WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Penser la justice dans le monde, une urgence Rawlsienne

( Télécharger le fichier original )
par Eric Christian BONG NKOT
Université de Yaoundé 1 - Mémoire rédigé en vue de l'obtention d'un diplôme d'études approfondies ( DEA ) en philosophie.  2009
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

CHAPITRE IV : LE DROIT INTERNATIONAL : ENTRE LE REALISME POLITIQUE DE RAWLS ET L'IDEALISME MORAL ET INDIVIDUALISTE DU COSMOPOLITISME.

La recherche que nous entreprenons à ce niveau est orientée par un souci, à savoir comprendre comment le discours de l'ajustement fleurit dans l'ordre international actuel. Cet ordre est présenté sous la forme d'une totalité culturelle et historique, et dont l'universalité et la permanence de la structure technique, économique et politique, est irréversible. Une question se poserait dès lors : comment le droit, expression dans ses principes, de l'autonomie et de la souveraineté, peut en même temps se présenter sous une forme performative et idéologique, et être un discours de l'ajustement ? Comment résoudre ce paradoxe qu'un dérivé de l'autonomie s'oppose à l'autonomie ? Il existe un usage démagogique du droit qui en fait une catégorie heuristique dans la définition des politiques de l'ajustement. La mise en perspective de cet usage démagogique sert de préalable à l'orientation de notre interrogation qui sera centrée sur deux axes.

Le premier essayera d'analyser la portée concrète de l'idée de citoyenneté cosmopolitique développée par l'idéologie du cosmopolitisme. Ici, nous entendons le point de vue actuellement mis en avant par les défenseurs d'un ordre politique mondial conçu comme une association d'individus. Ces derniers sont les seuls à avoir une véritable valeur morale, et leurs droits et intérêts doivent être protégés par les institutions internationales et prévaloir sur ceux des Etats. La conception traditionnelle de l'ordre mondial comme association d'Etats souverains est dévalorisée. Le second axe examine la manifestation de la dérive idéaliste du droit et de la politique internationale dans l'élaboration des philosophies de l'ajustement en Afrique.

A. THEORIE DE L'IDENTITE POSTNATIONALE ET LA QUESTION DE LA CONSOLIDATION DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE.

L'optique favorable à la construction d'une identité post nationale en vue de la consolidation du système des nations repose sur deux thèses. La première insiste sur l'importance d'une « structure de base globale »190(*) et des principes de justice distributive globaux débordant les frontières des Etats-nations. On rejette ainsi le principe de l'autosuffisance économique interne.191(*) La seconde thèse insiste sur la nécessité de fonder la solidarité internationale sur un ordre démocratique supranational, visant à maîtriser les effets néfastes de la mondialisation des marchés.192(*) Cette fois, c'est le principe qui fait des Etats-nations les principaux acteurs de la scène internationale qui est rejeté.

1. Le rôle d'une justice distributive entre les peuples.

La justice distributive est essentiellement liée à l'expérience du pluralisme mieux à la gestion des conflits identitaires dans la société. Que l'on se préoccupe de la bonne distribution des avantages et charges de la coopération sociale,193(*) ou plus particulièrement de la bonne distribution des ressources économiques,194(*) la priorité est accordée à la sphère interne de la société. A ce niveau, le dénominateur commun aux différentes théories contractualistes de la société se résume en un cadre communément partagé d'une identité institutionnelle qu'on imposerait à l'ensemble des individus.

Mais une fois envisagée à l'échelle mondiale, la justice distributive fait face à un dilemme fondamental issue, non seulement de la dialectique des identités culturelles originaires/historiques et des cultures politiques nationales, mais aussi la dialectique des cultures nationales et de la culture mondiale, cette dernière se voulant le point culminant, la fin des autres. Et compte tenu de la marche irréversible de la dissolution des cultures locales dans la culture mondiale, la norme de conduite imposable aux Etats est le respect des droits de l'homme. Erigée en critère de légitimation politique dans les relations internationales, la catégorie des droits de l'homme créée une plate forme politique favorisant le surgissement d'un concept de personne cosmopolitique communément partagé. Dès lors, malgré le fait que les sociétés non libérales n'ont aucune expérience historique de la conception politique de la personne et de l'éthique de la discussion, concept propres à la tradition politique libérale, leurs citoyens s'imprègnent de ces concepts au fur et à mesure qu'ils intègrent le système international. Ils acquièrent ainsi, eux aussi, le statut de citoyens cosmopolitiques, et peuvent être favorablement disposés à l'égard des principes du libéralisme politique.

Cette exploration des principes du libéralisme politique à l'échelle internationale, avec pour moment clé le surgissement du concept de personne cosmopolitique, se fonde sur le principe de l'individualisme moral égalitaire. Il se propose d'articuler les valeurs de liberté et d'égalité pour tous les hommes, quelques soient leurs lieux de naissance. Ici, au sein de la « structure de base globale » où se déplorent les relations internationales, la méthode de la position originelle s'applique à tous les individus. Cette idée d'une extension de la position originelle à l'échelle mondiale est présente dans la pensée de Rawls.

Mais Rawls conçoit l'idée d'une « structure de base globale » comme irrecevable. Car l'objet de la justice est la structure de base de la société, c'est-à-dire l'ensemble des institutions sociales, politiques et économiques fondamentales de la société. Et les seules institutions de base existantes se relient à des sociétés organisées en « communauté nationales indépendantes ».195(*) Ainsi, lorsque Rawls tire de sa théorie des principes de justice internationale, la position originelle concerne, non pas des individus proprement dits, mais des représentants des Etats. Et bien que se mouvant aussi derrière le voile d'ignorance, ces représentants d'Etat indépendants ne souscrivent pas à un quelconque principe de redistribution, et ignorent en particulier le principe de différence.

Cependant, la globalisation de plus en plus accélérée de l'économie et des moyens de communication semble être un fait qui échappe à Rawls. Il existe de plus en plus d'institutions supra étatiques, c'est-à-dire d'organisation économiques et politiques supra nationales et des organisations civiques non gouvernementales qui, dans les faits, remettent en cause le rôle privilégié de l'Etat dans les relations internationales. L'intuition de base ici suggère que les effets de la mondialisation, à savoir l'ouverture des économies, l'intégration des marchés et des firmes à l'échelle internationale, les politiques de libéralisation qui facilitent la circulation des biens et facteurs, tout cela doit conduire à la « dévalorisation des frontières. »196(*) Ce qui a conduit certains théoriciens de l'économie politique internationale comme Robert Reich et Karl Ohmae à proposer, soit la suppression dans le vocabulaire économique de la notion de « balance de payement d'un pays » parce qu'elle constitue un anachronisme dans l'économie mondialisée, et à prédire l'avènement d'un monde sans frontières (a borderless world). C'est à cette intuition qu'on doit la dynamique intellectuelle ayant conduit au développement du concept de « structure de base globale ». Ce dernier envisage la possibilité à l'échelle internationale, d'une diversité irréductible de conceptions compréhensives de la personne, et pose les jalons nécessaires à la réalisation des conditions favorables à la mise en place du libéralisme politique à l'échelle internationale. On admet ici une seconde ronde au sein de la position originelle, ronde qui inclue l'ensemble des individus de la communauté internationale.

Ainsi donc, l'usage de la position originelle comme dispositif garant de l'impartialité et de l'universalisme juridique semble commettre un certain libéralisme politique à définir le droit international sous la forme d'une globalisation du principe de différence. On applique au système international le raisonnement ayant permis de choisir le principe de différence comme principe de justice sociale. Dans le soucie d'établir un schème coopératif suffisant dans le système des Etats, les représentants des nations choisiraient un principe international de différence pour s'assurer le meilleur sort possible au sein de la communauté internationale. Le politologue Charles R. Beitz justifie ce choix et accorde au principe international de différence le statut d'un

(...) principe de redistribution des ressources qui donnerait à chaque société une chance équitable de développer des institutions justes et une économie capable de satisfaire les besoins fondamentaux de ses membres.197(*)

Ceci est possible par le fait que ce principe international de redistribution

Procure aux individus dans les pays pauvres en ressources l'assurance que leur mauvaise fortune ne les empêchera pas de remplir les conditions économiques suffisantes pour soutenir les institutions sociales justes et protéger les droits de l'homme.198(*)

On peut lier ce raisonnement à la vision modérée du cosmopolitisme défendue par Thomas Pogge,199(*) David Held200(*) ou Michael Keating.201(*) L'objectif ici est de repenser la nature et la portée du concept de souveraineté au sein des Etats-nations. Ils proposent un concept polycentrique et différencié de la souveraineté où l'Etat-nation doit composer avec des instances supranationales de redistribution des richesses. Une conception interactive de la souveraineté dans laquelle, les différents centres du pouvoir politique, à l'échelle locale, nationale et internationale, se partageraient les responsabilités, selon les types de problèmes à résoudre. A cet effet, David Held voit dans l'Etat-nation un lieu d'auto législation des citoyens parmi tant d'autres, qui devra continuer à jouer un rôle dans la scène internationale. Dans son ouvrage Democracy and the Global Order, il affirme :

Il ne peut plus y avoir une prise en compte de l'Etat démocratique moderne sans un examen du système global, mais il ne peut non plus y avoir un examen du système global sans une prise en compte de l'Etat démocratique.202(*)

Plus loin, dans le même ouvrage, il déclare :

Sur l'arrière plan d'un ordre politique cosmopolite, l'Etat-nations, en temps opportun, s'atrophierait, mais cela ne veut pas dire que les Etats et les communautés nationales deviendraient redondants. Il y a plusieurs bonnes raisons (...) de douter des fondements empiriques et théoriques des prétentions à l'effet que les Etats-nations disparaîtront.203(*)

On objectera très bien ici que le concept polycentrique de souveraineté placé au coeur de la justice globale, convient très bien aux pays puissants. Il est difficile aux pays pauvres, en proie à des conflits armés internes, à la ruine des institutions politiques et sociales, à la faiblesse des gouvernements, de résister aux mécanismes d'ajustement proposés par les pays riches, puissants et les institutions financières internationales, se présentant comme des partenaires au développement. Cela se fait par le biais des conditionnalités politiques, économiques et sociales, dont les effets pratiques se voient dans l'ouverture des frontières et la privatisation des actifs et biens publics, la stabilisation des structures macro-économiques, financières, monétaires, budgétaires, l'intrusion de la société civile internationale dans la vie intime des Etats, le contrôle exercé par des groupes d'affaires multinationaux sur les ressources naturelles des Etats, etc.

A cet effet, cette extension du libéralisme politique au droit international pourrait en effet passer pour une forme d'expansionnisme idéologique. Aussi Rawls l'écarte-t-il de sa conception contractualiste de la justice internationale. Pour lui, cette démarche, dite cosmopolite, fait face à un dilemme issu du fait qu'elle cherche à construire des principes de justice pour un monde comprenant une diversité de cultures et de tradition, en partant de prémisses normatives fondamentalement libérales. Elle ne prend pas en compte dans ses analyses, le fait du pluralisme  à l'échelle internationale, et risque d'être intolérante vis-à-vis des sociétés non libérales en exigeant d'elles qu'elles deviennent membre d'un système cosmopolitique libéral.

Les tenants de ce cosmopolitisme modéré pourront répliquer sans doute que le concept de souveraineté polycentrique ou partagé qu'ils proposent, s'inscrit dans une stratégie de renforcement des pays pauvres sur la scène internationale. Cela peut être vrai. Mais il n'en demeure pas moins vrai que le statut d'un Etat puissant, en vertu de sa reconnaissance internationale, reste préférable au statut d'un pays pauvre. Et c'est là une des raisons pour lesquelles la souveraineté de l'Etat-nation demeure un point important pour l'émancipation des pays faibles et pauvres.

* 190 Allen Buchanan, «Rawls's Law of Peoples: Rules for a Vanished Wesphalian World», Ethics, 110/4, 2000, p. 697.

* 191 On retrouve cette idée dans les écrits de Brian Barry, Charles Beitz, Thomas Pogge. De Brian Barry, on peut consulter les textes suivants : Theories of Justice : a Treatise on Social Justice, vol.1, Hemel Hempstead, Harvester Wheatsheaf, 1989; «International Society from a Cosmopolitan Perspective», in D.Mapel and T. Nardin (dir.), International Society: Diverse Ethical Perspectives, Princeton, University Press, 1999, p. 144-163. De Charles Beitz, on peut consulter entre autre: Polical Theory and International Relations, Princeton, University Press, 1979; «International Liberalism and Distributive Justice: a Survey of Recent Thought», in World Politics, 51/2, 1999, p.269-296. De Thomas Pogge, on peut consulter entre autre: Realizing Rawls, Ithaca, Cornell University Press, 1989.

* 192 Cette thèse se rapporte aux travaux de Jürgen Habermas sur la question du nationalisme, publiés dans l'Intégration républicaine, Paris, Fayard, 1998, et Après l'Etat-nation, Paris, Fayard, 2000.

* 193 John Rawls, Théorie de la justice, p. 33.

* 194 Bull Hedley, The Anarchical Society, New York, Columbia University Press, 1977, Chap.4.

* 195John Rawls, Théorie de la justice, p. 499.

* 196 François Perroux, L'Europe sans rivages, Grenoble, P.U.G, 1990, p. 271.

* 197 Charles R. Beitz, Political Theory and International Relations, op.cit., p.141.

* 198 Ibid, p.142.

* 199Cf: «Cosmopolitanism and Sovereignty» in Ethics, 103, 1992, p. 48-75.

* 200Cf: Democracy and the Global Order. From Modern State to Cosmopolitan Governance, Stanford, University Press, 1995.

* 201Cf: «Nations without States: the Accomodation of Nationalism in the New State Order», in M. Keating and Mc Garry (dir.), Minority Nationalism and the Changing International Order, Oxford, University Press, 2001, p.19-43.

* 202 David Held, Democracy and the Global Order, op. cit., p. 27.

* 203 Ibid., p. 233.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote