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L'insécurité des travailleurs humanitaires dans les zones de conflits armés

( Télécharger le fichier original )
par Nabi Youla DOUMBIA
Institut des relation internationales et stratégiques - Master les métiers de l'humanitaire 2009
  

Disponible en mode multipage

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    IRIS/BIOFORCE

    Diplôme privée d'études supérieures : LES MÉTIERS DE L'HUMANITAIRE

    Année: 2009/2010

    MÉMOIRE DE FIN D'ÉTUDE

    L'INSÉCURITÉ DES TRAVAILLEURS HUMANITAIRES DANS LES ZONES DE

    CONFLITS ARMÉS

    SOUS LA DIRECTION DE

    JACQUES SERBA

    Ex président d'Action Contre la Faim (A.C.F.)

    Présenté par

    NABI YOULA DOUMBIA

    L'INSÉCURITÉ DES HUMANITAIRES DANS LES ZONES DE CONFLITS ARMÉS

    Sommaire

    SIGLES 4

    REMERCIEMENTS 5

    AVANT-PROPOS 6

    INTRODUCTION 7

    Chapitre 1 : L'ÉMERGENCE DES ONG HUMANITAIRES DANS LA PÉRIODE POST GUERRE FROIDE 15

    I. La multiplication des conflits et la floraison des O.N.G. humanitaires 15

    II. La reconnaissance internationale des humanitaires 29

    III. La protection internationale des humanitaires 37

    Chapitre 2 : LE CIBLAGE CRIMINEL DES HUMANITAIRES 47

    I. Des violences essentiellement intentionnelles 48

    II. Les humanitaires une cible molle 65

    III. Quelques pistes de réflexion 69

    CONCLUSION 76

    BIBLIOGRAPHIE 78

    TABLE DES MATIERES 81

    ANNEXES 82

    TABLEAUX 84

    SIGLES

    A.C.F. : Action Contre la Faim

    BONGO: Business Organized NGO

    C.B.L.M.: Coalition to Ban Land Mine

    C.I.C.R.: Comité International de la Croix Rouge

    CONGO: Conference of NGO in Consultative relashionship with U.N.

    D.I.H.: Droit International Humanitaire

    DONGO: Donors organized NGO

    ECHO: Europeen Commission for Humanitarian affairs Office

    ECOSOC : Conseil Economique et Social de l'ONU

    GONGO: Government Organized NGO

    G.T.T. : Guerre Totale contre le Terrorisme

    M.D.M. : Médecins Du Monde

    MONGO: My Own NGO

    M.S.F. : Médecins Sans Frontières

    O.N.G. : Organisation Non Gouvernementale

    ONU: Organisation des Nations Unies

    U.N.: United Nations

    VOICE: Voluntary Organizations In Cooperation in Emergencies

    REMERCIEMENTS

    J'aimerais remercier tous ceux, institutions ou personnes, qui ont contribué d'une manière ou d'une autre à la réalisation de cette étude. Ma reconnaissance s'adresse en premier à l'État de Côte d'Ivoire pour la généreuse bourse qu'il m'a accordée.

    Je remercie l'IRIS et BIOFORCE pour la qualité des enseignements et surtout pour la passion de l'humanitaire qu'ils ont su nous faire partager.

    Toute ma gratitude va à l'endroit de mon encadreur : Jacques Serba dont les précieux conseils m'ont guidé tout au long de ces lignes.

    A ma famille : ma tante Khady, mes frères Mohamed et Fatoumata ;

    A tous mes amis Hortense, Nafie, Emilie, Djibril, Fatou et Maxime ;

    A toute la promotion huma 2009,

    J'adresse mes sincères remerciements.

    AVANT-PROPOS

    L'insécurité des travailleurs humanitaires avant d'être un sujet de mémoire est l'occasion d'un drame humain. Le maniement froid des chiffres relatifs à la mortalité et à l'ensemble des violences subies ne traduit aucunement une indifférence quant aux souffrances ou un quelconque manque de compassion. Au contraire, entre ces lignes il faut lire un sentiment profond d'empathie pour ses'' héros'' des temps modernes. Le souci d'objectivité de cette étude a pour seule finalité de comprendre et non d'accepter, le sort injuste réservé à ces humanistes.

    Ce mémoire est aussi un hommage à tous ceux qui sont morts en mission et un encouragement à ceux des nôtres qui ont décidé par tous les moyens pacifiques de faire tomber ce nouveau mur de la honte qui se dresse entre les humanitaires et les populations en besoin.

    Ce mémoire n'est ni plus, ni moins qu'une contribution dans ce sens.

    INTRODUCTION

    La question de la sécurité des humanitaires revient de façon constante depuis la naissance de la Croix Rouge en 1863. Idée déjà présente dans les souvenirs de Solferino et entérinée plus tard dans les conventions de Genève de 1864 puis celles de 1949, le principe de la protection des humanitaires apparait comme le socle de l'humanisation des conflits. La neutralisation des humanitaires est, en effet, identifiée comme le pilier du Droit International Humanitaire (D.I.H.). Toute atteinte contre eux signifiant la ruine de l'édifice. Ainsi, pour garantir cette immunité, Dunant proposait une croix rouge sur fond blanc pour distinguer les humanitaires des combattants et leur épargner ainsi, au coeur de la barbarie, les effets collatéraux.

    Toujours formulé, constamment violé et régulièrement renforcé, ce principe de protection connait depuis la décennie 90 une période de frilosité et sa violation atteint des proportions inquiétantes.

    Des manifestations d'hostilité se traduisant par des meurtres apparaissent ça et là dans les quatre coins du globe avec pour cible des travailleurs humanitaires. Dix-sept (17) employés de A.C.F. (Action Contre la Faim) froidement assassinés à Muttur au Sri Lanka en août 2006, deux employés de M.S.F. Hollande enlevés le 4 août 2009 au Tchad, des humanitaires régulièrement enlevés en Afghanistan, etc. Il ne se passe pas de jour sans que la violence contre les humanitaires se manifeste sous une forme ou une autre. Cette situation contraste fortement avec la période de la guerre froide. Tout au long de cette période, les humanitaires jouissent d'une sécurité relative. Les État États soucieux de leur image les préservaient tandis que les groupes rebelles les appréciaient parce qu'ils leur conféraient une certaine légitimité.

    Les violences ne sont pas, pour autant, une nouveauté. Ce qui change fondamentalement c'est l'ampleur du phénomène car l'histoire de l'action humanitaire est d'une certaine façon, l'histoire de ses martyrs. Aventuriers franchissant clandestinement les frontières d'États en conflits avec pour seules armes un sac contenant quelques aspirines, un bistouri et une foi inébranlable aux valeurs de l'humanisme, les humanitaires furent souvent la proie de bandes armées pour ce qu'ils possédaient et rarement pour ce qu'ils étaient (humanitaires ou occidentaux)1(*)

    Avec l'ouverture du Rideau de fer, une double mutation transforme le mouvement humanitaire. D'une part, cet acteur intrépide et marginal des relations internationales s'arroge un espace de plus en plus important et une reconnaissance internationale. D'autre part et de façon paradoxale, l'humanitaire est la cible directe de certains acteurs politiques qui le contestent jusque dans ses fondements. L'humanitaire a jamais été aussi fort et présent sur la scène internationale et autant victime d'actes criminels. Mais avant d'aller plus loin en avant, une mise au point sémantique s'impose. Qu'attendons-nous des concepts d'humanitaire, d'insécurité et de droit international humanitaire?

    La notion d'humanitaire renvoie à des réalités aussi diverses et variées que ses auteurs. Pourtant, son emploi est récent. Son origine remonte selon le dictionnaire Robert à 1833 et évoque ce qui vise au bien de l'humanité et le célèbre dictionnaire d'ajouter: propre à la période romantique avec référence à Lamartine. A partir des années 80, l'expression fait florès et s'impose à la mode en rapport avec la fascination du public pour le sans frontiérisme. Le substantif va se décliner alors en adjectif: on parle de crise humanitaire, de catastrophe humanitaire, de mission humanitaire, et d'action humanitaire. L'emploi abusif ou impropre dans certaines expressions n'enlève rien à la vulgarisation de la notion et son emploi tout azimut2(*).

    A rebours des conceptions profanes, les professionnels du secteur proposent des définitions les unes larges, les autres restrictives à partir de quatre critères communs: l'acteur, le domaine d'intervention, le lieu et les modalités d'intervention (emploi ou non de la force). Le C.I.C.R. (Comité International de la Croix Rouge) donne de l'humanitaire une définition qui englobe l'ensemble de ses activités: promotion et respect du D.I.H., visite aux prisonniers, soins et aides aux blessés et populations vulnérables. Le H.C.R. (Haut Commissariat aux Réfugiés) abonde dans le même sens et cite la fourniture de secours comme de vivres, de l'eau, des matériaux pour construire des abris et des soins médicaux, en somme toute la palette d'activités qu'il déploie dans les camps de réfugiés. A cette liste, il ajoute le déminage, le respect du D .I.H., le lobbying en faveur des droits de l'Homme et même les interventions militaires « pour préserver la sécurité d'une population déplacée ou touchée par la guerre »3(*).

    Pour Rony Brauman, l'action humanitaire ne saurait s'accommoder de la force. Elle est limitée à la fois dans ses actions (liées à l'urgence) et ses acteurs (emploi prohibitif de la force). Il propose la définition restrictive suivante: « l'action humanitaire est celle qui vise sans aucune discrimination et avec des moyens pacifiques à préserver la vie dans le respect de la dignité, à restaurer l'homme dans ses capacités de choix.»4(*)

    Deux polémiques principales ont entouré l'usage de cette notion: l'une relative au temps et l'autre aux moyens. Pour une organisation comme M.S.F (Médecins Sans Frontière), le temps de l'humanitaire est celui de l'urgence au point de s'y confondre. C'est ainsi que fidèle à cette conception, elle se retire du Sri Lanka, quatre jours seulement après le tsunami du 24 décembre 2004, parce qu'il n'y avait pas ou plus d'urgence médicale. Pour la plus grande organisation française de solidarité internationale, le fondement et la légitimité de l'action humanitaire se situe dans l'urgence. La réhabilitation des infrastructures, le développement et les programmes qui y ont trait doivent appartenir en toute légitimité aux États et organisations internationales constituées à cette fin (PNUD, Banque Mondiale, ...).

    A l'opposé, les autres grandes O.N.G. françaises étendent le sens de l'humanitaire à la post-urgence. Pierre Micheletti, président de médecins du monde (M.D.M.) affirme ceci: « aucune O.N.G. ne peut revendiquer de façon dogmatique l'exclusivité de la définition de ce qu'est ou doit être l'aide humanitaire5(*)  Pour lui et pour l'O.N.G. à laquelle il appartient, l'humanitaire ne saurait tourner le dos une fois l'urgence vitale passée. Les actions de reconstruction des infrastructures détruites ou inopérantes afin de mieux armer les populations bénéficiaires contre la survenue de catastrophes futures, s'avèrent indispensables.

    Une dernière approche plus large originaire des sciences politiques regroupe dans le vocable d'humanitaire trois familles d'acteurs de la solidarité internationale: les urgentistes qui agissent dans l'urgence et souvent la post-urgence; les développementalistes dont les programmes s'inscrivent dans la durée et les défenseurs des droits de l'homme dont l'action se situe essentiellement dans le plaidoyer.

    La frontières entre ces trois catégories d'acteur et d'action ne sont pas étanches et la décennie 90 a vu la plupart des organisations sinon toutes plonger dans le plaidoyer et la défense des droits humains. Cette fuite en avant dans les droits n'épargne aucune organisation. Le combat de M.S.F. aux cotés des pays pauvres pour le droit à la santé notamment celui de fabriquer des génériques sans passer par la caisse des droits de propriété s'inscrit dans cette mouvance. Handicap International mène, en parallèle à ses actions de déminage, une campagne à succès pour interdire les mines anti-personnelles. Médecins Du Monde s'affiche tout comme Oxfam aux cotés des altermondialistes pour revendiquer un changement des règles du jeu international. Toutes les grandes O.N.G. semblent avoir compris que pour changer la situation des hommes, il faut changer celle de l'Homme.

    Les moyens utilisés par les humanitaires constituent également un point d'achoppement surtout en ce qui concerne la définition des acteurs. Les moyens militaires non pacifiques peuvent-ils servir à des fins humanitaires? Autrement dit, une aide du H.C.R. sécurisée par des troupes sous mandat onusien ou un programme d'une O.N.G. protégée par une milice armée peuvent-ils conserver la dignité d'humanitaire? La réponse n'est pas aisée. Un schisme apparait entre les conceptions pragmatiques anglo-saxonnes plus inclines à une collaboration voire une compromission avec la puissance politique et une tradition française qui veut se tenir à carreau du politique.

    Les situations d'urgence extrême sont le cadre d'une cohabitation voulue ou tolérée entre humanitaires, États et milices. Le degré de leur collaboration en fonction de la nature des O.N.G. et de la dangerosité de la zone, est le fruit d'un arbitrage entre les exigences de sécurité et celle d'impartialité. Un consensus néanmoins se dégage pour rejoindre la définition de Brauman énoncée plus haut, et qui exclut catégoriquement les actions non pacifiques. Le même consensus vaut pour les États. Pour les O.N.G., quelque soit la forme dont il se présente et dont elles peuvent, par ailleurs, tirer profit (ministère de l'humanitaire, secrétariat d'État à l'humanitaire) les États sont forclos de la définition de l'humanitaire. Aussi lorsque la notion leur est appliquée on prend soin d'y ajouter État: humanitaire d'État par opposition à humanitaire tout court qui désigne les organisations internationales de mandat économique et social, le C.I.C.R. et les O.N.G.

    Dans le cadre de ce travail, l'action humanitaire, est l'activité professionnelle des organisations suivantes: le C.I.C.R., les O.N.G. et les structures spécialisées des Nations Unies à vocation économique et sociale telles le PNUD, L'UNICEF, ONUSIDA; dont les objectifs pacifistes visent la défense des droits de l'Homme. Les activités des organisations humanitaires se déploient à l'international (exclusion des organisations régionales), aux côtés de victimes de catastrophes humaines ou naturelles. Par conséquent, le travailleur humanitaire est l'employé expatrié ou national de ces dites organisations.

    L'insécurité est le manque de sécurité; l'état de ce qui n'est pas sûr, le contraire de la sécurité. C'est un état de manque, un écart par rapport à une norme qui définit le bien être de l'Homme. On parle d'insécurité alimentaire lorsque les conditions d'accès en quantité d'une nourriture saine et de bonne qualité, sont limitées ou compromises. L'insécurité économique est un état de précarité de l'emploi. Quant à l'insécurité tout court, elle renvoie à la situation dans laquelle quelqu'un ou quelque chose est exposé à un danger, à un risque d'agression physique, d'accident, de vol ou de détérioration. L'insécurité à un aspect subjectif: le sentiment d'insécurité de l'ordre du vécu qui correspond aux représentations et sentiments éprouvés dans un environnement défini comme dangereux. Cet aspect étranger à cette étude ne sera pas abordé. En revanche l'insécurité objective entendue comme l'ensemble des actes constitutifs de l'insécurité c'est-à-dire l'inventaire de toutes les atteintes physiques, matérielles ou symboliques dont sont victimes les humanitaires constitue la matière de cette étude.

    Le droit international humanitaire (D.I.H.) contrairement à l'idée qu'il évoque d'emblée n'est pas le droit des humanitaires encore moins celui applicable à l'humanitaire. C'est plutôt le droit international applicable aux conflits armés qu'ils soient internationaux (plusieurs États) ou internes (à l'intérieur d'un même État). Il ne s'applique pas en revanche dans des situations de troubles intérieurs qui restent régies par le droit interne des États. La matière du droit international humanitaire est constituée des quatre conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels de 1977. Droit pragmatique, le D.I.H. poursuit deux objectifs : protéger les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités et limiter les méthodes et moyens de guerre.

    Pour analyser et comprendre la question de l'insécurité des humanitaires c'est-à-dire des meurtres, enlèvements, viols, vols et violences physiques dont, ils sont victimes, nous partirons de l'émergence des O.N.G. humanitaires après la guerre froide. Nous analyserons, ainsi, comment à partir de l'étiolement des conflits idéologiques et à la faveur de la mondialisation, une nouvelle architecture conflictuelle géopolitique à vu le jour, favorisant la floraison des organisations humanitaires et leur passage de la marge, au coeur des relations internationales.

    La question stricto sensu de l'insécurité des travailleurs humanitaires, de sa nature et de ses manifestations fournit le contenu de la seconde partie, qui se termine sur quelques propositions en vue d'éradiquer ou de réduire, selon toute vraisemblance, la vulnérabilité des humanitaires dans le sacerdoce qui est le leur: sauver des vies sans mettre en péril les leurs.

    La question n'est pas nouvelle même si les études scientifiques qui l'abordent sont récentes (années 1990) et bien d'esprits brillants l'ont traitée. Aussi notre méthodologie consiste en une approche analytique. A partir du dépouillement et de l'analyse des études scientifiques existantes, nous essaierons d'établir les constantes et régularités du phénomène qui nous intéresse avant de proposer quelques pistes de réflexion.

    La période d'étude retenue est 1990-2005. Le choix de ces deux dates n'est pas fortuit. Si les premières agressions contre les humanitaires sont aussi vielles que le métier lui-même, il faut attendre les années 90 pour voir exploser le nombre des atteintes à la sécurité des humanitaires marquant, par sa fréquence et son intensité, une rupture avec le passé. En outre, la collecte systématique des données victimologiques, date de cette période. Quant à l'année 2005, elle marque le terme d'une des études les plus récentes qui fait autorité sur le sujet. Il s'agit en l'occurrence de ''providing aid in insecure environments: trends in policy and operations'' d' Abby Stoddard. Le choix d'une date passée permet de ne pas se laisser porter par les vagues de l'actualité et de retenir que l'essentiel c'est-à-dire ce qui reste constant à travers le temps.


    Chapitre 1 : L'ÉMERGENCE DES ONG HUMANITAIRES
    DANS LA PÉRIODE POST GUERRE FROIDE


    La chute du Mur de Berlin en 1989 en tant que symbole de la destruction d'un monde ancien, celui des antagonismes Est-Ouest et de la guerre idéologique que se sont livrée par satellites interposés les deux super puissances américaine et soviétique depuis 1947, bouleverse en profondeur les relations internationales et la réalité géopolitique. Les O.N.G. humanitaires ne résistent pas à cette tourmente et sont vite emportées par le souffle du monde nouveau qui leur confère une place de plus en plus grande dans le processus de prise de décision au niveau global. Un ensemble de mutations profondes liées à la disparition du pôle de puissance soviétique et à la mondialisation font d'elles un acteur privilégié des relations internationales. La période post guerre froide affecte ces organisations, au moins sur trois plans. La multiplication des conflits et la floraison des O.N.G., l'acquisition d'une légitimité à aborder et influencer certains sujets internationaux et l'intérêt croissant de la communauté internationale pour les questions humanitaires à l'origine d'un ensemble de règles qui les protège contre les attaques dont elles sont la cible.

    I. La multiplication des conflits et la floraison des O.N.G. humanitaires

    Aux conflits interétatiques qui caractérisent la période de la guerre froide succède une période marquée par la multiplication des conflits intra-étatiques. La fin de l'antagonisme Est- Ouest prend au dépourvu nombre d'États fragiles dont la cohésion et l'unité n'étaient maintenues que par et grâce à l'aide matérielle des puissances tutélaires. Ainsi les États d'Europe de l'est, de l'Afrique et de l'Asie vont perdre l'intérêt géostratégique qui justifiait leur soutien. En 1990 François Mitterrand, dans les sillons tracés par Reagan au États-Unis, conditionne l'aide économique à ses anciennes colonies, au respect des règles de la démocratie.

    De l'autre coté du mur, la faillite économique de l'URSS, l'empêche de jouer son rôle de soutien à ses pays camarades. Depuis lors, de nombreux États fragiles jusque là tenus à bout de bras par les super puissances russe et américaine, ont implosé. L'intérêt stratégique n'étant plus évident, les États riches vont se désintéresser de ces pays déchirés par la guerre.

    Les O.N.G. vont immédiatement occuper l'espace resté vacant. Selon les chiffres de l'Union des Associations Internationales (U.I.A.), on en dénombre plus de 30000 à travers le monde6(*). Chiffre auquel il faut ajouter les différentes plates formes associatives: thématiques, géographiques, confessionnelles, opérationnelles, ou syndicales.

    1. Les conflits déstructurés et identitaires

    A l'aube des années 90, les conflits interétatiques qui ont marqué la période de la guerre froide se raréfient au point de faire dire aux spécialistes qu'ils sont une catégorie obsolète. Cependant, une nouvelle ère irénique ne s'ouvre pas. Les conflits de basse intensité opposant des groupes ethniques ou politiques se substituent à l'ancienne forme de conflictualité. Michel Fortmann de l'Institut Québécois des Hautes Études Internationales dira à ce propos: « l'ordre du jour international est dominé par les confrontations militaires régionales et locales opposant des groupes minoritaires et des gouvernements dans le cadre de sociétés divisées. »7(*) Les conflits déstructurés sont caractérisés par des conflits internes à l'intérieur d'États incapables de maintenir l'ordre et la sécurité à l'intérieur de leurs frontières.

    Bien entendu les conflits intra étatiques ne naissent pas à cette période et on peut remonter aussi loin dans la genèse des États pour en trouver les traces.

    Ce qui change fondamentalement c'est l'ampleur que le phénomène prend après cette date. De la Yougoslavie en Europe, au Congo R .D.C. en Afrique, les États en panne ou États faillis ou encore collapse states dans la terminologie anglo-saxonne, peinent à exercer le monopole de la violence légitime dans leurs propres limites géographiques.

    Les Nations Unies dénombrent en 1994, 82 nouveaux conflits dont 79 internes. D'après le rapport 2009 du Stockholm International Peace Research Institut (SIPRI), aucun conflit interétatique n'a été déploré depuis 2003. Au cours des dix dernières années, sur les 34 conflits majeurs( plus de 1000 morts directement liés aux combats) signalés, seuls 3 ont opposé un État à un autre : Érythrée-Éthiopie (1998-2000) ; Inde-Pakistan (1997-2003) ; Irak-États-unis (2003). En revanche, les conflits internes ou déstructurés constituent l'essentiel des guerres contemporaines. Certains d'entre eux ont une origine lointaine.

    C'est le cas du Congo. Ce pays qui dispose d'énormes ressources minières connait depuis son indépendance en 1960, des vagues successives jamais interrompues de tentatives de sécession. D'abord localisée dans le Katanga, c'est au tour des régions de l'Ituri et du nord Kivu d'être ensanglantées par un conflit déplacé que se livre les frères ennemis Tutsi et Hutu du Rwanda voisin.

    Un autre exemple emblématique de cette faillite des États est le cas de la Côte d'Ivoire. Jadis fleuron de l'Afrique, ce pays a longtemps constitué une exception stabilité dans un océan d'instabilité ( tous ses voisins ont connus des guerres ou des période d'instabilité politique: guerre Mali-Burkina Faso en 1985, guerre civile au Liberia (1990), coups d'États Guinée (1983), Mali (1968;1991), Burkina Faso (1966;1974;1980;1982;1983;1987),Ghana(1966,1967,1972,1979,1981).

    Des difficultés d'ordres économiques et politiques vont précipiter ce pays dans les abysses de la guerre civile en 2002. Si «l'ivoirité», concept raciste de la nation ivoirienne a pu constituer un fondement politique de la guerre, c'est plutôt la faillite de l'État, son incapacité à maintenir l'ordre, qui manifestement à permis la scission du territoire.

    Le Soudan connait depuis l'aube de son indépendance en 1954, six ans avant les autres États africains, une guerre fratricide entre le pouvoir de Khartoum et les négro-chrétiens de John Garang. Sitôt achevée en 2000, les Fours de la région du Darfour prendront la relève des sécessionnistes du sud pour contester l'autorité de Khartoum. Considéré par certain comme le premier génocide du 21e siècle, même si une telle appellation ne fait pas l'unanimité ce conflit traduit l'état de déliquescence du Soudan et ses difficultés à exercer pleinement ses attributs d'État sur le plus vaste territoire d'Afrique.8(*)

    Terminons cette présentation non exhaustive des «États fatigués» africains par la Somalie. Nation sans État dont le gouvernement au demeurant en exil, réside au Kenya, pays voisin. Ce pays atypique est l'archétype d'une autorité étatique impuissante à exercer pleinement ses attributs. Le pouvoir est disséminé entre les mains de chefs de guerre et de milices qui suppléent l'ordre légal. Signe de l'inexistence de l'État, des groupes armés se sont spécialisés dans la piraterie : l'attaque de navires transitant par le golf d'Aden et la prise en otage des équipages marins. La nature a horreur du vide et le gouvernement en s'exilant (de force) laisse le champ libre à des aventuriers de tout acabit: des chefs de guerre et de tribus qui règnent en maîtres absolus sur les parcelles de territoires qu'ils se sont arrogées.

    Il est extrêmement périlleux de distinguer les conflits identitaires de ceux liés à la déliquescence de l'État. Les deux phénomènes se rencontrent bien souvent inextricablement mêlés dans nombre de conflits contemporains. C'est par un pur artifice intellectuel que les conflits identitaires seront abordés isolement dans ces lignes pendant que dans la réalité leur concomitance à la faillite de l'État est une constante.

    Durant toute la période de la guerre froide (47-90), les divergences idéologiques servent de toile de fond aux conflits, gommant au passage les particularismes identitaires ou au moins leur attribuant une valeur secondaire. Avec la fin de l'Histoire (Fukuyama) marquée par le règne sans partage de l'idéologie capitaliste, la suprématie des valeurs bourgeoises: promotion des droits de l'Homme comme valeur universelle; les aspirations identitaires trouvent un nouveau souffle et les conflits, un regain de vigueur. La faillite du communisme et le démembrement de l'empire soviétique conduit à la résurgence des aspirations identitaires et à la volonté de bâtir sur cette base des États. L'ONU enregistre une vague de nouveaux États dès 1990 tous issus de l'ancien bloc soviétique.

    Dans certains cas l'indépendance ou sa velléité suscite des luttes armées. C'est le cas des Balkans ou Croates, Serbes, et Bosniaques vont s'entre-déchirer en 1992. En 1999, le Kosovo musulman obtiendra à l'arrachée son indépendance de la Serbie après plusieurs années d'un conflit emmaillé de graves crimes de guerre et de crimes contre l'humanité9(*). La Tchétchénie en revanche, échouera à proclamer sa république musulmane face à la détermination de la Russie.

    En Afrique, la faiblesse des États va de pair avec d'un coté, le népotisme des gouvernants et de l'autre, la constitution d'oppositions politiques sur des bases ethniques. D'une certaine manière et de façon quelque peu caricaturale, le conflit ivoirien est celui opposant les musulmans Dioula du nord aux chrétiens du sud. Plus précisément, il s'agit d'une coalition d'ethnies dont la culture et le patronyme se retrouvent dans les pays voisins (Mali, Burkina Faso et Guinée) et d'ivoiriens originaires de ces pays dont l'appartenance à la citoyenneté ivoirienne est confisquée au nom d'une hypothétique pureté de la nation: vrais ivoiriens ou ivoiriens d'origine à préserver contre la souillure des ivoiriens de seconde zone ou faux ivoiriens. L'épisode le plus dramatique de cette opposition fut la découverte d'un charnier à yopougon, quartier populaire d'Abidjan, en 2000, deux ans avant le déclenchement de la guerre.

    Le Rwanda va connaitre le summum de l'horreur avec le dernier génocide du 20e siècle. 800000 Tutsis sont massacrés, sous le regard impuissant de la communauté Internationale, en avril 1994 durant trois mois fatidiques. Déjà à l'indépendance de ce pays bi ethniques, Grégoire Kaibanda alors premier président d'ethnie Hutu affirmait que les Hutus forment 80 de la population et constituent de ce fait «le vrai peuple rwandais». La suite quarante ans plus tard: un génocide à la machette.

    L'Asie n'est pas en marge des luttes identitaires. Région comportant la majorité des musulmans, des bouddhistes et des hindouistes, il est de surcroit le continent le plus peuplé du monde. A eux seuls, la Chine l'Inde et le Pakistan concentrent 43 de la population mondiale et ¾ des êtres humains vivent sur ce continent. Les conflits identitaires concernent ces principales religions dont les siècles de coexistence n'ont en rien entamé les velléités guerrières. Au Sri Lanka, les hindouistes viennent de mettre fin à la guérilla des bouddhistes du Mouvement des Tigres de Libération de Eelam Tamoul (M.T.T.E.). Depuis 1983, cette guérilla (classée terroriste par les États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001) championne du monde des kamikazes avec ses plus de 400 martyrs mène une lutte harassante, contre le pouvoir de Colombo (entre trente et quarante mille victimes). Longtemps considérée par les experts comme la rébellion la mieux organisée du monde, elle vient d'être définitivement matée en juin 2009.

    La question du Cachemire indien continue d'envenimer les relations bilatérales entre les frères ennemis: d'Inde et du Pakistan. Ces deux nations détentrices officieuses de l'arme nucléaire, vouent une haine viscérale l'une à l'égard de l'autre, qui s'origine dans leurs genèses respectives. La scission voulue par les nationalistes des deux camps Hindous et musulmans, en vue de la création de deux États nationaux, du bloc monolithique de l'Inde britannique ne se fera pas sans heurts. Des millions de pakistanais forcés de fuir les régions à forte densité indienne seront massacrés (500 000 morts). Le Cachemire indien région située dans le territoire de l'Inde et à population majoritairement musulmane (70) constituera, dès lors, le noeud gordien des relations tumultueuses entre les deux voisins. Les indépendantistes musulmans du Cachemire trouvent dans le Pakistan une base arrière, un financement et une expertise stratégique pour mener à bien leur combat.

    En Afghanistan, la coalition menée par les États-Unis (ISAF) mène une lutte acharnée contre les terroristes d'Al-Qaïda retranchés sur les hauteurs de la zone tribale située entre l'Afghanistan et le Pakistan10(*).

    Au-delà de ce conflit localisé, c'est d'une guerre totale entre deux mondes que tout oppose la démocratie occidentale incarnée par les États-Unis et l'islamisme radical d'Al-Qaïda. Pour les politologues, la véritable démarcation d'avec le paradigme de la guerre froide s'est opérée avec les attentats du 11 septembre 2001 et les conflits Afghan et Irakien en constituent les illustrations. Le «global war against terror» ou guerre totale contre le terrorisme (G.T.T.) domine les cadres d'analyses géopolitiques. Dans la foulée, le terrorisme islamique voire le monde musulman a pu être considéré comme l'adversaire de substitution à l'URSS.

    Pour Samuel Huntington les guerres de la nouvelle ère géopolitique opposeront les civilisations entre elles. Selon les termes de cet éminent professeur d'Harvard, L'occident décadent pourrait avoir maille à partir avec les civilisations montantes de l'islam et de la Chine, qui pourraient à l'occasion se coaliser. L'analyse des données polémologiques recueillies ces dernières années autorise t-elle à conclure à un clash entre civilisations? Le monde s'achemine t-il inéluctablement comme le pense les néoconservateurs américains vers un conflit entre la civilisation occidentale et une coalition confucéo-musulmane?

    Pascal Boniface rejette vigoureusement la thèse du choc des civilisations qu'il perçoit comme étant une théorie de justification de l'impérialisme américain. En effet, une analyse minutieuse des conflits contemporains montre que la plupart des conflits actuels se déroulent à l'intérieur d'une même civilisation. Les guerres du monde musulman opposent d'abord des musulmans entre eux, seul le présent conflit irakien fait exception. Un conflit en Asie entre la Chine et Taïwan est plus probable qu'un affrontement entre le premier et l'Occident.

    L'OEuvre de Huntington a suscité des volées de bois verts de tous les milieux intellectuels. Jamais théorie contestée a autant résisté aux attaques faute d'une théorie de substitution. Le monde intellectuel est désemparé et incapable de fournir un paradigme de substitution à celui de la guerre froide.

    Choc des civilisations ou fin de l'histoire aucune théorie ne fait l'unanimité11(*).

    Les divergences quant à la formulation d'un nouveau paradigme consensuel capable de saisir la réalité mouvante des conflits déstructurés qui échappent au cadre ancien, traduisent le désarroi d'un monde ou se multiplient les conflits intra étatiques et la difficulté pour les États d'adopter une stratégie claire.

    Au delà du débat théorique, la scène internationale est marquée par la guerre totale contre le terrorisme menée ouvertement en Afghanistan et en Irak, et sous une forme larvée partout ailleurs. Une des attitudes propre à cette période est le rejet explicite du D.I.H. qui protège l'espace humanitaire, à la fois par les États démocratiques et les forces irrégulières. En effet l'administration Bush dès 2001 rejette l'article 3 commun aux quatre conventions de Genève comme inapplicable au terrorisme pendant que, de l'autre coté, les talibans, les combattants irakiens proche d'Al-Qaïda et d'autres groupes dits terroristes relèguent aux calendes grecques la fondamentale distinction combattants/ non-combattants, pilier du D.I.H.

    La période d'activité du G.T.T. est très courte pour juger s'il s'agit d'une tendance réelle et durable des relations internationales ou au contraire d'un épisode fâcheux qui disparaitra avec ses promoteurs (Bush et Ben Laden). Du côté de la puissance américaine, Obama par des actes symboliques allant de la fermeture de la prison de Guantanamo à une politique plus contraignante vis-à-vis d'Israël, essaie de liquider l'héritage de son prédécesseur, en colmatant les brèches. Reste l'autre acteur: les avancées des talibans en Afghanistan, les attentats terroristes du 19 août dans la zone verte de Bagdad (100 morts), les incursions meurtrières des Shababs en Somalie montrent que malgré les coups décisifs portés aux terroristes et au terrorisme, la partie est loin d'être gagnée.

    Devant ce chaos phénoménal la diplomatie étatique est hésitante et les O.N.G. se retrouvent en première ligne parfois seules au secours des victimes des guerres et des catastrophes naturelles.

    2. L'humanitaire succédané aux solutions politiques

    Aux heures chaudes de la guerre froide, les ONG humanitaires sont interdites dans certains États en butte à des luttes intestines. Le concept de sans frontiérisme a pu être inventé à cette période pour braver les interdictions de cette nature et opposer le droit à l'assistance des victimes à la souveraineté des États. La garantie mutuelle des tortionnaires sous entendue selon Kouchner, la souveraineté, n'est pas pour autant subordonnée au respect des droits de l'Homme. En revanche, une certaine reconnaissance et légitimité à agir, auréole le mouvement humanitaire et a pour effet de multiplier ses effectifs. Les organisations humanitaires sont de plus en plus nombreuses à s'ingérer dans les conflits aux quatre coins du monde.

    Les pays développés s'emparent de cette dynamique à l'origine civile et citoyenne comme herzats à une politique étrangère. En France, le mouvement sans frontiérisme né de la volonté des ONG urgentistes de soustraire la protection des droits de l'Homme et particulièrement celui relatif à la vie à toute notion de souveraineté nationale va se développer dans la sphère privée et citoyenne et tirer sa légitimité ainsi que ses ressources de l'adhésion de la société civile aux causes qu'il défend. Ainsi jusqu'en 1990, la part des subventions publiques (États, collectivités, organisations internationales) est marginale voire proche de zéro dans le financement de leurs projets. Après 1990 et à la faveur du conflit yougoslave le mouvement va s'inverser ouvrant une ère nouvelle dans l'histoire de l'humanitaire.

    De cette période naitront des O.N.G. dont le budget est assuré pour l'essentiel par des fonds publics. Aujourd'hui encore le paysage philanthropique Français est représentatif de ces deux orientations; l'une qui tire 60 de son budget de la société civile et n'accepte qu'une part marginale de subventions publiques et l'autre qui agit selon la logique inverse. Les grandes O.N.G. françaises dont M.S.F., M.D.M., appartiennent à la première catégorie, tandis qu'A.C.F. appartient à la seconde.

    La prolifération des O.N.G. humanitaires est partie intégrante d'une évolution des sociétés modernes située dans le concept de mondialisation. L'hégémonisme de la culture marchande comme idéologie dominante mais surtout l'instantanéité de l'information grâce à la révolution informatique, permet, dans un monde devenu village planétaire, une circulation de l'information et la constitution d'une citoyenneté mondiale. Désormais ce qui se passe ici est connu là et chaque problématique, fusse-t- elle, localisée soulève une action mondiale. Chaque coup de fusil tiré dans le village le plus reculé d'Afrique ou chaque coup de fouet infligé à une femme adultère quelque part au Yémen sont automatiquement visibles sur la toile. L'indignation est mondiale et au besoin une mobilisation citoyenne pour y mettre un terme, via l'action des O.N.G, se met en place. Les causes nationales grâce à internet et l'action des ONG deviennent des causes mondiales. Les associations font signer des pétitions à l'échelle mondiale pour des causes particulières (Solidarités: accès à l'eau dans les pays du sud; A.C.F.: contre l'impunité des assassins de Muttur). Le poids de la société civile comme soutien de l'action des ONG est déterminant dans le recul de la diplomatie étatique lors des conflits armés.

    Les organisations non-gouvernementales ne se privent aucunement d'attaquer «la raison d'État» de leurs pays d'origine. Aussi les hommes politiques du Nord rechignent, de plus en plus, à soutenir des causes impopulaires ou des intérêts bien compris qui pourraient compromettre leurs réélections.

    Mais la raison décisive du retrait des États au profit des O.N.G. est liée à la fin de la guerre froide. L'intervention dans de nombreux États en conflit, restent dépourvues d'intérêts stratégiques et l'opinion nationale comprendrait difficilement l'investissement (militaire) dans une cause qui la concerne peu.

    Reste la motivation humanitaire. Anna Arendt(1967) se demande s'il existe une politique de la morale à la lumière de l'holocauste en particulier et de toutes les formes de totalitarisme. Sa réponse est éminemment négative. La pitié suscite des réactions vives et indignées de la part des dirigeants les plus influents du monde mais laisse place à peu d'actions concrètes. Les rares fois où l'action est envisagée, les résultats sont décevants (Yougoslavie, Kosovo) et ne peuvent empêcher le pire (génocide Rwanda).

    Les O.N.G. grignotent de plus en plus d'espaces à la diplomatie des États et s'arrogent des compétences même dans des domaines considérés jadis comme une chasse gardée (la résolution des conflits). L'O.N.G. confessionnelle Saint Egidio a eu le mérite de mettre fin à la guerre civile au Mozambique en 1992. Aujourd'hui les ONG dont une des vocations est la lutte pour que les droits de l'homme ne restent pas un reste muet de la diplomatie étatique sont en passe de transformer la diplomatie étatique en reste muet des relations internationales. Désormais rien ne se décide sans elles et leur capacité d'influence est énorme. Un nouveau concept traduit cette évolution la diplomatie non- gouvernementale.

    Cependant l'embellie suscitée par le mouvement humanitaire soulève également quelques réserves face au tout humanitaire qui échoua de façon retentissante au Rwanda et dans les Balkan. Sadako Agota, ex Haut commissaire aux réfugiés, affirme qu'il n'existe pas de solutions humanitaires aux problèmes humanitaires. En effet les vertus médicinales des aspirines ne peuvent guérir un génocide. Les O.N.G. ne sauraient remplacer les États, à qui incombe en premier chef la protection des populations. Elles n'en ont ni les moyens encore moins la légitimité. En outre l'intervention d'urgence auprès des victimes agit sur les effets des conflits et laisse intactes les causes qui continuent de reproduire incessamment les mêmes effets.

    Enfin les O.N.G. même lorsqu'elles veulent intervenir dans la résolution des conflits n'ont ni la légitimité ni les moyens de peser sur les protagonistes pour les contraindre à respecter leurs signatures.

    Les relations internationales débordent le cadre étroit dans lequel les avait confinées Raymond Aron lorsqu'il définit les relations internationales comme étant les relations entre États. Les O.N.G. humanitaires sont visibles à l'internationale au même titre que les multinationales dont le prodigieux développement devait sonner le glas des États12(*). Il n'en fut rien, les États, quoique devant cohabiter avec ces nouveaux acteurs, restent les seuls sujets de droit international (en plus des organisations internationales qui procèdent d'eux): « Le loup perd ses poils mais pas sa faim » dit le proverbe.

    Les États semblent avoir abdiqué un des attributs de la puissance en l'occurrence la diplomatie étatique contre une forme moins autoritaire: la diplomatie humanitaire qui fait office dans certains cas de politique officielle. L'Union Européenne (U.E) à travers l'ECHO est le premier bailleur de fonds des ONG urgentistes13(*). Son budget s'élève à environ 700 millions d'euros14(*). Partout des fonds d'urgence sont levés pour parer aux urgences complexes. Les pays développés rivalisent de financements: USAID (États-Unis); AUSAID (Australie), ministère des affaires étrangères française (M.A.E.) etc.  L'aide humanitaire est en passe de devenir un attribut de puissance participant du soft power.

    Pour Denis Maillard qui rame à contre courant de l'opinion majoritaire, le politique ne feint pas d'être humanitaire, et l'humanitaire d'État n'est pas un nouvel habit qui dissimule sous des allures débonnaires un froid cynisme. Au contraire, c'est la politique elle-même qui se retrouve piégée par cette idéologie. L'homme politique de conviction doit avant tout être un homme de compassion. Autrement dit, la politique s'humanitarise et à la vielle distinction entre alliés et ennemis chère à l'analyse politique classique succède la dichotomie entre victimes et bourreaux.

    Pour l'auteur, la politique est en train d'être phagocytée à moins qu'elle n'inverse la tendance et apprivoise cette force envahissante et rebelle qu'est le radicalisme des droits de l'Homme. Le refus de Washington et de Bruxelles de recevoir le ministre des affaires étrangères d'Israël, Avigdor Lieberman après sa nomination en mars 2009 comme cela est de coutume, en fournit une parfaite illustration. Le sulfureux homme politique israélien connu pour ses thèses extrémistes et racistes sur les Palestiniens s'est vu fermer les portes des principales capitales occidentales, pourtant alliées d'Israël. La tendance à l'oeuvre est l'effacement des catégories d'analyses anciennes et la prise en compte prioritaire de considérations morales liées aux droits de l'Homme.

    3. De la non ingérence à la responsabilité de protéger

    Tirant les leçons de la seconde guerre mondiale, les Nations Unies sont très tôt partagées entre deux principes antagoniques: prémunir les petits États contre la barbarie des grands et protéger la personne humaine contre toutes formes de tyrannie. Ces deux préoccupations seront à l'origine de deux instruments juridiques fondamentaux: la charte de l'ONU, précisément l'article 2 du chapitre sept qui proclame la souveraineté des États dans les affaires intérieures et le corpus des droits de l'Homme15(*). Selon les époques et péripéties des relations internationales, un mouvement de balancier s'établit entre ces deux exigences. Si à l'origine le premier a prévalu sur le second, la chute du Mur de Berlin penche la balance du côté des droits de l'Homme. Les hésitations du vocabulaire pour traduire cette tendance: droit d'ingérence, sécurité humaine et plus récemment la responsabilité de protéger, montrent le malaise de la communauté internationale à faire cohabiter ingérence et souveraineté.

    Les conséquences pour les O.N.G. humanitaires sont importantes: pour la première fois un rôle d'acteur direct et non plus de simple conseillé est affirmé dans un texte international. Le droit d'ingérence proposé par la France et adopté par l'assemblée générale des Nations Unies est à cet égard révolutionnaire. La résolution 43/131 du 8 décembre 1988 « assistance humanitaire aux victimes des catastrophes naturelles et situations d'urgence du même ordre ». Cette résolution affirme le principe du libre accès aux victimes. Elle trouve sa première application à l'occasion du tremblement de terre en Arménie le 7 décembre, un jour avant ce vote. Cette résolution est complétée par une autre le 14 décembre 1990, la résolution 45/100 qui crée à titre temporaire des couloirs d'urgence pour la distribution d'aides médicales. Et Bernard Kouchner, fier de son oeuvre d'affirmer en avril 1991 « nous entrons maintenant dans le es où il ne sera plus possible d'assassiner massivement à l'ombre des frontières. Il y aura des réticences, des retours en arrière, mais le droit finira par codifier une nouvelle conception morale et politique de la vie. »16(*)

    Cependant, la foi de Kouchner n'est pas unanimement partagée. Le groupe du G77 qui regroupe les pays les plus pauvres dénonce « ce prétendu droit d'ingérence » qu'il assimile à du néocolonialisme déguisé sous des traits moraux. Il critique le caractère unilatéral de ce droit qui ne s'applique qu'au Sud17(*). Pour le G77, la culture des droits de l'Homme est un particularisme culturel européen et l'imposer aux autres est d'un impérialisme outrancier.

    Les Nations Unies vont se détourner de ce concept pour des raisons de susceptibilité aussi bien que pour son bilan catastrophique. Le droit d'ingérence, en effet, a présidé en toute impuissance à la commission d'un génocide au Rwanda (1994) et de massacres ethniques dans la région des Balkans (1999). Ce bilan lui vaudra d'être honni par la communauté internationale. D'autres arguments sont également avancés à savoir la confusion sémantique que soulève cet oxymore. Si c'est un droit, il ne saurait y avoir ingérence et s'il est soumis à l'autorisation préalable du pays d'intervention (scénario le plus courant) d'où vient l'ingérence? Bref les Nations Unies se détournent d'un concept contesté, inefficace et ambigu pour des notions plus consensuelles. La sécurité humaine fut évoquée avant d'être surpassée par la responsabilité de protéger.

    Dressant le constat que la fin de la guerre a permis une sécurité plus grande des États, corrélativement à une exposition plus forte des populations (guerres civiles et génocides, trafics humains, propagation des maladies dont le V.I.H./SIDA, dégradations de l'environnement et menaces sur la vie), le PNUD consacre une publication à l'état de la sécurité humaine et promeut ainsi le concept. Selon l'organisme onusien, la sécurité humaine est la somme des sept éléments suivants: la sécurité économique, la sécurité alimentaire, la sécurité dans le domaine de la santé, la sécurité de l'environnement, la sécurité personnelle, la sécurité collective et la sécurité politique. L'accent mis ici, sur la protection des personnes en lieu et place de l'ancienne logique de sécurité nationale, est une logique d'ONG reprise par le PNUD même si celui-ci déclare que les deux aspects sont complémentaires. L'action des humanitaires à la promotion de la sécurité personnelle sera particulièrement remarquée au delà de leur actions quotidiennes qui s'inscrivent dans ce champ par deux chantiers gigantesques: la campagne pour l'interdiction des mines anti- personnelles et la création d'une cour pénale internationale.

    A l'initiative du canada et sous les auspices des Nations Unies, un groupe d'experts fut réuni pour réfléchir sur la question du droit désuet d'ingérence, la responsabilité internationale dans la protection des droits de l'homme et proposer des solutions. La Commission Internationales de l'Intervention et de la Souveraineté des États (C.I.I.S.E.) Co présidé par Mohamed Sahnoun et Gareth Evans va rendre son rapport en décembre 2001. La responsabilité de protéger (R2P) remplace le droit d'ingérence et proclame quatre principes :

    1- souveraineté des États implique protection de sa population si non, alors, la responsabilité internationale s'impose ;

    2- les fondements sont la souveraineté : article 24 de la charte, les traités sur les droits de l'Homme, et la pratique;

    3- trois éléments: responsabilité de prévenir, de réagir et de reconstruire ;

    4- priorité à la prévention.

    La responsabilité de protéger est adoptée le 16 septembre 2005 à New York. Ici encore, comme dans le droit d'ingérence, les États sont invités à ouvrir leurs frontières aux O.N.G voir à l'humanitaire d'État lorsqu'ils sont dans l'incapacité de protéger leurs populations.

    II. La reconnaissance internationale des humanitaires

    Le premier et le dernier prix Nobel du e siècle ont été décernés au mouvement humanitaire: à Henry Dunant en 1901 et Médecins Sans Frontières en 1999. Au delà de cette forte valeur symbolique qui marque la naissance et l'évolution d'un mouvement qui, a bâti sa réputation et sa respectabilité d'un bout à l'autre du siècle passé, il s'agit d'une tendance lourde de l'évolution des relations internationales. Des États-Nations déchirés par les deux conflits mondiaux, l'éclatement de la confédération de l'URSS et un mouvement humanitaire tentant de recoller les morceaux et de panser les plaies infligées par la volonté de puissance. Les turbulences du e siècle vont fournir, aux organisations humanitaires, l'occasion de s'affirmer et d'acquérir ses lettres de noblesse. Consultées officiellement ou officieusement, courtisées et même récompensées, les O.N.G. humanitaires exercent une réelle influence dans la gouvernance mondiale et leur diplomatie non gouvernementale infléchissent les positions réfractaires des états les plus puissants.

    1. Le statut consultatif auprès de l'ONU

    C'est par un véritable tour de force que les O.N.G. vont s'imposer à l'Organisation des Nations Unies (ONU). En effet, la première réunion internationale qui a porté sur les fonds baptismaux le projet de l'ONU.: la conférence de Dumbarton Oaks ne fait nulle mention des O.N.G. 18(*). L'ajout serait de dernière minute et consécutive au lobbying exercé par les organisations caritatives et professionnelles américaines qui fortes du rôle prépondérant qu'elles ont joué dans la « Victory program » : l'effort de guerre, ont demandé et obtenu une grande responsabilité dans la gouvernance mondiale des temps de paix19(*).

    Des organisations aussi diverses que la ligue internationale des droits de l'Homme, l'association des aviateurs, l'association des producteurs de maïs et bien d'autres organisations feront partie de la délégation américaine et de façon officieuse pèseront sur le dénouement des négociations qui, aboutiront à la naissance de l'O.N.U. en juin 1945, à la conférence de San Francisco.

    La charte des Nations Unies fait une brève allusion aux O.N.G. sans en proposer de définition. L'article 71 de la charte, qui les mentionne est ainsi libellé: » le conseil économique et social peut prendre toutes dispositions utiles pour consulter les Organisations non-gouvernementales qui s'occupent de questions relevant de sa compétence. Ces dispositions peuvent s'appliquer à des organisations internationales et, s'il ya lieu, à des organisations nationales après consultation du membre intéressé par l'organisation. ».20(*)

    En 1946, 41 organisations constituées essentiellement de ces O.N.G. pionnières ayant participées à la conférence de San Francisco acquièrent le statut consultatif auprès du conseil économique et social (ECOSOC) de l'O.N.U. Le cadre juridique régissant les relations entre l'organisation mondiale et les acteurs de la société civile, sera ultérieurement précisé sur la base de la coutume acquise, par la résolution 1996/31 du 25 juillet 1996. Les relations entre les 3172 O.N.G. (chiffre en 2009) dotées du statut consultatif et de l'ECOSOC sont définies et clarifiées21(*). Ainsi trois statuts sont délivrés:

    - un statut consultatif général octroyé aux O.N.G. dont le domaine d'activité recouvre celui de l'ECOSOC ;

    -un statut consultatif spécial pour les ONG dont la compétence ne s'exerce que dans un domaine de l'ECOSOC ;

    -le dernier statut est la simple inscription dans le fichier de l'ECOSOC (roster) pour les O.N.G. qui n'entrent dans aucune des deux catégories précédentes et dont la consultation est ponctuelle.

    Les O.N.G. peuvent envoyer des observateurs aux réunions du conseil et des organisations subsidiaires. Elles sont autorisées à soumettre des communications écrites lors de ces réunions. Elles peuvent en outre, consulter le secrétaire général de l'ONU sur des sujets d'intérêt commun.

    Au coeur du système onusien, les O.N.G. exercent une influence certaine, quoique actrices de second plan, dans l'élaboration du droit international public. Leur emprunte est souvent si épaisse, qu'on peut sans risque de se tromper, leur attribuer la paternité de certains textes (I.C.B.L.M. et le traité d'interdiction des mines anti personnelles).

    Sur le terrain, la compétence reconnue de certaines O.N.G. en fait des partenaires opérationnels d'agences des Nations Unies. Ainsi les structures comme le H.C.R., et le P.N.U.D. délèguent une partie de leurs activités aux O .N.G. humanitaires se limitant à la supervision ou au cluster. La plupart des financements publics internationaux transitent par ces deux agences. La part de marché offerte par le H.C.R. s'élève à plusieurs millions de dollars. La promotion de l'O.N.G. Save the Children comme «cluster protection» dans la nouvelle architecture opérationnelle des Nations Unies parmi des pairs issus des organisations internationales montre que les O.N.G. ne sont pas que des sous traitantes et ont leur mot à dire22(*).

    2. Le poids croissant dans les négociations internationales

    L'évolution du monde contemporain a vu la diversification des acteurs des relations internationales. Le monde clos et étanche des États, dont les relations étaient symbolisées par les figures du soldat et du diplomate (Aron Raymond la paix et la guerre) s'est ouvert à une multitude d`acteurs légaux et illégaux. Pascal boniface en dénombre sept : les États, les organisations internationales, les O.N.G., les firmes internationales, les Medias, les individus (Georges Soros, Bill Gates...), Davos22(*).

    A cette liste d'acteurs légaux on pourrait ajouter à La symétrie de Davos qui, symbolise le versant néolibéral de la mondialisation, le forum social mondial: creuset des mouvements altermondialistes. Parmi les acteurs illégaux, les terroristes malgré la difficulté sémantique qu'ils soulèvent (terroristes ou résistants ?) supplantent par leurs capacités de nuisance les mafias qui sont de ce fait reléguées au second plan.

    Il ne faut pas s'y méprendre seuls les États restent dotés de la personnalité juridique internationale c'est-à-dire disposent de la capacité de légiférer, de conclure des traités et de signer des conventions. Les autres acteurs ne peuvent qu'influencer la décision des États et dans ce domaine les O.N.G. sont passées expertes. Par des actions de lobbying, d'harcèlement (exemple les campagnes de Greenpeace) ou encore de prise à témoin de la société civile, elles ont permis des avancées sur des dossiers cruciaux. Joseph zimet affirme « Acteurs de terrain, les O.N.G. sont ainsi également des acteurs politiques influents, qui participent à la définition des règles du jeu international et forment ainsi un véritable ''contre-pouvoir''23(*)

    L' «International Coalition to Ban Land Mine»(1992) constituée de 1500 O.N.G. parmi lesquelles la française Handicap International (H.I.), la britannique Mine Advisory, l'allemande Medico Internationale et les américaines (États-Unis) fondation des vétérans du Vietnam, Human Right Watch, Physiciens for Human Right obtiendra avec le soutien du gouvernement canadien l'adoption de la convention sur l'interdiction des mines anti personnelles en 1997. Cette même année leur combat sera récompensé par un prix Nobel.

    En 2000, pour faire face aux ravages du V.I.H./SIDA, le gouvernement Sud-africain ainsi que celui du Brésil décident, en toute illégalité, de passer outre l'achat préalable de brevet pour fabriquer des médicaments génériques. Les firmes privées européennes détentrices des fameux droits de propriété intellectuelle (A.D.P.I.C.) sur les trithérapies vont, dans leur bon droit, ester en justice ces deux pays. Au nom du droit à la santé contre celui de l'enrichissement, M.S.F. va demander et obtenir le retrait des plaintes et l'arrêt des poursuites. La première organisation sans-frontiériste obtiendra de surcroit, grâce à un tapage médiatique savamment orchestré, une victoire décisive: la modification de la norme. Ainsi des clauses de sauvegarde seront jointes à l'application des droits de propriété sur les médicaments. Il est désormais permis à tout État en proie à une épidémie de fabriquer ses propres médicaments sans aucune forme d'autorisation préalable.

    Aurait-il existé un droit d'ingérence sans l'engagement du père du sans frontiérisme Bernard Kouchner? Certainement pas. La résolution 688 proposée par la France est la consécration d'une idée à l'origine de ce mouvement: le droit d'accès absolu à toutes les victimes de conflits ou de catastrophes et la mise en veilleuse d'un écueil sur lequel, il a mainte fois buté: la souveraineté des États. Nonobstant la fortune dont ce concept a pu jouir et l'adoption d'une autre résolution qui la complète et innove par la création de couloirs humanitaires dans le prolongement de ce qui était prévu dans les conventions de Genève, force est de reconnaitre que le droit d'ingérence humanitaire est une petite révolution et une version édulcorée de la pensée de son promoteur. Kouchner affirmait que désormais on ne pouvait plus se cacher derrière ses frontières et tuer impunément son peuple. Dans la réalité, les droits de l'Homme et le droit d'ingérence ont repoussé les frontières mais ne les ont pas abolies et aujourd'hui encore la souveraineté sert de bouclier à de nombreux dictateurs. Concept provocateur et impérialiste selon certains critiques notamment le groupe du G77 (réunion qui regroupe les 135 pays les plus pauvres), le droit d'ingérence humanitaire suscite la polémique et l'O.N.U. est à la recherche d'un concept plus consensuel. La responsabilité de protéger a été proposé à cette fin.

    L'adoption du traité de Rome est également la consécration d'une lutte menée par le mouvement associatif. La coalition internationale pour le C.P.I. (Cour Pénal Internationale) crée le 10 février 1995 à New York regroupe des associations américaines des droits de l'Homme. La coalition française, elle, voit le jour en 1997. Les résultats obtenus par ces deux organisations seront mitigés. Si d'un coté le statut de Rome est adopté en 1998 et entre en vigueur en 2000, de l'autre, l'article 124 dit «opting out» qui permet de décliner la compétence de la cour pendant sept ans à tout État qui le souhaite , a été introduit par la délégation française au grand dam de la coalition française, rappel au besoin que la raison d'État a encore de beaux jours devant elle.

    L'ingéniosité des O.N.G. à mettre en commun leurs savoirs, expertises et moyens pour servir une cause commune (network issues) par la création de coalitions, de conférences et d'alliances capables de peser sur les circuits décisionnels politiques se multiplient et s'attaquent à des sujets comme la faim, la pauvreté ou le réchauffement climatique. La première plateforme associative de cette nature fut la CONGO (Conférence of N.G.O. in consultative relashionship with UN) créée en 1948 à l'initiative des 48 premières O.N.G. ayant le statut consultatif. L'union fait la force et les regroupements se font autour de pôles géographiques, thématiques, opérationnels ou syndicales afin de faire bouger les grandes lignes de partage.

    3. L'humanitaire et le prix Nobel de la paix

    Il semble que ce soit bourrelé de remords, suite aux ravages causés par sa dynamite, qu'Alfred Nobel, décida dans son testament, que soit décerné un prix à des personnalités s'étant particulièrement illustrées, dans cinq domaines dont celui de la paix.

    Depuis 1901, le prix Nobel est la plus haute distinction dans les différents domaines de connaissance utiles à l'humanité. Henri Dunant (1828-1910) fondateur de la Croix Rouge sera le premier humanitaire honoré à Oslo alors que le sort l'avait jeté dans l'oubli et la précarité.

    Le mouvement de la Croix Rouge et du Croissant Rouge recevra à trois reprises le Nobel de la paix dont deux récompenseront les actions de secours apporté durant les deux grandes guerres. Les scandales de sa passivité face à la solution finale hitlérienne ou même la compromission de certaines Croix Rouges nationales dont celle de l'Allemagne nazie avec les régimes totalitaires n'ont pas occulté l'effort accompli. Le mouvement de la croix rouge a permis aux prisonniers de guerre de rester en contact avec leurs familles. D'autre part, il a porté secours dans les tranchées, aux blessés des deux grandes hécatombes mondiales.

    Plusieurs autres organisations et personnalités humanitaires seront distinguées.

    Tableau 1 Humanitaires Nobels

     

    Année

    Personnalité ou organisation

     

    1901

    Henri Dunant

     

    1917

    Croix Rouge Internationale

     

    1922

    Fridtjof Nansen (directeur de l'office internationale des refugiés)

     

    1938

    Office Internationale Nansen pour les Refugiés

     

    1944

    Croix Rouge Internationale

     

    1954

    Haut Commissariat pour les Réfugiés

     

    1963

    Croix Rouge Internationale et ligue des sociétés de la Croix Rouge

     

    1965

    Unicef

     

    1977

    Amnesty Internationale

     

    1981

    Haut Commissariat pour les Réfugiés

     

    1997

    ICBLM (International Coalition to Ban Land Mine)

     

    1999

    Médecins Sans Frontière

     
     
     

    Les humanitaires ont donc été désignés à douze (12) reprises depuis le début du siècle comme ayant « le plus et le mieux contribués  au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix. »24(*).

    Cependant tous ne sont pas des pacifistes, à l'instar de Henri Dunant qui, déclina toutes les invitations de la société des amis de la paix de Bertha Suttner, les humanitaires ont plutôt une approche pragmatique qui tend à réduire l'impact de la guerre.

    Le prix Nobel n'est pas la seule reconnaissance internationale quoique la plus illustre.

    La fondation Balzan décerne un prix pour l'humanité, la paix et la fraternité entre les peuples. Parmi ses lauréats issus du monde humanitaires: mère Theresa de Calcutta(1978), le H.C.R. (1986), Abbé Pierre (1912) et le Comité International de la Croix Rouge(1996). Ces différentes distinctions corrélées à d'autres facteurs tels la mondialisation, renforce le poids des O.N.G. humanitaires sur la scène internationale. Partant la communauté internationale est de plus en plus soucieuse de leur sécurité.

    4. La protection internationale des humanitaires

    Tout l'édifice de secours des organisations humanitaires repose sur la sécurité. En effet, c'est la première condition à la mise en oeuvre des programmes. Aussi en complément des législations nationales qui condamnent les atteintes dont sont victimes les humanitaires au même titre que tout habitant du territoire, le droit public international va plus loin pour accorder une protection spécifique à ces acteurs particuliers. Cette protection se décline en trois mouvements qui coïncident avec l'évolution de la problématique sécuritaire. Aux déclarations de principes de l'origine ou au soin accordé au pays violateur de faire appliquer le droit, la protection des humanitaires est aujourd'hui confiée à une juridiction internationale ayant compétence universelle.

    5. Les conventions de Genève et protocoles additionnels

    Le vaste corpus juridique concentré dans les conventions de Genève de 1949 et ses protocoles additionnels de 1977, reprend un ensemble de règles internationales fixé à l'initiative de la Croix Rouge dès 1864. La protection des humanitaires n'est pas une catégorie juridique à part et s'insère dans un ensemble d'interdits pendant la guerre (jus in Bello). Son applicabilité comme sa sanction rencontrent les mêmes difficultés que les autres crimes de guerre. La protection des humanitaires en l'occurrence les agents du C.I.C.R. et des sociétés nationales de la Croix Rouge y est affirmée comme fondamentale. La croix rouge sur fond blanc25(*) distingue physiquement les agents de la Croix Rouge des combattants avant d'exposer juridiquement à des sanctions quiconque fait entorse à cette disposition.

    La question a été d'abord envisagée sous le plan médical. Il s'agissait de protéger le personnel sanitaire permanent ou temporaire ainsi que les sociétés nationales de secours. Cette protection a été ensuite élargie plus tard, dans la mesure où certaines dispositions afférentes ont été retenues que par les protocoles additionnels de 1977. Ainsi les article 16 du chapitre 1et 71 du chapitre 2 du protocole  « le personnel sera respecté et protégé » et article 10 du chapitre 1 du protocole  « Nul ne sera puni pour avoir exercé une activité de caractère médicale conforme à la déontologie, quels qu'aient été les circonstances ou les bénéficiaires de cette activité... ».

     Cependant, la portée des textes des conventions de 1949 reste limitée dans son étendue aussi bien que dans son application. Adoptés à une période où humanitaire signifiait Croix Rouge, ils ne prennent pas en compte l'évolution numérique des acteurs amorcée avec la seconde guerre mondiale (CARE, OXFAM) et accéléré dans les années 70 avec l'avènement du sans frontiérisme. La lettre des conventions de Genève s'adresse donc à un seul acteur de l'humanitaire, même si l'esprit de cette disposition a pu être étendue par analogie à l'ensemble. Le besoin de voir un texte plus adapté à la multitude des acteurs sera exprimé par les humanitaires. En outre, l'emblème ne protège pas en cas de troubles intérieurs et de tensions internes et n'y a qu'une valeur indicative.

    Au plan de son application, les conventions de Genève confient le soin à l'État sur le territoire duquel a lieu les violations d'appliquer le droit et à toutes les autres parties contractantes c'est-à-dire tous les autres États parties aux conventions. Dans la première hypothèse il est légitime de se demander si un État peut se faire harakiri et sanctionner des violations qu'il a lui-même ordonnées? Il est permis d'en douter. La réalité tend à la condamnation lorsque cela est possible de couteaux de seconde main et les pressions internationales échouent à donner de la vigueur à une volonté politique amorphe.

    Les juristes de Genève croyaient avoir trouvé la parade en donnant une compétence universelle à tous les États. Le principe est fixé aux articles 130 et 146 des troisième et quatrième conventions de 1949 et 85 du protocole 1 de 1977: « Chaque partie contractante aura l'obligation de rechercher les personnes prévenues d'avoir commis, ou ordonné de commettre l'une ou l'autre des infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux quelque soit leur nationalité, ou...les remettre pour jugement à une autre partie contractante intéressée à la poursuite... ».

    Si formellement tous les États sont égaux, le principe veut qu'il ne se plie pas aux décisions judiciaires les uns, des autres.

    Outre cette difficulté juridique, apparait une autre de nature politique. Ici comme ailleurs, le droit ne codifie qu'une partie des relations liant un ensemble, le reste dépendant de la nature des forces en présence, de la realpolitik c `est à dire des intérêts en jeu. Seuls les États vainqueurs ont au cours de l'histoire jugé les vaincus. Les tribunaux d'exception de Tokyo, Nuremberg après la seconde guerre mondiale et les tribunaux pénaux internationaux de la Yougoslavie ou du Rwanda sont, à cet égard, similaires. La justice transitionnelle est celle du fort sur le faible. Comment pourrait-il en être autrement? On a du mal à imaginer qu'un État tel celui du Burkina-Faso juge un soldat américain impliqué dans un crime contre un humanitaire. Dans la préface de justice Internationale et impunité, le cas des États-Unis, Nils Anderson et al affirment: « le mal réside dans la griserie de l'hégémonisme et l'histoire témoigne que les frontières de l'abomination peuvent toujours être dépassées, notamment par les États les plus riches et les plus civilisés. »26(*)

    Par ailleurs, l'application de la compétence universelle montre que la nature des relations entre États: amicales ou hostiles et surtout les intérêts bien compris de chacun sont aussi déterminants, sinon plus, que l'exigence morale de justice.

    6. Le Droit de New York

    Dans les années 90, les nations Unies paralysées par les vetos soviétiques connaissent un regain d'activités avec la chute du Mur de Berlin. La barrière à l'effectivité de l'aide humanitaire, n'est plus politique mais désormais sécuritaire: L'insécurité de ses agents. Aussi, sur proposition du secrétaire général Koffi Annan, une résolution sera adoptée pour renforcer la protection juridique. Contrairement aux conventions de Genève, la résolution onusienne déborde le cadre stricto sensu de la Croix Rouge pour embrasser l'ensemble du monde humanitaire.

    En effet, le rapport à l'origine de la résolution pointe du doigt des lacunes en matière de protection des agences des Nations Unies et des O.N.G. Les conventions de Genève ignorant ces deux catégories d'acteurs qui lui disputent aujourd'hui le terrain humanitaire. «La convention sur la sécurité du personnel des nations unies et du personnel associé» entre en vigueur après adoption et ratification le 9 décembre 1994 (A/RES/49/59). Un protocole facultatif lui sera ultérieurement joint le 6 janvier 2006 (A/RES/60/42). Ces différentes dispositions s'inscrivent dans un corpus juridique appelé le droit de New York qui rassemble l'ensemble des mesures concernant les droits humains à mettre en oeuvre dans les situations de conflits armés et des conventions relatives à la limitation ou à l'interdiction de certaines armes conventionnelles.

    Parmi les mesures mises en place dans les années 90 par le Conseil de Sécurité afin de mettre fin aux violations du droit international humanitaire, on dénombre en plus du renforcement de la sécurité des humanitaires, le maintien de la paix, la création des zones protégées (les couloirs humanitaires existent dans les conventions de Genève, le doit de New York le réaffirme sous une nouvelle appellation) et la possibilité de recourir à la force pour des opérations de maintien de la paix.

    Trois implications majeures se dégagent pour la sécurité des humanitaires. Premièrement, la protection est renforcée au plan juridique et formel par l'adoption de la convention. En plus, au plan pragmatique, l'autorisation est donnée aux forces sous mandat onusien de se défendre en cas de légitime défense et de protéger l'aide et le personnel humanitaire au besoin. Deuxièmement, une zone aseptisée de toute violence est instaurée pour permettre aux humanitaires et la population civile d'interagir sereinement et en toute sécurité. Troisièmement, le Conseil de Sécurité de l'O.N.U. contrôle l'exécution des mesures coercitives qu'il aura décidées.

    Théoriquement, l'intransigeance des Nations Unies quant à la punition que doit subir les auteurs de violations du droit humanitaire en général et des atteintes contre les humanitaires en particulier, garantit une sanction certaine, sévère et imprescriptible à quiconque s'aventurerait dans cette voie. Dans la pratique, le soin laissé aux États de faire appliquer le droit a donné cours à des déviations dont la politique du «double standard », la primauté des intérêts économiques sur le droit et la loi du plus fort; La justice internationale a pu être de ce fait démonétisée et vidée de sa substance. Nils Anderson : « Il est clair pour tous que la justice internationale ne peut que perdre toute crédibilité si d'un côté sont poursuivis, à juste titre, les responsables de crime au Congo ou au Darfour, mais si de l'autre côté les pays puissants continuent à bénéficier d'une totale impunité.» 27(*)

    De nombreuses voix en provenance notamment des O.N.G. s'élèvent pour réclamer une justice internationale applicable à tous les États et capable de lire le droit, rien que le droit. La cour pénale internationale cristallise cet espoir.

    7. La Cour Pénale Internationale (C.P.I.)

    Les 120 États participants, à la conférence diplomatique de Rome tenue du 15 au 17 juillet 1998, entérinent l'idée de la création d'une Cour Pénale Internationale. Le traité de Rome contient le statut de ce tribunal aux pouvoirs exceptionnels, déclinés en un préambule et 116 articles. Le traité relatif à la C.P.I. est entré en vigueur le premier juillet 2002 et le Sénégal est le premier pays à l'avoir ratifié.

    L'histoire de ce tribunal n'a pas été linéaire et depuis l'idée de sa création émise par Gustave Moynier (membre du comité des cinq à l'origine de la Croix-Rouge), elle apparaitra de façon éphémère et circonscrite avant de s'établir définitivement.

    La première guerre mondiale amène l'idée de tribunal international ad hoc. Le traité de Versailles de 1919 avait prévu (article227) de traduire Guillaume devant un tribunal international pour « offense suprême contre la morale internationale et l'autorité sacrée des traités. ». Le gouvernement des Pays Bas où s `était refugié l'empereur allemand refusa l'extradition, et le procès n'eut jamais lieu. Plusieurs projets furent proposés dans l'entre-deux guerres sans succès. Il faudra attendre l'horreur suscitée par les camps de concentration nazis pour que la communauté internationale admette pour intolérable l'impunité des auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité (Les tribunaux ad hoc de Nuremberg, de Tokyo et de Khabarovsk sont ainsi institués). L'Assemblée Générale de l'O.N.U. par sa résolution 260 du 9 décembre1948 invite la commission du droit international à examiner la possibilité de créer un tribunal international pour juger les personnes accusées de crimes de génocide (ce dernier terme, néologisme forgé par le juriste juif polonais Raphaël Lemkin pour qualifier l'inqualifiable: l'extermination d'un peuple à l'image de l'entreprise d'extermination hitlérienne des juifs).

    D'autres tribunaux ad hoc sont institués dont le Tribunal Pénal International d'Arusha en Tanzanie, le tribunal pénal international pour la Yougoslavie. Cependant ces différents tribunaux sont limités à la fois dans le temps et dans l'espace ce qui n'est pas le cas de la C.P.I. En effet l'étendue de la juridiction de la cour couvre les quatre points cardinaux. Elle est compétente territorialement pour tous les crimes commis dans le monde entier. Sa compétente matérielle concerne «les crimes les plus graves ayant une portée internationale». Il s'agit en l'occurrence des crimes de génocide, des crimes contre l'humanité, du crime d'agression et des crimes de guerre. C'est cette dernière catégorie visée à l'article 8 des statuts qui incrimine expressément l'atteinte à l'immunité des humanitaires.

    La Cour n'est compétente que pour les affaires postérieures à sa constitution, elle n'est donc pas rétroactive. Cependant les crimes énumérés ci-dessus commis après 1998 ne se prescrivent pas. Un bémol a été apporté à cette disposition c'est «l'opting out» ou la possibilité accordé à tout État de décliner la compétence de la Cour pendant une période de sept ans. L'article 24 prévoit que « ... un État qui devient partie au présent statut peut déclarer que, pour une période de sept ans à partir de l'entrée du statut à son égard, il n'accepte pas la compétence de la Cour en ce qui concerne la catégorie de crimes visés à l'article 8. Lorsqu'il est allégué qu'un crime a été commis sur son territoire ou par ses ressortissants, il peut à tout moment retirer cette déclaration. Les dispositions du présent article seront réexaminées à la conférence de révision... ».

    La composition de la C.P.I. se présente comme suit: dix-huit juges non rééligibles élus pour neuf ans par l'assemblée des États parties au statut; un procureur et un greffier. La Cour est constituée de trois chambres: une section préliminaire, une section de première instance, une section des appels.

    En ce qui concerne sa saisine, seuls les États et le procureur de la cour a l'initiative des poursuites. Le Conseil de Sécurité se réserve le droit de suspendre une poursuite pendant douze mois renouvelables. Le premier mandat d'arrêt international contre un président en exercice émis par cette illustre cour fut délivré au dirigeant soudanais Omar el-Béchir en mars 2009. En attendant, les travailleurs humanitaires continuent d'être assassinés par certains acteurs politiques sous le regard impuissant de Luis Moreno Ocampo.28(*) 

    Chapitre 2 : LE CIBLAGE CRIMINEL DES HUMANITAIRES

    Le passage des conflits de haute intensité, caractéristiques de la guerre froide à ceux de basse intensité qui distinguent les crises actuelles, ne s'est pas accompagné pour les humanitaires d'une sécurité plus grande encore moins d'un élargissement des zones d'interventions. Cela s`est traduit, au contraire, par l'augmentation exponentielle du nombre d'humanitaires délibérément assassinés, kidnappés, violés ou volés. Les statistiques nécrologiques en la matière évoluent de pic en pic et l'espace humanitaire se rétrécie chaque jour. Dans certaines régions du monde, les « No-go zones » ou zones de néant humanitaire s'érigent contre toutes formes d'intervention humanitaire.

    L'actualité fait régulièrement état d'humanitaires kidnappés et libérés contre paiement d'une rançon ou exécutés. Pour les professionnels du secteur, depuis 1990, le métier est devenu plus difficile voire suicidaire dans certains endroits du monde. Cette conscience vécue de la dangerosité du métier, sera corroborée par plusieurs études scientifiques que nous essaierons de restituer ici29(*).

    Le récit anecdotique des premières aventures humanitaires regorgent de détails sur des violences subies. Le danger a toujours accompagné l'entreprise humanitaire et peut-être est-ce cela, qui fait son charme. Du fait qu'il intervient non au milieu d'une foire mais d'un conflit, l'humanitaire est un métier dangereux, car potentiellement porteur de risques. De l'étude princeps de Mani sheck, on apprend que ce risque est en constante évolution. La probabilité de se faire tuer devient, même par endroits, une certitude. A sa suite plusieurs études menées sur le même sujet permettent de délimiter les contours du phénomène et d'en établir les constantes.

    I. Des violences essentiellement intentionnelles

    De 1990 à 2005, les violences contre le personnel humanitaire vont se démultiplier. Le nombre d'incidents a augmenté en valeur absolue. Une analyse minutieuse des données permet de distinguer deux rythmes de croissance. Dans la première tranche de temps 1990-1997, les violences augmentent assez vite, tandis que la seconde période enregistre un ralentissement du phénomène.

    La tendance générale qui se dégage sur la nature des incidents est leur caractère intentionnel. Les diverses études menées sur la question de l'insécurité des humanitaires concluent sans équivoque à une forte propension des violences intentionnelles c'est-à-dire celles infligées délibérément. En effet, la majorité des morts ou des violences multiformes subies ne sont pas le fruit du hasard ou de la malchance. Les humanitaires ne sont pas victimes parce qu'ils seraient à la mauvaise place au mauvais moment. Ils le sont, parce que perçus, comme une cible économique et politique principales. Les accidents de véhicules et les décès dus aux maladies ne constituent qu'une infime partie des causes de mortalité.

    Des différentes organisations civiles formant le pôle humanitaire (O.N.G., C.I.C.R., sociétés nationales de Croix Rouge et agences onusiennes), les agences onusiennes ont d'abord détenu la palme de la victimité avant de la céder aux O.N.G. La multiplication des zones d'intervention de l'O.N.U. après la chute du Mur de Berlin s'est accompagnée d'une exposition plus grande des travailleurs de cette organisation.

    De 1990 à 1997, les actes de violences mortelles contre les humanitaires sont en majorité intentionnelles et consécutives pour la plupart à des vols. Les morts intentionnelles vont jusqu' à constituer entre 1992 et 1995, 75% du total de l'année. Le pic de la courbe des violences contre les humanitaires sera atteint en 1994 avec le conflit rwandais.

    Tableau 2 Nature des violences (source Mani Sheik)

     

    Violences intentionnelles

    Violences non intentionnelles

    Accidents de véhicules

    Autres

    Total

    O.N.G.

    23

    6

    10

    19

    58

    Agences Onusiennes

    145

    3

    23

    6

    177

    C.I.C.R. et Croix Rouge nationales

    40

    5

    7

    0

    52

    Total

    208

    14

    40

    25

    287

    Figure 1 Nature des violences (source Mani Sheik)

    Pendant longtemps, les accidents de véhicules ont été considérés comme étant la principale cause de mortalité des humanitaires. Les données de Mani Sheik prennent le contrepied de cette opinion et concluent sans ambages à la primauté des violences intentionnelles. Les résultats sont identiques pour toutes les organisations humanitaires et se traduisent par un nombre élevé de violences intentionnelles qui écrase par son volume les autres formes de violence d'origine non-intentionnelle, accidentelle ou autre (maladies...).

    Figure 2 Violences intentionnelles par type d'organisation (source Mani Sheik)

    De 1997 à 2005, l'étude des incidents graves contre les travailleurs humanitaires conservent une courbe ascendante. Abby Stoddard et ses collaborateurs du humanitarian policy group, ne font pas de comparaison entre les violences intentionnelles et les violences non-intentionnelles. Il semble que si dans les années 90, il n'était pas encore établi que la majorité des actes de violences contre les humanitaires est intentionnelle, en 2000 cette vérité constitue un truisme.

    Les menaces les plus susceptibles de se concrétiser se situent dans l'existence d'acteurs de violence divers mus par des mobiles différents qui exploitent les faiblesses sécuritaires des programmes humanitaires dans certaines régions du monde.

    1. Des actes et des auteurs de violences divers

    Les humanitaires sont la cible d'actes de violences multiformes allant des plus bénins comme les larcins à des actes gravissimes comme le meurtre. Voici quelques unes des violences qu'ils subissent:

    Le vol et le braquage: l'aide humanitaire intervient dans des régions démunies. La manne financière et matérielle dont dispose les organisations humanitaires et leurs employés suscite des convoitises en interne et en externe. En interne, les stocks alimentaires et certains matériaux comme le fioul subissent régulièrement des vols. En externe, les travailleurs humanitaires sont visités par des bandits à leurs bureaux où ils sont dépouillés de tout. Les déplacements aussi constituent des moments critiques car des bandits dressent régulièrement des barrages avec pour dessein de braquer les véhicules (car-jacking). Ces différents actes de vols peuvent s'accompagner avec plus ou moins de violence selon les auteurs.

    Le harcèlement : mémoire de guerre et témoins gênants d'exactions de tous genres, les humanitaires embarrassent les belligérants des conflits. Vu comme l'oeil de l'Occident, ils sont constamment harcelés par les groupes armés qui les perçoivent comme des freins à l'exécution d'opérations d'extermination ou de crimes de guerre. Arrêtés aux barrages, ou convoqués, ils sont pressés de questions et détenus pour des motifs aussi futiles que farfelus. Le harcèlement a pour but d'empêcher les O.N.G d'être trop regardantes sur les activités militaires, de les astreindre au silence, voire de les pousser au départ. Dans certaines situations, il s'agit d'un véritable quiproquo entre les humanitaires et les militaires. Pour ces derniers, les O.N.G. sont des espions à la solde des puissances occidentales, d'où le traitement spécial qui doit leur être réservé. Dans cette hypothèse, une mauvaise gestion de la situation par l'O.N.G. notamment dans son rapport aux autres protagonistes peut conforter les préjugés.

    Les meurtres et assassinats : l'intervention militaire dans des zones de conflits ouverts exposent les travailleurs aux effets collatéraux. En effet, assister les populations les plus vulnérables d'un conflit, c'est s'exposer, du même coup, aux mêmes menaces. L'humanitaire de ce point de vue est un métier potentiellement dangereux, dans la mesure où il s'exerce dans des zones dangereuses soumises à des bombardements aériens ou terrestres et à des opérations de guerre par essence violente. La distinction entre civils et combattants n'est pas toujours aisée à établir et des bavures de bonne foi existent.

    Le port du logo n'a pas un effet absolu et les meurtres d'humanitaires font partie intégrante de la normalité de la profession. En revanche, l'assassinat des travailleurs humanitaires, c'est-à-dire le fait d'attenter volontairement à leurs vies, dans ses proportions actuelles est anormal. D'abord parce qu'il s'éloigne de la norme: l'immunité des humanitaires contenue dans les conventions de Genève et autres traités internationaux. Ensuite, parce que le phénomène est récent. Il s'origine dans les années 90, en rupture avec l'histoire de l'humanitaire. Pour Mani sheck, le ciblage criminel des humanitaires commence à la fin des années 80 pour atteindre son pic en 1994.

    Les viols : il n'existe aucune statistique sur les viols commis sur les humanitaires. Pourtant c'est un secret de polichinelle que des cas de viol sont répertoriés ça et là. Un voile de pudeur empêche d'aborder cette question à découvert et les cas y afférents sont rangés dans la rubrique des violences physiques.

    Les menaces de mort: Pour amener les humanitaire à plier bagage ou tout simplement à se taire devant des exactions commises, certaines personnes ou groupes leur adressent des menaces de mort suivies ou pas d'effet.

    Les auteurs des violences contre les humanitaires n'appartiennent pas tous à la même catégorie. Trois types d'auteurs ont été recensés. Ce sont par ordre de dangerosité croissante: les bandits ordinaires, les éléments armés contrôlés ou incontrôlés et les terroristes.

    Les bandits ordinaires : les véhicules neufs arborés par les humanitaires ainsi que les biens matériels et financiers qu'ils possèdent suscitent la convoitise. Le cash servant à régler les salaires ou encore les véhicules 4X4 rutilants sont les butins les plus prisés. Pour des individus qui, ont fait le choix du banditisme, la guerre et le désordre ne peuvent que constituer des circonstances aggravantes. En effet, pendant les périodes agitées, le manque de perspectives d'emploi conduit bien souvent à un banditisme de subsistance qui s'abat sur les poches de prospérité encore existantes dont les humanitaires qui disposent relativement de biens matériels considérables. Chez les bandits ordinaires, les humanitaires sont visés pour ce qu'ils ont, non pour ce qu'ils sont.

    Les éléments armés contrôlés ou incontrôlés : les récits d'humanitaires sur les auteurs des violences qu'ils ont subies font généralement mention d'éléments armés ayant des signes distinctifs qui, les rapprochent de tel ou tel protagoniste. Des éléments dits incontrôlés agissant à leurs propres comptes s'adonnent à des activités parallèles de vols et braquages sur la population civile dont les humanitaires. Dans certains cas il est douteux de croire que ces éléments soient effectivement incontrôlés. Afin de contraindre les humanitaires à des concessions politiques ou économiques (silence, conciliation, racket...) des protagonistes peuvent faire croître volontairement l'insécurité, qui comme par enchantement, diminuera une fois les exigences satisfaites.

    Les terroristes : la menace la plus sérieuse contre les humanitaires provient des terroristes. Le terrorisme est la prise pour cible des populations civiles afin d'obtenir des concessions politiques. Les humanitaires sont des civils et par voie de conséquence, une cible potentielle. Le but visé par les terroristes est de choquer l'opinions publique pour que celle-ci fassent pression sur les gouvernants. En s'attaquant aux humanitaires, les résultats sont démultipliés pour deux raisons au moins. Les humanitaires bénéficient d'abord, d'une grande dose de sympathie auprès des populations d'où un choc plus grand que s'il s'était agi du citoyen lambda. Ensuite, ils bénéficient d'une large couverture médiatique qui profitera aux terroristes dont l'objectif est d'atteindre les opinions publiques.

    Par ailleurs, les humanitaires ont pu être agressé en raison de leur supposé lien avec certaines puissances que pour leur identité intrinsèque. En Irak ou en Afghanistan, les humanitaires payent de leurs vies le prétendu soutien aux États-Unis.

    Toutes les organisations dites terroristes n'abhorrent pas les humanitaires. Les indépendantistes basques de ETA, les tigres de Eelam Tamul, le Hamas, pour ne citer que les plus connues, ne tuent pas expressément les humanitaires. Pour s'en tenir aux faits, seuls les terroristes de la nébuleuse Al-Qaïda disséminés à travers le monde, définissent sans équivoque les humanitaires comme une cible à abattre.

    2. Des violences essentiellement politiques

    De tous temps, les humanitaires ont du faire face à deux types de menaces :

    -les menaces environnementales qui comprennent à la fois les dommages collatéraux et les menaces parasites liées à des raisons économiques (vol, crime de droit commun, extorsion) ;

    -les menaces politiques: l'humanitaire est ici la cible principale ou associée pour des groupes armés. Il est cible principale lorsque les attaques qui le visent sont destinées à empêcher ou à détourner les opérations d'aide de groupes particuliers ou à punir les humanitaires pour avoir délivré de telles aides. Les terroristes entrent dans cette définition. Les attentats terroristes envoient un message de rupture de la stabilité, sèment la peur et minent la confiance dans des espaces où l'humanitaire symbolise la solidarité et d'une certaine manière le retour à la normalité.

    Les humanitaires deviennent une cible associée lorsqu'ils sont attaqués parce que perçus comme faisant allégeance à un gouvernement ou participant d'une manière ou d'une autre d'un agenda politique.

    Ces deux sources sont responsables de l'augmentation de la violence contre les humanitaires avec une proportion croissante des menaces du second type. En effet, les humanitaires sont victimes dans les zones majeures d'insécurité (voir tableau 7) d'une violence essentiellement politique. En Afghanistan, en Irak ou au Soudan, les terroristes les ont clairement définis comme une cible militaire.

    La liste des actes de violences subies par les humanitaires est longue. Cependant, les études sur la question ont tourné autour de trois actes majeurs de violence : les meurtres, les blessures et le kidnapping30(*).

    De 1990 à 2005, le nombre d'actes de violence majeurs subis par les travailleurs humanitaires est en constante évolution. Les actes de violences intentionnelles dament le pion aux actes accidentels parmi lesquels les fameux dommages collatéraux. L'humanitaire pendant toute cette période, n'est pas victime d'une violence résiduelle (liée à la guerre) mais plutôt d'actes volontaires d'agressions. Ainsi le nombre de morts parmi les humanitaires est en constante évolution.

    Tableau 3 pourcentage des meurtres (extrait des sources de Abby Stoddard)

    Période

    Pourcentage

    1990_1996

    12

     
     
     
     

    1997-2005

    48

    Les meurtres des humanitaires ont donc progressé de 62%. Un bémol à apporter toutefois, le nombre des humanitaires a augmenté entre 1997 et 2005 de 77%.

    Si dans l'absolu, la croissance des violences s'impose, en valeur relative, l'augmentation n'est que marginale. L'augmentation des meurtres contre les humanitaires est donc à relativiser. Cette conclusion vaut également pour l'ensemble des actes de violence majeur. Selon stoddard, la violence contre les humanitaires serait passée de 5/10000 à 6/10000 entre 1997 et 2005. Pour la période antérieure c'est-à-dire celle couverte par les études de sheik, il n'existe aucune base de sondage31(*) . 

    Concernant les humanitaires gravement blessés ou kidnappés sur la période 1997-2005, on observe une augmentation dans un cas et une diminution dans l'autre. Les incidents ayant occasionné des blessures graves ont augmentés de 243 % de 1997 à 2005. Quant au kidnapping et la prise d'otage, après un pic atteint en 2001 (47) une tendance à la baisse s'est amorcée, depuis lors.

    La tendance générale sur les 20832(*) meurtres répertoriés par Mani Sheik entre 1985 et 1997 et les 408 incidents graves entre 1997 et 2005 qui ont occasionné 941 victimes et 434 morts, est une augmentation légère de l'insécurité. En effet en comparaison avec d'autres activité civiles, l'humanitaire est loin d'être l'activité civile, la plus dangereuse. Il occupe la 5e place, derrière certaines professions comme les pilotes ou les travailleurs du secteur de l'acier. Contrairement à ces autres professions la nature des risques encourus est différente: l'humanitaire est victime d'une violence intentionnelle. En outre, les conséquences de la violence qu'il subit, sur les populations est sans commune mesure. En effet, un programme arrêté pour cause de violence, c'est des milliers d'hommes et de femmes abandonnés à leurs sorts dans des situations de vulnérabilité extrême.

    3. Les O.N.G. et le personnel national : les deux grandes victimes de la violence

    La violence contre les humanitaires ne s'abat pas aveuglement dans le milieu. Certaines organisations et certaines nationalités sont plus exposées que d'autres.

    De 1990 à 2005, l'insécurité affecte les organisations humanitaires différemment. Ainsi deux périodes se distinguent : l'une où les agences onusiennes sont les plus atteintes et l'autre où les O.N.G. prennent le relais.

    De 1990 à 1997: la majorité des victimes des violences est issue des agences humanitaires onusiennes. Mal préparées à intervenir sur des terrains où seul le C.I.C.R. était présent, ces agences dotées d'une liberté d'action plus grande, marchent sur les ruines du Mur de Berlin, pour apporter secours aux quatre, coins du globe. Cependant, elles étaient loin d'imaginer que leurs actions pouvaient susciter par endroits des vagues d'hostilité allant jusqu'au meurtre. Elles feront ainsi l'objet de nombreux actes de violences tant pour des raisons économiques que politiques.

    Tableau 4 Morts par type d'organisation (source Mani Sheik)

    Organisation

    Nombre de morts

    Agences onusiennes (U.N.)

    177

    Croix rouge et croissant rouge

    52

    O.N.G.

    58

    Figure 3 Morts par type d'organisation 1990-1997

    De 1997 à 2005 : la tendance s'inverse et les O.N.G. dont la victimité n'était que marginale par rapport aux deux autres acteurs, occupent désormais le palmarès nécrologique. De plus en Plus nombreuses et enclines à agir « là où les autres ne vont pas », elles subissent la majorité absolue et relative des violences contre les humanitaires. 60% de l'ensemble des violences lui sont adressés contre 23% pour les U.N. et 16% pour le C.I.C.R. et les sociétés nationales de la Croix Rouge et du Croissant Rouge.

    Tableau 5 victimes d'incidents graves par organisation (source Abby Stoddard)

    Organisation

    Victimes d'incidents graves

    U.N.

    215

    C.I.C.R. et Croix Rouge

    146

    O.N.G.

    576

    Figure 4 Victimes par type d'organisation (extrait de Abby Stoddard)

    Tandis que certaines organisations voient diminuer leur insécurité ou le nombre de violences subies, d'autres, en revanche, constatent une augmentation.

    Les violences de 2002 à 2005 baissent de 63% pour le C.I.C.R. et 10% pour les U.N. De l'autre coté, elle augmente de 161% pour les O.N.G. et 133% pour les Croix Rouges nationales.

    L'augmentation des violences contre certains types d'organisation et son recul corrélatif chez d'autres est analysé comme résultant de l'efficacité des mesures sécuritaires adoptées. En effet, le système onusien ébranlé par un nombre vertigineux d'attentats contre son personnel au début des années 90 met en oeuvre une série de mesures sécuritaires drastiques (organise des études sur la question, adopte des systèmes de sécurité standard pour toutes ses agences, crée une direction en charge de cette question) qui va réduire sa vulnérabilité. De son côté le C.I.C.R. va quelque peu hiberner en développant parallèlement une politique sécuritaire efficace. Dans le même temps et à l'inverse, les programmes des O.N.G. sont mis en oeuvre en faisant peu ou pas cas des contraintes sécuritaires.

    A l'intérieur des organisations, la violence établit une distinction entre personnel expatrié et personnel national. Les deux groupes étant différemment affectés par le phénomène.

    Les expatriés sont le personnel recruté hors du lieu d'intervention, notamment dans le pays où se trouve le siège de l'O.N.G. Par cela, ils se distinguent du personnel national recruté in situ et essentiellement constitué de nationaux du lieu d'intervention. La conséquence qui s'en suit est un traitement salarial différent. Si cette discrimination est commune à l'ensemble des O.N.G., elle est tout au moins injustifiable du point de vue des risques encourus par les uns et les autres. Les nationaux, en effet constituent depuis 1990 l'essentiel des victimes humanitaires.

    )

    Tableau 6 Morts par type d'employé

    Période

    Nationaux

    Expatriés

    1990-1997

    58

    42

    1997-2005

    78

    22

    Figure 5 Morts par type d'employé(source Mani Sheik et Abby Stoddard)

    Plusieurs facteurs expliquent cette situation qui aux yeux de nombreux observateurs n'est pas inédite. Il semble que, de plus en plus, les victimes nationales recouvrent la dignité totale d'humanitaire grâce à une plus grande médiatisation. Tout ce qui les affecte est rendu public au même titre que les expatriés.

    La stratégie de gestion télécommandée ou à distance connue sous le nom de «remote control management» dans la terminologie anglo-saxonne a déplacé les risques des expatriés vers les nationaux. Basée sur le faux présupposé que les expatriés sont plus exposés que les nationaux, la gestion à distance consiste pour les ONG internationales à se retrancher dans une zone ou un État qui offre des conditions de sécurité optimales et à confier la mise en oeuvre des programmes au personnel national ou à une O.N.G. locale partenaire. En réduisant les risques, on fait baisser la mortalité. Incidemment, la sécurité des expatriés s'est vue renforcée et des projets qui butaient sur l'hypothèse fatale de l'insécurité ont pu être exécutés.

    Cependant, les succès du remote control sont contrebalancés par l'augmentation du nombre de victimes nationales. L'insécurité loin de baisser à encore une fois changé de cible: des agences onusienne, vers les O.N.G.; elle s'attaque désormais au personnel national qui constitue à lui seul 79% des victimes toutes organisations confondues. En se mettant à l'abri et en confiant plus de responsabilités opérationnelles au personnel national, les O.N.G. se sont du même coup, déchargés du poids des risques sur ce dernier.

    4. Les zones les plus dangereuses

    Les zones les plus dangereuses, c'est-à-dire les endroits où le risque de subir des violences est élevé, ne sont pas figés. Elles varient au fil des ans et au rythme des conflits. Les zones les plus dangereuses pour les humanitaires ont donc évolué entre 1990 et 2005. La cartographie de ces zones à quelques exceptions près a été profondément remaniée.

    De 1990 à 1997 : Les zones les plus mortelles pour les humanitaires se situent essentiellement en Afrique dans la région des Grands Lacs et de la corne de l'Afrique. Les sept régions les plus dangereuses furent respectivement le Rwanda, la Somalie, le Cambodge, l'Angola, l'Afghanistan, l'Éthiopie et le Soudan. Seuls deux pays parmi les sept sont situés hors d'Afrique.

    Tableau 5 Zones dangereuses (source Mani Sheik)

    Pays

    Nombre d'humanitaires tués

    Rwanda

    63

    Somalie

    36

    Cambodge

    28

    Angola

    17

    Afghanistan

    16

    Ethiopie

    16

    Soudan

    16

    Figure 6 Zones dangereuses 1990-1997


    De 1997 à 2005 : La fin de la guerre au Rwanda, en Angola et en Éthiopie va voir l'émergence de nouveaux conflits(Irak) ou l'accentuation d'ancien au regard de l'insécurité des humanitaires. La Somalie, le Soudan, l'Afghanistan, l'Irak, le Caucase du nord, la République Démocratique du Congo et le Burundi constituent les régions les plus dangereuses. La tendance générale des violences, hormis les cas de l'Afghanistan (2001) et de l'Irak(2003), est à la baisse. A eux seuls, ces deux pays ont modifié la perception de la violence contre les humanitaires. En seulement deux ans (2003-2004), l'Irak est devenu la quatrième région du monde la plus dangereuse. Un classement des pays en regard des enlèvements donne le résultat suivant.

    Tableau 6 : Classement des pays par nombre d'enlèvements 1997-2005

    pays

    Nombre d'enlèvements

    Somalie

    42

    Soudan

    27

    Caucase nord

    25

    Tadjikistan

    22

    R.D.C.

    19

    Irak

    9

    Libéria

    8

    Figure 7 classement des pays par nombre d'enlèvements

    II. Les humanitaires une cible molle

    La prise pour cible des travailleurs humanitaires s'effectue avec une facilité d'autant plus, que ceux-ci ne sont pas armés, parmi des protagonistes qui le sont. La neutralité qui servait de bouclier contre toutes formes de violence est inopérante et ils se retrouvent à découvert dans des contextes politiques d'une extrême violence. Plusieurs facteurs internes et externes expliquent cette vulnérabilité: le manque d'effet de la neutralité d'une part et d'autre part, la faiblesse des mesures sécuritaires qui, de conserve font des humanitaires une cible molle.

    1. La remise en cause de la neutralité : se taire ou mourir

    Pendant longtemps les humanitaires se sont crus épargnés de la violence des champs de bataille parce que n'étant pas partie aux conflits, pensaient-ils, ils ne pouvaient en constituer une cible. Cependant, les signes de neutralité qui les protègent ont été mis à mal par la multiplication des acteurs et surtout par l'érosion de ce principe33(*). Pour de nombreuses O.N.G., le témoignage doit prendre le pas sur la délivrance de l'aide et le respect des droits de l'Homme constitue une finalité.

    Cette position est consécutive à un ensemble de manipulations dont ont été l'objet les humanitaires. En faisant de la livraison de l'aide une finalité sans toute autre considération, les humanitaires ont participé à la pérennisation des conflits, à la violation des droits de l'Homme, et à la constitution de sanctuaires humanitaires qui ont servi à engraisser d'ex génocidaires, avec les sous de la communauté internationale. Déjà en 1985, M.S.F. dénonce la manipulation des humanitaires par le régime éthiopien à des fins de déplacements forcés de populations. En 1994, les camps de refugiés rwandais au Congo offrent gîte et couvert aux génocidaires en fuite. Ces derniers n'éprouveront aucun scrupule à profiter de cette aubaine pour se réarmer afin de contre-attaquer.

    Dans la même période, les O.N.G. louent chèrement les services des milices en Somalie pour assurer leur sécurité, partant elles participent à l'économie de guerre qui permet la perpétuation des atrocités. Ce problème éthique entre neutralité et témoignage amènera de nombreuses O.N.G., à bon escient, à admettre que l'aide octroyée en toute neutralité peut contribuer à la violation massive des droits de l'Homme.

    Le choix du témoignage a un prix: il a privé les humanitaires de ce qui faisant leur protection à savoir la neutralité. Le témoignage est perçu par les mis en cause comme une marque manifeste d'impartialité. Toutes dénonciations d'abus d'un camp exposent les humanitaires à des représailles.

    Toutes les organisations n'ont pas opté pour la dénonciation et certaines demeurent fondamentalement attachées à la neutralité c'est notamment le cas du C.I.C.R. , sans pour autant que cette position n'améliore sa sécurité. IL semble qu'en la matière la perception du groupe prime sur les agissements réels des éléments.

    La neutralité est également contrebalancée par des accointances voulues par certaines O.N.G. et les parties en conflit. Dans le cadre de la guerre totale contre le terrorisme des associations essentiellement anglo-saxonnes s'étaient rangées sans réserve dans « le camp du bien » et exécutaient la sous-traitance pour la coalition conduite par les États-Unis. La confusion ainsi volontairement entretenue entre politique et humanitaire, contribue à renforcer l'image de «l'humanitaire collabo». Les agences onusiennes du fait de la relation organique qui les lie à l'O.N.U. et à son Conseil de Sécurité subissent par contrecoup les ressentiments contre cette dernière instance.

    2. La faiblesse des mesures sécuritaires

    Bannie du vocabulaire humanitaire parce qu'à connotation militaire, la prise en compte des impératifs sécuritaires a longtemps été exclue des programmes. Dans le récit d'Anne Valley sur l'histoire des french doctors, nombre d'humanitaires doivent leurs survies à la baraka34(*).

    Que ce soit au Biafra ou sur les hauteurs des montagnes afghanes, les programmes sont menés aux risques et aux périls des travailleurs qui, au demeurant, sont conscients des dangers courus. Le leitmotiv n'était-il pas d'aller là ou les autres ne vont pas ? Il faudra entendre les années 90 pour que la conscience sécuritaire devienne une préoccupation des humanitaires. Les études menées à cette période concluent toutes à la faiblesse voire à l'inexistence de politiques sécuritaires. Dans la foulée, plusieurs instruments sont créés pour combler le vide avec des résultats mitigés. Les Nations Unies donneront le ton par la création d'une direction spécialisée en charge de la sécurité, puis ce sera le tour du C.I.C.R. et des O.N.G. de se doter de référents et de guides sécurités. Des réponses coordonnées sont initiées c'est le cas de UNSECOORD (1988) et du S.A.G.(1993)35(*).

    Deux principaux instruments en matière de sécurité méritent une brève description : ce sont la création en 1996 de Reliefweb et la publication de Good practice review, operational security management in violent environments36(*). Crée par l'O.C.H.A., reliefweb vise au partage des informations dont celles relatives à la sécurité entre organismes onusiens, États et O.N.G. C'est aussi une base de donnée qui recense tous les incidents majeurs dont sont victimes les humanitaires (l'étude de Stoddard repose en partie sur cette base de donnée). Le passage de la place de première à la deuxième place des victimes humanitaires, rend les agences onusiennes dépositaires d'un savoir qu'elles veulent partager avec le reste de la corporation.

    La parution en 2000 du livre de Van Bradant communément appelé dans le monde humanitaire «la bible» par les référents sécurité des O.N.G. marque un tournant important. Livre complet sur la question, il fournit aux humanitaires en des termes relativement simples, des outils adaptés.

    Cependant, l'analyse de ces différents instruments et biens d'autres passés sous silence, quoiqu'encourageants, conduit au constat qu'ils n'ont pas encore produit les résultats escomptés. Il semble que dans la pratique, leurs mises en oeuvre posent des problèmes aux O.N.G., qui ont du mal à intégrer dans leur schème de fonctionnement l'aspect sécuritaire.

    3. L'humanitaire d'État un compagnon gênant

    Les résolutions kouchnériennes de 88 et 90 ont donné une place considérable aux O.N.G. mais en même temps ont permis d'ouvrir une boite de pandore. L'humanitaire d'État qu'elles ont institué et qui désormais partage le théâtre des opérations de secours avec les O.N.G. a brouillé les pistes. Des programmes identiques sont mis en oeuvre par les États et les O.N.G. souvent en étroite collaboration. Comment s'étonner dès lors que les humanitaires soient soupçonnés de servir les intérêts des États dont ils possèdent la citoyenneté.

    Les États et Kouchner ne sont pas les seuls responsables de la situation. En acceptant les fonds publics nationaux ou internationaux, les humanitaires apportent une once de crédibilité aux suspicions de collaboration .Le raisonnement est le suivant : si les humanitaires émargent au guichet des États, continueront-ils à être financés, si les intérêts de ces mêmes pays sont menacés ? Pourquoi certaines crises sont plus assistées que d'autres ? Les résolutions des Nations Unies et la décision des agences onusiennes d'intervenir dans une région au détriment d'une autre semble tributaire de considérations autres qu'humanitaires. Ce point de vue n'est pas celui de Ben Laden, mais plutôt celui d'Amelia Bookstein de l'O.N.G. Oxfam. Elle invite, par conséquent, les donateurs à s'engager à délivrer l'aide sur la base unique des besoins et non en fonction de l'urgence politique comme c'est souvent le cas37(*).

    III. Quelques pistes de réflexion

    La question de l'insécurité des humanitaires est d'une grande complexité. Les facteurs de vulnérabilité sont nombreux ainsi que les solutions pour y faire face. Tandis que certains sont liés à l'environnement international dans lequel les humanitaires baignent, les autres ont leur noyau à l'intérieur des organisations elles-mêmes. Les solutions non exhaustives proposées ici sont à la fois interne et externes. Trois pistes nous semblent particulièrement fécondes pour ramener l'insécurité des humanitaires à un niveau acceptable: le nettoyage interne, la désintrication du politico-militaire et le triangle de sécurité.

    1. Le nettoyage interne

    La floraison des humanitaires dès les années 90 n'as pas eu que des effets positifs sur le sort des victimes de catastrophes naturelles ou humaines. La liberté de conception des O.N.G. a permis l'avènement de nombreuses organisations voyous (rogue N.G.O.) qui ont terni l'image de cette noble corporation. Les mobiles qui poussent à la création d'organisations humanitaires sont aussi divers que les personnalités. Le non lucratif peut se présenter, comme un moyen subtil d'enrichissement rapide. Les O.N.G. écrans permettent ainsi de capter abusivement à son profit la générosité du public ou de s'adonner à des activités illégales. Chacun des grands conflits et chacune des catastrophes a son lot d'O.N.G. de cette nature, qui bien souvent ont une existence éphémère.

    L'épithète de non-gouvernemental ne recouvre pas non plus, la même réalité partout et souvent cache, en toute contradiction, un lien de filiation avec une autorité étatique. C'est le cas de CARE qui entretient des liens étroits avec le gouvernement américain. En Irak, la coordination des O.N.G. dénonce « l'abus de l'appellation O.N.G. par certaines organisations de charité qui sous couvert d'une identité humanitaire dissimulent un agenda politique ou économique, des compagnies privées, des organisations gouvernementales ou proche des armées continuent de clamer qu'elles sont des O.N.G., souvent au travers d'une fondation de charité qui cache une grande partie de leurs agendas ou de leurs intérêts commerciaux »38(*). Ainsi dans ce pays, nous rapporte Alice-Clara Bernard, une compagnie privée de transport aérien dont la quête de profit était évidente, faisait partie de la coordination des O.N.G.39(*)

    Il existe une troisième catégorie d'O.N.G. Celle là, a des mobiles louables mais agit sans aucun respect des cultures locales des sociétés où elle intervient. L'exemple le plus emblématique est fourni par L'Arche de Zoé. Cette O.N.G. a défrayé la chronique en 2007, en tentant de faire sortir des enfants du Tchad en toute illégalité. Obnubilée par les souffrances des enfants pris au piège de la guerre au Tchad et au soudan(Darfour), cette organisation va s'employer au mépris des lois à sauver ces enfants. Arrêtés et condamnés, les membres de l'Arche de Zoé seront graciés par le président tchadien en 2008.

    Les arches de zoé, il en existe des milliers dans le monde des O.N.G. Des O.N.G. qui croient aveuglement au sans frontiérisme et qui s'imaginent qu'on peut faire n'importe quoi pourvu que la finalité soit humanitaire. Ce genre d'agissements ne peut que vouer aux gémonies l'oeuvre humanitaire. Au Tchad et partout en Afrique l'action de l'Arche de Zoé a été interprétée comme une marque de néocolonialisme dont l'assemble de la corporation a fait les frais. Parlant de la réaction des africains consécutive à cette affaire, Christian Troubé affirme: « un ressentiment qui relayé par des medias et des pouvoirs publics africains déchaînés, prendra parfois l'allure d'un rejet violent du travail de toutes les O.N.G. présentes sur place, accusées de propager un nouveau colonialisme. »40(*).

    Pour redorer un blason qui se ternit de jour en jour, il incombe aux ONG de faire le ménage elles-mêmes. La tâche parait ardue dans la mesure où les O.N.G. sont une action et une émanation citoyenne : aucune n'ayant le pouvoir d'interdire les autres. Créées contre la rigidité du système d'intervention propre aux États, trop de règles pourrait tuer la créativité qui à fait le succès des organisations humanitaires.

    Cependant, de plus en plus de voix s'élèvent pour appeler à la création d'une organisation internationale des O.N.G. dont seraient parties que les organisations sérieuses. En attendant, des initiatives existent au plan national (Coordination Sud qui regroupe les O.N.G. françaises), régional (InterAction en Europe) et international (Forums Altermondialistes) qui soumettent leurs membres à l'adhésion de chartes et principes contraignants.

    Pour séparer l'ivraie du vrai et permettre ainsi de conserver son image de sauveteur, les organisations humanitaires et les O.N.G. en particulier doivent faire la purge en leur sein. Si la méthode la plus indiquée pour y parvenir ne fait pas l'unanimité, sa nécessité elle, transcende les opinions divergentes.

    2. La désintrication du politico-humanitaire

    L'intervention humanitaire n'est pas l'apanage des organisations apolitiques. Dès la chute du mur de Berlin et aussitôt adoptées les résolutions relatives au droit d'ingérence humanitaire, les États et les organisations inter-étatiques à vocation politique vont se lancer dans cette voie. La première du genre fut l'intervention dans le Kurdistan irakien par l'opération `'provide comfort'' conduite par les États-Unis, la France, le Royaume Uni et les Pays-Bas. Les opérations de L'ONUSOM en 1992 et du FORPRONU respectivement en Somalie et en Yougoslavie sont initiées dans le même dessein. Le soldat est appelé ici, à jouer concomitamment les rôles de passeur d'aide et de gardien de la paix. Ces opérations politico-militaires entraineront aussi dans leurs sillages les O.N.G.

    De cette collaboration ou «liaison dangereuse», naîtra une dilution de la distinction entre les sphères politique et humanitaire, préjudiciable à la dernière. Les humanitaires sont pris pour cible parce que confondus aux troupes militaires avec lesquelles, ils travaillent. La démarcation d'avec le politique se présente dès lors, comme une urgence vitale. Selon Pierre Micheletti : « Pour préserver leurs capacités d'intervention et de mobilisation, elles doivent en permanence réaffirmer leur caractère non gouvernemental (mais pas anti gouvernemental)41(*). ». Pour cela ils devraient être rétifs à tout embarquement dans des aventures militaires. Les humanitaires devraient veiller à ne plus être des multiplicateurs de puissance d'aucun État et éviter des compromissions qui les desservent.

    Toutes les entreprises militaro-humanitaires se sont soldées par des échecs cuisants pour le politique et une perte de crédibilité pour les humanitaires (Irak, Somalie, Rwanda, Yougoslavie, Kosovo). En effet, l'ingérence humanitaire est un pretexte à la démission politique. Elle évite de s'attaquer aux causes des problèmes c'est-à-dire de ceux à essence politique. Avec dans une main un sac de riz et dans l'autre une kalachnikov, le militaro-humanitaire est en soi une contradiction qui enlève tout crédit aux vrais humanitaires. Comment éviter l'amalgame lorsque les militaires pour avoir une légitimité auprès des populations s'adonnent à des actions humanitaires ou actions civilo-militaires (A.C.M.) en cachant tout signe distinctif.

    En Afghanistan les fameux P.R.T. (Provincial Reconstruction Team) de l'armée américaine sont vêtus de blanc et sur leurs véhicules immaculés, il n'existe aucune trace de vert treillis. Comment s'étonner alors que dans ce pays toutes les O.N.G. soient assimilées à «l'occupant».

    Nul ne conteste au militaire le droit de faire de l'humanitaire par calcul ou par conviction. Tout ce qui leur est demandé est de se conformer aux textes du D.I.H. qui veut que les combattants aient des signes qui les distinguent des civils. Les P.R.T. devraient par conséquent, enfiler la tenue de l'armée américaine.

    Les humanitaires peuvent-ils garder leur indépendance face au politique lorsqu'ils tirent l'essentiel de leurs ressources des États et des organisations internationales, elles-mêmes, financées par des États ? Doit-on croire ingénument au désintéressement des subventions publiques? Assurément que non. Derrière les financements des organismes étatiques se profile toujours des calculs politiques. En Irak comme en Afghanistan, les O.N.G., à la manière de sous-traitants, se sont vu confier des projets décidés par la coalition.

    Sous peine de disparaitre, les O.N.G. ne peuvent faire l'économie des deniers publics. Les appels d'offre d'ECHO ou du H.C.R. constituent une manne essentielle à la survie de nombreuses associations. Le danger réside dans l'alignement sur les logiques politiques en cas de conflits d'intérêt. Ainsi, les O.N.G. deviendraient de simples exécutantes, voire une énième colonne d'un bataillon placé sous commandement politico-militaire. Là, elles perdraient irrévocablement, à la fois leur identité et leur crédibilité.

    ''Le good donorship initiative'' est une idée issue du monde des bailleurs. Ces derniers s'engagent à s'auto lier par les principes du D.I.H. Il faut espérer que les projets soient financés sur la seule base exclusive de l'urgence. Pour autant, Les humanitaires ne doivent pas rester passifs attendant un changement d'attitude des bailleurs. Ils doivent impulser ce changement en gardant jalousement leur autonomie. Selon Rony Brauman si le but des O.N.G. est de soulager les populations, il est impératif qu'elles soient autonomes. Il affirme:  « Mais pour pouvoir atteindre cette ambition que représente le soulagement de la souffrance, il doit agir dans une totale autonomie et, le cas échéant, lorsque des tentatives de colonisation de son territoire sont à l'oeuvre, il doit être capable de combattre non pas seulement au Salvador ou dans les banlieues, au Mozambique ou au Cambodge, mais également sur ses arrières, c'est-à-dire ouvrir un front contre ceux qui tentent de le coloniser. »42(*)

    3. Le triangle sécuritaire

    « Une gestion efficace de la sécurité des organisations humanitaires doit comprendre un protocole de sécurité développé à l'échelle locale et incluant chacun des trois éléments du triangle de la sécurité »43(*). L'acceptation, protection et dissuasion (acceptance, protection and deterrence dans la terminologie anglo-saxonne), le triangle sécuritaire vulgarisé par Van bradant bénéficie d'une large diffusion grâce à l'ECHO44(*). Le guide qu'il a produit à cette fin, à l'intention des organisations humanitaires, fournit une explication détaillée de la gestion de la sécurité sur le terrain.

    L'acceptation consiste à se familiariser et entretenir des relations de confiance avec la population hôte et les bénéficiaires en cultivant des réseaux de contacts et une communication directe avec les belligérants. L'acceptation, permet d'adoucir la menace en cultivant des relations avec les potentiels agresseurs (belligérants). Elle permet également d'être informé à temps par les réseaux d'information constitués sur d'éventuelles attaques.

    La protection quant à elle, permet de réduire la vulnérabilité contre les attaques ciblées ou faites au hasard. Elle consiste à analyser les situations ou les organisations humanitaires sont les plus attaquées et à réduire ces occasions. L'idée ici est d'endurcir la cible. Le matériel de communication dernier cri, les capacités logistiques et les fortifications y ont toute leurs places.

    La dissuasion enfin, consiste à faire peser sur les agresseurs une menace de riposte crédible (diplomatique ou physique). Ici est fait appel au pouvoir diplomatique des États pour faire pression sur les belligérants. Les forces d'interpositions sont appelées à exercer la contre-attaque.

    Les trois éléments du triangle de sécurité sont interdépendants et les déficiences de l'un doivent être comblées par le renforcement des autres. L'idéal serait une stratégie à forte teneur d'acceptation, doublée d'une protection de soutien et d'éléments dissuasifs. En cas de menace terroristes par exemple, l'acceptation consistera à agir sur la communication car les activités de l'organisation sont discréditées. La protection comprendra des activités comme la surveillance, la détection technique, l'évitement des routines, la formation du personnel et des vigiles.

    La stratégie du triangle de sécurité doit tenir compte du contexte local mais encore du mandat et de la mission des humanitaires, qui sont des facteurs de vulnérabilité. Les organisations religieuses attirent régulièrement des réactions de rejet, qui peuvent être contrebalancées par une laïcisation des activités. Les organisations en charge des réfugiés, en adressant des projets vers les communautés d'accueil renforcent leur acceptation.

    Le triangle de sécurité doit déterminer en dernier ressort le moment où il devient trop dangereux d'opérer. En effet, lorsque la stratégie de sécurité est à l'analyse inefficace ou inopérante, il serait mieux, de songer sérieusement à une évacuation temporaire.

    CONCLUSION

    L'érection de fait de zones d'interdiction humanitaire dans certaines régions du Globe soulève le débat de l'avenir du D.I.H. En effet, il est à craindre que la tendance nouvelle qui consiste à tirer profit de l'enlèvement des humanitaires et leurs relâchements contre forte rançon ou tout simplement leur exécution sommaire, ait un effet domino à l'échelle mondiale. Le néant humanitaire qui s'en suivrait est il acceptable? Sinon, l'humanitaire est-il condamné ad vitam aeternam à offrir son sang sur l'autel des droits de l'Homme?

    Chaque millimètre de «NO-GO» zones traduit une victoire de la barbarie sur la civilisation et consacre la négation de l'humanisme. Pour autant la noblesse de l'entreprise humanitaire ne justifie pas un entêtement irréfléchi dans l'action. A ce propos, la stratégie du remote management quoique encourageante demeure insuffisante. La chair à massacrer ne change pas de profession (humanitaire) mais plutôt de couleur ou de culture (personnel national). En se retranchant dans un pays calme et en confiant des responsabilités plus grandes à des partenaires nationaux, mal préparés aux enjeux sécuritaires, ces derniers deviennent une cible molle.

    Le triangle sécuritaire soulève également quelques difficultés concernant notamment la stratégie de dissuasion qu'il comporte. Des actions de dissuasion à l'initiative d'une organisation humanitaire ne feraient t'elles pas perdre à cette dernière son âme en la transformant en un nouveau belligérant ? En protégeant l'espace humanitaire par les armes ne contribue-t-on pas à aggraver une violence dont on a vocation à tempérer l'ardeur c'est-à-dire à humaniser ? Pour de nombreuses personnes, en s'armant fusse-t-il pour une bonne cause, l'humanitaire cesse de l'être.

    Le cadre d'analyse fournit par la géopolitique semble plus porteur de solutions. En mettant l'accent sur la dynamique des rapports de force et la nature charnière de la période actuelle, caractérisée par la remise en cause d'un ordre ancien bipolaire et la gestation d'un monde multipolaire, il établit le lien de causalité entre le bouillonnement de la scène internationale et l'insécurité des humanitaires. La nature des relations internationales: pacifique ou conflictuelle, unipolaire ou multipolaire, unilatérale ou multilatérale détermine en dernier ressort l'avenir de l'humanitaire. L'avènement d'un monde plus juste et solidaire qui compense le fossé entre le Nord et le Sud pourrait limiter les occasions de conflits qui comme l'affirme Pascal Boniface sont le luxe des pays pauvres. Ainsi, les humanitaires seront moins exposés. Un monde multipolaire à l'écoute des différentes sensibilités et du réel rapport de puissance traduit par un élargissement du Conseil de Sécurité de l'O.N.U. à des pays africains et arabes pourrait atténuer la forte hostilité contre les Nations Unies qui se répercute fatalement sur les humanitaires.

    A une échelle plus modeste, celle des O.N.G., un nettoyage en profondeur s'impose pour ne serait ce qu'aboutir à un consensus sur la définition même de l'humanitaire, et mieux définir ses rapports à l'État et au politique. La protection la plus efficace à l'épreuve des faits est l'impartialité des O.N.G. Leur embarquement dans `'le camp du bien'' a considérablement épuisé leur capital de confiance. L'humanitaire doit défendre les faits et non des causes. C'est à ce prix qu'il pourra exercer en toute sérénité. Les GONGO et autres DONGO doivent être identifiés et isolés.

    S'il est inconcevable de laisser prospérer des zones interdites à l'action humanitaire, il est tout autant inadmissible d'agir en faisant fi des dangers existants. Entre le néant humanitaire et le tombeau d'humanitaires, il doit exister un juste milieu qui idéalement se présente ainsi : un monde multipolaire, des O.N.G. distantes des politiques et appliquant les procédures de sécurité et une organisation internationale des O.N.G. agissant à la manière des ordres professionnels qui gomme de ses effectifs, les O.N.G. inféodées au politique ou tout simplement indélicates.

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    TABLE DES MATIÈRES

    Sommaire

    SIGLES

    REMERCIEMENTS

    AVANT-PROPOS

    INTRODUCTION 7

    Chapitre 1 : L'ÉMERGENCE DES ONG HUMANITAIRES DANS LA PÉRIODE POST GUERRE FROIDE 15

    I. La multiplication des conflits et la floraison des O.N.G. humanitaires 15

    1. Les conflits déstructurés et identitaires 16

    2. L'humanitaire succédané aux solutions politiques 23

    3. De la non ingérence à la responsabilité de protéger 27

    II. La reconnaissance internationale des humanitaires 29

    1. Le statut consultatif auprès de l'ONU 30

    2. Le poids croissant dans les négociations internationales 32

    3. L'humanitaire et le prix Nobel de la paix 35

    III. La protection internationale des humanitaires 37

    1. Les conventions de Genève et protocoles additionnels 38

    2. Le Droit de New York 40

    3. La Cour Pénale Internationale (C.P.I.) 42

    Chapitre 2 : LE CIBLAGE CRIMINEL DES HUMANITAIRES 47

    I. Des violences essentiellement intentionnelles 48

    1. Des actes et des auteurs de violences divers 51

    2. Des violences essentiellement politiques 54

    3. Les O.N.G. et le personnel national : les deux grandes victimes de la violence 56

    4. Les zones les plus dangereuses 61

    II. Les humanitaires une cible molle 65

    1. La remise en cause de la neutralité : se taire ou mourir 65

    2. La faiblesse des mesures sécuritaires 66

    3. L'humanitaire d'État un compagnon gênant 68

    III. Quelques pistes de réflexion 69

    1. Le nettoyage interne 69

    2. La désintrication du politico-humanitaire 71

    3. Le triangle sécuritaire 74

    CONCLUSION 76

    BIBLIOGRAPHIE 78

    ANNEXES Erreur ! Signet non défini.

    Chapitre 3 ANNEXES

    Tableau 1 Humanitaires Nobels 36

    Tableau 2 Nature des violences (source Mani Sheik) 49

    Tableau 3 pourcentage des meurtres (extrait des sources de Abby Stoddard) 55

    Tableau 4 Morts par type d'organisation (source Mani Sheik) 57

    Tableau 7 Zones dangereuses (source Mani Sheik) 62

    Tableau 8 : Classement des pays par nombre d'enlèvements 1997-2005 64

    Figure 1 Nature des violences (source Mani Sheik) 49

    Figure 2 Violences intentionnelles par type d'organisation (source Mani Sheik) 50

    Figure 3 Morts par type d'organisation 1990-1997 57

    Figure 4 Victimes par type d'organisation (extrait de Abby Stoddard) 58

    Figure 5 Morts par type d'employé(source Mani Sheik et Abby Stoddard) 60

    Figure 6 Zones dangereuses 1990-1997 63

    TABLEAUX

    Tableau 1: Humanitaires Nobels

     

    Année

    Personnalité ou organisation

     

    1901

    Henri Dunant

     

    1917

    Croix rouge internationale

     

    1922

    Fridtjof Nansen( directeur de l'office internationale des refugiés)

     

    1938

    Office internationale Nansen pour les refugiés

     

    1944

    Croix rouge internationale

     

    1954

    Haut commissariat pour les refugiés

     

    1963

    Croix rouge internationale et ligue des sociétés de la croix rouge

     

    1965

    Unicef

     

    1977

    Amnesty internationale

     

    1981

    Haut commissariat pour les refugies

     

    1997

    ICBLM (International Coalition to Ban Land Mine)

     

    1999

    Médecins sans frontière

     
     
     

    Tableau 2 : nature des violences (source Mani Sheik)

     

    Violences intentionnelles

    Violences non intentionnelles

    Accidents de véhicules

    Autres

    Total

    ONG

    23

    6

    10

    19

    58

    Agences Onusiennes

    145

    3

    23

    6

    177

    CICR et croix rouge nationales

    40

    5

    7

    0

    52

    Total

    208

    14

    40

    25

    287

    Tableau 3 : pourcentage des meurtres (extrait des sources d'Abby Stoddard)

    Période

    Pourcentage

    1990_1996

    12

    1997-2005

    48

    Tableau 4 : nombre de morts par type d'organisation (source Mani Sheik)

    Organisation

    Nombre de morts

    Agences onusiennes (UN)

    177

    Croix rouge et croissant rouge

    52

    ONG

    58

    Tableau 5 victimes d'incidents par type organisation (source Abby Stoddard)

    Organization

    Victimes d'incidents graves

    UN

    215

    CICR et croix rouge

    146

    ONG

    576

    Tableau 6 : comparatif nombre mort par type d'employé ( tiré de Mani sheik et Abby Stoddard)

    Période

    nationaux

    expatriés

    1990-1997

    58

    42

    1997-2005

    78

    22

    Tableau 7: zones dangereuses (source Mani Sheik)

    Pays

    Nombre d'humanitaires tués

    Rwanda

    63

    Somalie

    36

    Cambodge

    28

    Angola

    17

    Afghanistan

    16

    Ethiopie

    16

    Soudan

    16

    Tableau 8: Les enlèvements 1997-2005

    pays

    Nombre d'enlèvements

    Somalie

    42

    Soudan

    27

    Caucase nord

    25

    Tadjikistan

    22

    RDC

    19

    Irak

    9

    Libéria

    8

    GRAPHIQUES

    Figure1: nature des violences (source Mani Sheik)

    Figure 2 : violences intentionnelles par type d'organisation ( source Mani Sheik)

    Figure3 : nombre de morts par type organisation 1990-1997

    Figure 4 : nombre de victimes par type d'organisation (extrait de Abby Stoddard)

    Figure 5: morts par type d'employé

    Figure 6 : des zones dangereuses 1990-1997

    Figure 7 : des zones d'enlèvement

    * 1 Alain Deloche ex président de Médecins Du Monde : « les french doctors ne comptent plus les frontières qu'ils ont franchies sans en avoir le droit, les barrières politiques qu'ils ont contournées, les raisons d'états qu'ils ont ignorées pour répondre à l'appel des victimes » in la question humanitaire, Philippe ryfman, Ellipses, Paris, 1999, coll. « grands enjeux ».

    * 2 Selon Rony Bruman cité par Philippe Ryfman, l'expression crise humanitaire est un non sens auquel il faut préférer le terme d'urgences complexes. Maurice Aubrée de l'association de défense de la langue française, abonde dans le même sens. Dans parlons Français(1998), il affirme »En effet, il ya en quelque sorte incompatibilité entre les termes humanitaire d'une part, désastre ou catastrophe d'autre part. Mieux vaudrait parler de catastrophe humaine(...) ou de désastre pour l'humanité » p98

    * 3 HCR, les réfugiés dans le monde, HCR découverte 1997

    * 4 Rony, Brauman, L'action humanitaire, Flammarion, Paris, 1995

    * 5 Pierre Micheletti, Liberation.fr du 11/01/2005

    * 6 Françoise RUBIO, Dictionnaire pratique des organisations non gouvernementales, Ellipses 2004

    * 7 Michel Fortmann, `'1990-2001 l'analyse quantitative des conflits en transition.'' pp 19-33 in les conflits dans le monde 232P, presse universitaire laval 2001.

    * 8 Selon Rony Brauman et MSF il est exagéré de parler de génocide. La mortalité a été surévaluées les statististiques manipulées pour servir une cause et un show politico-médiatique (engagement de célébrités du show biz américain dont Georges Clooney) au détriment de la réalité et de l'analyse objective.

    * 9 plusieurs responsables politiques de la Croatie dont l'ex président Slobodan Milosevic seront jugés par le tribunal pénal international ad hoc pour crime de guerre et crime contre l'humanité.

    * 10 International Security Assistance Force est la coalition internationale sous mandat onusien (sous mandat de l'OTAN depuis 2006) conduite par les États-Unis. Présente en Afghanistan depuis 2001, il a pour mission de combattre le régime taliban du mollah Omar et AL-QAÏDA

    * 11 Théorie formulée par Francis Fukuyama. Plus philosophique que géopolitique, elle ne signifie aucunement la fin des conflits mais plutôt la suprématie d'un modèle de société: la démocratie libérale qu'aucun autre modèle ne viendra remettre en cause. Cette théorie est une mise à jour de la fin de l'histoire de Hegel. Au rebours d'Hegel et sa suite, Karl Marx dans sa théorie du matérialisme historique avait prédit, à tort, une autre fin de l'histoire marqué cette fois -ci par la liquidation de l'État et le règne du prolétariat, en somme le règne mondial du communisme.

    * 12 Selon une prévision qui s'avéra excessive, dans la mondialisation, les pouvoirs réels sont les marchés financiers et la société internationale où dominaient les relations interétatiques est remplacée par une autre où domine le marché. La réunion du G20 consacrée à la résolution de la crise mondiale en juin 2009, montre que les États détiennent encore les reines des relations internationales.

    * 13 L'ECHO est crée en 1992 par le traité de Maastricht, c'est un organe de l'union européenne en charge des questions humanitaires et du financement des projets d'urgence (60 jours maximum).

    * 14 Elodie Thivard,, Auriane Vigny, les métiers de l'humanitaire et du développement, Studyrama, Paris, 2008.

    * 15 Article 2, chapitre 1 « l'organisation est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses membres »; chapitre 7 « Aucune disposition de la présente charte n'autorise les nations unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un état. »

    * 16Guillaume, D'Andlau, L'action humanitaire, PUF, Paris, 1998, p102.

    * 17 L'ingérence humanitaire n'a jamais été évoquée pour un état riche (membres de l'OCDE) et le sempiternel conflit irlandais ou le terrorisme basque en Espagne ne change rien à la donne.

    * 18 Août et octobre 1944, la conférence de Dumbarton Oaks (USA) réunit les représentants de la chine, des États-Unis, du Royaume-Uni et de l'URSS qui adoptent le projet de la création de l'ONU.

    * 19 Dorothée Meyer, ONG une catégorie juridique introuvable, une définition utilitaire. Réflexion sur une définition en droit des ONG, in ONG et humanitaire. ONG et humanitaire, sous dir SIMEANT Johanna, DAUVIN Pascal, L'Harmattan

    * 20 Charte des nations unies du 26 juin 1945, article 71, chapitre : Conseil économique et social

    * 21ECOSOC consulté le 10/06/09 sur www.un.org/esa/coordination/ngo

    * Depuis fin 2005, le système humanitaire onusien s `est doté d'une nouvelle mécanique reposant sur trois piliers:

    a- l'accélération de la réponse grâce à un nouvel outil financier : le Central Emergency Revolving Fund CERF. Les fonds du CERF sont fournis sur une base volontaire par les états, les entreprises, les fondations et les individus. Des prêts octroyés dans les 72 heures permettent ainsi de répondre aux urgences avec célérité. Le CERF est doté d`une composante don l`E-CERF( Extensive CERF)

    b- le renforcement de la coopération des différents acteurs dans l'espace humanitaire par les clusters. 9 clusters ont été crées: eau et assainissement; santé; nutrition; habitat; logistique; télécommunication; protection; coordination dans les camps et réhabilitation.

    c- l'amélioration du recrutement des coordinations humanitaires afin d'avoir une plus forte compétence sur le terrain.

    * 22 Pascal BONIFACE, le monde contemporain: grandes lignes de partage, PUF, 2001.

    * 23 Joseph ZIMET, Les ONG, de nouveaux acteurs pour changer le monde, Autrement, Paris, 2006.

    * 24 Quid 2002 p266

    * 25 Cet emblème a d'autres équivalents officiels en rapport avec la culture de la zone géographique concernée. Le croissant rouge pour le monde musulman, l'étoile de David pour Israël.

    * 26 Anderson, Nils et al, justice internationale et impunité, le cas des États-Unis, L'Harmattan, 2007

    * 27 Anderson et al, ibid p30

    * 28 Procureur de la Cour Pénale Internationale.

    * 29 Deux études servent de base à cet travail :

    Sheik Mani et alii, Death among humanitarian workers, BMJ, London, 2000, vol 321,p 166-168.

    La période étudiée est l'intervalle 1985- 1997.

    Abby Stoddard et al, working in insecure environment, overseas development institute, London, 2006.

    Cette étude couvre la période 1997 à 2005.

    * 30 Est considéré comme kidnapping tout enlèvement et détention de personne par des forces non étatiques pendant plus de 24H.

    * 31 L'étude de Mani Sheik donne le nombre de mort en absolu sans préciser la population d'humanitaire à cette période. En outre seuls les meurtres y figurent, à l'exclusion des autres actes de violence.

    * 32 Mani Sheik recense 253 morts de cause intentionnelle desquels nous avons extrait les 45 casques bleus car ils ne font pas partie de notre définition des humanitaires.

    * 33 La neutralité est l'un des sept principes fondamentaux du C.I.C.R. et des mouvements de la croix rouge et du croissant rouge. Les autres principes sont: humanité, impartialité, indépendance, volontariat, unité et universalité. La plupart des O.N.G. ont volontairement épousé ces principes.

    * 34 Anne Valley dans un récit saisissant retrace l'histoire des french doctors en minimisant au passage le rôle joué par Bernard kouchner.

    * 35 UNSECOORD structure de coordination de la sécurité des Nations Unies à l'origine du minimum operating security standard (DMOSS) communes à toutes les agences onusiennes ; le SAG ( Security Advisory Group) est créé par CARE , Save the Children , IRC et World Vision.

    * 36 Koenraad Van Brabant, good practice review, operational security management in violent environments,Overseas,Londre,2000

    * 37 Amelia Bookstein: « Donors need to sign up to a promise to deliver aid based on need alone, not determined by the most politically important. » EU humanitarian Aid_Challenge ahead, conference report , Brussels, 20 mai 2003,  p25

    * 38 Christophe Rémond, `'la sécurité humaine et le rapport entre humanitaires et militaires : perspective historique depuis 1990'' in Human security journal vol7 summer2008, p26

    * 39 Alice-Clara Bernard ''les atteintes à l'espace humanitaire en Irak'' dans URD, l'espace humanitaire en danger, actes université d'automne, 2006 p31-34

    * 40 Christian, Troubé, l'humanitaire, un business comme les autres ? Larousse, Paris, 2009, p115

    * 41 Pierre, Micheletti, Humanitaire s'adapter ou renoncer, Marabout, Paris, 2008, p36

    * 42 Rony Brauman, Pour décoloniser l'humanitaire, Acte des troisièmes conférences stratégiques annuelles de l'IRIS, IRIS, Paris,1998, p207

    * 43 Randolph Martin, `' introduction à la sécurité sur le terrain des ONG'' in Cahill M. Kevin(Dir), le secours humanitaire, Nil, 2006, p224

    * 44 ECHO, guide générique de la sécurité, pour les organisations humanitaires, 2004






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