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Penser la justice dans le monde, une urgence Rawlsienne

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par Eric Christian BONG NKOT
Université de Yaoundé 1 - Mémoire rédigé en vue de l'obtention d'un diplôme d'études approfondies ( DEA ) en philosophie.  2009
  

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b. Le libertarisme et l'individualisme méthodologique.

Que ce soit dans sa défense de l'évolutionnisme politique (Von Hayek) ou de la théorie de droits de propriété (Nozick), le libertarisme fonde sa critique du libéralisme politique sur le problème de la pauvreté et du besoin. Plus précisément, la question fondamentale que se pose le libertarisme est la suivante : jusqu'à quel point les hommes sont-ils susceptibles de sacrifier leur liberté pour assurer leur sécurité ; et plus particulièrement leur sécurité sociale ?

Dans le libéralisme politique de Rawls, le rapport entre l'individu et le collectif est absorbé par la notion d'égalité, pesant ainsi sur la signification de la liberté comme liberté politique. Le sujet jouit d'une protection sociale et d'une immunité contre toutes les transformations pouvant survenir durant sa vie. La philosophie politique est ainsi orientée vers une socialisation du droit, légitimant l'interventionnisme de l'Etat dans la résolution du problème de la pauvreté.

La critique juridique, politique et économique de l'interventionnisme étatique élaborée par le libertarisme repose sur un présupposé épistémologique. La ligne méthodologique adoptée se focalise sur les limites de la raison, plutôt que d'exalter ses pouvoirs. L'usage de la raison est ramené à une place secondaire par rapport à celle qu'elle occupe dans le cartésianisme.

Friedrich Von Hayek affronte l'institutionnalisation de la sécurité sociale défendue par Rawls sur le terrain du rationalisme, un rationalisme qu'il considère comme nécessairement constructiviste. Selon lui, la faiblesse de la tradition rationaliste réside dans sa logique inductive qui fait déduire, à partir d'un seul principe clairement établi et par l'exercice de la seule raison, toutes les connaissances dont l'homme a besoin pour son action. Ce qui conduit à la croyance selon laquelle toute institution sociale crédible est le fruit de la seule raison. F. Von Hayek voit en cette tendance de l'esprit humain, les marques d'un archaïsme sérieux. Les hommes veulent « sauver les institutions » de la même manière qu'ils cherchèrent à « sauver les phénomènes ». Il déclare à cet effet :

La croyance sous-jacente à ces propositions, c'est-à-dire que nous devons toutes institutions bénéfiques à des plans préconçues, et que seul un tel destin les a rendu, ou peut les rendre utiles à nos fins, est largement fausse. »156(*)

Plus bas il précise :

Cette idée est enracinée originairement dans une propension extrêmement tenace de la pensée primitive, qui interprète de façon anthropomorphique toute régularité perçue dans des phénomènes, comme provenant d'un esprit pensant.157(*)

C'est dans cette perspective que s'élabore sa critique de la notion de justice sociale. Selon Von Hayek, parler d'une injustice dans l'ordre social résulte d'une incompréhension du sens des mots. La justice ou l'injustice d'une situation ne peut être affirmée qu'en relation avec intention consciente qui serait à l'origine de cette situation. Or, l'ordre social étant spontané, et non le résultat d'une volonté délibérée, ne peut faire l'objet d'une évaluation morale. La possibilité d'une évaluation morale des actions relève de la sphère individuelle. Elle est impensable au niveau collectif.

Cette conception de la justice « sociale » est ainsi une conséquence directe de cet anthropomorphisme, de cette tendance à la personnification à travers laquelle la pensée naïve essaye de rendre compte de tous les processus intrinsèquement ordonnés. C'est un signe de l'immaturité de notre esprit, que nous ne soyons pas encore sortis de ces concepts primitifs, et que nous exigions encore d'un processus impersonnel qui permet de satisfaire les désirs humains plus abondamment que ne pourrait faire aucune organisation délibérée, qu'il se conforme à des préceptes moraux élaborés par les hommes pour guider leurs actions individuelles.158(*)

L'argument en faveur de l'immédiateté de rapport que Rawls établit entre l'individuel et le collectif se heurte à de sérieuses difficultés. Les deux entités ne répondant pas à la même logique, l'on ne peut envisager de comprendre l'ordre social à partir de la subjectivité vécue de l'individu. Cette impossibilité est affirmée, en référence au concept de complexité sociale, contre l'individualisme méthodologique jugé naïf. La croyance que la raison seule peut nous dire comment nous conduire, et que tous les êtres raisonnables devraient être capables de joindre leurs efforts en vue d'obtenir des résultats communs comme membre d'une organisation, est une illusion et manque de portée pratique. C'est toujours en rapport avec des mobiles non rationnels que la raison peut fixer les normes d'action, et sa fonction reste essentiellement liée à la conduite d'action dont la source résulte d'autres facteurs.

Dès lors, pour que la raison puisse s'implanter comme instrument de transformation sociale, il importe d'imposer à tous les membres de cette société, des fins communes que la raison ne justifie pas et qui ne peuvent être rien de plus que des décisions de volonté particulières.159(*) Jean Pierre Dupuy signale à cet effet que :

Le passage de l'individuel au collectif s'accompagne d'un saut en complexité que l'analyse est foncièrement incapable de réduire.160(*)

A l'évidence donc, le raisonnement de F. Von Hayek rejette toute réduction de l'ordre social aux individus qui composent cette société. Réciproquement, ces individus ne peuvent prétendre être en possession de toutes les données dont a besoin l'édification d'une société juste. Dès lors, la prémisse fondamentale d'une théorie sociale se trouve dans

La découverte qu'il existe des structures ordonnées qui sont le résultat de l'action d'hommes nombreux, mais ne sont pas le résultat d'un dessein humain.161(*)

Ce rejet du rationalisme constructiviste à pour conséquence le rejet des mécanismes de redistribution étatique. F. Von Hayek démontre que l'institutionnalisation de la sécurité sociale est préjudiciable à la liberté, et conduit nécessairement à l'instauration de régimes totalitaires. C'est là le fondement de la théorie d'un Etat minimal. L'intervention de l'Etat, pour garantir à certain membre de la société une sécurité sociale que le marché laissé à lui seul ne peut assurer, est responsable des inégalités sociales. Car, en agissant ainsi, l'Etat devient un acteur privé de la vie sociale, concédant des avantages à certains, restreignant des libertés à d'autres pour des raisons peu objectives. Une telle action de l'Etat ne conduit pas à la légitimation de la démocratie, puisqu'au fur et à mesure que la société civile absorbe l'Etat, les relations entre l'individu et l'Etat deviennent des relations de clientélisme. La coopération sociale ne vise plus l'intérêt général, mais se fragmentarise sur le mode même de la relation commerciale.162(*)

Cette tendance à réduire la légitimité de l'Etat et de ses fonctions au strict minimum se trouve aussi développée chez Robert Nozick. A la suite de F. Von Hayek, il cherche à démontrer, grâce à sa théorie des droits de propriété, que la justice se détermine par des relations d'échange s'exerçant au sein de la société. L'objectif de l'important ouvrage qu'il publie en 1974, Anarchy, State and Utopia,163(*) est d'établir un rapport d'équivalence et d'implication entre la justice et le marché, et de barrer la voie à toute ingérence gouvernementale.

L'Etat ne saurait, affirme-t-il, user de contrainte afin d'obliger certains citoyens à venir en aide aux autres, ni en vue d'interdire aux gens certaines activités pour leur propre bien ou leur protection.164(*)

L'argumentation de Nozick rejette l'idée rawlsienne qui intègre la compensation des déséquilibres sociaux, mieux la sécurité sociale, comme élément du système étatique. Le présupposé de cette critique tient de l'affirmation d'une autre idée ; celle qui établit qu'un espace suffisant de liberté est nécessaire à l'individu pour qu'il puisse se poser, selon la logique de l'intérêt individuel propre à chacun, en vertu de la rationalité du choix public, comme l'acteur incontournable de la construction sociale.

Comme la plupart des théoriciens du droit politique de son temps, Nozick se sert de la notion de choix individuel, et s'applique à aménager un espace qui garantirait son effectivité dans la théorie sociale. Rawls et Dworking font de cette notion un élément crucial de la théorie sociale. Mais contrairement à eux, Nozick ne limite pas la valeur du choix individuel en institutionnalisant la sécurité sociale. Sa théorie du droit de propriété accorde à l'individu un droit absolu sur ses biens, dans le strict respect des mêmes droits pour autrui. Il en est le propriétaire légitime et peut en faire ce qu'il veut. Il peut les échanger pour acquérir d'autres, ou bien décider de son propre chef de les donner à un individu ou à l'Etat. Dans ces conditions, le droit de propriété est un droit absolu. Il exclu tout principe social de redistribution, et par là même toute conception distributive de la justice. Dans ce contexte, la légitimité de l'Etat est ramenée à des fonctions de protection contre la force, la fraude, ainsi que des fonctions visant à imposer le respect des obligations contractuelles. C'est le sens qui semble ressortir de ce propos :

De chacun selon ce qu'il choisit de faire, à chacun selon ce qu'il fait pour lui-même (peut-être avec l'aide des autres sous contrat) et ce que les autres choisissent de faire pour lui et choisissent de lui donner. Prenant dans ce qu'il leur a donné auparavant (selon cette maxime), ce qu'ils n'ont pas encore dépensé ou dont ils ne s'en sont pas défait par transfert.165(*)

L'intérêt de cette exploration du libertarisme politique, avec pur cadre théorique d'étude F. Von Hayek et Robert Nozick réside dans la compréhension de l'orientation du problème de la pauvreté et du besoin dans cette doctrine. Le plus important dans la théorie sociale ici, c'est d'éviter qu'on aboutisse à une socialisation du droit qui donnerait à l'autorité politique le pouvoir d'intervenir dans le jeu de la catallaxie. Ils rejettent l'institutionnalisation de la sécurité sociale et développent une conception caritative du problème de la pauvreté qui, d'une part, reste insatisfaisante à plusieurs égards, et d'autre part, ignore que la préservation de la dignité humaine est une nécessité qui interpelle le rôle nécessaire de l'Etat dans cette distribution. L'intégration du problème de la pauvreté dans la réflexion libertarienne ne permet pas de donner une réponse claire au problème de la misère comme signe de l'inefficacité du système libéral.

