer dans l'affirmation des vertus de l'économie du marché. Cette tache est réalisée principalement par le « département des allocations » et le département « chargé de la stabilisation ». Le premier département, grâce à un système de taxe, de subvention ou par la modification de la propriété, vise la compatibilité entre la concurrence de l'économie de marché et l'efficacité. Le deuxième département s'efforce d'assurer le plein emploi.

Deuxièmement, l'Etat doit oeuvrer en vue de la valorisation et la promotion de l'égalité démocratique. Ceci par une politique qui favorise la juste égalité des chances dans l'éducation, une répartition équitable de la propriété et du capital. A cet effet, le « département des transferts sociaux » garanti à chaque citoyen un revenu minimum en conformité avec le principe de différence. Il prévoit aussi une allocation (impôt négatif) s'ajoutant aux bas salaires, et protège les citoyens contre la misère. Enfin, le « département des répartitions » contribue à la provision des moyens nécessaires à la réalisation des biens publics, à l'éducation et aux transferts sociaux ; ensuite s'assurer la dispersion du patrimoine en établissant un système fiscal favorable à la justice distributive.

Ainsi, la « démocratie des propriétaires » offre un système social fondé sur l'exigence d'équité présente dans les deux principes de justice. Ici se définit l'existence des conditions adéquates à la norme d'égalité. Parmi ces conditions, on peut citer l'accès égal à un niveau suffisant d'éducation, un revenu minimal suffisant. Ces conditions constituent en même temps des moyens efficaces visant à empêcher la formation des couches sociales marginalisées, et l'émergence d'une élite privilégiée.

Toutefois, l'argumentation de Rawls présente des incohérences, non pas sur ce qui concerne le programme social proposé (nous ne nous y attaquons pas pour le moment), mais sur la possibilité de sa réalisation. Car pratiquement, il est difficile de concevoir le rapport marchand comme essence du lien social, sans pour autant s'inscrire dans une logique de la domination dont la substance consiste à prendre un aspect de la coopération sociale et à l'ériger en norme principielle de la vie sociale. Et c'est là ce qui nous parait réfutable chez Rawls. Et cette approche s'enracine dans la pensée de Marx qui fait du marché, une détermination sociale propre à la société capitaliste. L'erreur du capitalisme, selon Marx, résulte du fait qu'il situe les rapports marchands définis par le marché au centre de la vie sociale. Fondée sur une méthode holiste, l'argumentation marxienne subalternise les rapports marchands en les plaçant à la surface de la coopération sociale. C'est plutôt le rapport de classe qui fonde le lien social, même si ce rapport est médiatisé par le moment concurrentiel.

Les formes de capital (...) se rapprochent progressivement de la forme sous laquelle ils se manifestent dans la société, à sa surface pourrait-on dire, dans l'action réciproque des divers capitaux, dans la concurrence et la conscience ordinaire des agents de production eux-mêmes.92(*)

Cette confusion de place, de l'avis de Marx, laisse apparaître deux conséquences importantes et apparemment contradictoires. Dans un premier moment, le marché change de statut. Il n'apparaît plus comme « phénomène du capital », mais comme « présupposé » du capital. Deuxièmement, le marché s'affirme comme autonome par rapport au capital. Ce qui laisse entendre que le capitalisme n'est pas le cadre unique et nécessaire du développement du marché, mais celui-ci peut exister sous une forme différente, dans le cadre d'un système socialiste.

Dans l'ensemble, Marx critique la sublimation du marché par le capitalisme. Cette critique à pour cible la conception vulgaire de l'économie qui pense pouvoir expliquer le monde à partir du marché. Et aussi cette critique s'énonce contre cette forme de socialisme « qui démontre que le concept de marché, dans son essence, produit un système de liberté et d'égalité pour tous, mais qu'il a été faussé par l'argent, le capital, etc. »93(*)

Ainsi, en fondant sur le marché les deux formes sociales qu'il envisage comme variante de la « société bien ordonnée », Rawls rejette un système social dirigiste de type soviétique qui exclu les rapports marchands. Mais il semble éluder le fait que les relations sociales ne se forment pas uniquement sur le seul mode de la coordination économique. Les dimensions non marchandes94(*) des relations sociales, traduites en termes soit de coopération directe, soit d'organisation, sont aussi envisageables et doivent être considérées comme partie prenante de la théorie de la justice.

Certes il indique que le marché a besoin de correction pour être à mesure de contrecarrer la formation des monopoles, les externalités et le manque d'information. Il va même jusqu'à affirmer que dans la critique sociale, le marché ne s'impose pas de lui-même comme concept clé, mais est « choisi » comme fondement du lien social à cause de ses avantages.95(*) Mais son approche essentiellement marchande et unilatérale du lien social n'est pas moins visible. Les réajustements qui s'intègrent dans l'économie actuelle nous font penser qu'il n'est plus possible de considérer le marché comme l'essence du lien social, la forme suprême de la coordination économique. Les dimensions organisatrice et associative du lien social existent dans toute économie contemporaine. Ainsi, il nous semble que l'utopie de la « société bien ordonnée » auraient plus de pertinence en combinant efficacement les rapports marchands et non marchands, c'est-à-dire, le moment concurrentiel du marché, la dimension organisatrice et associative des individus, en adéquation aux principes de justice. Dans cette perspective, la réalisation du programme rawlsien d'une théorie qui « généralise et porte à un plus haut niveau d'abstraction la théorie bien connue du contrat social »96(*) peut être envisageable, puisque les modèles proposés se donnent pour objet de déterminer une articulation optimale, au regard de la justice, des rapports marchands et non marchands.

Au final, ce chapitre a été consacré à la question de savoir si l'autonomie rationnelle, si chère à la pensée moderne pour rendre compte de la souveraineté du sujet (notamment chez Kant), a des chances de servir efficacement à la mise en oeuvre d'un vécu politique juste, dans le contexte du pluralisme raisonnable qui caractérise les sociétés actuelles. Nous avons vu comment l'analyse rawlsienne de cette question écarte certaines doctrines portant sur la nature de la justice, au motif qu'elles laissent de la place à l'hétéronomie dans la construction d'un ordre public unifié. C'est en cela que consiste l'autonomie doctrinale d'une conception de la justice, dont la portée pratique se manifeste dans la conception que Rawls se fait des institutions sociales justes. Dans l'ensemble, les conclusions de Rawls au sujet des institutions sociales justes reflètent la conception qu'il se fait d'une société juste, et de l'harmonie qui, à ses yeux, lui est naturellement tributaire. La théorie rawlsienne de la justice montre que l'harmonie émerge naturellement dans les sociétés, aussi complexes et vastes soient-elles, une fois que les institutions adhèrent à la justice. Cela explique pourquoi la justice est érigée en «  première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée »97(*).

Cependant, l'existence d'un lien naturel entre justice et harmonie sociale nous semble impossible dans des sociétés vastes et complexes, même lorsqu'elles sont quasiment justes. L'optimisme rawlsien semble minimiser le danger que représente la formation des groupes d'individus stables et bien soudés dans l'Etat, afin d'exploiter et de réduire à la précarité ceux qui ne sont pas des leurs. Finalement, la pensée de Rawls se révèle hautement conservatrice. Elle considère la vie sociale du point de vue du développement et de l'affirmation de la démocratie libérale comme forme accomplie de la gouvernance humaine, configurant ainsi la fin de l'histoire.

CHAPITRE II : AU MONDE

Dans le chapitre précédent, nous avons vu comment l'idée de raison publique fournit une théorie normative de la société qui se réclame d'un concept de justice fondé sur l'échange, en référence au droit contractuel qui garantit la liberté. Les principes de justice appliqués à la structure de base de la société garantissent la paix, la stabilité et la liberté à l'intérieur des frontières étatiques. Nous prenons l'Etat ici dans la perspective définie par Lalande :

 Société organisée ayant un gouvernement autonome et jouant le rôle d'une personne morale distincte à l'égard des autres sociétés analogues avec lesquelles elle est en relation.98(*)

Il apparaît dès lors logique de se demander si les bienfaits qui résultent de cette civilité ne pourraient pas être étendues aux Etats dans leurs rapports réciproques. C'est l'objet de ce chapitre qui scrute le problème de l'internationalisme dans la théorie de la justice comme équité ou, pour utiliser les termes de Rawls, le problème du « droit des gens » ou « droit des peuples ».

Deux raisons justifient cet intérêt pour l'internationalisme dans la pensée de Rawls. D'une part c'est l'occasion de cerner les mécanismes d'extension de sa conception d'un Etat rationnel aux relations interétatiques, et comprendre au final l'idée qu'il se fait de la philosophie politique, dont les idées libérales de la modernité ont centré la problématique sur les rapports entre le citoyen et l'Etat. Avec la mondialisation et sa mise en cause des frontières et des capacités d'action de l'Etat national, il n'est plus possible de centrer la politique sur la quête d'une civilité définie comme rapport entre le citoyen et l'Etat. La société libérale, conçue comme  « un système clos et isolé des autres sociétés »99(*), à laquelle sont prioritairement destinés les principes de justice, existe dans un même monde avec d'autres sociétés. Dès lors, elle

doit posséder une conception de la manière dont elle est reliée aux autres sociétés et dont elle doit se conduire envers elles. Elle vit dans le même monde qu'elles et (...) elle doit formuler certains idéaux et principes pour guider sa politique envers les autres peuples.100(*)

D'autre part, il y a là une invitation à saisir le sens de l'utopie comme méthode. L'utopie de l'internationalisme mobilise l'effort du philosophe à « définir un objet idéal vers lequel les actions conscientes doivent converger »101(*). Et dans la pensée de Rawls, cet « objet idéal » est un monde pacifié, stabilisé par la justice. Un monde dans lequel « l'injustice politique aura été éliminé par la mise en oeuvre des politiques publiques justes (ou au moins décentes) et l'établissement d'institutions de base justes »102(*).

Comme on peut le voir, Rawls ne se dérobe pas aux problèmes que pose le droit international. Droit des gens et Paix et démocratie constituent chacun, une façon de témoigner d'un achèvement de sa pensée politique. On y trouve une approche du rapport interétatique dans ce qu'il a de singulier aux yeux du politique. La problématique du droit des gens ne se résume pas à celle relative à un droit international, mais à un droit dont l'autorité s'impose en raison de ses origines, à l'ensemble des nations.

A. LE PROBLEME DE LA JUSTICE INTERNATIONALE COMME EXTENSION DU LIBERALISME POLITIQUE DANS LES RAPPORTS INTERETATIQUES.

Il est important de comprendre qu'en philosophie, l'éthique des relations internationales apparaît comme un champ de recherche récent. L'enjeu ici y est de conduire une réflexion normative au sujet des principes fondamentaux de justice dans l'ordre international pris comme un tout, et non plus seulement dans le cas interne des sociétés. Pour ce faire, le droit des gens rawlsien dégage une distinction fondamentale entre deux ordres de droit, dont l'un est subordonné à l'autre : la « théorie idéale » et la « théorie non idéale » de la justice. Dans le premier cas, le droit des gens définit une moralité interétatique qui intègre le principe libéral de tolérance à l'égard des sociétés hiérarchiques décentes. Le principe de tolérance, dans la théorie contractualiste de Rawls, ne relève pas d'un simple compromis politique avec des régimes pacifiques non libéraux. Dans le cadre du droit des peuples, ce principe permet de dépasser le temps où la relation entre l'occident et les autres peuples était résumée par cette formule de Paul Valery : « Au commencement est le mépris »103(*). Aux « bases sociales du respect de soi » dans les sociétés libérales qu'essayait de clarifier Rawls dans ses premiers écrits, s'ajoutent, dans la structure de base de la société des peuples, la nécessité de promouvoir le principe d'égalité des peuples ou le principe du respect des peuples désormais indépendants. Il est important, nous dit Rawls, « que les peuples décents se respectent eux-mêmes et qu'ils soient respectés par les autres peuples libéraux ou décents »104(*).

Dans le second cas, le droit des gens intègre le devoir d'assistance comme norme de justice internationale. Ce principe intervient dans les relations internationales et définit la justice en référence à une conception de l'Etat social qui soutient la redistribution globale des richesses mondiales par l'adoption d'une culture politique raisonnable et capable de défendre des institutions politiques et sociales justes, garantissant les droits de l'homme. Cela parce que du point de vue rawlsien, les malheurs des pays pauvres relèvent d'avantage d'une culture politique corrompue qu'à un manque de ressources.

Les grands maux sociaux dans les sociétés pauvres sont généralement un pouvoir oppresseur et des élites corrompues, l'assujettissement des femmes encouragés par une religion déraisonnable, accompagné d'une surpopulation par rapport à ce que l'économie de la société peut décemment supporter.105(*)

1. La théorie idéale

Elle se consacre au problème d'une société nationale juste, et doit fournir les principes qui caractérisent une société libérale bien ordonnée, marquée par un pluralisme raisonnable. Toutefois, lorsque Rawls s'intéresse aux rapports interétatiques, la « théorie idéale » fixe les règles de conduite des sociétés « bien ordonnées ». Il s'agit ici des sociétés dont les citoyens acceptent les mêmes principes de justice rationnels dont les institutions satisfont ces principes, et dont les gouvernements respectent les règles de conduites qu'ils ont approuvées. Ce monde des « sociétés politiques bien ordonnées » est constitué des sociétés ayant une culture politique libérale, et des sociétés hiérarchiques bien ordonnées. Ces dernières représentent des formes sociales n'ayant pas une culture politique libérale, mais dont les normes politiques satisfont les trois conditions suivantes :

· S'attachent à la paix et fondent leur politique internationale sur la diplomatie, le commerce, etc. ;

· Fondent le droit interne sur un idéal de justice orienté vers le bien commun de l'ensemble des populations, prenant dès lors en compte les intérêts essentiels des personnes, tout en imposant de devoirs et des obligations moraux à tous les membres de la société ;

· Respectent les droits fondamentaux de l'homme, c'est-à-dire le droit à la vie, le droit de résistance à l'esclavage, à la servitude et aux occupations forcées, le droit à la propriété privée et à une égalité formelle.106(*)

Ainsi, les sociétés hiérarchiques bien ordonnées montrent qu'elles adhèrent, dans la « théorie idéales », au même droit des gens que les sociétés libérales. C'est là le fondement de l'universalité du droit des gens rawlsien.

Ce droit que partagent les peuples bien ordonnés, libéraux et hiérarchiques, définit le contenu de la théorie idéale. Il spécifie le type de société des peuples bien ordonnés que chaque peuple doit vouloir, ainsi que la fin régulatrice de sa politique étrangère. Il possède comme corollaire évident l'idée, essentielle pour nous, que les sociétés non libérales doivent respecter les droits de l'homme.107(*)

Avec la « théorie idéale », Rawls essaye de fournir une conception systématique de la société internationale. Le droit international relève d'une « conception politique du droit et de la justice »108(*) fondée sur les idées libérales de la justice, elles-mêmes « similaires bien que plus générales » à son idée centrale de la  justice comme équité  présentée dans Théorie de la justice et appliquée aux affaires internationales. Il s'agit pour Rawls de présenter à l'échelon international des principes de justice politique susceptibles de faire consensus malgré le pluralisme des doctrines compréhensives dont peuvent se revendiquer les peuples dans le choix de leur régime politique.

Dès lors, Rawls revient à la méthode de la position originelle. Mais ici, les parties en présence dans la position originelle seront les « peuples » ou sociétés, et non les individus, afin que la conception de la justice politique qui en résultera ait une plus grande généralité et soit ainsi acceptable pour les sociétés non libérales et non démocratiques. Le voile d'ignorance leur prive d'informations à propos de  « la taille du territoire, l'importance de la population et la force relative du peuple dont ils représentent les intérêts fondamentaux ou encore l'étendu de leurs ressources naturelles ou le niveau de leur développement économique »109(*).

L'entente sur une conception libérale de la justice politique internationale va de soi entre les sociétés déjà libérales, même si elles différent par l'énoncé de leurs principes de justices internes ; le droit des gens qui en découle se rapproche des propositions de Kant110(*) et de maintes théories classiques du droit international. Les éléments de ce droit sont, entre autre, le respect des traités, non intervention dans les affaires internes des Etats, droit d'autodéfense mais non de guerre, respect de certains droits de l'homme. Ce droit des gens ne pourrait obtenir l'accord des sociétés non libérales et hiérarchiques s'il était par exemple plus exigeant concernant les droits de l'homme. Rawls considère que aussi bien les sociétés libérales que hiérarchiques accepteraient ces principes libéraux pour gouverner leurs relations. Ce qui démontre, conclut-il, que ce droit ne dépend pas d'une tradition particulière de l'Occident, et est donc, y compris les droits de l'homme qu'il contient, neutre politiquement.

La société internationale ainsi créée présente ce paradoxe d'être à la fois juste et d'inspiration libérale, même si certaines de ses composantes ne sont pas des sociétés « justes » dans leur ordre interne et selon cette même conception libérale. Mais ce paradoxe s'efface une fois l'on reconnaît que la justice entre les nations ne signifie pas la même chose que la justice dans les nations. La théorie de la justice globalisée n'est pas la globalité de la Théorie de la justice.

Au demeurant la « théorie idéale » du droit des gens présuppose une approche des relations internationales se déployant dans une logique d'affrontement. Le monde des « partenaires » c'est-à-dire des entités politiques reconnaissant un droit des gens raisonnables et s'identifiant plus ou moins au modèle politico-économique libéral, s'oppose à l'univers des « Rong states » ou « Etats voyous », qui sont des Etats par nature belliqueux et expansionnistes. Cette logique d'affrontement est plus visible dans l'usage que Rawls fait de la « théorie non idéale. »

2. La théorie non idéale.

La finalité de la « théorie non idéale » est d'imposer une organisation du monde en conformité avec un ensemble de règles politiques compatibles avec les procédures de la démocratie libérale. A cet effet, elle se réfère à la « théorie idéale » comme modèle politique à réaliser, car «  faute d'un idéal identifié au moins dans ses grandes lignes, la théorie non idéale ne peut se référer à aucun objectif pour résoudre les problèmes qu'elle soulève »111(*).

Les problèmes que soulève la « théorie non idéale » sont des « questions de transition », c'est-à-dire qu'elles débutent dans chaque cas par l'examen de l'état d'une société. Ensuite cherche les moyens acceptables par le droit des gens pour aider cette société à progresser en direction de l'objectif fixé : l'adhésion aux valeurs sociales libérales.

Deux temps principaux caractérisent le déploiement de la « théorie non idéale ». Un temps qui examine les conditions de la « non obéissance », c'est-à-dire le cas où certains régimes politiques (les régimes hors la loi) refusent de reconnaître un droit des gens raisonnable. L'autre temps définit les « limitations naturelles et les contingences historiques » 112(*) qui empêchent « les sociétés du monde les plus pauvres et les moins avancées technologiquement de réunir les conditions historiques et sociales susceptibles de leur permettre d'établir des institutions justes et valables. »113(*)

a. La « non obéissance »

Avec l'examen des conditions de la « non obéissance », c'est-à-dire l'attitude des sociétés bien ordonnées face aux régimes qui ne reconnaissent pas le droit des gens raisonnables, la « théorie non idéale » établit une civilité internationale fondée sur la rivalité, l'adversité. La « non obéissance » définit une aire politique au sein de laquelle l'autre est perçu comme un adversaire. Mais cette aire politique exige aussi la reconnaissance de l'autre. Les peuples bien ordonnés possèdent un devoir historique, celui de garantir le droit et la liberté des personnes, même des personnes évoluant sous la juridiction des régimes hors la loi. C'est la réalisation de ce devoir qui alimente la logique d'affrontement comme fondement de l'internationalisme rawlsien. Décrivant ce rapport d'affrontement entre la fédération des peuples bien ordonnés et les régimes hors la loi, Rawls écrit :

Ces peuples existent aux cotés des régimes hors la loi dans un état de nature, et possèdent un devoir envers l'intégrité et le bien-être de leurs propres sociétés comme envers ceux des autres peuples qui respectent le droit. Ce devoir existe aussi à l'égard du bien-être des peuples assujettis aux régimes hors la loi, mais non envers leurs dirigeants et leurs élites. »114(*)

La prémisse fondamentale qui se dégage de ce propos pose l'état de nature comme forme principale des rapports interétatiques. Elle s'enracine dans la pensée politique de la modernité. Kant, s'attachant à rectifier l'opinion commune sur la guerre, lui assigne une approche plus pragmatique, celle qui soumet la paix internationale à la question transcendantale de sa possibilité. C'est dans ce cadre critique qu'il faut comprendre le propos avec lequel il achève son Projet de paix perpétuel :

Les maximes des philosophes concernant les conditions de la possibilité de la paix politique doivent être consultées par les Etats armés pour la guerre. »115(*)

Se mettant à la suite de Kant, Hegel pense qu'en l'absence d'un souverain établi sur eux, les Etats entre eux sont comme dans un état de nature.

Il n'y a pas de préteurs, écrit-il, pour trancher les différends entre les Etats, mais tout au plus seulement des arbitres et des médiateurs, lesquels, toutefois, ne peuvent intervenir que de manière contingente, en accord avec la volonté particulière de chacun des Etats intéressés. »116(*)

Plus précisément, Hegel soutient que la guerre est indispensable dans la sauvegarde d'un minimum de lien entre les individualités politiques, lien qui interdit l'affirmation d'une totale absence du droit dans les rapports interétatiques. La guerre présuppose la reconnaissance mutuelle des belligérants117(*) et permet de « limiter les conduites par ailleurs sans frein des Etats à l'égard les uns des autres si bien que la paix demeure toujours possibles »118(*).

Ainsi, pour Kant comme pour Hegel, la présence nécessaire de la guerre dans les relations internationales fait apparaître dans le droit naturel une antinomie qui interdit de traiter le droit des gens dans les mêmes termes que ceux qu'on utilise pour penser le droit interne aux communautés politiques. Par contre, bien que se revendiquant kantien, Rawls rejette cette conception des rapports interétatiques fondée sur la glorification de la guerre comme nécessité historique et bien moral. L'approche qu'il donne aux relations internationales tend plutôt vers une « criminalisation de la guerre ». La guerre n'est plus un épisode nécessaire pour la paix et la stabilité mondiale. Son éradication est un objectif vers lequel Rawls veut parvenir par la promotion de la justice. L'approche méthodique adoptée pour la définition des principes et concepts du droit des gens est la même que celle utilisée pour la justification des principes de justice internes aux sociétés. Rawls affirme à cet effet :

Il n'y a aucune différence pertinente entre, disons, la façon dont la conception de la justice comme équité est élaborée pour les cas internes dans Théorie de la justice et celle dont le droit des gens est élaboré d'après les idées libérales de justice les plus générales. Dans les deux cas, nous utilisons la même idée fondamentale d'un procédé raisonnable de construction dans lequel les agent rationnels équitablement situés (...) choisissent les principes de justice pour l'objet qui est pertinent, que ce soient les institutions propres ou le droit partagés des peuples. »119(*)

L'universalité du droit des gens n'est plus légitimée par un quelconque état de nature dans lequel c'est la guerre constante entre les Etats qui conditionne la paix mondiale. Si le droit des gens est appelé à s'imposer à tous les Etats, c'est parce qu'il repose sur une conception libérale de la justice élaborée afin de s'étendre et de s'appliquer au droit international. Le droit des gens rawlsien est l'expression des principes et concepts de la raison pratique, « étant entendu que ceux-ci sont toujours ajustés de manière à s'appliquer aux différents objets à mesure qu'ils se présentent, et qu'ils sont toujours acceptés, à l'issue d'une réflexion appropriée par les agents raisonnables auxquels les principes de justice s'appliquent. »120(*)

En référence à la pensée politique moderne, la légitimation de la guerre comme nécessité historique et bien moral nous place devant une norme suprême des relations internationales astreinte au « devoir être ». Le droit des gens ne s'illustre comme droit applicable aux nations qu'avec le consentement des souverains particuliers. De même la reconnaissance mutuelle des parties en conflit limite la guerre à la quête d'un compromis entre les parties, excluant ainsi l'hypothèse d'un anéantissement de l'autre. On se trouve en face d'une théorie de l'internationalisme définie comme quête d'un équilibre entre guerre et droit.

La rupture de cet équilibre, notamment avec l'expérience de la première et de la deuxième guerre mondiale, a imposé une refondation du droit international, par le dépassement de la guerre. Ce nouveau « système des Etats » repose sur la justice, entendue comme expression d'un droit des gens raisonnables spécifiant  « le contenu d'une approche libérale de la justice élaborée afin de s'étendre et de s'appliquer au droit internationale »121(*).

Dans cette perspective, le droit des gens définit une tentative de reconstruire une théorie de la « guerre juste » dans un contexte intellectuel où la souveraineté et l'autonomie des Etats sont défendues. Avec la justice au fondement du « système des Etats », le droit à la guerre est restreint au seul cas de la défense, ce qui permet la sécurité collective. Cette prétention à la défense n'est valable que sous certaines conditions. Il doit s'agir d'une défense contre une attaque armée, ou contre un intérêt de sécurité absolument vital, tel la violation par un autre Etat d'un traité dont le rôle est de protéger l'Etat désormais menacé, ou encore la décision de refuser à un Etat des ressources naturelles sans lesquelles son économie s'effondrerait (ce que Henry Kissinger a appelé « l'étranglement économique »). Analysant le cas de la guerre de 1967, lorsque l'Etat d'Israël, après la décision du président égyptien Nasser de fermer le détroit de Tiran, décida d'attaquer l'Egypte, Michael Walzer tire le principe suivant :

Les Etats peuvent utiliser la force militaire lorsqu'ils font face à des menaces de guerres et que le non recours à la force risquerait d'entraîner des conséquences graves pour leur intégrité territoriale, ou leur indépendance politique. »122(*)

Le paradigme de la « guerre juste » dans la pensée politique libérale légitime, dans les relations internationales, le recours à la force selon trois modalités. Tout d'abord, la défense de l'autonomie politique devant la menace expansionniste d'un Etat qui veut annexer un autre Etat. Dans ce cas, le recours à la force peut être revendiqué par un Etat « partenaire » à l'Etat qui subit l'agression, ou par la communauté des Etats reconnaissant le droit des gens raisonnable. La seconde modalité est la contre intervention. Ce concept fait appel à un rétablissement de l'équilibre des forces entre deux fractions d'une même entité politique qui s'affrontent, et dont l'une bénéficie du soutien extérieur d'un régime hors la loi.

La troisième modalité est l'intervention humanitaire. Ici, le recourt à la force est justifié par la nécessité de mettre fin à des actes particulièrement atroces, tels les génocides, les épurations ethniques, les famines délibérément provoquées, l'asservissement des populations entières. L'intervention d'humanité fournit la possibilité d'intervenir par la force à l'intérieur d'un Etat pour faire respecter les droits de l'homme. Stanley Hoffmann s'exprimant là-dessus observe que

L'intervention humanitaire s'élève pour ainsi dire au-dessus du principe de souveraineté. Elle reconnaît qu'il existe des droits de l'homme fondamentaux tels que le droit à la vie, qui dépassent les limites de l'Etat. D'où la légitimité d'interventions extérieures dans le cas de génocide, de la famine, etc. »123(*)

La charte des Nations unis reconnaît à l'intervention humanitaire, le pouvoir de limiter le principe de la souveraineté des Etats au nom de la défense des droits de l'homme. Reconnaissance qui n'a pas manqué d'entraîner de formidables escalades. Certains Etats prenant pour prétexte la défense des droits de l'homme, se sont rendus coupables de plusieurs exactions à l'intérieur d'autres Etats. Parfois l'intervention humanitaire s'est transformée en une opération de force destinée, non pas à défendre les droits de l'homme en général, mais la personne et les biens des ressortissants nationaux en territoire étranger. Parfois, elle s'est transformée en un moyen efficace pour éliminer des dirigeants considérés comme des ennemis politiques. Bref, comme le remarque Franck Attar,

Quelques soit le regard que l'on porte sur l'intervention d'humanité, il faut constater que, dans la plupart des cas, elle s'opère en violation d'une souveraineté territoriale. »124(*)

Dans l'ensemble, l'option de la guerre dans le système international contemporain vise la suppression de toute contradiction dans les relations internationales. Se désolidarisant de la glorification moderne du conflit, le droit des gens rawlsien pose une organisation du monde conforme aux valeurs sociales et à un ensemble de règles politiques compatibles avec des procédures propres aux sociétés libérales. Seule la défense de ces valeurs, entre autres les libertés de base des citoyens et l'ordre constitutionnel défendu par des institutions politiques justes, peut justifier l'entrée en guerre d'une société libérale ; Rawls écrit à cet effet :

Lorsqu'une société libérale s'engage dans une guerre d'autodéfense, elle le fait pour protéger et préserver les libertés de base de ses citoyens et ses institutions politiques démocratiques constitutionnelles. En effet, une société libérale ne peut pas en justice exiger de ses citoyens qu'ils combattent pour augmenter sa richesse économique ou pour acquérir des ressources naturelles, encore moins pour conquérir le pouvoir et un empire. »125(*)

Ainsi la défense des valeurs politiques de la démocratie libérale conditionne la guerre à un universalisme rassembleur, ayant pour fonction de renforcer les liens entre les éléments d'un système international radicalement hétérogène. Une conception de la guerre que Robert W. Tucker décrit comme particulièrement américaine : la guerre dont l'origine est moralement acceptable (la défense), mais dont l'objectif devient rien moins que l'élimination définitive de toutes les guerres.126(*) Cela se fait par l'ajustement au modèle universel du libre échange, de tout autre projet politique. Aussi l'idée d'une démocratie libérale pacifiée dans ses contradictions internes, tout comme les droits de l'homme, en sont les éléments clés.

La défense des peuples bien ordonnés est la première et la plus urgente tache du droit des gens. Un autre objectif à long terme du droit des gens est d'amener au bout du compte toutes les sociétés à respecter ce droit et à devenir membres autonomes et à part entière de la société des peuples bien ordonnés et de garantir par là même et en tout lieu les droits de l'homme.127(*)

La réalisation d'une fin aussi ambitieuse passe d'abord par des pressions diplomatiques que les peuples bien ordonnés peuvent exercer sur les régimes hors-la-loi. L'accord des peuples bien ordonnés sur une politique commune envers les régimes hors-la-loi étant un élément clé dans la stabilisation du monde, c'est d'abord dans le cadre de forum public d'expression, tels les Nations unies, que devra se déployer la pression diplomatique, la dénonciation de la cruauté, de l'oppression qui caractérisent ces régimes. Mais vue que cette pression n'est pas suffisante par elle-même pour amener les régimes hors-la-loi à changer leurs pratiques, Rawls pense qu'elles doivent être renforcée par

Le refus ferme de toute aide militaire, économique ou autre ; et les régimes hors-la-loi ne doivent pas être admis par les peuples bien ordonnés comme membres respectables des pratiques de coopération visant leur bénéfice mutuels.128(*)

b. Les « conditions défavorables »

Cette variante de la « théorie non idéale » définit à son tour le comportement des peuples bien ordonnés à l'égard des sociétés aux prises avec les « conditions défavorables », c'est-à-dire des sociétés ne réunissant pas les conditions permettant l'établissement d'institutions politiques et économiques justes. Plus précisément, l'examen de la « théorie non idéale » à ce niveau donne à Rawls la possibilité de se prononcer sur le type de rapport qui peut se penser entre les pays du Nord et les pays du Sud, entre les pays développé et le tiers monde, puisque les conditions défavorables représentent :

Les conditions des sociétés qui ne sont pas dotées de manières suffisantes de tradition culturelles et politiques, de capital et de savoir faire humain, ni de ressources matérielles et technologiques qui rendent possible l'existence des sociétés bien ordonnées.129(*)

Le droit des gens à ce niveau se donne sous la forme d'une alternative paternaliste. Il s'agit en fait d'accompagner les sociétés qui vivent sous l'influence des « conditions défavorables » par étapes successives, dans la voie qui mène à des institutions sociales justes. Le but ici étant d'ajuster à l'universalité de la démocratie libérale par la refondation en justice des institutions politiques, le fonctionnement des sociétés et des Etats du Tiers monde. Rawls déclare à cet effet :

Chaque société accablée à un moment donné par les circonstances défavorables doit finir par être hissé au niveau des conditions qui rendent possible une société bien ordonnée, ou du moins doit être soutenue dans cette voie.130(*)

C'est là le fondement libéral du devoir d'assistance comme norme de justice internationale. Ce principe intervient dans les relations internationales et définit la justice distributive en référence à un principe d'égalité (entre les peuples) ne pouvant justifier un développement, notamment économique, égal entre les peuples. Le droit des gens reste « indifférent » au sort de la personne globalement la plus défavorisée. L'amélioration du sort de cette personne relèverait d'une redistribution individualiste et maximaliste qui ne peut reposer, aux yeux de Rawls, sur une justification impartiale, dans l'ordre international, des principes de justice fondamentaux semblable à celle qu'il propose dans le registre intra étatique.

L'usage de la position originelle internationale comme dispositif garant de l'impartialité semblerait commettre d'emblée Rawls à proposer une approche de la justice distributive internationale prenant la forme d'une globalisation du principe de différence. Pareille aux représentants des individus qui savent que leur position dans la société réelle pourrait être la moins avantageuse, les représentants des Etats savent que leurs Etats peuvent de la même façon être parmi les moins privilégiés. A cet effet, ils choisiraient un principe de différence global qui exigerait, dans le domaine précis des échanges, la maximisation du sort des plus pauvres. Le politologue Brian Barry pense que les représentants d'Etat derrière le voile d'ignorance ne peuvent logiquement aboutir à rien d'autre qu'à un accord sur  « une sorte de maximum internationale »131(*). Dans un esprit assez proche, le philosophe Thomas Scanlon estime que

Dès lors qu'il y a interaction économique systématique entre les Etats, le principe de différence doit pouvoir s'appliquer au système économique mondial dans son ensemble.132(*)

Mais aussi alléchantes que puissent être ces conclusions, il faut comprendre qu'elles ne s'accordent pas au droit des gens rawlsien. Deux éléments peuvent nous aider à comprendre cette inflexion spectaculaire de la théorie de Rawls. Le premier réside dans la méthode du contractualisme. Elle ne se contente pas d'appliquer à tous les cas un seul et même principe universel, mais spécifie une procédure adaptée à chaque sujet considéré.133(*) Ainsi, pour aboutir à une conception de la justice internationale plus générale et acceptable pour les sociétés libérales et non libérales, les parties en position originelle sont les représentants des Etats, et non des individus. Le second élément de réponse découle du premier. Une position originelle globale qui inclurait tous les individus avant qu'ils ne décident leur possible regroupement ou division en « peuple » (position extrême développée par le « cosmopolitisme » de Charles R. Beitz et Peter Singer) ferait un usage trop large de la conception politique de l'individu comme libre et égal. Ce qui rétrécirait d'autant plus la base d'entente du droit des gens ; Il faut donc mettre de coté la conception politique de la personne propre à la culture politique libérale, ainsi que les éléments les plus égalitaristes des idéaux libéraux de justice. C'est de cette façon qu'on peut éviter, comme le soutient Rawls, de préjuger de l'accord des sociétés non libérales.

Une exigence fondamentale de la méthode constructiviste dans le choix des principes de justice est que les partenaires derrière le voile d'ignorance ne doivent s'accorder que sur des principes qu'ils peuvent librement honorer et respecter. Rawls soutient cette exigence lorsqu'il conditionne la validité d'un accord au fait que les partenaires soient en mesure de le respecter dans tous les cas de figures possibles liés à ce domaine.134(*) Ainsi les partenaires dans la position originelle prévoient toujours des dispositions leur permettant de faire ce à quoi ils s'engagent. C'est le rôle du pouvoir souverain chargé de l'application des principes de justice.

Il faut, écrit-il, établir un processus de pénalisation et d'amendes afin de maintenir la confiance publique dans le système supérieur du point de vue de chacun, ou supérieur en tout cas à la situation qui règnerait en son absence. C'est ici que la simple existence d'un souverain efficace, ou même la croyance générale en son efficacité, joue un rôle crucial.135(*)

Cette hypothèse d'un souverain qui assure la stabilité sociale par la contrainte, semble se détacher de la vision globale qui se dégage de la société et de l'harmonie qui lui est naturellement associée. Si l'harmonie fleurit naturellement dans les sociétés, dès lors qu'y règnent des principes de justice rationnels, pourquoi faire appel à une instance contraignante pour asseoir la stabilité ? Les partenaires dans la position originelle sont conscients du fait que la société n'est pas seulement faite de personnes disposées à agir de façon juste. C'est pour cette raison qu'ils parviennent à l'éventualité d'un recours à la contrainte pour assurer le respect des principes de justice, comme nécessaire et jouant un grand rôle dans la stabilité du système social. Mais en réalité, Rawls minimise le rôle de la contrainte dans la stabilisation de la société et le respect des principes de justice. C'est à ce titre qu'il affirme :

Dans une société juste, il est raisonnable d'admettre certaines dispositions contraignantes pour garantir l'obéissance, mais leur principal but est d'assurer la confiance des citoyens les uns dans les autres. Ces mécanismes seront rarement utilisés et ne concerneront qu'une petite partie du système social.136(*)

L'harmonie et la stabilité sociale dépendent beaucoup plus des sentiments d'amitié, de confiance, et du sens collectif de la justice que les partenaires cultivent les uns envers les autres. Dès lors, malgré le fait qu'il accepte la fonction stabilisatrice de l'efficacité du souverain, Rawls présente comme « quelque chose d'évident le fait que les relations d'amitié, la confiance mutuelle et l'expérience par le public d'un sens de la justice à la fois répandu, quotidien et efficace se traduisant par des résultats identiques »137(*).

Nous pouvons étendre la réflexion et déceler une analogie, au sujet de l'harmonie et la stabilité sociale, entre Rawls et Platon. Ce dernier discrédite une stabilité sociale fondée sur un simple désir de maintenir l'ordre. C'est l'oeuvre de l'homme despotique, qui se caractérise par le règne absolu de la passion dans chaque parcelle de son âme.138(*) Mais étant donné que les différentes parties de l'âme ont appris à obéir à la raison,139(*) de même les citoyens de l'Etat acceptent de bon gré les fonctions de ses protecteurs.140(*) Platon insistait sur la tempérance, qualité de l'âme assimilable à l'harmonie, pour montrer que la justice est utile.

De même, en soutenant que les individus dans la société acquièrent un sens efficace de la justice, et obéissent ainsi volontairement à ses principes, Rawls établit que la justice s'accorde avec l'harmonie, la fraternité, l'entente mutuelle, et par conséquent, elle est utile et avantageuse. Rawls soutient cette idée par l'exigence qui conditionne le choix des principes de justice, à savoir, les partenaires doivent être capables de respecter sans contraintes les principes de justice auxquels ils souscrivent. Considérant à ce niveau l'interaction économique entre les Etats, on peut s'attendre à ce que l'interrogation rawlsienne cherche à savoir si la justice est encore utile du moment où le principe de différence est érigé en norme de justice internationale. Mais Rawls infléchit sa théorie et évite cette orientation. Ce qui l'intéresse, c'est le fait de savoir si la justice a l'avantage sur les exigences de types utilitaristes.

Le fait le plus significatif pour l'utilitarisme dans un contexte international est qu'elle adopte la position extrême d'un impartialisme strict. Ici, l'exigence fondamentale pose de façon rigoureuse que les pays nantis sacrifient leurs intérêts particuliers pour le « plus grand bonheur » global. En d'autres termes, les pays développés doivent partager leurs richesses avec les pays pauvres. Ce point de vue est employé par Peter Singer dans un article célèbre sur la faim dans le monde : d'un point de vue utilitariste, il conclut à la nécessité pour chaque habitant des pays pauvres, jusqu'à atteindre un niveau moyen égal pour tous.141(*) C'est la prémisse fondamentale du cosmopolitisme pur qui résulte d'une conception de la position originelle impliquant, sans autres précisions, tous les individus du monde. L'objection qu'on peut poser dans l'immédiat concerne l'importance plus ou moins instrumentale que l'on doit accorder, dans un premier cas, au maintien de l'identité individuelle, et dans l'autre, au statut d'une communauté, pour réaliser la distribution.142(*)

Pour Rawls, le fait le plus révélateur de sa critique de l'utilitarisme est que cette doctrine ne reconnaît pas l'exigence fondamentale selon laquelle les partenaires doivent être capables d'honorer sans contraintes, les principes de justice auxquels ils s'accordent. Voilà ce qui donne à la théorie de la justice comme équité, un net avantage sur l'utilitarisme. Et cette condition vient renforcer l'argument selon lequel la justice est utile en restreignant de façon subtile au niveau international, les exigences de la justice aux individus pour qui il est manifeste que la justice est utile.

Cela dit, la réalisation de l'utopie jeffersonienne d'une « démocratie des propriétaires », que Rawls propose aux sociétés démocratiques et par extension au reste du monde, résout le problème de l'extension du libéralisme politique dans les rapports interétatiques. Le mode de redistribution globale proposé par le cosmopolitisme pur ne s'intéresse pas au problème de la capacité des individus à convertir les ressources en libertés réelles. Pour Rawls, la redistribution globale pose non seulement une distribution équitable des libertés formelles, de revenus et de ressources, mais aussi et surtout ce que Amartya Sen conceptualise aujourd'hui sous le terme de « capabilités ».  Développer ces  « modes de fonctionnement »  humain fondamentaux dans les pays du Tiers monde, permettrait aux individus de jouir véritablement  « de la liberté de choisir le mode de vie qu'ils ont de bonnes raisons d'apprécier »143(*).

Ainsi, pendant que Charles R. Beitz et les autres théoriciens du cosmopolitisme pur tentent de résoudre le problème de la pauvreté du Tiers monde par une redistribution globale des richesses mondiales, Rawls opte pour une refondation en justice des politiques publiques dans les pays du Sud. Et cette refondation doit se faire sous le regard des pays du Nord, comme le veut l'adoption dans les relations internationales du principe du devoir d'assistance. Les « conditions défavorables » ne résultent pas de l'absence des ressources matérielles. Le véritable fondement de la pauvreté et de la misère dans les nations est la culture politique dont la nation est souvent le reflet.

Les grands maux sociaux dans les sociétés pauvres sont généralement un pouvoir oppresseur et des élites corrompues, l'assujettissement des femmes encouragé par une religion déraisonnable, accompagné d'une surpopulation par rapport à ce que l'économie de la société peut décemment supporter.144(*)

Cette affirmation exprime au mieux le contenu de la théorie rawlsienne de la justice politique internationale pour la conception d'une justice globale. Elle revient en effet à dire que même si une aide peut et doit être fournie aux sociétés défavorisées, elle ne peut se fonder sur le critère du Maximin qui régirait les inégalités dans le monde. Cela, d'une part parce que les sociétés aux prises avec les « conditions défavorables » doivent leur infortune d'avantage à une culture politique corrompue qu'à un manque de ressources. D'autre part parce qu'il est certain que les sociétés hiérarchiques refuseraient, pour gouverner l'ordre international, un quelconque principe libéral de justice distributive. Le droit des gens rawlsien se présente donc uniquement comme une justice interétatique préoccupée, à l'instar des théories classiques du droit international, par les questions de paix et de sécurité entre les nations. Rawls ne propose pas une justice globale soucieuse directement du sort des individus, puisqu'il tolère les inégalités aussi bien entre les nations que dans les nations, même au désavantage des plus démunis. C'est ici le sens et la signification du droit des peuples comme « utopie réaliste » qui consiste à envisager les « gens » d'après les lois de la nature et penser les lois constitutionnelles et civiles telles qu'elles pourraient être et devraient être dans une société des peuples juste et raisonnable.

Sous ce rapport, l'extension du libéralisme politique dans les relations internationales se comprend à l'horizon d'un réalisme politique et par référence à la catégorie philosophique de l'action raisonnable.145(*) La pensée de Rawls travaille à l'analyse des conditions et des données à l'aide et contre lesquelles l'action politique raisonnable est possible. La « théorie idéale », la « théorie non idéale », le concept de « non obéissance », de « conditions défavorables », de « guerre juste », doivent leur intérêts au fait qu'ils fournissent des indications sur la possibilité d'une action politique raisonnable. A cet effet, l'idée de justice internationale dans la pensée de Rawls s'annonce comme une utopie, c'est-à-dire, comme faisant un travail spécifique sur le souhaitable. Elle présente un type de société internationale relevant du possible, une forme de relations internationales souhaitables par l'ensemble des sociétés bien ordonnées.

Le possible, le souhaitable, relèvent du rêve qui, pour Ernst Bloch, fait partie du grand ensemble de la conscience utopique. Bloch critique la pensée freudienne qui fait du rêve une instance qui affaiblit le moi et le tire vers l'arrière. Contre cette conception fataliste qui encre l'action du moi dans l'inertie passéiste, Bloch développe la notion de rêve-éveillé (tagtraümen) orientée essentiellement vers l'avenir. Le rêve-éveillé se rapporte étroitement de la fiction, d'une projection vers le futur, à un avenir authentique caractérisé par un surgissement et un déploiement du moi vers l'avant. Ceci veut dire que l'existence humaine est dominée par un fort élan d'agitation du non-encore qu'il faut amener à la réalisation. Le rêve-éveillé est étroitement lié à la praxis transformatrice du monde. Il se fonde sur la liberté humaine,146(*) est orienté vers la transformation du monde,147(*) et vise les finalités de l'action humaines.148(*) C'est cette instance projectrice qu'est le rêve-éveillé qui fonde l'utopie sur la praxis sociale.

Cette forte agitation du non-encore qu'il faut réaliser se manifeste dans la pensée de Rawls sous la forme d'un espoir ; espoir sur la réalisation des conditions sociales raisonnables dans lesquelles la paix et la justice deviendraient le partage de tous les peuples, à l'intérieur comme à l'extérieur des frontières. A cet effet, la contradiction préétablie dans le système international, entre un monde de « partenaires » et l'univers des « Rong states », laisse la place à « l'utopie réaliste » d'un monde social affranchi de l'injustice politique par la mise en place des politiques publiques justes. L'idée d'une telle société des peuples est  « utopiste de façon réaliste en ce qu'elle décrit un monde social réalisable qui combine la rectitude morale et la justice pour tous les peuples »149(*).

Le problème de la paix et la sécurité entre les nations ne peut plus s'en tenir exclusivement au principe de l'équilibre entre la guerre et le droit. Si avec Hegel et Kant, c'est la guerre qui définissait de quel coté était le droit,150(*) l'énigme de la politique contemporaine réside dans la tension entre la raison et la tragédie. Mieux le défi de la philosophie politique aujourd'hui réside dans l'effort perpétuel que doit déployer la raison humaine pour prévenir et éviter les conflits. Ainsi, l'urgence de sécurité dans le monde actuel exige une réorientation du vecteur méthodologique, pour penser les questions de justice et de solidarité entre les individus et les nations, de façon raisonnable. Contrairement à la tendance moderne qui allait du réel à la fiction, la philosophie politique contemporaine se conçoit comme effort de réalisation d'une utopie, d'un rêve-éveillé. La nécessité de cette réorientation a été exprimée par Hubert Mono Ndjana dans un célèbre article en ces termes :

Si Rousseau était parti du réel pour remonter à une fiction fondatrice, l'extrême besoin de sécurité actuel nous oblige à partir du fictif pour le réel, à réaliser une fiction.151(*)

Cette réorientation confère à la philosophie politique la mission de faire reculer la réflexion sur les possibilités politiques pratiques, au delà des limites envisageables par la réflexion humaine.

CHAPITRE III : INTERROGATION SUR LA  THEORIE DE LA JUSTICE COMME EQUITE.

Des réflexions menées dans les deux premiers chapitres de notre réflexion, il ressort une conception implicite de l'autonomie rationnelle d'une part, et une forte propension au conservatisme dont Rawls fait preuve en restant relativement fidèle au droit international en vigueur d'autre part. Il se développe au sein de cette théorie, un dualisme principiel qui fonde la distinction politique intérieure et politique extérieure. Le développement de ce dualisme n'est guère satisfaisant pour la pensée, encore mois pour une théorie globale de la justice, s'il s'avère imposé moins par une réalité internationale que par une certaine conception de celle-ci. Le plus important c'est de voir qu'au sein de la théorie de la justice comme équité, l'ordre international et l'ordre domestique sont régulés par des principes de justice différents, et que cette distinction est un point important dans cette théorie. Malgré sa tendance prononcée à l'éthique politique moderne, Rawls a des éléments de sa philosophie qui luttent pour la réalisation du non-encore, du possible. La catégorie du possible nous permet donc de voir au sein de cette théorie, la dialectique de l'intérieur et de l'extérieur. Mais au fait, qu'est-ce qui explique la difficulté qu'éprouve la théorie de la justice comme équité à élaborer une théorie viable de la justice ?

A. SOUVERAINETE DU SUJET ET OBJECTIVITE DES NORMES POLITIQUES : LA QUESTION DU RAPPORT ENTRE L'INDIVIDU ET LA COMMUNAUTE.

La première remarque à faire est d'ordre épistémologique. Si Rawls utilise une conception non métaphysique du sujet afin de faire échec à l'hétéronomie dans la constitution des normes politiques et, partant, de privilégier l'opposition entre politique et métaphysique, ce qui est assez problématique reste le rapport entre l'individu et le collectif. Le grand problème qui, peut-être, empêche Rawls de penser véritablement l'autonomie est lié à l'immédiateté de rapport entre l'individu et le collectif.

1. Les paradoxes de l'individualisme méthodologiques

a. Autonomie du sujet et philosophie de la maîtrise.

La prémisse fondamentale sur laquelle s'appuie la pensée de Rawls est l'idée que l'homme est la source de ses actes et de ses représentations, leur fondement, ou encore leur auteur. Le sujet politique est celui qui n'entend plus recevoir ses normes et ses lois ni de la nature (Aristote) ni de Dieu (Platon), mais qui les fonde lui-même à partir de sa raison. Cela est établi par la conception non métaphysique du sujet que dévoile la position originelle. Le voile d'ignorance sursoit les conditions contingentes qui caractérisent le vécu social concret des individus, lorsqu'ils prennent position sur les questions de justice de façon idéale dans la société.

Ainsi, se développe dans la pensée de Rawls un concept de droit subjectif posé et défini par la raison. La société bien ordonnée se conçoit comme auto instituée à travers le schème contractualiste. Le contrat social chez Rawls s'inscrit dans une rupture épistémologique d'avec la pensée moderne. Au sein de cette dernière, le rapport entre souveraineté du sujet et objectivité des normes sociales, mieux problème de la liberté humaine, se conçoit dans une transition qui va de l'indépendance à l'autonomie. On cherche à savoir comment les hommes sont sortis de l'indépendance d'un état de nature où ils n'étaient soumis à aucune autorité politique. La naissance du pouvoir civil exprime le passage de cette situation à une autre forme de liberté comme autonomie, comme soumission à un pouvoir d' « établissement humain » qu'on s'est soi-même donné.152(*)

Chez Rawls par contre, le contrat social débouche sur une approche de la liberté humaine en rapport avec une conception de la loi morale antérieure au bien. Ici, l'idéal moral est un impératif dans la mesure où la valeur éthique est ce qui s'impose au sujet politique, quelques soient ses désirs. Rien n'est moralement bon qui ne soit en accord avec les principes du juste. Une conception de la société libérale qui s'impose comme solution politique pour les sociétés où le fait du pluralisme est admis comme fait indépassable, et où les doctrines compréhensives du bien ne peuvent fonder un « sens commun » de la justice qu'à partir d'un « consensus par recoupement ». La question du droit ici s'annonce sous un angle performatif et idéologique, puisque les principes de justice s'accompliraient à travers la visée d'une société entièrement « éclairée » entièrement « transparente » au regard de la raison.

A cet égard, la pensée rawlsienne de l'autonomie se rallie au projet des Lumières de conjoindre l'autonomie individuelle et l'autodétermination collective. La pensée de l'autonomie ouvre un champ sociohistorique susceptible d'être intégralement contrôlé par un pouvoir qui le rendrait transparent et en rationaliserait tous les aspects. En ce sens, la promotion de la démocratie libérale « pacifiée » dans ses contradictions internes, tout comme la morale des droits imprescriptibles de la personne, résultent du fantasme de la domination, ultime et plus monstrueux visage de la promotion cartésienne de l'individualisme méthodologique. Il s'agit pour Rawls ici, de justifier l'universalisme du libre-échange comme forme accomplie de la gouvernance humaine. Il s'agit en outre de stériliser l'espace domestique et d'en faire, au travers d'un discours de la maîtrise (mettre fin à toute dénonciation de la domination politique et économique par l'application du principe de différence) un lieu où pourront s'accentuer la domination et l'exploitation.153(*)

Le discours de la maîtrise tient ici du fait de la présence dans la pensée de Rawls, du thème de la finitude à partir duquel il analyse le mouvement de l'histoire. Avec l'affirmation de la démocratie libérale comme forme la plus achevée de la gouvernance humaine, l'histoire semble avoir atteint son apogée. Mais si on considère toutefois qu'il existe une vie de la philosophie à partir de laquelle la relation de l'homme à son histoire ne cesse de se transformer, le conservatisme dont cet auteur fait preuve, en restant relativement attaché à une conception positiviste de l'histoire (l'histoire ici consiste à reconstituer le faits tels qu'ils se sont passés) nous parait peut satisfaisant. L'histoire de la philosophie se poserait comme simple reconstitution, aussi fidèle que possible, des philosophies du passé. Il ne s'agit pas de tester ces doctrines quant à leur éventuelle fécondité intellectuelle, mais seulement d'en reconstruire la genèse et d'en éprouver la cohérence interne.

Cette pratique occulte la dimension conceptrice de la philosophie et focalise son travail dans la pure reconstitution de ce qui a été pensée. Son travail se limite désormais à un simple parcours de son histoire pour mieux se l'approprier, sans espérer en tirer quelque chose de nouveau. La fin de l'histoire et de la philosophie, voilà le destin vers lequel semble nous conduire l'individualisme méthodologique de Rawls. Il élude la question du rapport de la philosophie à nos préoccupations quotidiennes, vis-à-vis desquelles il est possible que des systèmes constitués nous soient d'une grande utilité, et que, parmi toutes ces philosophies historiquement constituées, certaines ne puissent s'adapter à nos préoccupations quotidiennes. La question de la faillibilité de la raison est dès lors d'une importance capitale.

Plaçant sous l'appellation « histoire historienne » cette conception de l'histoire qui pose la mort de la philosophie, Alain Renaut pose le constat suivant :

En neutralisant la valeur de vérité des philosophies, l'histoire historienne manque ce par quoi certaines pensées (...) peuvent se révéler pour nous autrement riches d'enseignements que si nous nous contentions de les visiter comme autant de témoignages de l'intelligence humaine. Si l'on ne veut donc pas laisser échapper ce que peut nous apporter intellectuellement l'histoire de la philosophie, c'est à partir de ce que sont aujourd'hui nos problématiques qu'il faut l'interroger...154(*)

Ainsi, la pensée rawlsienne opère dans une naïveté qui lui permet de croire que la justice se réaliserait dans un projet démocratique axé sur la maîtrise, dont l'origine intellectuelle est renvoyée à l'avènement cartésien d'un sujet poursuivant la soumission du réel à la certitude de son non savoir. Mais en acceptant l'idée d'une vie de la philosophie, d'une histoire de la philosophie au sein de laquelle la connaissance se veut un perpétuel travail de renouvellement des objectifs et des interprétations, la démocratie se révèle dans une conception non totalitaire de la société qui échappe à ce projet de maîtrise. L'expérience de la démocratie commence avec la possibilité d'une « histoire dans laquelle les hommes font preuve d'une indétermination dernière quant aux fondements du pouvoir, de la loi, du savoir »155(*).

A la suite de cette remarque d'ordre épistémologique, nous voulons évoquer d'autres éléments de critique dont les plus importants viennent des conceptions libertariennes et communautariennes du rapport entre l'individu et le collectif.

b. Le libertarisme et l'individualisme méthodologique.

Que ce soit dans sa défense de l'évolutionnisme politique (Von Hayek) ou de la théorie de droits de propriété (Nozick), le libertarisme fonde sa critique du libéralisme politique sur le problème de la pauvreté et du besoin. Plus précisément, la question fondamentale que se pose le libertarisme est la suivante : jusqu'à quel point les hommes sont-ils susceptibles de sacrifier leur liberté pour assurer leur sécurité ; et plus particulièrement leur sécurité sociale ?

Dans le libéralisme politique de Rawls, le rapport entre l'individu et le collectif est absorbé par la notion d'égalité, pesant ainsi sur la signification de la liberté comme liberté politique. Le sujet jouit d'une protection sociale et d'une immunité contre toutes les transformations pouvant survenir durant sa vie. La philosophie politique est ainsi orientée vers une socialisation du droit, légitimant l'interventionnisme de l'Etat dans la résolution du problème de la pauvreté.

La critique juridique, politique et économique de l'interventionnisme étatique élaborée par le libertarisme repose sur un présupposé épistémologique. La ligne méthodologique adoptée se focalise sur les limites de la raison, plutôt que d'exalter ses pouvoirs. L'usage de la raison est ramené à une place secondaire par rapport à celle qu'elle occupe dans le cartésianisme.

Friedrich Von Hayek affronte l'institutionnalisation de la sécurité sociale défendue par Rawls sur le terrain du rationalisme, un rationalisme qu'il considère comme nécessairement constructiviste. Selon lui, la faiblesse de la tradition rationaliste réside dans sa logique inductive qui fait déduire, à partir d'un seul principe clairement établi et par l'exercice de la seule raison, toutes les connaissances dont l'homme a besoin pour son action. Ce qui conduit à la croyance selon laquelle toute institution sociale crédible est le fruit de la seule raison. F. Von Hayek voit en cette tendance de l'esprit humain, les marques d'un archaïsme sérieux. Les hommes veulent « sauver les institutions » de la même manière qu'ils cherchèrent à « sauver les phénomènes ». Il déclare à cet effet :

La croyance sous-jacente à ces propositions, c'est-à-dire que nous devons toutes institutions bénéfiques à des plans préconçues, et que seul un tel destin les a rendu, ou peut les rendre utiles à nos fins, est largement fausse. »156(*)

Plus bas il précise :

Cette idée est enracinée originairement dans une propension extrêmement tenace de la pensée primitive, qui interprète de façon anthropomorphique toute régularité perçue dans des phénomènes, comme provenant d'un esprit pensant.157(*)

C'est dans cette perspective que s'élabore sa critique de la notion de justice sociale. Selon Von Hayek, parler d'une injustice dans l'ordre social résulte d'une incompréhension du sens des mots. La justice ou l'injustice d'une situation ne peut être affirmée qu'en relation avec intention consciente qui serait à l'origine de cette situation. Or, l'ordre social étant spontané, et non le résultat d'une volonté délibérée, ne peut faire l'objet d'une évaluation morale. La possibilité d'une évaluation morale des actions relève de la sphère individuelle. Elle est impensable au niveau collectif.

Cette conception de la justice « sociale » est ainsi une conséquence directe de cet anthropomorphisme, de cette tendance à la personnification à travers laquelle la pensée naïve essaye de rendre compte de tous les processus intrinsèquement ordonnés. C'est un signe de l'immaturité de notre esprit, que nous ne soyons pas encore sortis de ces concepts primitifs, et que nous exigions encore d'un processus impersonnel qui permet de satisfaire les désirs humains plus abondamment que ne pourrait faire aucune organisation délibérée, qu'il se conforme à des préceptes moraux élaborés par les hommes pour guider leurs actions individuelles.158(*)

L'argument en faveur de l'immédiateté de rapport que Rawls établit entre l'individuel et le collectif se heurte à de sérieuses difficultés. Les deux entités ne répondant pas à la même logique, l'on ne peut envisager de comprendre l'ordre social à partir de la subjectivité vécue de l'individu. Cette impossibilité est affirmée, en référence au concept de complexité sociale, contre l'individualisme méthodologique jugé naïf. La croyance que la raison seule peut nous dire comment nous conduire, et que tous les êtres raisonnables devraient être capables de joindre leurs efforts en vue d'obtenir des résultats communs comme membre d'une organisation, est une illusion et manque de portée pratique. C'est toujours en rapport avec des mobiles non rationnels que la raison peut fixer les normes d'action, et sa fonction reste essentiellement liée à la conduite d'action dont la source résulte d'autres facteurs.

Dès lors, pour que la raison puisse s'implanter comme instrument de transformation sociale, il importe d'imposer à tous les membres de cette société, des fins communes que la raison ne justifie pas et qui ne peuvent être rien de plus que des décisions de volonté particulières.159(*) Jean Pierre Dupuy signale à cet effet que :

Le passage de l'individuel au collectif s'accompagne d'un saut en complexité que l'analyse est foncièrement incapable de réduire.160(*)

A l'évidence donc, le raisonnement de F. Von Hayek rejette toute réduction de l'ordre social aux individus qui composent cette société. Réciproquement, ces individus ne peuvent prétendre être en possession de toutes les données dont a besoin l'édification d'une société juste. Dès lors, la prémisse fondamentale d'une théorie sociale se trouve dans

La découverte qu'il existe des structures ordonnées qui sont le résultat de l'action d'hommes nombreux, mais ne sont pas le résultat d'un dessein humain.161(*)

Ce rejet du rationalisme constructiviste à pour conséquence le rejet des mécanismes de redistribution étatique. F. Von Hayek démontre que l'institutionnalisation de la sécurité sociale est préjudiciable à la liberté, et conduit nécessairement à l'instauration de régimes totalitaires. C'est là le fondement de la théorie d'un Etat minimal. L'intervention de l'Etat, pour garantir à certain membre de la société une sécurité sociale que le marché laissé à lui seul ne peut assurer, est responsable des inégalités sociales. Car, en agissant ainsi, l'Etat devient un acteur privé de la vie sociale, concédant des avantages à certains, restreignant des libertés à d'autres pour des raisons peu objectives. Une telle action de l'Etat ne conduit pas à la légitimation de la démocratie, puisqu'au fur et à mesure que la société civile absorbe l'Etat, les relations entre l'individu et l'Etat deviennent des relations de clientélisme. La coopération sociale ne vise plus l'intérêt général, mais se fragmentarise sur le mode même de la relation commerciale.162(*)

Cette tendance à réduire la légitimité de l'Etat et de ses fonctions au strict minimum se trouve aussi développée chez Robert Nozick. A la suite de F. Von Hayek, il cherche à démontrer, grâce à sa théorie des droits de propriété, que la justice se détermine par des relations d'échange s'exerçant au sein de la société. L'objectif de l'important ouvrage qu'il publie en 1974, Anarchy, State and Utopia,163(*) est d'établir un rapport d'équivalence et d'implication entre la justice et le marché, et de barrer la voie à toute ingérence gouvernementale.

L'Etat ne saurait, affirme-t-il, user de contrainte afin d'obliger certains citoyens à venir en aide aux autres, ni en vue d'interdire aux gens certaines activités pour leur propre bien ou leur protection.164(*)

L'argumentation de Nozick rejette l'idée rawlsienne qui intègre la compensation des déséquilibres sociaux, mieux la sécurité sociale, comme élément du système étatique. Le présupposé de cette critique tient de l'affirmation d'une autre idée ; celle qui établit qu'un espace suffisant de liberté est nécessaire à l'individu pour qu'il puisse se poser, selon la logique de l'intérêt individuel propre à chacun, en vertu de la rationalité du choix public, comme l'acteur incontournable de la construction sociale.

Comme la plupart des théoriciens du droit politique de son temps, Nozick se sert de la notion de choix individuel, et s'applique à aménager un espace qui garantirait son effectivité dans la théorie sociale. Rawls et Dworking font de cette notion un élément crucial de la théorie sociale. Mais contrairement à eux, Nozick ne limite pas la valeur du choix individuel en institutionnalisant la sécurité sociale. Sa théorie du droit de propriété accorde à l'individu un droit absolu sur ses biens, dans le strict respect des mêmes droits pour autrui. Il en est le propriétaire légitime et peut en faire ce qu'il veut. Il peut les échanger pour acquérir d'autres, ou bien décider de son propre chef de les donner à un individu ou à l'Etat. Dans ces conditions, le droit de propriété est un droit absolu. Il exclu tout principe social de redistribution, et par là même toute conception distributive de la justice. Dans ce contexte, la légitimité de l'Etat est ramenée à des fonctions de protection contre la force, la fraude, ainsi que des fonctions visant à imposer le respect des obligations contractuelles. C'est le sens qui semble ressortir de ce propos :

De chacun selon ce qu'il choisit de faire, à chacun selon ce qu'il fait pour lui-même (peut-être avec l'aide des autres sous contrat) et ce que les autres choisissent de faire pour lui et choisissent de lui donner. Prenant dans ce qu'il leur a donné auparavant (selon cette maxime), ce qu'ils n'ont pas encore dépensé ou dont ils ne s'en sont pas défait par transfert.165(*)

L'intérêt de cette exploration du libertarisme politique, avec pur cadre théorique d'étude F. Von Hayek et Robert Nozick réside dans la compréhension de l'orientation du problème de la pauvreté et du besoin dans cette doctrine. Le plus important dans la théorie sociale ici, c'est d'éviter qu'on aboutisse à une socialisation du droit qui donnerait à l'autorité politique le pouvoir d'intervenir dans le jeu de la catallaxie. Ils rejettent l'institutionnalisation de la sécurité sociale et développent une conception caritative du problème de la pauvreté qui, d'une part, reste insatisfaisante à plusieurs égards, et d'autre part, ignore que la préservation de la dignité humaine est une nécessité qui interpelle le rôle nécessaire de l'Etat dans cette distribution. L'intégration du problème de la pauvreté dans la réflexion libertarienne ne permet pas de donner une réponse claire au problème de la misère comme signe de l'inefficacité du système libéral.

Certes l'évolutionnisme socioculturel de Von Hayek pose le développement des régimes collectivistes mixtes comme principal responsable du déclin des sociétés libérales. Mais en gardant la recherche perpétuelle de l'efficacité comme fondement de l'évolutionnisme socioculturel, il faut souligner ici, comme a su le faire François Sicard, que l'ultralibéralisme n'est pas l'ordre social le plus efficace, puisqu'il se dépasse lui-même par des mécanismes d'intervention sociale qui changent sa nature166(*). F. Von Hayek, dans son analyse du problème de la pauvreté au sein des sociétés libérales, reconnaît à ces dernières le droit de prendre en charge ceux qui, temporairement ou de façon définitive, ne peuvent subvenir à leurs besoins. Malgré sa critique de la notion de « justice sociale », il admet cependant que les institutions sociales permettant la réalisation de cette justice, peuvent donner un sens moral à sa perspective évolutionniste.

Il n'y a pas de raison, écrit-il, pour que le gouvernement d'une société libre doive s'abstenir d'assurer à tous une protection contre le dénuement extrême sous la forme d'un revenu minimum garanti, ou d'un niveau de ressources au dessus duquel personne ne doit tomber. Souscrire à une telle assurance contre l'infortune excessive peut assurément être dans l'intérêt de tous ; ou l'on peut estimer que c'est clairement un devoir moral pour tous, au sein de la communauté organisée, de venir en aide à ceux qui ne peuvent subsister par eux-mêmes.167(*)

De ce propos, surgissent deux arguments en faveur de la redistribution. Le premier valorisant l'intérêt qui pourrait, le cas échéant, nous être utile à titre individuel, renvoie la théorie de Von Hayek à un ordre utilitariste qu'il est loin d'assumer. Le second argument, s'appuyant sur le concept de devoir moral, prend en considération la dignité de la personne. Mais ici, le devoir moral ne possède aucune effectivité. La forme de redistribution dont il est question ici, doit se réaliser hors marche.168(*)

Mais une des modalités philosophiques à travers laquelle se réalise le projet moderne de l'autonomie, se rapporte au sens de l'impératif catégorique kantien, c'est-à-dire la position de l'être humain comme fin en soi. A ce niveau, la défense libertarienne du droit de propriété comme droit absolu sur un bien particulier, nous parait insatisfaisante. Car dans ses versions développées par Von Hayek et Nozick, l'égalité démocratique n'est envisageable que de façon formelle, et se refuse d'admettre qu'une réduction des inégalités sociales soit la condition réelle de la liberté. Mais la question de l'autonomie politique exige aussi bien l'examen des conditions de possibilité de la liberté citoyenne que celle de l'égalité démocratique, dans le but d'une réduction des inégalités sociales qui hypothèquent sérieusement l'exercice de la liberté. Nous aboutissons là à une thématisation intéressante de la solidarité politique à partir des concepts de liberté et d'égalité, dans laquelle la justice sociale est un moment essentiel de la liberté.

c. la critique communautarienne de l'individualisme méthodologique rawlsien.

Ayant examiné les contours de la critique libertarienne du libéralisme de Rawls, nous nous tournons à présent vers la réaction communautarienne. Cette théorie défend une conception de la rationalité historiquement située, d'une part, et une représentation essentiellement sociale de la nature humaine, d'autre part, l'idée de raison ici revêt une connotation sociale et contextuelle. Toute tentative épistémologique devant aboutir à l'économie de la contextualisation rendrait la rationalité, d'un point de vue pratique, incapable de juger les fins. A cet effet, l'idée de raison souveraine et désengagée développée par Rawls reste sans portée réelle aux yeux des communautariens, puisqu'elle sous-estime l'importance de la société dans la vie de l'individu.

Le motif fondamental de cette critique de la rationalité constructiviste est le sujet individuel comme fondement de la légitimation du droit et de l'Etat dans le contractualisme. S'écartant du modèle contractualiste dans lequel, ce sont des individus rationnels affranchis de tout arrière plan social qui décident des normes gouvernant la coopération sociale, indépendamment des pratiques sociales préexistantes, le sujet communautarien se définit entièrement à travers la communauté. Dans ce cas, les structures sociales dans lesquelles les individus mènent leur existence, conditionnent et fondent l'identité individuelle et la conception du choix rationnel.

A cet effet, l'argument classique légitimant le droit et l'Etat sur une base individuelle, s'annonce faible aux yeux des communautariens. Ils y voient avant tout l'idée d'un état de nature avec des gens n'ayant aucune relation sociale préétablie et qui, suite à un processus d'apprentissage rationnel, décident d'entrer volontairement en société. Et même si l'individualisme méthodologique rawlsien nous offre une théorie constructiviste, l'idée d'une raison souveraine et désengagé qui y est présente, en constitue le malheur. Avec la position originelle, les sujets se présentent comme ayant une identité présociale. C'est cette conception de la subjectivité, ses attributs et le type de communauté humaine à laquelle donnerait lieu une société fondée sur de tels attributs, que les communautariens rejettent.

Michael Sandel objecte à Rawls que son sujet se réduit et s'identifie exclusivement à sa capacité de choix. Sa critique de l'antériorité du moi pose que l'identité de ce dernier se fonde sur la découverte de ses attaches, de ses liens et de tout ce qui constitue sa vie. Dès lors, en tant que sujet qui est premier par rapport à ses choix et qui, par un acte de volonté, décide d'être ce qu'il veut être, le sujet rawlsien n'est qu'une « illusion » métaphysique allemande adaptée au goût anglo-saxon.

Certes reconnaît Sandel, la conception rawlsienne du moi apporte une définition complète du sujet de droit et lui assure une invulnérabilité telle que

Même s'il est fortement conditionné par son environnement, il est toujours irréductiblement premier par rapport à ses valeurs et à ses fins, et qu'il n'est jamais pleinement constitué par celles-ci. Il peut certes y avoir des moments où les conditions extérieures sont toutes puissantes et ou le choix est illimité, mais en tant que telle, la puissance souveraine d'agir qui se trouve en l'homme ne dépend pas des conditions particulières d'existence : elle dément garanties par avance.169(*)

Avec ce propos, Sandel dévoile une approche de la subjectivité définie par les premiers principes de justice rawlsien, qui ne s'intéresse pas au problème des fins ultimes de la vie sociale. Cette approche détermine en fait de quelle manière des individus reconnaissant la justice comme   « la première vertu des institutions sociales » se comporteraient dans la société. Une conception désengagée du moi, antérieur à ses choix et affranchi de toute finalité placée au-delà

De son champ d'expérience de manière à mettre une fois pour toute son identité en sécurité et garantir sa liberté de construction de principes de justice non conditionnés par un ordre de valeurs préexistantes.170(*)

Le projet rawlsien de l'autonomie du sujet a donc, dans un certain sens, un avantage aux yeux de Sandel. Il reconnaît même l'urgence du moi désengagé dans la réalisation de ce projet, et y voit une « promesse stimulante » de l'autodétermination du sujet dont le libéralisme politique est l'expression la plus achevée.

Pris dans son ensemble, le moi désengagé et l'éthique qu'il inspire, amorcent une vision émancipatrice du moi. Délivré des diktats de la nature et de la pesanteur des rôles sociaux, le sujet humain est installé comme souverain, promu au rang d'auteur des seules significations morales qui puissent exister.171(*)

Mais cet avantage n'est pas de taille ériger le moi désengagé comme base, pour l'accomplissement de l'idée d'autonomie hérité de la philosophie des lumières, et n'est d'aucune utilité à notre désir de donner une dimension éthique à la vie politique. Aussi belle que soit cette idée de sujet immunisé contre toutes transformations pouvant survenir au cours de son existence, elle n'a aucun fondement réel dans l'existence humaine et ne correspond à rien de concret. C'est le sens à donner à ce propos :

Vouloir procéder comme Rawls, ce n'est pas concevoir un être idéalement libre et rationnel, mais imaginer une personne complètement dépourvue de personnalité et de profondeur morale, bref une caricature. Car avoir une personnalité c'est m'inscrire dans une histoire que je ne choisi pas et ne commande pas et qui, néanmoins, a des conséquences sur mes choix et ma conduite.172(*)

Se situant dans la même perspectives, Charles Taylor conçoit l'accomplissement de l'idée d'autonomie héritée des Lumières, c'est-à-dire la réalisation concrète des droits et libertés citoyennes, uniquement possible dans la perspective d'un moi situé, capable d'auto compréhension. Pour lui la thèse du moi désengagé ne peut conduire qu'à une définition négative de la liberté, susceptible de dérapages si elle n'est pas soutenue par la référence à un univers éthique. Dès lors, il est nécessaire d'équilibrer le libéralisme politique rawlsien par un complément républicain qui « protège non seulement les pratiques et institutions garantissant la liberté, mais aussi celle qui en maintiennent la compréhension ».173(*) On voit apparaître ici ce que Macintyre a identifié comme cause principale de l'échec du projet des Lumières : une conception de la raison qui

(...) délogerait l'autorité et la tradition. La justification rationnelle devait procéder selon des principes irrécusables pour tout être rationnel et par conséquent indépendant de toute les particularités socio culturelles que les penseurs des Lumières considéraient comme simples revêtements accidentels de la raison à des et en des lieux particuliers.174(*)

Des réflexions de Macintyre, il ressort l'inaptitude de la rationalité des modernes, ultime alternative au règne du traditionalisme, à donner un sens à la vie morale et politique. Il aurait été possible pour les théoriciens des Lumières d'éviter cet affront en prenant en considération le poids des traditions et des schèmes institutionnels, hors desquels le langage moral ne serait qu'une pâle copie de la réalité. Ceci leur aurait permis de mouvoir leur réflexion sur le socle solide d'un rationalisme historiquement situé.

Dans l'ensemble, la critique communautarienne oppose à l'individualisme méthodologique du libéralisme politique rawlsien, une ontologie narrative du sujet politique. Cette ontologie narrative du sujet se rapproche de l'idée gadamérienne de l'antériorité des fins morales du sujet, et établit que l'identité est une donnée que le sujet se doit de découvrir par une réflexion sur soi. Pour Hans Georg Gadamer, le sujet est produit de sa communauté, de son éducation, de son histoire.175(*) Ce sont les dispositifs institutionnels qui déterminent dès lors l'identité rationnelle du sujet politique.

On pourrait objecter ici que la critique communautarienne du libéralisme politique rawlsien développe un romantisme politique, et échoue à édifier une véritable théorie politique pouvant remplacer la « théorie de la justice comme équité ». Même Macintyre, dans la brillante critique de la tradition libérale qu'il élabore, semble limiter ses analyses à une opposition essentielle entre morale et droit. Mais on n'y trouve pas un authentique corpus théorique défendant une tradition politique particulière. A moins de considérer son rapprochement au romantisme politique comme défense d'une tradition politique.

Si ce dernier cas est pris en compte, on comprendra mieux pourquoi le communautarisme échoue à fournir une véritable pensée politique, pouvant se présenter comme une alternative au libéralisme politique contemporain. Comme critique de l'Etat libéral moderne, le romantisme politique s'est limité à une opposition de principe. Au principe de l'individualisme libéral, le romantisme politique oppose la notion d' « âme collective ». Au principe constructiviste de la société et son ouverture sur le futur, le romantisme politique oppose le principe de l'enracinement dans la tradition et l'ouverture sur le passé, c'est-à-dire l'appartenance à une communauté vivante de langue et de race.176(*)

Dans sa critique du libéralisme politique contemporain, le communautarisme intègre en son sein des éléments propres au rationalisme politique. On peut citer entre autre, la valorisation tout azimut de l'individualité et de la communauté, l'autorité de la tradition, le primat de la culture sur le droit. Mais hors mis ce fait, on ne peut voir dans le communautarisme un véritable corpus théorique, élément de rechange du système rawlsien. Cette carence à amener Brian BARRY à se montrer extrêmement radical, au point de taxer communautarisme de critique sans importance du libéralisme.177(*)

Moins radicales seront les lectures que feront Michael Walzer et Nancy Rosenblaum de la controverse libéralisme/communautarisme. Pour le premier,

(...) la critique communautarienne du libéralisme est un peu comme ce pli de pantalon : passagère, mais inéluctablement récurrente. Elle fait partie intégrante, quoi que de manière intermittente, de la politique libérale et de l'organisation sociale. Son intérêt subsistera quelque soit le succès du libéralisme. En même temps, une critique communautarienne, si pénétrante soit-elle, ne sera jamais rien d'autre qu'un trait passager du libéralisme.178(*)

Chez le second, le sens donné à la controverse libéraux/communautariens parait plus constructif. Nancy Rosenblaum parle du communautarisme comme d'une critique qui attire l'attention sur les oublis du libéralisme, notamment des éléments qui, ne s'opposant pas radicalement au libéralisme, contribuent efficacement à la concrétisation de la démocratie libérale.179(*) Le libéralisme politique ne se situe nécessairement pas à l'opposé de la culture, de la communauté. Mais pris en considération dans la procédure contractualiste, ces éléments favorisent l'expression concrète du pluralisme, vue comme élément de correction appelant à une réactualisation des principes fondamentaux de la démocratie. Cela a été souligné dans le cadre de la discussion Habermas-Rawls sur la justice politique

Si toute explication et toute institutionnalisation des droits fondamentaux contient en soi un index de la situation historique, les traces d'un conflit passé et une interprétation déterminée des besoins et possibilités de la société, alors le débat démocratique ne peut non plus s'arrêter face à son propre fondement. Il n'y a en effet aucune instance en dehors de la discussion démocratique (...) qui puisse prendre des décisions qui seraient inattaquables et soustraites à la critique.180(*)

Ainsi, l'éthique démocratique se conçoit comme une défense du droit des minorités, et aussi un cadre d'expression pour la majorité.

2. Une défense nonchalante de la différence

La différence, comme fait politique, entre en considération dans la pensée de Rawls à partir des années 1985, notamment avec la publication de l'article « Justice as Fairness : Political not Metaphysical ».181(*) Dans cet article, Rawls introduit dans son argumentation un nouveau concept : « le fait du pluralisme ». Ce concept laisse entendre que les conditions de libertés de conscience, et d'expression que l'on trouve dans les démocraties libérales, assurent la pluralité des conceptions raisonnables du bien humain. Ainsi, plutôt que de penser la justification des principes de justice en parlant de principes axiologiques à vocation universelle, c'est l'établissement d'un « consensus par recoupement » entre différentes conceptions du bien humain présent dans les sociétés démocratiques, qui justifie les principes de justice.

Cette nouvelle perspective de justification des normes sociales s'inscrit dans une option défensive, dans laquelle Rawls veut répondre à certaines critiques, notamment celle d'un individualisme excessif incompatible au pluralisme réel des sociétés libérales.182(*) La conception du libéralisme politique qui en résulte se pose comme une ligne franche morale favorisant une gestion équitable et rationnelle des diverses approches du bien humain, par des principes de justice. Ici, et comme le note Catherine Audard,

Toutes les occupations humaines, toutes les croyances sont également dignes de respect, même si, bien entendu, elles ne sont pas égales, et on ne peut les limiter ou les interdire qu'en faisant intervenir des critères de valeur extrinsèques, comme les principes de justice, et jamais au nom de leur peu de mérite intrinsèque.183(*)

John Rawls lui-même affirmera plus tard ceci :

Si certaines cultures sont appelées à disparaître et d'autres à ne faire que survivre dans un régime constitutionnel juste, est-ce que cela veut dire que la conception politique de la justice ne soit pas équitable à leur égard ? (...) A première vue, elle ne parait pas injuste à leur égard ; en effet, les influences sociales qui favorisent certaines doctrines plutôt que d'autre ne peuvent être évitées (...) si une conception du bien est incapable de durer dans une société où l'égalité des libertés de base habituelles et une tolérance mutuelle sont garantis, c'est qu'il n'existe aucun autre moyen de la préserver d'une manière compatible avec les valeurs démocratiques d'une société définie comme système équitable de coopération entre citoyens libres et égaux.184(*)

Donc il ressort du libéralisme rawlsien, un refus total de toute implication de l'Etat dans la gestion de la différence, et prétend qu'il revient aux groupes eux-mêmes de définir au sein de la société civile, des pratiques de tolérance. Cette incompatibilité de la justice avec la promotion par l'Etat d'une culture particulière, dévoile l'exaltation d'une identité (la culture politique libérale) posée comme vérité fondamentale de l'être. C'est ici la manifestation de la dynamique moderne de l'égalisation des conditions de l'autonomie politique, qui consiste en une réduction tendancielle de la différence au rang marginal d'une simple apparence. Cette réduction nous parait impossible et pas souhaitable à la fois aux yeux des groupes ethnoculturels constituant les sociétés pluralistes, et de ceux qui se constituent par référence à la sexuation.

On peut dès lors objecter ici que la culture politique de la démocratie libérale, à laquelle Rawls fait tellement confiance, est loin d'être exempte de toute ambiguïté morale. Cette confiance excessive semble cacher une vision de la politique déjà arrêtée que l'argumentation, à travers les principes de justice, ne fait que défendre. Cela étant, la neutralité de la conception de la raison publique qu'il élabore, semble contestable.

De là l'exigence d'une réflexion sur un nouveau statut de la différence en politique, puisqu'elle ne s'inscrit ni dans les profondeurs de l'être (statut ancien qui substantialisait et ontologisait la différence) ni dans l'apparence (par référence à la vision rawlsienne). Ni dans l'être, ni dans la surface, la question de la différence en politique nous parait plus complexe. Et l'une des voies pouvant nous permettre de mieux scruter ce problème, consiste à passer la rationalité philosophique du registre théorique au registre pratique. En d'autres termes, il serait question de se démarquer du couple réalité - apparence (dont aussi bien le statut ancien que moderne de la différence sont restés prisonniers) pour inscrire la différence dans la dimension pratique des valeurs.

Ainsi, nous semble-t-il, c'est en termes de valeur et de validité, non de réalité ou d'apparence, qu'il importe de poser le problème de la différence dans une société démocratique. Que de se poser, comme le fait Rawls, le problème de la différence en termes de son acceptation dans une société libérale, il semble plus indiqué, dans l'espoir de parvenir à une critique sociale féconde, de s'interroger désormais sur les conditions d'attribution d'une valeur de la reconnaissance à cette différence pour qu'elle puisse se faire valoir comme telle.

B. LES LIMITES DU DUALISME PRINCIPIEL DANS LA JUSTICE POLITIQUE INTERETATIQUES

Dans la  théorie de la justice comme équité, l'ordre national et l'ordre international sont régulés par des principes différents. Cette dualité de principe semble être déstabilisée par le phénomène de la globalisation plus favorable à l'effacement de la distinction politique intérieure et politique extérieure. La globalisation ici se rapporte à un cosmopolitisme se réclamant de l'extension internationale d'un principe libéral de justice distributive. Mais entre le dualisme principiel de Rawls et cette interprétation cosmopolitisante, il y a une différence : différence entre un processus objectif établissant la réciprocité requise par la coopération internationale, soutenue par Rawls, et la promotion d'une norme de solidarité internationale soutenue par le cosmopolitisme. Mais est-ce suffisant pour fonder sur un dualisme principiel, la souveraineté étatique, la tolérance des régimes non libéraux, et l'abandon d'une norme de solidarité internationale ? Nous développerons trois considérations qui nous paraissent être des limites au dualisme principiel que Rawls introduit dans le droit des gens.

1. Le problème du paradigme étatique dans le droit des gens

Dans le droit des gens rawlsien, le paradigme étatiste est le point focal des relations internationales. C'est ce paradigme qui justifie le fait que le schème coopératif dans le système des Etats n'accepte pas d'être régulé, comme le souhaitent Charles Beitz et Brian Barry, par un principe de justice distributive.185(*) Mais en rester à cette sublimation de l'Etat dans les relations internationales dénote pour Rawls, moins d'une quête de réciprocité que d'une profonde nostalgie de la géopolitique bipolaire qui a caractérisée les relations internationales pendant la guerre froide. L'ordre international pendant cette période illustrait l'image de l'irréconciliable division schmittienne entre l'ami et l'ennemi. Dans ce contexte, les Etats (principalement les Etats occidentaux) étaient les seuls maîtres du jeu international, et fonctionnaient sur le principe suivant :

Les clés de la réussite appartiennent à ceux qui mettent entre parenthèse les considérations prescriptives comme le droit et la morale et à « fortiori » les émotions et les sentiments.186(*)

Mais avec la situation d'uni polarité survenue à l'occasion de l'effondrement du bloc communiste dans les années 1990, l'Etat n'est plus l'unique acteur des relations internationales. A coté du réseau interétatique, se développent d'autres réseaux de relations internationales entièrement constitué d'acteurs non étatiques.187(*) Ces nouveaux acteurs s'intéressent fondamentalement dans certains cas, aux questions de morale, de justice que Rawls semble négliger au profit des questions de paix et de sécurité entre les nations. Avec la reconnaissance de ces nouveaux acteurs comme partie prenante du système international, un espace de dialogue s'organise en termes de procès entre une demande sociale de justice et des institutions appelées à y répondre. Ce procès se loge dans un « espace public » qui prend la forme d'un tribunal sur lequel la demande de justification des comportements présents et passés s'internationalise. En fait, face à ces nouveaux acteurs, les Etats et leurs institutions sont appelés à s'expliquer sur leurs actions.

2. Le problème de la prééminence du principe de tolérance dans le droit des gens rawlsien

Avec la prééminence du principe de tolérance dans le droit des gens rawlsien, on peut en fait contester que l'ordre interétatique juste que défend Rawls soit vraiment équitable, et puisse garantir un consensus. En effet, la tolérance des régimes non libéraux appelle plus à une compromission des principes de justice. Ce que cèdent les sociétés libérales et démocratiques (l'extension du principe libéral de différence en principe de justice distributive global) pour vivre en paix avec les sociétés hiérarchiques, est supérieur à ce qu'elles gagnent (un respect minimal des droits de l'homme dans les sociétés libérales). De même, le gain des sociétés hiérarchiques non libérales (leur acceptation comme membre de la société politique internationales) parait supérieur à ce qu'elles perdent (assouplir les restrictions en matière liberté personnelle). Ainsi, partant de la dualité principielle qui régie la pensée de Rawls, l'on peut comprendre que le droit des gens rawlsien, libéral dans son essence, est d'avantage acceptable pour les sociétés hiérarchiques que pour les sociétés libérales ; et il pourrait même, d'après le raisonnement de Rawls, être acceptable dans un monde composé uniquement de sociétés bien ordonnées non libérales.

3. Le dualisme principiel et le problème de l'historicisme chez Rawls

En suivant le raisonnement de Rawls, notamment l'idée de l'historicisme qu'il développe dans Libéralisme politique188(*) on peut s'interroger sur la portée universelle de cette théorie. La réponse qu'il donne à ce sujet, à savoir, que l'extension au droit des gens d'une conception libérale de la justice, suffit à faire preuve de son absence d'ethnocentrisme, nous parait peu convaincante. En effet, selon Rawls, la dualité domestique/international permet de conclure que le consensus sur le droit des gens aboutit à un droit interétatique libéré du sceau de la tradition occidentale.189(*) Mais cela ne nous permet pas de conclure que l'ordre domestique développé par sa conception de la justice politique n'est plus marqué du sceau de la tradition politique occidentale, une fois l'Etat engagé dans les relations internationales. Dans ce contexte, les sociétés libérales deviennent simplement des sociétés ayant intériorisé le droit des gens raisonnable, au même titre que les sociétés hiérarchiques. Ainsi, le droit des gens apparaît bien plus comme une réadaptation internationale du libéralisme, que comme le substitut d'une fondation métaphysique du libéralisme.

CONCLUSION

Il est évident que la catégorie d'autonomie n'a été traitée dans la  théorie de la justice comme équité  que de manière oblique et partielle. De manière oblique, parce qu'elle est examinée par le moyen d'un individualisme méthodologique hérité de la philosophie cartésienne. Partielle, car aussi bien l'individualisme méthodologique que le dualisme principiel auquel il conduit lorsqu'on aborde la question des rapports interétatiques, n'arrive pas à une formulation décisive de la critique sociale. Mais ce jugement qu'il faut placer dans le cadre d'une évaluation critique, parait fort partiel, car toute théorie, aussi fausse qu'elle puisse se présenter, développe en son sein, et pour un travail sur soi, des éléments propices à son propre dépassement. Et même la fausseté d'une théorie n'est saisissable qu'à travers son antithèse. La  théorie de la justice comme équité  bien qu'alimenté par des éléments de la pensée kantienne et wébérienne, n'a pas été une véritable pensée de la liberté humaine. La théorie de la justice comme équité  est une pensée de l'autonomie qui n'a pas écrit son manifeste pour la libération. C'est ce qui explique le fait que malgré la présence de tous les éléments par lesquels peut s'exprimer un vécu politique juste et équitable chez son auteur, il n'a pas pu tirer toutes les conséquences de son projet politique, il n'est pas allé jusqu'au bout de la pensée d'autonomie qu'il développe, jusqu'à l'effectuation de ses idées. Dans un contexte où le positivisme technoscientifique fonde l'interaction entre les individus et les Etats sur une rationalité de la domination, dans la conquête de nouveaux marchés, dans la monté de l'extrémisme religieux et des modes de pensée autoritaire, dans une mondialisation cosmopolitique plus favorable à l'effacement des identités particulières, dans cette période où la philosophie se désintéresse de la lutte contre la pauvreté et la misère pour servir les idéologies, la  théorie de la justice comme équité  redonne au sujet la possibilité de reconquérir son autonomie. La catégorie centrale de son auteur est le raisonnable, mais la théorie dans son ensemble se présente comme une utopie réaliste qui n'a pas laissé éclore toutes ses possibilités. C'est pour cette raison que nous nous en servirons comme aiguillon critique afin de mettre en perspective l'immanence politique sous le double mode du raisonnable et du possible.

DEUXIEME PARTIE :

CRITIQUE SOCIALE ET MODALITE DE L'AUTONOMIE POLITIQUE DANS LE MONDE.

LIMINAIRE

Dans la première partie de notre travail, l'étude des différents clivages et présupposés de l'autonomie politique nous a conduit à un examen, à l'intérieur d'une philosophie, des problèmes liés à ses options et choix internes. Toutefois, puisque toute philosophie, fille de son temps, doit entretenir un rapport dialectique avec l'histoire et partant avec la pratique sociale, la lecture d'une théorie ou d'une catégorie ne peut être pertinente qu'en s'articulant sur le réel historique. C'est la raison pour laquelle il nous parait important de compléter la lecture de la  théorie de la justice comme équité  (faite dans la première partie) par une lecture de l'histoire entrain de se faire avec la théorie de la justice comme équité. Et comme nos vues portent sur le problème de l'autonomie, nous lirons avec la  théorie de la justice comme équité, comment l'idée d'autonomie s'efface dans le droit international en vigueur.

Dans cette partie, il s'agit d'entrer dans le projet général de la catégorie d'autonomie dans la pensée de Rawls, à savoir démasquer la formulation continue de l'hétéronomie dans les normes politiques internationales, et son corollaire la nécessité. La nécessité de subir une histoire universelle « irréversible », une praxis sociale manipulatoire qui se transforme en un horizon conceptuel privilégiant l'inertie intellectuelle, et dont la caractéristique fondamentale est la confiance tranquille en une pensée affirmative. En réduisant le droit international à ses principes fondamentaux (notamment l'égalité normative entre les Etats, l'exclusivité étatique, la souveraineté étatique), la pensée de Rawls se rattache à la dénonciation des manipulations du droit international.

Une mise au point doit être faite ici. Celle-ci devra montrer comment et en quoi le registre politique concerne le sujet qui nous intéresse, à savoir l'exploration du concept d'autonomie dans la pensée de Rawls, et son extension au droit international. Ensuite, la mise au point devra situer le lieu à partir duquel devra évoluer notre analyse du système international actuel. Qu'est-ce qui peut justifier une analyse du droit international au regard du concept d'autonomie dans la pensée de Rawls ? Premièrement, la grande tache de la  théorie de la justice comme équité  est de mettre en rapport l'autonomie rationnelle et l'histoire en train de se faire. Et s'occuper de la rationalité en politique suppose une mise en perspective des multiples rationalisations par lesquelles la domination trouve une permanence. La théorie de la justice comme équité  veut penser la consolidation de la communauté internationale, et dévoile à travers l'immédiateté des rapports, les médiations par lesquelles s'élabore le droit. Mais alors une analyse du droit international dans ce sens ne peut être que fort importante, dans la mesure où penser l'autonomie et poser la question de la relation des Etats au droit, nous semble conforme à la ligne tracée par Rawls.

A cet effet, la méthode qui sera utilisée pour montrer comment la pensée de Rawls, discours de l'autonomie politique, s'oppose au discours idéologique de l'hétéronomie des normes internationales, se veut négative. Cette méthode est bien présente chez Rawls quand il rejette la dissolution de l'Etat dans la totalité universaliste, à travers le dualisme principiel qu'il établit entre l'ordre domestique et l'ordre international. Par cette méthode, Rawls démasque la dépolitisation permanente de la sphère publique préconisée par l'idéologie du cosmopolitisme fondée sur la nécessité. Cette méthode saisie aussi bien la pensée que l'objet dans leurs dissonances internes, refuse toute esquive liée au théoricisme, et se propose la libération dans un contexte historique scellé de la logique de l'identification, de la classification. Sur quoi dès lors portera l'analyse de l'éradication de l'autonomie et de son discours dans le système des Etats ?

L'objet du quatrième chapitre sera de saisir la portée du libéralisme politique de Rawls dans les relations internationales. Dans ce cas nous étudierons à la lumière du réalisme politique de la  théorie de la justice comme équité, la question de la désunion de la référence politique et de l'appartenance culturelle dans chaque société, prônée par l'idéalisme moral, individualiste et égalitaire du cosmopolitisme, à travers la construction d'une identité post nationale. Ceci nous aidera à formuler une critique du droit international qui, malgré l'essor des droits de l'homme et des nouvelles catégories comme les « crimes contre l'humanité » a structurellement peu changé.

CHAPITRE IV : LE DROIT INTERNATIONAL : ENTRE LE REALISME POLITIQUE DE RAWLS ET L'IDEALISME MORAL ET INDIVIDUALISTE DU COSMOPOLITISME.

La recherche que nous entreprenons à ce niveau est orientée par un souci, à savoir comprendre comment le discours de l'ajustement fleurit dans l'ordre international actuel. Cet ordre est présenté sous la forme d'une totalité culturelle et historique, et dont l'universalité et la permanence de la structure technique, économique et politique, est irréversible. Une question se poserait dès lors : comment le droit, expression dans ses principes, de l'autonomie et de la souveraineté, peut en même temps se présenter sous une forme performative et idéologique, et être un discours de l'ajustement ? Comment résoudre ce paradoxe qu'un dérivé de l'autonomie s'oppose à l'autonomie ? Il existe un usage démagogique du droit qui en fait une catégorie heuristique dans la définition des politiques de l'ajustement. La mise en perspective de cet usage démagogique sert de préalable à l'orientation de notre interrogation qui sera centrée sur deux axes.

Le premier essayera d'analyser la portée concrète de l'idée de citoyenneté cosmopolitique développée par l'idéologie du cosmopolitisme. Ici, nous entendons le point de vue actuellement mis en avant par les défenseurs d'un ordre politique mondial conçu comme une association d'individus. Ces derniers sont les seuls à avoir une véritable valeur morale, et leurs droits et intérêts doivent être protégés par les institutions internationales et prévaloir sur ceux des Etats. La conception traditionnelle de l'ordre mondial comme association d'Etats souverains est dévalorisée. Le second axe examine la manifestation de la dérive idéaliste du droit et de la politique internationale dans l'élaboration des philosophies de l'ajustement en Afrique.

A. THEORIE DE L'IDENTITE POSTNATIONALE ET LA QUESTION DE LA CONSOLIDATION DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE.

L'optique favorable à la construction d'une identité post nationale en vue de la consolidation du système des nations repose sur deux thèses. La première insiste sur l'importance d'une « structure de base globale »190(*) et des principes de justice distributive globaux débordant les frontières des Etats-nations. On rejette ainsi le principe de l'autosuffisance économique interne.191(*) La seconde thèse insiste sur la nécessité de fonder la solidarité internationale sur un ordre démocratique supranational, visant à maîtriser les effets néfastes de la mondialisation des marchés.192(*) Cette fois, c'est le principe qui fait des Etats-nations les principaux acteurs de la scène internationale qui est rejeté.

1. Le rôle d'une justice distributive entre les peuples.

La justice distributive est essentiellement liée à l'expérience du pluralisme mieux à la gestion des conflits identitaires dans la société. Que l'on se préoccupe de la bonne distribution des avantages et charges de la coopération sociale,193(*) ou plus particulièrement de la bonne distribution des ressources économiques,194(*) la priorité est accordée à la sphère interne de la société. A ce niveau, le dénominateur commun aux différentes théories contractualistes de la société se résume en un cadre communément partagé d'une identité institutionnelle qu'on imposerait à l'ensemble des individus.

Mais une fois envisagée à l'échelle mondiale, la justice distributive fait face à un dilemme fondamental issue, non seulement de la dialectique des identités culturelles originaires/historiques et des cultures politiques nationales, mais aussi la dialectique des cultures nationales et de la culture mondiale, cette dernière se voulant le point culminant, la fin des autres. Et compte tenu de la marche irréversible de la dissolution des cultures locales dans la culture mondiale, la norme de conduite imposable aux Etats est le respect des droits de l'homme. Erigée en critère de légitimation politique dans les relations internationales, la catégorie des droits de l'homme créée une plate forme politique favorisant le surgissement d'un concept de personne cosmopolitique communément partagé. Dès lors, malgré le fait que les sociétés non libérales n'ont aucune expérience historique de la conception politique de la personne et de l'éthique de la discussion, concept propres à la tradition politique libérale, leurs citoyens s'imprègnent de ces concepts au fur et à mesure qu'ils intègrent le système international. Ils acquièrent ainsi, eux aussi, le statut de citoyens cosmopolitiques, et peuvent être favorablement disposés à l'égard des principes du libéralisme politique.

Cette exploration des principes du libéralisme politique à l'échelle internationale, avec pour moment clé le surgissement du concept de personne cosmopolitique, se fonde sur le principe de l'individualisme moral égalitaire. Il se propose d'articuler les valeurs de liberté et d'égalité pour tous les hommes, quelques soient leurs lieux de naissance. Ici, au sein de la « structure de base globale » où se déplorent les relations internationales, la méthode de la position originelle s'applique à tous les individus. Cette idée d'une extension de la position originelle à l'échelle mondiale est présente dans la pensée de Rawls.

Mais Rawls conçoit l'idée d'une « structure de base globale » comme irrecevable. Car l'objet de la justice est la structure de base de la société, c'est-à-dire l'ensemble des institutions sociales, politiques et économiques fondamentales de la société. Et les seules institutions de base existantes se relient à des sociétés organisées en « communauté nationales indépendantes ».195(*) Ainsi, lorsque Rawls tire de sa théorie des principes de justice internationale, la position originelle concerne, non pas des individus proprement dits, mais des représentants des Etats. Et bien que se mouvant aussi derrière le voile d'ignorance, ces représentants d'Etat indépendants ne souscrivent pas à un quelconque principe de redistribution, et ignorent en particulier le principe de différence.

Cependant, la globalisation de plus en plus accélérée de l'économie et des moyens de communication semble être un fait qui échappe à Rawls. Il existe de plus en plus d'institutions supra étatiques, c'est-à-dire d'organisation économiques et politiques supra nationales et des organisations civiques non gouvernementales qui, dans les faits, remettent en cause le rôle privilégié de l'Etat dans les relations internationales. L'intuition de base ici suggère que les effets de la mondialisation, à savoir l'ouverture des économies, l'intégration des marchés et des firmes à l'échelle internationale, les politiques de libéralisation qui facilitent la circulation des biens et facteurs, tout cela doit conduire à la « dévalorisation des frontières. »196(*) Ce qui a conduit certains théoriciens de l'économie politique internationale comme Robert Reich et Karl Ohmae à proposer, soit la suppression dans le vocabulaire économique de la notion de « balance de payement d'un pays » parce qu'elle constitue un anachronisme dans l'économie mondialisée, et à prédire l'avènement d'un monde sans frontières (a borderless world). C'est à cette intuition qu'on doit la dynamique intellectuelle ayant conduit au développement du concept de « structure de base globale ». Ce dernier envisage la possibilité à l'échelle internationale, d'une diversité irréductible de conceptions compréhensives de la personne, et pose les jalons nécessaires à la réalisation des conditions favorables à la mise en place du libéralisme politique à l'échelle internationale. On admet ici une seconde ronde au sein de la position originelle, ronde qui inclue l'ensemble des individus de la communauté internationale.

Ainsi donc, l'usage de la position originelle comme dispositif garant de l'impartialité et de l'universalisme juridique semble commettre un certain libéralisme politique à définir le droit international sous la forme d'une globalisation du principe de différence. On applique au système international le raisonnement ayant permis de choisir le principe de différence comme principe de justice sociale. Dans le soucie d'établir un schème coopératif suffisant dans le système des Etats, les représentants des nations choisiraient un principe international de différence pour s'assurer le meilleur sort possible au sein de la communauté internationale. Le politologue Charles R. Beitz justifie ce choix et accorde au principe international de différence le statut d'un

(...) principe de redistribution des ressources qui donnerait à chaque société une chance équitable de développer des institutions justes et une économie capable de satisfaire les besoins fondamentaux de ses membres.197(*)

Ceci est possible par le fait que ce principe international de redistribution

Procure aux individus dans les pays pauvres en ressources l'assurance que leur mauvaise fortune ne les empêchera pas de remplir les conditions économiques suffisantes pour soutenir les institutions sociales justes et protéger les droits de l'homme.198(*)

On peut lier ce raisonnement à la vision modérée du cosmopolitisme défendue par Thomas Pogge,199(*) David Held200(*) ou Michael Keating.201(*) L'objectif ici est de repenser la nature et la portée du concept de souveraineté au sein des Etats-nations. Ils proposent un concept polycentrique et différencié de la souveraineté où l'Etat-nation doit composer avec des instances supranationales de redistribution des richesses. Une conception interactive de la souveraineté dans laquelle, les différents centres du pouvoir politique, à l'échelle locale, nationale et internationale, se partageraient les responsabilités, selon les types de problèmes à résoudre. A cet effet, David Held voit dans l'Etat-nation un lieu d'auto législation des citoyens parmi tant d'autres, qui devra continuer à jouer un rôle dans la scène internationale. Dans son ouvrage Democracy and the Global Order, il affirme :

Il ne peut plus y avoir une prise en compte de l'Etat démocratique moderne sans un examen du système global, mais il ne peut non plus y avoir un examen du système global sans une prise en compte de l'Etat démocratique.202(*)

Plus loin, dans le même ouvrage, il déclare :

Sur l'arrière plan d'un ordre politique cosmopolite, l'Etat-nations, en temps opportun, s'atrophierait, mais cela ne veut pas dire que les Etats et les communautés nationales deviendraient redondants. Il y a plusieurs bonnes raisons (...) de douter des fondements empiriques et théoriques des prétentions à l'effet que les Etats-nations disparaîtront.203(*)

On objectera très bien ici que le concept polycentrique de souveraineté placé au coeur de la justice globale, convient très bien aux pays puissants. Il est difficile aux pays pauvres, en proie à des conflits armés internes, à la ruine des institutions politiques et sociales, à la faiblesse des gouvernements, de résister aux mécanismes d'ajustement proposés par les pays riches, puissants et les institutions financières internationales, se présentant comme des partenaires au développement. Cela se fait par le biais des conditionnalités politiques, économiques et sociales, dont les effets pratiques se voient dans l'ouverture des frontières et la privatisation des actifs et biens publics, la stabilisation des structures macro-économiques, financières, monétaires, budgétaires, l'intrusion de la société civile internationale dans la vie intime des Etats, le contrôle exercé par des groupes d'affaires multinationaux sur les ressources naturelles des Etats, etc.

A cet effet, cette extension du libéralisme politique au droit international pourrait en effet passer pour une forme d'expansionnisme idéologique. Aussi Rawls l'écarte-t-il de sa conception contractualiste de la justice internationale. Pour lui, cette démarche, dite cosmopolite, fait face à un dilemme issu du fait qu'elle cherche à construire des principes de justice pour un monde comprenant une diversité de cultures et de tradition, en partant de prémisses normatives fondamentalement libérales. Elle ne prend pas en compte dans ses analyses, le fait du pluralisme  à l'échelle internationale, et risque d'être intolérante vis-à-vis des sociétés non libérales en exigeant d'elles qu'elles deviennent membre d'un système cosmopolitique libéral.

Les tenants de ce cosmopolitisme modéré pourront répliquer sans doute que le concept de souveraineté polycentrique ou partagé qu'ils proposent, s'inscrit dans une stratégie de renforcement des pays pauvres sur la scène internationale. Cela peut être vrai. Mais il n'en demeure pas moins vrai que le statut d'un Etat puissant, en vertu de sa reconnaissance internationale, reste préférable au statut d'un pays pauvre. Et c'est là une des raisons pour lesquelles la souveraineté de l'Etat-nation demeure un point important pour l'émancipation des pays faibles et pauvres.

2. Solidarité internationale et démocratie supranationale : Le cosmopolitisme radical de Jürgen Habermas.

Une conception plus radicale du cosmopolitisme apparaît dans l'interrogation habermassienne sur la forme que pourrait revêtir une théorie de la justice globale. Son analyse de la justice internationale s'inscrit dans une critique des idées kantiennes où l'Etat-nation est l'acteur principal de la scène internationale. Rappelons que les préoccupations kantiennes sur la possibilité d'un ordre cosmopolitique juste revêtent un caractère ambivalent. Dans ses premiers écrits sur le cosmopolitisme, Kant semble plus à l'aise avec l'idée d'un ordre politique et juridique transcendant et global, auquel seraient soumis les Etats-nations.204(*) Mais les derniers textes sur le sujet semblent adopter l'idée d'un « congrès », d'une « ligue » des nations, d'un arrangement volontaire et révocable entre les Etats-nations souverains. Et ceci en raison de la prise de conscience du fait que la souveraineté de l'Etat-nation apparaît à son époque comme un élément incontournable et indispensable de la scène internationale.205(*)

Habermas pense qu'il est essentiel de substituer à l'idée kantienne d'un ordre politique et juridique global conçu comme une association d'Etats-nations souverains, l'idée d'un cosmopolitisme conçu comme une association d'individus. Ces derniers sont les seuls à avoir une véritable valeur morale, dont les droits et les intérêts doivent prévaloir sur ceux des Etats-nations et être protégés par des institutions supranationales.206(*) Cette survalorisation des droits individuels sur le droit des peuples permet de définir les conditions adéquats pour un contrôle juridique des relations externes entre les Etats, et des relations internes entre les Etats et les individus (autant ceux dont ils sont citoyens que eux dont ils ne sont pas citoyens). La simple conformité des relations entre Etats, entre les Etats et leurs citoyens, aux traités révocables du droit international n'est plus soutenable. Il faut la remplacer par une conformité des relations interétatiques et des relations entre les Etats et leurs citoyens, à des normes constitutionnelles fondamentales et universellement valables, c'est-à-dire à un véritable droit cosmopolitique. En conséquence, le droit cosmopolitique doit fournir des moyens institutionnels, des pouvoirs et des sanctions qui permettront aux institutions internationales d'asseoir leur légitimité et de contraindre les Etats rebelles à respecter les obligations morales minimales que pose le droit cosmopolitique véritable. C'est pourquoi la protection des droits individuels fondamentaux relève désormais du ressort des institutions internationales.

Les considérations habermassiennes sur la nouvelle forme que devrait revêtir un cadre institutionnel cosmopolitique, ont inspiré diverses perspectives favorables aux revendications d'une réforme des principales institutions de l'Organisation des Nations Unies (O.N.U.). Notamment la création d'une seconde chambre reliée directement aux régions et aux localités, non plus seulement aux Etats-nations. La reforme du conseil de sécurité des Nations Unies de façon à permettre à certains régimes ou parlements régionaux (comme l'Union Européenne) d'avoir un pouvoir décisionnel effectif, l'extension des compétences juridictionnelles de la Cours internationale de justice de La Haye dans le sens d'une institution permanente, dotée d'une force exécutive permettant d'assurer le respect des droits humains et, ainsi, des moyens d'intervention nécessaires en cas de violation de ces droits.

L'attrait de cet idéal cosmopolitique sur la scène internationale peut s'expliquer par le fait qu'il est jugé plus « réaliste », et ceci sous trois angles au moins. Premièrement, ce modèle semble refléter les conditions sociologiques d'un ordre cosmopolitique. Ce que Kant semble ne pas tenir en compte. Habermas fonde ses réflexions sur un fait social : le développement d'une « conscience cosmopolitique » incarnée par des mouvements sociaux, politiquement engagés au sein des sociétés civiles nationales (mouvements écologistes, pacifistes, féministes, etc.) Ces mouvements semblent programmés pour faciliter l'émergence d'une citoyenneté démocratique transfrontalière, susceptible d'avoir des ramifications aussi bien à l'échelle régionale que globale.207(*) Il n'est plus question de montrer, comme le faisait Kant, comment la paix mondiale se réalisera aux forceps, malgré la nature belliqueuse des Etats, en fondant l'ordre politique sur l'hypothèse d'une heureuse coïncidence entre les finalités de la raison et les finalités de la nature. Pour Habermas, l'ordre cosmopolitique n'est envisageable que grâce à l'existence des mouvements sociaux ayant leur siège dans des sociétés civiles nationales, et favorable à un tel ordre. Aussi, nécessite-t-il l'investissement des citoyens et des organisations dans le processus de décisions politiques, tant dans la sphère nationale qu'internationale.

Le second angle se rapporte à une adéquation entre le modèle cosmopolitique habermassien et l'ordre politique international qui a émergé après la seconde guerre mondiale. La politique internationale a connu des transformations qui indiquent la phase transitoire dans laquelle l'Etat-nation est entrée. Ces transformations peuvent être évaluées au moins à quatre niveaux. Au niveau du droit international qui impose désormais la prise en compte des droits individuels au détriment du droit des peuples. Au niveau de l'internationalisation croissante de la prise de décision politique et l'émergence d'organisation oeuvrant à des échelons supranationaux (Banque mondiale, F.M.I.). Au niveau de la globalisation des marchés et la perte de contrôle par les Etats de leurs politiques économiques et monétaires internes. En fin, au niveau de la perte des repères identitaires traditionnels et la dissolution des souverainetés culturelles, en raison de la diffusion planétaire d'une culture de masse (en bonne partie véhiculée par le cinéma américain).208(*) Ces transformations rentrent, de façon concrète, dans la politique internationale qui a émergée après la seconde guerre mondiale. Et le cosmopolitisme habermassien se révèle être une tentative d'arrimage des institutions internationales, ainsi que les principes politiques et juridiques qui régissent les relations internationales avec les transformations que nous venons de décrire.

Le troisième angle se rapporte à la nature des menaces qui pèsent sur le monde. L'internationalisation de certaines menaces, comme le terrorisme, écarte le traditionnel schéma des relations « ami/ennemi » gouvernant la logique de la guerre entre les Etats.209(*) Le terrorisme, tout comme les problèmes environnementaux, les épidémies, la prolifération nucléaire, nécessitent des mesures et des mécanismes de coordinations provenant d'institutions supranationales. A ce niveau, la pensée habermassienne parait plus réaliste, en ce qu'elle saisit à la fois la nature des problèmes à régler et les faiblesses des institutions internationales.210(*)

En somme, l'analyse de l'ordre juridique et politique qui doit fonder le système des nations dans la pensée de Habermas, laisse paraître un rejet du rôle privilégié qu'occupait l'Etat sur la scène internationale. Le droit des peuples se voit clairement soumis aux droits individuels et à leur protection. Ce modèle de justice globale représente, à coté du modèle de Pogge, Held ou Keating, une tentative de fonder la solidarité internationale sur la défense des droits de l'homme. C'est pourquoi les réformes opérées au sein des principales institutions de l'O.N.U, inspirées par la pensée de Habermas, se sont radicalement orientées vers l'aménagement d'une appartenance directe des citoyens à un ordre politique global. Mais tout comme le cosmopolitisme modéré de Thomas Pogge, Charles Beitz ou Michael Keating, le cosmopolitisme habermassien échoue à rendre véritablement compte du statut de la justice globale dans un monde où l'Etat-nation est en transition.

La principale erreur que commet Habermas est qu'il considère l'Etat-nation comme un obstacle à l'émergence d'une citoyenneté cosmopolitique et démocratique. Ceci à cause du principe de l'autodétermination des peuples mis en avant par l'Etat-nation et sur lequel il fonde son autonomie sur la scène internationale. Dans un tournant d'esprit proche de Pogge et Beitz, Habermas estime l'auto affirmation des peuples, entendu comme autodétermination des nations dans la scène internationales, incompatible avec la défense des droits de l'homme sur laquelle doit se fonder un ordre démocratique global. Il semble dès lors se méprendre sur le véritable statut de l'Etat-nation dans un cadre politique global. Il nous parait à ce jour, juste de soutenir que l'Etat-nation est à la fois modèle d'auto législation démocratique, et lieu de protection et de valorisation des traditions locales, dans un cadre politique global.

A ce titre, l'Etat-nation est à la fois communauté démocratique et communauté nationale. En tant que communauté démocratique, l'Etat-nation a le rôle de promouvoir l'intégration politique de ses membres, c'est-à-dire d'accorder à chaque individu, sans distinction de couleur, de tribut ni de sexe, le statut de citoyen permettant de surmonter les particularismes ethniques. Comme communauté nationale, l'Etat-nation se doit de créer un cadre politique favorable à la protection des identités culturelles. Aussi lui revient-il entièrement la mission de l'intégration culturelle, qui consiste à compenser le modèle abstrait et utopique d'une citoyenneté purement cosmopolitique, par un nationalisme tout à fait compatible avec un ordre démocratique global protégeant les droits de l'homme.

Certes l'Etat-nation ne peut plus, de nos jours être vu comme le seul acteur de la scène internationale. Mais c'est un tort de penser la citoyenneté cosmopolitique sur fond d'exclusion de l'Etat-nation. Il est difficile dans les faits, d'envisager une quelconque citoyenneté, fut-elle transnationale, sans au préalable poser les jalons d'une citoyenneté nationale. De même, les espaces publiques nationaux demeurent les cadres appropriées à l'intérieur desquels la pratique de la démocratie à toutes les chances de se réaliser, avant sa manifestation réelle dans les espaces publics transnationaux. Ce point de vue trouve une justification aux yeux de Thomas Nagel par le fait que

(...) les individus s'identifient fondamentalement à ce genre de groupe, et une part assez essentielle de leur expression est empruntée s'ils ne peuvent contribuer à l'auto définition politique et au développement du groupe où s'enracine leur identité. Il est impossible d'ignorer ce phénomène, même si l'on a un sens de l'identification nationale moins fort que la moyenne, ce qui est souvent le cas des intellectuels cosmopolitiques.211(*)

Ce refus de théoriser l'exclusion de l'Etat-nation et son apport pour la construction d'un ordre global juste, nous le trouvons dans la critique rawlsienne du cosmopolitisme. Pour lui, la citoyenneté transnationale comme identité politique, aussi générale et abstraite qu'elle puisse être, demeure psychologiquement douteuse.212(*) Si on comprend bien ce propos, on peut dire que contre les forces colossales de l'ajustement collectif qui se dégagent de la mondialisation, on peut opposer l'idée qu'une éventuelle délibération publique, à propos des problèmes de justice internationales, aurait plus de chances d'être authentiquement participative et moins élitiste à l'intérieur des frontières nationales qu'à des échelons supranationaux.213(*) L'activisme transnational ne saurait créer les conditions d'une véritable délibération publique et d'une prise de décision collective, telle qu'on peut les retrouver à l'intérieur des frontières nationales. Même en réaction à des problèmes internationaux (guerre, environnement, etc.) on voit difficilement comment la participation à une société civile globale favoriserait l'émergence d'une forme de citoyenneté cosmopolitique authentiquement démocratique. Dans ce cas, la possibilité d'une extension effective des vertus civiques acquises à l'intérieur des frontières nationales, vers des instances supranationales, nous parait porteuse d'un gain de pensée important.

B. MODERNITE AFRICAINE ET L'AJUSTEMENT A LA MONDIALISATION NEOLIBERALE : LES ENJEUX POLITIQUES DU  POST COLONIALISME214(*).

La marque de l'épanouissement du discours de l'ajustement dans les relations internationales, est assez significative dans l'orientation que prend la problématique de la liberté en Afrique au début des années 80. Ici, la dérive idéaliste du droit et de la politique internationale s'observe dans l'idée d'une insertion pure et simple des Etats africains au droit cosmopolitique général et universel. Ce discours est fort présent dans la philosophie de la « modernité négro africaine »215(*) véhiculée par le « post colonialisme ». Nous proposons dans cette section d'examiner les thématiques structuratrices portant sur le statut des Etats africains à l'ère de la mondialisation, nous tenterons de montrer comment le discours de la modernité négro africaine s'érige en discours de l'ajustement, obturateur de l'autonomie. Il s'agira de répondre à cette question : comment le discours de la modernité négro africaine, initialement projet d'émancipation, s'affirme en réalité comme discours d'accompagnement à l'alternative hégémonique non négociable de l'ajustement ? Comment et en quoi dans le post colonialisme, l'émancipation se tourne-t-elle en son contraire ? Comment comprendre que la mise en perspective de certains schèmes de pensée n'était qu'une mise en forme de la domination ?

1. Philosophie de l'ajustement : un contrepoids idéologique aux revendications africaines pour la restructuration de l'ordre économique et politique mondial.

S'agissant de la revendication pour la restructuration de l'ordre économique et politique mondial, il est difficile de comprendre la portée d'une telle lutte en se basant sur l'hypothèse que ce que réclamait la conscience africaine, c'était une redéfinition des rapports avec l'Occident. On court ici le risque de se renfermer dans de simples conclusions erronées. En fait, comme l'ont soulignés de nombreux spécialistes de la pensée politique africain, la lutte que menait la conscience africain pour la restructuration de l'ordre politique et économique mondial, avait en vue un idéal : l'idéal de liberté conçue dans la perspective de l'auto-centration. La liberté ici est avant tout le pouvoir de décider de son sort, de son présent et de son avenir, du point de vue politique, économique, culturel. C'est le dessein fondamental vers lequel est orientée les revendications, en vue d'un nouvel ordre international : faire parvenir l'Afrique à la « liberté, c'est-à-dire une Afrique autocentrée et puissante. »216(*) A cet effet, les perspectives intellectuelles développées en vue de ce dessein, laissent apparaître un intérêt particulier pour la lutte, la fondation, l'institution, la totalité, et l'historicité.

Mais à partir des années 80, l'insertion de l'Afrique dans le monde est marquée par le phénomène de l'ajustement. Les premières marques de cette nouvelle donne des relations internationales apparaissent au Sénégal, en Cote d'ivoire où seront appliquées pour la première fois en Afrique, ce qu'on a nommé « les programmes d'ajustement structurel. » Il s'agissait ici d'organiser l'activité politique, économique et culturelle de ces Etats autours de l'exigence de la stabilité socio-économique et historique, où se trouve exclue tout retour à la contradiction, à la négation, à l'historicité, à l'institution.

Donc l'ajustement génère un nouveau cadre conceptuel qui signifie le passage de la dialectique de l'histoire vers sa stabilisation, sa fin, et son appropriation217(*). Dans le développement et l'adoption de cette nouvelle donne des relations entre les Etats africains et l'Occident capitaliste et néolibéral apparaît le concept de structure comme point focal de la pensée. Il fut préalablement énoncé par Fabien Eboussi Boulaga, réduisant la logique de contradiction entretenue dans la pensée africaine traditionnelle, à ce qu'il a appelé « la dialectique de l'authenticité ». Voici l'explication qu'il donne de ce concept :

On ne veut pas dire par là que la suppression des contradictions soit vaine, puisqu'il y en a toujours, puisqu'elles sont la condition de la vie de l'homme ou de la vie de l'esprit. L'esprit n'a qu'à résoudre les contradictions qui se présentent à lui, et non la contradiction en général, c'est par là qu'il se conquiert et se possède.218(*)

De ce propos, il ressort une nouvelle orientation de l'activité philosophique, dont Eboussi se veut l'instigateur. La pensée se détourne de l'exaltation de la contradiction et de la mise en place des systèmes et totalités, pour s'intéresser à la question de la pacification des sociétés démocratiques pluralistes. Ainsi, le concept de structure rend obsolète le mode traditionnel de philosopher, c'est-à-dire sa quête de cohérence, son intérêt pour la logique de la démonstration, en vue de parvenir à un fondement, à la genèse, à une identité qui serait le socle d'une totalité. C'est dire que Fabien Eboussi Boulaga refuse toute idée de fondement stable des Etats africains. La vie de l'esprit faisant difficilement bon ménage avec les fictions et fixations identitaires, le philosophe camerounais dénonce la vacuité, dans un monde globalisé, d'un « projet d'englobement ou d'universalisation d'une identité unique. » Il refuse de partir d'une fiction identitaire pour en faire le socle de l'Etat en Afrique. L'option à laquelle il souscrit, pour définir la manière d'être des Etats africains dans le monde globalisé est le recourt à la distorsion et à la subversion des institutions établies. Car pour lui l'injustice dont sont victimes aujourd'hui les Etats africains dans la scène internationale, ne peut être le résultat des seules contraintes extérieures. « La servitude initiale ne peut être attribuée uniquement à des forces extérieures »219(*). Dans ce cas, la reconnaissance du droit à l'auto détermination des peuples d'Afrique s'obtiendra, non pas par la lutte (comme cela a été théorisé par Franz Fanon, Marcien Towa), mais par le biais des «  tactiques qui recourent à la ruse (...) avec ses occasions favorables »

On peut donc dire que le concept de structure dans la pensée de Fabien Eboussi Boulaga, soumet la reconnaissance de l'auto détermination des peuples africains à une logique de la ruse politique qui se déroulera en deux étapes. D'abord l'acceptation de l'ordre du monde, en jouant le jeu stratégique des forces extérieures. Ensuite, l'adoption d'une manière d'être au monde fluctuante opposée à toute idée de fondation. A partir de ces prémices, va se développer tout un discours philosophique qui essayera de relativiser, mieux de disqualifier l'importance de la contrainte extérieure dans la situation des Etats africains dans le monde. On soupçonne l'optique révolutionnaire de Fanon, Towa, Césaire, d'être un discours de maîtrise et d'autoritarisme. On théorise plutôt au travers du concept de structure, la défondation de toute conception d'une finalité systématique de l'histoire africaine, conçue en vue de l'autonomie comme dessein final. La description que fait Jean Godefroy Bidima du discours révolutionnaire de la théorie sociale africaine est révélatrice à ce sujet :

Une autre forme susceptible de piéger la cohérence, c'est une écriture continue se voulant rigoureuse qui enchaîne, de manière soit inductive, soit déductive des raisons et des causes, une écriture qui tient compte de la mesure dans la bonne tradition apollinienne. De cette écriture est proscrite la césure de l'incohérence. L'allure de ces textes est souvent apodictique, l'auteur y écrit un discours du genre démonstratif et (...) même réfutatif (...) cette cohérence des chaînes de raisons est un discours total, c'est-à-dire clos sur lui-même.220(*)

Dans un esprit assez proche, Achille Mbembe rejette les courants de philosophie africaine préoccupés par le rêve d'une Afrique « autocentrée  et puissante », pour une raison simple :

Progressivement, un univers fait de fragments, de signes flottants, de textes ouverts, d'économie flexibles, de sens en constante mobilité s'affirme à notre conscience.221(*)

Avec le concept de structure, se développe la théorisation des systèmes statiques, finalistes, non dynamiques dans le discours philosophique. Et avec sa défense, apparaissent dans l'espace public africain, les motifs fondamentaux du post colonialisme comme discours convergent avec l'ajustement. Se voulant critique de la philosophie africaine, le post colonialisme dénonce au sein de cette philosophie, la théorisation de la violence révolutionnaire, et par ricochet la légitimation du crime (la mort), dans le cas où celui-ci est commis en vue de donner un sens à l'histoire.222(*) On refuse ici les conceptions dialectiques qui légitiment le droit de lutter et de guerroyer, et le placent au fondement de la reconnaissance. La lutte légitime une « logique du suicide », même si elle est menée pour la liberté. Dès lors, la loi souveraine qui doit gouverner l'intersubjectivité exige de « donner la mort à la mort ». Pour Achille Mbembe, la présence nécessaire au monde de l'Afrique passe par l'acceptation des règles du monde globalisé et la défense de la différence sur le plan culturel, politique et économique, la complexité des frontières et l'ouverture à l'altérité. Car lutter, c'est entrer « dans une logique de circulation régie, la plupart du temps, par la loi de la répartition inégale des armes. »223(*) Et comme on ne peut donner la mort à un ennemi surarmé sans risquer dans le même temps sa propre vie », la sagesse demande plutôt de « changer ses désirs (plutôt) que l'ordre du monde. »224(*) Essayant de dégager la pertinence chronologique du terme « post colonie », le philosophe congolais Jean P. Mpele observe que cette notion, dans la philosophie africaine,

Permet d'articuler identité et différence d'intérêts économiques et géopolitiques, et permet de penser la possibilité des rapports conflictuels. C'est cette articulation, que le passage à la phase néolibérale de la mondialisation rend encore plus complexe, qui permet de comprendre les crises actuelles pensées comme uniquement africaines, c'est-à-dire comme l'expression automatique d'un archaïsme ou d'un atavisme traditionnel précolonial ou pré-moderne.225(*)

Dans ce cas, on peut déceler une convergence discursive entre l'impératif d'ajustement commun ici est la thèse d'une identité fluctuante et infondée qui définit la philosophie sous le mode de l'antinomie entre le global et le local. Achille Mbembe réduit le dessein de l'auto centration de l'Afrique au projet totalitaire de la « société fermée » qui ne reste aujourd'hui qu'un pâle souvenir. Aussi affirme-t-il que

La légalité propre des sociétés africaines, leurs propres raisons d'être et leur rapport à rien d'autre qu'à elles-mêmes s'enracinent dans une multiplicité de temps, de rythmes et de rationalités qui, bien que particuliers et, parfois locaux, ne peuvent pas être pensés en dehors d'un monde qui s'est, pour ainsi dire, dilaté. »226(*)

« Un monde qui s'est (...) dilaté », fragmenté, voilà la conception instantanéiste du monde que propose le post colonialisme. Dans ce discours, tout projet de conjonction des droits individuels aux droits collectifs est réduit à un songe creux : « Le songe creux de l'émancipation politique et la rhétorique de l'autonomie culturelle»227(*). La construction des normes politiques dans les Etats africains doit se focaliser essentiellement sur la reconnaissance des droits individuels et leur valorisation, au détriment des droits collectifs. L'individu posé comme métaphore de la liberté, voilà le fondement de la vision instantanéiste du monde développé par le post colonialisme. Avec ce discours, se développe toute une philosophie qui déplace aux forceps l'histoire du monde du centre vers la périphérie, avec pour catégorie essentielle le « kairos ». En tant que mode de conceptualisation de la temporalité, le « kairos » est le moment de la ruse, de l'opportunisme en politique.

Achille Mbembe adoptera le rapport d'identité entre subjectivité et temps, développé par Gilles Deleuze, pour rendre compte de l'insertion de l'Afrique dans la mondialisation à travers le moment du « kairos ». Aussi rejette-t-il l'idée de totalité comme horizon de l'avenir et mode d'insertion de l'Afrique dans la mondialité. Mbembe saisit l'avenir de l'Afrique dans la mondialisation à travers un concept de temps fragmenté, et interstitiel. Ainsi, la présence de l'Afrique dans le monde trouverait son sens dans la figure politique du cosmopolitisme et dans l'ajustement des identités locales à l'identité globale. C'est là le sens du concept de « post colonie » qu'il développe. Il le définit sur la base du rejet du projet d'autonomie rationnelle des lumières et définit la temporalité de l'Afrique comme un « emboîtement de présent » fondé sur la négation d'un horizon de l'avenir et d'un horizon du passé spécifiquement africain. Mbembe considère le passé de l'Afrique fait de luttes, de conquêtes... comme étant des figures du particulier, du local, du nationalisme, opposées à la figure du global, de l'universel, du monde.

De ce point de vue, élaborer un discours cohérent sur l'Afrique est une entreprise périlleuse, voir difficile, au grand regret de ceux qui estiment, au moyen de la fondation, de la totalité, tracer un avenir pour l'Afrique, par la lecture de son passé. Car l'histoire africaine contemporaine présente des sociétés historiques échappant à toute nécessité de présence dans le monde, à toute logique de centralisation, d'équilibrage. Ecoutons une fois de plus Achille Mbembe :

Or ce à quoi l'histoire des sociétés africaines nous renvoie, c'est à l'idée d'une pluralité d'équilibres et au fait qu'en tant que sociétés historiques, les formations africaines ne convergent pas vers un point, une tendance ou un cycle unique, mais qu'elles recèlent en elles des trajectoires fractionnées, ni convergentes, ni divergentes, mais imbriquées et paradoxales (...). Ce qui distingue l'expérience africaine contemporaine des autres, c'est le fait que ce temps à l'état naissant est en train de surgir dans un contexte où l'horizon d'avenir est, aujourd'hui, apparemment fermé, alors même que l'horizon de passé s'est, apparemment, éloigné.228(*)

Ce point de vue est plus explicite chez Jean Godefroy Bidima et Bourahima Ouattara. Ici, le moment « kairos », vue comme « temps (de l'Afrique) à l'état naissant » est définit comme « le moment pour les vaincus de faire leur histoire»229(*). Bidima le place au fondement du possible dans la conscience africaine, un possible qui se lit en termes de « débrouille », de « détournement », de « coups » au sein du marché universel. Ce moment interpelle plus la conscience de la jeunesse et la paysannerie africaine, à la conquête du possible indéterminé. Ainsi, à la question de la nature des lieux propices à l'éclosion du possible dans les sociétés africaines, Bidima répond ainsi :

La conscience « anticipante » et détectiviste nous indique la jeunesse et la paysannerie (...) lieu propice du changement, puisque cette jeunesse, à cause de la « conjoncture internationale » est parfois « l'exclue » du système administrativo-économique (...) les paysans africains (...) appauvris (...) vivent aujourd'hui dans une crise économique (...) leur rapport au temps signifierait compter sur une conception qui explore ces « lieux propices » au non-encore. Le « kairos » est le lieu propice, mais (aussi) le « temps » de la décision (...) le lieu qui n'entretient pas un rapport instrumental au temps est bien en Afrique le milieu des exclus (les chômeurs, les ménagères au foyer, les « voyous ») qui est un terreau de possibilités pour un pouvoir vivre autrement. Comment les « conjoncturés » essayent, à travers leur mode de vie, de piéger le fonctionnalisme (...) leur rapport au temps est celui de l'instant. Instant décisif (kairos) de survie (...) instant de la débrouille. Instant décisif où l'imagination (survie oblige) pousse l'Etre à persévérer dans l'Etre à travers l'art de « faire des coups ».230(*)

Chez Bourahima Ouattara, la « débrouillardise », comme manière d'être spécifique de l'Afrique au monde, se traduit dans les faits par l'inscription de « l'informel » dans le cadre d'une critique de la rationalité instrumentale et technocratique. Le développement du secteur informel dans les économies africaines, manifeste la nécessité pour l'Afrique de se positionner dans le marché universelle, comme un continent « en - tiers » qui résiste au système par le biais d'une identité fluctuante et d'une « consciente fragmentée des univocités et des unilatéralités ». Cette position de l'Afrique comme continent « en - tiers », c'est-à-dire, comme identité fluctuante et consciente fragmentée du monde, génère des espaces de libertés favorables à toute singularité et à toute particularité. Dans ce propos, le philosophe burkinabé ouvre un espace réflexion :

La résistance au système qui est l'une des manifestations de l'être - en - tiers est visible tant au plan social, politique qu'au niveau économique ; à ce niveau, ce que l'on appelle « économie informelle » est la traduction pratique de cette résistance (...) Il y a chez l'être - en - tiers un décrochage entre la fluidité de sa manière d'être au monde et les logiques qui voudraient l'organiser, fussent-elles endogènes ou exogènes ; un décrochage entre le monde et le monde vécu par l'être - tiers. En soustrayant l'Afrique négro africaine de ces ratiocinations, en faisant l'altérité de l'ordre conceptuel, nous ouvrons là un espace philosophique. En lui s'origine l'idée d'un continent en tiers. Etre en tiers, Etre en décrochage, c'est apparaître comme la conscience fragmentée des univocités et des unilatéralités (...). Il y a dans l'être - en - tiers une sorte de liberté inhérente à toute singularité, à toute particularité : singulière liberté.231(*)

Au total, si l'on comprend bien la réaction post colonialiste au besoin de penser l'Afrique comme une totalité historique, un centre d'autopromotion, on peut dire que le post colonialisme est une émulation tropicale de l'idée d'un droit cosmopolitique universel, condition de l'affirmation de la mondialisation économique néo libérale. Face au risque de ségrégation et de séparation que porte le dessein d'une « Afrique autocentrée et puissante », l'alternative post colonialiste est « l'utopie radicale » d'un monde pacifié, sans violence, ayant pour finalité la réalisation du « projet radical qui consiste à donner la mort à la mort»232(*). Que ce soit chez Fabien Eboussi Boulaga, Achille Mbembe, Jean Godefroy Bidima, Bourahima Ouattara, la lutte et la violence doivent être éradiquées de la politique internationale des Etats africains. Il convient plutôt de chercher les voies et moyens pouvant conduire à une appropriation de la logique économique néolibérale, condition de possibilité d'une insertion réussie dans la mondialisation. Ses voies et moyens, on peut les résumer en une adhésion au sens de l'opportunité. Chez Eboussi Boulaga tout comme chez Bidima, on parvient à une théorisation de la sophistique, légitimant la ruse et l'opportunisme dans les relations internationales. Cette méfiance vis-à-vis de la rationalité scientifique dans la théorie sociale, s'observait déjà chez Eboussi Boulaga à la fin des années 70. A cette époque, il proposait une pratique de la philosophie « à la manière des sophistes »233(*). Et cette pratique de la philosophie « à la manière des sophistes » a été adoptée par les théoriciens du post colonialisme, leur préoccupation étant de conduire les Etats africains à l'appropriation de la révolution économique néolibérale.

2. Authenticité politique et autonomie sociale.

L'analyse post colonialiste de la relation entre les Etats-nations d'Afrique et le monde, conditionne l'autonomie des sociétés africaines à leur ajustement passif au « marché universel ». Cette philosophie invite les citoyens nationaux à émerger à la cosmocitoyenneté, et les Etats-nations à rendre leur existence plus concrète en assumant l'ordre mondial, sous peine de disparition. Cet arrimage non éthique au droit cosmopolitique et à la mondialisation pose un sérieux problème car occulte le niveau d'influence de l'infrastructure économique dans la détermination de l'avenir politique des nations africaines. Dès lors, penser l'autonomie politique de l'Afrique, à travers une instrumentalisation de la démocratie libérale et du droit cosmopolitique, est un leurre. Pourtant, c'est ce que propose l'universalisme « afro mondialiste » d'Achille Mbembe quand il propose comme mesure pour assurer la reconnaissance des Etats-nations africains dans la mondialisation, une « utilisation habile et une instrumentalisation du nouveau lexique international (lutte contre la corruption, transparence, Etat de droit, bonne gouvernance) ». Ce n'est pas à dire que ces concepts ne soient pas porteurs d'un intérêt politique important dans la quête de justice au sein des sociétés africaines. Mais c'est la dimension formelle de leur utilisation, fondement de l'interreconnaissance des citoyens nationaux des Etats-nations entre eux, qui est contestable. Dans ces conditions le mode formaliste de l'ouverture au monde capitaliste, défendue par le post colonialisme, rejoint la finalité du modèle post politique habermassien, qui est, tout simplement, une politisation libérale du monde.

Comme on le voit, le post colonialisme défend un ajustement passif de l'Afrique à un processus historique en marche : la mondialisation. La démocratie libérale ici se mue en norme politique prescriptive de l'ajustement à la totalité politique d'un monde dont les principes sont ceux d'une raison instrumentale dépourvue de préoccupation éthiques. Dès lors, quel sens pour la solidarité internationale quand les principes qui fondent l'organisation du monde sont des principes dont l'éthicité est loin d'être effective ?

C'est dans l'idée de nation d'un point de vue cosmopolitique qu'il nous parait souhaitable d'envisager la reconnaissance universelle du droit à l'autodétermination des peuples. Cette idée se fonde sur un décentrement anthropologique, une philosophie de la variation de soi par le regard de l'autre, en continuité avec un polycentrisme ethnologique. Par un point de vue cosmopolitique sur la nation, le fait du pluralisme dans le monde (diversité des nations, des cultures, des coutumes) apparaît comme la manifestation d'autant de point de vue possible sur le même monde. Le monde ici se présente comme signe de l'ouverture et de l'intérêt qu'on porte aux questions internationales, à l'intérieur de chaque nation. A cet effet, les relations internationales ne s'envisagent pas dans une optique historique (en termes de participation des nations à la même histoire, la mondialisation en marche), mais d'un triple point de vue sur l'individu. D'abord le point de vue de la représentation de l'individu comme un être singulier (dont la personnalité ne peut être aliénée, sacrifiée sous quelques motifs que ce soit, par le collectif). Ensuite, le point de vue de la représentation de l'individu comme citoyen d'un Etat (Il est une personne libre et égale aux autres, un membre pleinement actif de la société, parce qu'il participe à la coopération sociale toute sa vie durant. Ce qui l'oblige à respecter et à exercer les divers droits et devoirs en vigueur dans cette société, et à bénéficier des avantages liés à la coopération sociale). Enfin, le point de vue de la représentation de l'individu comme homme.

Toutefois, le lien entre la diversité des points de vue sur le monde et l'identité de ce monde, doit être préservé. En fait, l'on peut même dire que, puisque dans le cas où ce lien est préservé, c'est la diversité, c'est-à-dire le processus de variation des points de vue sur le monde, qui met en évidence l'essence idéale du monde, chaque nation doit définir la façon avec laquelle elle se rapporte aux autres nations, sous peine de réduire l'idée d'universalité à une signification spatiale ayant une connotation privative,celle d'un monde clos, d'une société fermée que chaque nation constituerait pour elle-même. Ayant pour soucis la préservation des identités (soucis qui parait louable), cette attitude rend les sociétés étrangères les unes aux autres et conduit à traiter les communautés politiques comme autant d'espèces différentes. Mais avec la prise en compte de la diversité et de la relativité des cultures, le statut cosmopolite de l'homme est mis en évidence, statut qui est prioritaire par rapport au caractère national.

Cette valorisation de l'humain sur le national, à travers l'idée de nation d'un point de vue cosmopolitique, gouverne le cosmopolitisme rawlsien. Mais ses racines s'abreuvent dans le cosmopolitisme de Montaigne. Ici, la relation au monde se traduit dans une invitation au voyage qui ne relève pas seulement d'une sensation de l'agréable, mais aussi d'une expérience de la variation. Le voyage conduit à l'expérience de la variation de soi, on s'éloigne de l'opinion qu'on a de soi-même pour se voir à travers le regard de l'autre. Cette philosophie de la variation de soi par le regard de l'autre ressort des réflexions de Montaigne sur les cannibales :

Or je trouve (...) qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation (...) sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage.234(*)

Plus loin, nous lisons :

Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.235(*)

Dans ces propos, Montaigne veut relever la dimension plurielle du terme barbare, sans pour autant en dissoudre le sens, car pour lui, le caractère cosmopolite de l'homme dérive de l'essence universelle de la raison. Montesquieu mettra en scène cette célébration de la variation de soi par le regard de l'autre, dans un propos où il joint le cosmopolitisme ancien à l'humanisme moderne.

Non parce que Socrate l'a dit, mais parce qu'en vérité c'est mon humeur, et à l'aventure non sans quelque excès, j'estime tous les hommes mes compatriotes, et embrasse un polonais comme un français, postposant cette liaison nationale à l'universelle et commune.236(*)

Plus loin, Montesquieu se veut plus claire :

La diversité des façons d'une nation à l'autre ne me touche que par le plaisir de la variété. Chaque usage à sa raison (...). J'ai honte de voir nos hommes enivrés de cette sotte humeur, de s'effaroucher des formes contraires aux leurs : il leur semble être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village. Où qu'ils aillent, ils se tiennent à leurs façons et abominent les étrangères.237(*)

Cette valorisation de l'humain sur le national peut aussi s'originer dans Descartes en correspondance avec la conjonction essentielle entre décentrement anthropologique et l'idée d'une essence universelle de la raison. Ecoutons Descartes :

Il est vrai que, pendant que je ne faisais que considérer les moeurs des autres hommes, je n'y trouvais guère de quoi m'assurer, et que j'y remarquais quasi autant de diversité que j'avais fait auparavant entre les opinions des philosophes. En sorte que le plus grand profit que j'en retirais était que, voyant plusieurs choses qui, bien qu'elles nous semblent fort extravagantes et ridicules, ne laissent pas d'être communément reçues et approuvées par d'autres grands peuples, j'apprenais à ne rien croire trop fermement de ce qui m'avait été persuadé que par l'exemple et par la coutume (...).238(*)

Et depuis, en voyageant, ayant reconnu que tous ceux qui ont des sentiments forts contraires aux nôtres ne sont pas pour cela barbares ni sauvages, mais que plusieurs usent autant ou plus que nous de raison, (...).239(*)

Ces assertions se déduisent de l'universalité de la raison et l'identité de l'esprit humain. Ainsi, la conscience de l'universalité résulte de la conscience des différences entre les nations ; par simple constatation de ces différences, mais véritable effort de représentation de ces différences comme variation d'une même réalité. Ce qui conduit inexorablement à une diversité de référentiels, avec lesquelles il faut composer pour asseoir une solidarité internationale. Et comme le remarque Raymond Aron, la diversité de référentiels n'est pas un obstacle à l'établissement des mesures communes, de même que la diversité des langues, parlées ou « mortes » n'empêche pas la traduction de l'une dans l'autre, car l'homme est un être parlant avant d'être quelqu'un qui parle dans une langue déterminée. «  L'homme est un être qui parle, mais il y a des milliers de langues différentes. Quiconque oublie un des deux termes retombe dans la barbarie »240(*).

Ainsi, la solidarité internationale dépend de l'institutionnalisation des foyers d'universalité, des pôles d'extraterritorialité au sein des Etats-nations, comme le sont les ambassades de pays étrangers. Par leur finalité, ces foyers d'universalité doivent traduire le statut transcendantal d'une solidarité internationale où l'humanité de l'individu est prioritaire sur sa nationalité. Cela passe par le développement, au sein des Etats-nations des secteurs importants comme l'éducation, car l'éducation vise beaucoup plus le développement, non du sentiment nationaliste, mais de l'esprit humain, et introduit un point de vue cosmopolitique dans les rapports de l'individu avec ces concitoyens, qu'avec les étrangers. L'éducation provoque cette mise en perspective de soi avec soi, de soi avec les autres que soi. A cet effet, il devient possible de dire l'universel en partant du national.

Dans ce chapitre, il était question de montrer comment le discours de l'ajustement fleurit dans l'ordre international actuel. Dans ces principes, le droit international en vigueur s'oppose à l'autonomie politique des peuples, et se présente sous une forme performative et idéologique pour être un discours de l'ajustement. Pour cela, le discours universalisant actuel développe des concepts originaux, à l'instar de la citoyenneté cosmopolitique qui sert de postulat à la construction d'une identité post nationale. Le jeu et l'enjeu de cette construction d'une identité post nationale se déploient à travers la théorisation d'une justice distributive entre les peuples et d'une démocratie supranationale d'une part, et la théorisation d'un ajustement passif des Etats-nations africains au marché universel d'autre part. D'où la légitimation de la ruse et de l'opportunisme en politique. Ces options légitimées par le post colonialisme, s'inscrivent dans une critique radicale de l'optique révolutionnaire défendue par Martien Towa, Franz Fanon, Aimé Césaire.

L'avantage d'exposer les axes où se déploient la construction de l'identité post nationale, c'est de mettre en lumière la démagogie qui fait du droit international, une catégorie heuristique dans la définition des politiques de l'ajustement. Dès lors, comment penser un environnement international où les principes du droit assureront l'équité et l'autodétermination des peuples ?

C'est dans l'optique de l'idée de nation d'un point de vue cosmopolitique que nous trouvons les orientations susceptibles de fournir aux principes du droit international, l'éthicité que le cosmopolitisme mondialiste lui a privé. Cette idée privilégie l'ouverture à l'universel, au lieu de son assimilation. Cela parce que le point de vue cosmopolitique sur la nation valorise pose comme valeur suprême, la dimension humaine de l'individu, par rapport à la dimension citoyenne.

CHAPITRE V : LES DROITS DE L'HOMME DANS LA POLITIQUE INTERNATIONALE : QUELLE PLACE POUR LA SOUVERAINETE ?

Plus que jamais, les droits de l'homme semblent être un objet de passion. Les hommes en on fait le motif essentiel de la coopération internationale, ceci par respect d'un impératif de pacification des rapports inter étatiques datant de la fin de la seconde guerre mondiale. Désormais, un président peut être traduit en justice (au niveau national ou international) pour des crimes perpétrés à l'encontre de ses citoyens ; un Etat peut être discrédité et refoulé dans l'univers des « Etats voyous » parce que certaines populations minoritaires se plaignent d'être victimes de discrimination. La paix et la guerre, l'ordre et le désordre internationaux paraissent tenir tout entier de l'ambition d'aménager ou de réaménager l'exigence du respect des droits de l'homme. Dans cette perspective, le président américain Georges Bush proclamait avec enthousiasme à la fin de la guerre du Golfe (Janvier- Mars 1991)

(...) l'avènement d'un « nouvel ordre mondial » où les Nations Unies, libérées de l'impasse de la guerre froide, seraient en mesure de réaliser la vision historique de leurs fondateurs : un monde dans lequel la liberté et les droits de l'homme seraient respectés par toutes les nations241(*)

Pourtant l'incertitude est grande. L'affirmation en certains lieux de la solennité des droits de l'homme, contribue ailleurs au déploiement d'une logique de contestation de la domination de l'impérialisme occidental, dont les droits de l'homme seraient le canal. L'exigence absolue du respect des droits de l'homme comme condition de toute légitimation politique, place les Etats dans une situation où ils constatent leur souveraineté remise en cause par certaines nations précurseurs des droits de l'homme, et par des organismes non gouvernementaux à caractère humanitaire. A cet effet, la conception de l'urgence du respect des droits de l'homme comme manifestation de l'impérialisme occidental, devient l'alternative qui permet aux Etats faibles de rassoire leurs souverainetés.

Cette banalisation des relations internationales malmène les droits de l'homme, maltraite la souveraineté des Etats et dévalorise leur rôle politique dans le développement d'une justice cosmopolitique. Que dire en outre des ambiguïtés qui s'accumulent sur la notion même de droit de l'homme? L'universalisation de ces derniers est déjà source de malentendus. Au lieu d'unifier le monde autour d'une grammaire commune des relations internationales, les droits de l'homme divisent plutôt, et de façon irrémédiablement dissensuelle. La notion de droits de l'homme n'est plus seulement de nos jours en procès. Ses multiples divergences engendrent des cacophonies, des discours qui, faute de s'inscrire dans le même registre, ne s'accordent jamais, débouchant sur des conflits qui risquent alors d'être sans solution. En bref, de vecteur éthique de la justice cosmopolitique, les droits de l'homme tendent à devenir proprement aporique.

Cette pathologie rencontrée dans les droits de l'homme rend cette notion floue, complexe et confuse. Les apories des droits de l'homme résultent du fait que

 Certains considèrent d'abord que les droits de l'homme sont à peu près les droits que les citoyens possèdent dans un régime démocratique constitutionnel raisonnable ; cette position ne fait qu'étendre la classe des droits de l'homme de façon à inclure tous les droits que les gouvernements libéraux garantissent.242(*)

Pourtant, les droits de l'homme doivent être respectés par tous à cause de leur essence. Ils sont universels, et leur universalité se traduit par le fait qu'

   Ils sont intrinsèques au droit des peuples et ils ont un effet politique (moral), qu'ils soient ou non soutenus localement. En d'autres termes, leur force politique (moral) s'étend à toutes les sociétés et ils obligent tous les peuples et sociétés, y compris les Etats hors la loi.243(*)

C'est pourquoi il nous parait nécessaire, en vue de saisir les enjeux des droits de l'homme dans le monde contemporain, de se limiter aux droits fondamentaux de l'homme comme le fait Rawls.

En réalité, même si on s'en défend souvent, les droits de l'homme sont mieux appréhendés lorsqu'ils sont restreints aux droits fondamentaux de l'être humain. Suivant John Rawls, on peu établir que la notion de droits de l'homme fait sens sur le plan politique en tant que  « norme minimale d'institutions politiques bien ordonnées pour tous les peuples, à une juste société politique des peuples»244(*). Une société acquiert ainsi une légitimité politique et participe à la coopération internationale lorsqu'elle 

 (...) garantie pour tous les individus au moins certains droits communs aux moyens de subsistance et de sécurité (droit à la vie), à la liberté (droit de résistance à l'esclavage, à la servitude et aux occupations forcées) et à la propriété (personnelle) ainsi qu'à l'égalité formelle qui s'exprime par les règles de la justice naturelle... 245(*)

Avec cette restriction normative, Rawls n'eut aucun mal à ponctuer sa réflexion en éthique et relation internationale d'une solide référence à la vie, à la liberté, à la propriété, à légalité, qui devinrent en même temps des éléments constitutifs de la théorie tout comme de la philosophie des relations internationales. Cette restriction normative est une traduction de ce que Stanley Hoffmann a appelé « l'impératif d'acceptabilité ». Telle que formulée ci-dessus, la liste des droits fondamentaux de l'homme est taillée sur mesure, dans le but d'être acceptée par les sociétés non libérales. Dans ce cas, leur respect apparaît comme élément thérapeutique en vue de soigner les relations entre Etats. En d'autres termes, la restriction rawlsienne des droits de l'homme répond à impératif pragmatique : la stabilité et la pacification de la société des nations.

Pris comme tel, les droits de l'homme sont en crise. Stéphane Chauvin illustre bien cette crise lorsqu'il dévoile que la restriction rawlsienne des droits de l'homme offre une approche des droits de l'homme qui

N'est plus liées à une conception de la personne humaine et de ses besoins fondamentaux, mais elle dérive de la seule exigence qui stipule que les nations doivent vivre en paix et former une société stable et équitable des nations libres.246(*)

Ainsi se formule le problème au centre des enjeux politiques et éthiques des droits de l'homme dans le monde contemporains. Les droits de l'homme, réduits à leurs simples principes fondamentaux, peuvent-ils défendre efficacement la dignité et le bien être de l'homme ?

A- LE LIBERALISME POLITIQUE RAWLSIEN ET LA QUESTION DE LA REARTICULATION DES DROITS DE L'HOMME.

La recherche à ce niveau suppose d'entrer au coeur même de la confusion qui enveloppe les droits de l'homme, notamment le statut distinct de ses principales composantes que sont les droits libertés et les droits créances. Cette confusion s'origine dans le fait que l'homme, principal acteur et bénéficiaire des droits de l'homme, s'est trouvé pris en otage par deux idéologies politiques dont l'une, s'accrochant aux valeurs de l'humanisme, accorde la priorité aux droits libertés: c'est le libéralisme. L'autre définit les droits créances comme l'idéal régulateur de l'action politique : c'est le socialisme. Cette séquestration idéologique de l'homme s'est matérialisée dans la tumultueuse guerre froide qui opposait le libéralisme au socialisme, chaque idéologie se revendiquant du respect des droits de l'homme.

Ainsi donc, la notion de droit de l'homme n'est plus un donné, mais un construit. Son usage comme instrument de l'action politique correspond à une histoire, à un ensemble d'inventions ; son rôle social dérive d'un impératif de définition des conditions d'un espace politique démocratique. Représentation du socle éthique de la démocratie, la notion des droits de l'homme n'est intelligible dans le domaine politique qu'à travers sa contribution historique tenant à la spécificité de la fonction qu'elle accomplie dans la construction des principales catégories de l'imaginaire politique libéral et socialiste. Suivant Alain Renaut, on peut établir que dans le débat entre libéralisme et socialisme, il s'agit principalement de répondre à la question suivante: « dans quelle mesure la proclamation des droits de l'homme comme valeurs suprêmes du l'univers démocratique, implique-t-elle une prise en compte d'une exigence de justice sociale ? »247(*). L'exigence de justice sociale dont il est question ici se rapporte aux droits créances ou droits sociaux que les citoyens d'un Etat peuvent et doivent exiger de cet Etat.

Un espace philosophique s'ouvre en une problématique politiquement pertinente, dès l'ors que sa configuration se lie à la controverse que suscite la légitimité politique de cette demande de justice sociale. Est-elle compatible avec les droits de l'homme ? De qu'elle(s) présupposé(s) et implication(s) le projet d'une prise en compte politique des revendications de justice sociale est-il porteur ? Alain Renaut nous averti d'avance :

Ce que la philosophie peut éclairer, c'est au fond ce que présuppose une telle demande, dans qu'elle représentation de la société et de l'Etat elle s'enracine. En faisant apparaître de tels présupposés et en cherchant à déterminer s'ils sont intellectuellement assumables ou non (et à quelles conditions), il devrait être envisageable de clarifier quelques uns des tenants et aboutissants des débats relatifs à cette question.248(*)

1- La revendication sociale comme problème politique : genèse et enjeux.

La demande de justice sociale devient un problème politique non pas naturellement, mais d'une prise de conscience de l'existence des droits sociaux que l'homme est en droit d'exiger de l'Etat. Elle s'impose comme élément central dans la réflexion sur le contenu ou les composantes des droits de l'homme. D'un point de vue chronologique, la succession des différentes déclarations des droits l'homme (américaine, française, soviétique) a déconstruit la thématique même des droits de l'homme. La proclamation de 1789 avait balisée le chemin à la justice politique en insistant fondamentalement sur les droits libertés de l'individu vis-à-vis de l'Etat. On met l'accent sur les potentialités intellectuelles de l'individu (liberté de penser, liberté d'expression, de culte...) et les potentialités physiques (liberté de travail, de commerce, de réunion...). Mais avec la révolution industrielle et le problème de la condition ouvrière qui s'en est suivi, et sous l'influence idéologique du marxisme et du catholicisme social, les limites de la déclaration de 1789 se sont rendues manifestes. Pour palier à ces insuffisances, la constitution française de 1848 ouvre un nouveau champ de réflexion sur les droits de l'homme, en affirmant les droits sociaux comme droits créance. Il s'agit là d'un progrès significatif sur le contenu des droits de l'homme en ce qu'

on a parfois perçu le principe d'un autre type de droit, définissant non des pouvoirs d'agir opposables à l'Etat, mais des pouvoirs d'obliger l'Etat a un certain nombre de services, autrement dit, des droits créances de l'homme sur la société.249(*)

Les droits sociaux ou droits créances revendiqués ici consistent dans les

 Droits au travail, au repos, à la sécurité matérielle, à l'instruction, à un niveau de vie suffisant etc. Toute l'histoire contemporaine des droits de l'homme voit aussi s'accomplir une évolution qui n'est pas seulement quantitative, mais engage la nature même des droits proclamés. Parallèlement, cette évolution engage la représentation de l'Etat démocratique.250(*)

Donc du sein de son évolution historique, la notion de droit de l'homme est capricieuse. Il serait prétentieux de dire que la déclaration de 1789 a inauguré un ordre politique rigoureux qui ne souffrit ensuite d'aucune remise en cause. Le propos serait naïf, d'autant plus que la justice politique issue d'une théorie potentiellement libérale qui cherche à imposer certaines limites à l'intervention de l'Etat dans les activités des citoyens, et la justice sociale comme réponse au problème de la condition ouvrière dans la société industrielle, se sont entrecroisées et ont apporté des modifications importantes dans la conception des rapports entre l'Etat et le citoyen. Pourtant, durant près de deux siècles, la conception libérale des droits de l'homme a été clairement dominante et, pourrait-on dire, fédératrice d'un ordre social. Support exclusif de l'action politique, marque essentielle de la légitimité de l'Etat, instrument efficace et reconnu de l'intervention humanitaire, base incontournable et légitimatrice de la désobéissance civile, les droits de l'homme apparaissent dans cette histoire comme fédérateurs de l'ordre politique libéral. Ils aident à définir toutes les catégories dont se nourrit le droit internationale : Etat-nation, souveraineté, sécurité, paix, guerre... c'est dire que le droits de l'homme sont plus qu'une simple notion politique, et qu'ils valent mieux qu'un simple mot pour désigner un mode d'organisation politique.

Pris comme tel, les droits de l'homme se présentent à bien des points vue comme matrice d'un libéralisme dépassé. Mais personne ne pourrait prétendre que ce libéralisme est purement et simplement aboli : même si les défis et les critiques sont sévères, ce libéralisme extrême, partisan d'une philosophie de la mort de l'Etat, résiste et s'impose encore en bien des domaines. Conservateurs par essence, frileux et inquiet devant les risques d'innovation politique, les défenseurs de ce système normatif pérennisent, sans trop d'état d'âme, une mémoire politique dont la déclaration de 1789 a codifié les principes. Ils en font un usage peu critique, souvent contraire à leur histoire et à leur culture. La philosophie de la mort de l'Etat se caractérise par le refus de toute prise en compte de la demande sociale, réduisant l'action de l'Etat à une interprétation de la loi de l'offre et de la demande inscrite dans la nature des choses. Alain Renaut observe que dans ces conditions,

 Le politique doit alors se borner à créer la « société de droit » : l'Etat y donne seulement naissance au cadre juridique où le jeu de l'offre et de la demande, source des informations sera le plus possible. Il s'agira donc de présenter avant tout la liberté individuelle sans viser à la réalisation de prétendus « droits sociaux.251(*)

Ceci n'interdit pas de considérer l'empreinte de ce libéralisme extrême sur les principales notions ou catégories de notre imaginaire politique contemporain. Il n'est non plus permis d'admettre les droits-libertés comme ultime fédérateur de l'ordre social démocratique. Il n'est certes pas sûr que le système normatif issu de la déclaration de 1789 puisse s'accommoder aisément avec la revendication sociale des droits-créances, pour composer avec elle un nouvel ordre social stable. Ce qui est évident en revanche, c'est que les limites dont font preuve les droits-libertés dans la valorisation de la personne humaine ne peuvent être sous estimées, ni simplement interprétées par le recourt à la théorie de la régulation systémique de l'économie, ou à une adaptation incrémentale. Les droits-libertés ne sont désormais qu'un aspect du contenu des droits de l'homme, fait aussi des droits- créances qui ont trait à certains biens sociaux, économiques et culturels.

Cela est largement conforté par la déclaration universelle des droits de l'homme qui accorde une place de choix, à coté des droits-libertés, au droit à l'éducation, au travail, à la sécurité sociale, au loisir, à un niveau de vie en rapport avec le bien-être de chacun. Même si c'est au XXe siècle que ses revendications sociales ont prit de l'importance dans l'histoire des droits de l'homme, leur statut du point de vu politique suscite également des inquiétudes. Si aussi ces droits ont un statut universel, le problème de leur réalisation universel se pose. La réalisation des droits-créances est essentiellement liée au niveau de développement économique d'un pays, et la capacité à satisfaire telle et talle revendication sociale dépend des moyens dont dispose le gouvernement sollicité. Aussi dans les faits, le statut universel des droits sociaux demeure ambiguë, comme le note le propos suivant :

De nombreux pays du tiers monde n'ont pas les moyens de fournir les biens nécessaires au respect de ces droits. N'est-il pas absurde de dire eux gens qu'ils ont droit à des biens qu'on ne peut pas leur fournir ? N'est-il pas absurde également d'accorder des droits de l'homme différents à des peuples différents selon diverses parties du globe ou selon les époques ? L'autre aspect discutable des droits de l'homme en matière économique et sociale est que la responsabilité de fournir tel ou tel bien à tel individu incombe à un gouvernement particulier ; le droit à ce bien apparaît alors comme étant celui des citoyens dans tel ou tel pays plutôt que celui de l'espèce humaine »252(*).

Cela étant, la dualité droits-libertés et droits-créances caractéristique de l'évolution historique des droits de l'homme, ne cesse de révéler de douloureux malentendus. L'exigence universelle de leur respect suggère des impasses aux quelles conduisent les inégalités économiques constitutives de la communauté internationale. Ce qui pose le problème des conditions de possibilité du respect des droits de l'homme dans le monde. Stanley Hoffmann, réfléchissant sur cette question en rapport avec les droits libertés, demande une modération dans l'exigence du respect des droits de l'homme, en fonction de la qualité des institutions politiques et du niveau de développement économique des Etats, sous peine de verser dans l'impérialisme culturel. Il insinue à cet effet qu' 

 Exiger d'Etats qui se battent contre la famine et le chao une protection pleine et entière des droits civiques et politiques constituerait une forme d'impérialisme culturel.253(*)

La complexité inhérente au respect des droits de l'homme demeure. Croyant se doter d'un arsenal éthique à travers son dualisme pour s'imposer universellement, les droits de l'homme se présentent plutôt comme le support d'un compromis politique entre deux idéologies : le libéralisme et le socialisme. Comment sortir les droits de l'homme de cette impasse ? Alain Renaut nous offre une orientation intéressante :

Pour que la défense des droits de l'homme ne soit pas simplement le support de compromis politiques, il faudrait aujourd'hui tenter d'en reconstruire avec rigueur la notion, en ne masquant plus le problème posé par la dualité des deux types de droit. 254(*)

Cette reconstruction rigoureuse de la notion de droits de l'homme passe nécessairement par une réarticulation de la justice politique et de la justice sociale. Alain Renaut fonde ce projet politique dans le génie du philosophe américain John Rawls, qui a su articuler droits-libertés et droits-créances. Il se justifie dans le propos suivant :

Ce n'est du tout en disciple que je voudrais évoquer Rawls mais plutôt parce que je vois dans cette philosophie politique un témoignage, parmi d'autre, que si elles partagent certaines convictions (...), les philosophies politiques contemporaines nous conduisent nécessairement vers l'exigence de réarticuler liberté et justice.255(*)

2-Rawls et la réarticulation des droits libertés et des droits créances.

La réarticulation des droits-libertés et des droits-créances répond à un impératif éthique : la valorisation de la personne humaine. Rawls n'eut alors aucun mal à ponctuer la réflexion sur l'organisation sociale d'une solide référence au « fait du pluralisme » qui devint en même temps l'un des éléments constitutif de sa sociologie de l'Etat. Il pouvait s'appuyer su l'existence d'une pluralité de conceptions raisonnables mais incompatibles de la personne humaine ; conceptions qui rendent problématique les sociétés contemporaines, sans remettre en cause l'existence possible d'une juste constitution politique garantissant les libertés des citoyens et leur bien commun. Le discourt politique contemporain s'est, depuis, fortement enrichi, insistant volontairement sur la possibilité sur la possibilité d'une société pluraliste, stable et harmonieuse, préférant, en outre, réfléchir en terme de souveraineté et de diversité de mode de la conception de la personne humaine. Voici comment Rawls formule la problématique d'une telle réflexion :

Comment est-il possible qu'existe et se perpétue une société juste et stable, constituée de citoyens libres et égaux, mais profondément divisés entre eux en raison de leurs doctrines compréhensives, morales, philosophiques et religieuses, incompatibles entre elles bien que raisonnables ?256(*)

Une telle recherche suppose d'insister sur la pluralité des modes de conception de la personne humaine et sur l'incertitude de leur rapport à la modernité. En tant qu'instrument de l'action politique, la société bien ordonnée n'est plus le résultat de convictions morales, religieuses ou philosophique, mais la résultante d'une conception politique de la justice, d'un consensus qui n'est pas imposé par des doctrines et convictions particulières. C'est le résultat d'un accord initial raisonnable auquel aboutissent toutes les conceptions de la personne humaine. Ainsi, « le fait du pluralisme » s'impose comme principe politique, fondement de l'accord sur les principes de justice équitables à partir des quels les citoyens sont considérés comme des personnes libres et égales. Ces principes de justice supposent que le rôle du politique consiste à créer les conditions de possibilité d'un vivre ensemble des cultures et de groupes très divers. L'organisation politique ne peut dès lors acquérir sa légitimité que si elle garantie le bien être de l'homme. C'est le postulat fondamental de la réarticulation rawlsienne des droits-libertés et de droits-créances. Ces deux de droits s'articulent dans la pensée de Rawls en ceci que

Deux statuts bien distincts leurs sont conférés par la manière dont Rawls les hiérarchise : pour une politique animée par les valeurs de l'humanisme, les droits-libertés correspondent à un véritable impératif et ils définissent la condition sine qua non d'un espace politique démocratique, la prise en compte des créances définie plutôt, si nécessaire qu'elle soit, un idéal régulateur. 257(*)

a- Politique et valorisation de la personne humaine

En suivant la logique de Rawls, on s'aperçoit que la politique accède à son sens, dès lors qu'elle fait de la pacification des différences, la stabilisation et l'harmonie sociale, des impératifs fonctionnels. Que ce soit dans la politique interne des Etats ou dans la politique internationale, la raison publique, cadre conceptuel où se déploient les questions politiques fondamentales, ne saurait émaner d'une vision unilatérale du monde. L'enjeu de cette vision à laquelle on se réfère aujourd'hui consciemment ou inconsciemment, est d'affirmer le bien être de la personne humaine comme finalité de l'action politique, d'affirmer les droits-créances comme composante des droits de l'homme à coté des droits libertés, de montrer sur un plan éthique que la justice sociale ne peut s'allier à la morale utilitariste qui légitime le sacrifice d'une personne d'une personne ou d'un groupe minoritaire pour la maximisation du bonheur du plus grand nombre. La politique est un effort de justification publique et acceptable des institutions morales fondamentales que reconnaissent comme valeurs communes, les différentes doctrines compréhensives d'une société à un moment donné. Dans ce sens elle se veut un effort de synthèse entre les différentes visions du monde, pour aboutir à des principes de justice politique qui respectent la dignité de la personne humaine. Dès lors l'espace publique n'est plus le terrain d'expression de la pensée unique, mai le lieu de manifestation d'un pluralisme idéologique d'où jailli, à travers un consensus par recoupement, une éthique républicaine et une éthique des relations internationales. Catherine Audard observe à cet effet que

 Le problème du politique s'est donc transformé dans les démocraties libérales et il est devenu celui de l'unification par la persuasion d'une société pluraliste, du consensus entre croyances individuelles divergentes et principes politiques.258(*)

Cette perspective consensuelle à laquelle se réfèrent de diverses manières les démocraties constitutionnelles et le droit international public, repose sur un constructivisme politique dont la méthodologie définie une procédure de choix rationnel entre les théories en présence. Les individus peuvent être en désaccord sur leurs visions du monde, leurs doctrines religieuses et philosophiques, mai dans le débat politique, ils doivent orienter leurs réflexions sur les principes éthiques qui valorisent la personne humaine. 

C'est ainsi que, affirme Rawls, la théorie de la justice ne commence pas par présenter une procédure de justification des principes de justices, mais s'ouvre, non sans une certaine majesté, par l'affirmation de l' « inviolabilité » de la personne et de la non substituabilité des individus les uns aux autres. Le déploiement de la théorie (antiutilitariste et «  républicaine ») précède dans l'ordre des raisons celui de sa fondation.259(*)

C'est dire que dans le constructivisme politique de Rawls, l'homme est le point de départ et la finalité de l'action politique. Le respect des droits de l'homme constitue l'élément fédérateur vers lequel convergent tous les systèmes juridiques. Les individus tout comme les sociétés qui veulent appartenir à la communauté des peuples, doivent s'attacher à la paix, poursuivent leurs buts légitimes à travers la diplomatie, le commerce, et d'autres moyens pacifiques. Ils doivent respecter la souveraineté des autres Etats, et ces derniers ont le devoir de respecter les droits de l'homme. Cette forme de coopération se fonde sur la conviction que 

 La mission d'être de toute politique est le service de l'homme (...) Toute politique, nationale et internationale, vient de l'homme, s'exerce par l'homme et est pour l'homme. Et dans la mesure ou elle prend ses distances et s'en écarte, elle perd une grande partie de sa raison d'être, elle peut même tomber en contradiction avec l'humanité elle-même.260(*)

b- La tolérance : un principe politique.

Cette conception humaniste de la politique conduit à lier politique et tolérance dans le processus de formation des sociétés. Que ce soit au niveau national ou international, la coopération ne devient possible que si les différents groupes humains font le choix de la tolérance comme modalité fondamentale du vivre ensemble. Tolérer dans ce contexte politique veut dire respecter non seulement la dignité de l'autre, mais aussi ce qu'il a de différent. Michael Walzer se veut plus explicite à ce sujet : 

La tolérance n'est pas seulement une notion de philosophie ; elle est aujourd'hui, plus que jamais, un principe de politique. Traiter de la tolérance, c'est analyser la coexistence pacifique, précisément rendue possible par l'exercice de la tolérance des groupes humains qui relèvent d'histoires, de cultures et d'identités différentes.261(*)

John Rawls reviendra plus tard sur cette notion, en faisant d'elle un facteur déterminant de la justice cosmopolitique. 

 Ici, tolérer n'équivaut pas seulement à s'empêcher d'exercer des sanctions politiques, militaires, économiques ou diplomatiques pour pousser un peuple à modifier sa conduite. Tolérer signifie également reconnaître que ces sociétés non libérales sont des membres en règle de la société des peuples, égaux aux autres et titulaires de certains droits et obligations, dont le devoir de civilité exigeant qu'ils proposent aux autres peuples, pour justifier leurs actions des raisons publiques appropriées à la société des peuples.262(*)

Partant de cette vision, la légitimation d'une action sociale ne peut s'opérationnaliser que si cette action respecte la dignité de l'autre et sa différence. Toute initiative politique ne peut avoir de légitimité sociale que si elle reconnaît la tolérance comme un principe politique. Réciproquement, toute crise sociale ou internationale ne peut qu'être le résultat d'un manque de tolérance entre les différents groupes humains. Pris au pied de la lettre, cet argument conforte la thèse redoutable selon laquelle, la politique sans tolérance conduit inexorablement à l'instabilité sociale. D'un coté, les groupes forts et puissants chercheront à imposer leur volonté sous le manteau de valeur juridique universelle. De l'autre, les faibles se sentant opprimés et laissés pour compte, se tourneront vers le terrorisme comme moyen de revendication et de résistance face à ce qu'ils considèrent comme valeurs étrangère à leur vision du monde.

3- Du non droit du droit d'ingérence humanitaire

Cette analyse de la portée de la réarticulation rawlsienne des droits de l'homme serait incomplète si on n'abordait pas ici les problèmes que suscite le droit d'ingérence humanitaire en politique internationale.

Le principe d'ingérence humanitaire s'impose en politique internationale comme une exigence morale en vue d'asseoir le respect des droits de l'homme en tout lieu. Il exprime en fait la réaction mondiale face aux crimes, massacres, génocides, tortures, à toutes les atrocités qui amoindrissent l'homme et bafoue sa dignité. En l'intégrant dans la perspective de la création de l'O.N.U, la communauté internationale a démontré que les droits de l'homme suscitaient une préoccupation internationale. A cet effet, on évitait d'utiliser le terme « ingérence ». Comme le précise le protocole additionnel à la convention de Genève de 1949, relatif à la protection des civiles pendant les conflits armés et les catastrophes naturelles (protocole 1), les offres de secours à caractère humanitaire impartial ne doivent pas être considérées comme des actes d'ingérence au sein des Etats.

Mais les malentendus inhérents au droit d'ingérence humanitaire résultent d'une tension entre ce qui devrait être fait et ce qui est fait. D'après Caroline Fleuriot, ceux qui se servent de ce droit pour justifier leur non respect des souverainetés étatiques, estiment que le devoir d'ingérence humanitaire est une exigence morale codifiée par les textes de l'O.N.U. 

Ils s'appuient généralement sur deux résolutions de l'Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) : celle du 8 décembre 1988 (n°43/13) relative à «l'assistance humanitaire aux victimes catastrophes naturelles et situations d'urgence du même ordre » et celle de 1990 (45/100) qui autorise l'établissement des couloirs d'urgences.263(*)

Dans les deux résolutions, il ressort pourtant que l'Assemblée Générale de Nations Unis appelle à une collaboration entre les gouvernements en situation de détresse et les organismes ou Etats chargés d'acheminer l'aide humanitaire. Elle ne pose pas le mépris des souverainetés étatiques comme norme de coopération internationale. Mais dans les faits, ce qu'on observe généralement est que certaines organisations et Etats, évoquant des raisons humanitaires, se revendiquent d'un droit unilatéral à intervenir dans un autre Etat. Et cela est largement conforté par ce que le conseil de sécurité des Nation Unis a qualifie de « situation de menace à la paix », et par l'instauration en 2000, par Koffi Anan, d' « une exigence morale faite au conseil de sécurité d'agir au nom de la communauté internationale contre les crimes contre l'humanité ».Et même si cela fut rejeté par la sous commission des droits de l'homme de l' O.N.U en 1999, certains continuent de prendre l'exigence morale faite au conseil de sécurité d'agir contre les crimes contre l'humanité, comme un prétexte légitimant le droit d'ingérence humanitaire.

Ainsi, les incohérences issues du droit d'ingérence humanitaire partent de différentes interprétations de deux résolutions de l'assemblée Générale des Nations Unies. A cela, il faut ajouter le fait qu'il y a un vide juridique sur le sens réel du droit d'ingérence humanitaire et sur la nature des acteurs susceptibles d'y recourir. A cet effet, Caroline Fleuriot pense que le défit posé par le principe d'ingérence humanitaire au conseil de sécurité et aux organismes de sécurité régionale consiste à

  définir si les violences graves du droit mettent en danger la paix et la sécurité internationale et peuvent justifier le recours au chapitre VII pour lancer une intervention humanitaire. Il reste également à définir la vraie nature de la protection que l'O.N.U peut offrir dans ces situations aux populations.264(*)

Sous ce rapport l'ingérence humanitaire reste dépourvue d'existence légale et demeure un concept flou. Une situation qui semble bien convenir aux grandes puissances membres du conseil de sécurité de l'O.N.U, qui dictent leurs lois dans l'usage de ce principe en politique internationale. Le droit d'ingérence humanitaire est soumis au jeu des intérêts économiques, géopolitiques et géostratégiques à défendre. Et l'action du conseil de sécurité des Nations Unies est dominée par cette logique d'intérêt à défendre. Les Etats ayant un droit de veto l'utilisent, soit pour sauvegarder leurs intérêts économiques, soit pour nuire aux autres. La politique internationale s'effectue d'après une logique d'opportunité, sacrifiant la dignité humaine sur l'autel des intérêts à défendre. Cela peut se vérifier dans le marchandage politico-économique entre la Chine et le Soudan, une fois le conseil de sécurité sur l'envoie d'une force internationale au Darfour, avec pour mission de mettre fin aux massacres des populations chrétiennes par les milices arabes progouvernementales. Le gouvernement soudanais, déterminer à continuer sa politique d'épuration ethnique, demande à la Chine d'user de son droit de veto pour que cette force onusienne ne foule pas le sol soudanais. En retour la Chine devra bénéficier d'importante largesse dans l'exploitation du pétrole soudanais. Bernard Badié qui semble s'être penché sur la logique d'opportunité en politique internationale, note également ceci :

 La diplomatie restaure inévitablement l'argument d'opportunité, pourtant inconciliable avec la défense des droits de l'homme. Le gouvernement chinois fut amnistié des massacres de Tien An Men dès que les Etats-Unis eurent besoin de l'abstention du responsable de Pekin au conseil de sécurité pour la fameuse résolution 678 put être adoptée et que l'opération « Tempête du désert» put se dérouler normalement.265(*)

Ce marchandage diplomatique, dont parle avec beaucoup de conviction Badié, fait partie d'un phénomène plus général. Le comportement des Etats sur la scène internationale laisse voir que c'est l'idéologie commerciale qui oriente la politique internationale. Et dans ce jeu, ce sont les superpuissances qui définissent la mesure de l'universalisme des droits de l'homme. Le respect des droits de l'homme est utilisé comme une rhétorique incantatoire qu'on impose aux Etats faibles lorsqu'ils sollicitent de l'aide au niveau international, et comme instrument politique au service des superpuissances. Des lors, il n'est pas possible de voir certaines superpuissances signer des contrats commerciaux avec des Etats rendus célèbre par leur mépris des droits de l'homme. Dans ce cas le respect des droits de l'homme est souvent placé parmi les « sujets qui fâchent », comme si les droits de l'homme étaient nécessairement incompatibles avec les échanges économiques. Stanley Hoffmann observe à cet effet : 

En politique internationale le principe de l'égalité des Etats est accepté comme une norme formelle mais non comme une norme de comportement. La politique mondiale en limite étroitement les conséquences pratiques et reste dominée par le jeu de la puissance et de la richesse : ce sont les grands qui tendent a imposer ou à rédiger la loi.266(*)

Le jeu de la puissance et de la richesse à partir duquel opère la politique internationale, fonde la coopération entre les Etats sur une injustice criarde, eu égard à l'universalité des droits de l'homme. Certains Etats se trouvent assujettis à l'impératif du respect des droits de l'homme, ayant pour conséquence la perte de leurs souverainetés. D'autres part, contre s'en servent comme instrument politique pour conforter leur leadership dans le monde. C'est cet état de chose qui a poussé certains théoriciens du droit international à voir dans l'universalité des droits de l'homme une idéologie au service des superpuissances. Kenneth Anderson, ancien militant actif des droits de l'homme affirme :

   Etant donné que ce sont les intérêts de la classe internationale qui mènent le jeu, la prétention à l'universalisme est un mensonge. L'universalisme en question n'est qu'un globalisme et c'est le capitalisme qui lui a dicté ses mots clés.267(*)

C'est aussi dans ce sillage qu'il faut situer l'analyse de Jean-Marc Tetaz. Dans sa pertinente étude, cet auteur s'insurge aussi et à juste titre contre cette option universaliste des droits de l'homme, qui en fait n'est qu'un globalisme masqué. 

 En matière des droits de l'homme, toute position universaliste serait ainsi idéologique, au sens où elle ferait l'impasse sur les conditions de sa propre validité, où elle renoncerait à faire valoir pour soi les exigences qu'elle adresse à autrui. La thèse de l'universalité des droits de l'homme ne serait guère qu'une affirmation positionnelle simplement aveugle, ou oublieuse de sa propre particularité.268(*)

Il semble donc qu'un examen plus judicieux du problème de la justification universelle des droits de l'homme, et de l'exigence de les respecter s'impose. Loin d'épiloguer sur ce que font les théoriciens du globalisme et du mondialisme, il apparaît important de poser le problème de la réhabilitation des droits de l'homme en termes plus claires et plus explicites. Pour Stanley Hoffmann, il faudrait essayer de répondre objectivement à un certain nombre de questions dont les solutions aideront à juguler la crise dans la quelle sont empêtrés les droits de l'homme. La plus importante de ces questions est la suivante : 

 Peut-on faire des droits de l'homme la priorité des priorités, comme si la politique étrangère n'était autre chose que la mise en oeuvre par l'Etat de ses obligations juridiques ?269(*)

Cette question est d'autant fondamentale que dans le monde contemporain, on s'accorde difficilement sur une éthique universelle définissant les restrictions que les gouvernements devraient observer envers d'autres Etats, et envers les étrangers au-delà des frontières. Pourtant il est vital pour l'humanité de parvenir à de telles restrictions, au risque de maintenir la coopération internationale dans une situation d'instabilité où les « gros poissons mangent les petits ». A Hoffmann d'ajouter :

Pourtant, si nous n'abaissons pas cette barrière, si nous n'avançons pas peu à peu vers la reconnaissance de telles restrictions et obligations positives au-delà des frontières, le monde restera une jungle où les arrangements du droit international seront des artifices temporaires.270(*)

Mais cette formulation de Hoffmann semble ignorer certains éléments de base pourtant indispensables à la résolution de la crise des droits de l'homme. Dans l'ensemble, le monde actuel se compose d'agoras multiculturelles et métaphysiquement disparates. Et ce « choc des civilisations » qui caractérise notre monde, avec les conflits idéologiques, les inégalités des richesses de richesses, les disparités économiques qui l'accompagnent, font qu'on se trouve avec une liste non exhaustive des droits de l'homme, qui varient d'un espace géographique à un autre. A cet effet, la quête de justification universelle des droits de l'homme nous pousse à nous interroger sur la nature de ces droits et de l'instance susceptible de veiller à leur respect. Est-ce la communauté internationale ? Que représente-t-elle ? Stéphane Chauvin considère que, eu égard au pluralisme qui caractérise notre monde, la question de la justification universelle des droits de l'homme doit se poser en ces termes :

 Peut-on produire une justification des droits de l'homme qui soit adaptée à des agoras multiculturelles et métaphysiquement disparates ?271(*)

L'avantage d'une telle formulation réside dans le fait qu'elle intègre, au sein du grand débat sur l'universalisation juridique des droits de l'homme, l'idée d'une harmonisation des droits de l'homme par le relativisme culturel. La justification universelle des droits de l'homme est un travail qui exige une prise en compte équitable des différentes variations et interprétations de ces droits. Une telle démarche conduit nécessairement à une redéfinition des droits de l'homme, plus particulièrement à une redéfinition du rapport entre le droit et l'homme. A partir de ce travail essentiel, le consensus conduit à une conception des droits de l'homme dépouillée de tout attribut métaphysique, pour parvenir à des droits dont la jouissance permet à tous les membres de la société de participer à la coopération sociale et à l'exercice du pouvoir politique, donnant ainsi pour finalité à la société, quel que soit son régime, le bien commun de ses membres. A la quête de justification universelle des droits de l'homme, l'idée d'une harmonisation par le relativisme culturel nous conduit à une évidence :

 Nous vivons dans un monde pluriel, fait de cultures dont les arguments doivent être pris en considération d'une façon équitable, dans le grand débat sur ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire, devons et ne devons pas faire à un être humain. Dans ce débat, il pourrait bien y avoir qu'un tout petit terrain d'entente : tout juste l'intuition fondamentale que ce qui est une souffrance et une humiliation pour vous est un souffrance et une humiliation pour moi.272(*)

En effet, les diverses cultures, traditions religieuses, philosophiques et morales peuvent avoir des divergences sur le sens des droits de l'homme ; mais il y a un point sur lequel elles peuvent trouver un terrain d'entente : l'universalité axiologique de la vie humaine. Tout ce qui porte atteinte à la vie, en quelque lieu que ce soit, est une menace pour toute l'humanité. On peut à cet effet déterminer avec aisance le rôle de la communauté internationale dans la préservation et la promotion des droits de l'homme. Loin de se réduire uniquement à l'O.N.U, dont les lourdeurs administratives et les querelles idéologiques compromettent sérieusement les missions d'intervention pour la défense des droits de l'homme dans le monde, la communauté internationale intègre aussi les opinions politiques se présentant comme un contrepoids politique au jeu des intérêts qui caractérise l'action des superpuissances membres du conseil de sécurité. Comme le remarque Ernest Marie Mbonda, 

Elle existe comme un concept qui subsume minimalement l'ensemble de l'humanité, idéalement un certain nombre de valeurs communes, et éthiquement un principe de solidarité sans lequel la notion même de communauté n'aurait aucun sens. C'est à ce titre qu'on peut discuter de sa responsabilité dans toutes les situations qui affectent l'humanité de l'homme ou la dignité humaine.273(*)

A cet égard, la communauté internationale se présente comme un construit. Elle n'est intelligible politiquement qu'en recevant une définition stricte, tenant de la spécificité de la fonction qu'elle accomplie ; à savoir intervenir lorsque la dignité de l'homme est bafouée en quelque lieu. Mais vue que la liste des droits de l'homme n'est pas exhaustive, sur qu'elle base la communauté internationale doit-elle fonder son action ? Dans qu'elle(s) situation(s) peut-on dire de façon consensuelle que les droits de l'homme ne sont pas respectés ?

Accordons nous donc sur le point suivant, répond Michael Walzer : les crimes de masse, le nettoyage ethnique et l'établissement de camps de travail forcé ne sont pas seulement des actes barbares et inhumains, mais des violations des droits de l'homme auxquelles une intervention militaire, si cela est possible et en dernier ressort, menée par les Etats voisins, une coalition d'Etats ou une force internationale, se doit d'y remédier. Accordons-nous également sur la nécessité d'écarter du pouvoir les auteurs de telles violations des droits et de les mener si possible devant une cour internationale (comme la cour pénale internationale).274(*)

On peut établir un parallèle avec Rawls : les deux auteurs rattachent la justification des droits de l'homme à l'intuition fondamentale selon laquelle « ce qui est une souffrance et une humiliation pour vous est une souffrance et une humiliation pour moi ». Cependant Rawls focalise sa réflexion sur la cohabitation pacifique entre les nations. Dans ce cas, la justification des droits de l'homme n'est pas orientée vers la définition d'un ensemble de droits que chaque Etat doit garantir à ses citoyens, mais les droits que chaque Etat doit respecter pour être en bons termes avec les autres Etats. A cet effet, les droits de l'homme sont réduits à une dimension fondamentale par la mise en évidence du droit humain à la vie, à la liberté, à la propriété, à l'égalité formelle.

Cette réduction à un triple avantage. D'abord elle permet une redynamisation des droits de l'homme dans le processus de leur défense et leur respect. Ensuite, cette réduction des droits de l'homme aux droits humains fondamentaux permet de mieux apprécier la dimension strictement politique des droits de l'homme. Leur respect conditionne la légitimité politique et juridique d'un régime, et leur universalité trouve son terrain d'expression dans l'idée d'une harmonisation des droits de l'homme par le relativisme culturel.

Enfin, cette réduction permet à Rawls de définir une conception de l'organisation sociale envisageable et acceptable, à la foi dans les sociétés libérales et dans les sociétés non libérales. Rawls observe à cet effet que : 

 Les droits de l'homme constituent une catégorie spéciale des droits urgents, comme la liberté vis-à-vis de l'esclavage et du servage, la liberté de conscience (mai pas nécessairement égale pour tous) et la sécurité des groupes ethniques par rapport aux meurtres de masse et aux génocides. La violation de cette catégorie de droits est également condamnée par les peuples libéraux raisonnables et par les peuples hiérarchiques décents.275(*)

Avec ce commentaire, Stéphane Chauvin se veut plus claire : 

Restreindre le noyau dur des droits de l'homme, c'est en fait d'un coté se donner les moyens de contredire ceux qui ne verraient dans ces droits qu'un produit de la tradition occidentale ou l'expression d'une de ces traditions métaphysiques : le libéralisme politique n'est plus universalisé et les droits de l'homme sont déduits des conditions qu'une société doit remplir pour agir sur la scène internationale comme un Etat soucieux de défendre le bien commun interne.276(*)

CONCLUSION

L'élucidation de la crise dans la quelle se trouvent les droits de l'homme montre la situation trouble et apparemment sans issue dans laquelle se trouvent la souveraineté de l'Etat-nation. Non seulement ce dernier est victime de pressions extérieurs au nom des droits de l'homme, mais encore à l'intérieure, les revendications sociales et leurs conséquences, le jeu des intérêts économiques et les replis identitaires, les divisions entre Etats et leurs fragilités, sont autant de problèmes qui semblent concourir à interdire à l'Etat-nation une place dans le monde aujourd'hui.

Comment peut-on envisager l'avenir dans un tel monde ? L'Etat- nation est-il condamné à un dépérissement certain ? Rawls répond avec netteté à cette question primordiale et fondamentale dans la réhabilitation de l'autonomie dans la constitution des normes politiques internationales. Sa réarticulation des droits de l'homme se veut une thérapeutique : l'Etat-nation doit s'affirmer dans le monde contemporain en faisant du bien de tous ses membres l'objectif fondamentale de l'action politique. Ceci passe nécessairement par une prise en compte équitable du pluralisme idéologique qui caractérise les sociétés actuelles. C'est de la rencontre des différences que jaillissent une éthique républicaine et une éthique des relations internationales dont la base est l'idée d'une harmonisation des droits de l'homme par le relativisme culturel. Quelles conditions pouvons- nous donc tirer des questions discutées dans cette partie ?

La pensée de Rawls envisage la justice internationale à travers la réhabilitation de l'autonomie politique dans la constitution des normes de politique internationale, et donc par la réhabilitation du rôle de l'Etat-nation dans le monde. En effet, la vue générale de l'oeuvre de John Rawls, à travers le projet général de la catégorie d'autonomie, a permis de saisir dans qu'elle mesure le philosophe américain prend ses distances avec la théorie de l'identité post-nationale et les philosophies de la mort de l'Etat. Rawls essaie de traduire politiquement la question de la justice internationale et de donner sens à son destin dans un contexte de pluralisme idéologique et de « choc des civilisations ».

Ainsi, suivant la marche de l'histoire en train de se faire, Rawls exprime une analyse profonde de la complexité des sociétés contemporaines, et parvient aisément à rendre compte du statut de l'Etat-nation dans un monde post-westphalien. Il essaie de définir la politique internationale par un multilatéralisme fondé sur l'idée d'une harmonisation des droits de l'homme à travers le relativisme culturel. Toute fois si l'explication de ce contenu est riche en elle-même, la recherche d'une signification plus profonde du destin de l'autonomie comme catégorie politique s'impose pour comprendre à la fois sa valeur et sa portée.

TROISIEME PARTIE : REINVESTIR LA THEORIE DE LA JUSTICE COMME EQUITE : PHILOSOPHIE DE LA JUSTICE ET HUMANISME DE JOHN RAWLS.

Tant que les Etats existeront -et auront donc des intérêts à défendre, des rivalités à surmonter -, le spectre de la guerre ne s'éloignera pas tout à fait. Mais parallèlement, lorsque les Etats s'affaiblissent ou sont contestés, ils laissent la place à des guerres civiles ou inter-ethniques encore plus sanglantes. Il n'y a pas d'autres solutions que de s'attaquer aux racines réelles du mal : injustice, absence de démocratie, inégalités, etc...277(*)

Liminaire.

La théorie de la justice comme équité ne peut s'envisager comme critique sociale que dans la mesure où elle sert à réinvestir au sein de l'immanence social, la possibilité de penser la politique autrement. Cette possibilité s'envisage à deux niveaux. D'abord elle se veut critique d'une histoire qui a érigée l'hétéronomie et l'efficacité en normes suprêmes de l'organisation sociale. Ensuite elle se veut ouverture vers une promesse de « vie meilleure » qui traverse les écrits de John Rawls. La priorité du juste sur le bien, la primauté de la justice politique sur l'efficacité économique, que réclame Rawls pour rendre cette « vie meilleure » accessible à tous, constituent les voies plus ou moins sure de frayer le chemin du bonheur à tous les citoyens. Quelles sont les conditions successibles, dans l'optique de la théorie de la justice comme équité, de déclencher l'effectuation de cette promesse de « vie meilleure » à travers la coopération sociale ? A quel prix la politique peut-elle encore susciter de l'espoir ?

Le premier moment de cette réflexion examinera les conditions sans lesquelles cette promesse de « vie meilleure » à travers la coopération sociale, ne peut trouver son effectuation. Ces conditions elles même ne sont pertinentes que si elles sont soudées aux possibilités par les quelles la pensée d'un nationalisme libéral peut s'établir. Reste que ces positions ne sont que des hypothèses révisables, dépassables, parce que n'ayant aucun contenu déterminé.

CHAPITRE VI : AUTONOMIE ET OBJECTIVITE DES NORMES POLITIQUES

A- LA LIMITATION DE L'INDIVIDUALITE

La pensée de Rawls présente un univers politique qui, eu égard aux divers aspects qui le composent, reste inscrit sur le terrain de la modernité, c'est -à- dire sur le terrain d'une philosophie de la subjectivité, où l'objectivité, tant théorique (le vrai) que pratique (le juste, le bien), ne se définissent que par et pour le sujet. A cet effet, l'institution des normes sociales objectives (c'est-à-dire cette figure inédite d'une transcendance dans l'immanence qu'exprime au plan juridico-politique, l'exigence démocratique selon laquelle les restrictions imposables aux membres d'une société doivent résulter d'une discussion publique) présuppose, en vue de rendre possible la cohésion des différentes individualités dans la société, une certaine transcendance vis-à-vis de la simple affirmation de l'individualité. Ainsi donc, la limitation de l'individualité étant une condition primordiale et nécessaire à la définition des normes sociales objectives, il est important de s'interroger sur le principe politique qui peut soutenir cette exigence intrinsèquement démocratique que l'humanité soit elle-même la source de ce à quoi elle se soumet.

Ce principe, nous le trouvons dans la conviction que l'essence de l'organisation sociale réside, non pas prioritairement dans le fait d'« élargir les libres déterminations du sujet », mais bien plus dans le fait de « délivrer la vie de la destruction ou de la domination »278(*). Cette position fondamentale émerge de la philosophie politique à travers cet effort pour séparer, par référence aux exigences englobantes de la vie, l'idéal d'autonomie et le principe d'individualité, dont l'intrusion dans la pensée moderne a été porteuse d'une inspiration anti-humaniste. En suivant cette voie, l'éthique politique rawlsienne se présente comme solution au subtil problème de l'affrontement entre le principe objectif d'autonomie et principe subjectif d'indépendance individuelle, qui a caractérisé la dynamique humaniste de la modernité depuis son enclenchement.

1- L'individualisme et le déclin de l'humanisme moderne

L'individualisme s'affirme comme une figure de l'humanisme moderne, puisque son développement a nécessité un environnement intellectuel où l'homme entend désormais être la source de ses lois et de ses normes politiques. Alain Renaut est on ne peut plus claire à ce sujet.

 Pour que pût advenir, contre le principe ancien, la valorisation (proprement individualiste) de l'indépendance à l'égard de collectif, il fallait certes déjà que ce fut effondré la vision d'un univers où l'être humain n'était aucunement tenu pour la source de ses normes et de ses lois. Cet effondrement (...) fait émerger la modernité, à travers l'irruption de l'humanisme, entendu comme la conception de la valorisation de l'humanité en tant que capacité d'autonomie.279(*)

Dans cette perspective, l'individualisme constitue une composante de l'humanisme moderne, mais une composante fatale à cet humanisme. Nul n'aurait pu exprimer cela mieux que Benjamin Constant et Alexis de Tocqueville, dont les réflexions sur les conditions de possibilité de la démocratie laissent paraître un fort intérêt pour une culture politique qui ne s'accommode plus de la limitation du moi imposée par le principe d'autonomie, mais vise l'affirmation pure et simple du moi comme valeur fondamentale.

Si l'on s'en tient à cette lecture de l'humanisme politique de la modernité, il ressort que la recherche d'une communication autour des normes consensuelles, véhiculée par la normativité auto fondée de l'autonomie, tend à se faire substituer par un pure et simple soucis de soi, par la scission du public et du privé et son corollaire la désertion de l'espace public, par le culte des bonheurs particuliers. Cette dérive progressive d'une éthique de l'autonomie vers une éthique de l'indépendance impose désormais de lier à la traditionnelle opposition binaire de la liberté des anciens et la liberté des modernes qui a défini la dynamique politique de la modernité, l'autonomie et l'indépendance, l'humanisme et l'individualisme.

Cela dit, à compter du moment où l'orientation politique de la pensée moderne s'est caractérisée par l'irruption des valeurs de la subjectivité et de l'autonomie, le principe de l'individualité est entré en concurrence avec l'autonomie, véhiculant la perspective d'une nouvelle relation à la lois ou à la norme. Cette relation s'exprime par la séparation entre le droit et l'idée d'une pluralité de choix, condition de pensabilité du droit. La conséquence profonde ici est la dissolution de la culture, sphère de normativité supra individuelle autour de laquelle l'humanité cherchait à se définir comme intersubjectivité. L'individualisme comme principe politique dans la pensée politique moderne tendait à saper l'exigence d'autonomie et l'idée de sujet qui exprime cette exigence, en érigeant au rang de valeur suprême l'affirmation du moi.

Naturellement tout ceci s'inscrit dans le retour en force chez les intellectuels du déterminisme naturel comme ce qui donne sens au droit, à l'existence, à la vie. De ce point de vue, le spinozisme se présente comme un effort intellectuel alléchant. Dans les Tractatus Théologico-Politicus, nous lisons ceci :

La nature, considérée en elle-même, jouit d'un droit souverain sur tout ce qui est en son pouvoir. C'est-à-dire que le droit de nature s'étend jusqu'aux bornes de sa puissance (...) Mais la puissance globale de la nature entière n'étant rien de plus que la puissance conjuguée de tous les types naturels, il s'ensuit que chaque type naturel a un droit souverain sur tout ce qui est en son pouvoir ; autrement dit le droit de chacun s'étend jusqu'aux bornes de la puissance limitée dont il dispose.280(*)

Ce propos se présente comme un argument qui prend la défense de la dissolution de la spécificité humaine dans l'universalité de la nature, c'est-à-dire l'idée que la vie est persévérance dans l'être. Ceci part d'une distinction entre le possible et le réel. Ici, le possible, c'est-à-dire la tendance à exister, converge vers le sens déterminé par un Dieu tout puissant, principe déterminent de toute existence. La réalisation de cette tendance à exister n'est possible que par la détermination de ce Dieu omnipotent en qui tout est possible. Dans ce sens le possible existe par la suprême puissance de Dieu, et l'idée même d'un possible non réalisé est un non sens. Tout ce qui ne se réalise pas relève de l'impossible.

A cet effet, le sens du problème fondamental de la philosophie politique, celui de la légitimité du pouvoir politique, se comprend dans une scission du droit d'avec l'idée d'une pluralité des choix possibles. Spinoza inscrit la vie politique des Etats dans la modalité d'une pensée unique, un unilatéralisme dont l'autorité du droit n'a d'égal que l'autorité incontestable de Dieu. L'histoire du monde est une histoire unilatérale, et exister c'est s'insérer et persévérer dans cette histoire universelle.

Spinoza croit, tout comme Hegel, qu'une institution comme l'Etat affirme son destin historique en entrant et en persévérant sur la scène de l'histoire universelle. Il y a néanmoins une différence entre les deux philosophes. Pendant que Spinoza privilégie l'insertion, mieux la persévérance dans l'être comme modalité d'action sur la scène de l'histoire universelle, Hegel opte pour la guerre. S'inspirant des thèses d'Héraclite, Hegel pense que la guerre règne sur toute chose, et de ce fait, elle est juste. L'histoire mondiale est aussi le tribunal mondial. A cet effet, pour exister et entrer dans la scène de l'histoire, l'Etat doit se lancer à la conquête de sa liberté en combattant les autres Etats. A l'inverse, un Etat qui subit la domination tant politique qu'économique est un Etat qui fonde son activité politique sur la préservation de la vie, et non sur la conquête de la liberté. Affirmation qu'on peut rapprocher de celle de Platon, selon laquelle les hommes libres sont ceux craignent l'esclavage, la domination plus que la mort.

Certes il est possible de trouver dans cette vision historiciste une part de vérité, à savoir que ne peuvent perdre leur liberté que ceux qui ne sont pas déterminé à se battre pour elle. Mais le revers de cette vision, porteur d'inspiration antihumaniste, pose que dans cette lutte pour entrer dans la scène de l'histoire, un Etat qui succombe devant une force supérieure ou un Etat surarmé, est déterminé par la nature à demeurer sous la domination et mérite son sort. Théorie qui, voulant privilégier la conquête de la liberté, semble plutôt s'ériger en ennemi de la liberté.

Ainsi, en posant le déterminisme naturel, historique, comme ce qui donne sens au droit, à l'existence, à la vie, le système philosophico-culturel de la modernité semble provoquer plus d'effets pervers que ceux qu'il prétendait éviter. Aussi peut-on envisager la déconstruction de cette inspiration antihumaniste à travers le paradigme biopolitique, support du renouveau humaniste d'aujourd'hui.

La mobilisation du paradigme biopolitique tel qu'on l'observe chez Michel Foucault et Gilles Deleuze, essaie de déconstruire le système philosophico-culturel de l'humanisme en exprimant la philosophie politique sous le principe foucaldien selon lequel « (...) le droit doit être la forme même du pouvoir et que le pouvoir devrait toujours s'exercer dans la forme du droit »281(*). Il s'agit là d'une réplique à la tentative spinoziste de réduire la spécificité humaine dans l'universalité de la vie, et dont la conséquence politique est la séparation entre le droit et l'idée d'une pluralité de choix. En réinscrivant l'homme dans la nature, Spinoza semble éluder un fait : la spécificité de l'homme ne se manifeste pas dans sa réduction au déterminisme naturel, mais dans sa capacité à pouvoir se distancer de la nature par la production de la culture. L'homme est certes vie, mais il a aussi cette particularité de pouvoir se détacher du cycle de la vie. Bref l'homme est un être libre et autonome, capable d'auto législation. Dans ce cas, l'idée de droit s'accorde manifestement avec le principe de la liberté de choix. Il devient donc difficile d'envisager le droit dans une scission d'avec l'idée de pluralisme. Dans ce propos, Fichte dénonce l'antijuridisme qui émane de la critique spinoziste de l'idée de sujet.

Qui nie la liberté de la volonté, doit pour être conséquent nier aussi la réalité du concept de droit, comme c'est le cas par exemple chez Spinoza, chez qui le droit signifie seulement le pouvoir de l'individu déterminé par le tout282(*).

2- Biopolitique et humanisme

Le paradigme biopolitique, en référence aux exigences englobantes de la vie, et dans le but de déconstruire l'inspiration antihumaniste qui anime la confrontation moderne entre l'idéal démocratique d'autonomie et le principe d'individualité, considère le respect de la vie et du pluralisme qui la caractérise comme fondement éthique de toute politique humaine. La vie est ici ce qui donne sens à l'agir humain, le champ d'action où se déploient les deux facultés que Rawls reconnaît à l'homme, à savoir le raisonnable et le rationnel. Bref ce qui fonde la transcendance de la personne humaine, transcendance ici signifiant comme le veut Jean Lacroix, « mouvement vers », entendu ici au sens de mouvement vers l'autre. Ce propos d'Edgar Morin nous instruit d'avantage :

Rappelons une dernière fois que chacun vit une pluralité des vies, sa propre vie, la vie des siens, la vie de la société, la vie de l'humanité, la vie de la vie. Chacun vit pour garder le passé en vie, vivre le présent, donner vie au futur.283(*)

Cette interprétation de la transcendance de la personne humaine peut déjà trouver une référence dans l'impératif catégorique de Kant, qui veut l'extension de la responsabilité du sujet rationnel qui vaut pour lui-même, à tout sujet possible et à tout le réel. Ce réel constitue un patrimoine commun à tout l'humanité, et dont la gestion doit se conformer à l'exigence éthique et rationnelle qui commande de traiter le sujet comme une fin et jamais comme un moyen. Cette exigence de transcendance, Kant la pose comme impératif pratique dans la maxime suivante : « Agis de telle sorte que tu traite l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours comme une fin et jamais simplement comme un moyen ». De cette maxime découle la théorie kantienne de l'autonomie du sujet. Quelle en est la conséquence ? Tout simplement que notre responsabilité à l'égard d'autrui est une responsabilité à l'égard d'une personne qui nous est égale, et qui est au même titre que nous un sujet libre et autonome. Seulement, Kant croit que le principe suprême de toutes les lois de la volonté, véhiculé par l'impératif catégorique, se cache dans l'expérience de la morale populaire. Et pour y accéder, il faut simplement remonter à la source de la morale populaire et en élucider le principe fondamentale qui est le devoir. Et le problème qui peut se poser ici est celui du type de rapport qu'entretiennent l'impératif catégorique et la réalité culturelle.

Même si l'on parvient à remonter à la source de l'expérience morale populaire, il est difficile de déboucher sur une conception immanente de la praxis sociale. Ceci parce que l'analytique transcendantale (remonter à la source de la morale populaire) qui explicite les principes, ne peut aboutir à une modification du réel par l'acte de la volonté. La volonté pour Kant est envisagée d'un point de vue formel, et même lorsqu'il envisage l'étude des conditions de l'agir moral dans les impératifs hypothétiques, c'est pour réduire ces derniers à leur aspect formel, à leurs maximes pratiques.

Au contraire, il nous parait évident que l'effort pour fonder la transcendance de la personne humaine et définir la possibilité d'un renouveau humaniste aujourd'hui, ne doit pas se faire de façon abstraite, formelle, théorique. Le problème de la transcendance humaine se définit comme problème du rapport de l'homme à l'homme, dans la culture qui est son domaine de définition. Ce rapport de l'homme à l'homme est de nature éthique. La transcendance de l'homme se déploie au sein de son être comme un être autonome, pas seulement comme un élément de la nature en général. Cette capacité d'autonomie fait de l'homme un être en situation, c'est-à-dire d'un être capable à la fois d'une analyse et d'une synthèse de la situation dans laquelle il se trouve, un être capable de changer sa situation en se choisissant.

Ceci nous amène à reconnaître la transcendance de l'homme dans sa capacité à se détacher de la nature par la production culturelle. La société, en tant que produit de l'autonomie humaine, est la sphère qui élève l'individualité physique de l'homme à sa valeur comme personne morale. Ceci introduit le problème de la reconnaissance d'autrui comme personne morale. Le problème de la transcendance de la personne humaine devient, dès lors, celui de son rapport à la société, correspondant ainsi à la tache critique de la reconnaissance de l'homme dans la société : il faut construire une société telle que la valeur de la personne, en tant qu'être rationnel et raisonnable, y soit reconnue.

Se situant dans cette voie, Rawls souligne significativement que toute sa recherche présuppose «  la conception des personnes comme des être libre et égaux, capable d'autonomie »284(*). Ainsi la société n'est elle pas seulement un instrument de praxis, elle est elle-même récupérée dans la synthèse du rapport de l'homme à la culture qui est son sol, sa terre d'habitat, et sans laquelle il n'est rien d'autre qu'une abstraction. La reconnaissance de l'autre comme personne morale ne doit cesser d'orienter la vie politique, il faut la ramener de l'analytique kantienne à la synthèse dynamique de la culture, c'est-à-dire la responsabilité dans la présence au monde de l'autre, au monde culturel, social, politique, économique. Tel est le sens de la limitation de l'individualité dans le vécu social.

Cette conception de la limitation de l'individualité, Rawls l'étudie dans la congruence du juste et du bien, qui ôte toute antinomie entre l'autonomie et l'objectivité des normes sociales. L'artisan de cette compatibilité est la position originelle dont l'action consensuelle reste le gage de l'objectivité des normes sociales.

Dans la doctrine du contrat, les notions d'autonomie et d'objectivité sont alors compatibles, il n'y a pas d'antinomie entre la liberté et la raison. Toutes deux sont caractérisées d'une manière conséquente par la référence à la position originelle. L'idée d'une situation initiale est centrale pour toute la théorie et les autres notions de base y sont définies dans ses termes. Agir de manière autonome, c'est donc agir à partir des principes auxquels nous consentirons en tant qu'êtres rationnels, libres et égaux, et que nous devons comprendre de cette façon. Ainsi ces principes sont objectifs285(*).

Dans un texte plus récent, Rawls étudie la responsabilité dans la présence au monde d'autrui à travers la complémentarité entre le juste et le bien.

Une conception de la justice politique doit en quelque sorte contenir en elle-même un espace suffisant afin que certains modes de vie obtiennent un soutient sans faille. En bref, la justice délimite, le juste révèle la raison d'être. Ainsi le juste et le bien sont complémentaires, ce que la priorité du juste sur le bien ne nie en rien. Sa signification générale est que bien qu'une conception politique de la justice doivent ménager, pour être acceptable, un espace suffisant pour certains modes de vie que les citoyens peuvent défendre, les conception du bien sur lesquelles elle s'appuie doivent correspondre aux limites fixées (l'espace autorisée) par cette conception politique même286(*).

La responsabilité dans la présence au monde d'autrui se présente comme une quête permanente, un devoir éthique qui pousse tout homme à aspirer à un monde social fondé sur le respect de la vie. Ce que qu'Edgar Morin considère comme un impératif pratique valable « non seulement pour soi, mais pour la tache la plus grande jamais rencontrée par l'homme : la lutte simultanée contre la mort de l'espèce humaine et pour la naissance de l'humanité »287(*). Elle intègre au plus profond d'elle-même le respect et la sauvegarde du patrimoine commun à l'humanité, comme la terre, la nature, et tout ce qui contribue à rendre agréable la vie de tout être vivant. Dans ce sens Rawls dévoile la dimension marxiste de sa pensée. Sa conception de la politique comme défense de la vie se rapproche de l'idée marxiste d'économie d'énergie qui voit le principal défaut du mode de production capitaliste dans le fait qu'il détruit la source principale de la richesse humaine, la terre. De manière tout aussi marxiste, Rawls fait de l'homme un être amphibie, puisqu'il est libre mais reste soumis à la nécessité sociale. En cela, Rawls reste le support intellectuel du renouveau humaniste d'aujourd'hui, un partisan de l'autonomie politique et individuelle.

CHAPITRE VII : NATIONALISME ET POLITIQUE DE RECONNAISSANCE A L'ECHELLE MONDIALE

Quel peut être le fondement d'une politique de la reconnaissance à l'échelle mondiale ? Comment organiser les différentes conceptions du bien autour d'une théorie de la justice internationale en dépit de leurs différences axiologiques ?

Dans ce chapitre, nous voulons esquisser une approche de la justice internationale qui résulterait de l'idée de nation d'un point de vue cosmopolitique. Cette conception retient l'idée que la justice internationale est incompatible avec un gouvernement mondial. Elle retient également l'idée que l'Etat-nation ne peut plus de nos jours, être vu comme le principe des relations internationales. Cette approche développe une conception ambivalente de l'Etat-nation : ce dernier est à la fois communauté démocratique et communauté nationale.

Dans sa première dimension (communauté démocratique) l'Etat-nation apparaît comme solution d'une antinomie entre la conception libérale (rejet des droits créances) et la conception marxiste (suspension au moins provisoire, des droits libertés) des droits de l'homme. La justice internationale s'accorde avec l'imposition de certaines restrictions à la souveraineté des Etats. Il faut s'opposer fermement aux Etats souverains qui ne garantissent pas les droits fondamentaux des personnes. Dans ce cas le dénominateur commun aux différents défenseurs du libéralisme politique qui ont réfléchi sur le droit international est l'insistance sur l'importance des droits de l'homme, et sur l'importance d'un pouvoir interventionniste des organisations supranationales à l'intension des individus.

Dans sa seconde dimension (communauté nationale) l'Etat-nation est le lieu de valorisation des cultures locales. A cet effet, notre approche milite pour l'introduction, dans le droit international, d'un régime de droits collectifs dont les principaux bénéficiaires seraient les peuples. Les réticences observées jusqu'ici à l'endroit de cette sphère de droit se justifient par le fait que, pendant longtemps, le droit des peuples s'est trouvé confondu au droit de l'Etat homogène. Pourtant, même si dans plusieurs cas les frontières de l'Etat coïncident avec les frontières du peuple, la confusion entre le droit du peuple et le droit de l'Etat qui est sensé le représenter est sans valeur. A côté des Etats, les peuples doivent être les détenteurs d'un régime de droit.

Cette conception du droit international reconnaît le pluralisme axiologique comme constituant fondamental de la structure de base de l'Etat-nation. Elle est incompatible à un attachement à l'individualisme moral pur. Certes les grands théoriciens de la pensée libérale nous ont appris que même dans un contexte de pluralisme raisonnable de conception du bien commun, la primauté absolue de l'individu sur la collectivité est toujours soutenable et peut faire l'objet d'un consensus autour des principes de justice individuelle. Elle rejette également la thèse de la partialité nationale défendue par le collectivisme moral. Car si la collectivité est seule porteuse de toutes les valeurs, surtout une forme de celle-ci comme la nation, les sensibilités aux réclamations des peuples peuvent bien contribuer à définir une approche du droit international orientée exclusivement vers les revendications des peuples. A travers l'idée de nation d'un point de vu cosmopolitique, nous reconnaissons que la justice est un impératif politique qui s'applique aussi bien aux peuples qu'aux personnes, aussi bien à l'échelle locale qu'à l'échelle internationale. Cela veut dire qu'à l'échelle internationale, les sujets de droits doivent autant être les peuples que les personnes. Dès lors l'approche de la politique de reconnaissance que nous envisageons à l'échelle mondiale, cherche à réaliser un équilibre entre le régime des droits individuels et le régime des droits collectifs, deux ordres de droits qui doivent se contraindre mutuellement.

A cet effet, l'hypothèse qui soutient notre approche pose qu'une théorie de la justice politique élaborée sous la forme d'un emboîtement des régimes de droits individuels et collectifs, offrirait un gain de pensée important dans la quête de solution à la problématique fondamentale du cosmopolitisme aujourd'hui : à savoir rendre compte du statut de la justice dans un monde où l'Etat-nation est en transition. L'orientation donnée par l'idée de nation d'un point de vu cosmopolitique s'inspire du libéralisme politique de Rawls. En refusant de s'engager dans la voie de l'individualisme pure, Rawls nous offre une version du libéralisme qui, au lieu de subordonner le droit des peuples aux droits individuels, concilie plutôt les droits libertés de la personne avec le droit des peuples et, par voie de conséquence, permet de réconcilier le libéralisme et la politique de la reconnaissance, et pourrait même réconcilier nos idéaux cosmopolitiques et nationales.

Dans la quête de vérification de notre hypothèse, notre réflexion connaîtra trois moments. Nous allons d'abord montrer en quoi le cadre théorique du libéralisme politique rawlsien rend possible la formulation cohérente d'un nationalisme tout à fait compatible avec un ordre politique global protégeant les droits de l'homme. Ce moment connaîtra une discussion autour de l'idée rawlsienne de la tolérance à l'égard des sociétés hiérarchiques. Le moment clé de cette discussion sera l'examen du rapport entre l'autonomie et la tolérance. Après cette discussion nous essayerons de comprendre comment s'articule l'idée de nation d'un point de vu cosmopolitique sur le plan de la justice distributive. Enfin il faudra bien fournir une justification philosophique qui légitime l'accord du régime des droits des peuples avec les exigences du libéralisme politique.

1. Libéralisme politique et nationalisme libéral

L'explication la plus vraisemblable du libéralisme politique repose sur la conviction que les notions de personne et de peuple, les principes de justice sociale ainsi que le droit des peuples résultent d'une conception politique de la justice. Comme l'a bien montré Rawls288(*) , on ne peut aboutir à des considérations de justice et d'équité dans la politique internationale qu'en adoptant une conception politique de la personne. Cette conception de la politique internationale ne peut être acceptable que si la position originelle concerne des personnes situées dans des cultures sociétales nationales, c'est-à-dire des Etats. Dans ce cas, les principes de justice se révèleront plus réalistes, car tenant compte de la stabilisation des personnes au sein d'une société nationale. A l'inverse, il n'est pas envisageable d'identifier les principes de justice interne à une politique de partialité nationale. Le libéralisme politique repose sur une conception politique des peuples et sur l'égalité entre les peuples.

C'est dans cette perspective que le libéralisme politique se distingue de l'individualisme moral. Ce dernier s'affirme comme une doctrine compréhensive au fondement de la théorie de l'identité post-nationale. L'individualisme moral défend trois thèses fondamentales. La première pose que les individus sont en soi rationnellement autonomes par rapport à toute finalité. La deuxième établit que l'individu est la source ultime de revendications légitimes. La troisième et dernière thèse établit que le seul libéralisme philosophiquement soutenable est celui qui repose sur l'autonomie individuelle. Ainsi considérée d'un point de vue général, cette théorie offre deux options qui compliquent toute tentative de réconciliation possible entre le nationalisme et le cosmopolitisme289(*). La première option qui semble situer la théorie libérale dans le modèle classique de l'Etat-nation homogène, rejette toute idée de droit collectif. La deuxième option cherche à dériver les droits collectifs à partir des droits individuels fondamentaux de la personne. Elle se présente dans la théorie des droits différenciés par le groupe (group differentiated right) de Will Kymlicka. Ce dernier part de l'idée que les droits différenciés par le groupe sont des droits uniquement applicables aux individus, réclamables par les individus uniquement, et ne peuvent autoriser aucune contrainte raisonnable à l'égard des individus290(*). Aussi la théorie juridique de Kymlicka, sensée être plus conciliante, n'a pas grand-chose à voir avec les droits collectifs.

Pourtant les droits collectifs sont applicables aux collectivités, réclamables par celle-ci et peuvent être raisonnablement contraignantes vis-à-vis des individus. Le libéralisme politique de Rawls possède des ressources intellectuelles pouvant défendre cette thèse. Le libéralisme politique défend trois thèses qui prennent le contre-pied de l'individualisme moral et ménagent une place aux droits collectifs des peuples. La première thèse pose que les personnes puissent se définir indépendamment de leurs fins. Alors que l'individualisme moral définit les personnes antérieurement à leurs fins, le libéralisme politique table sur un pluralisme axiologique en admettant différentes conceptions métaphysiques de la personne. Dans une société libérale juste, la personne est définie politiquement comme un citoyen et c'est seulement en tant que tel qu'on peut l'envisager indépendamment de ses fins. Le citoyen est en mesure de se définir indépendamment des ses fins dans la société, malgré le fait que sur un plan métaphysique, il se considère comme étant défini par une conception particulière du bien.

Ces considérations sur le statut politique de la personne s'appliquent aussi à la conception politique du peuple. La conception politique définit le peuple comme une « structure de culture » soumise à des influences diverses et offrant un « contexte de choix »291(*). Il s'agit d'une « culture sociétale » une « structure de culture ». En tant que tel le peuple se définit politiquement par l'ensemble des options morales, politiques culturelles, sociales et économiques qui sont offertes dans les institutions de base de la société, et non à partir d'un ensemble de finalités et croyances particulières admises au sein du groupe à un moment donné de son histoire.

Ainsi conçu, le peuple est pensé exclusivement à partir de sa personnalité institutionnelle et politique. Et peu importe la façon qu'ont les peuples de se définir au plan métaphysique, il faut en prendre acte en tant qu'organisation politique, c'est-à-dire le fait qu'ils agissent dans la réalité politique en faisant intervenir une conception d'eux-mêmes. Leur présence dans l'espace public est d'une importance capitale. C'est pourquoi on se sent obligé de les considérer comme des agents moraux et d'admettre une seconde position originelle dans laquelle ils agiraient comme des participants à part entière.

Cela ne veut pas dire que la définition politique du peuple entraîne obligatoirement le sacrifice des valeurs et finalités particulières propres à ce peuple. Il est soutenable qu'un peuple puisse entretenir à son sujet une certaine conception métaphysique de lui-même, sans que cela l'empêche de se définir de façon purement politique. Mais la priorité lexicale de la conception politique sur la conception métaphysique permet d'introduire, dans la problématique de la justice internationale, un conception du peuple qui ne doit rien à une ontologie sociale partiale, puisqu'il s'agit d'une conception politique et non métaphysique du peuple.

Dans ses écrits. Rawls, a reconnu la place centrale qu'occupe la société dans les rapports interindividuels. Il la définit comme un système équitable de coopération organisée en vue de l'avantage mutuel. A cet effet, il la distingue des associations qui ne sont que des agrégats d'individus, et des « communautés politiques » qui sont des groupes partageants un ensemble de valeurs communes292(*). Ce qui est un peut gênant avec Rawls c'est qu'il a limité sa conception de la société au modèle le simplifié d'un Etat souverain, d'un Etat ethnoculturel homogène. Les membres d'une telle société sont décrit comme appartenant à un seul groupe ethnonational dont la culture se reproduit de génération en génération293(*). Vraisemblablement, Rawls semble n'avoir pas développer un intérêt particulier à l'endroit des Etats multinationaux réel et s'est contenter de caractériser le fonctionnement des Etats en fonction des modèles simplifiés. Dans ce cas, on peut confondre l'identité institutionnelle d'un peuple avec l'appareil gouvernemental d'un Etat. On peut confondre les personnes politiques avec les citoyens réels, les peuples politiques avec des Etats souverain réels. Mais si l'on considère les sociétés dans leur complexité, telle qu'elles se présentent aujourd'hui, cette confusion n'a pas sa raison d'être. Car dans une société complexe, les peuples peuvent avoir une identité institutionnelle sans être des Etats souverains294(*).

Un tel droit des peuples pourra garantir des protections institutionnelles favorables à une politique de multiculturalisme dont les principaux bénéficiaires seraient les minorités nationales qui sont des extensions des majorités voisines et des groupes qui entretiennent des liens avec un pays lointain ou une culture d'origine ne se trouvant pas dans le territoire. Ces deux groupes nationaux sont en quelque sorte des parties de peuples. Et en tant que diasporas, ils se laissant comprendre comme des parties de peuples, et doivent faire l'objet de certaines protections.

La deuxième thèse, se posant comme conséquence logique de la première thèse, établit les personnes et les peuples comme des sources équivalentes et autonomes de légitimation morale. Elle s'oppose ainsi au libéralisme individualiste qui ne reconnaît de légitimité qu'aux réclamations individuelles. Rawls développe à cet effet deux positions originelles applicables à ces deux ensembles de droits. La première position originelle, qui concerne les individus proprement dit, admet le principe de différence comme principe de justice sociale. La seconde position originelle, élaborée en vue des principes de justice internationale ne souscrit pas à une quelconque exigence de justice distributive entre les peuples et ignore en particulier le principe de différence. Le libéralisme politique fait des peuples des sujets de droits collectifs, et dissipe par là même les inquiétudes que peuvent susciter les conceptions ontologiques et métaphysiques. L'on est plus contraint de trouver une justification individualiste des droits collectifs. Le peuple apparaît comme un sujet de droit tout à fait légitime à côté de la personne. Ainsi le libéralisme politique rend possible l'adjonction d'un seconde source de réclamation morale valide.

La troisième thèse pose la tolérance comme la valeur politique par excellence. Cela entraîne obligatoirement, comme la si bien montré Rawls, la formulation d'un droit des peuples à travers lequel les sociétés non libérales participent activement à la coopération internationale. La double axiologie qui fonde l'adoption de ces deux ordres de droit impose la tolérance vis-à-vis des nations non libérales, et à l'égard des minorités non libérales vivant à l'intérieur des nations libérales. Mais au de là de l'opposition libéral / non libéral, le problème de la tolérance se pose au sein même sociétés multinationales. Comment assurer dans de telles sociétés le respect des rapports que la personne peut entretenir avec le peuple ? Le principe de tolérance exige l'institution d'un mode d'organisation sociale qui puisse garantir la pérennité des rapports entre les personnes et les peuples.

Cette interprétation du libéralisme politique rawlsien correspond dans ses grandes lignes à la critique que Charles Larmore adresse à l'individualisme moral295(*). Selon lui, l'individualisme moral aboutit à une sorte de cécité morale lorsqu'elle accorde l'autorité suprême à l'individu, car elle empêche le citoyen de voir d'autres choses encore plus meilleures. Selon Larmore, c'est le souci d'appliquer le principe de tolérance au coeur même de la philosophie politique qui conduit Rawls à faire du libéralisme une doctrine essentiellement politique. Il s'agit ici de donner une valeur intrinsèque à la reconnaissance, au respect que l'on doit aux personnes et aux peuples. La reconnaissance apparaît comme une condition préalable à la délibération rationnelle et ne peut faire l'objet d'une délibération. Il s'agit là d'un point où Rawls se révèle plus marxiste.

On a pu croire pendant longtemps que pour Marx, la reconnaissance vient à la fin de l'histoire. Ce qu'il nous paraît juste soutenir, c'est que le principe de reconnaissance doit être posé au départ. Il s'agit du point de départ déductif qui légitime et fonde la critique des mécanismes économiques. La dialectique historique de Karl Marx répond à une exigence de reconnaissance principielle de l'homme par l'homme, de l'homme comme l'homme dans la société. Ainsi le propre de l'homme se réduit à cette nécessité de reconnaissance, qui est en même temps une récupération historique de sa personne morale à travers le moment de l'aliénation où il se trouve dans le capitalisme. Cette nécessité de la reconnaissance d'autrui est idée directrice de l'histoire et par la même exigence de transcendance. Mais c'est au sein de l'immanence des mécanismes économiques (rapport des forces de production et des moyens de consommation), que Marx veut découvrir cette transcendance. Le principe de reconnaissance est au fondement de la méthode dialectique de Marx.

En tout cas, il semble paradoxal de poser la reconnaissance et le respect des personnes et des peuples comme des exigences morales ne pouvant être sujettes à discussion. Mais l'on doit cependant reconnaître que la reconnaissance et le respect s'imposent à notre imaginaire social comme des catégories politiques indispensables, parce que nos sociétés sont caractérisées par une variété irréductible et raisonnable de conceptions de vie bonne et de bien commun. Ainsi, face à la confrontation parfois violente et répétée des points de vues moraux, raisonnables et métaphysiques, la tolérance s'impose comme respect et reconnaissance des personnes et des peuples.

2. Quelques amendements sur le libéralisme politique de Rawls

Il va sans dire que la constitution d'un droit des peuples, c'est-à-dire un ensemble de normes politiques et morales qui régissent la société politique des peuples, est primordiale dans le libéralisme politique de Rawls. On a ainsi un système international organisé sur la base deux ordres juridiques correspondants à deux sphères d'application : la sphère domestique et la sphère internationale. Les principes de justice applicables dans la sphère domestique « interviennent dans le cadre simplifié d'une société que Rawls définit comme une « communauté nationale indépendante »296(*). Pour la sphère internationale, les principes qui s'y appliquent interviennent dans le respect de la souveraineté de chaque Etats.

Mais ce libéralisme politique mérite d'être révisé quant au privilège qu'il accorde à l'Etat souverain. Le dualisme institutionnel qui définit la théorie rawlsienne de la justice ne répond pas seulement à une simple exigence de simplification méthodologique. Il développe un ordre de priorité qui conditionne en même temps les droits des personnes et des peuples selon les domaines d'application. Même lorsque la complexité inhérente aux sociétés contemporaines est prise en compte, il va de soi que les personnes n'ont toujours pas à l'échelle internationale les même droits qu'elles détiennent dans les sociétés libérales. La même remarque s'applique aux peuples sans Etats qui se trouveraient lésés face aux peuples possédant un Etat souverain. Donc, dans la perspective rawlsienne, les droits individuels possèdent une priorité sur le droit des peuples dans un contexte national ; alors que dans la sphère internationale, les peuples ont plus d'importance que les individus. C'est le privilège accordé à l'Etat souverain qui pousse Rawls à adopter une attitude de tolérance vis-à-vis des Etats qui ne reconnaissent pas aux personnes les droits que leurs garantissent les sociétés libérales. Même lorsque Rawls veut réfléchir au sens du droit de sécession ainsi qu'aux règles gouvernant la fédération des peuples, il y a lieu de penser que ces droits sont moins importants que ceux qui s'appliquent aux peuples disposant d'un Etat souverain.

C'est là un inconvénient fondamental qui ne cadre pas avec ce que postule l'idée de nation d'un point de vue cosmopolitique. Car même si elle admet l'ambivalence de l'Etat-nation, elle ne souscrit pas à une distinction entre les sphères internationales et domestiques. L'idée de nation d'un point de vue cosmopolitique soutient une contrainte mutuelle entre les deux régimes de droits. Ces deux régimes de droits s'appliquent autant dans la sphère domestique que dans la sphère internationale. Cela dit, le « droit à l'indépendance » qu'est soutenu par le libéralisme politique rawlsien ne doit pas être vu comme une étape primordiale pour les peuples sans Etats de revendiquer un possible droit de sécession. Plutôt, le droit des peuples doit consister en des principes généraux ayant des signification et des incidentes différentes, selon qu'il s'applique aux peuples qui ont un Etat ou aux peuples sans Etats. Le droit des peuples à la souveraineté est un droit inaliénable, mais il doit avoir des incidences différentes selon qu'on se trouve en face d'un peuple détenant une souveraineté étatique ou non.

Dans ce cas les principes généraux du droit des peuples prennent l'allure des principes généraux d'une charte des droits de la personne. De même que l'égalité des personnes se décline différemment et adopte des incidences particulières en fonction des contextes de son application297(*), les principes du droit des peuples doivent être compris dans leur généralité pour pouvoir s'appliquer de façon équitable à l'ensemble des peuples, et des règles bien précises qui valent pour tous les peuples, qu'ils aient des Etats souverains ou en soient dépourvus. Mais ne sommes-nous pas en train de nous éloigner de l'humanisme du libéralisme politique rawlsien pour nous rapprocher de l'individualisme moral ? Le prétexte individualiste s'affirme à première vue. Car en établissant les principes généraux du droit des peuples sur le modèle des principes généraux d'une charte des droits de la personne, nous semblons soutenir que le droit des peuples doit s'identifier à un système de droits et libertés civiques et politiques promus par des institutions véritablement démocratiques. Ce qui revient à reconnaître une certaine priorité à l'autonomie individuelle. On pourra être tenté de réduire la tolérance aux sociétés démocratiques et dire que les deux régimes de droits doivent, pour paraphraser Habermas, être « co-originaires » et fondés sur une procédure de délibération sans entraves des citoyens libres dans leurs consciences et dans leurs opinions. Autrement dit, nous accordons implicitement un privilège à l'autonomie individuelle.

Mais tel n'est pas le cas. Notre défense de deux régimes de droits, individuels et collectifs, se veut respectueuse d'un équilibre entre les deux régimes de droits. Elle évite la subordination d'un régime à un autre. Et ce dualisme juridique offre un cadre institutionnel permettant à chaque individu de poursuivre ses fins rationnelles en fonction du rapport particulier qu'il choisit avoir avec son peuple. Les personnes qui privilégient les valeurs individuelles trouvent leur compte, et celles qui accordent une plus grande valeur à leur encrage communautaire ne se sentiront pas lésées car ce cadre institutionnel impose en même temps un ensemble de droit collectif s'appliquant aux peuples. Donc à première vue, on croit que la priorité est accordée à l'autonomie individuelle. Mais au fond, c'est une attitude de tolérance que nous traduisons entre deux façons de concevoir le rapport de l'individu à la société. Cette tolérance à l'égard des différents modes de vie axées sur les valeurs communautaires et individuelles est assurée en imposant côte à cote deux régimes de droits à l'intention des personnes et des peuples.

Ainsi l'objection individualiste évoquée, repose sur une triple méconnaissance. D'abord, elle méconnaît les deux procédures de délibération politique que sont, la procédure individuelle et la procédure collective. Elle méconnaît ensuite la distinction entre les critères de rationalité individuelle et collective qui interviennent dans ces deux procédures de délibération. Enfin, elle méconnaît la distinction entre les deux règles d'approbation qui accompagnent ces deux procédures de délibération : le consentement individuel et la règle de la majorité. Il y a donc deux procédures de délibération ; l'une impliquant les groupes, l'autre les individus ; on a ensuite deux sortes de représentation politique, la représentation individuelle et la représentation collective ; et deux sortes de ratification, le consentement individuel et la règle de la majorité. Et c'est la tolérance qui nous force à respecter les différences entre ces deux sortes de procédures délibératives.

3- L'idée de nation d'un point de vue cosmopolitique et la question de la justice distributive à l'échelle mondiale.

Pour comprendre si l'idée de nation d'un point de vue cosmopolitique peut impulser une interprétation du libéralisme politique pouvant conduire à une approche progressiste susceptible d'universaliser le principe de différence, peut être faudrait-il commencer par préciser en quoi consiste le principe de différence.

En tant que principe de justice distributive, le principe de différence offre deux aspects importants. Il offre une sécurité sociale et une obligation morale de maximiser le minimum. Ceci s'applique aux individus comme aux peuples. Il prend chez Rawls la forme d'un principe de justice maximum pouvant s'appliquer dans le cadre d'une économie capitaliste et d'une économie socialiste. Dans le cadre socialiste, il prend la forme du « socialisme libéral ». Dans le cadre capitaliste, il prend la forme d'une « démocratie des propriétaires ». Ici, la justice distributive doit maximiser le transfert du capital, des moyens de production et des pouvoirs de décision. Les objets de distribution appartiennent à la structure de base de la société et à la société internationale. A cet effet le transfert des ressources naturelles n'intervient pas comme objet de justice distributive.

Dans ce cas l'inégalité des ressources naturelles entre les peuples ne doit pas être considérée comme une injustice. Si ces différences de ressources naturelles ne sont pas causées par des facteurs de développement inégal au sein de la société internationale, il s'agit d'inégalités qui ne sont nécessairement pas injustes. Ainsi, la justice distributive ne cherche pas à corriger les inégalités résultantes du comportement volontaire et coupable des individus ou des peuples. Ces questions sont du ressort des Etats souverains. Cela dit on peut lire l'injustice sur un double plan en rapport avec la justice. Sur le plan procédural, on peut lire l'injustice dans l'application d'une procédure de libération faisant intervenir, dans les débats portants sur la justice sociale et la justice internationale, la considération de nos talents et de nos ressources naturelles. Sur le plan substantiel, on peut lire l'injustice dans l'acceptation des inégalités au niveau du capital, des moyens de production et des pouvoirs de décision. La justice exige la dotation des ressources financières et des capacités de développement infrastructurelles et des pouvoirs de décisions permettant aux peuples de développer au maximum les ressources dont ils disposent.

Cette interprétation de la justice distributive nous oblige à réévaluer l'interprétation qui a souvent été faite du principe de différence. Il est souvent affirmé, et de façon orthodoxe, que le principe de différence justifie les inégalités uniquement si elles servent à maximiser le minimum. Cela peut s'interpréter de deux manières. Tout d'abord on peut entendre ici que de façon général, les inégalités quelles qu'elles soient, ne sont justifiables que si elles sont utilisées comme des instruments au service de l'amélioration des conditions des plus démunis. Mais on peut aussi dire que la justification des inégalités ne s'applique qu'aux biens affectant le développement optimal de la structure de base de la société locale ou de la société internationale, sans tenir compte des inégalités résultant des talents et des ressources naturelles. Autrement dit, seuls les inégalités relatives aux talents individuels et aux ressources naturelles sont justifiables, même si elles ne sont pas mises au service de la maximisation du sort des plus défavorisés. Cela est valable pour les individus comme pour les peuples, pour les Etats comme pour la société internationale.

Ainsi, on n'affirme plus religieusement qu'avec le principe de différence, les seules inégalités justifiables sont celles qui résultent de la volonté de maximiser le sort des plus démunis. Certes, les inégalités relatives aux talents individuels et aux ressources naturelles engendrent des inégalités dans les biens appartenant à la structure de base de chaque société. Mais ces biens doivent ensuite être distribués à l'avantage des plus défavorisés et dans des conditions qui n'entravent pas la permanence d'une telle distribution. Le principe de différence, dégagé de la simplicité de l'interprétation égalitariste traditionnelle, pose que la répartition maximale est celle qui n'entrave pas la possibilité d'une maximisation du minimum à long terme. En plus de cela, il soutient que le transfert des biens institutionnels (capital, moyen de production, centre de décision) doit s'effectuer jusqu'à ce que les individus et les peuples parviennent à un niveau de développement qui est fonction des talents et des ressources dont ils disposent. Tel est le sens profond du principe de différence.

Cependant, une remarque mérite d'être faite. Elle concerne l'idée que dans le sens profond du principe de différence, les inégalités entre les individus et les peuples au niveau des talents et des ressources naturelles ne sont pas nécessairement injustes. Une interprétation simpliste du principe de différence établit que Rawls défend la thèse selon laquelle les talents individuels et les ressources naturelles sont des faits moralement arbitraires, et pour lesquels les individus et les peuples ne sont pas moralement responsables. A cet effet, ils doivent être considérés comme des possessions collectives298(*). Mais en réalité, la thèse essentielle de Rawls est que les talents et les ressources naturelles ne sont pas les objets pour lesquels il y aurait des propriétaires. Les talents ne sont pas eux-mêmes des objets nécessitant une distribution égalitaire. C'est plutôt la distribution des talents qui doit être traitée comme s'il s'agissait d'un bien commun. Ainsi, il ne s'agit pas d'envisager une distribution égalitaires des talents, mais plutôt d'apprécier le fait que leur complémentarité est un bien collectif. On peut dire la même chose pour ce qui est des ressources naturelles qui constitue un patrimoine commun à l'humanité, et non les ressources elles-mêmes.

A cet effet le principe de différence devient moins un principe de réparation, et plus une manière particulière de gérer ce bien commun qu'est la distribution et la complémentarité des talents et des ressources naturelles. Il est l'expression d'un consensus portant sur le bien commun de la diversification et de la complémentarité des ressources naturelles de l'humanité entière.

De cette interprétation du principe de différence, nous aboutissons à une conception de la justice distributive qui s'applique aux individus et aux peuples, et qui se situe en de ça et au delà des principes de liberté des personnes et des peuples. Cette conception possède une dimension charitable, en ce qu'elle pose le devoir d'assistance aux individus et aux peuples en situation de détresse, à l'échelle locale comme à l'échelle internationale. Mais au-delà de ce seuil charité, il faut chercher à maximiser le capital, les moyens de production, et les pouvoirs de décisions aux individus et aux peuples, à l'échelle locale et internationale. On contribue ainsi à réaliser au sein de la société, à l'échelle nationale et internationale, le maximum pour que les individus et les peuples parviennent à un plein développement, en fonction des ressources dont ils disposent. A ce niveau, les seules inégalités pouvant être justifiables seraient celles requises pour le maintient d'une richesse pouvant servir les objectifs d'une redistribution juste et celles relatives aux talents et aux ressources naturelles.

On a une approche de la justice distributive qui unit le nationalisme et le cosmopolitisme au profit de la justice sociale. Elle rejette aussi bien la sublimation des droits individuels que la primauté des droits collectifs. Elle procède d'un pluralisme axiologique et se base sur une conception cosmopolitique et nationaliste de la personne et des peuples, inscrivant ainsi le nationalisme dans un combat pour la justice sociale tout en interpellant le cosmopolitisme sur la nécessité d'une autonomie des peuples au plan national. Elle tranche sur le débat entre nationalisme et cosmopolitisme, débat qui oppose la vision partiale nationaliste du rapport au monde à la vision impartiale cosmopolitique.

Certains défenseurs du nationalisme, comme David Miller, soutiennent que la justice sociale exige des conditions confiance solidaire qui ne peuvent être garanties que par la nationalité299(*). Ainsi le nationalisme implique nécessairement un point de vue partial à l'égard de se membres, et s'oppose au cosmopolitisme qui considère de manière impartiale les droits des individus. Mais ce débat nous semble mal posé, puisque de nos jours, dans le cadre d'un droit des peuples juste et raisonnable, il est possible pour les individus de faire preuve de partialité à l'endroit de leurs proches, en acceptant les contraintes raisonnables issues du droit des peuples. A cet effet, le nationalisme comme l'entend Miller est contestable. Le nationalisme peut aussi adopter une position impartiale qui affirme les droits collectifs de tous les peuples et non seulement de son propre peuple. Dans ce cas, la défense de son propre peuple doit se faire dans le but d'appliquer l'égalité des peuples comme principe politique, et non dans un but égocentrique de privilégier son propre peuple.

Un nationalisme prenant la forme impartiale de l'affirmation des droits collectifs de tous les peuples n'entre pas en contradiction avec le cosmopolitisme. Inversement, si le cosmopolitisme ne s'appuie pas sur un individualisme moral, il peut être compatible avec le nationalisme. Dans ce cas, la solidarité cosmopolitique suppose, d'une part que soit établi la reconnaissance mutuelle et le respect entre les peuples. D'autre part, la justice cosmopolitique ne peut être envisageable sans la reconnaissance du droit qu'ont les peuples à un développement égal et à une infrastructure adaptée à leurs besoins.

4- Justification philosophique de l'accord entre un régime de droit des peuples et le libéralisme politique.

Quel argument philosophique pouvons-nous évoquer pour justifier l'adoption d'un système de droits collectifs dont les bénéficiaires seraient les peuples, et qui peut parfois restreindre raisonnablement les libertés individuelles ? Peut-on raisonnablement contraindre les libertés individuelles par un ensemble de droits collectifs ? Le libéralisme politique se caractérise par la primauté du juste sur le bien, affirmant ainsi la primauté du droit sur les obligations morales particulières. Dans ce cas, le droit ne résulte pas d'une obligation de respect à l'égard des capacités métaphysiques des personnes et des peuples. Et la justice internationale ne s'affirme pas sous la forme d'une reconnaissance des objectifs collectifs, mais des droits collectifs. Par conséquence le libéralisme politique doit s'ouvrir à la reconnaissance des droits collectifs, car c'est le seul moyen d'assurer une politique de la reconnaissance entre les peuples. Cela conduit à l'adoption de deux régimes de droits, individuels et collectifs, que l'on cherche à équilibrer et qui se restreignent mutuellement.

Mais il faut noter qu'il y a une différence fondamentale entre les restrictions provenant des libertés individuelles et celles provenant des droits collectifs. La différence tient du fait que dans le cas des libertés individuelles, les droits et libertés limitent déjà entre eux, et on peut penser que, de cette manière, on accroît la liberté individuelle de tous. La liberté d'expression est limitée par les politiques contre la littérature extrémiste. Le droit à la vie est limité par le droit de procéder dans certains cas à l'avortement ou à l'euthanasie. Le droit public à l'information est limité par le droit à la vie privée. La liberté d'association par les lois contre les associations des malfaiteurs.

A cela, l'individualisme moral ajoute que les libertés politiques positives (libertés des anciens) contraignent les libertés civiques négatives (liberté des modernes). Cela signifie que la liberté d'un individu est limitée par ses obligations citoyennes, les obligations qui se traduisent par la participation citoyenne aux pouvoirs de délibération d'élection, ainsi qu'aux pouvoirs législatifs et exécutifs au sein de la société. Ainsi, la mise en place au sein de la société d'un système de libertés positives se justifie par le fait qu'elle représente une valeur instrumentale pour la satisfaction des libertés individuelles civiques. Les libertés politiques viennent limiter les libertés civiques, ceci pour favoriser dans l'ensemble la liberté individuelle300(*). Voilà comment peut s'exprimer, de façon essentielle, la différence entre les contraintes liées au système des droits individuels, et les contraintes liées à une approche qui favorise l'aménagement d'un système de droits collectifs pour les peuples.

Ainsi interprété du point de vue individualiste, le libéralisme accordera au droit des peuples une valeur instrumentale pour la satisfaction des libertés individualistes. Selon Kymlicka, les cultures sociétales complètes, que sont les peuples, doivent être valorisées d'un point de vue libéral parce qu'elles sont les conditions de possibilité de l'exercice de la liberté individuelle. L'individu considère sa culture sociétale comme un cadre d'exercice essentiel pour sa liberté. A cet effet, il accorderait à sa propre culture sociétale le statut d'un bien social premier et lui ferait jouer un rôle important dans l'estime qu'il a de lui-même. Non seulement on affirme que la culture sociétale aurait un rôle crucial à jouer et constituerait un bien social premier, on prétend aussi que les individus traitent leur propre culture sociétale nationale comme un bien social premier jouant un rôle important sur l'estime soi. L'individu est encore une fois la seule source, la source ultime de revendication légitime. Les droits collectifs des peuples seront les droits détenus, réclamés et justifiés par les individus.

Le problème avec cette justification individualiste est qu'elle reste trop superficielle. Les individus n'ont pas tous, dans la réalité, une telle opinion de la valeur de leur propre culture sociétale nationale, ou mieux, ils ne considèrent toujours pas leur culture sociétale comme un bien social premier jouant un rôle important dans la liberté individuelle, mais les individus peuvent refuser d'accorder à leur propre culture sociétale, la première place dans leur palmarès d'allégeance. Ce qui place l'individualisme moral dans une situation délicate : en considérant ce fait, on peut soit continuer à accorder aux groupes une valeur dérivée à partir de celle qui leur est accordée par les individus ou se trouver obliger de tout reconnaître les droits collectifs. Mais, ces deux approches nous paraissent insatisfaisantes.

Il est possible de parvenir à une justification libérale des droits collectifs sans s'accrocher à un individualisme moral supposant une préférence rationnelle partagée et liée à l'estime de soi. De plus on peut y parvenir sans reconnaître à tous les groupes et non seulement aux peuples, une valeur équivalente. Pour cela, il faut que deux conditions soient remplies. D'abord il faut admettre que les personnes se représentent majoritairement comme des membres de cultures sociétales nationales particulières. Ensuite, il faut que ces personnes veuillent que leur culture sociétale continue d'exister, et qu'elles consentent à ce qu'elles soient protégées. Ces conditions sont compatibles avec le fait que certaines personnes n'accordent pas beaucoup d'importance à leur propre culture sociétale. Ainsi notre justification ne suppose pas l'unanimité sur le rôle fondamental que joue la culture sociétale dans l'estime que les individus se font d'eux-mêmes. La culture sociétale nationale peut occuper une place différente dans les différents palmarès d'allégeance individuelle.

A cet effet, on peut évoquer l'argument de la diversité culturelle dans la société internationale. Il s'agit d'un argument emprunt d'un réalisme minimal, qui s'appuie sur la raison publique et n'exploite que les ressources du libéralisme politique. La société internationale reste en grande partie personnifiée par les cultures sociétales nationales. Certes le modèle classique de l'Etat-nation et le principe de la souveraineté étatique sont de plus en plus contestés. Pour cette raison, la société internationale ne se définit plus en référence au modèle simplifié de l'Etat nation souverain. On lui admet désormais différents modèles d'organisation politique, qui peuvent être les Etats-nations, mais aussi des Etats multinationaux, des fédérations multinationales, des fédérations d'Etats-nations, des confédérations d'Etats souverains, ou des organisations internationales regroupant des Etats souverains. Mais reste que dans tous ces modèles d'organisations politiques, la culture sociétale reste présente. Et les cultures sociétales nationales revêtent même le statut d'Etats fédérés dans les fédérations multinationales. Ce qui confirme l'importance des cultures sociétales nationales dans la société internationale. Dans ce cas on peut adopter le principe de la valeur de la diversité culturelle comme argument de justification d'une politique de la reconnaissance prenant la forme d'un double système de droits, collectifs et individuels, se contraignant mutuellement.

L'argument politique évoqué ici respecte la diversité irréductible des points de vue résultant des théories compréhensives, en mettant en selle seulement des faits pertinents aux sujets de la culture politique internationale. C'est de cette manière qu'on parvient à une justification des droits collectifs compatible avec le libéralisme politique. Mais cette argumentation n'est pas circulaire. En invoquant la valeur de la diversité culturelle, nous optons pour un régime normatif de protections collectives destinées aux diverses cultures sociétales nationales tout en cous éloignant de l'individualisme moral. C'est en invoquant un argument réaliste au sujet d'une tendance observée au sein de la communauté internationale que nous parvenons à justifier la valeur de la diversité culturelle.

C'est Thomas Nagel qui a pu présenter une version audacieuse de cette justification. Il montre que cette justification tient lieu au pluralisme naturel de l'humanité et à la nécessité de favoriser une expression politique et individuelle de ce pluralisme. Cela y va même de la continuité historique de certaines nations et peuples dont l'expression collective doit se matérialiser « par un choix collectif de lois de politiques et d'institutions, par un processus auquel participent les différentes composantes de ces peuples ou de ces nations »301(*)

L'on ne peut plus concevoir une politique de la reconnaissance ou penser la question de la justice internationale sous la modalité de l'hétéronomie de la moralité. La pondération qui accompagne l'adoption d'un régime normatif de protections collectives destiné aux diverses cultures sociétales nationales, exige la reconnaissance d'une valeur morale particularités et aux partialités. Mais cette reconnaissance doit se faire dans les limites de l'exigence d'impartialité, c'est-à-dire qu'elle doit valoir pour toute communauté similaire. Dans ce cas la validité morale des frontières n'est plus instrumentale, mais intrinsèque et doit être prise en compte dans la détermination des limites plausibles à une solidarité envahissante

CONCLUSION GENERALE

La double interrogation qui a orienté toutes les réflexions menées dans ce travail se présentait ainsi: quelles sont les conditions de possibilité d'une émancipation du vécu politique des carcans de l'injustice? L'autonomie rationnelle peut-elle aider à la déconstruction, mieux à la refondation des systèmes de répression par lesquels l'idéologie capitaliste néolibérale a conditionné la justice cosmopolitique (Banque mondiale, F.M.I et autres organismes internationaux)?

Tant une vague idéologique tente d'extraire de l'espace public les considérations prescriptives de la morale et du droit, pour fonder le rapport au monde, mieux la coopération sociale et internationale sur une rationalité de la domination. Les effets pervers de cette dernières sont visibles au quotidien: oppression, répression, mystification démagogique du politique issue du cynisme technocratique, l'extorsion continue de la plus-value des pays du centre à ceux qui se trouvent dans la périphérie du monde, entraînant ainsi le mal vivre, la souffrance, l'ajournement continu de la promesse de vie meilleure.

Quelle attitude faut-il adopter face à une globalisation qui impose la domination comme modalité de l'action politique? Faut-il se résigner à la démission et sombrer dans la voie d'un pessimisme axiologique ou est-il encore possible d'entrevoir dans l'univers sombre des "dominés", la beauté d'un horizon porteur d'un projet de libération? Les enjeux de telles interrogations posent le problème de l'autonomie politique, et celui ci suppose la prise en considération des choix politiques des individus et des peuples. L'autonomie introduit le choix, c'est l'affirmation de soi face au réel et responsabilité face à l'être au monde de l'autre. Certes aux yeux de certains, l'existence d'un monde social affranchi de la domination est une utopie, mais la catégorie d'autonomie dans la réalité des institutions sociales, et même dans la vie collective, des perspectives permettant une critique franche des abus et des injustices.

Comment s'articule donc dans la théorie de la justice comme équité, le problème de l'autonomie? Et dans quelle mesure cette articulation peut-elle s'envisager comme critique d'une histoire qui a fondée la coopération sociale et internationale sur des normes hétéronomes? La pensée de Rawls fournie une lecture non homogène de l'autonomie. Cela s'explique par le fait qu'à l'intérieur de cette pensée, il y a une discontinuité entre l'Etat-nation démocratique et le monde, entre le national et l'international. Au niveau national, l'autonomie politique ouvre la perspective de l'égalité démocratique interprétée en terme d'équité, c'est-à-dire la quête d'un équilibre entre la maximisation du sort des plus défavorisés et la préservation des intérêts des plus nantis. En fait il s'agit pour Rawls de parvenir à une forme d'organisation sociale qui intègre l'amélioration des conditions de plus démunis comme modalité fondamentale de l'action politique. Et cela passe par une redéfinition du rapport entre justice distributive et efficacité économique. Au niveau international, la modalité de justice distributive définie au niveau national cède la place à une politique de la tolérance, de la charité paternaliste et de la guerre juste. A cause de son souci d'équilibre social et par son rapport à l'utopie, la pensée de Rawls est importante pour envisager l'effectivité de la possibilité d'un monde meilleur. L'attention accordée au problème de la misère dans le monde est plus qu'important pour nous: la solution rawlsienne s'oppose à justice distributive internationale et milite pour la refondation en justice des espaces publics des pays du Tiers monde.

Evaluer la théorie de la justice comme équité revient à évaluer dans celle-ci un versant critique et un versant politique. Le problème de l'autonomie politique tel que le résout Rawls, nous a servi sur un plan critique, dans la déconstruction du discours de l'ajustement au monde fondé sur l'hétéronomie des normes politiques. Mais cette solution au problème de l'autonomie politique reste insatisfaisante sur la stratégie de transformation globale qu'elle propose. Mai même si son orientation de politique globale reste insatisfaisante, la théorie de la justice comme équité, en tant que critique d'une histoire, pose néanmoins les jalons pour une conception de l'autonomie politique qui peut être un véritable fondement pour une politique de libération.

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INDEX

A

Adorno, 3

adversité, 47

Afrique, 3, 60, 79, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95

ajustement, 6, 21, 51, 79, 83, 87, 88, 89, 91, 92, 95, 98

Attar, 51

Audard, 4, 6, 7, 13, 21, 22, 23

autonomie, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 24, 31, 33, 34, 37, 41, 49, 50, 59, 60, 66, 68, 69, 72, 75, 77, 79, 86, 88, 90, 92, 95, 98, 116, 117, 120, 121, 123, 124, 125, 126, 128, 129, 133, 134, 137

rationnelle, 8, 10, 12, 77

autonomie complète, 7, 10, 12, 31

autonomie doctrinale, 8, 10, 41

autonomie individuelle, 60, 134

B

Barry, 53, 70, 73

Beitz, 53, 56, 73

Benjamin CONSTANT, 121

Bidet, 26

biens premiers, 22, 23

biens publics, 29, 40, 83

C

capitalisme, 39, 40, 112, 132

Cassirer, 17

citoyen, 26, 29, 30, 38, 40, 43, 86, 96, 103, 129, 131

citoyenneté cosmopolitique, 79, 86, 87, 98

civilité, 43, 47, 108

Cohen, 28, 29

commerce, 45, 102, 108

communication, 13, 18, 81, 121

concurrence, 7, 39, 40, 121

conditions défavorables, 52, 56, 57

conscience démocratique, 32

consensus, 14, 28, 29, 30, 46, 60, 71, 72, 74, 75, 106, 107, 113, 127, 136

constitution, 4, 13, 17, 19, 22, 23, 31, 32, 59, 85, 102, 106, 116, 132

constructivisme politique, 20, 107

cosmopolitisme, 14, 53, 55, 56, 73, 78, 79, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 91, 92, 96, 97, 98, 128, 129, 136, 137

cosmopolitisme ouvert et infini, 14

critique, 3, 6, 9, 10, 12, 14, 17, 19, 20, 21, 22, 24, 27, 30, 31, 32, 40, 41, 43, 48, 55, 57, 62, 63, 65, 66, 67, 69, 70, 71, 73, 75, 78, 83, 87, 88, 90, 91, 93, 98, 103, 112, 119, 123, 125, 131, 132

Critique sociale, 10

D

débat consensuel, 24

débat critique, 24

décisionnisme politique, 9, 15, 16

délibération rationnelle, 25, 26, 27, 31, 131

démocratie constitutionnelle, 7, 20, 23, 37

démocratie des propriétaires, 39, 40, 56, 134

démocratie libérale, 13, 15, 16, 20, 24, 25, 31, 37, 42, 47, 51, 52, 60, 61, 70, 72, 95

désobéissance civile, 28, 29, 103

devoir, 17, 19, 47, 48, 49, 53, 56, 66, 108, 109, 124, 126, 136

devoir d'assistance, 44

diplomatie, 45, 108, 111

doctrines compréhensives, 20, 24, 46, 60, 106, 107

domination, 3, 13, 15, 35, 40, 60, 75, 77, 88, 99, 120, 122

droit, 3, 5, 6, 8, 13, 15, 16, 18, 19, 20, 22, 23, 24, 32, 33, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 56, 58, 59, 60, 62, 65, 66, 67, 69, 70, 71, 73, 74, 75, 77, 78, 79, 81, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 90, 91, 94, 95, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 107, 109, 110, 112, 113, 115, 120, 121, 122, 123, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 137, 138

Droit des gens, 43, 44, 45, 47, 52, 56, 100, 116, 130

droit des peuples, 43, 44, 57, 85, 127, 128, 133, 137

droits de l'homme, 29, 44, 46, 50, 51, 52, 74, 78, 80, 82, 86, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 120, 127, 128

E

économie de marché, 38, 39

efficacité, 6, 8, 22, 27, 28, 38, 39, 54, 65, 119

efficacité économique, 38, 119

Egalité, 87, 140

équilibre réfléchi, 24

espace public, 74

Etat, 3, 6, 12, 15, 19, 23, 26, 28, 29, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 38, 39, 42, 43, 44, 50, 53, 55, 60, 62, 64, 65, 67, 70, 72, 73, 74, 75, 78, 80, 81, 82, 83, 85, 86, 87, 89, 95, 96, 99, 102, 103, 104, 106, 110, 112, 115, 116, 117, 122, 127, 128, 129, 130, 132, 133, 139

état de nature, 26, 48, 49, 60, 67

Etat social, 20

Etat-Nation, 12, 86, 87

éthique normative, 23

Europe, 3

expérience de pensée, 27, 29

F

fédération des peuples, 47, 133

G

globalisation, 8, 53, 73, 81, 85

guerre juste, 49, 50, 57

H

HABERMAS, 80, 83, 84, 85, 86, 133

Harsanyi, 20, 21

Hegel, 48, 58

Heidegger, 17

hétéronomie, 6, 16, 18, 41, 59, 77, 119

Hobbes, 15, 26, 27, 33

Hoffmann, 50

humanité, 3, 78, 110, 126

Hume, 27

I

idéologie, 8, 24, 78, 79, 101, 111, 112

immanence, 10, 12, 13, 14, 24, 30, 58, 75, 119, 120, 132

impératif catégorique, 16, 17, 23, 24, 66, 124

individu, 5, 13, 14, 15, 21, 22, 29, 35, 38, 53, 59, 61, 62, 63, 64, 65, 67, 86, 92, 95, 98, 102, 104, 123, 127, 129, 131, 134, 138

individualité, 13, 14, 22, 33, 70, 120, 121, 123, 124, 125

inégalité, 6, 31, 35, 36, 135

injustice, 7, 8

institutions politiques, 7, 31, 33, 37, 38, 39, 44, 51, 52, 82, 100, 105

institutions sociales, 4, 8, 29, 30, 32, 41, 52, 66, 68, 81, 82

internationalisme, 43, 47, 49

intersubjectivité, 13, 17, 36, 91, 121

J

Jaffro, 21

juste, 2, 4, 5, 6, 15, 19, 20, 28, 30, 35, 36, 38, 39, 41, 45, 46, 54, 57, 60, 64, 69, 72, 74, 75, 83, 86, 87, 100, 106, 112, 114, 119, 120, 122, 125, 126, 129, 131, 136, 137

justice, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 20, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 63, 64, 65, 66, 68, 69, 71, 72, 73, 74, 75, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 86, 87, 95, 98, 99, 100, 102, 103, 105, 106, 107, 108, 116, 119, 125, 127, 128, 130, 131, 132, 134, 135, 136, 137

justice distributive, 53, 56, 73, 74, 131, 134

justice internationale, 55, 81, 83, 116, 127, 131, 135

K

Kant, 7, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 23, 24, 26, 33, 41, 46, 48, 58, 124

L

Lalande, 19, 43

le juste, 125

Libéralisme politique, 7, 13, 19, 24, 31, 32, 34, 53, 72, 74, 101, 106, 113, 116, 128

liberté, 4, 5, 6, 7, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 25, 26, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 41, 43, 47, 56, 57, 60, 62, 63, 64, 65, 66, 68, 69, 74, 75, 80, 88, 91, 92, 94, 99, 100, 102, 104, 105, 115, 121, 122, 123, 125, 136, 138, 139

libertés individuelles, 22, 37, 137, 138

lien social, 38, 40, 41

M

marché, 38, 39, 40, 41, 64, 93, 95, 98

MARX, 131

Maximin, 22, 56

MBEMBE, 90, 91, 92, 93, 94, 95

métaphysique, 6, 7, 16, 20, 23, 24, 59, 67, 69, 75, 101, 107, 113, 129, 130

monde intelligible, 7, 17, 18, 19

monde sensible, 7, 17, 18

N

Nasser, 50

normes éthiques, 8

normes politiques, 14, 26, 45, 59, 77, 92, 116, 120

normes sociales, 14, 29, 60, 71, 120, 125

Nozick, 8, 9, 62, 64, 65, 66

O

Occident, 3, 15, 44, 46, 88, 89

ordre international, 44, 53, 56, 59, 73, 78, 79, 88, 98

P

paix internationale, 48

partenaire, 50

participation politique, 34, 35, 36, 37

personne, 5, 13, 18, 19, 21, 22, 24, 27, 28, 33, 34, 43, 51, 53, 54, 60, 66, 68, 80, 81, 96, 101, 103, 104, 105, 106, 107, 123, 124, 125, 128, 129, 131, 132, 133, 136

philosophie de l'histoire, 18, 83

philosophie de la conscience, 29

philosophie du contrat, 29

philosophie morale, 16, 19, 21, 23, 31

philosophie politique, 2, 4, 9, 12, 14, 25, 30, 36, 43, 58, 62, 70, 105, 120, 121, 122, 123, 131

Platon, 2, 13, 55

plein emploi, 39

pluralisme raisonnable, 16, 41, 45, 127

politique internationale, 45, 46, 56, 79, 81, 85, 88, 94, 107, 109, 110, 111, 116, 117, 128, 139

position originelle, 5, 21, 24, 25, 26, 27, 30, 32, 46, 53, 54, 55, 59, 67, 80, 81, 125, 128, 130, 131

pression diplomatique, 52

principe de différence, 4, 5, 22, 29, 30, 34, 36, 37, 39, 40, 53, 55, 60, 81, 131, 134, 135, 136

priorité lexicale, 37, 130

proposition synthétique, 17

propriété privée, 27, 38, 45

R

raison délibérante, 26

raison pratique, 13, 17, 18, 19, 24, 25, 29, 49

raison publique, 14, 15, 16, 20, 43, 44, 51, 72, 100, 107, 115, 139

raisonnable, 7, 9, 18, 25, 26, 27, 33, 44, 47, 49, 50, 54, 57, 58, 75, 100, 106, 123, 125, 129, 132, 137

rapports inégaux, 2

rapports marchands, 40, 41

rationnel, 9, 22, 23, 25, 26, 27, 30, 33, 37, 43, 67, 68, 69, 107, 123, 124, 125

Rawls, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 12, 13, 16, 17, 18, 19, 20, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 59, 60, 61, 62, 63, 65, 67, 68, 71, 72, 73, 74, 77, 78, 79, 101, 105, 106, 107, 113, 116, 125, 126

relations internationales, 12, 44, 47, 48, 49, 50, 51, 53, 56, 57, 58, 73, 74, 75, 78, 80, 81, 85, 88, 89, 94, 95, 99, 101, 107, 111, 116, 127

Rousseau, 26, 31, 33, 58, 60

S

Scanlon, 53

Schmitt, 15, 16

secteur privé, 33, 34, 35

secteur public, 33, 34, 35

Sen, 21, 56

séquence des quatre étapes, 31

socialisme, 37, 39, 41, 101, 102, 105, 106, 134

socialisme d'Etat, 39

socialisme démocratique, 39

société, 3, 4, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 19, 23, 24, 25, 26, 28, 29, 31, 32, 33, 35, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 63, 64, 66, 67, 68, 70, 71, 72, 73, 74, 78, 80, 81, 83, 87, 91, 96, 100, 101, 102, 103, 104, 106, 107, 108, 113, 115, 116, 120, 124, 125, 128, 129, 130, 132, 134, 135, 136, 138, 139

société bien ordonnée, 53

société civile, 64

société démocratique, 4, 28, 30

société idéale, 30

société internationale, 135, 139

société libérale, 45, 51, 73

sociétés africaines, 6, 60, 91, 92, 93, 95

sociétés hiérarchiques, 44, 45, 56, 74, 75, 128

souveraineté, 3, 15, 16, 17, 41, 49, 50, 51, 60, 73, 77, 79, 82, 83, 84, 99, 103, 106, 108, 116, 127, 132, 133, 139

Stuart-Mill, 21

sujet de droit, 20, 23

sujet moral, 17, 19, 23

sujet nouménal, 20, 23

sujet politique, 5, 20, 59, 60, 69

T

théorie contractualiste, 29, 44

théorie des institutions, 32

théorie idéale, 44, 45, 46, 47, 57

théorie non idéale, 44, 47, 52, 57

théorie normative, 43

théorie politique, 8, 13, 16, 19, 37, 69

théorie sociale, 14, 64, 65, 90, 94

transcendance, 7, 14, 15, 18, 19, 24, 120, 123, 124, 132

Tropiques, 3

Tucker, 51

U

utilitarisme, 6, 9, 20, 21, 22, 24, 27, 30, 31, 38, 55

utilité, 8, 21, 22, 28, 30, 31, 68, 111

utilité marginale, 21

utilité totale, 21

utopie, 12, 41, 43, 56, 57, 58, 75, 94

V

valeurs, 3, 4, 13, 14, 16, 19, 21, 24, 30, 33, 47, 51, 67, 68, 72, 73, 80, 85, 101, 102, 106, 107, 109, 114, 121, 127, 130, 134

violence, 28, 29, 91, 94

voile d'ignorance, 5, 20, 21, 23, 25, 27, 29, 30, 31, 32, 46, 53, 54, 59, 81

W

Walzer, 50, 70

TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS II

RESUME III

ABSTRACT IV

INTRODUCTION GENERALE 1

I- Présentation du travail 2

II- Problématique 8

PREMIERE PARTIE 11

ENJEUX DU CONCEPT D'AUTONOMIE DANS LA  THEORIE DE LA JUSTICE COMME EQUITE 11

CHAPITRE I : DE L'ETAT-NATION DEMOCRATIQUE... 13

A. DE L'AUTONOMIE DOCTRINALE D'UNE CONCEPTION DE LA JUSTICE... 13

1. L'idée de Raison Publique 14

2. De la notion de position originelle. 25

B. À L'AUTONOMIE POLITIQUE DES CITOYENS D'UNE DEMOCRATIE. 31

1. Nature des institutions politiques justes. 33

2. Les institutions économiques justes. 38

CHAPITRE II : AU MONDE 43

A. LE PROBLEME DE LA JUSTICE INTERNATIONALE COMME EXTENSION DU LIBERALISME POLITIQUE DANS LES RAPPORTS INTERETATIQUES. 44

1. La théorie idéale 45

2. La théorie non idéale. 47

CHAPITRE III : INTERROGATION SUR LA  THEORIE DE LA JUSTICE COMME EQUITE. 59

A. SOUVERAINETE DU SUJET ET OBJECTIVITE DES NORMES POLITIQUES : LA QUESTION DU RAPPORT ENTRE L'INDIVIDU ET LA COMMUNAUTE. 59

1. Les paradoxes de l'individualisme méthodologiques 59

2. Une défense nonchalante de la différence 71

B. LES LIMITES DU DUALISME PRINCIPIEL DANS LA JUSTICE POLITIQUE INTERETATIQUES 73

1. Le problème du paradigme étatique dans le droit des gens 73

2. Le problème de la prééminence du principe de tolérance dans le droit des gens rawlsien 74

3. Le dualisme principiel et le problème de l'historicisme chez Rawls 74

CHAPITRE IV : LE DROIT INTERNATIONAL : ENTRE LE REALISME POLITIQUE DE RAWLS ET L'IDEALISME MORAL ET INDIVIDUALISTE DU COSMOPOLITISME. 79

A. THEORIE DE L'IDENTITE POSTNATIONALE ET LA QUESTION DE LA CONSOLIDATION DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE. 79

1. Le rôle d'une justice distributive entre les peuples. 80

2. Solidarité internationale et démocratie supranationale : Le cosmopolitisme radical de Jürgen Habermas. 83

B. MODERNITE AFRICAINE ET L'AJUSTEMENT A LA MONDIALISATION NEOLIBERALE : LES ENJEUX POLITIQUES DU  POST COLONIALISME. 88

1. Philosophie de l'ajustement : un contrepoids idéologique aux revendications africaines pour la restructuration de l'ordre économique et politique mondial. 88

2. Authenticité politique et autonomie sociale. 95

CHAPITRE V : LES DROITS DE L'HOMME DANS LA POLITIQUE INTERNATIONALE : QUELLE PLACE POUR LA SOUVERAINETE ? 99

A- LE LIBERALISME POLITIQUE RAWLSIEN ET LA QUESTION DE LA REARTICULATION DES DROITS DE L'HOMME. 101

1- La revendication sociale comme problème politique : genèse et enjeux. 102

2-Rawls et la réarticulation des droits libertés et des droits créances. 105

3- Du non droit du droit d'ingérence humanitaire 109

TROISIEME PARTIE : REINVESTIR LA THEORIE DE LA JUSTICE COMME EQUITE : PHILOSOPHIE DE LA JUSTICE ET HUMANISME DE JOHN RAWLS. 118

CHAPITRE VI : AUTONOMIE ET OBJECTIVITE DES NORMES POLITIQUES 120

A- LA LIMITATION DE L'INDIVIDUALITE 120

1- L'individualisme et le déclin de l'humanisme moderne 120

CHAPITRE VII : NATIONALISME ET POLITIQUE DE LA RECONNAISSANCE A L'ECHELLE MONDIALE 127

1. Libéralisme politique et nationalisme libéral 128

2. Quelques amendements sur le libéralisme politique de Rawls 132

3- L'idée de nation d'un point de vue cosmopolitique et la question de la justice distributive à l'échelle mondiale. 134

4- Justification philosophique de l'accord entre un régime de droit des peuples et le libéralisme politique. 137

CONCLUSION GENERALE 141

BIBLIOGRAPHIE. 143

INDEX 150

* 1La justice véhicule l'idée d'un principe harmonisant qui met ensemble trois instances et qui produit l'unité d'une pluralité. Au niveau individuel, il s'agit de trois instances psychique : « L'épithumia » ou partie désirante, le « Thumos » ou partie colérique, le « Nous » ou partie rationnelle. Au niveau social, ces trois instances psychiques correspondent aux trois classes qui composent la cité idéale : les producteurs, les gardiens, les gouvernants. Cf : Platon, La République, livre IV, 433 et 441c, in OEuvres complètes, tome 1, trad. L. Robin, Paris, NRF, 1950.

* 2 Théodore W. Adorno, La Dialectique négative, trad. Collège international de philosophie. Paris, Payot, 1978, p. 286.

* 3 Alain Renaut, Histoire de la philosophie politique, tome v, Les Philosophies politiques contemporaines, Paris, Calmann, Levy, 1999, p. 9.

* 4 John Rawls, Théorie de la justice, trad. Catherine Audard, Paris, Seuil, 1987, p. 29.

* 5 Ibid., p. 33.

* 6 Ibid., p. 341.

* 7 Ibid., p. 68.

* 8 Ibid., p. 341.

* 9 John Rawls, Justice et démocratie, trad. Catherine Audard, Paris, seuil, 1993, p. 160. Pourtant c'est le contraire que semble soutenir un certain utilitarisme dont les thèses fondent la théorie de l'ajustement structurel défendue par le postcolonialisme. L'efficacité économique étant le fondement de la mondialisation ultralibérale, les sociétés africaines qui ne sont pas dotées d'une économie compétitive doivent payer un prix fort pour s'insérer dans le monde global. Ceci se fait par la perte de leur autonomie, soit dans les violences ethno-raciales et purificatrices, soit dans la soumission à un processus de gestion responsable et démocratique des capitaux internationaux. Cette gestion s'évalue en fonction de son adéquation aux conditionnalités fixées par les « Bailleurs de fond ». Ainsi, pour hâter l'insertion des économies africaines à la mondialisation, Achille Mbembe propose aux leaders politiques africains « une utilisation habile et une instrumentalisation du nouveau lexique international (lutte contre la corruption, transparence, Etat de droit, bonne gouvernance) ». Cf : « Essai sur le politique en tant que forme de la dépense », cité par Charles Romain Mbélé, in : « Pensée critique et devenir des sociétés. Examen des philosophies africaines de l'ajustement à la mondialisation », conférence donnée au Centre culturel François Villon de Yaoundé, le 13/12/2007, p. 2, inédit.

* 10 John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 341.

* 11 Ibid.,p p. 287-288.

* 12 Catherine Audard (dir.) John Rawls, politique et métaphysique, Paris, PUF, 2004, p. 17.

* 13 Ibid., p p. 15-16.

* 14 John Rawls, Théorie de la justice, op.cit. , p. 289.

* 15 Robert Nozick, Anarchy, state and utopia, New york, Basic books, 1974, p .183.

* 16 John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 49.

* 17 Voir Ernst Bloch, Le Principe espérance, tome1, trad. F.Wuilmart, Paris, Gallimard, 1976.

* 18 Nous mettons dans cet ordre, les modèles de pensées d'inspiration platonicienne qui exigent de lire la vérité scientifique à l'image des normes mathématiques, c'est-à-dire affirmer la quête d'un bien à l'image de l'éternité selon laquelle Dieu crée le monde. Pour Platon, le Bien est la norme éternelle, le soleil des idées qui nous interpelle et qui nous permet de nous détacher de la vision des passions attachées à un corps mortel. Ainsi, l'éternité du Bien, en correspondance avec les idéalités mathématiques donne à la géométrie une place de choix dans l'éducation et la formation des philosophes gouvernants, chargés d'assurer la thérapeutique sociale dans la visée du Bien.

* 19 Cette approche de la normativité sociale est plus visible chez Marx qui considère le droit public comme manifestation des intérêts de la classe dominante, c'est-à-dire de la bourgeoisie capitaliste.

* 20 Ces conceptions essentiellement liées à la démocratie libérale, présentent les différents membres de la société (personnes) comme libres et égaux et la société elle-même étant un système équitable de coopération, organisé en vue de l'avantage mutuel. Cf. John Rawls, Libéralisme politique, trad. C. Audard, Paris, PUF, 1997, p. 133.

* 21 Voir Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde. Une histoire de la religion, Paris, Gallimard, 1985. Cet auteur remarque que le tournant politique de la modernité se caractérise par l'abandon de la référence à l'au-delà au profit d'une organisation politique dans laquelle les hommes eux-mêmes décident en commun des lois et des institutions qui les gouvernent. Voir aussi Jürgen Habermas pour qui, contrairement aux sociétés traditionnelles, le désenchantement qui caractérise les sociétés modernes fait que les normes politiques ne peuvent désormais y acquérir leur légitimité qu'à travers un consensus obtenu par échange d'arguments, dans le cadre d'une discussion publique. Cf. Théorie de l'agir communicationnel, tome 1, rationalisation de l'agir et rationalisation de la société, Paris, Fayard, 1987, p. 17 ; et Théorie de l'agir communicationnel, tome 2, Pour une critique de la raison fonctionnaliste, Paris, Fayard, 1987, p. 88.

* 22 Alain Renaut, L'ère de l'individu, contribution à une histoire de la subjectivité, paris, Gallimard, 1989, p. 61. Voir aussi Edmund Husserl, Méditations cartésiennes, trad. G. Pfeifer et E. Levinas, 1953, p. 89

* 23 Carl Schmitt, La Notion de politique, trad. et préface de Julien Freund, Paris, Calmann-Levy, 1972.

* 24 Carl Schmitt, Théologie politique, trad. J. L. Schlegel, Paris, Gallimard, 1988, p. 15.

* 25 Ibid., p p. 11-14.

* 26 Carl Schmitt, Parlementarisme et démocratie, trad. J. L. Schlegel, Paris, Gallimard, 1988.

* 27 John Rawls, Leçons sur l'histoire de la philosophie morale, Paris, La découverte, 2002, p. 262.

* 28 Martin Heidegger, Qu'est-ce qu'une chose ?, trad. J. Reboul et J. Taminiaux, Paris, Gallimard, 1971, p. 67.

* 29 Erns Cassirer, Individu et cosmos dans la philosophie de la renaissance, trad. P. Quillet, Paris, Ed. Minuit, 1983, p. 160.

* 30 Alain RENAUT, Kant aujourd'hui, Paris, Aubier, 1997, p. 107.

* 31 Dans La critique de la raison pure, Kant établit que tout jugement synthétique nécessite un troisième terme pour les deux termes entre lesquels s'opère la synthèse. Ainsi, pour la connaissance théorique, ce troisième terme c'est la nature du monde sensible tel qu'il s'offre à l'intuition. Dans l'ordre pratique, c'est la liberté du sujet qui fournit le terme intermédiaire pour résoudre le problème de la distinction des phénomènes et des choses-en-soi.

* 32 Dans l'introduction à sa traduction de la Critique de la faculté de juger, Paris, Vrin, 1996, A. Philonenko souligne la place centrale du thème de la communication chez Kant. Dans le domaine de la connaissance théorique, c'est la médiation du concept qui rend possible la communication. Dans la connaissance pratique, c'est la loi morale dans l'interaction humaine qui rend possible la communication. Dans le jugement esthétique, se développe l'idée d'une communication directe, immédiate, où le sujet humain éprouve dans le sentiment esthétique, que ce qu'il ressent dépasse le cadre isolé de son moi pour le faire rejoindre autrui.

* 33 John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 293.

* 34 Alain Renaut, Kant aujourd'hui, op.cit., p. 378.

* 35 John Rawls, Leçons sur l'histoire de la philosophie morale, op.cit., p. 273.

* 36 John Rawls, Libéralisme politique, op.cit., p. 134.

* 37 Emmanuel Kant, Doctrine du droit, in : OEuvres philosophiques, tome3, Paris, Gallimard, Coll. Bibliothèque de la pléiade, p. 579.

* 38 André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1962, p. 304.

* 39 Emmanuel Kant, Doctrine du droit, op. Cit., p. 281.

* 40L'idée du voile d'ignorance semble être d'inspiration kantienne. Kant, lorsqu'il invite le sujet à éprouver les maximes de ses actions en se demandant ce qui se produirait si elle devenait des lois universelles de la nature, suppose certainement que le sujet est ignorant de sa place dans ce système imaginaire de la nature.

* 41 Dès les premières pages de Théorie de la justice, Rawls situe ses analyses dans l'optique d'une conception de la justice qui pallierait aux contradictions de l'utilitarisme : « mon but est d'élaborer une théorie de la justice qui représente une solution de rechange à la pensée utilitariste en général et donc à toutes les versions différentes qui peuvent exister. » écrit-il. p. 49.

* 42 Voir John Harsanyi, « Morality and the Theory of Rational Behaviour », in Catherine Audard, Anthologie historique et critique de l'utilitarisme, vol III, Paris, PUF, 1999, p. 42-65 ; Amartya Sen, Ethique et économie, trad. Sophie Marnat, Paris, PUF, 1993, p. 192.

* 43 Amartya Sen, Ethique et économie, p.193.

* 44 Le principe d'utilité est le maillon central de la doctrine utilitariste. Bien qu'il ait été forgé par S. Hutcheson (cf. An Inquiry Concerning Moral Good and Evil, 1725), ce principe connaît un développement plus crédible dans la pensée de Bentham, où il est entendu comme « le principe qui approuve ou désapprouve une action quelconque selon la tendance qu'elle parait avoir à augmenter ou à diminuer le bonheur de la partie intéressée. » cf. René Le Senne, Traité de morale générale, Paris, PUF, 1961, p. 221. Voir aussi Geremy Bentham, Déontologie ou système de moral, trad. B. Laroche, Paris, PUF, 1962, p. 328, Léon Jaffro, Le sens moral : une histoire de la philosophie morale de Locke à Kant, Paris, PUF, 2000, p. 19.

* 45 John Stuart-Mill, L'utilitarisme, Paris, Flammarion, 1998, p. 56.

* 46 John Rawls, Théorie de la justice, p. 93.

* 47 Avec cette idée de la priorité de la liberté sur les avantages économiques et sociaux, Rawls reprend un principe traditionnel, religieusement consigné dans la constitution américaine qui, selon Bernard R. Boxill, prévoit qu' « un gouvernement ne doit pas toucher aux libertés individuelles pour des raisons d'utilités. » cf. Les noirs et la justice sociale aux Etats-Unis, trad. Bernard Vincent, Presse universitaires de Nancy, 1988, p. 29. Herbert Hart a essayé de contester la validité de cette thèse, en attribuant à Rawls une « interprétation naturelle » du droit. cf. « Entre utilité et les droits », trad. Inédite de Jean-Fabien Spitz, in Catherine Audard, Anthologie historique et critique de l'utilitarisme, vol. III, p. 236.

* 48 John Rawls, Justice et démocratie, trad. Catherine Audard, Paris, Seuil, 1993, p. 205.

* 49 Ibid., p. 208.

* 50 Idem.

* 51 A ce niveau, la pensée rawlsienne marque sa rupture d'avec l'idéalisme de Kant. Rawls ambitionne fonder une éthique du débat consensuel sur des principes rationnels ; Voir A. Berten, « John Rawls, Jürgen Habermas, et la rationalité des normes » in J. Ladrière et P. Van Parijs, Fondements d'une théorie de la justice, Louvain-la-neuve, 1984, p. 183-184.

* 52 Paul Ricoeur, Philosophie de la volonté. Finitude et culpabilité, tome III, La symbolique du mal, Paris, Aubier Montaigne, 1960, p. 23.

* 53 John Rawls, Justice et démocratie, p. 10-11.

* 54 John Rawls, Libéralisme politique, p. 129.

* 55 John Rawls, Justice et démocratie, p. 86.

* 56 Jacques Bidet, John Rawls et la théorie de la justice, Paris, PUF, 1995, p. 49.

* 57 John Rawls, La Justice comme équité, une reformulation de théorie de la justice, trad. Bertrand Guillarme, Paris, La Découverte, 2003, p. 36-37.

* 58 John Rawls, Théorie de la justice, p. 44.

* 59 Idem.

* 60 John Rawls, La Justice comme équité, op.,cit, p. 119.

* 61 John Rawls, Théorie de la justice, p. 412.

* 62 Marshall Cohen, « Liberalism and Disobedience », in Philosophy and Public Affairs, vol. 1, n° 3, printemps 1972, p. 298.

* 63 Idem.

* 64 John Rawls, La Justice comme équité, p. 124-128.

* 65 John Rawls, Justice et démocratie, p. 63.

* 66 John Rawls, Théorie de la justice, p. 204.

* 67 Ibid., p. 221.

* 68 John Rawls, Leçons sur l'histoire de la philosophie morale, p.272.

* 69 Les quatre étapes sont : le choix des principes premiers de justice sociale ; le choix des institutions conformes au premier principe de justice sociale ; le choix des institutions conformes au second principe ; le respect des règles par les citoyens.

* 70 John Rawls, Libéralisme politique, p.340. Voir aussi Théorie de la justice, p.296 et, Justice et démocratie, p.199.

* 71 John Rawls, La Justice et démocratie, p p. 158-159.

* 72 John Rawls, Théorie de la justice, p. 258.

* 73 Thomas Hobbes, Le Léviathan, trad. F. Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 136. On rencontre aussi cette idée chez Rousseau, notamment dans ce célèbre énoncé : « On le forcera à être libre ». cf. : Du contrat social, liv.1, chap. VII ; Chez Kant aussi, dont Alexis Philonenko résume ainsi la pensée : « La seule contrainte liée au droit est celle par laquelle je puis contraindre autrui à entrer avec moi dans l'Etat civil. » cf. : Métaphysique des moeurs, t.1, p. 45.

* 74 John Rawls, Théorie de la justice, p. 240. Il explique plus cette notion dans La Justice comme équité, p. 204.

* 75 Rawls corrige la première formulation du principe de libertés égale qui parlait du « système le plus étendu » des libertés (cf. Théorie de la justice, p .91) par l'expression « schème pleinement adéquat » des libertés (cf. Libéralisme politique, p. 29).

* 76John Rawls, La Justice comme équité, p. 205.

* 77 John Rawls, Théorie de la justice, p. 104.

* 78 Ibid., p. 266.

* 79 Ibid., pp. 266-267.

* 80 Benjamin Constant, « De la liberté des anciens comparée à celle des modernes », in Ecrits politiques, textes choisis et présentés par Marcel Gauchet, Paris, Poche/pluriel, 1980, p. 491-515.

* 81 John Rawls, Théorie de la justice, p. 268.

* 82 Ibid., p. 287.

* 83 Ibid., p. 269.

* 84 Ibid., p. 284.

* 85 John Rawls, Jürgen Habermas, Débat sur la justice politique, Paris, Cerf. 1997. On peut aussi voir Individu et justice sociale, autour de John Rawls, Paris, Seuil, 1998, p. 280. Ici Rawls estime que sa théorie exprime de façon cohérente, l'esprit démocratique contemporain, celui qui inspire les constitutions occidentales. Les principes visent la structure de base d'une démocratie constitutionnelle moderne.

* 86 John Rawls, Théorie de la justice, p. 300.

* 87 Ibid., p p. 312-313.

* 88 John Rawls, La Justice comme équité, p. 188.

* 89 John Rawls, Théorie de la justice, p. 321.

* 90 Ibid., p. 14.

* 91 Ibid., p p. 316-318.

* 92 Karl Marx, Le Capital, Ed. Sociales, t.6, p.47.

* 93 Karl Marx, Grunrisse, Ed. Sociales, p. 188.

* 94 Voir Jean-Marie Harribey, « Les vertus oubliées de l'activité non marchande », in Le monde diplomatique, n°658, novembre 2008.

* 95 John Rawls, Théorie de la justice, p. 321.

* 96 Ibid., p. 37.

* 97 Ibid., p. 29.

* 98 André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1968, p. 304.

* 99 John Rawls, Théorie de la justice, p p. 34.

* 100 John Rawls, Droit des gens, trad. Bertrand Guillarme, Paris, Esprit, 1996, p. 42.

* 101 Serges Sur, «Système international et utopie», in Archives de philosophie du droit, V.32, Paris, Sirey, 1987, p. 34.

* 102 John Rawls, Paix et démocratie. Le Droit des peuples et la raison publique, trad. Bertrand Guillarme, Paris, La Découverte, 2006, p. 153.

* 103 Paul Valery, Orient et Occident. Regard sur le monde actuel, Paris, Stock, 1931.

* 104 John Rawls, Paix et démocratie. Le Droit des peuples et la raison publique, op.cit., p. 154.

* 105 John Rawls, Droit des gens, p. 87.

* 106 Ibid., p. 67.

* 107 Ibid., p. 63.

* 108 Ibid., p. 39.

* 109 Ibid., p. 55.

* 110 Voir Jürgen Habermas, La Paix perpétuelle. Le bicentenaire d'une idée kantienne, trad. R. Rochlitz, Paris, Cerf, 1996.

* 111 John Rawls, Droit des gens, p. 80.

* 112 John Rawls, Théorie de la justice, p. 282.

* 113 John Rawls, Le Droit des gens, p. 53.

* 114 Ibid., p. 81.

* 115 Emmanuel Kant, Projet de paix perpétuel, p. 49.

* 116 G. W. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, Paris, Vrin, 1975, p. 330.

* 117 Ibid. p. 333.

* 118 G. W. F. Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, Paris, Gallimard, 1970, p. 547.

* 119 John Rawls, Le droit des gens, p. 73.

* 120 Ibid., p. 42.

* 121 Ibid., p. 51.

* 122 Michael WALZER, Just and Unjust Wars, New-York, Basic books, 1977, p. 85. ( C'est nous qui traduisons).

* 123 Stanley Hoffmann, Une morale pour les monstres froids. Pour une éthique des relations internationales, Paris, Seuil, 1982, p p. 74-75.

* 124 Franck Attar, Le Droit international, entre ordre et chaos, Paris, Hachette, 1994, p. 229.

* 125 John Rawls, Paix et démocratie. Le Droit des peuples et la raison publique, p. 113.

* 126 Robert W. Tucker, The Inequality of Nations, New-York, Basic books, 1977.

* 127 John Rawls, Le Droit des gens, p. 82.

* 128 Ibid., p. 82.

* 129 Idem.

* 130 Ibid., p. 84.

* 131 Brian Barry, The liberal Theory of Justice, London, Oxford University press, 1978, p. 133.

* 132 Thomas Scanlon, «Rawls' Theory of Justice», in Reading Rawls, New-York, Basic books, p. 302.

* 133 Voir John Rawls, Libéralisme politique, p. 46.

* 134 Voir John Rawls, Théorie de la justice, p. 176-177.

* 135 Ibid. p. 310.

* 136 Ibid., p. 618.

* 137 Idem.

* 138 Platon, La République, Livre IX.

* 139 Ibid., Livre IV.

* 140 Idem.

* 141 Peter Singer, «Famine, Affluence, and Morality», in Philosophy and Public Affairs, 1971, vol.1, p. 229-243

* 142 Pour le développement de cette critique, voir James Fishkin, «Theories of Justice and International Relations: the limits of Liberal Theory» in A. Ellis (ed.), Ethics and International Relations, Manchester university press, 1986, p. 1-12.

* 143 Amartya Sen, L'économie est une science morale, Paris, La Découverte, 2003, p. 29.

* 144 John Rawls, Le Droit des gens, p. 87.

* 145 Voir Eric Weil, Philosophie politique, Paris, Vrin, 1956, p. 13.

* 146 Ernst Bloch, Le Principe d'espérance, tome 1, trad. F. Wuilmart, Paris, Gallimard, 1976, p. 111-114.

* 147 Ibid., p. 116.

* 148 Ibid., p. 121.

* 149 John RAWLS, Paix et démocratie, p. 18.

* 150 Puisque en matière de relations internationales il ne s'agit pas de dire lequel des droits affirmés par les belligérants est le véritable, une idée commune aux systèmes hégéliens et kantiens soutient que c'est la guerre qui tranche, entre les systèmes juridiques en opposition, lequel doit céder la place à l'autre. Kant, dans le Projet de paix perpétuel, souligne que dans la guerre, c'est « l'issue qui décide de quel coté se trouve le droit » (p.9). A l'appui de ce constat, il évoque le jugement de Dieu. Hegel semble donner à l'histoire ce que Kant reconnaît à Dieu, lorsqu'il soutient que l'histoire mondiale est la seule instance qui puisse juger les relations entre les Etats. Ce qui semble plus réaliste si l'on considère l'immanence de la justice dans le règlement des conflits interétatiques. Dans Les principes de la philosophie du droit, Hegel dit : « il n'y a pas de préteur pour régler les conflits. Le préteur suprême est uniquement l'Esprit universel existant en soi et pour soi, l'Esprit du monde. » (p.339). Ce qui veut dire que l'idée universelle doit toujours attendre la fin d'une guerre pour s'incarner.

* 151 Hubert Mono Ndzana, «Guerre d'Irak et nécessité d'un contrat mondial», in Jean Emmanuel Pondi (dir.), Une lecture africaine de la guerre en Irak, Paris, Maison neuve et Larose, 2003, p. 179.

* 152 Robert Derathé, Jean Jacques Rousseau et la science politique de son temps, Paris, Vrin, 1970, p.33.

* 153 Analysant le problème du rapport des forces dans les sociétés africaines, Jean-François Bayart pense que la bourgeoisie dans ce continent accédera à son «concept» lorsqu'elle sera à même de « (...) trouver des dominés, de les contraindre à demeurer dans un espace social domestique où pourra s'exercer la domination » cf. L'Etat au Cameroun, (1979), Paris, Presses de la Fondation des sciences politiques, seconde édition revue et augmentée, 1985, p. 257. Voir aussi L'Etat en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989, p. 309.

* 154 Alain Renaut, L'ère de l'individu. Contribution à une histoire de la subjectivité, Paris, Gallimard, 1989, p. 10.

* 155 Claude Lefort, Essais sur le politique, XIX-XX siècle, Paris, Seuil, 1986, p. 16-17.

* 156 Friedrich Von Hayek, Droit, Législation et liberté. Tome 1. Règles et ordre, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1995, p. 10.

* 157 Idem.

* 158 Friedrich Von Hayek, Droit, Législation et liberté. Tome 2. Le mirage de la justice sociale, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1995, p. 76.

* 159 Friedrich Von Hayek, Droit, Législation et liberté. Tome 1, p. 36-37.

* 160 Jean-Pierre Dupuy, Le sacrifice et l'envie. Le libéralisme aux prises avec la justice sociale, Paris, Calmann-Levy, 1992, p. 246-247.

* 161 Friedrich Von Hayek, Droit, Législation et liberté. Tome 1, p. 43.

* 162 Friedrich Von Hayek, Droit, Législation et Liberté. Tome 3. L'ordre politique d'un peuple libre, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1995, p. 117.

* 163 Robert Nozick, Anarchy, State and Utopia, New York, Basic books, 1974, trad. Fr. Evelyne d'Auzac de Lamartine et Pierre Emmanuel d'Auza, Anarchie, Etat et Utopie, Paris, PUF, 1988.

* 164 Ibid. p. 9.

* 165 Ibid., p. 200.

* 166 François Sicard, « La justification du libéralisme selon F. Von Hayeck », in Revue française de sciences politiques, 1989, n°1, vol.39, p. 178-199.

* 167 Friedrich Von Hayek, Droit, Législation et Liberté, Tome 2, p. 105.

* 168 Idem.

* 169 Michael Sandel, Le Libéralisme et les limites de la justice, trad. Jean-Fabien Spitz, Paris, Seuil, 1999, p. 50-51.

* 170 Michael Sandel, « La République procédurale et le moi désengagé », in A.Berten, P.Da Silveira, H. Purtois (ed.), Libéraux et communautariens, Paris, PUF, 1996, p .262-263.

* 171 Ibid., p. 264.

* 172 Ibid.,pp. 268-269.

* 173 Charles Taylor, « Le bien et le juste », in Revue de métaphysique et de morale, vol.93, 1988, p. 176.

* 174 Alasdair Macintyre, Quelle justice ? Quelle rationalité ?, trad. Michelle Vignaux D'Hollande, Paris, PUF, 1993, p. 6-7. Voir aussi Après la vertu. Etude de théorie morale, trad. Laurent Bury, Paris, PUF, 1997, p.206

* 175 Hans Georg Gadamer, « Sur la possibilité d'une éthique philosophique », in L'art de comprendre. Ecrit II, Paris, Aubier-Montaigne, 1991, p. 33.

* 176 Voir Alain Renaut, « Les deux logiques de l'idée de nation », in Etat et Nation. Cahier de philosophie politique et juridique, vol.14, 1988, p. 157.

* 177 Brian Barry, « Michael Sandel, Liberalism and the Limits of Justice », in Ethics, vol.94, p. 523-525.

* 178 Michael Walzer, « La critique communautarienne du libéralisme », in Libéraux et communautariens, op. cit. p. 311.

* 179 Nancy Rosenblaum, « Another Liberalism. Romanticism and the Reconstruction of the Liberal Thought », Cambridge (Mass), London, Harvard University press, 1987, p. 152-186.

* 180 John Rawls, Jürgen Habermas, Débat sur la justice politique, cité par A. Wellmer, « Condition d'une culture démocratique. A propos du débat entre libéraux et communautariens », in Libéraux et communautariens, op.cit., p. 384-385.

* 181 John Rawls, « Justice as Fairness: Political not Metaphysical » in Philosophy and Public Affairs, n°14, 1985, p. 223-251.

* 182 Cette critique a été formulée par Thomas Nagel, voir « Rawls on Justice », in Reading Rawls, Norman Daniels,( ed.), Oxford, 1975, p. 10.

* 183 Catherine Audard, « Pluralisme et consensus : une philosophie pour la démocratie ? », in John Rawls : Justice et Liberté, Critique, juin-juillet, 1989, p. 144.

* 184 John RAWLS, Libéralisme politique, op. cit., p .241-242.

* 185 Charles Beitz, Political Theory and International Relations, op. cit., p. 125-175; Brian Barry, «Humanity and Justice in Global Perspective», in Nomos, n°24, p. 219-252.

* 186 Ariel Colomo, « Les années 1990 : quelle rupture morale ? », in Esprit, n°298, Octobre 2003, p. 39.

* 187 Ces réseaux peuvent être d'un ordre culturel, économique, éthique. A ce sujet, on peut lire : Daphné Josselin, William Wallace (eds), Non State Actors in World Politics, Palgrave, 2000 ; James Rosenau, Turbulence in World Politics, Princeton university press, 1990.

* 188 John Rawls, Libéralisme politique, op. cit., p. 44

* 189 Ibid., p.48.

* 190 Allen Buchanan, «Rawls's Law of Peoples: Rules for a Vanished Wesphalian World», Ethics, 110/4, 2000, p. 697.

* 191 On retrouve cette idée dans les écrits de Brian Barry, Charles Beitz, Thomas Pogge. De Brian Barry, on peut consulter les textes suivants : Theories of Justice : a Treatise on Social Justice, vol.1, Hemel Hempstead, Harvester Wheatsheaf, 1989; «International Society from a Cosmopolitan Perspective», in D.Mapel and T. Nardin (dir.), International Society: Diverse Ethical Perspectives, Princeton, University Press, 1999, p. 144-163. De Charles Beitz, on peut consulter entre autre: Polical Theory and International Relations, Princeton, University Press, 1979; «International Liberalism and Distributive Justice: a Survey of Recent Thought», in World Politics, 51/2, 1999, p.269-296. De Thomas Pogge, on peut consulter entre autre: Realizing Rawls, Ithaca, Cornell University Press, 1989.

* 192 Cette thèse se rapporte aux travaux de Jürgen Habermas sur la question du nationalisme, publiés dans l'Intégration républicaine, Paris, Fayard, 1998, et Après l'Etat-nation, Paris, Fayard, 2000.

* 193 John Rawls, Théorie de la justice, p. 33.

* 194 Bull Hedley, The Anarchical Society, New York, Columbia University Press, 1977, Chap.4.

* 195John Rawls, Théorie de la justice, p. 499.

* 196 François Perroux, L'Europe sans rivages, Grenoble, P.U.G, 1990, p. 271.

* 197 Charles R. Beitz, Political Theory and International Relations, op.cit., p.141.

* 198 Ibid, p.142.

* 199Cf: «Cosmopolitanism and Sovereignty» in Ethics, 103, 1992, p. 48-75.

* 200Cf: Democracy and the Global Order. From Modern State to Cosmopolitan Governance, Stanford, University Press, 1995.

* 201Cf: «Nations without States: the Accomodation of Nationalism in the New State Order», in M. Keating and Mc Garry (dir.), Minority Nationalism and the Changing International Order, Oxford, University Press, 2001, p.19-43.

* 202 David Held, Democracy and the Global Order, op. cit., p. 27.

* 203 Ibid., p. 233.

* 204 Nous nous référons ici à « l'idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique », in Emmanuel Kant, La Philosophie de l'histoire, trad. S. Pioletta, Paris, Aubier, 1947, p. 59-79 ; « Sur l'expression courante : il se peut que ce soit juste en théorie. En pratique cela ne vaut rien » in Emmanuel Kant, Théorie et pratique. Le droit de mentir, trad. L. Guillermit, Paris, Vrin, 1967, p. 9-59.

* 205 Ici nous nous référons à : Emmanuel Kant, Projet de paix perpétuelle, trad. J. Gibelin, Paris, Vrin, 1990 ; Métaphysique des moeurs, trad. A. Renaut, tome II, Paris, Garnier-Flammarion, 1994.

* 206 Jürgen Habermas, « La paix perpétuelle. Le bicentenaire d'une idée kantienne », in L'intégration républicaine, op. cit. p. 161-204 ; « The European State and the Presures of Globalisation », New Left Review n°235,1999, p.46-59. Charles Beitz défend une position analogue eu égard au fait que les individus seuls, non les nations et les cultures, sont considérés comme ayant une valeur intrinsèque. Dans ce cas, la redistribution des richesses devrait être confiée à des instances supranationales, et non aux Etats dont les individus font partie.

* 207 A l'échelle régionale, Habermas s'attarde sur l'avènement possible d'un Etat fédéral européen ayant une constitution démocratique et un système de partis politiques dont les idéaux se conforment aux valeurs sociales européennes. Les essais regroupés dans la seconde partie de L'intégration républicaine sous le titre « L'Etat-nation a-t-il un avenir ? » sont explicites à ce sujet. A l'échelle globale, Habermas essaie de mettre en perspective l'intervention de plus en plus grande et nécessaire des citoyens ou des organisations non étatiques (Amnesty International, Greenpeace, les organismes alter mondialistes dénonçant la politique ultra libérale de l'O.M.C) dans les espaces démocratiques nationaux. Ce qui contribuerait à l'émergence progressive d'une citoyenneté démocratique cosmopolitique. Cf. « La paix perpétuelle. Le bicentenaire d'une idée kantienne », op. cit. p.174-175.

* 208 Pour une analyse plus détaillée de ces transformations, voir David Held, Democracy and the Global Order, op. cit. p. 5-6.

* 209 Cf. Paul Dumouchel, «  Le terrorisme entre crime de guerre ou de l'empire », in Stéphane Courtois (dir.), Enjeux philosophiques de la guerre, de la paix et du terrorisme, Sainte-Foy, Presse de l'université de Laval, 2003, p. 25-39.

* 210 Jürgen Habermas, « La paix perpétuelle. Le bicentenaire d'une idée kantienne », p. 178-181.

* 211 Thomas Nagel, Egalité et partialité, trad. Claire Beauvillard, Paris, PUF, 1994, p. 189.

* 212 John Rawls, Droit des gens, p. 112-113.

* 213 Cet argument est développé par Will Kymlicka, dans son Politics in the Vernacular, Multiculturalism and Citizenship, New York, Oxford university Press, p. 213-216, 226-227, 325-326.

* 214 Les idées développées ici s'inspirent d'une conférence donnée le 13/12/2007 au centre culturel François Villon de Yaoundé par Charles R. Mbele, sur le thème : « Pensée critique et devenir des sociétés. Examen des philosophies africaines de l'ajustement à la mondialisation ». Inédit.

* 215 Jean Godefroid Bidima présente la philosophie de la « modernité négro africaine » comme une alternative au « discours de la maîtrise » porté par l'opposition traditionnelle entre ethnophilosophie et la tendance dite de la révolte. Cette dernière est un discours de la maîtrise » parce qu'elle se présente comme un «  discours suffisant, où le philosophe, mieux l'intellectuel, ignorant la méconnaissance qui se loge dans tout dire, dicte et prescrit le devenir de l'Afrique. Cf. Théorie critique et modernité négro africaine. De l'école de Francfort à la « Docta spes africana », Paris, Publication de la Sorbonne, 1993, p.205.

* 216 Marcien Towa, Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle, Yaoundé, Clé, 1981, p. 56.

* 217 Le N.E.P.A.D résumera plus tard le processus de l'ajustement comme l'appropriation de « révolution économique néo libérale »

* 218 Fabien Eboussi Boulaga, La Crise du Muntu, Paris, Présence africaine, 1977, p. 229.

* 219 Ibid, p.154.

* 220 Jean Godefroid Bidima, Théorie critique et modernité négro africaine, op.cit. p. 202.

* 221 Achille Mbembe, De la postcolonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000, p. 28.

* 222 Achille Mbembe, « Politique de la vie et épreuve du fratricide » (Avant propos à la seconde édition) in De la postcolonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2005, p. 12.

* 223 Ibid., p. 15.

* 224 René Descartes, Discours de la méthode, Paris, Bordas, 1984, p, 86.

* 225 Jean P. Mpele, « Identité et cosmopolitisme en Afrique subsaharienne », in Raisons politiques, n° 21, 2006, p. 73-74.

* 226 Achille Mbembe, De la postcolonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000, p. 21.

* 227 Achille Mbembe, « A propos des écritures africaines de soi », in Politique africaine, n°77, 2000, p. 30.

* 228 Achille Mbembe, De la postcolonie, op. cit., p. 37.

* 229 Jean Godefroid Bidima, Théorie critique et modernité négro africaine, op. cit., p. 241.

* 230 Ibid, p.240-241.

* 231 Bourahima Ouattara, Penser l'Afrique, Paris L'harmattan, 2002, p. 44-45.

* 232 Achille Mbembe, « Politique de la vie et épreuve du fratricide », op. cit., p.16.

* 233 Fabien Eboussi Boulaga, La Crise du Muntu, op. cit., p. 89.

* 234 Montaigne, Essais, Livre I, chap. XXXI, Des cannibales, in OEuvres complètes, Paris, Gallimard, p. 203.

* 235 Ibid., p. 208.

* 236 Montesquieu, OEuvres complètes, Livre III, chap. IX, De la vanité, Paris, Gallimard, 1949, p. 950.

* 237 Ibid., p. 964.

* 238 René Descartes, Discours de la méthode, op. cit., p. 57-58

* 239 Ibid., p. 68.

* 240 Raymond Aron, Histoire et politique, Paris, Julliard, 1985, p. 478.

* 241 Pascal Boniface, Les Guerres de demain, Paris, Seuil, 2001, p. 13

* 242 John RAWLS, Paix et démocratie. Le droit des peuples et la raison publique, trad. Bertrand Guillarme, Paris, La Découverte, 2006, p. 98.

* 243 Ibid., p. 100.

* 244 John Rawls, Droit des gens, p. 74.

* 245 Ibid., p. 67.

* 246Stéphane Chauvin, « Libéralisme politique et universalisme juridique : droit des gens et droits de l'homme selon Rawls », in Revue de métaphysique et de morale, Paris, puf, 1998, p. 185.

* 247 Alain Renaut, « Libéralisme et socialisme, philosophie et expérience », in Concurrence et solidarité, Paris, E.S.F, 1992, p. 35.

* 248 Ibid., p. 38.

* 249 Ibid., p. 37.

* 250Idem.

* 251 Ibid., p. 41.

* 252 Dictionnaire de la pensée politique. Hommes et idées, Paris, Hatier, 1989, p. 201.

* 253 Stanley Hoffmann, Une Morale pour les monstres froids, p. 113.

* 254 Alain Renaut, « libéralisme et socialisme, philosophie et expérience », op. cit., p. 40.

* 255 Ibid., p. 43.

* 256 John Rawls, Libéralisme politique, p. 19.

* 257 Alain Renaut, « Libéralisme et socialisme, philosophie et expérience », p. 49.

* 258 Catherine Audard, « John Rawls et le concept du politique » in John Rawls, Justice et démocratie, p. 23.

* 259 John Rawls, « La réconciliation par l'usage de la raison publique » in Catherine AUDARD (dir.), John Rawls, politique et métaphysique, Paris, Puf, 2004, p. 47.

* 260 Paul Poupard, « Respecter les droits de chaque nation ; la pensée internationale de Jean Paul II », in Communio, Paris, Fayard, 1981, p. 96.

* 261 Michael Walzer, Traité sur la tolérance, Paris Gallimard, 1998, p. 147.

* 262 John Rawls, Paix et démocratie, p. 76.

* 263 Caroline Fleuriot, « Droit d'ingérence, ou en est-on ? », in Le Monde diplomatique, n°654, Septembre 2008, p. 32.

* 264 Idem.

* 265 Bernard Badié, La Fin des territoires, essai sur les désordres internationaux et sur l'utilité sociale du respect, Paris, Fayard, 1995, p.264.

* 266 Stanley Hoffmann, Une Morale pour les monstres froids. Pour une éthique des relations internationales, p. 14.

* 267 Cité par Michael Ignatief, « Droits de l'homme, la crise du cinquantenaire », in Esprit, Paris, Seuil, 1999, p. 12.

* 268 Jean-Marc Tetaz, « Identité culturelle et réflexion critique. L'universalité des droits de l'homme au prise avec l'affirmation culturelle », in Etudes théologiques et religieuses, Paris, Labord et Fides, 1999, p. 124.

* 269 Stanley Hoffmann, Une Morale pour les monstres froids, p. 119.

* 270 Ibid., p. 9.

* 271 Stéphane Chauvin « Libéralisme politique et universalisme juridique : droit des gens et droits de l'homme selon Rawls » in Revue de métaphysique et de morale, Paris, PUF, 1998, p. 184.

* 272 Michael Ignatief, « Droit de l'homme, la crise de la cinquantaine », op. cit., p. 23.

* 273 Ernest Marie Mbonda, « Guerres modernes » africaines et la responsabilité de la communauté internationale, Yaoundé, Presse de l'U.C.A.C, 2007, p. 20.

* 274 Michael Walzer, « Au-delà de l'intervention humanitaire : les droits de l'homme dans la société globale », in Esprit, Paris, Seuil, 2004, p. 68.

* 275 John Rawls, Paix et démocratie. Le droit des peuples et la raison publique, p. 98.

* 276 Stéphane Chauvin, « Libéralisme politique et universalisme juridique. Droit des gens et droits de l'homme selon John Rawls » p. 184.

* 277 Pascal Boniface, Les Guerres de demain, Paris, Seuil, 2001, p. 14.

* 278 Blandine Kriegel, Les Droits de l'homme et le droit naturel, Paris, PUF, 1989, p. 96.

* 279 Alain Renaut, Histoire de la philosophie politique, tomme 2, Naissance de la modernité, Paris, Calmann-Levy, 1999, p. 19.

* 280 Baruch de Spinoza, OEuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque la Pléiade, pp.824-825.

* 281 Michel Foucault, Histoire de la sexualité, tome 2, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 116

* 282 Fichte, Fondement du droit naturel, trad. Alain Renaut, Paris, PUF, 1985, pp134-135.

* 283 Edgar Morin, Pour sortir du xxeme siècle, Paris, Fernand Nathan, 1981, p. 373.

* 284 John Rawls, « La théorie de la justice comme équité », in Collectif, Individu et justice sociale. Autour de John Rawls, Paris, Seuil, 1988, p. 310.

* 285 John Rawls, Théorie de la justice, p. 560.

* 286 John Rawls, « La priorité du juste et les conceptions du Bien » in Archives de philosophie du droit, vol 33, La philosophie du droit aujourd'hui, Paris, Sirey, 1988, p. 40.

* 287 Edgar Morin, Pour sortir du xxeme siècle, op cit, p. 372.

* 288 John Rawls, Libéralisme Politique, p. 54.

* 289 L'individualisme moral est le cadre théorique dans lequel les défenseurs d'une théorie de l'identité post-nationale tirent leurs arguments.

* 290 Will Kymlicka, La citoyenneté multiculturelle, trad. Patrick Savidan, Montréal, Boréal, 2001.

* 291 Les expressions tels « contexte de choix », « culture sociétale », « structure de culture » sont empruntées à Will Kymlicka.

* 292 John Rawls, Libéralisme Politique, p 67.

* 293 Ibrd. p.43.

* 294 Rawls fait référence à de tels peuples dans le Droit des gens, p.82.

* 295 Charles Larmore, « The Moral basis of Political liberalism » in Journal of Philosophy, 96, 12, 1999, pp. 599-625.

* 296 John Rawls, Théorie de la justice, p. 499

* 297 C'est le cas lorsqu'on considère le cas spécifique des droits du foetus, de l'enfant, des immigrants, des réfugiés, des personnes âgées des travailleurs, des personnes handicapés.

* 298 - On se réfère souvent à La Justice comme équité. Une réinterprétation de théorie de la justice, pp. 74 -79.

* 299 David Miller. On Nationality, Oxford, Clarendon Press, 1995, p.140.

* 300 Cette argumentation s'inspire de l'article d'Alan Patten, « The Republican Critique of Liberalism », British Journal of Political science, vol.26, n°1, 1996, PP.25-44.

* 301 Thomas Nagel, Egalité et partialité, trad. Claire Beauvillard, Paris, PUF, 1994.P.189






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