Certes l'évolutionnisme socioculturel de Von Hayek pose le développement des régimes collectivistes mixtes comme principal responsable du déclin des sociétés libérales. Mais en gardant la recherche perpétuelle de l'efficacité comme fondement de l'évolutionnisme socioculturel, il faut souligner ici, comme a su le faire François Sicard, que l'ultralibéralisme n'est pas l'ordre social le plus efficace, puisqu'il se dépasse lui-même par des mécanismes d'intervention sociale qui changent sa nature166(*). F. Von Hayek, dans son analyse du problème de la pauvreté au sein des sociétés libérales, reconnaît à ces dernières le droit de prendre en charge ceux qui, temporairement ou de façon définitive, ne peuvent subvenir à leurs besoins. Malgré sa critique de la notion de « justice sociale », il admet cependant que les institutions sociales permettant la réalisation de cette justice, peuvent donner un sens moral à sa perspective évolutionniste.

Il n'y a pas de raison, écrit-il, pour que le gouvernement d'une société libre doive s'abstenir d'assurer à tous une protection contre le dénuement extrême sous la forme d'un revenu minimum garanti, ou d'un niveau de ressources au dessus duquel personne ne doit tomber. Souscrire à une telle assurance contre l'infortune excessive peut assurément être dans l'intérêt de tous ; ou l'on peut estimer que c'est clairement un devoir moral pour tous, au sein de la communauté organisée, de venir en aide à ceux qui ne peuvent subsister par eux-mêmes.167(*)

De ce propos, surgissent deux arguments en faveur de la redistribution. Le premier valorisant l'intérêt qui pourrait, le cas échéant, nous être utile à titre individuel, renvoie la théorie de Von Hayek à un ordre utilitariste qu'il est loin d'assumer. Le second argument, s'appuyant sur le concept de devoir moral, prend en considération la dignité de la personne. Mais ici, le devoir moral ne possède aucune effectivité. La forme de redistribution dont il est question ici, doit se réaliser hors marche.168(*)

Mais une des modalités philosophiques à travers laquelle se réalise le projet moderne de l'autonomie, se rapporte au sens de l'impératif catégorique kantien, c'est-à-dire la position de l'être humain comme fin en soi. A ce niveau, la défense libertarienne du droit de propriété comme droit absolu sur un bien particulier, nous parait insatisfaisante. Car dans ses versions développées par Von Hayek et Nozick, l'égalité démocratique n'est envisageable que de façon formelle, et se refuse d'admettre qu'une réduction des inégalités sociales soit la condition réelle de la liberté. Mais la question de l'autonomie politique exige aussi bien l'examen des conditions de possibilité de la liberté citoyenne que celle de l'égalité démocratique, dans le but d'une réduction des inégalités sociales qui hypothèquent sérieusement l'exercice de la liberté. Nous aboutissons là à une thématisation intéressante de la solidarité politique à partir des concepts de liberté et d'égalité, dans laquelle la justice sociale est un moment essentiel de la liberté.

* 156 Friedrich Von Hayek, Droit, Législation et liberté. Tome 1. Règles et ordre, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1995, p. 10.

* 157 Idem.

* 158 Friedrich Von Hayek, Droit, Législation et liberté. Tome 2. Le mirage de la justice sociale, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1995, p. 76.

* 159 Friedrich Von Hayek, Droit, Législation et liberté. Tome 1, p. 36-37.

* 160 Jean-Pierre Dupuy, Le sacrifice et l'envie. Le libéralisme aux prises avec la justice sociale, Paris, Calmann-Levy, 1992, p. 246-247.

* 161 Friedrich Von Hayek, Droit, Législation et liberté. Tome 1, p. 43.

* 162 Friedrich Von Hayek, Droit, Législation et Liberté. Tome 3. L'ordre politique d'un peuple libre, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1995, p. 117.

* 163 Robert Nozick, Anarchy, State and Utopia, New York, Basic books, 1974, trad. Fr. Evelyne d'Auzac de Lamartine et Pierre Emmanuel d'Auza, Anarchie, Etat et Utopie, Paris, PUF, 1988.

* 164 Ibid. p. 9.

* 165 Ibid., p. 200.

* 166 François Sicard, « La justification du libéralisme selon F. Von Hayeck », in Revue française de sciences politiques, 1989, n°1, vol.39, p. 178-199.

* 167 Friedrich Von Hayek, Droit, Législation et Liberté, Tome 2, p. 105.

* 168 Idem.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus