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La question de la décroissance chez les verts français

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par Damien ZAVRSNIK
Université Aix- Marseille  - Diplôme d'études politiques 2012
  

Disponible en mode multipage

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AIX-MARSEILLE UNIVERSITE

INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES

MEMOIRE

pour l'obtention du Diplôme

 

La question de la décroissance chez les Verts français

Par Monsieur Damien ZAVRSNIK

 

Sous la direction de M. Daniel-Louis SEILER

Année Universitaire 2011/2012

 

L'IEP n'entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

Remerciements

Je tiens à remercier en premier lieu M. Daniel-Louis Seiler pour avoir accepté la direction de ce mémoire ainsi que pour ses conseils méthodologiques et bibliographiques.

Ma reconnaissance va également à l'ensemble des personnes qui m'ont aidé dans mes recherches. Députés, collaborateurs ou militants du groupe local EELV du Pays d'Aix, leur disponibilité et leurs analyses me furent d'une aide précieuse dans la réalisation de ce travail.

Je remercie tout particulièrement mes parents et mes frères et soeurs pour leur soutien et notamment ma mère pour sa relecture attentive ; Abigaël pour sa patience, sa tendresse et ses conseils ; Catherine et Philippe pour les friandises du soir ; et enfin mes amis dont la jovialité donne le sourire au quotidien.

Mots-clés 

- ANTIPRODUCTIVISME

- CLIVAGES PARTISANS

- DECROISSANCE

- ECOLOGIE POLITIQUE

- IDENTITE

- PARTI POLITIQUE

Résumé 

Ce mémoire recherche si et comment le mouvement de la décroissance influence le parti écologiste français. Cette pensée nouvelle et subversive porte une critique radicale du capitalisme et s'attaque aux mythes de la « société de croissance ». L'étude de la genèse politique et idéologique du parti Vert français démontre une proximité évidente avec la décroissance par son attachement à l'antiproductivisme. Décroissance et écologie politique se situeraient alors sur un même versant de clivage structurant l'espace politique. Mais les partis sont des matrices idéologiques et culturelles en interaction permanente avec leur environnement politique et social. Dans cette perspective il est montré le processus d'intégration de la décroissance par les Verts français. Compte tenu de leurs spécificités, les écologistes se réapproprient à minima les idées décroissantes pour conserver leur assise identitaire sans toutefois stopper leur conversion majoritaire.

Sommaire

Introduction

Titre Premier : La Décroissance, le retour d'une écologie radicale

Chapitre 1 : La décroissance, un objet politique propre ?

Chapitre 2 : La décroissance dans le champ politique

Chapitre 3 : L'antiproductivisme, un invariant politique des Verts français

Titre Deux : L'activation d'un clivage productivistes/antiproductivistes

Chapitre 4 : La théorie des clivages comme prisme d'analyse de l'écologie politique

Chapitre 5 : La nécessaire réadaptation des clivages pour situer les partis écologistes

Chapitre 6 : Approche conceptuelle de l'identité partisane des Verts français

Titre Trois : La réappropriation de la décroissance par les Verts français

Chapitre 7 : Une organisation partisane en voie d'institutionnalisation

Chapitre 8 : La réappropriation de la décroissance, une nécessité pour le « récit identitaire » écologiste

Chapitre 9 : Une base militante sensible au débat sur la décroissance

Conclusion générale

« Sans l'hypothèse qu'un autre monde est possible, il n'y a pas de politique, juste la gestion administrative des hommes et des choses »

Ernst Bloch,

Le Principe Espérance

Introduction

« Il ne peut y avoir de croissance infinie dans un monde fini ». Si l'on devait résumer en une phrase le crédo écologiste, ce serait certainement celle-ci. Depuis les années 1970 s'est progressivement installée une prise de conscience collective de la crise écologique et de son origine anthropique. Les défis environnementaux (pollutions multiples, changement climatique, raréfaction des ressources naturelles, etc) se sont imposés au coeur du débat public suscitant des réactions diverses. Du développement durable proposé par le Rapport Bruntland à la croissance verte prônée jusque dans les milieux d'affaire, la question de la réinvention d'un modèle de développement intégrant les limites écologiques attire tous les regards. Parmi les réponses émises, un nouvel objet a fait irruption dans le paysage politique et médiatique français. Le mouvement de la décroissance a en effet gagné, en quelques années, une notoriété évidente. Pourtant, la décroissance semble bien mal connue. Tantôt vilipendée comme le rêve fou d'idéalistes irresponsables, tantôt remarquée comme horizon nécessaire mais peu désirable, la décroissance alimente les controverses, pas toujours pour le meilleur.

Incompréhension légitime tant il est vrai que la décroissance bouscule les habitudes et modes de pensées propres aux sociétés occidentales. Ce courant politique, plus proche du mouvement social que de la forme partisane, est composé de personnalités variées (artistes, penseurs, économistes hétérodoxes, ...) qui se donnent le nom d'« objecteurs de croissance »1(*). Au mythe mis en avant depuis les Trente glorieuses de l'opulence matérielle procurant le bonheur, ils opposent une critique écologiste radicale. Sur la base des travaux de l'économiste autrichien Nicolas Georgescu-Roegen, ils dénoncent « l'oxymore » de la croissance verte : toute croissance économique, même estampillée « durable », engendre une perte d'énergie et de matière irrémédiable qui la rend incompatible avec la finitude de la planète.

Cependant les objecteurs de croissance n'approuvent pas complètement eux-mêmes le mot « décroissance ». Celui-ci est plus pour eux un slogan politique, un « mot obus » comme le dit le politologue objecteur de croissance Paul Ariès, qu'un véritable concept théorique. La décroissance connait d'ailleurs une certaine requalification sémantique pour évider le mot de sa charge purement négative. Les récents écrits sur la décroissance affichent ainsi des titres moins provocateurs sous les vocables de sobriété heureuse, de frugalité joyeuse, etc2(*). Malgré ces périphrases l'ensemble des auteurs de la mouvance décroissante désignent un même projet. La décroissance est souvent entendue comme la réduction du Produit Intérieur Brut (P.I.B). Or la visée des objecteurs de croissance est profondément différente de l'idée d'une croissance quantitativement négative qui ne serait finalement autre que le symétrique de la croissance. Ce qui importe pour eux est de sortir de la logique de la croissance entendue comme un système économique autonomisé, incapable de penser ses limites naturelles et sociales. C'est la focalisation de l'organisation économique sur l'objectif de maximisation de la croissance qui doit être combattue. La dénonciation de la « religion de la croissance » débouche alors sur le projet ambitieux de « sortir de l'économie »3(*), de la « société de croissance », pour entrer dans une « société de décroissance ».

La décroissance a schématiquement un double objectif. Le premier est de créer du dissensus à l'heure où le développement durable se lit sur toutes les lèvres et où toutes les forces politiques disent avoir intégré la dimension écologique. En dénonçant avec force le ripolinage en vert du système économique (green-washing) les objecteurs de croissance veulent faire justice des velléités écologistes de ceux qui souhaiteraient polluer moins pour polluer plus longtemps. Le « mot obus » de décroissance re-politise la question environnementale qui s'était dernièrement banalisée et questionne les valeurs qui sous-tendent un véritable projet de société écologique.

L'autre objectif n'est autre que le prolongement du premier. Il est de mettre sur le métier une critique nouvelle du capitalisme selon le critère de sa soutenabilité écologique. Nonobstant la diversité des thuriféraires de la décroissance, tous s'accordent à dire que la sortie de la logique de la croissance ne peut se faire qu'en sortant du capitalisme. Si le communisme a été autant voire plus productiviste que le capitalisme, la logique d'accumulation illimitée qui caractérise ce dernier n'en est pas moins incompatible avec la décroissance. « Le mouvement de la décroissance est donc anticapitaliste et révolutionnaire »4(*) au sens où il postule la sortie du capitalisme pour aboutir à une société de décroissance dans laquelle le partage, la convivialité et le plaisir de vivre simplement seraient rois.

Par-delà un certain nombre de positions communes, le mouvement des objecteurs de croissance est relativement éclectique. Une étude entière pourrait ainsi lui être consacrée. Si les auteurs se retrouvent sur l'impératif écologique et la sortie du capitalisme, leurs positions différent sur la stratégie à adopter. Certains se reconnaissent une filiation assez ténue dans la gauche libertaire et antiproductiviste des Proudhon, Bakounine ou Thoreau5(*). Paul Ariès appelle ainsi à l'émergence d'une nouvelle « gauche qui renonce à l'opulence (...), une gauche qui sache réveiller les forces de vie qui continuent (...) à battre sous le carcan du productivisme »6(*). La décroissance est considérée comme un « antiproductivisme de gauche ». Une approche différente est défendue par d'autres militants de la décroissance dont l'économiste Serge Latouche : l'objectif est davantage de peser dans le débat pour infléchir les positions. Des divergences subsistent donc sur l'idée même d'entrer dans le système partisan, preuve de l'hétérogénéité de ce qui est plus un courant d'influence dans le champ politique qu'une réelle force alternative pour l'exercice du pouvoir.

Au-delà même de la critique du système économique, la décroissance s'attaque au substrat social et culturel des sociétés occidentales. Il s'agit selon Serge Latouche de « décoloniser l'imaginaire collectif » (expression reprise à Cornélius Castoriadis) des mythes qui structurent la société de croissance : progrès, technique, science, richesse. Derrière un slogan ravageur se cache en réalité une critique anthropologique du monde moderne. A travers la décroissance se trouvent donc en quelque sorte les termes du débat peut être le plus crucial de notre temps : comment vivre mieux en respectant les ressources limitées de l'écosystème planétaire ?

L'ambition de ce mémoire n'est pas d'esquisser une réponse à cette équation fort complexe et à laquelle nombre d'auteurs ont déjà consacré leurs travaux. Il s'agit pour nous d'étudier la décroissance sous l'angle plus spécifique de son appréhension par les partis politiques et en particulier par le parti écologiste français. Créé en janvier 1984, Les Verts - Confédération écologiste - Parti écologiste7(*), devenus en 2011 Europe Ecologie - Les Verts8(*) se sont longuement installés comme un acteur stable dans le paysage politique. Malgré leurs succès électoraux, les écologistes politiques ont souvent suscité l'intrigue voire l'incompréhension des électeurs et de certains chercheurs. Il est vrai que l'immixtion de l'écologie politique dans le jeu partisan tranche avec les partis traditionnels. Fonctionnement amateur, démocratie interne poussée à l'extrême, ambition de changer le monde en changeant le système productiviste, ... les Verts soulèvent des débats passionnés et les bons mots des commentateurs les plus illustres :

« ...si la majorité des adhérents [Verts] incline plutôt vers la gauche, il y a aussi, comme dans le mouvement de 1968, des virtualités rétrogrades, qui prolongent la condamnation de la société d'abondance et la dénonciation de la planification. Primitivisme contre modernisme. [...] Cette ambiguïté des motivations profondes des sympathisants du mouvement n'est pas le moindre sujet d'incertitude sur ce que sera demain le système des forces politiques. [...] Le succès de ces mouvements [les Verts et Chasse, pêche, nature et traditions] est le triomphe de vues partielles, parcellaires, bien incapables de proposer des réponses pertinentes à la plupart des grands problèmes qui pointent dans le champ politique : l'écologie peut-elle sérieusement devenir l'axe d'une politique comme le libéralisme ou le socialisme ? Sans méconnaître la sincérité des motifs qui conduisent 10 à 15 % de nos concitoyens à placer leur confiance dans ces mouvements, ni contester la nécessité et la légitimité d'une politique de l'environnement et de la protection de la nature, leur succès n'est-il pas un signe de régression de la culture politique ? »9(*).

Cette réaction, parmi tant d'autres, peut se comprendre par la difficulté à interpréter l'offre politique nouvelle que constitue l'écologie politique. Cette dernière ne se laisse en effet pas facilement saisir à l'aide des outils et repères traditionnels. Pour lever une partie du voile, l'étude de l'influence qu'exerce la décroissance sur les Verts peut se révéler particulièrement intéressante. Les idées développées par la décroissance touchent en effet au coeur de l'identité de l'organisation partisane Verte. Le vif débat que suscite la décroissance dans les rangs écologistes témoigne d'une instructive proximité idéologique avec les objecteurs de croissance. Mais comme nous le verrons plus loin, l'identité partisane ne se limite pas à la seule idéologie. Analyser les Verts français à travers le prisme de la décroissance peut donc permettre de mettre à jour les contradictions idéologiques mais aussi organisationnelles et stratégiques qui traversent le parti écologiste.

L'objet ne sera pas donc pas ici de mener une étude approfondie du courant de la décroissance mais de tenter d'éclaircir l'influence que peuvent avoir ces thèses au sein d'Europe Ecologie-Les Verts. Y a-t-il lieu d'établir une dichotomie entre les thèses de la décroissance et les celles défendues par les Verts ? Quelle est l'influence de cette écologie radicale sur l'identité du parti écologiste ? En quoi révèle-t-elle la nature profonde des Verts français et amène-t-elle un changement ?

Cadre théorique

La réponse à ces questions nous amène à mobiliser différents outils théoriques pour dépasser l'illusion du savoir immédiat. L'identité est en effet une notion plurielle qui, selon Bruno Villalba, comprend trois dimensions : « être (construire et animer une armature développée du niveau local au niveau national ; histoire d'une émergence et d'une implantation), croire (choisir ses thèmes, ses symboles, se constituer un corpus idéologique et pouvoir ainsi créer un discours spécifique ; l'identité est une mise en scène, une représentation) et agir (le sens de l'action politique et du rapport au pouvoir face aux autres et avec les autres) »10(*).

Sur la base de cette définition, il faut reconnaitre un rôle majeur, bien que non exclusif, à l'idéologie dans la construction de cette identité. Parmi les innombrables définitions de l'idéologie nous retiendrons celle d'Alexandre Dézé : « une vision du monde relevant d'un certain corps de croyances et qui est orientée vers l'action »11(*). L'analyse de l'idéologie d'un parti politique est un exercice compliqué en ce sens qu'il n'existe pas de modèle établi d'analyse des doctrines partisanes. L'idéologie est souvent un lieu commun, « une boîte noire » pour Giovanni Sartori, dont le contenu est peu précis. Par conséquent l'approche par l'idéologie peut paraitre hasardeuse puisqu'elle se résume souvent à l'analyse des discours ou des motions de congrès qui ne peuvent constituer à eux seuls les éléments intangibles d'une analyse scientifique rigoureuse.

Pour tenir compte de ces travers méthodologiques, il importe de mobiliser des outils théoriques supplémentaires pour compléter l'approche par l'idéologie. Ainsi le paradigme des clivages développé par Stein Rokkan et Seymour Martin Lipset12(*) permet de contourner la fragilité de l'approche idéologique en inscrivant les partis dans la trame de l'histoire sociale. Cette théorie a l'avantage de distinguer des invariants dans l'identité des partis politiques en les replaçant dans le temps long. Toutefois, s'il est possible de repérer des segments identitaires qui structurent aujourd'hui encore les partis, l'identité n'en demeure pas moins fluctuante. Elle varie à mesure des évolutions du contexte national et international, des mutations démographiques, des résultats électoraux et de bien d'autres facteurs qui modifient la situation politique. Les structures organisationnelles comme les projets des partis doivent alors se réadapter en conséquence.

La plasticité de l'identité partisane amène à envisager le parti politique comme une « institution de sens ». Selon Michel Hastings, un parti est un « entrepreneur idéologique et culturel historiquement habilité à dresser le modèle de la société légitime, à désigner les principes essentiels à partir desquels les actions particulières prennent leur justification »13(*). En tant qu'administrateur de sens le parti veille à sa cohérence idéologique tout en ne perdant pas de vue les objectifs qu'il s'est fixé sur le marché politique. Cette approche fait référence à la dimension entrepreneuriale des partis et développe l'idée d'un parti à deux visages : un visage tourné vers l'extérieur (médias, électeurs, sympathisants, ...) et un autre tourné sur l'intérieur, la vie interne du parti. Ces deux faces font l'objet d'interactions permanentes à travers un « récit identitaire » qui a vocation à poser les jalons d'une identité partagée, à modeler une communauté partisane justifiant l'adhésion de ceux qui se chargeront de la défendre. Le parti politique en tant qu'administrateur de sens se situe dès lors dans une dialectique identitaire complexe qui balance entre deux logiques : Une logique doctrinale qui ferait la part belle à la représentation des militants avec une forte intensité idéologique et une logique de compétition électorale, plus pragmatique pour obtenir des élus. Les partis politiques ont donc une identité étirée en permanence entre des logiques différentes de représentations internes et externes. Cette tension latente laisse à penser que les identités partisanes sont malléables, évolutives en fonction de changements endogènes ou exogènes.

Hypothèses 

Depuis 1984 et l'entrée des écologistes en politique, les thèses du parti Vert reposent sur un socle commun antiproductiviste. En effet l'antiproductivisme est au coeur de la matrice idéologique écologiste. L'émergence des Verts interprétée de manière sociologique permet d'ailleurs d'expliquer ce constat. Les dégâts du productivisme ont créé un conflit social matérialisé par la vigueur des mouvements sociaux dans les années soixante-dix et notamment la lutte antinucléaire. Ce conflit social précéda la création du parti écologiste qui n'est autre que la manifestation de ce conflit dans le champ partisan. Il tentera alors de peser dans le jeu politique pour réaliser ses objectifs idéels et en particulier faire advenir une société plus respectueuse de l'homme et de son environnement.

L'antiproductivisme constitue ainsi le soubassement de l'ensemble de la critique écologiste. Guillaume Sainteny le définit comme un « système centralisé, hiérarchisé, caractérisé par la parcellisation des tâches et le gigantisme des unités de production où l'homme est uniquement considéré comme un producteur et un consommateur »14(*). Cette notion est à la source de la différenciation des Verts vis-à-vis des autres partis politiques. En outre, leur refus de se positionner sur le clivage droite-gauche peut s'expliquer par l'attachement des formations des deux bords au productivisme. La maximisation de la croissance économique est en effet au coeur du référenciel identitaire de l'ensemble des partis qualifiés de « traditionnels » par les écologistes. Pour cause, la croissance est à la fois l'indicateur évaluant la performance de leurs politiques et le levier créant les conditions pour les mettre en oeuvre. Pour la gauche comme pour la droite, l'augmentation du P.I.B apparait comme la fin et le moyen de toute action politique. Très schématiquement, les partis conservateurs et libéraux souhaitent débrider le marché pour favoriser la création de richesse tandis que les formations socialistes et communistes la conçoivent comme le levier d'une société égalitaire. La stratégie du « ni gauche-ni droite » et plus généralement l'autonomie de l'écologie politique, marqueur identitaire toujours fort, peut se comprendre au prisme de l'antiproductivisme.

Dès lors notre première hypothèse est que la logique du projet15(*) des Verts français est sensiblement proche des idées développées par le courant de la décroissance. Nonobstant les fluctuations des programmes et des discours, l'antiproductivisme constitue pour le parti Vert un invariant politique de long terme. Décroissance et écologie politique seraient implantées dans le même terreau idéologique antiproductiviste. Dans le cadre du paradigme des clivages, Verts et objecteurs de croissance se situeraient donc sur le même versant d'un clivage productivistes/antiproductivistes.

Cependant la volonté du parti écologiste d'acquérir une audience électorale plus large nous conduit à relativiser cette première hypothèse par l'émission d'une seconde. La tentation d'accéder au pouvoir imposerait aux Verts une modération des thèmes portés dans le champ politique. La décroissance, par sa nature radicale, semble alors trop conflictuelle pour rassembler une majorité d'électeurs. A ce titre les périphrases de « décroissance soutenable et équitable » ou de « décroissance de l'empreinte écologique16(*) » utilisées par le parti semblent symptomatiques d'une difficulté à endosser pleinement cette idée, voire l'expression d'un certain malaise.

Cette ambivalence sur la reprise de la décroissance comme axe programmatique et stratégique peut s'interpréter à l'aune des définitions classiques d'un parti politique. Parmi les quatre critères que retiennent Myron Weiner et Joseph La Palombra, le suivant parait particulièrement opportun : « la volonté délibérée des dirigeants nationaux et locaux de prendre le pouvoir (seuls ou avec d'autre) et non pas, simplement, d'influencer le pouvoir »17(*). Si l'on considère que les partis sont la conséquence de l'irruption des masses sur la scène politique alors cette recherche du pouvoir promeut un certain réalisme politique conduisant à abandonner certaines idées trop clivantes. La sociologie politique nous apprend aussi que les différents partis politiques appartiennent à une même communauté d'acteurs dans le jeu de la représentation politique. Malgré leurs conflits, tous les acteurs de cette communauté s'accordent sur des valeurs qui structurent et font exister ce jeu de représentation. Or l'idée que la croissance participe au bien être de la société semble faire partie de ces valeurs dominantes. Affirmer la décroissance conduirait donc à prendre le risque de se mettre hors (du) jeu de la concurrence pour l'exercice du pouvoir légitime.

Notre seconde hypothèse consiste donc à montrer que les Verts français se réapproprient le thème de la décroissance en l'euphémisant pour le rendre compatible avec la logique de compétition électorale. Le parti Vert français connait depuis une quinzaine d'années un processus d'institutionnalisation et n'hésite plus à afficher clairement son ambition de pouvoir18(*). D'un autre coté la formation écologiste n'est pas épargnée par les tensions qui émaillent la vie interne des petits partis lorsqu'ils opèrent leur conversion majoritaire. Au contraire la jeune mais très conflictuelle histoire du parti Vert témoigne de fragilités identitaires structurelles. Les changements de ligne politique ou le choix de candidats se soldent en effet régulièrement par de véritables psychodrames internes19(*). Par conséquent le parti Vert n'a d'autre choix que d'intégrer le thème de la décroissance pour maintenir la cohérence de son récit identitaire basé sur l'antiproductivisme.

Confronter ces hypothèses à la réalité empirique a nécessité le recours à une littérature relativement variée. Nous avons évidemment mobilisé les différentes études scientifiques existantes sur les Verts. Concernant la décroissance, la chose fut moins aisée puisqu'il n'existe que très peu de travaux universitaires sur le sujet, du moins en science politique. Il a donc fallu rechercher dans le vaste corpus intellectuel de ce mouvement de pensée les éléments permettant de le circonscrire. Preuve de l'intérêt croissant que suscite la décroissance, de nombreuses publications récentes dont de remarquables tentatives de synthèses20(*) nous ont aidés. Par ailleurs nous avons également mené une étude de terrain en réalisant des entretiens avec un député Vert en la personne d'Yves Cochet, quatre députés européens écologistes, un responsable de la fondation écologiste belge Etopia, et de nombreux collaborateurs d'élus. Notre enquête nous a aussi amené à passer un questionnaire aux militants EELV du Pays d'Aix. Les innombrables discussions informelles avec ces derniers dans le cadre d'une « observation participante » ont aussi contribué à enrichir notre réflexion.

Les développements de ce mémoire seront articulés autour de trois grands axes. Le premier consiste à cerner un peu mieux les contours de cette nouvelle écologie radicale qu'est la décroissance (titre premier). Les grandes lignes de cet objet politique encore mal connu seront mises en exergue de manière historicisée (chapitre premier) et nous verrons selon quelles modalités il s'insère dans le champ politique (chapitre deux). Le chapitre trois consistera à croiser décroissance et écologie politique afin de démontrer l'invariant politique antiproductiviste qui structure le parti Vert.

Le deuxième angle de notre étude vise à développer l'idée d'un clivage productivistes/antiproductivistes (deuxième partie). Nous expliquerons en quoi le paradigme des clivages nous semble pertinent pour analyser les partis Verts (chapitre quatre) malgré une nécessaire réadaptation théorique (chapitre cinq). Ces deux développements permettront de replacer l'écologie politique dans le temps long et de montrer que les Verts et la décroissance se situent sur un même versant de clivage. Toutefois il importe aussi de considérer le parti écologiste sous l'angle d'un entrepreneur idéologique et culturel pour comprendre les mécanismes identitaires présidant au processus de réappropriation de la décroissance (chapitre six).

Dans un dernier temps l'intégration de la décroissance par les Verts français sera spécifiquement étudiée (troisième partie). Si l'organisation partisane écologiste opère sa mue en parti de pouvoir (chapitre sept), elle doit se réapproprier la décroissance pour garder pied dans son récit identitaire interne (chapitre huit). Enfin une attention particulière sera portée sur les militants et une piste de synthèse sera esquissé (chapitre neuf).

Titre Premier : La Décroissance, le retour d'une écologie radicale

La décroissance est un mouvement composite au contenu idéologique encore flou. Avant d'étudier l'influence de cette pensée nouvelle, du moins formalisée ainsi, dans le parti Vert français il est donc nécessaire d'en éclaircir les grandes lignes. Cet inventaire est d'autant plus important que la décroissance est un courant de pensée relativement singulier dans le paysage politique français. Avec un ton souvent corrosif il s'attaque aux structures économiques, sociales et psychologiques des sociétés modernes.

La décroissance a ceci d'intéressant qu'elle se retrouve dans le cadre plus large de la contestation antiproductiviste dont sont également issus les Verts. A travers une étude croisée des sources de la décroissance et de l'écologie politique il s'agira de montrer que l'antiproductivisme constitue un invariant politique du parti écologiste français

Chapitre 1 : La décroissance, un objet politique propre ?

La décroissance a fait une entrée détonante sur la place publique ces dernières années. Sous le double effet de la prise de conscience écologique et de la crise économique, la décroissance attire des regards sans cesse plus curieux d'intellectuels, de politiques et surtout de citoyens en recherche d'un nouveau « modèle » alternatif21(*). Pour autant ce nouvel objet politique apparaît encore peu ou mal identifié.

Notre ambition sera ici de mieux saisir les contours de ce mouvement radical en distinguant ses spécificités. La décroissance se veut essentiellement une pensée critique. C'est ainsi que nous verrons en quoi la décroissance est une critique de la croissance et de la société de consommation, de la notion même de progrès, et enfin de l'« économisme ».

1. Une critique de la croissance et de la société de consommation

La décroissance trouve sa genèse dans la critique d'un mode de développement basé sur l'augmentation perpétuelle du Produit Intérieur Brut (P.I.B). Ce mode de développement véhicule une société de consommation, seule capable d'écouler les produits de la production de masse.

La contestation du modèle keyneso-fordiste

Le mouvement de la décroissance est issu de la prise de conscience écologique du début des années soixante-dix. Tout au long du XIXème siècle le débat sur le rôle de l'Homme dans la nature s'articule autour de trois notions majeures dégagées par Patrick Matagne22(*), chacune déterminant une posture écologique différente. La première conception « naturaliste » postule une nature autonome, dont l'homme est exclu. La deuxième est dite « impérialiste » : A l'inverse du naturalisme, l'homme est considéré comme mauvais et destructeur, d'où la nécessité de protéger la nature. La dernière hypothèse est celle de la recherche de l'harmonie entre les êtres humains et la nature qui forme l'Arcadie. Ces trois conceptions se retrouvent également au XXème siècle dans les manières d'appréhender la question écologique. Jusqu'à la seconde moitié du XXème siècle, l'écologie est essentiellement scientifique et se place en réaction à la logique de la conception impérialiste dominante. Les associations de protection de la flore et de la faune fleurissent. L'écologie ne prend son sens arcadien qu'à partir de la fin des années soixante. De la protection de la nature elle passe à la contestation de ce que Serge Latouche appellera plus tard « la société de croissance ». Cette dernière est alors à son apogée. Le progrès économique amène le progrès social selon un couple vertueux production de masse-consommation de masse. Le chômage est résiduel, la productivité augmente et le taux d'équipement des ménages monte en flèche. Le triomphe du compromis keyneso-fordiste fonde une foi imperturbable en la permanence de la croissance. Daniel Cohen remarque cet aveuglement collectif, y compris des élites et des économistes, à propos de la croissance : « Le plus troublant quand on se penche sur cette période est d'y trouver toujours la conviction des contemporains qu'elle durerait toujours »23(*).

C'est dans cet âge d'or de la croissance (5,05 % en moyenne en France entre 1950 et 1973) consacré selon l'expression de Jean Fourastié comme les « Trente Glorieuses », que naît une nouvelle critique antisystémique24(*). Cette critique s'incarne dans la philosophie des événements de Mai 1968 en France qui préfigura largement la pensée de la décroissance. Jusque-là cantonnée à quelques scientifiques inquiets de l'état du monde ou à des associations de protection de la nature, l'écologie franchit une étape. Selon Roger Cans, ancien journaliste du journal Le Monde et spécialiste des questions d'environnement, Mai 1968 est le « grand accoucheur »25(*) de l'écologie politique. La conjonction des courants critiques à l'égard de la société des Trente Glorieuses et de l'ordre gaulliste produit une véritable contre-culture, une vision du monde alternative qui met la joie de vivre au centre. La « génération 68 », première à être passée en masse par les universités, s'ennuie et cherche de nouveaux espaces de libertés dans cette société segmentée et sans saveurs. Le productivisme et la société de consommation sont au coeur de cette critique radicale.

L'historien Timothée Duverger relève deux courants majeurs de la contestation soixante-huitarde, le situationnisme et la sociologie critique26(*). Le premier remet radicalement en cause le système économique et la société de consommation autour notamment des écrits de Guy Debord27(*) et de Raoul Vaneigem28(*). Pour eux, changer le monde est un impératif. L'individu doit s'émanciper de la marchandise aliénante. Debord met en exergue le rôle du spectacle dans la société consumériste comme mode de reproduction basé sur une marchandise uniformisée et toujours plus omniprésente. C'est une idéologie économique qui vise à annihiler la diversité de la société en imposant une vision unique du monde, l'être cédant le pas au paraître. Les rapports sociaux sont définis par la relation à la marchandise, au capital, dans ce qu'il appelle la « société spectaculaire-marchande ». La pensée de Raoul Vaneigem pourrait quant à elle se résumer par ce célèbre slogan de la faculté de Nanterre « Jouissez sans entraves. Vivez sans temps mort ». Dans une logique hédoniste, R.Vaneigem préfère la qualité à la quantité et vilipende la perte d'autonomie engendrée par la société de consommation. Dans un entretien au journal La Décroissance, il expliquait récemment que « le statut de consommateur avait prorogé l'aliénation du producteur en propageant l'illusion que la possession de biens pallie l'absence de vie, que l'avoir peut se substituer à l'être »29(*). Véritable approche anthropologique, la pensée situationniste prône un renversement total de perspective face à la « société de croissance ».

L'école de Francfort partage cette remise en cause de la société. Herbert Marcuse notamment, ancien élève d'Heidegger, publie en 1968 (édition française) L'Homme unidimensionnel30(*). La théorie freudo-marxiste de Marcuse dénonce la régression à laquelle conduisent les « sociétés industrielles avancées ». Elles créent en effet de faux besoins (false needs) imposés à l'individu par les mass-médias. L'individu aliéné n'a plus que l'illusion de la liberté. La critique de Marcuse s'adresse d'ailleurs tant au monde capitaliste occidental qu'au régime soviétique, la liberté y étant aussi factice dans l'un que dans l'autre.

C'est dans cette ébullition sociale et intellectuelle que germent les premières graines écologistes. Un ancrage que revendiquent, comme nous le verrons plus tard, tant les tenants de la décroissance que les écologistes politiques. Claude Lefort, Cornélius Castoriadis et Edgar Morin publient dès 1968, La Brèche31(*). Dans cet ouvrage à chaud, ils démontrent que la révolte de la jeunesse a ouvert une « brèche » dans le paternalisme du mode de régulation keyneso-fordiste. Elle crée une ouverture historique vers une société émancipée de ce contrôle social et politique et qui se réapproprie la démocratie par elle-même. La pensée de la décroissance est donc héritière du gauchisme libertaire de Mai 1968. Cette volonté de changer le monde contre l'ordre établi s'incarne dans toute la philosophie alternative des objecteurs de croissance. La société de consommation est la structure sociale aliénant la liberté de l'individu et obérant sa capacité à prendre conscience de son conditionnement total par le système capitaliste.

Toutefois la pensée critique de la décroissance s'appuie également sur un autre pilier, celui de la responsabilité face aux limites physiques de la planète.

La croissance : un aveuglement au désastre écologique

Dans la foulée de Mai 1968, Serge Moscovici pose la nature comme la nouvelle grande interrogation du siècle. Après que le XVIIIème siècle eut été mû intégralement par la « question politique » et que le XIXème siècle l'eut été de la même manière par la « question sociale », le XXème siècle serait donc celui de la « question naturelle »32(*). Son intuition se révéla juste au regard de la succession de catastrophes écologiques dès les années 1970. Partout les dégâts de la société industrielle se font jour suscitant parfois l'intense émotion de l'opinion publique face à des drames environnementaux tels que le naufrage de l'Amoco Cadiz en 1978 ou l'explosion de l'usine de pesticides de Bhopal en Inde en 1984. Une tendance confirmée seulement deux ans plus tard avec la fusion du coeur du réacteur nucléaire numéro 4 de la centrale de Tchernobyl.

Mais plus encore c'est la publication d'un rapport controversé sur l'antinomie entre croissance économique et gestion durable du stock de matières premières qui place pour la première fois l'écologie au centre du débat public. Le rapport du Club de Rome33(*), réalisé par plusieurs chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology), met en exergue l'insoutenabilité du mode de production et de consommation occidental. Pointant l'accroissement exponentiel de la population mondiale, l'augmentation des inégalités entre le Nord et le Sud, et le risque de pénurie de matières premières, ils préviennent que l'on « atteindra les limites de la croissance sur cette planète avant cent ans »34(*). Le rapport se conclue sur un appel à la croissance zéro, reprenant la théorie de John Stuart Mill de « l'état stationnaire »35(*), et au découplage entre croissance et développement. Bien que la solution prônée par le rapport Meadows ne soit pas celle reprise par les théoriciens de la décroissance, ces derniers partagent largement le constat que la croissance économique est synonyme d'une empreinte écologique incompatible avec les limites physiques de la planète. Publié en 1972, le rapport du club de Rome est un premier coup de canif dans la croyance tranquille en une croissance éternelle et génératrice de bien-être. Le premier choc pétrolier de 1974 et l'effondrement du mode de régulation keyneso-fordiste finissent de semer le trouble.

Les effets du rapport du Club de Rome sont retentissants y compris dans les hautes sphères. La « révélation » de Sicco Mansholt, socialiste hollandais et ancien Président de la Commission européenne, est particulièrement éloquente. Dès 1972, Mansholt (alors vice-président de la Commission) écrit au Président de la Commission européenne, Franco-Maria Malfatti, une lettre dans laquelle il envisage une politique économique fondée sur « une forte réduction de la consommation des biens matériels par habitant [...], la prolongation de la durée de vie de tous les biens d'équipement [...], la lutte contre les pollutions et l'épuisement des matières premières »36(*). Pour cet ancien grand propriétaire terrien, auteur d'une réforme de la Politique Agricole Commune visant à accroître les gains de productivité au nom d'un productivisme technocratique à tout crin, les propos ont de quoi surprendre. Alors Président de la Commission européenne, Sicco Mansholt précise sa pensée dans un entretien au Nouvel Observateur : « Il ne s'agit même plus d'une croissance zéro mais d'une croissance en dessous de zéro. Disons le carrément : il faut réduire notre croissance économique, notre croissance purement matérielle, pour y substituer la notion d'une autre croissance celle de la culture, du bonheur, du bien-être »37(*). Sous la pression de Valéry Giscard d'Estaing et de Raymond Barre, les positions iconoclastes de Mansholt finirent par être étouffées avec en échange la promesse d'une croissance plus soucieuse de l'homme et de l'environnement. Dans cette même année 1972, la question de la finitude de la planète rebondit aussi au niveau international avec la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement Humain. La conférence de Stockholm prend acte du rapport de causalité entre développement et raréfaction des ressources et met en place un Programme spécial pour les questions d'environnement (PNUE).

Les turbulences économiques et sociales que connaît la société industrielle dans les années soixante-dix sont les prémisses de la décroissance. Alors que le Club de Rome appelle de ses voeux une croissance « zéro », l'économiste roumain Nicolas Georgescu-Roegen pose les bases du raisonnement décroissant. Il est le premier à utiliser publiquement le mot « décroissance » dans un recueil de ses écrits publié pour la première fois en français par Jacques Grinevald et Ivo Rens en 1979. Demain la décroissance. Entropie, écologie, économie38(*) reprend l'idée d'une « bioéconomie » dont la finalité serait essentiellement « la joie de vivre ». La théorie économique de Georgescu-Roegen s'appuie sur la seconde loi de la thermodynamique de Sadi Carnot pour définir la loi d'Entropie. Cette loi démontre que l'énergie ne peut être utilisée qu'une seule fois. Elle passe d'une forme concentrée utilisable à une forme dissipée inutilisable. Georgescu-Roegen applique cette loi à l'ensemble du système économique : le caractère limité des ressources de la planète est progressivement dégradé à mesure que l'homme y puise ses besoins. La dégradation est irrévocable et induit l'idée selon laquelle la croissance économique est antithétique à terme avec la finitude de la planète, nonobstant toute technique de recyclage. La remise en cause du productivisme est un trait saillant de la pensée décroissante qui se cristallise logiquement sur son indicateur maitre, le P.I.B. Les tenants de la décroissance ne s'arrêtent pas seulement aux critiques classiques du P.I.B (externalités, absence de prise en compte des travaux domestiques, ...). Ils s'attaquent surtout à sa logique cumulative qui le rend insoutenable. Serge Latouche remarque l'expansion géométrique que suppose la croissance du P.I.B car « avec une hausse du P.I.B de 3% par an, on multiplie le P.I.B par vingt en un siècle, par 400 en deux siècles »39(*). Ivan Illich reprenait cette idée sous la métaphore des spires de l'escargot : « L'escargot construit la délicate architecture de sa coquille en ajoutant l'une après l'autre des spires toujours plus larges, puis il cesse brusquement et commence des enroulements cette fois décroissants. C'est qu'une seule spire encore plus large donnerait à la coquille une dimension seize fois plus grande. Au lieu de contribuer au bien-être de l'animal, elle le surchargerait »40(*).

La décroissance s'oppose donc avant tout à la croissance. Non seulement celle-ci ne serait pas possible à long terme dans un monde fini mais elle ne serait pas plus « souhaitable »41(*). Pour cause, la croissance, en plus d'avoir des effets désastreux sur la biosphère, conduit à une irrésistible montée des inégalités et des injustices. Ainsi Serge Latouche note qu'en 2004 le P.I.B mondial avait atteint 40 000 milliards de dollars, soit sept fois plus qu'il y a quarante ans. Dans le même intervalle le rapport de richesse entre le cinquième le plus riche est passé de 1 à 30 en 1970 à de 1 à 74 en 200442(*).

La décroissance n'est donc pas synonyme de croissance négative. La plupart des auteurs insistent plutôt sur la remise en cause de la « société de croissance ». L'objectif n'est pas d'obtenir une croissance négative, même si le projet décroissant peut effectivement y conduire, mais d'abandonner l'objectif de croissance comme fin ultime de toute société. Il n'y aurait d'ailleurs rien de pire qu'une société de croissance sans croissance. La décroissance consiste donc à  « décoloniser l'imaginaire » collectif du mythe de la croissance pour fonder une société émancipée de cette addiction.

Issue de la contre-culture de Mai 1968, la décroissance s'attaque vigoureusement aux éléphants blancs de la modernité. La croissance, synonyme pour beaucoup de progrès économique et social, ne serait pas viable au regard des limites finies de la planète. Elle serait le pendant de la société de consommation qui créerait un bien être illusoire et réduirait l'autonomie des individus. Cet argumentaire va de paire avec un autre pilier du mouvement de la décroissance, la contestation de la science et de la technique.

2. Une critique de la science et de la technique

Dans son entreprise de « décoloniser l'imaginaire collectif », la décroissance s'attaque à un aspect structurant de nos sociétés modernes : la croyance en le progrès. Cette remise en cause vise en particulier la vision téléologique de l'histoire véhiculée par l'idée de progrès. Dans une perspective hégélienne, l'histoire serait linéaire et nous amènerait inéluctablement vers le bonheur. Or le moteur du progrès réside dans l'alliance heureuse de la science et de la technique. Dans la lignée de Jacques Ellul, les théoriciens de la décroissance mettent alors à nu le « système technicien » dépossédant l'homme de ses capacités d'action et créant l'illusion d'un progrès sans cesse renouvelable.

La remise en cause du système technicien

Le philosophe allemand Hans Jonas n'est pas le premier auteur à remettre en cause le bien fondé de la technique, toutefois il est peut être celui qui en posa le mieux les termes philosophique. Dans l'ouvrage qui le rendit célèbre, Le Principe Responsabilité43(*) (1979), Hans Jonas postule que la puissance technologique moderne pose une nouvelle question éthique (« la transformation de l'essence de l'agir humain»). Jusqu'à présent les effets de l'activité humaine n'avaient pas un impact déterminant sur la biosphère. Or la maîtrise technologique acquise par l'homme aujourd'hui a des conséquences beaucoup plus importantes et irréversibles sur la nature. Hans Jonas explique ce phénomène par la « une logique cumulative » qui caractérise la technique. Elle impliquerait l'homme dans une fuite en avant qu'il ne saurait maîtriser. La technique consommant de l'énergie, son effet boule de neige conduit nécessairement à des dégâts croissants sur l'environnement. Or pour tenter de réparer ces dégâts causés par la technologie, l'homme utilise de nouvelles technologies qui produisent à leurs tours les mêmes effets. La logique cumulative de la technique entraine l'humanité dans un cercle vicieux et fatidique. Pour H. Jonas la technique est devenue en quelque sorte « sauvage » et nécessite d'être re-domestiquer par l'Homme. C'est pour lui une idée centrale puisque cette remise en cause de la technique est à la base du raisonnement sur le principe de responsabilité : si l'homme a le pouvoir de détruire l'humanité il a aussi le devoir d'établir des prescriptions communes pour la préserver.

Cette philosophie pose les bases de la critique de la science et de la technique : le progrès technique suppose non seulement une consommation croissante d'énergie et de ressources, il est aussi une logique auto-cumulative aliénant les capacités de l'homme à agir et à penser ses besoins réels. En outre la technique se justifie plus par ses effets que par les progrès qu'elle apporte. La conclusion de Jonas tient en une solution simple, il est nécessaire d'interdire toute technologie qui menacerait l'existence des générations futures.

Les auteurs de la décroissance reprennent en filigrane les principes développés par H. Jonas. Parmi d'autres, Paul Ariès reprend cette critique de la science à travers sa forme la plus évoluée, la techno-science. Dans les premières pages de son « livre-manifeste », La simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance44(*), il détaille l'idée selon laquelle faute de pouvoir adapter complètement l'homme aux besoins croissants du productivisme, il faut changer la nature humaine pour parvenir à cette fin. Le politologue met en lumière un certain courant techniciste, « les transhumanistes », qui viserait grâce aux progrès de la science, à créer des Humains Génétiquement Modifiés (HGM). Adapter l'humain serait selon eux la seule manière de répondre à moyen et long terme au désir de perfection de l'homme tout en lui permettant de survivre dans un environnement dégradé. L'auteur concède la marginalité de ce courant mais l'utilise néanmoins pour démontrer que la science accompagne ce fantasme de toute puissance de l'humanité, transcender les limites physiques de l'Homme et de la nature. D'une manière générale la pensée de la décroissance remet en cause la philosophie cartésienne de la domination de l'Homme sur la nature. La dérive scientiste pousse en effet à envisager sans cesse la perfection quitte à oublier la part, pourtant essentielle, de l'humain.

La remise en cause du mythe prométhéen, selon lequel le dieu grec Prométhée aurait amené le feu (allégorie de la technique et du savoir) aux hommes, est une constante chez les objecteurs de croissance. D'aucuns reprennent le concept de « honte prométhéenne » forgé par le philosophe allemand, époux d'Hannah Arendt, Günther Anders. Paul Ariès le définit comme « ce sentiment qui s'empare de l'homme devant l'humiliante perfection des choses qu'il a lui-même fabriquées »45(*). L'homme ne saurait apprécier l'imparfait de sa condition humaine, il place son désir de perfection dans les objets qu'il fabrique tout en étant « honteux » devant son résultat. L'homme ne pouvant assumer son infériorité à l'égard de la machine, Anders décrit un processus de réaction à la honte prométhéenne qui aboutit à la production de human engineering (androïdes). L'être humain intègre lui-même la technique à son corps, loin de l'émancipation qu'elle est censée permettre. Bien qu'Anders soit un adepte de la technique de l'exagération, sa thèse met en avant l'idée que les machines sont toujours plus performantes, plus autonomes et que cette soumission tend à devenir totalitaire. La philosophie de Gunther Anders est très influencée par les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale dont il est contemporain. Pour lui Auschwitz et Hiroshima marquent l'entrée dans une nouvelle ère, celle de L'Obsolescence de l'homme46(*). La bombe atomique tout comme les camps nazis sont une rupture dans l'Histoire. Pour la première fois, l'Homme a fait montre de sa capacité à s'autodétruire. Anders souligne la déshumanisation qui accompagne ces deux moments sombres de l'humanité, l'extermination des camps ou les deux bombes lancées sur le Japon sont le fruit de fonctionnaires qui ne faisaient « qu'obéir aux ordres ». C'est d'ailleurs la cause que plaida Eichmann à son procès et mena Anders à avoir une longue correspondance épistolaire avec son fils47(*).

Si Anders est abondamment repris par les objecteurs de croissance, c'est qu'il est un des premiers à poser les limites du progrès. Dans la rationalité cartésienne occidentale, le progrès est synonyme de mieux être. Pourtant c'est bien derrière cette notion de progrès libérateur qu'a germé la capacité autodestructrice de l'homme.

Les objecteurs de croissance s'appuient également sur une autre référence pour justifier leur opposition à la civilisation technicienne. En effet ils construisent une grande partie de leur critique sur celle du Système technicien48(*) faite par Jacques Ellul tout au long de sa vie. Ancien professeur à la faculté de droit de Bordeaux, Ellul est considéré par beaucoup comme un des inspirateurs phares du mouvement de la décroissance. La technique est analysée en tant que système, elle est un fait social déshumanisant. Dans La Technique ou l'enjeu du siècle, Ellul explique que la technique se caractérise par deux éléments : son unicité (la technique comprend un ensemble d'objets, de machines mais aussi de procédures, de modes d'usage, d'organisation du travail et de comportements d'utilisateurs) et son autonomie (l'homme en perd la maîtrise). La technique a donc tendance à s'auto-accroitre en imposant ses propres valeurs (utilité, progrès, rationalité,...) et investit tous les champs sociaux (fonctionnement de l'Etat, économie, vie quotidienne des individus). Mais si cette immixtion de la technique dans toutes les sphères de la société est rendue possible c'est grâce à la sacralisation dont elle fait l'objet. Le sacré est transféré de la nature à ce qui la détruit. Ce changement de statut induit une dépendance à l'égard de la technique, une addiction, y compris psychologique, des individus qui se voient dès lors dépossédés de leur libre arbitre. La notion de progrès est donc profondément ébranlée par les raisonnements, entre autres, d'Hans Jonas, Günther Anders ou Jacques Ellul.

Les penseurs de la décroissance se servent de ces bases théoriques pour appuyer leur critique contre la « société de croissance » dont le progrès de la science et de la technique est un élément moteur.

La contestation du progrès, élément structurant de la société de croissance

Pour les objecteurs de la décroissance la dérive de la science et de la technique est caractéristique de nos sociétés contemporaines basées sur une croissance illimitée. Une société qui vit au rythme d'évolutions technologiques fulgurantes créant sans cesse de nouveaux besoins.

La critique de la technique rejoint ici celle de la société de consommation. L'individu s'identifie à ses objets et se situe socialement à travers eux. Or grâce au progrès technique ces biens sont de plus en plus nombreux car les coûts de production diminuent. Le progrès technique accélère en quelque sorte le processus de la société de consommation. Il permet de produire en plus grande quantité ce qui aggrave l'impact écologique de l'homme et pousse les individus à consommer davantage. Mais il conduit aussi à l'émergence de nouveaux produits qui créent eux-mêmes de nouveaux besoins. Un des pionniers de la réflexion écologique, cofondateur du Nouvel Observateur, André Gorz pointe les effets néfastes de l'innovation qui « ne crée donc pas de valeur : elle est le moyen de créer de la rareté, source de rente, et d'obtenir un surprix au détriment des produits concurrents »49(*). André Gorz (de son vrai nom Michel Bosquet) distingue par ailleurs ce qu'il appelle les « technologies ouvertes » (celles qui favorisent la coopération et la communication comme les logiciels libres) et les « technologies verrous » (celles qui asservissent l'utilisateur). Il reprend en cela la dichotomie d'Ivan Illich dans La Convivialité50(*).

Ivan Illich reconnaissait des « techniques conviviales » qui augmentent l'autonomie des individus et des « techniques hétéronomes » qui en restreignent le champ. Mais la critique la plus iconoclaste d'Illich tient peut-être dans son concept de « contreproductivité » qui illustre la dérive de la modernité. Selon Illich, l'offre de marchandise au lieu de satisfaire les besoins en accroit la demande. Ce phénomène aboutirait à une « désutilité marginale »51(*). Ainsi toute institution serait contreproductive dès lors qu'elle atteint le stade de « monopole radical »52(*). Il prend alors l'exemple de la voiture et calcule qu'en comptabilisant le temps passé à payer l'ensemble des coûts (achat, essence, assurance, ...) l'automobiliste américain se déplace en moyenne à 6 km/h. La pensée de la décroissance, qui fait souvent référence aux auteurs précités, n'est pas cependant une pensée technophobe. La notion de progrès est critiquée, relativisée mais pas supprimée pour autant.

Les objecteurs de croissance introduisent des différences de nature entre les techniques comme nous venons de le voir avec A. Gorz et I. Illich. Certaines contribueraient à l'émancipation de l'homme et d'autres au contraire participeraient à son aliénation. Serge Latouche souligne à ce propos les effets dévastateurs de la technique mise au service de la culture productiviste à travers le mécanisme d'obsolescence programmée. Ce procédé vise à concevoir un produit avec une durée de vie volontairement limitée, le but étant de pousser le consommateur à en racheter un autre plus rapidement. D'autre part le progrès technique bouleverse le rapport au temps. La vitesse, que cherche à accroître la technique, est au centre de nos sociétés où le temps lui-même devient une ressource rare. L'évolution des transports puis l'arrivée des nouvelles technologies de l'information et de la communication ont permis une réduction considérable du facteur temps. A l'instar du TGV qui a renversé la géographie française en réduisant les distances, les nouvelles technologies ont accéléré les rythmes de vie ainsi le couple production-consommation. Ce bouleversement du rapport au temps est central dans la critique des objecteurs de croissance. La course au « toujours plus vite » est en effet symptomatique pour eux d'une société qui se projette inconsciemment vers l'abîme. Le philosophe Patrick Viveret explique à ce titre que « le dérèglement dans le rapport au temps et à la vitesse est un dérèglement matriciel qui explique toutes les autres démesures »53(*). La « société de croissance » aboutirait donc inexorablement à cette crise de la démesure, ce que les grecs appelaient l'ubris, dans laquelle le progrès scientifique et technique sont des facteurs déterminants.

Pour autant les objecteurs de croissance ne sont pas, pour une grande majorité d'entre eux, totalement réfractaires au progrès. S'ils redoutent les excès de la science et de la technique, ils sont partisans du concept habermassien54(*) de « réenchâssement » de la technique dans la société. Comme le suggère le sociologue et anthropologue Alain Gras, proche des idées de la décroissance, le citoyen doit devenir « acteur »55(*). La technique doit ainsi être soumise au contrôle démocratique et accessible à tous. Le biologiste Jacques Testart va même plus loin à propos de la science : « Il faut imposer, en amont, la soumission des grands projets de recherche à l'avis de citoyens dûment éclairés. Les risques comme les nécessités imposent de mettre la science en démocratie»56(*). La science et la technique ne sont donc pas rejetées en bloc par les objecteurs de croissance. L'opportunité du progrès est à évaluer au prisme de sa soutenabilité écologique, sociale et éthique ce qui pourrait se résumer dans cette formule de Serge Latouche « ni technolâtrie, ni technophobie »57(*). En cela les auteurs de la décroissance rompent avec une partie du raisonnement de Jacques Ellul. Ils pensent à l'inverse de l'illustre bordelais que l'homme peut renverser le cours de l'histoire et l'omnipotence du système technicien. Le déterminisme historique de la pensée d'Ellul est contesté par les travaux d'Alain Gras qui démontrent que les inventions techniques apparaissent de manière aléatoire dans l'histoire. La technique « s'inscrit dans une vision du monde en tant que témoin et, en même temps, que support de notre manière d'être au monde »58(*). D'autre part l'autonomie du couple science-technique d'Ellul est complétée par les auteurs décroissants qui l'élargissent à l'économie avec le concept emprunté à Lewis Mumford de « méga-machine »59(*). D'une manière générale la décroissance reprend la dénonciation d'Ellul à l'égard de la technique aliénante mais porte une vision plus optimiste. L'homme peut et doit reprendre la main sur la technique afin de réenchainer Prométhée comme le suggère le titre d'un livre de Bernard Charbonneau, grand ami d'Ellul60(*).

La critique du progrès est un point dur de la décroissance. En faisant l'inventaire des méfaits de la science et de la technique, elle permet de relativiser les normes et structures sociales et participe à l'entreprise de « décolonisation de l'imaginaire » collectif. Cette position, délicate et complexe, conduit les auteurs de la décroissance à manier cette remise en cause du progrès avec une grande précaution, conscients des reflets conservateurs qu'elle contient. Entre technophobie et fanatisme de la technoscience, Jean Paul Besset synthétise la troisième voie : « Ce n'est pas la haine du progrès qu'il faut porter, comme l'ont fait tous les courants réactionnaires de l'histoire, c'est sa critique intransigeante»61(*). Les objecteurs de croissance souhaitent donc moins mettre à bas le progrès lui-même que le mythe et les croyances dont il fait l'objet.

3. Une critique de la richesse et du travail

A l'inverse de ce qu'elle pourrait laisser entendre au premier abord, la décroissance ne plaide pas pour une croissance négative du P.I.B. Elle analyse en profondeur les soubassements des sociétés dites développées en contestant la notion de richesse et celle de travail. Il s'agit de mettre à l'examen des préconstruits économiques identifiés improprement comme synonymes de bien-être. Serge Latouche évoque d'ailleurs sans ambages l'impérieuse nécessité de « sortir de l'économie »62(*). Cette charge contre « l'économisme », c'est-à-dire la prédominance de l'économie dans toutes les dimensions sociales et humaines, s'illustre à travers la controverse sur la mesure de la richesse et la remise en cause du travail.

Redéfinir la richesse pour jouir de sa vie

La croissance économique se mesure à l'aide d'un agrégat de données, le Produit Intérieur Brut. Ce type de mesure a depuis longtemps été critiqué par les économistes à cause des nombreux biais qu'il comporte. L'économiste John Kenneth Galbraith disait lui-même que « le niveau, la composition et l'extrême importance du P.I.B sont à l'origine d'une des formes de mensonge social les plus répandues »63(*). En effet le P.I.B est un indicateur composite qui calcule toutes les richesses produites par du travail rémunéré y compris les plus absurdes (armement, pollution, antidépresseurs,...). Toute activité qui conduit à un flux de richesse accroit le P.I.B. Un accident ou une marée noire augmentent le P.I.B alors que, pour paraphraser Cécil Pigou, un homme épousant sa cuisinière le fait baisser.

Le P.I.B ne reflète donc pas, loin s'en faut, le bonheur d'une société. Pour autant l'hégémonie de cet indicateur de richesse a conduit les politiques, les économistes et l'opinion publique à confondre bien être et P.I.B, donnant lieu à ce que Latouche appelle volontiers « une obsession ». Au-delà des questions techniques, la décroissance souhaite requalifier la notion de richesse dont le P.I.B n'est qu'une interprétation. Pour les objecteurs de croissance, le P.I.B ne mesure pas les « vraies richesses », c'est-à-dire celles non quantifiables monétairement (liens sociaux, épanouissement personnel, spiritualité, culture, ...). Il y aurait même une dichotomie croissante entre P.I.B et bien être que remarquait déjà Emile Durkheim dans son étude de l'anomie : « le nombre de ces phénomènes morbides [suicides et crimes] semble s'accroitre à mesure que les arts, la science et l'industrie progressent »64(*). Ivan Illich reprend lui aussi cette critique de la richesse à travers son concept de « disvaleur » qui désigne « la perte [...] qui ne [saurait] s'estimer en termes économiques »65(*). Il prend l'exemple d'une personne qui perd l'usage de ses pieds mais la disvaleur peut aussi s'illustrer par les dégâts irréversibles causés à l'environnement et notamment la disparition de certaines espèces. Ces pertes ne sont pas quantifiables économiquement mais induisent pourtant une dégradation substantielle du bien-être de l'homme et de la richesse de l'humanité.

Sans entrer plus avant dans les dysfonctionnements du P.I.B, les nombreuses zones d'ombres et externalités négatives afférentes à ce type de calcul de la richesse économique pose la question d'indicateurs alternatifs. De nombreux économistes ont cherché à redéfinir la richesse en promouvant des mesures alternatives. Il en va ainsi du Genuine Progress Indicator (GPI), de l'indicateur de santé sociale (ISS), de l'indice de bien être durable (IBED) ou encore du Happy Planet Index. Pour ne prendre en exemple que ce dernier, cher à Yves Cochet, il classe les pays en fonction de l'empreinte écologique, de l'espérance de vie et du bien-être des populations. Un mode de calcul bien différent du P.I.B qui aboutit à des résultats surprenants puisque le Costa Rica arrivait en en tête du classement en 2009. La multiplication des indicateurs alternatifs témoignent d'une certaine évolution des mentalités. La prise de conscience des imperfections du P.I.B et notamment de son incapacité à prendre en compte l'impératif écologique entraine une réflexion sur la mesure de la richesse jusque dans les hautes sphères. A la demande du Secrétaire d'Etat écologiste Guy Hascoët, Patrick Viveret a ainsi rendu un rapport sur les nouveaux facteurs de richesse en Janvier 200266(*). Plus récemment, le Président Nicolas Sarkozy a confié une mission similaire à Joseph Stiglitz et Amartya Sen dans le cadre de la Commission sur la Mesure de la Performance Économique et du Progrès Social. Les nouveaux indicateurs ont donc pour objectif de découpler le bien être de la croissance au sens de l'augmentation de la production matérielle.

Pourtant, si l'initiative est saluée par une partie des écologistes (ATTAC, les Verts, ...), elle est refusée par les objecteurs de croissance. Au nom de leur critique relativiste, ils condamnent une entreprise proprement ethnocentriste qui ne vise qu'à parfaire la suprématie de l'économie sur la société. Selon eux, les nouveaux indicateurs visent à prendre en compte le bien être humain en attribuant une valeur économique à ce qui n'en a pas encore. Non seulement, cette redéfinition de la richesse conduit à un problème méthodologique (Jean Gadrey se demande où s'arrêter une fois que l'on commence à prendre en compte la production domestique, le bénévolat, etc67(*)) mais elle engendre aussi un processus d'« omnimarchandisation ». Alors que Serge Latouche insiste sur la nécessité de prendre avant tout en compte la valeur d'usage, les indicateurs alternatifs se concentrent sur la valeur d'échange. La figure altermondialiste et féministe Vandana Shiva résume la pensée des objecteurs de croissance : « La proposition de prescrire une valeur marchande à toutes les valeurs naturelles au titre de la solution à la crise écologique revient à administrer la maladie comme le remède »68(*). La décroissance s'inscrit donc en faux contre ce changement à minima et contreproductif. Toutefois ils transcendent par ce refus la question des indicateurs alternatifs pour mieux mettre en avant leur définition de la richesse.

Les objecteurs de croissance ne veulent pas d'un accompagnement de la croissance vers une meilleure prise en compte des enjeux sociaux et écologiques. Dans leur radicalité ils expriment le souhait de « sortir de l'économie » c'est à dire rompre avec l'hégémonie de l'économie qui s'immisce dans l'ensemble des rapports sociaux. L'enrichissement matériel qui la sous-tend est considéré comme néfaste au bien être des individus. Poussant leur logique jusqu'au bout, Bruno Clémentin et Vincent Cheney n'hésitent pas à lâcher dans l'éditorial d'une édition du mensuel La Décroissance « vive la pauvreté ! ». Cette exclamation pour le moins provocatrice se comprend à l'aune des externalités négatives que produit l'accumulation de richesse. Non seulement la société de consommation pousserait l'individu à consommer des biens dont il n'a pas l'utilité ex ante, mais le détournerait également du bonheur réel qui se trouve dans l'autonomie et la convivialité. A ce titre, André Gorz explique que « la richesse rend pauvre »69(*) puisque qu'être pauvre consiste d'abord à ne pas posséder de nouveaux biens que les plus riches ont déjà. Mais l'éloge de la pauvreté ne peut néanmoins se comprendre sans le remettre dans la perspective de lutte contre la société travailliste.

Sortir de la société travailliste

La décroissance s'attache à démonter la logique de la consommation. Cependant elle n'oublie pas l'autre bout de la chaîne en proposant une autre vision du travail. Celle-ci implique une réduction quantitative du travail dans la société ainsi qu'une redéfinition de sa nature même. C'est un pas décisif vers la décolonisation de l'imaginaire.

La critique de la société travailliste ne date pas d'hier. Les objecteurs de croissance s'appuient sur la verve de Paul Lafargue qui dénonce dans son ode à la paresse cette « folie » qu'est « l'amour du travail, la passion moribonde du travail, poussé jusqu'à l'épuisement des forces vitales de l'individu et de sa progéniture »70(*). Pourtant, leurs analyses divergent sur le moyen et la finalité de cette réduction du travail dans la société. Si Lafargue envisage cette réduction par le progrès technique et dans l'optique de la société d'abondance, la décroissance prône l'inverse. Le travail est considéré comme un moyen de dominer le travailleur. Or « le travailleur dominé engendre le consommateur dominé qui ne produit plus rien de ce dont il a besoin »71(*) surenchéris André Gorz. La vision décroissante du travail accuse la déviation historique du travail. D'un moyen d'assurer sa subsistance, le travail s'est transformé en une nécessité pour pouvoir consommer les biens et services de la société de croissance mais aussi pour s'y réaliser socialement. Le travail est devenu une fin en soi dont les corollaires sont le stress, le mal être, la précarité voire l'indigence pour ceux qui en sont privés.

Les décroissants appellent donc à ce que André Gorz nomme « l'autolimitation » dont l'objectif est double. D'une part prendre en compte les limites de la planète et de son propre corps en luttant contre la surmarchandisation imposée par le productivisme. De l'autre, recouvrer son autonomie par le temps libre et redécouvrir des plaisirs non matériels comme le jeu ou les loisirs. Plutôt que de travail les objecteurs de croissance préfèrent parler d'activités dans leur modèle de société de décroissance. Tout l'objet est donc de rompre avec le mythe selon lequel seul un travail acharné peut rendre à l'individu les moyens de son émancipation ou de son bonheur. Paul Ariès, en s'appuyant sur les études de Marshall Shalins72(*), ne manque d'ailleurs pas de noter que seules les sociétés ayant réussi à réduire leurs besoins ont véritablement connu l'abondance. Toutefois sortir de la société travailliste est un projet résolument politique car il ne suffit pas simplement de réduire le temps de travail. En effet travailler moins n'aboutit pas toujours à une réappropriation de soi73(*). La décroissance du travail ne peut donc se faire qu'en repensant l'organisation sociale afin de valoriser les activités non marchandes et les relations interpersonnelles via « une politique du temps » selon la formule de Gorz.

***

La décroissance, par l'originalité de ses multiples critiques à l'égard de la « société de croissance », est un objet politique à part. Loin d'invoquer une simple croissance inversée du P.I.B, cette pensée politique remet en cause tous les postulats de la société occidentale. Inspirée pour une large part de la contreculture de Mai 1968, la décroissance bouscule les préjugés de la société de consommation qui rendrait l'homme heureux. La critique du progrès pousse encore plus avant la déconstruction des mythes fondateurs de l'organisation sociale. En dénonçant tour à tour les méfaits de la science, de la technique ou encore de l'universalisme en tant qu'uniformisation du monde basée sur le productivisme, la décroissance touche aux canons de ce que d'aucuns appellent « la modernité ». La philosophie politique de la décroissance conteste par là même une partie de l'héritage des Lumières, thuriféraires d'un progrès émancipateur ici critiqué. Sur la base de ses critiques radicales, la décroissance souhaite l'avènement d'une postmodernité par la redéfinition de nos manières de produire, de consommer mais aussi d'être au monde.

Le combat de la décroissance est donc « avant tout un combat de valeurs »74(*) qui prend place dans le champ politique.

Chapitre 2 : La décroissance dans le champ politique

Dépositaires d'une pensée critique iconoclaste, les objecteurs de croissance ne s'en remettent à la seule dénonciation de la société de croissance. Conscients que renverser le productivisme ne pourra se faire que par la démocratie, ils assument pleinement leur entrée dans le champ politique. Cette volonté affichée de réformer en profondeur la société en la sevrant de l'addiction à la croissance ouvre un large panel de possibilités. De la transformation du mode de vie individuel au parti politique, la décroissance devient un acteur du jeu politique en s'imposant dans le débat public.

Mais l'entrée de la décroissance dans l'espace politique français soulève un certain nombre de questions. Quel est son positionnement par rapport aux autres acteurs du jeu politique ? Quelles interactions entretient-elle avec eux et avec lesquels en particulier ? Pour mieux cerner les contours de la décroissance il est inévitable de préciser son contenu et sa situation politique.

En réalité la décroissance n'est pas un objet nouveau dans le champ politique. Elle s'inscrit dans une certaine tradition socialiste qui se retrouve aujourd'hui dans son opposition au capitalisme vert. Enfin un éclairage sera donné sur l'intégration de la décroissance au système partisan français.

1. Un mouvement politique aux origines séculaires

Bien qu'elle ne prenne forme qu'à partir de la contestation du compromis keyneso-fordiste des années soixante-dix, la décroissance trouve ses origines dans des pensées et mouvements politiques beaucoup plus anciens. Déjà la philosophie de certains penseurs de l'Antiquité et du Moyen Age refusait le culte du travail et mettait en avant la simplicité. Mais c'est surtout dans les mouvements nés de la contestation de la Révolution industrielle et dans l'émergence du socialisme que la décroissance trouve une parenté pleinement assumée. Cet héritage permet de resituer la décroissance dans une dynamique historique qui précise sa place dans le champ politique.

La filiation Antique et les origines philosophiques

Le principe d'une vie volontairement simple, « autolimitée », n'émerge évidemment pas ex nihilo des réflexions des années soixante et soixante-dix. Dès l'Antiquité la philosophie hédoniste d'Epicure en appelle à rechercher le plaisir et à éviter la souffrance. Cet art de vivre épicurien distingue les désirs qui ne sont pas tous bons à choisir. Ainsi il convient de réfréner ses désirs « vains » et de consommer les désirs nécessaires avec modération afin d'éviter un manque qui entraverait l'accès au bonheur. Contrairement à une idée répandue, l'épicurisme n'est pas une philosophie de la joie excessive. La tempérance et la connaissance de ses propres limites sont les conditions essentielles de l'accès au bonheur. On comprend facilement le lien avec l'objet qui nous intéresse. Sans limites imposées à soi même, l'homme ne peut jouir que de plaisirs futiles. Incapable de discerner le nécessaire de l'accessoire, il s'accoutume à satisfaire des besoins secondaires qui, le jour où ils ne peuvent être satisfaits, empêchent de trouver le bonheur. Le parallèle avec l'évolution des sociétés occidentales est saisissant. Faute d'avoir faire preuve de prudence et de raison, les hommes ont mis en place une société de croissance qui a créé sans cesse de nouveaux besoins illusoires devenus nécessaires selon le processus d'identification sociale aux objets décrit par Jean Baudrillard75(*). Or la satisfaction de ces besoins repose sur l'hypothèque des ressources limitées de la planète. Cet excès de désir conduira, si l'on en croit le philosophe grec, à la souffrance. Une analyse qui est aujourd'hui reprise par les objecteurs de croissance dénonçant la course à l'abîme de la société de croissance.

L'ascétisme est également présent en matière religieuse, notamment dans le catholicisme et les communautés monastiques. L'un des Saints les plus connus, François d'Assise, fondateur de l'ordre des franciscains, fait l'apologie de la pauvreté et de la prière. Il invite à faire volontairement le choix de la frugalité et à pratiquer l'autosuffisance. Cette manière de vivre se résume sous la formule de la « simplicité volontaire » qui joue un rôle essentiel dans le mouvement de la décroissance. Alors que les principes de la décroissance s'appliquent plutôt aux structures collectives, la simplicité volontaire en est la transcription individuelle. Ce mode de vie alternatif qui recherche l'harmonie avec la nature par le dénuement a été popularisé par le philosophe américain Henry David Thoreau retiré pendant deux ans près de l'étang de Walden pour échapper aux affres de la société industrielle76(*). L'exemple de Thoreau a été repris partout dans le monde et suscité l'intérêt d'hommes célèbres. Ainsi Tolstoï, écrivain bourgeois, s'est converti à un ascétisme paysan qu'il adopta jusqu'à sa mort. Gandhi lui-même a été influencé par le concept suite à la lecture d'un ouvrage du critique d'art anglais John Ruskin77(*). La simplicité volontaire est aujourd'hui très développée au Canada où elle tient rang de mouvement social mais reste encore peu connue en France78(*).

Avant la formalisation théorique du XXème siècle, les principes qui forment aujourd'hui l'idée de décroissance prennent corps dans la littérature et les débats sur la place publique. Mais s'ils restent cantonnés encore au champ de l'éthique ou de la philosophie, les préceptes de la décroissance entrèrent rapidement dans le domaine social et politique à partir de la révolution industrielle.

La contestation de la révolution industrielle

La mue vers la société industrielle (à partir de la fin du XVIIIème siècle en Grande Bretagne et du début du XIXème en France) ne s'est pas faite sans heurts. La marche vers le progrès a connu des résistances qui font dire à Paul Ariès que les classes populaires ont fait preuve d'un « antiproductivisme spontané »79(*) afin de protéger leur mode de vie.

Dès le XIIème siècle, la mise en place des enclosures a suscité régulièrement la révolte de paysans appauvris, notamment dans les Midlands où cinquante d'entre eux furent pendus à titre d'exemple en 1607. Le refus du progrès devient d'autant plus fort avec la révolution industrielle. En 1811 des ouvriers anglais du textile manifestent leur opposition à la mise en place de nouvelles machines qui menacent leur métier en détruisant leur outil de travail. Ces « bris de machine » inaugurent le luddisme (du nom du supposé leader de la contestation Ned Ludd) qui fait figure de résistance des classes populaires à la marche forcée de l'industrialisation. Une résistance qui s'illustre aussi dans la révolte des Canuts de Lyon (1831-1834) et dans celle des ouvriers de l'Hérault (1818, 1830, 1843). Dans ces révoltes il ne s'agit pas tant de refuser toute technique. La lutte contre le machinisme se fait en réalité contre les nouvelles machines et surtout contre leurs implications en termes d'organisation du travail. En effet si les premières machines permettaient un travail proto-ouvrier à domicile, les nouvelles conduisent les travailleurs à l'usine80(*). L'antiproductivisme spontané des classes populaires que met en exergue Paul Ariès se fait donc d'abord contre la logique de dépossession du travail qu'engendre la révolution industrielle.

Cette bataille se révéla toutefois vite perdue. Les révoltes sont écrasées et l'industrialisation se poursuit inexorablement donnant ainsi naissance à la classe ouvrière. Les syndicats entrent alors en jeu pour défendre les conditions de vie et de travail des ouvriers. La Confédération Générale du Travail (CGT) réclame des mesures pour préserver la santé des ouvriers comme le repos dominical ou la journée de huit heures mais continue aussi à dénoncer le machinisme comme responsable du chômage dans l'industrie et le monde agricole. Après la première guerre mondiale la CGT se convertit au productivisme mais la Confédération générale du travail unitaire (CGTU) et la Confédération générale du travail syndicaliste révolutionnaire (CGTSR) s'opposent encore aux machines considérées comme les instruments du capitalisme81(*). La classe ouvrière aurait donc été nativement antiproductiviste en opposition au progrès qui dégradait ses conditions de vie. Cette réaction sociale aux méfaits de l'industrialisation se retrouve dans la pensée politique des premiers courants socialistes dont les auteurs de la décroissance revendiquent aujourd'hui l'héritage.

Les inspirateurs socialistes

Les mouvements socialistes du début du XIXème siècle sont une source d'inspiration centrale pour les théoriciens de la décroissance. En vérité, la doctrine des socialistes « utopiques », libertaires ou encore de certains marxistes hétérodoxes apparait comme réactualisée par les objecteurs de croissance qui y trouve une alternative cohérente au productivisme capitaliste et communiste.

La première catégorie des courants socialistes auxquels se référent les objecteurs de croissance est celle du socialisme utopique des Fourier, Cabet, Owen et Saint Simon (ce dernier ne fait néanmoins pas partie des références de la décroissance en raison de son ode à l'industrie). Le terme utopie est inventé au XVIème siècle par Thomas More. Sur cette île idéale, il envisage une société libérée du travail avilissant où l'égalité serait une règle effective. Les habitants de l'Utopie vivent en communautés et ne travaillent que six heures par jour, le temps libre est consacré aux loisirs. Cette influence littéraire se retrouve dans la philosophie du socialisme utopique qu'Engels distingue du socialisme scientifique. Les socialistes utopiques s'opposent à la propriété privée qui engendre les hiérarchies sociales et dénoncent l'illusion selon laquelle le bonheur n'adviendrait qu'au prix d'une accumulation illimitée de richesses. Pierre Leroux, inventeur du mot « socialisme » en 1833, plaide à ce titre pour une société frugale avec notamment sa théorie du circulus humain82(*). La fin de l'économie n'est alors plus le profit mais la satisfaction de besoins réels ce qui ouvre la possibilité d'un droit à la paresse. Mais contrairement aux marxistes qui les suivirent, les socialistes utopiques choisissent la méthode de la transformation à celle de la révolution. Ils souhaitent réaliser le socialisme dans l'immédiat au sein de communautés autonomes dont les principes sont l'égalité des travailleurs et la propriété collective des moyens de production. Les socialistes utopiques n'hésitent donc pas à créer ex nihilo un monde nouveau au sein de ces communautés dont la multiplication doit se solder par la chute du capitalisme. Au Royaume Uni, Robert Owen est le premier à lutter contre la paupérisation des ouvriers en instaurant des communautés de travail en particulier au sein de son usine de New Lanarck. En France, Charles Fourier invente l'utopie associative réalisée concrètement dans son système du phalanstère. Ces bâtiments communautaires regroupent jusqu'à quatre cents familles fondant ainsi une « phalange ». Tout individu s'affaire à une tâche sans commandement hiérarchique. Chacun est rétribué par les dividendes de l'activité du phalanstère et participe à l'organisation de la vie collective. Bien que ces exemples de communautés ouvrières autonomes aient aujourd'hui en partie disparus, ils irriguent la pensée de la décroissance par leur caractère concret. Il existe des expériences réelles de vie collective libérées du joug du productivisme.

L'autre inspiration des objecteurs de croissance est celle des socialistes libertaires ou anarchistes. Des auteurs comme Kropotkine, Bakounine ou encore l'artiste anglais William Morris83(*) critiquaient violemment la société industrielle et souhaitaient la transformer en une société du partage et de la solidarité. Pierre Proudhon est emblématique de l'attachement antiproductiviste des socialistes libertaires. Pierre Langlois note à son propos qu'il ne « voyait pas pourquoi aller au-delà de la satisfaction des besoins naturels et sociaux simples. [...] La production pour la production, donc la croissance infinie, exponentielle, lui répugnait, de même que la consommation pour elle-même »84(*). Un autre anarchiste, Elisée Reclus est particulièrement apprécié des objecteurs de croissance pour le lien qu'il est un des premiers à faire entre progrès de l'homme et environnement. La géographie qu'il étudie replace en effet l'action de l'homme dans un environnement qu'il peut détériorer.

Malgré une ambition partagée de révolutionner la société avec des outils différents, socialistes utopiques et libertaires laissent progressivement place à partir des années 1870 aux tenants du marxisme. Ce « socialisme scientifique » développé par Max et Engels change les orientations du mouvement socialiste. La méthode n'est plus celle des communautés mais de la confrontation avec la classe bourgeoise afin d'imposer la propriété collective des moyens de production dans le droit fil de la dialectique historique marxiste. Surtout, les valeurs antiproductivistes des premiers socialistes disparaissent au profit d'un matérialisme exacerbé qui trouve son apogée dans la course à la production lancée par les bolcheviks en URSS. Certains marxistes dits hétérodoxes tel que Marcuse, Adorno, Lefebvre ou Althusser prennent néanmoins leurs distances et reprennent la pensée marxiste à travers la philosophie ou le droit. Ces auteurs inspirent également les théoriciens de la décroissance comme nous avons pu le voir au chapitre premier.

Ce rapide détour à travers l'histoire démontre que les concepts et la philosophie repris par la décroissance ne sont pas nouveaux. La décroissance est en réalité l'actualisation de pensées politiques et sociales anciennes articulées autour de la conscience nouvelle de la finitude de la planète. La décroissance a pour coeur l'impératif écologique mais ne saurait s'y réduire. L'éventail des critiques sociales amenées par les luttes antiproductivistes tend à faire de la décroissance un véritable projet politique au sens d'une volonté de transformer la société.

2. Un mot obus contre le capitalisme vert

La décroissance est un slogan volontairement provoquant, un « mot obus », afin d'engager le débat sur les implications de la société de croissance. L'émergence et la relative médiatisation du mouvement des objecteurs de croissance au moment d'une prise de conscience collective de la crise écologique n'est pas un hasard. Les partisans de la décroissance s'indignent de la récupération du discours écologiste par les promoteurs de ce qu'ils nomment le « capitalisme vert ».

Leur opposition résolue à toute idée de croissance verte est signe du caractère anticapitaliste de la décroissance qui remet aussi en question, de manière controversée, le développement lui-même.

L'impossible croissance verte

Les théoriciens de la décroissance se sont fixés pour objectif de déconstruire le mythe des bienfaits de la société de croissance. Leur critique ne s'arrête donc pas à la croissance du P.I.B comme nous avons pu le voir. Au contraire, ils avertissent l'opinion sur le non-sens que constitue à leurs yeux les néologismes de croissance verte ou de développement durable. Avec des intentions plus ou moins louables, ces mots induiraient un changement purement sémantique qui n'aurait aucunement l'intention de remettre en cause le productivisme.

Dans la littérature décroissante « la décolonisation de l'imaginaire collectif » revient comme un leitmotiv. L'objectif est de désaccoutumer les citoyens du consumérisme mais aussi de contrer les arguments qui présentent une mutation écoresponsable de la société de croissance. Le développement durable est ainsi désigné comme un piège tendu pour évacuer à bon compte la question de la déplétion des ressources naturelles. Pour les objecteurs de croissance, le développement durable serait donc un oxymore. Serge Latouche donne une définition qui résume à elle seule toute la critique sémantique décroissante : « On appelle oxymore, une figure de rhétorique consistant à juxtaposer deux mots contradictoires [...]. Ce procédé poétique servant à exprimer l'inexprimable est de plus en plus utilisé par les technocrates pour persuader de l'impossible : ils parlent ainsi de « guerre propre », de « mondialisation à visage humain », d'économie « solidaire », etc. »85(*). Bien que la généralisation de la notion de développement durable soit le signe d'une prise de conscience écologique salutaire, les objecteurs de croissance n'en stigmatisent pas moins la logique économique tout aussi peu soutenable à long terme.

Les biens naturels ne peuvent être remplacés par d'autres biens mêmes plus abondants ou artificiels. Les technologies vertes n'offrent pas plus une réponse satisfaisante. Les investissements dans l'économie immatérielle comme nous l'avons vu auparavant sont aussi une fausse piste pour les décroissants. Ce type d'économie accompagnerait plus l'ancienne économie qu'elle ne la remplacerait. Mais surtout les objecteurs de croissance lèvent une objection fondamentale à toute idée de croissance durable avec la redécouverte par le chercheur François Schneider du paradoxe de Jevons. L'économiste britannique du XIXème Stanley Jevons s'était interrogé sur la consommation croissante de charbon alors que les machines à vapeur étaient de plus en plus économes. Il s'était aperçu que les économies de charbon par machine apportées par le progrès technologique avaient été absorbées par l'augmentation du nombre total de machine si bien que la consommation absolue de charbon s'était accrue. C'est ce qu'on appelle « l'effet rebond », les économies d'énergies réalisées sont en tout ou partie compensées par une adaptation du mode de consommation. Par ce dernier argument le mouvement de la décroissance met à bas l'idée d'un développement éco-efficient. Tous les efforts développés par le capitalisme pour intégrer la contrainte écologique sont vains puisque la logique sociale de consommation qui le caractérise incite à acquérir toujours plus de biens.

En outre le développement durable implique un découplage absolu entre activité économique et impact environnemental. Ce découplage consiste à faire baisser l'empreinte écologique par unité produite. Or cette augmentation de l'efficacité dans l'utilisation des ressources doit se faire au moins au même rythme que l'activité économique pour espérer échapper à la déplétion des ressources. Pour les raisons que nous avons rappelées, un tel découplage semble extrêmement difficile à réaliser. L'étude de l'économiste Tim Jackson tend d'ailleurs à le vérifier empiriquement et qualifie ce découplage de « mythe »86(*). Les objecteurs de croissance n'oublient pas la critique sociale. Ils soulignent que les pauvres sont la variable d'ajustement de ce nouveau capitalisme qui tire de nouveaux marchés et profits de la problématique écologique. La décroissance se pose donc en butte au développement durable et à la normalisation du discours écologiste repris comme un outil marketing. Ses partisans n'hésitent d'ailleurs pas à prendre violemment à partie les ONG ou des personnalités telles que Yann Arthus Bertrand ou Nicolas Hulot régulièrement brocardés dans les pages « écotartufes » du journal La Décroissance. Symbole du greenwashing87(*), le Grenelle de l'Environnement est lui aussi pris pour cible comme « la concrétisation de cette alliance entre une écologie dépolitisée et les logiques ultralibérales », un « véritable Munich de l'écologie politique »88(*) selon les mots de Vincent Cheynet. Le journal La Décroissance organisa d'ailleurs deux « contre-grenelles » pour dire « Non au capitalisme vert ».

On l'aura remarqué, le mouvement de la décroissance s'ingère dans le champ politique et s'inscrit en faux contre la banalisation des questions écologiques. Mais plus encore la critique des oxymores « croissance verte » ou « développement durable » amène à contester le capitalisme lui-même. Paul Ariès en fait la démonstration : « Ce projet a une apparence, le développement durable. Il a une réalité : le passage à un nouvel âge du capitalisme »89(*).

Une pensée anticapitaliste ?

Les partisans de la décroissance font souvent l'objet de critiques sur leur supposée clémence vis-à-vis de l'exploitation capitaliste. Jean Marc Harribey, ancien président d'ATTAC et fin connaisseur de la question, s'en prend à la décroissance à travers quatre reproches que synthétise Paul Ariès : « décroitre sans sortir du capitalisme, décroitre sans limites, ne pas voir qu'une autre économie que le capitalisme est possible et renoncer à la perspective du plein emploi »90(*). Les théoriciens de la décroissance coupent court à ces reproches. Sans détours ils affirment que sortir de la société de croissance est incompatible avec le capitalisme91(*). La logique d'accumulation sans fin des forces productives qu'il suppose est contraire avec la sobriété prônée par la décroissance. Le cycle production/travail/consommation est jugé responsable de l'aliénation et de l'exploitation des travailleurs ainsi que de la dégradation des équilibres écologiques. Les références aux travaux d'auteurs écosocialistes comme Michaël Lowy ou Philippe Corcuff sont nombreuses et soulignent la dérive systémique du capitalisme. Confronté à une crise de « valorisation » avec la baisse tendancielle de la quantité de travail nécessaire à la production, le capitalisme voit ses possibilités de profit se réduire. L'accentuation ou du moins le maintien du capitalisme ne se ferait qu'au prix de la dégradation de la valeur d'usage (d'utilité) des produits. Cette forme « d'hypercapitalisme » se traduit par une marchandisation des biens communs jusqu'ici gratuits (l'eau par exemple) mais donne aussi lieu à un processus de junk-production (production pourrie) entrainant une junk-consumption (consommation pourrie) selon Paul Ariès. La faible valeur d'usage de ces produits, déconnectés de besoins réels, ne permet même plus d'acheter un statut mais tout juste de jouir sans désir. Cet « hypercapitalisme » est celui du « mésusage »92(*) : la malbouffe, l'urbanisme anarchique, la « télé-poubelle » sont autant de produits issus d'un système parfaitement rationnel d'accumulation du capital.

Dans un autre registre, Serge Latouche concentre ses critiques sur « l'esprit » du capitalisme. Il s'oppose à l'imaginaire collectif produit par le capitalisme : l'imaginaire de démesure et d'accumulation sans limites créé par la société de marché conduit inéluctablement à la destruction de l'environnement mais aussi de toute solidarité collective. Les décroissants soulignent donc l'antinomie entre capitalisme et décroissance à l'image de Murray Bookchin : « On ne peut pas plus convaincre le capitalisme de limiter la croissance qu'on ne peut persuader un être humain d'arrêter de respirer »93(*). Toutefois ils refusent de s'arrêter à un anticapitalisme primaire. S'ils se reconnaissent pour la plupart dans la critique marxiste du capitalisme, ils revendiquent le même examen pour toute société de croissance. Ainsi les reproches formulés à l'égard du capitalisme sont les mêmes pour ceux qui souhaitent le mettre à bas car « l'on peut avoir une économie de croissance qui n'est pas une économie de marché, et c'est notamment le cas du socialisme réel » explique justement Takis Fotopoulos94(*). Capitalisme et socialisme sont en réalité deux avatars d'un même projet de croissance. Les objecteurs de croissance ne cèdent donc pas à la facilité de désigner le capitalisme comme responsable de tous les maux et qu'il suffirait d'en sortir pour un monde meilleur. Cette vision manichéenne est balayée par le productivisme pratiqué par la gauche socialiste ou communiste tout aussi exacerbé que celui du capitalisme libéral. Pourtant, il s'en est fallu de peu pour que l'histoire tourne autrement. Le scientifique ukrainien Sergueï Podolinsky (1850-1891) avait tenté en vain de convertir Karl Marx à l'économie écologique dont il était le précurseur. Ses travaux sur la pensée marxiste et la deuxième loi de la thermodynamique furent en définitive écartés par le dogmatisme positiviste d'Engels.

Puisque postuler l'anticapitalisme ne suffit pas, les auteurs en soulignent d'ailleurs le caractère fourre-tout, les partisans de la décroissance prônent un dépassement du capitalisme. L'objectif final est de briser le productivisme et de parvenir à une société de décroissance. La sortie du capitalisme constitue alors un moyen nécessaire à la décroissance mais non une fin. Mais si la croissance et le capitalisme sont à supprimer, qu'en est-il du développement ?

La controverse du développement

Le mot obus de décroissance a pour objectif de démythifier les canons de la pensée économique dominante. Cette entreprise de déconstruction de tous les attributs de la modernité (croissance, progrès, technique) se poursuit à travers la remise en cause du développement.

Pour les objecteurs de croissance, le développement a toujours été lié à la croissance. Cette affirmation prend à revers ceux qui trouveraient dans la notion de développement une échappatoire à la critique de la croissance. La critique du développement trouve son origine dans les travaux de François Partant et de Serge Latouche. Pour François Partant, le développement correspond à une politique néocolonialiste des pays du Nord qui prive les sociétés du Tiers Monde de leur autonomie et participe à leur appauvrissement95(*). Cette idée est reprise et développée par Serge Latouche, pionnier de l'école de « l'après développement ». Pour lui le développement est un concept ethnocentriste qui se traduit à travers un processus d'occidentalisation du monde96(*). Le développement serait en quelque sorte le cheval de Troie de la pensée économique dominante pour s'introduire sur des terres encore non conquises. Derrière cette notion emplie de bons sentiments se cacherait en réalité la prééminence de l'économique quelque soit les adjectifs dont on l'affuble (« humain », « durable », ...). Paul Ariès fait d'ailleurs le lien avec le capitalisme puisque le développement serait « impulsé par le capital »97(*) sous la forme de politiques libérales de privatisation et de financiarisation de l'économie des pays du Sud. La critique du développement tient donc en deux volets : la contestation de l'exportation d'un modèle culturel occidental qui briserait les modes de vie traditionnels des pays du Sud ; l'opposition à l'hégémonie de l'économie. Les décroissants refusent la notion de développement au nom d'une logique de sortie de l'économie. Une vision que ne partage pas les altermondialistes et notamment ATTAC. Dans un livre paru en 2004 l'association pointe les limites de la croissance et critique sans complexe la notion de développement. Néanmoins elle ne rejette pas le terme et s'engage sur la voie d'un « autre développement possible ». La réponse des objecteurs de croissance ne se fait pas attendre: « Le développement est [...] un concept génétiquement occidentalo-centré, il contient l'hubris du seul fait qu'il implique une absence de limite »98(*). Toutefois il convient de ne pas conclure trop hâtivement une position claire des objecteurs de croissance sur le développement. En dépit de l'influence des travaux de Serge Latouche, il semblerait que la question soit toujours en débat au sein du mouvement.

La décroissance est un projet politique qui remet en cause les présupposés idéologiques tant de la droite que de la gauche. Ce mouvement singulier dans le paysage politique français n'entend cependant pas rester à la marge. La question est alors de savoir selon quelles modalités participer au jeu politique.

3. Une tentative iconoclaste de bousculer le système partisan français ?

Bien que de sensibilité libertaire, les partisans de la décroissance ont pour ambition d'inscrire leur action dans le champ politique. Ils se retrouvent alors confrontés à un dilemme entre deux modes d'engagements qui ne s'excluent cependant pas l'un l'autre. D'un côté une stratégie d'influence des organisations classiques afin de faire évoluer leurs positions pour prendre en compte tout ou partie des idées de la décroissance. De l'autre une stratégie classique de participation au jeu politique en présentant des candidats à chaque élection. Cette dernière proposition pose alors la question des alliances des objecteurs de croissance et de leur situation sur l'échiquier politique.

Une stratégie de minorité active

En 2007, dans son Petit traité de la décroissance sereine, Serge Latouche résumait l'ambition première des objecteurs de croissance en affirmant qu'il était surtout « important de peser dans le débat, d'infléchir les positions des uns et des autres, de faire prendre en considération certains arguments, de contribuer à faire évoluer les mentalités » plutôt que de se disperser dans une hasardeuse aventure électorale. Même si cinq années est une éternité pour ce jeune mouvement, cette conception de l'action politique reste partagée par de nombreux objecteurs de croissance.

Dans la lignée d'auteurs tels que Serge Latouche ou Jean Claude Besson-Girard, la décroissance se constitue en une première tendance dont le but serait de peser de l'extérieur sur le débat public. Cette revendication de changement culturel par des expérimentations concrètes s'inscrit dans une politique de minorité active au sens de Serge Moscovici99(*). Une minorité active possède ses opinions et son propre cadre de pensée. En refusant de s'intégrer dans la majorité elle produit de l'influence sociale sur les manières de faire et de penser. Elle a donc vocation à se substituer à la majorité par l'avènement d'un changement culturel initié par elle-même. Cette volonté de peser par l'action s'incarne dans le mouvement de la simplicité volontaire et ce que Jean Claude Besson-Girard nomme des « utopies concrètes »100(*). Sur un plan collectif ces dernières prennent la forme d'Association pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne (AMAP)101(*) ou de Système d'Echange Locaux (SEL)102(*) dans la logique de sortir du productivisme agricole et de relocaliser l'économie. A une échelle plus large ces expérimentations se déclinent à travers le mouvement des Villes lentes. Ces villes, regroupées dans un réseau d'une centaine de communes membres, ont pour objet de remettre la lenteur au coeur de la cité. L'aménagement du territoire, la mobilité, la gestion des déchets, ... sont autant de politiques repensées à travers le prisme de la lenteur afin de lutter contre le « gigantisme urbain » et le mal être lié à un environnement dense et stressant. Dans le même mouvement, le phénomène des Villes en transition (selon l'expression de l'enseignant britannique Rob Hopkins103(*)) consiste à associer les populations locales pour organiser le passage « de la dépendance au pétrole à la résilience locale ». Qu'il s'agisse d'engagements individuels au quotidien ou d'actions collectives au niveau global, ces expérimentations concrètes dessinent le contre modèle que la décroissance souhaite à terme généraliser.

Serge Moscovici l'avait mis en avant, cette stratégie de la minorité active ne peut se concevoir qu'à travers un affrontement durable face à la majorité. Une intégration précoce au système proposé par la majorité conduit à une perte du pouvoir d'influence de cette minorité sur la majorité. En l'occurrence la participation au jeu politique priverait sine die la décroissance de toute possibilité de voir un jour réaliser son projet, aspiré par la société de croissance. Ainsi, nombreux sont les objecteurs de croissance à rejeter toute intégration au système politique représentatif. Portevoix de cette tendance, Serge Latouche fait une critique cinglante de l'intégration de la décroissance au jeu partisan : ce serait « au mieux un vain bavardage, au pire une forme de complicité avec le totalitarisme rampant de la mondialisation économique »104(*). En toute logique, sa position le conduit en 2006 à condamner fermement la création du Parti de la Décroissance. Pour autant tous les objecteurs de croissance n'adhérent pas à la vision de la minorité active. Certains assument pleinement de vouloir participer aux élections, seul moyen selon eux de porter efficacement leurs idées.

Prendre parti : les décroissants dans le jeu partisan

Malgré l'éclatement de la mouvance décroissante, une partie des objecteurs de croissance considèrent que la stratégie de la résistance par l'action concrète ne suffit pas. Tout en reconnaissant l'importance de ces pratiques qui inscrivent dans le réel le projet de la décroissance, ils en mesurent les limites. Paul Ariès et Vincent Cheynet, chefs de file de cette tendance « partisane », mettent en garde contre le risque que les militants de la simplicité volontaire « s'enferment dans la bonne conscience, la dangereuse quête d'un homme nouveau, d'un paradis sur terre, d'une communauté de purs »105(*). La stratégie de la minorité active n'est d'ailleurs pas un gage de réussite. L'exemple de la communauté Amish106(*) et ses 250 000 membres n'a pas empêché les Etats Unis d'évoluer vers un système de consommation outrancier. Le salut de la décroissance tiendrait donc dans la participation au jeu politique. Elle offrirait à la décroissance une tribune qui élargirait ses cercles de partisans et son audience auprès du public. En outre, cette stratégie ne serait pas antinomique mais bien complémentaire avec les approches de la simplicité volontaire.

La participation électorale suppose la constitution d'un outil partisan. Or le chemin vers l'institution d'un parti de la décroissance est long et escarpé. D'autant plus que les milieux libertaires de la décroissance font souvent montre d'une certaine défiance à l'égard du jeu politique. Des figures du mouvement à l'instar de Vincent Cheynet tentent néanmoins le pari avec un succès plus que mitigé. Dans la perspective des élections présidentielles de 2007 est lancé en mars 2005 un Appel pour des Etats généraux de la « décroissance équitable ». Malgré la collaboration de diverses sensibilités et organisations (Les Alternatifs, Casseurs de Pub, ...), les discussions achoppent sur des débats de doctrine (décroissance ou développement durable) et sur la participation de José Bové. Ce dernier avait été un temps envisagé comme le candidat de la décroissance. Après avoir participé au colloque fondateur de la décroissance en 2002, il s'était progressivement éloigné du mouvement. Il est finalement candidat de l'antilibéralisme et atteint 01,32 %. Cet « acte manqué »107(*) selon l'expression de Timothée Duverger pèse lourd dans les milieux de la décroissance. Entre temps, Vincent Cheynet avait créé lui-même dès 2005 le Parti pour la Décroissance (PPLD) sous les critiques de ses amis. Présentant onze candidats aux législatives de 2007, les scores oscillent entre 0,24% et 2,71% des suffrages. Une nouvelle formation voit le jour sous l'impulsion de déçus du PPLD, le Mouvement « les Objecteurs de croissance » (MOC). Le MOC ne se constitue pas sous la forme d'un parti, considérée comme trop rigide, mais du mouvement. Il n'a ainsi ni hiérarchie interne ni structures de décisions afin de laisser libre cours à l'initiative de chacun et installer une présence militante sur le terrain.

L'expérience électorale rebondit néanmoins à l'occasion des élections européennes de juin 2009. Le PPLD et le MOC s'unissent au sein de l'Association des Objecteurs de croissance (AdOC). L'objectif n'est pas tant de réaliser un bon score (entre 0,02% et 0,04% au final) mais de frapper les esprits. Exercice réussi avec la diffusion d'un clip vidéo pendant la campagne officielle où un escargot vient dévoiler le programme des listes Europe-Décroissance dans les téléviseurs de tous les ménages. Ce gain en visibilité se poursuit lors des élections régionales de 2010. Des listes autonomes sont constituées en Alsace (1,61%) et en Franche Comté (1,12%) mais plus intéressante est la stratégie d'alliances avec le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) et le Front de Gauche en Languedoc-Roussillon (8,6%) et dans le Limousin (13,13% au premier tour et 19,10% au second). Les accords électoraux passés par les organisations d'objecteurs de croissance semblent indiquer une représentation à l'extrême gauche de l'échiquier politique français.

Enfin, pour ce qui concerne les élections présidentielles de 2012, la décroissance ne présente pas de candidat commun. Paul Ariès avait jeté l'éponge dès octobre 2010 faute d'union des différentes chapelles de la décroissance108(*). Le PPLD soutient néanmoins la candidature de Clément Wittmann, objecteur de croissance « pur jus », qui a entrepris un tour de France à vélo afin de trouver les cinq cents signatures nécessaires pour se présenter à l'élection présidentielle.

Désunis, les objecteurs de croissance ne semblent pas parvenir à s'inscrire de manière stable et autonome dans le paysage politique français. Des ponts sont alors jetés à la gauche de l'échiquier politique pour y remédier.

Un espace possible qu'à gauche ?

Postuler la sortie du capitalisme comme préalable à la société de décroissance rapprocherait mécaniquement le mouvement de la décroissance d'une partie de l'extrême gauche. Si cette assertion se vérifie empiriquement, Timothée Duverger évoque également des « passerelles »109(*) possibles à droite.

Selon Serge Latouche la critique radicale de la modernité au coeur de la pensée décroissante a été historiquement « plus poussée à droite qu'à gauche »110(*) avec les penseurs contre-révolutionnaires Burke, De Maistre ou Bonald. Il existerait un « antiproductivisme de droite » qui aurait toujours de fortes convergences avec « l'antiproductivisme de gauche » dont se réclament les objecteurs de croissance. Ce rapprochement s'opère notamment à travers les écrits du philosophe Alain de Benoist. Membre du GRECE111(*), il publie en 2005 dans la revue d'extrême droite Éléments un article intitulé « Objectif décroissance »112(*). Alain de Benoist s'en prend au matérialisme et à la société de la consommation comme mode d'uniformisation culturelle engendrant l'effacement des identités. Dans ses nombreux écrits critiques de la modernité il se réfère sans complexes à des figures de la décroissance comme Baudrillard ou Latouche. Ce rapprochement trouve son point d'orgue dans la publication d'un manifeste en 2007 : Demain la décroissance !113(*). Il en appelle à une union des antiproductivistes au nom d'une « rupture radicale avec l'idéologie des Lumières, c'est-à-dire l'idéologie de la modernité »114(*). Cette proposition jette le trouble chez les objecteurs de croissance. La plupart réagissent en signant un appel contre l'extrême droite qui « affirme solennellement que nous n'avons [les militants antiproductivistes] rien à voir avec les émules d'Alain de Benoist, d'Alain Soral, du Front national, des catholiques intégristes,... »115(*). Malgré un déni clair de toute rapprochement, cette réaction sonne comme un aveu d'une certaine proximité avec les mouvements réactionnaires. Stéphane Lavignotte remarque à ce propos les ambiguïtés de certains théoriciens de la décroissance qui flirtent avec un conservatisme pur jus par leur critique du mariage homosexuel ou leur reprise des thèses du psychanalyste Jean Pierre Lebrun116(*).

En dépit de ces passerelles la plupart des théoriciens décroissants considèrent clairement leur projet politique à gauche. C'est même une « évidence » pour Serge Latouche parce qu'il se « fonde sur une critique radicale de la société consommation, du libéralisme et renoue avec l'inspiration originelle du socialisme »117(*). De la même manière Paul Ariès se place résolument dans le champ de la gauche et en appelle à « une autre gauche »118(*) antiproductiviste. Ce positionnement idéologique se traduit également par les stratégies de la décroissance dans le jeu politique. Ainsi les objecteurs de croissance exercent en premier lieu une influence sur les partis de la gauche. Le dialogue est instauré avec le Parti Socialiste. Le mouvement trans-parti Utopia qui porte des thèmes proches de la décroissance présente des motions aux Congrès du PS mais n'obtient jamais plus de 1%. Les rapports avec la social-démocratie n'en restent qu'au stade de la courtoisie mais les résultats sont plus probants avec les représentants de « l'autre gauche ». La création du Parti de Gauche par l'ancien socialiste Jean Luc Mélenchon s'accompagne d'un vrai dialogue avec les objecteurs de croissance. Paul Ariès et l'ancienne députée Verte Martine Billard pèsent alors de tout leur poids pour que le Parti de Gauche « revendique explicitement l'identité écologiste »119(*). Martine Billard et Vincent Cheynet (pour un temps) adhérent même au Parti de Gauche. Néanmoins celui-ci n'opère pas la mue écologiste escomptée en raison de son alliance avec le Parti Communiste caractérisé par son productivisme. Les discussions n'aboutissent pas à créer un parti de gauche ouvertement décroissant mais les relations restent amicales comme en témoigne les listes communes entre Parti de gauche et objecteurs de croissance aux régionales de 2010.

L'accueil est également favorable du côté du NPA qui se détourne dans ses principes fondateurs d'un « développement illimité de la production » pour se concentrer sur l'objectif de « la satisfaction écologique des besoins sociaux »120(*). Le NPA et le MOC rédigent même un communiqué commun avant les élections régionales de 2010 « pour une convergence de la gauche anticapitaliste et antiproductiviste et de l'écologie radicale »121(*).

L'antiproductivisme des objecteurs de croissance les conduit mécaniquement au-dessus du système partisan. Pour autant la volonté de peser de l'extérieur semble aujourd'hui contrebalancée par l'intégration croissante de la décroissance au jeu politique. La participation électorale se fait au nom d'un « écosocialisme » selon l'expression du philosophe Michael Löwy, ce qui permet d'entamer des discussions voire des alliances avec d'autres partenaires de la gauche radicale.

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Les objecteurs de croissance se veulent les héritiers d'une longue tradition antiproductiviste. Bien que d'inspiration socialiste, leur projet politique s'inscrit en faux contre les formations politiques de gauche comme de droite qui placent le productivisme au centre de leurs analyses et de leurs propositions. Ce constat entraine une certaine aversion des décroissants envers le jeu partisan dont les acteurs seraient les chiens de garde de la société de croissance. Par conséquent, mêmes les Verts seraient devenus des « éco-tartufes ». Les figures du parti écologiste font d'ailleurs régulièrement l'objet de portraits au vitriol dans la rubrique du journal La Décroissance du même nom. Ce refus de la société de croissance et de la politique partisane a précipité une partie considérable des objecteurs de croissance dans la recherche d'un « alter-monde », expérimentant la décroissance par leur éthique individuelle et leurs pratiques quotidiennes. Néanmoins le jeune mouvement n'a pas résisté longtemps à la tentation d'ancrer la décroissance dans la tradition de la démocratie représentative. Malgré les réticences d'instigateurs historiques tels que Serge Latouche, la décroissance tend à entrer dans une phase de participation électorale.

Cette innovation apporte deux enseignements capitaux dans notre entreprise de cerner un peu mieux les contours idéologiques de la décroissance. Tout d'abord l'entrée dans le jeu politique des objecteurs de croissance relève d'une manière finalement très classique de faire évoluer la société. Alors qu'ils dénonçaient sans vergogne les compromissions des partis politiques, mêmes « alternatifs », avec le système capitaliste, leur stratégie s'inscrit dans la même lignée. Les alliances avec le Parti de Gauche notamment accréditent l'idée d'un double discours des objecteurs de croissance critiquant à la fois le système partisan tout en y participant.

D'autre part la revendication anticapitaliste et les partenariats avec le parti trotskiste (Vincent Cheynet et Paul Ariès avaient en outre revendiqué la tête de liste Rhône Alpes au NPA pour les européennes de 2009) dissipe les ambiguïtés sur l'ancrage politique de la décroissance. Si l'antiproductivisme constitue la matrice du projet décroissant, l'antilibéralisme en constitue un axiome tout aussi important. Les vives adresses aux écologistes politiques sur leur supposé abandon de l'antiproductivisme sont ainsi à relativiser. La critique essentielle porterait en réalité sur l'adoption peu ou prou par les Verts de l'économie de marché. Avec la décroissance il s'agirait donc non seulement de  « laver plus vert » mais « plus rouge »122(*).

Chapitre 3 : L'antiproductivisme, un invariant politique des Verts français

Dans Les Partis Politiques en Occident123(*), Daniel Louis Seiler entreprend l'explication du phénomène partisan et la définition des partis politiques à travers une première partie intitulée « logique des projets ». L'analyse se place dans une logique de long terme, au sens des trois temps de Braudel, et nous amène à distinguer des « invariants culturels » qui fonde l'identité des partis. Notre hypothèse est ici que l'antiproductivisme constitue l'invariant culturel du parti écologiste. Il ne s'agit pas de dégager l'idéologie du parti écologiste, difficilement discernable car forcément fluctuante, mais une toile de fond permanente sur laquelle s'écrit le projet écologiste. Or toute la logique du projet des Verts depuis leur création en 1984 s'articule avec ce concept fondamental, iconoclaste dans le jeu partisan, d'antiproductivisme. Décroissance et écologie politique découleraient alors du même « logiciel » antiproductiviste.

Pour autant, les objecteurs de croissance adressent encore des critiques parfois virulentes au parti écologiste ou à certains de ses représentants. Ces attaques ne concernent que marginalement l'antiproductivisme des Verts qui est au coeur de leur corpus idéologique et à la source de leur constitution.

1. Les inimitiés de la décroissance contre les Verts

Dans une interview en 1994 au magazine Sciences Humaines, Serge Moscovici revenait sur son concept de minorité active à travers l'exemple des Verts : « La minorité qui bascule trop vite, c'est-à-dire qui adopte trop tôt les formes de relations et de comportements du groupe majoritaire, ne peut précisément pas devenir majorité parce qu'elle n'a plus son influence spécifique. [...] Le mouvement écologiste, dans lequel je suis engagé depuis sa création constitue un bon exemple de ce processus »124(*). L'intégration des Verts au jeu partisan supposerait la perte de leur caractère contestataire et empêcherait toute possibilité de voir advenir un jour le changement culturel et politique prôné. La thèse de Serge Moscovici est souvent reprise par les objecteurs de croissance pour s'opposer aux Verts. Néanmoins ces reproches se fondent plus sur le rejet du libéralisme, supposé accepté par les Verts, que sur leurs contradictions antiproductivistes. D'autant que certains courants et personnalités du parti écologiste participent au mouvement de la décroissance.

Les Verts « écotartufes » 

Acteurs reconnus du jeu partisan, les Verts font régulièrement l'objet de procès en compromission antiproductiviste de la part des objecteurs de croissance. Ils dénoncent une volonté ingénue de vouloir changer le système de l'intérieur quand la décroissance se revendique volontiers révolutionnaire. Cette critique s'illustre particulièrement dans le débat sur le Grenelle de l'Environnement.

Moins tenus par l'exigence de respectabilité qui incombe aux partis politiques, le mouvement de la décroissance n'hésite pas à vilipender avec force le parti écologiste lorsque ses prises de positions semblent en porte à faux avec les valeurs antiproductivistes qu'il défend. Dans ce rôle, c'est le journal La Décroissance qui monte le mieux la garde. A chaque parution, le mensuel attribue le sobriquet « d'écotartufe » à une personnalité politique ou publique défendant l'écologie mais sous l'angle de la croissance ou du capitalisme vert. Or dans le classement des « têtes de turc » de la décroissance, les représentants du parti écologiste figurent au premier rang. Noel Mamère, député Vert de Gironde, est attaqué pour reprendre et déformer les thèmes de la décroissance125(*). Dominique Voynet, candidate des Verts à l'élection présidentielle de 2007, est-elle vilipendée pour faire campagne sur le thème du développement durable126(*). Alain Lipietz est aussi régulièrement pris à partie pour ses positions nuancées sur le même sujet. Enfin Cécile Duflot, secrétaire nationale d'Europe Ecologie- Les Verts, est une des dernières en date à être tancée « d'écotartufette » dans le numéro de septembre 2011127(*). Les raisons de ces récriminations sont multiples, des accords électoraux passés avec des partis productivistes comme le Parti Socialiste à la défense du TGV. Le ton offensif employé par une partie des objecteurs de croissance s'inscrit dans une stratégie de dénigrement du parti écologiste afin de mieux placer la décroissance comme seule alternative crédible à la société de croissance. Une option tactique que l'on retrouve dans la dénonciation du Grenelle de l'environnement.

De septembre à octobre 2007 se tient le Grenelle de l'environnement à Paris. Cette grand-messe voulue par le Président Nicolas Sarkozy réunit tous les acteurs de l'environnement afin de prendre les mesures nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique, conserver la biodiversité et réduire les pollutions. La concertation a aussi pour conséquence de dépolitiser la question écologique en actant des consensus. La Décroissance dénonce immédiatement un « Grenelle des dupes »128(*) car il aurait essentiellement pour but de « vampiriser l'écologie pour la vider de tout contenu politique »129(*). Dans ce contexte, la participation de certains Verts (à titre individuel) aux réunions suscite le courroux des objecteurs de croissance qui s'émeuvent de la « collaboration » de certains écologistes avec le gouvernement de droite et les multinationales. Vincent Cheynet les accuse même de porter un coup fatal à la démocratie en consacrant le poids des lobbies130(*). Ces griefs se retrouvent dans les Contre-Grenelle de l'environnement organisés par La Décroissance où plusieurs représentants du parti écologiste sont à nouveau dépeints comme des écotartuffes131(*).

Le rapprochement de l'animateur de télévision vedette Nicolas Hulot du parti écologiste dans le cadre des primaires de l'écologie politique en juin-juillet 2011 a lui aussi provoqué l'ire des objecteurs de croissance. Le créateur d'Ushuaia est en effet le bouc émissaire préféré de la décroissance, très souvent épinglé pour son ambiguïté sur le nucléaire ou pour avoir lancer l'idée d'une écologie sans politique concrétisée à travers son Pacte pour l'Environnement en 2007. Après l'avoir qualifié « d'écolo radioactif »132(*) et s'être demandé si sa présence dans la primaire écologiste signait « la mort de l'écologie politique »133(*), La Décroissance se réjouie de l'échec de Nicolas Hulot à la primaire écologiste par un article provocateur : « Anne Lauvergeon rate de peu la primaire d'Europe Ecologie - Les Verts »134(*).

Le mouvement de la décroissance critique donc essentiellement la stratégie des écologistes qui tendrait à s'éloigner des valeurs antiproductivistes. A ce reproche s'ajoute une critique antilibérale qui prend d'autant plus d'acuité depuis la fondation du mouvement Europe Ecologie.

La critique des Verts  « libéraux-libertaires »

Nous avons pu le voir, la décroissance est autant un mouvement antiproductiviste qu'antilibéral. C'est sous ce deuxième aspect que les objecteurs de croissance critiquent le plus le parti écologiste et notamment ses dernières évolutions impulsées par le « libéral-libertaire » Daniel Cohn Bendit.

Les objecteurs de croissance tranchent sans hésitation la question du libéralisme. Pour Serge Latouche « la décroissance est, bien évidemment, une critique radicale du libéralisme, celui-ci entendu comme l'ensemble des valeurs qui sous-tend la société de consommation »135(*). Le libéralisme porterait en lui-même un système de valeurs (travail, compétition, vitesse, égoïsme, ...) incompatible voire contraire avec une société de décroissance. De ce fait les décroissants ne goutent guère aux velléités du parti écologiste de fondre son projet antiproductiviste dans l'économie de marché. Pour eux il s'agit là d'une contradiction totale qu'incarne à la perfection Daniel Cohn Bendit. Ce « libéral-libertaire », comme il aime à se qualifier lui-même, revendique l'inscription de l'écologie politique dans le champ d'un certain libéralisme. Dans un article de 2009136(*), Sophie Divry revient sur des propos tenus par l'eurodéputé écologiste dans un livre de 1998, Une envie de politique137(*). Elle évoque tour à tour des propositions libérales de l'ex leader de Mai 1968 qui aborde sans complexe les questions de la privatisation de services publics comme la poste ou du travail le dimanche. Les militants de la décroissance et de la gauche antilibérale se servent de ces écrits pour faire de Daniel-Cohn Bendit « d'idiot utile du capitalisme vert ».

Ces critiques sur le libéralisme qu'assume une partie des Verts se font d'autant plus fortes avec l'arrivée du mouvement Europe Ecologie. Cette liste pour les européennes de juin 2009 rassemble des personnalités diverses du parti écologiste et de la société civile sous la houlette de Daniel Cohn Bendit. Malgré la présence de proches de la décroissance tels Yves Cochet ou Jean Paul Besset, certains objecteurs de croissance y voient la victoire du courant libéral des Verts. Dans un livre à charge contre le co-président du groupe des Verts au Parlement européen, Paul Ariès et Florence Leray considèrent même qu'Europe Ecologie réalise « une disjonction entre le signe et le sens »138(*). L'affichage du rassemblement des écologistes cacherait en vérité un projet libéral de croissance verte.

Toutefois ces accusations doivent être nuancées. Les liens entre les objecteurs de croissance et le parti Vert sont plus nombreux que ce que ne laissent entendre les articles de La Décroissance et les écologistes revendiquent clairement une identité antiproductiviste.

Des divergences à relativiser

Les attaques dont le parti écologiste fait l'objet de la part des objecteurs de croissance ne sauraient résumer les rapports entre les deux mouvements. La simple lecture des éditoriaux sulfureux de La Décroissance ou des pamphlets décroissants laisserait supposer une opposition frontale. La réalité est plus complexe.

Les objecteurs de croissance s'en prennent tout d'abord aux écologistes car ce sont les seuls à être sensibles à leurs critiques. A l'exception du jeune Parti de Gauche et du NPA, dont le passage du marxisme matérialiste à l'antiproductivisme reste à démontrer, les Verts sont la seule formation politique à se réclamer explicitement de l'antiproductivisme. Il est donc plus facile de critiquer ceux dont ils se sentent le plus proche étant donné le peu d'écoute que leur accorde le reste du personnel politique. Les autres formations politiques tombent d'ailleurs rapidement dans la caricature lorsqu'il s'agit de décroissance comme en témoigne le discours du Président Nicolas Sarkozy à Aubervilliers le 28 Septembre 2009 : « Quand j'entends nos écologistes parfois dire qu'ils vont faire campagne sur le thème de la décroissance, est-ce qu'ils savent qu'il y a du chômage? [...] Est-ce qu'ils savent qu'il y a près d'un milliard de gens qui ne mangent pas à leur faim et que la décroissance ça veut dire plus de misère pour tous ces gens-là ? ». Les rapports conflictuels entre les Verts et certains objecteurs de croissance se matérialisent dans un entretien de Cécile Duflot au mensuel La Décroissance139(*). De la promotion de 4x4 par un élu Vert à la défense du capitalisme, l'interview ressemble à une succession de questions pièges. La secrétaire nationale des Verts y répond en soulignant les convergences avec le mouvement des objecteurs de croissance : « La vérité est ainsi que depuis toujours les Verts affirment sans hésitation qu'ils sont antiproductivistes et que leur objectif n'est pas de faire de l'écologie d'accompagnement »140(*). Il n'y aurait donc pas lieu d'établir une dichotomie entre écologistes et décroissants compte tenu de la nature antiproductiviste des deux projets.

D'autre part, il convient de ne pas négliger l'analyse « micropolitique » du mouvement de la décroissance. En effet nombre d'objecteurs de croissance ont été ou sont toujours militants du parti écologiste. Ainsi même Paul Ariès a été un temps membre des Verts. Les imbrications entre les Verts et les objecteurs de croissance se retrouvent au niveau des forces militantes. Au sein du parti écologiste, la décroissance possède un porte-parole en la personne d'Yves Cochet. Membre fondateur des Verts, ancien ministre de l'Environnement du gouvernement Jospin, député de Paris entre 2002 et fin 2011 (il siège depuis au Parlement européen), Yves Cochet est une figure historique du mouvement écologiste français. Lanceur d'alerte sur l'incapacité de l'environnement à se régénérer au rythme de l'utilisation des ressources par l'homme, Yves Cochet se revendique sans hésitation objecteur de croissance. Il contribue d'ailleurs activement à la revue de recherche sur la décroissance Entropia. Pour Yves Cochet la croissance économique comme objectif de maximisation du P.I.B est un non sens écologique qui conduit les sociétés occidentales droit à la récession. Il considère alors que « décroissance et écologie politique ne font qu'un »141(*) et ne reconnait que peu de désaccords sur le fond entre le parti écologiste et la décroissance.

A l'image des thèses défendues par Yves Cochet, la décroissance se retrouve dans les idées des Verts autour du concept d'antiproductivisme. L'analyse du corpus idéologique du parti écologiste confirme cette proximité.

2. Un corpus idéologique partagé ?

L'antiproductivisme est au coeur du projet écologiste et de la décroissance. Pour preuve le corpus intellectuel des Verts et des décroissants est sensiblement le même. Pour les Verts, l'antiproductivisme est la valeur fondamentale de leur engagement. Elle est ce qui fonde leur « raison d'être » en politique et les distinguent des autres partis.

Des références culturelles similaires

Il est souvent reproché aux écologistes de ne pas avoir de socle théorique ou idéologique identifié. Cette absence de « Petit livre Vert » n'est d'ailleurs pas sans lien avec le caractère mouvementé de l'histoire du parti écologiste. Les écologistes apparus en tant que force politique dans la deuxième moitié du vingtième siècle ne possèdent pas de manifeste fondateur comme peuvent en disposer les autres formations dont la pensée politique remonte au XIXème siècle voire avant. Dans la pensée de l'écologie politique il n'y a ni Capital ni Richesse des Nations, autant de sommes idéologiques qui aujourd'hui encore alimentent les réflexions des mouvements respectivement marxistes et libéraux. Il n'y a pas non plus de héros historiques pour incarner cette pensée et préciser son contenu comme Jaurès, Blum ou encore De Gaulle le firent en leur temps pour leur camp. La charpente idéologique des écologistes se constitue d'une myriade de textes écrits par des auteurs différents et d'une succession de mobilisations autour de luttes symboliques. La raison de l'éclatement des fondements du parti écologiste se situe d'abord dans le fait que l'écologie a d'abord été un mouvement social, comme nous le verrons plus loin, avant de devenir « politique ». D'autre part l'écologie politique est ce qu'Edgar Morin appelle une « pensée complexe ». Elle intègre diverses critiques de la société moderne et se place d'emblée dans une dimension planétaire. La thématique écologiste est donc évolutive, formée non pas d'un seul bloc mais de différentes strates.

Yves Frémion dans son Histoire de la Révolution écologiste définit l'écologie politique comme l'articulation entre « la défense de la nature et de l'environnement, la solidarité sociale, le combat démocratique pour une citoyenneté pleine et entière, et enfin l'équité entre pays du Nord et du Sud »142(*). Cette pensée politique émerge dans les années soixante et soixante-dix avec une génération de scientifiques et d'intellectuels qui refusent la société industrielle des Trente Glorieuses et expliquent les causes de son effondrement.

Yves Frémion s'essaie à faire la liste de « ces pionniers et penseurs de l'écologie moderne »143(*) : Des naturalistes Robert Hainard (critique radical du capitalisme au nom de l'exigence de la nature) et Simon Charbonneau, des économistes (Friedrich Schumacher, Jeremy Rifkin, Nicolas Georgescu-Roegen, François Partant), des environnementalistes (Barry Commoner144(*), Jean Marie Pelt, Albert Jacquard), des libertaires (Murray Bookchin, Paul Goodman) et des penseurs célèbres tels Hannah Arendt, Hans Jonas, Günther Anders, Edgar Morin, Jean Baudrillard ou encore Paul Virilio et Michel Serres. Parmi ces penseurs certains ont une influence directe sur la formation du mouvement écologiste. Jacques Ellul, André Gorz, Ivan Illich, Serge Moscovici ou René Dumont rejoignent le large cercle des théoriciens de l'écologie politique. Bien entendu l'ensemble de ces personnalités ne se revendiquaient pas toujours écologistes. Néanmoins leurs actions et travaux ont nourri cette offre politique nouvelle et ont contribué à en fonder le corpus idéologique. Nous ne détaillerons pas ici la pensée de ces auteurs auxquels nous avons déjà consacré, pour certains d'entre eux, de plus longs développements au chapitre premier. Toutefois remarquons que la dénonciation des dégâts du productivisme et/ou la formulation d'alternatives à la société productiviste constitue pour eux un véritable fil d'Ariane. Chacun à sa manière, plus ou moins directement, a mis en exergue les limites naturelles ou sociales de la société productiviste de consommation.

Il est dès lors peu surprenant de retrouver dans le bagage intellectuel de l'écologie politique nombre de références revendiquées également par la décroissance. Sans pousser la comparaison jusqu'à une analyse fouillée du contenu programmatique des sources précitées, ce qui d'ailleurs n'offrirait aucun gage de scientificité à notre démarche, cette similitude éclaircit le paysage des courants écologistes français. Décroissance et écologie politique sont les deux faces d'un même projet antiproductiviste. Cette nature antiproductiviste se retrouve également dans les textes fondateurs du parti écologiste.

Un texte fondateur clairement antiproductiviste

En 2008 le Parti Socialiste révisait sa déclaration de principes, sorte de vade-mecum idéologique et abandonnait pour la première fois de son histoire toute référence à la Révolution. Le parti écologiste s'est aussi doté de ce type de document à l'occasion de la « transmutation »145(*) des Verts en Europe Ecologie - Les Verts, nouveau mouvement prenant acte de la logique d'ouverture issue du succès électoral des européennes de 2009 et des régionales de 2010. Contrairement à la déclaration de principes socialiste ce texte fondateur n'est pas un aggiornamento idéologique. Il est au contraire une synthèse de la doctrine écologiste depuis leur entrée dans le jeu politique et inscrit dans le marbre l'identité antiproductiviste du parti.

Le 13 Novembre 2008 est officiellement adopté à Lyon le Manifeste pour une société écologiste146(*) rédigé par l'eurodéputé et ancien rédacteur en chef du journal Le Monde, Jean Paul Besset. Ce texte fondateur adopté par les militants n'est pas un projet ou une plateforme programmatique mais un ensemble d'idées force qui décrivent la vision des écologistes pour le monde de demain. Un tel manifeste est loin de relever de l'anecdote. Il établit un ensemble de représentations et de valeurs qui définit le cadre de l'action collective. Par-là, le manifeste pose des jalons idéologiques qui dessinent une ligne de pensée commune à tous les acteurs du parti écologiste. Dans le contexte de recomposition de la famille écologiste autour d'une dynamique d'union, l'importance de rappeler les fondements de l'écologie politique afin que chacun puisse s'y retrouver est loin d'être secondaire. De surcroît, dans un parti aux référents idéologiques dispersés, le Manifeste pour une société écologiste est une remarquable tentative de mettre à jour la permanence du projet écologiste dans l'espace et dans le temps. A l'étude du texte, l'objectif semble doublement atteint. Le manifeste affiche d'emblée sa prétention à l'universalité. Il se place sur le plan de « l'humanité » qui aspire « à refuser la défaite de l'Homme [...] partout dans le monde ». En cela les écologistes assument leur « projet global » qui prend tout simplement acte que la crise écologique a lieu et ne peut se résoudre qu'au niveau mondial. La permanence dans le temps se traduit par la déclinaison exhaustive du concept de l'antiproductivisme. Les mots « productivisme » et « productiviste » trouvent une occurrence à dix reprises dans un texte d'une quinzaine de page. Le mot « croissance » est lui présent onze fois et régulièrement accolé à l'adjectif « infinie ».

Au-delà de cette évaluation quantitative, c'est tout l'équilibre du texte qui est bâti sur la dialectique entre productivisme destructeur et antiproductivisme salutaire. Dès la troisième phrase elle prend une acuité certaine renforcée par la puissance du verbe : « Sous l'impact d'un système aveuglément productiviste et violemment inégalitaire, le train du progrès s'égare ». Cette dialectique s'illustre par la suite dans une série de questions rhétoriques (« comment interrompre la course suicidaire au productivisme sans provoquer une récession encore plus grave, [...] comment sortir d'un monde où les uns souffrent de manquer de l'indispensable tandis que d'autres sont soumis aux délires du consommer trop ») qui justifient l'émergence d'une nouvelle « offre politique » écologiste. Cette dernière affirme la volonté de libérer la société des « diktats irrationnels du productivisme » et d'incarner une « alternative crédible à la méga-machine productiviste, marchande, hyper consumériste et aliénante qui conforte l'oppression des plus fragiles et qui épuise la planète ». Le parti écologiste revendique alors un « projet en ruptures » dont la ligne de fond est de préférer « au dogme de la croissance infinie, la décroissance des excès ». La singularité de la vision écologiste n'épargne pas les acteurs traditionnels du jeu politique. Capitalisme et socialisme sont renvoyés dos à dos « saisis d'impuissance face à l'effondrement du credo productiviste qu'ils partagent ».

L'étude lexicale du texte fondateur d'Europe Ecologie - Les Verts démontre toute la portée de l'antiproductivisme dans l'engagement des écologistes en politique. Il est à la fois le prisme par lequel les écologistes posent leur diagnostic sur la société et celui à travers lequel ils proposent leurs remèdes. Sans surprise, on retrouve cet attachement dans le discours des élus Verts.

L'antiproductivisme, une valeur centrale pour les élus Verts

La production idéologique d'un parti politique n'est pas seulement l'apanage des textes fondateurs ou autres documents d'orientation. Elle passe également par le discours et la personnalité des acteurs de ce parti. Nous n'avons pas ici la prétention de dégager statistiquement les occurrences de la référence à l'antiproductivisme dans les discours et interventions médiatiques des chefs de file écologiste. Cependant le travail d'enquête réalisé pour cette étude peut constituer une indication intéressante.

Pour amorcer une vérification empirique de notre hypothèse selon laquelle l'antiproductivisme serait un invariant culturel des Verts français nous avons posé la question de la place de l'antiproductivisme dans les valeurs fondamentales des Verts à différents cadres écologistes. Parmi eux, nous avons déjà évoqué Yves Cochet pour qui l'antiproductivisme est au coeur de la pensée écologiste puisqu'il vient à en confondre écologie politique et décroissance. Deux autres membres historiques des Verts apportent également leur éclairage. Pour l'eurodéputée Catherine Grèze147(*) l'antiproductivisme est « l'essence même de notre projet »148(*) écologiste. C'est une « valeur clé » qui fait office de « dénominateur commun » aux écologistes. En effet l'élue du Sud-Ouest explique que les Verts sont un syncrétisme de « cultures différentes ». Aux environnementalistes majoritaires à la création du parti en 1984 s'ajoutent des profils plus « sociaux » avec l'arrivée plus tard de militants issus de l'extrême gauche et de déçus du Parti Socialiste Unifié (PSU). Hugues Stoeckel, ancien conseiller régional et membre fondateur des Verts, confirme également la centralité de l'antiproductivisme. Selon lui « c'est la valeur fondatrice »149(*) et il ajoute « sans laquelle on n'est pas écolo ». L'antiproductivisme serait alors non seulement au coeur du projet écologiste mais définirait également le périmètre politique de la famille écologiste. L'analyse de Jean Paul Besset est sensiblement la même, voyant dans l'antiproductivisme « l'identité même des écologistes depuis toujours »150(*).

Dans le même ordre d'idée Philippe Lamberts, eurodéputé écologiste belge et porte-parole du Parti Vert européen, caractérise l'antiproductivisme comme « la racine historique de l'écologie politique »151(*). Membre de la Commission économique et monétaire du Parlement européen, il met en exergue que la crise économique et financière légitime la critique de la société productiviste. Pour les écologistes c'est donc le moment « d'être radical » c'est-à-dire de « renouer avec ses racines » antiproductivistes. Le refus du productivisme est aussi un élément de différenciation vis-à-vis des autres formations partisanes. Dans un entretien accordé au sociologue Erwan Lecoeur, Cécile Duflot et Daniel Cohn Bendit mettent en avant l'autonomie du projet écologiste. La secrétaire nationale d'EELV définit en effet l'écologie politique comme une « capacité à dire que les discours dominants sur le productivisme et la croissance, discours partagé à droite et à gauche, ne sont pas des évidences »152(*). L'ex leader de Mai 1968 revient lui sur les sources du positionnement politique des écologistes : « Dans le ni gauche ni droite, il y avait quelque chose de vrai. C'est vrai qu'on est critique du productivisme de gauche et du productivisme de droite, donc on est ni à gauche ni à droite, on est autre part... »153(*).

L'écologique politique serait donc profondément marquée par le poids de l'antiproductivisme. Faute d'un nombre d'entretiens suffisant pour valider empiriquement l'hypothèse, il faut se garder de toute conclusion généralisante. Toutefois l'étude du corpus intellectuel, du texte fondateur et des valeurs communes à ces représentants permettent de définir ce concept comme l'ossature du projet écologiste. D'autant que l'antiproductivisme est également au coeur de l'histoire du parti écologiste et de ses péripéties.

3. L'antiproductivisme à la genèse du parti écologiste

Les Verts - Confédération écologiste - Parti écologiste naissent officiellement au congrès de Clichy les 28 et 29 janvier 1984. Point d'aboutissement autant que point de départ, c'est le résultat d'efforts menés depuis des années par des militants écologistes afin de bâtir un parti écologiste. Point d'aboutissement car le parti écologiste est la concrétisation d'un mouvement de fond au coeur duquel se trouve l'antiproductivisme. Point de départ car cette ligne politique sera l'objet de vives discussions à travers la jeune histoire de l'écologie politique française.

Des luttes symboliques et fondatrices

A partir de la seconde moitié du XXème siècle, la question de la finitude des ressources de la planète prend une acuité croissante. Les années soixante et soixante-dix sont le temps du « déclic » de l'engagement politique pour beaucoup d'écologistes. La période marque en effet le déclin du règne de la croissance et du progrès. La question de la finitude des ressources de la planète devient prégnante. C'est alors à la confluence des mouvements environnementalistes et libertaires que nait l'écologie politique.

Concomitamment à la contestation sociale de mai 1968 se développe à la fin des années soixante une nébuleuse d'associations environnementalistes. Déjà présentes dans les années cinquante, elles connaissent un fort développement et gagnent en influence. Une grande partie d'entre elles se regroupent ainsi dans la « Fédération française des sociétés de protection de la nature », devenue aujourd'hui France Nature Environnement (FNE). Dans ce qui deviendra une terre écologiste, de nombreux comités de défense de l'environnement s'unissent au sein de la Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature (FRAPNA). D'autres associations aux formes diverses voient également le jour dans ces années-là, déclinant en outre la version française de structures internationales (Greenpeace en 1971 et les Amis de la Terre en 1976). Remarquons ici que certaines figures du mouvement écologiste naissant sont déjà présentes dans ces associations : Antoine Waechter au sein de l'Association Fédérative Régionale pour la Protection de la Nature (AFRPN) ; Philippe Lebreton à la FRAPNA ; Yves Cochet à la Société pour l'étude et la protection de la nature en Bretagne, etc. Cette première phase du mouvement écologique est scientifique. Les travaux de Jean Dorst ou Barry Commoner inspirent ces collectifs sur les dangers de la société industrielle. Il ne s'agit pas encore d'ancrer des propositions politiques dans la réalité sociale mais d'alerter sur les dégâts environnementaux du productivisme. La thématique écologique prend pied dans l'opinion publique relayée par l'intérêt croissant des médias. Des magazines grand public (Actuel, Politique Hebdo,...) publient ainsi des reportages sur l'écologie mais plus intéressant est l'émergence de nouvelles revues militantes. Des publications comme Combat Nature (1971), La Gueule ouverte (1972) ou Le Sauvage (1973) sont en effet autant de revues qui contribuent à affermir le mouvement écologiste.

La nébuleuse écologiste constituée au départ majoritairement d'environnementalistes prend progressivement la forme d'un mouvement social. Pour le sociologue Erik Neveu, les mouvements sociaux se définissent comme des « formes d'action collective concertée en faveur d'une cause »154(*). Ils agissent et revendiquent toujours contre quelqu'un ou quelque chose. En l'occurrence le mouvement écologiste va prendre corps dans des luttes aussi symboliques que le combat antinucléaire. La lutte contre le nucléaire constitue ce que nous pourrions appeler un « lieu d'unification » du mouvement écologiste encore composite. Le nucléaire représente en effet l'exact inverse des valeurs et thèses écologistes. Il est le symbole d'un Etat centralisé et policier (André Gorz le qualifia « d'éléctrofascisme ») et véhicule l'idée d'une domination totale de la nature par la sacralisation de la technique. Aussi les écologistes considèrent le nucléaire comme un des symboles de la société de consommation. Une production massive d'énergie, à partir de ressources fossiles, ancre dans l'imaginaire collectif la représentation de l'illimité qui engendre le gaspillage. Cette critique dense de l'énergie atomique rassemble les environnementalistes et les libertaires au sein d'un même mouvement antinucléaire. Ce dernier connait un succès certain dans les années soixante-dix. En 1971, mille cinq cents personnes manifestent contre le projet de centrale à Fessenheim (Alsace). Peu après, c'est dans l'Ain que quinze mille personnes se réunissent pour dire non à la centrale du Bugey. Le mouvement antinucléaire tient même un succès éclatant avec l'abandon par le Président Mitterrand d'un projet de centrale à Pogloff (Bretagne) après des années de lutte. La protestation tourne mal cependant à Creys-Malville en 1977 où une manifestation non autorisée dégénère en affrontements avec les forces de l'ordre et fait un mort.

Le mouvement antinucléaire est en filigrane une remise en cause du modèle productiviste mais aussi de la science et de la technique. Ce lieu d'unification de la mouvance écologiste est le plus symbolique parmi d'autres (la lutte contre le camp militaire au Larzac, le soutien aux ouvriers de l'usine de montre Lips,...). L'antiproductivisme est donc au centre de l'engagement des écologistes en tant que mouvement social. Il le sera tout autant au moment de franchir le pas de l'engagement politique.

La candidature du radical René Dumont

Dans la constellation écologiste, des voix s'élèvent dès le début des années soixante-dix pour faire entrer l'écologie dans l'arène politique. En 1973 une première initiative est lancée en Alsace avec « Ecologie et Survie » qui marque la première expérience électorale d'Antoine Waechter. Néanmoins c'est avec la campagne présidentielle de 1974 que le mouvement écologiste prend un tournant politique et médiatique. La candidature de René Dumont est l'acte de naissance de l'écologie politique.

Après une décennie de luttes, le mouvement écologiste naissant a déjà connu quelques victoires et beaucoup d'échecs. Le grand renversement espéré par les agitateurs du Printemps 1968 n'a pas eu lieu. Après l'expérience ratée de la candidature de l'instituteur antinucléaire Jean Pignero à l'élection présidentielle de 1965 (il n'avait pas obtenu le nombre de signatures requis), beaucoup d'écologistes pensent à présenter un des leurs à l'élection de 1976. Or le décès prématuré du Président Pompidou précipite leurs plans. Les milieux écologistes n'ont que quelques jours pour trouver un candidat. Après le refus du Commandant Cousteau et du leader des Lips Charles Piager, c'est finalement l'agronome à la retraite René Dumont qui est choisi. Sans parti ni organisation politique, René Dumont réussit néanmoins à fédérer autour de lui une grande partie des écologistes. Il est le candidat d'un mouvement social et fait campagne dans cette logique. L'intérêt pour cette étude n'est pas de détailler l'ensemble du parcours électoral du premier candidat écologiste à l'élection présidentielle ni d'en apprécier la portée sur le jeu politique français (il fera un score de 1,32 %) mais de distinguer les grandes lignes de sa campagne. En effet l'expérience de René Dumont est considérée comme fondatrice pour le mouvement écologiste et pour le parti Vert dont la création dix ans plus tard se fera dans le même sillon.

La candidature de René Dumont est celle d'un lanceur d'alerte. Dans un contexte international marqué par le premier choc pétrolier et la publication du rapport du Club de Rome, il est le vecteur politique de cette prise de conscience des méfaits du productivisme. Pourtant, René Dumont est un converti. Agronome reconnu, il a longtemps vanté les mérites de l'agriculture intensive pour subvenir à la faim dans le monde. Ce n'est qu'à travers ses voyages dans les pays du Tiers monde et à la lecture du Rapport Meadows qu'il changea définitivement d'avis. Candidat d'un mouvement composite, il s'emploie à faire la synthèse des environnementalistes et des partisans d'une campagne axée à gauche. La campagne a alors pour but de dénoncer les mythes du progrès et de la croissance. Elle est une critique virulente de « l'économie des 5 P : Profit, Puissance, Prestige, Pillage et Pollution ». Novice en politique, René Dumont ne s'en révèle pas moins fin communicant. Ses déplacements à vélo, son pull-over rouge ou ses passages télévisés dans un desquels il boit un verre d'eau (« avant que nous n'en manquions ») sont autant d'images symboliques qui marquent l'esprit des Français. L'écologiste incarne son projet et se pose en alternative radicale avec un slogan qui cristallise à lui seul la pensée du courant écologiste : « A vous de choisir - L'utopie ou la mort ».

Sans prendre de gants, René Dumont développe une critique antiproductiviste radicale encore largement incomprise voire moquée par les autres acteurs du jeu politique et les électeurs. Au second tour, il ne donne pas de consigne de vote, aucun des deux candidats ne s'engageant sur ses propositions. Pour autant il indique voter à titre personnel pour François Mitterrand. Cette équation démontre à elle seule le souci d'autonomie du mouvement écologique et la complexité de son positionnement politique.

L'autonomie, un principe étriqué

Le postulat antiproductiviste du parti écologiste le conduit à rejeter avec force les partis traditionnels élevés aux mamelles de la croissance et du progrès. Sur la base de cette singularité le parti Vert met donc en oeuvre une doctrine politique déjà exercée par René Dumont en 1974, l'autonomie. L'invariant antiproductiviste se traduit donc également dans le positionnement politique des Verts.

L'écologie politique est doublement méfiante à l'égard du jeu politique. D'une part une certaine tendance écologiste considère que politiser l'écologie ne peut conduire qu'à la vider de sa substance et qu'il vaut mieux dès lors tenter « d'écologiser la politique ». De l'autre les écologistes, mêmes membres du parti Vert, refusent de se placer sur l'axe gauche-droite. Ce positionnement « ni gauche - ni droite » définit moins une propension centriste qu'une volonté d'affirmer la singularité d'un projet autonome. Le Manifeste pour une société écologique est très clair sur ce point : « Ce projet s'inscrit sur un autre registre que celui qui soumet tout choix politique au curseur du libéralisme ou de l'étatisme, reproduisant ad nauseam un affrontement tribunicien entre capitalisme et socialisme ». La remise en cause du productivisme portée par les écologistes rend caduc toute référence au clivage droite-gauche qui devient inopérant. L'autonomie est alors indissociable du projet écologiste et s'applique sur le plan électoral. En 1981, le candidat écologiste Brice Lalonde refuse de donner une consigne de vote à l'issue du premier tour malgré un score non négligeable de 3,87 % (il arrive premier parmi les « petits » candidats) et l'hypothèse historique d'une victoire de la gauche sur le Président Giscard d'Estaing. Mais au-delà du consensus sur la situation de l'écologie politique « ailleurs » que sur l'axe gauche-droite, ce positionnement « ni-ni » amène un vif débat qui anima bon nombre des assemblées générales du parti des Verts.

Le « ni gauche-ni droite » fait florès rapidement chez les Verts. C'est ce qu'Yves Frémion appellent « les années Waechter »155(*). Dès 1986, la motion « Affirmer l'identité politique des écologistes » présentée par le biologiste alsacien Antoine Waechter bat largement celle d'Yves Cochet. « L'écologie n'est pas à marier » est la ligne politique que défend le nouveau porte-parole Antoine Waechter, avec un certain succès. Il obtient en effet 3,78% des voix à l'élection présidentielle de 1988 (soit presque autant qu'en 1981) et les Verts atteignent 6,8 % des voix aux élections régionales de 1992. L'écologie politique se construit sur une ligne environnementaliste et met ses propositions sociales au second plan. Mais si l'autonomie politique trouve un certain écho dans l'opinion, elle se brise sur la logique majoritaire du système partisan français. En 1993, les Verts, en entente avec Génération Ecologie (le mouvement de Brice Lalonde qui avait réalisé 7% des suffrages aux régionales de 1992), refusent tout accord avec le P.S pour les législatives malgré des propositions intéressantes. Au final, ils réalisent 8% des voix mais n'obtiennent aucun élu. La limite du « ni-ni » est atteinte, les écologistes restent bloqués sous le plafond de verre du scrutin majoritaire. L'écologie politique entre alors dans une nouvelle phase incarnée par Dominique Voynet qui prend le parti à l'Assemblée Générale de Lille fin 1993. Partisane d'une ligne plus « sociale » elle assume clairement une stratégie d'alliance notamment avec le parti socialiste. Une stratégie qui se concrétise avec la participation au gouvernement de « gauche plurielle » à partir de 1997.

L'antiproductivisme est à la source du parti écologiste. C'est en effet le chainon essentiel qui unit les différentes tendances de l'écologie (environnementalistes et « sociaux ») au sein d'un même mouvement politique. Bien qu'il ne soit pas un facteur exclusif, l'antiproductivisme éclaire une grande partie de la jeune histoire de l'écologie politique française. Son corollaire, l'autonomie est néanmoins relativisée à mesure que les écologistes souhaitent s'investir dans de nouvelles responsabilités.

***

Tous les fondements de l'écologie politique qu'il s'agisse de l'écologie scientifique, des sociétés de protection de la nature ou encore de la contestation sociale du modèle industriel des Trente Glorieuses mettent en avant une même pensée antiproductiviste. Ces différentes sources valident l'hypothèse d'un invariant culturel antiproductiviste chez les écologistes français. L'antiproductivisme constitue l'identité du projet écologiste sur le long terme et définit la ligne de démarcation des écologistes dans le jeu politique. C'est en effet ce qui les distingue des autres formations partisanes y compris classées à gauche et avec lesquelles ils partagent d'autres valeurs. Alain Lipietz résume d'une phrase ces relations alambiquées avec la gauche : « Notre conception du mieux n'est pas la même »156(*).

Conclusion Titre Premier 

L'antiproductivisme comme logique du projet écologiste a l'avantage de faire émerger une certaine unité dans les sources de l'écologie politique. Dans cette mosaïque d'idées parfois sans cohérence, l'antiproductivisme est en effet la seule idée invariable qui permet de structurer l'engagement des écologistes du mouvement social au parti politique. Définir la logique du projet écologiste semble par ailleurs plus adéquat que de se lancer dans une tentative hasardeuse de cerner l'idéologie écologiste. En raison des multiples influences de l'écologie politique et des nombreux soubresauts qui ont émaillé son histoire, il fort probable que cet essai se soit soldé par une conclusion aléatoire.

L'axiome antiproductiviste qui préside à logique du projet écologiste semble par ailleurs confirmer l'hypothèse d'une convergence entre la décroissance et l'écologie politique incarnée par le parti Vert. Au regard du partage de nombreuses références, la ligne de fracture est difficilement situable sur la remise en cause du productivisme contrairement aux allégations des objecteurs de croissance. Si divergence profonde il y a, elle se situe sur le plan du rapport au libéralisme comme l'attestent les liens de la décroissance avec une certaine extrême gauche.

A ce stade, l'enseignement capital de cette étude croisée entre la décroissance et le parti écologiste démontre l'inanité des méthodes classiques de situation des partis politiques. L'antiproductivisme postulé par le parti Vert rend obsolète la représentation classique du champ partisan sur la base du critère gauche-droite. D'où l'intérêt d'une nouvelle définition des clivages partisans.

Titre Deux : L'activation d'un clivage productivistes/antiproductivistes

L'étude de l'invariant du projet écologiste nous amène à discuter la place des partis Verts dans l'espace politique. L'approche multidimensionnelle des partis politiques nous permettra de les situer dans la trame de l'histoire sociale et de mettre en exergue leurs spécificités. A travers la théorie des clivages partisans nous essayerons de discerner les logiques profondes qui aboutirent à la création des partis écologistes et de démontrer l'influence de la décroissance sur le parti Vert français.

L'étude de l'idéologie ne peut cependant se résumer à une analyse externe. Il convient également d'adopter une approche complémentaire pour s'immiscer dans la mécanique identitaire des organisations partisanes. Ce détour théorique est un préalable nécessaire pour interpréter l'idéologie non plus comme un fait total qui s'impose aux acteurs mais comme un produit complexe en constante redéfinition. Dans ce cadre la décroissance est au centre des tensions identitaires qui traversent le parti écologiste.

Chapitre 4 : La théorie des clivages comme prisme d'analyse de l'écologie politique

Les politologues ont souvent essayé de classer les différentes familles partisanes en fonction de leur idéologie. Le piège est alors de tomber dans un nominalisme restrictif qui consisterait à plaquer invariablement un critère unidimensionnel pour classer chaque formation. Ainsi les partis sont souvent placés sur un continuum droite-gauche par le sens commun. Cet énoncé a été repris scientifiquement avec la théorie dualiste de Maurice Duverger notamment.

Or notre étude de la logique du projet écologiste tend à infirmer la thèse du dualisme droite-gauche. La nature antiproductiviste des Verts les conduit à revendiquer une autonomie qui lézarde la représentation intuitive de l'espace partisan en deux blocs antagonistes. Cette faille s'ouvre d'autant plus avec l'entrée de la décroissance dans le jeu politique qui pulvérise les oppositions droite-gauche au nom de la révérence des deux parties à la même religion de la croissance.

La science politique traditionnelle appuyée sur les théories dualistes semble bien en peine pour expliquer la place du parti écologiste dans l'espace partisan français, entendu comme un système de relations et de positionnements relatifs entre les différents acteurs du jeu politique. C'est pourtant un objectif majeur de la discipline que de mettre à jour les soubassements et les logiques qui structurent cet espace. Pour éviter l'écueil des représentations données par les acteurs eux-mêmes, certains politistes ont néanmoins fondé des outils d'analyse multidimensionnels à travers la notion de clivage partisan. Cette méthode nous semble plus appropriée pour éclaircir le positionnement politique du parti Vert.

Après avoir caractérisé les difficultés rencontrées par les politistes pour démêler les fils de l'espace partisan français, nous interrogerons la pertinence de la théorie des clivages proposée par Stein Rokkan et Seymour Martin Lipset au regard de l'émergence de partis écologistes.

1. La difficile structuration de l'espace partisan français

Les politistes ont depuis longtemps essayé de décrire scientifiquement l'espace politique français. La tâche n'est pas aisée tant l'utilisation des références « gauche » et « droite » est récurrente dans les analyses des journalistes, hommes politiques ou simples citoyens pour interpréter le jeu partisan. Pourtant cette nomenclature résiste difficilement à l'examen et demeure insuffisante pour caractériser avec précision l'espace politique français, en dépit des tentatives de formulations scientifiques.

L'illusion du clivage droite-gauche

Les commentateurs politiques, des plus illustres aux plus simples, emploient depuis longtemps les termes « droite » et « gauche » pour distinguer les différentes forces politiques et décrire leurs interactions, c'est à dire la vie politique. Cette lecture classique de l'échiquier politique, qui n'est d'ailleurs pas propre à la France mais également consacrée dans une grande partie des pays occidentaux, s'est ancrée dans l'imaginaire collectif des Français. Si bien que le sens commun en viendrait presque à devenir performatif pour fonder une réalité empirique. Les termes « gauche » et « droite » proviennent en effet d'une longue tradition historique. Marcel Gauchet explique que la représentation droite-gauche apparait à la Révolution française157(*). Lors de l'examen par l'Assemblée constituante de la question du droit de veto royal, les partisans d'un pouvoir absolu se rangèrent à droite du Président de l'Assemblée tandis que les promoteurs d'un pouvoir de veto suspensif se plaçaient à sa gauche. Ce mythe fondateur du clivage droite-gauche est toutefois à relativiser. Marcel Gauchet relève la difficulté à marquer d'une pierre blanche l'instauration d'un tel dualisme. Il serait en fait plutôt le fruit d'un mouvement progressif calqué sur le modèle parlementaire anglais et notamment la bipartition de la Chambre des Communes entre majorité et opposition disposées face à face. D'autres analyses font même valoir que cette vision du spectre politique soit issue d'un processus beaucoup plus long qui ne se traduirait concrètement dans l'opinion publique qu'à l'orée du XXème siècle158(*).

Compte tenu de notre histoire marquée par les affrontements entre droite et gauche, classer les partis politiques dans ces catégories relève au premier abord de l'évidence. Or à y regarder de plus près elle suscite de nombreuses interrogations. En effet il est impossible de définir précisément ce que recouvrent les termes de droite et de gauche. Une des définitions le plus souvent admise a pour critère la propriété des moyens de production et la manière de parvenir à la meilleure allocation des ressources possible. Selon cette grille de lecture, la gauche regrouperait les partis prônant une propriété plutôt collective des moyens de production et un rôle fort de l'Etat dans l'allocation des ressources tandis que la droite rassemblerait ceux proposant à l'inverse une privatisation des moyens de production et le libre jeu du marché pour décider de la répartition des ressources. Notons ici que les partis écologistes sont déjà notoirement exclus de cette définition puisqu'ils s'interrogent d'abord sur ce qu'il faut produire avant de poser la question de comment le faire.

Nonobstant le caractère déjà très restrictif de ce critère, cela n'empêche pas de fortes fluctuations de la gauche et de la droite dans le temps et dans l'espace qui vide ainsi la dichotomie de son contenu. En effet la définition évoquée ci-dessus trouve une certaine cohérence jusque dans les années 1980. La gauche propose alors un projet contradictoire à celui de la droite aux affaires. La distinction gauche-droite sur critère idéologique a encore du sens. Elle le perd en grande partie à partir de l'arrivée de la gauche au pouvoir qui se convertit dès 1983 à l'austérité budgétaire et à l'économie de marché. Le gouvernement Jospin ne reviendra pas plus sur cette déviation du champ historique de la gauche en privatisant massivement les entreprises publiques. De cette confusion empirique des idées se déduit le principe qu'il est impossible de donner un contenu idéologique permanent aux notions de droite et de gauche.

Le clivage gauche-droite perd également son intérêt lorsqu'il est appliqué dans d'autres pays. S'il fonctionne relativement bien en France où le système majoritaire contribue à forger un certain bipartisme, ce n'est pas le cas partout. Par exemple le comparatiste Jean Blondel a mis en exergue des systèmes à « deux partis et demi » comme au Canada. Le parti arrivant troisième et permettant le cas échéant de former une majorité n'est pas nécessairement centriste (les sociaux-démocrates occupent ce rôle au Canada). Aux Etats Unis, le système partisan est très structuré autour du parti démocrate et du parti républicain. Toutefois il serait hasardeux d'en déduire une dualité droite-gauche. D'une part l'orientation politique de chaque parti varie sensiblement en fonction de ses rapports de force internes (les démocrates des Etats du Sud sont dans un sens plus à droite que les républicains du Nord). D'autre part caractériser le parti démocrate comme l'homologue outre Atlantique du parti socialiste français est un abus de langage puisque même la droite française s'en réclame.

La dualité droite-gauche est donc trop aléatoire pour constituer une théorie valable. La classification des partis politiques en fonction de ce critère serait à géométrie variable. Mais si la catégorisation droite-gauche est celle du sens commun, les politistes ont essayé malgré tout de lui donner une dimension scientifique.

Les tentatives de typologies scientifiques

Les lacunes de la classification des partis en fonction du critère droite-gauche n'ont pas empêché certains politistes de systématiser des approches basées sur ce schéma159(*). Ce dualisme est en effet tellement prégnant dans l'inconscient politique des citoyens qu'il s'agissait de ne pas l'écarter sans s'y intéresser plus avant.

Le plus illustre énoncé du dualisme droite-gauche sur le plan scientifique réside certainement dans l'analyse de Maurice Duverger. Dans son ouvrage Les Partis Politiques160(*) le juriste français se réfère à l'histoire des oppositions politiques pour en déduire une logique naturelle au dualisme : « Armagnacs et Bourguignons, Guelfes et Gibelins, Catholiques et Protestants, Girondins et Jacobins, Conservateurs et Libéraux, Bourgeois et Socialistes, Occidentaux et Communistes ; toutes ces oppositions sont simplifiés mais seulement par effacement des distinctions secondaires »161(*). La logique du conflit politique conduirait inévitablement à la bipolarisation de l'espace politique. Mais la thèse de Duverger ne se limite pas au caractère naturel du dualisme. Duverger inaugure aussi l'approche multidimensionnelle en affirmant que les dualismes sont en réalité pluriels. Les tendances politiques s'opposent de manière antagoniste mais sur des enjeux différents. Les critères religieux, économiques et de la politique étrangère permettent de distinguer six familles politiques (communistes, socialistes, chrétiens-progressistes, radicaux, démocrates-chrétiens, droite)162(*). Pour Duverger les dualismes se superposent ce qui relativise l'opposition droite-gauche, un parti pouvant être marqué à gauche mais avoir une position de droite sur un sujet particulier163(*). La théorie des dualismes multiples de Duverger est donc plus fine que la simple conception de l'échelle droite-gauche. Pour autant il semble s'en détourner en posant l'hypothèse que le type de scrutin détermine le système de partis. L'idée est en contradiction avec la multiplicité des dualismes puisqu'il suffirait de passer au scrutin majoritaire pour qu'un système bipartisan les annihile en les absorbant.

Bien que la thèse développée par Duverger soit relativement convaincante elle demeure fortement influencée par le contexte politique de la IVème République qu'elle tente en partie d'expliquer. Sa dimension comparative est assez limitée d'autant que, pour ce qui nous intéresse, il est bien difficile d'y trouver des réponses sur le positionnement des partis écologistes (et pour cause ils furent créer plus de vingt ans après la publication des Partis Politiques). Parmi les initiatives pour rénover le dualisme droite-gauche, la redéfinition d'un continuum droite-gauche par Jean Blondel est une des plus intéressantes. Il se détache de la dichotomie classique droite-gauche fondée sur de fragiles attelages idéologiques pour se concentrer sur les systèmes de partis. Son étude164(*) l'amène à croiser différents facteurs pour dénombrer finalement six familles de partis (communistes, socialistes, libéraux-radicaux, agrariens, chrétiens-démocrates, conservateurs) sur un axe droite-gauche. En dépit des efforts réalisés pour sortir du piège du gradient universel droite-gauche, le continuum de Blondel ne se valide qu'imparfaitement de manière empirique165(*). En outre les écologistes, non catégorisés par Blondel, n'ont pas leur place sur cette ligne droite-gauche. L'approche dualiste, même réformée sous l'angle de Blondel, ne permet pas d'appréhender les partis Verts qui revendiquent eux-mêmes une volonté de la transcender.

Le poids de la conception droite-gauche dans l'action et le commentaire politique ne suffisent pas à en faire un outil scientifique cohérent pour discerner les différentes familles de partis. Devant les lacunes des théories dualistes, des politistes ont cherché à redéfinir le contenu des notions « gauche » et « droite » pour s'adapter à la plasticité des espaces partisans. Des oppositions entre ordre/progrès, conservateurs/progressiste, régulation/dérégulation166(*) ont été substituées à celle de droite/gauche mais sans jamais réussir à en supprimer les défauts.

D'autres approches permettent de pallier ces imperfections en proposant des typologies globalisantes non intuitives à l'instar de celle développée par Stein Rokkan et Seymour Martin Lipset.

2. Vers une taxinomie universelle des partis politiques : La théorie des clivages de Rokkan et Lipset

Ce qui précède a tenté de démontrer que la classification des partis par le critère droite-gauche n'était pas toujours pertinente. La science politique a toutefois proposé d'autres outils pour interpréter le phénomène partisan. La théorie multidimensionnelle de Stein Rokkan et Seymour Martin Lipset167(*) en constitue certainement l'essai le plus brillant. Dans un ouvrage classique, ils classent les partis en fonction de clivages issus de conflits historiques traversant les sociétés d'Europe de l'Ouest. Nous reviendrons donc sur la notion de clivage avant de la préciser dans le modèle de Stein Rokkan

La structuration des clivages

La théorie élaborée par Rokkan et Lipset emprunte aux travaux de l'anthropologue Talcott Parsons et au courant fonctionaliste en général. La société est envisagée en tant que système social ; elle produit des antagonismes qui entrainent des luttes sociales. D'abord informelles, ces « contradictions » violentes s'institutionnalisent progressivement pour devenir « conflits ». Ces conflits sont régulés par le politique qui se fait, à travers l'histoire, l'agent de leur pacification. A la source du modèle de Rokkan se trouve donc l'idée d'une société naturellement structurée par des oppositions sociales, des conflits, que les organisations partisanes auraient vocation à exprimer.

Les clivages mis en évidence par le politiste norvégien procèdent de la dialectique du conflit. Chaque contradiction sociale entraine l'apparition de deux forces qui s'opposent, deux partis qui se positionnent chacun sur un versant du clivage. Pierre Bréchon définit le clivage comme « un conflit bureaucratisé et routinisé où les demandes sociales trouvent des lieux pour se dire et se réguler »168(*). Dans cette optique le parti politique est interprété de manière sociologique. La base et le conflit social précèdent l'organisation du parti. Le politologue belge Vincent de Coorebyter reprend cette idée en précisant la notion de clivages169(*). Il distingue trois strates successives à l'origine de la formation de clivages. La première strate est un « déséquilibre profond » qui touche directement la vie sociale et engendre un rapport de force entre les partisans du statu quo et ceux qui veulent le changement. Dans un deuxième temps la société civile s'organise par elle-même. La faction désireuse du changement met en place des structures et actions collectives (associations, journaux, manifestations,...) et désigne nommément son opposant. Ce dernier s'organise lui aussi et entre dans la confrontation. Le conflit se cristallise finalement dans la création de partis politiques. L'organisation de la société civile sur chacun des versants de clivage conduit à une certaine polarisation du corps social. Ce mouvement est parachevé par les organisations politiques qui ont pour but de porter plus loin la volonté de changement du déséquilibre ou au contraire de le maintenir.

La structuration de la société par les clivages pose ainsi les bases d'une classification des partis politiques sur une échelle aussi large que l'Europe de l'Ouest comme le propose le modèle de Rokkan. Les partis ne sont pas envisagés singulièrement dans leur espace donné mais comme membres d'une « famille » de partis. Une famille procède en effet d'une culture politique héritée d'un même versant du clivage. Pour comprendre comment discerner les différentes familles politiques il faut donc revenir aux contradictions sociales originelles dont les partis ne sont que le prolongement.

Le modèle de Rokkan et Lipset

Le politiste norvégien Stein Rokkan est un des premiers à envisager les sociétés européennes contemporaines sous l'angle des clivages. Sa théorie repose sur deux types de facteurs qui induisent quatre clivages fondamentaux : les axes conflictuels et les révolutions. C'est sur ces clivages que se greffent l'ensemble des partis politiques de l'espace étudié, à savoir le monde occidental.

Avant la publication de Party Systems and Voter Alignments, Maurice Duverger avait déjà initié, à son corps défendant, l'approche multidimensionnelle de la constitution des partis en évoquant un « entrecroisement des clivages ». Mais l'étude de Stein Rokkan va plus loin. Son paradigme macro-analytique s'appuie sur la socio-histoire pour repérer des clivages qui sont autant d'invariants historiques. Autrement dit, les clivages sont des structures sociales envisagées sur le long terme. Cette approche rejoint celle des trois temps de Fernand Braudel. Dans son étude du monde méditerranéen170(*), l'historien file la métaphore de la mer pour distinguer différents temps : le temps court, celui de la vie humaine et des vagues ; le temps moyen des cycles de plusieurs décennies assimilables aux variations de marée ; le temps long, géographique, presque immobile comme les fonds marins. C'est dans ce dernier temps que se comprennent les clivages mis en lumière par Rokkan.

Il identifie deux périodes particulièrement marquantes pour l'histoire des sociétés occidentales qu'ils nomment « révolution » : la révolution nationale (XVIème-XIXème siècle) qui, dans le contexte des guerres de religions, consacre l'Etat nation et affirme le rôle d'un Etat fort et centralisateur ; la révolution industrielle (XIXème siècle) qui bouleverse la vie économique et sociale avec le passage d'une économie d'autosuffisance à une économie de marché.

De chaque révolution découle ensuite deux clivages. La révolution nationale donne ainsi naissance à une première contradiction entre les partisans d'un Etat fort centralisé et ceux d'une autonomie des régions protégeant la spécificité de leur langue et culture locale (clivage centre/périphérie). La deuxième contradiction oppose les promoteurs de l'Eglise aux thuriféraires de l'Etat laïc (clivage Eglise/Etat). La révolution industrielle conduit elle à l'émergence d'un antagonisme entre défenseurs des intérêts agricoles et ruraux et ceux des intérêts industriels (clivage rural/urbain) ainsi qu'à une confrontation entre propriétaires des moyens de production et prolétaires obligés de vendre leur force de travail (clivage possédants/travailleurs). Remarquons simplement ici que Rokkan compléta ultérieurement son modèle avec une troisième révolution « internationale » faisant apparaitre un nouveau clivage entre communistes et socialistes.

On retrouve dans cette théorie des clivages l'influence structuro-fonctionnaliste de Parsons. Les structures du modèle reposent sur des axes conflictuels que l'on distingue en deux types, axe fonctionnel et axe territorial. Les révolutions correspondent elles aux variables. Ainsi chaque révolution produit un clivage fonctionnel (concerne le système social) et un clivage territorial (organisation des pouvoirs dans l'espace). La révolution nationale amène donc un clivage fonctionnel (Etat/Eglise) et un clivage territorial (centre/périphérie). Le schéma est le même pour la révolution industrielle avec le clivage possédants/travailleurs (fonctionnel) et urbain/rural (territorial). La dichotomie entre axe fonctionnel et axe territorial est loin d'être anodine dans le paradigme de Rokkan. Elle renvoie en effet au rapport espace/temps qui se caractérise comme une structure essentielle de l'esprit humain171(*). La dimension spatio-temporelle fut notamment désignée par Kant comme une des deux sources de l'intelligence, le cerveau humain étant structuré par cette représentation du temps et de l'espace.

Ces quatre clivages permettent de reconnaitre huit familles politiques européennes. Chaque parti est défini au sein de chaque système politique comme «alliances in conflicts over policies and value commitments within the larger body politic»172(*). Cette ébauche de taxinomie a l'avantage de se fonder sur une analyse multifactorielle de long terme censée éviter les amalgames. Le clivage possédants/travailleurs est celui qui a le plus essaimé en Europe en donnant quantité de partis ouvriers opposés à des partis bourgeois libéraux sur le plan économique. Le clivage Eglise/Etat distingue partis cléricaux et anticléricaux. Le conflit centre/périphérie fait exister partis centralistes et partis autonomistes réfractaires à l'intégration par le centre. Enfin le clivage urbain/rural ne trouve qu'une faible validation empirique. Les partis écologistes et agrariens sont agrégés dans un même refus d'industrialisation et peu de partis urbains antagonistes ont été recensés si ce n'est le Parti des Automobilistes Suisses.

Clivage

Moments critiques

Enjeux

Centre-périphérie

Etat-Eglise

Agriculture-industrie

Possédant-travailleur

Réforme-Contre-Réforme :

XVIe et XVIIe siècles

Révolution nationale 1789 et après

Révolution industrielle XIXe siècle

Révolution Russe 1917 et après

Religion nationale vs supranationale ; langue nationale vs latin

Contrôle séculier vs laïc de l'éducation de masse

Niveaux de taxation des produits agricoles ; contrôle vs libertés pour les entreprises industrielles

Intégration dans la communauté politique nationale vs engagement dans les mouvements révolutionnaires internationaux

Tableau 1 : Représentation des moments critiques à l'origine des clivages. D'après Rokkan, S., et Lispet, S.M., Structures de clivages, systémes de partis et alignement des électeurs : une introduction, Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, 2008, p. 92-93

Au-delà des deux révolutions dont découlent les quatre clivages susnommés, il faut remarquer que chaque clivage tient sa source dans un moment critique particulier cristallisant les enjeux contradictoires. Ces derniers ont ensuite vocation à s'exprimer dans les partis politiques comme nous l'avons montré plus haut. Le tableau ci-dessus établi par Rokkan lui-même (nous en donnons ici la traduction française) résume les quatre moments critiques.

La matrice développée par Rokkan et Lipset permet de classer les partis à partir de leurs soubassements historico-conflictuels et non sur la base d'échelles fictives plaquées sur le réel. La théorie des clivages offre une compréhension fine des partis qui transcende les fausses impressions provoquées par le jeu politique du temps présent. Selon le politiste norvégien les partis peuvent fluctuer en fonction des conjonctures mais restent ancrés par nature au versant du clivage qui fut à sa genèse.

Ce cadre analytique semble le plus pertinent pour étudier le parti Vert français sous l'angle de la décroissance. Il importe cependant de prendre en compte les perturbations du modèle occasionnées par l'émergence des partis écologistes en Europe.

3. La perturbation du paradigme des clivages avec l'émergence des partis verts

Aussi ambitieux soit-il le paradigme proposé par Rokkan et Lipset a fait l'objet de plusieurs critiques. Celles-ci sont plutôt des amendements au modèle que des remises en cause profonde. En effet certains contestent la portée normative des clivages proposés en 1967 au regard de l'évolution des systèmes partisans. Il s'agit certainement là d'un malentendu. La classification initiale de Rokkan s'intéressait aux logiques profondes aboutissant à la création des partis et n'avait donc pas l'ambition d'une taxinomie universelle éternelle.

Pour autant l'émergence des partis Verts dans les années 1980 pose un problème d'interprétation de la théorie des clivages. Peu envisagées par Rokkan lui-même, les formations écologistes amènent une redéfinition de la grille de lecture des clivages.

Les critiques du modèle de Rokkan

Le paradigme de Rokkan est d'abord contesté pour son manque de validation empirique. Nonobstant une réflexion intéressante sur la genèse de partis, ses clivages et la classification qui s'en déduit ne trouvent pas toujours l'écho escompté dans les systèmes politiques européens.

Ainsi aucun pays européen ne donna naissance aux huit familles politiques décrites dans le modèle de Rokkan, à l'exception notable de l'Italie. Les clivages sont en effet plus ou moins forts en fonction des pays et génèrent un nombre de partis en conséquence. Les clivages s'exprimeraient donc avec une intensité variable dans l'espace. D'autre part on observe que certains pays possèdent plusieurs partis issus d'une même famille politique. Pierre Bréchon trouve deux explications à ce phénomène : la « diversité communautaire » engendre un fractionnement politique sur la base de communautés linguistiques ou culturelles distinctes à l'instar du double système entre Flamands et Wallons en Belgique ; la façon dont un parti exprime un conflit qui peut se traduire de manière modérée (conflit apaisée) ou de manière extrémiste (conflit fort). Stefano Bartolini et Peter Mair relativisent la multiplication des partis sur un même versant de clivage. Pour eux, ces turbulences se limitent à un même groupe de partis, les partis en eux-mêmes restant historiquement stables173(*).

C'est sur ces présumés lacunes que les premières reformulations vinrent se greffer au paradigme des clivages. Dressant le constat que les clivages disséqués par Rokkan ne suffisent plus à expliquer pleinement les structurations idéologiques des systèmes partisans, Arend Lijphart reprend et augmente la théorie rokkanienne174(*). Dès 1981 il propose sept clivages fondamentaux : socio-économique ; religieux ; culturel-ethnique ; rural-urbain ; soutien au régime ; politique étrangère ; postmatérialiste. Si les quatre premiers sont très proches de ceux développés par Rokkan, les trois derniers sont originaux et posent davantage question175(*). Nous accorderons d'ailleurs plus loin une attention particulière au clivage postmatérialiste en ce qu'il concerne directement les partis Verts. La classification de Lijphart reste néanmoins marquée par son temps. Son classement des partis se base sur l'observation des systèmes politiques dans les années vingt en faisant le pari que cette situation perdurerait. Il néglige par conséquent l'aspect historique au coeur de l'étude de Rokkan. L'analyse de Rae et Taylor176(*) expliquant les clivages à partir de la démocratie, et sur laquelle Lijphart s'appuie, est frappée du même défaut.

A ces typologies intuitives s'ajoutent d'autres reformulations à travers la thèse de la focalisation des dimensions multiples. La naissance d'un parti s'expliquerait à travers le croisement de différents clivages. Un parti pourrait donc se situer en même temps sur différents clivages (anticlérical, ouvrier et centraliste par exemple). Richard Rose et Derek Urwin utilisent cette théorie pour critiquer le modèle de Rokkan177(*). Ils le remanient largement en mettant en évidence l'attitude vis-à-vis de la religion puis la classe sociale comme premiers critères de classification. Les deux politistes établissent alors une nomenclature de quatre types de partis : partis hétérogènes (sans base sociologique avérée) ; partis à fondement unique de nature religieuse (clivage Eglise/Etat) ; partis à fondement unique de nature sociale (partis de classe) ; partis résultant de clivages multiples qui se renforcent mutuellement. Bien qu'elle prétende la préciser, la classification de Rose et Urwin s'éloigne de l'analyse de Rokkan. Leur analyse synchronique basée sur les données d'une seule année (1968) fait fi de la logique historico-conflictuelle de la théorie des clivages.

Au final seul l'amendement apporté par Jean et Monica Charlot semble recevable. Dans leur contribution au Traité de Science Politique178(*) ils mettent en avant un autre clivage né de la révolution russe de 1917 sur le versant « travailleurs » du clivage possédants/travailleurs : La gauche non communiste s'opposerait aux communistes. Cette nouvelle dichotomie s'inscrit dans la logique de Rokkan qui amenda son schéma initial pour lui adjoindre une « révolution internationale » née de la révolution bolchevique.

Malgré ces critiques et ajouts le modèle des quatre clivages fondamentaux reste la base théorique la plus pertinente pour situer les partis politiques occidentaux. Son approche de long terme offre une clé de lecture du système politique qui évite les mirages de la comparaison sans recul historique. Mais l'émergence des partis Verts brouille la fluidité du paradigme rokkanien.

Les partis Verts inclassables ?

Les partis écologistes apparaissent de manière presque simultanée en Europe dans les 1970 et 1980. L'écologie partisane commence en Nouvelle Zélande en 1972 avec la victoire du candidat d'un parti écologiste, le « Values Party », à la marie de Wellington. En France, les écologistes participent à l'élection présidentielle dès 1974 avec la candidature de René Dumont. Les partis Verts fleurissent progressivement en Europe où ils accèdent rapidement à des responsabilités. En 1979 Daniel Brélaz est le premier écologiste à devenir député d'un Parlement national avec son élection au Conseil national suisse. Le mouvement fait tache d'huile et les jeunes partis Verts gagnent des sièges dans un grand nombre de parlements européens (Belgique, Finlande, Allemagne, Suède, ...). Un pas supplémentaire est franchi dans les années quatre-vingt-dix avec la participation aux gouvernements de coalition finlandais, italien, français et allemand et un poids important dans ce dernier. En un peu plus de deux décennies, les écologistes se sont inscrits durablement dans le paysage politique européen.

Cette poussée rapide des partis Verts conjuguée aux thèmes iconoclastes qu'ils portaient a attisé les commentaires peu rigoureux sur leur positionnement politique. Ballotés de gauche à droite en passant par le centre et l'extrême gauche (l'écologie pastèque « verte à l'extérieure, rouge à l'intérieur »), la percée des écologistes démontre en outre l'inanité du clivage droite-gauche. Face à la novation écologiste, le commentaire de sens commun est désarmé, incapable de situer clairement un objet qui s'écarte des schémas classiques. Dans un premier temps, la science politique semble elle aussi désarçonnée. Vincent MacHale distingue en 1983 deux types de famille de partis : les partis à visée idéologique (chrétiens-démocrates, communistes,...) et les partis agissant en tant que groupe d'intérêt pour une cause donnée. Il classe les partis écologistes dans cette dernière catégorie de « single issue party ». Une classification erronée au regard de la nature de l'idéologie Verte et à l'établissement des écologistes comme partis généralistes participant à des exécutifs locaux et nationaux. D'aucuns pariaient également sur un essoufflement de ces partis avec la dissipation de la ferveur idéaliste de Mai 1968 dont ils sont en majorité issus. Les récents succès des Verts allemands (victoire dans le Bade-Wurtemberg en 2011) ou français (succès des listes Europe Ecologie aux élections européennes de 2009) suffisent à infirmer cette hypothèse.

L'émergence des partis écologistes est peu compréhensible à travers le dualisme gauche-droite mais elle interroge aussi le système des clivages. En effet l'apparition de l'écologie partisane est postérieure à la théorie de Rokkan (Party Systems And Voters Alignment n'étant publié qu'en 1967). De plus les écologistes fondent une tradition politique radicalement nouvelle. Il serait contreproductif de rechercher dans l'histoire une filiation directe des partis écologistes comme il est possible de le faire pour d'autres partis. Face à cette difficulté classificatoire les politistes ont réagi de deux manières. Certains se sont lancés dans une tentative de définition d'un cinquième clivage que nous étudierons au chapitre suivant tandis que d'autres préféreraient inscrire les partis Verts dans le modèle de Rokkan quitte à le reformuler partiellement.

Cette deuxième hypothèse nous amène d'abord à envisager les formations écologistes comme objectivation du clivage le plus répandu c'est-à-dire le clivage possédants/travailleurs179(*). Comme nous l'avons expliqué ce clivage est issu de la révolution industrielle appréciée sous l'angle de l'histoire sociale. Le processus historique marque le passage d'une économie autarcique à une économie capitalistique de marché. Il aboutit à un clivage opposant la masse des travailleurs aux propriétaires des moyens de production. Dans ce cadre, les écologistes partageraient le même combat que les ouvriers. La volonté de protéger les écosystèmes les conduiraient à s'opposer aux entrepreneurs industriels prêts à sacrifier l'environnement sur l'autel du profit. L'opposition à l'économie marchande serait donc autant l'apanage des écologistes que des sociaux-démocrates et des communistes. Les alliances des partis Verts avec le reste des partis issus du versant « non possédants » tendent à confirmer cette hypothèse. Dans la majorité des pays d'Europe l'accès aux responsabilités des écologistes ne se fit en effet qu'au prix d'accords électoraux, le plus souvent avec les sociaux-démocrates. Pour ne prendre que le cas français, le parti écologiste a participé au gouvernement de « gauche plurielle » à dominante socialiste et partage aujourd'hui encore l'exécutif de nombreuses régions avec le Parti socialiste.

L'approche du parti écologiste comme manifestation du clivage possédants/travailleurs semble néanmoins trop restrictive. Nous avons tenté d'expliciter plus haut la logique du projet écologiste fondée sur l'antiproductivisme. Cette identité dépasse le cadre du troisième clivage de Rokkan d'autant que les écologistes s'opposent aux formations de « gauche » sur ce point. Il faut donc arrimer les partis Verts à un autre clivage pour rester fidèle à la pensée écologiste. Une relecture du clivage urbain/rural semble constituer une piste suffisamment pertinente pour que l'on s'y intéresse.

***

Les oppositions dans le jeu partisan renvoient toujours à une dimension idéologique. Elle nous apprend alors beaucoup sur les partis politiques si l'on évite le piège de formaliser des typologies intuitives guidées par l'observation du temps présent. Dans notre étude de l'influence de la décroissance sur le parti Vert français il s'agit de bien prendre ses distances avec ces faux semblants. Le modèle de Rokkan s'en démarque largement en ce qu'il s'attache à déceler les logiques profondes à l'origine des partis. Contrairement aux critiques formulées à son encontre, ce modèle n'a pas vocation à commenter l'état actuel des partis.

L'approche des partis par le prisme des clivages semble fournir un cadre d'analyse adéquat pour étudier la situation du parti Vert dans l'espace politique et discuter son évolution à l'aune de la décroissance. L'histoire récente des Verts ne permet que difficilement de les arrimer à un des quatre clivages fondamentaux. Ce n'est qu'au prix d'une relative redéfinition d'un de ces clivages qu'il est possible de comprendre la place du parti Vert dans le champ politique français.

Chapitre 5 : La nécessaire réadaptation des clivages pour situer les partis écologistes

Au regard de la nature atypique des partis Verts la théorie des clivages nous semble la plus pertinente pour comprendre l'influence de la décroissance. La logique du projet écologiste décrite plus haut nous amène cependant à reconsidérer les clivages de Rokkan. En effet l'application du paradigme aux partis écologistes se heurte à l'hypothèse que les clivages auraient été « gelés » (freezed) à la fin de la Révolution industrielle (début du vingtième siècle). De nombreux politistes ont alors émis l'idée, prenant acte de l'émergence des partis Verts, d'un « dégel » des clivages. Ce débat s'éloigne en réalité du modèle structural de long terme mis en évidence par le sociologue norvégien.

Les essais de définition d'un cinquième clivage pour tenter de prendre en compte la singularité des partis écologistes ne semblent pas complétement recevables. Nous préférerons discuter ces derniers dans une perspective de réactualisation des clivages originaux. Ainsi le vieux clivage urbain/rural retravaillé sous la forme d'un clivage marché/nature ou productivistes/antiproductivistes est particulièrement apte à décrire les partis Verts. L'approche tente également d'éclaircir l'impact de la décroissance sur cette redéfinition des clivages.

1. Les tentatives de définition d'un cinquième clivage matérialistes/postmatérialistes

A partir des années 1970 les systèmes de partis entrent dans une zone de turbulences. L'apparition des partis écologistes questionne le modèle des clivages que Rokkan et Lipset considéraient comme gelés dans les années 1920. D'aucuns firent alors le constat que la typologie partisane déduite de ce paradigme ne parvenait plus à « cartographier » correctement l'espace politique. Sous couvert de la supposée l'obsolescence des clivages de Rokkan, certains politistes posèrent l'hypothèse d'un nouveau clivage « matérialistes/postmatérialistes » ou old politics/new politics. Si ce nouveau clivage parait séduisant pour décrire les partis Verts, il se révèle en réalité fragile et difficilement mobilisable dans une perspective classificatoire.

Un nouveau clivage pour situer l'écologie partisane ?

Au centre de la réflexion sur un cinquième clivage se trouve l'hypothèse d'un « gel » des clivages posée par Rokkan et Lipset. Dans la logique structurale ces clivages, une fois stabilisés, ne sont plus amenés à évoluer. Les mêmes clivages seraient donc à l'oeuvre depuis les années vingt. Cette idée fut contestée de diverses manières : perte de pertinence de certains clivages, modification des systèmes d'alliances et apparition de nouvelles forces politiques procédant de logiques différentes des clivages fondamentaux.

Sur la base du bouleversement du système politique naquit la thèse d'un « dégel » des clivages (defreezing). Ce postulat permit dès lors d'évoquer un cinquième clivage pour mieux décrire l'espace politique en mutation.

Parmi les théories du cinquième clivage, celle du politiste américain Ronald Inglehart a valeur d'exemple. A travers ses travaux sur les systèmes de valeurs des citoyens il observe une « révolution silencieuse » dans les années soixante amenant un nouveau clivage180(*). Selon lui les conflits d'intérêts de classe liés à la société industrielle s'effacent au profit d'une nouvelle opposition entre « matérialistes » et « postmatérialistes ». Inglehart dissocie ces systèmes de valeurs antagonistes par le croisement de deux variables. La première est relative au niveau de revenu: « while economic cleavages become less intense with rising levels of economic development, they gradually give way to other types of conflict »181(*). La deuxième concerne la socialisation des individus déterminée par la conjoncture économique. Inglehart explique que les générations politiques socialisées pendant la Grande Dépression et qui connurent la guerre sont plus sensibles à des considérations purement matérialistes. A l'inverse les générations issues des Trente Glorieuses et bénéficiant d'un niveau de qualification inédit (socialisation secondaire par les études supérieures) seraient moins sensibles à ces considérations. Le croisement de ces variables aboutit à des systèmes de valeurs différents. Les générations qui subirent la crise des années trente, la guerre et les tourments de la reconstruction se focalisent sur des enjeux matérialistes du type bread and butter : niveau de salaires, ordre, sécurité alimentaire et sociale. A l'inverse la génération du baby-boom n'a pas connu les privations de ses aînés. Les enfants des Golden Sixties accèdent à la conscience politique dans un certain confort économique et social (chômage résiduel, Etat Providence, démocratisation de l'université,...) et développent un ethos politique postmatérialiste sensible à des enjeux comme « environmentalism, the women's movement, unilateral disarmament, opposition to nuclear power »182(*).

L'opposition entre ces deux systèmes de valeurs se retrouve dans le champ politique. L'avènement de la nouvelle génération se traduit par une série de mouvements populaires focalisés sur des revendications non matérialistes à l'instar du mouvement hippy ou des révoltes estudiantines de 1968. Dans la foulée émerge une série de nouvelles formations politiques (gauchistes, écologistes, nouvelle droite) tandis que ressurgissent de vieilles idées sous un jour nouveau (autonomistes, xénophobie,...)183(*). Ce foisonnement de nouvelles organisations politiques serait selon Inglehart symptomatique d'un dégel des clivages partisans. Ces forces politiques inédites résulteraient en effet du conflit entre matérialistes et postmatérialistes. Le clivage matérialiste/postmatérialiste expliquerait alors la montée des écologistes à partir des années quatre-vingt. Les partis écologistes se situeraient sur le versant postmatérialiste de ce nouveau clivage caractérisé par la défense d'une meilleure qualité de vie contre les dérives de la société industrielle, par essence matérialiste.

La théorie d'Inglehart a été critiquée et complétée par Scott C. Flanagan. Derrière le processus de transformation des systèmes de valeurs décrit par Inglehart se cacheraient en réalité deux autres évolutions. Flanagan précise le clivage matérialistes/postmatérialistes en le fondant dans un nouveau clivage Old politics/ New Politics. Il distingue au sein de la « New Politics » une « new left » postmatérialiste (Flanagan préfère le terme libertarian) d'une « new right » autoritaire. Les tenants de la « Old politics » sont eux intrinsèquement matérialistes (cf. Figure 1).

Figure 1 : Vision de Flanagan de la structure de clivages dans les démocraties industrielles avancées. D'après : Inglehart, R.., Flanagan, S., op. cit., p. 1304.

Flanagan décrit en réalité trois clivages différents (cf. figure 2). Le premier correspond à l'opposition Old politics/New Politics qui reprend peu ou prou la thèse d'Inglehart (matérialistes/postmatérialistes). Le deuxième clivage se place sur le plan idéologique donc « new politics » (postmatérialiste) et oppose la nouvelle gauche libertaire à la nouvelle droite autoritaire. Enfin le politiste américain sépare une Old right et une Old left soutenues respectivement par les classes moyennes et la classe ouvrière. Ce dernier clivage se construit sur la défense d'intérêts matériels et relève donc de la « Old politics ».

Figure 2 : Structure complète des clivages dans les démocraties industrielles avancées selon Flanagan. D'après : Inglehart, R.., Flanagan, S., op. cit., p. 1306.

Si l'on suit le schéma de Flanagan, les partis Verts résulteraient alors du versant libertaire du clivage « new right/new left » qui se superposerait sur le versant non matérialiste du clivage « new politics/old politics ».

Seymour M. Lipset accorde également un certain crédit aux thèses d'Inglehart et de Flanagan. Dans un texte intitulé « The Revolt against Modernity » le coauteur de Party Systems And Voters Alignment reprend cette distinction entre une gauche historique matérialiste et une gauche postmatérialiste qu'incarnent les Verts et la nouvelle gauche (essentiellement le PSU en France)184(*). Pour lui, les Verts font partie de la nouvelle gauche issue de cette « nouvelle idéologie post-bourgeoise [qui] substitue à l'ancienne conscience traditionnaliste une conscience libertaire et, partant, individualiste qui s'exprime dans les valeurs [...] post-matérialistes »185(*).

Les travaux visant à définir un cinquième clivage ou à refonder plus profondément la grille de lecture de Rokkan n'est pas dénué d'intérêt. Etudier les partis écologistes sous l'angle des valeurs matérialistes/postmatérialistes offre une clé d'analyse qu'il ne faut négliger. Toutefois les tentatives de définition d'un cinquième clivage sont frappées de biais qui les rendent peu opérationnelles.

Une vision à courte vue inadéquate

Les essais de proposition d'un cinquième clivage pour expliquer en outre l'apparition des partis écologistes prêtent le flan à une série de critiques. La thèse d'Inglehart est fragile d'abord en ce qu'elle relève plus d'un effet de génération que de logiques historiques et sociétales profondes. La socialisation et le niveau de revenu sont des variables très fortement liées à la conjoncture économique. Inglehart reconnaissait d'ailleurs lui-même une forte corrélation entre classes d'âges et catégories matérialistes/postmatérialistes. Le cinquième clivage affirmé par le politiste américain serait donc frappé d'obsolescence à chaque retournement de tendance économique. Cette faiblesse s'explique par la nature même du cinquième clivage défini par Inglehart et repris par d'autres. A l'inverse des clivages de Rokkan ancrés dans le temps long de Braudel, le clivage matérialistes/postmatérialistes repose sur des « attitudes politiques [qui] constituent des propensions à agir et qui orientent l'action sociale des individus dans une direction donnée »186(*). L'orientation politique des individus est intrinsèquement liée au contexte économique et social de leur socialisation. La société produit ses effets sur les attitudes des individus qui revendiquent dès lors soit des biens matériels pour subvenir à des besoins élémentaires, soit des valeurs pour satisfaire des aspirations d'ordre spirituelles ou esthétiques. On comprend mieux pourquoi le cinquième clivage d'Inglehart se vérifie difficilement sur une moyenne ou longue période. Force est de constater que dans un contexte de morosité économique le regain d'intérêt pour les biens matériels des jeunes générations contredit empiriquement le clivage matérialistes/postmatérialistes. Le retournement de conjoncture économique à partir du milieu des années soixante-dix a brisé la sécurité dont jouissaient les générations du baby-boom en même temps que l'élan d'intérêt pour les considérations non matérielles.

Or les partis écologistes censés incarner ce versant postmatérialistes ne se sont pas effondrés pour autant. Au contraire les années quatre-vingt-dix et deux mille voient une montée progressive des Verts avec un accroissement du nombre d'élus et des participations gouvernementales. En conséquence, même si les écologistes défendent des intérêts idéels et procèdent d'attitudes postmatérialistes telles que définies par Inglehart, leur pérennité dans le jeu politique ne peut se réduire à un clivage attitudinal. D'autant que les écologistes ne sont ni les seuls ni les premiers à se revendiquer de valeurs postmatérialistes. Une partie de l'ultra gauche se situe en effet sur ce créneau depuis longtemps. Ce constat conduit à relativiser la pertinence de l'hypothèse d'Inglehart. Malgré leurs traits communs, confondre écologistes et extrême gauche serait ostensiblement nier la spécificité des partis Verts.

En réalité l'absence d'opérationnalité d'un cinquième clivage tient à une méprise sur la définition même d'un clivage. Nous l'avons déjà souligné, les clivages au sens de Rokkan ont un caractère structural. Ils sont l'expression politique et médiatisée de conflits ancrés dans le temps long de l'histoire sociale. Le dégel invoqué à l'aune du changement électoral par les promoteurs d'un cinquième clivage relève en fait d'une certaine confusion entre systèmes de partis et clivages. Michael Shamir remarque justement qu'il n'y a pas lieu d'évoquer un dégel des systèmes partisans puisque ceux-ci n'ont jamais été gelés187(*).

Les partis et systèmes de partis évoluent fortement au fil du temps comme le prouve l'émergence des partis écologistes. Mais classer les partis en fonction des attitudes politiques des électeurs est trop contingent pour être véritablement satisfaisant. Il semble donc plus approprié d'utiliser le cadre théorique de Rokkan quitte à le reformuler.

2. Un clivage marché/nature pour expliquer l'émergence du parti Vert

Si l'hypothèse d'un cinquième clivage matérialistes/postmatérialistes n'est pas complètement recevable, le constat de départ demeure juste. La théorie des clivages explique assez mal l'émergence de l'écologie partisane. De prime abord le paradigme des quatre clivages fondamentaux semble donc inadapté. Nous tacherons cependant de démontrer que sa souplesse permet d'interpréter les partis Verts par une objectivation du clivage urbain/rural.

Les partis Verts issus du clivage urbain/rural ...

Le paradigme de Stein Rokkan et Seymour M. Lipset a été repris par Daniel-Louis Seiler qui le prolonge dans une taxinomie détaillée des partis politiques occidentaux. Il précise les huit familles de partis qui procèdent chacune d'un des versants opposés des quatre clivages fondamentaux. Se confrontent donc sur le clivage possédants/travailleurs, partis ouvriers (de « gauche ») et partis bourgeois (de « droite ») ; partis de défense religieuse (cléricaux) et partis sécularistes (anticléricaux) sur le clivage Eglise/Etat ; partis centralistes (nationalistes) et partis de défense territoriale (autonomistes) sur le clivage centre/périphérie ; enfin, partis agrariens et écologistes contre partis de défense urbaine (productivistes) sur le clivage rural/urbain188(*). Cette typologie de partis reprend la méthodologie de Rokkan et Lipset. Les partis sont classés en fonction de conflits historiques qu'ils expriment politiquement. Il s'agit donc de repérer le moment fondateur de chaque parti pour pouvoir le situer sur les lignes de faite de l'espace politique. A la suite de Daniel-Louis Seiler nous envisagerons ici les partis Verts comme manifestation du quatrième clivage urbain/rural.

Conséquence de la révolution industrielle le clivage urbain/rural est d'ordre économique (à l'instar du clivage possédants/travailleurs) et produit ses effets sur un axe territorial. Les partis issus de ce clivage se trouvent dès lors dans un « un double champ d'oppositions et d'alliances avec les formations issues du clivage possédants/travailleurs d'une part et du clivage centre/périphérie de l'autre »189(*). Autrement dit les autonomistes et partis de gauche seraient leurs alliés tandis que les partis centralistes et conservateurs seraient leurs adversaires.

En vérité le versant rural de ce clivage concernait originellement les partis agrariens générés en réaction aux transformations brutales du monde agricole lors de la révolution industrielle. Leur influence fut particulièrement forte dans les pays scandinaves et notamment en Suède où les agrariens participèrent à l'élaboration de l'Etat Providence au sein d'une coalition avec les sociaux-démocrates. Dans les années 1950, le parti agrarien suédois devient le Centerparteit (le parti du centre) et se dote d'un véritable programme écologiste. En outre il se bat contre l'urbanisation galopante, le gigantisme urbain (refus du projet de mégapole autour de Stockholm) et s'oppose vigoureusement à l'énergie nucléaire. Devant l'échec des coalitions avec les sociaux-démocrates et avec les conservateurs, une partie du parti agrarien suédois finit par faire scission pour créer en 1981 le Miljöpartiet (le parti de l'envirronnement) qui forme en 1985 le Miljöpartiet de Gröna (le parti de l'environnement, les Verts). Le même phénomène d'agrariens défenseurs de l'environnement est observable dans le reste de la Scandinavie. Les partis écologistes auraient donc une certaine filiation avec les agrariens. Jérôme Viallate remarque à ce propos « une parenté terminologique intéressante » entre les écologistes et les agrariens puisque les deux familles abhorrent la même couleur, le vert, qui représente pour eux les « mêmes valeurs de nature » 190(*).

La proximité entre agrariens et écologistes démontre l'arrimage des partis Verts au même clivage rural/urbain. Selon Seiler, agrariens et écologistes procèdent d'une contradiction similaire homme/nature. Cette dernière s'exacerbe avec la révolution industrielle qui détruit l'économie agricole et son organisation sociale au profit d'une économie de marché. En effet l'avènement du capitalisme libéral industrialise l'agriculture, précipite l'exode rural de nombreux paysans et bouleverse les équilibres naturels. Ce processus d'implantation du marché libre dans les sociétés occidentales est au centre de ce que Karl Polanyi appelle La grande transformation. La réaction sociale qu'elle suscite est pour lui légitime puisqu' « abandonner le destin des hommes et du sol au marché équivaudrait à les anéantir »191(*).

... objectivé en clivage marché/nature

Pour mieux rendre compte de cette contradiction sociale, Daniel-Louis Seiler réactualise le vieux clivage rural/urbain en un clivage marché/nature. Le clivage garde son ancrage historique et son caractère structural mais il est mis à jour pour tenir compte de l'évolution des systèmes de partis notamment avec l'apparition des écologistes. Deux types de partis émergent du versant « nature » : les partis agrariens en réaction à l'exploitation marchande de la nature dans les économies où le marché est peu développé ; les partis Verts promouvant un développement humain respectueux de l'environnement dans les pays plus avancés économiquement. Le clivage marché/nature est en effet fortement lié au contexte culturel et économique du pays dans lequel il s'inscrit. Agrariens et écologistes se situent donc sur le même versant du clivage rural/urbain réactivé sous la forme marché/nature. Toutefois ils s'inscrivent dans deux périodes historiques différentes et leurs intérêts ne sont pas les mêmes (les agrariens défendent surtout des intérêts matériels quand ceux des Verts sont postmatérialistes).

Pour tenir compte de ces différences, D-L. Seiler établit une typologie de sous clivages192(*). Les partis agrariens sont renvoyés dans un sous clivage industrie/monde rural tandis que les écologistes sont opposés aux productivistes. Les écologistes seraient alors une déclinaison du versant « Nature » du clivage marché/nature, spécifiquement dans les sociétés occidentales développées. Ils s'opposeraient en cela aux partisans du libéralisme débridé qui ne prêteraient pas attention aux impacts environnementaux de leurs propositions. Cette catégorie de partis productivistes serait notamment incarnée en Suisse par le Parti des Libertés (ancien Parti des automobilistes).

Le clivage actualisé marché/nature et son sous clivage écologistes/productivistes a l'avantage de donner un cadre d'analyse des partis Verts fidèle au paradigme de Rokkan. Les partis écologistes s'inscrivent dans le droit fil de la réaction à l'effondrement du mode de production agricole au profit de l'économie de marché. Ce conflit social s'exprime aujourd'hui encore par la dénonciation de l'industrie agro-alimentaire et plus largement du libéralisme qui met à mal les ressources physiques de la planète.

La décroissance, un réalignement des partis écologistes ?

La question est ici de savoir si les idées de la décroissance telles que décrites au chapitre premier engendrent un changement dans le positionnement politique des écologistes. Pour rester dans le cadre de la théorie des clivages, la décroissance marque-t-elle une réorientation du parti écologiste vers un autre clivage ? Les partis n'étant pas voués éternellement à leur clivage originel, ils peuvent se réaligner sur un autre clivage lorsqu'il y a mutation de leur base sociale193(*). Cette rupture de clivage a été remarquée en Allemagne par exemple où la CDU s'est transformée en parti patrimonial (libéral) alors qu'elle avait toujours représenté la démocratie chrétienne (parti clérical).

Sur la base des éléments de définition donnés plus haut, force est de constater que la décroissance en tant qu'écologie radicale renforce la position des écologistes sur le versant « Nature ». La pensée de la décroissance est nimbée d'un antilibéralisme qui exacerbe l'opposition des écologistes aux tenants du versant « marché ». Nous verrons plus tard selon quelles modalités le parti écologiste français intègre la critique décroissante dans son référenciel identitaire. Mais notons déjà ici que la décroissance confirme l'existence d'un clivage marché/nature. Elle se traduit par une certaine réactivation identitaire sous la forme d'un retour aux racines du clivage originel donnant lieu à l'écologie politique. On retrouve avec la décroissance une remise en cause profonde du « libéralisme comme philosophie de l'illimité »194(*). Le marché est stigmatisé comme prédateur des équilibres naturels et responsable d'une fuite en avant productiviste mortifère pour l'humanité. L'économie de marché développée à partir de la révolution industrielle est vilipendée comme le substrat économique, philosophique et culturel de la société de croissance. Il est en rupture avec la sobriété du mode de vie décroissant qui prône d'ailleurs un retour à la terre (on retrouve la filiation avec l'ancien versant « rural »). Nous envisageons ici la décroissance comme mouvement de pensée influençant le parti écologiste français. En tant que parti, la décroissance serait l'expression extrémiste de la contradiction sociale marché/nature se situant aux cotés des Verts sur le versant « Nature » du clivage. En fonction de ces indications il est possible d'avancer que la décroissance entrainerait plus un recentrage du parti Vert sur le conflit social originel dont il est l'expression qu'un réalignement sur un autre clivage.

Toutefois la représentation des partis Verts sur le clivage rural/urbain, même réactualisé en marché/nature, n'est pas exempt de tout reproche. Certes elle a l'avantage d'expliquer l'émergence des Verts dans une approche de long terme mais ne prend pas entièrement en compte la logique du projet écologiste telle que définie dans la première partie. Nous avons vu que le parti écologiste était structuré depuis l'origine par un invariant antiproductiviste que l'on retrouve poussé à l'extrême dans la décroissance. L'analyse des Verts par un clivage productivistes/antiproductivistes mérite alors d'être examinée.

2. Un nouveau clivage productivistes/antiproductivistes ?

L'analyse des partis Verts comme manifestation du clivage marché/nature est une bonne grille de lecture mais elle demande à être complétée pour être tout à fait satisfaisante. D'aucuns considèrent en effet que la réactualisation du clivage marché/nature ne prend pas suffisamment en compte la spécificité des partis Verts. L'opposition des écologistes au productivisme transcende en effet la contestation du marché au nom de la défense de la nature. L'hypothèse d'un clivage productivistes/antiproductivistes est intéressante en ce qu'elle permet de mieux appréhender les partis écologistes. Mais elle n'a pas pour autant vocation à constituer un cinquième clivage.

Les critiques du clivage marché/nature

L'hypothèse d'un clivage productivistes/antiproductivistes se construit à partir des limites du clivage marché/nature. En premier lieu la filiation, plus ou moins lointaine, des partis Verts avec les agrariens a été identifiée par certains195(*) comme problématique. Sous couvert d'un même combat contre la marchandisation de la nature, les projets écologistes et agrariens ne relèvent pas des mêmes valeurs. Les agrariens défendent la communauté rurale contre la prééminence des urbains qui transforment leur mode de vie. Ils portent en étendard des valeurs traditionnelles qui les rapprochent des partis conservateurs ou bourgeois. L'évolution de certains partis agrariens confirme cette tendance. En Suisse par exemple l'Union Démocratique du centre (UDC) de Christophe Blocher a pris depuis deux décennies un tournant ouvertement xénophobe et nationaliste. Pour preuve, l'UDC tient pour récent fait d'arme d'avoir lancé l'initiative populaire contre la construction des minarets votée en 2009.

A l'inverse les écologistes ont dès l'origine une vision globale illustrée par le fameux « Penser global, agir local » dont ils ont fait leur maxime. Leur ambition n'est pas de protéger la communauté rurale mais de dénoncer les dégâts de la société industrielle sur les écosystèmes naturels à l'échelle locale comme internationale. Comme nous l'avons évoqué, leurs valeurs portent sur des considérations immatérielles (solidarité, pacifisme, féminisme, ...) difficilement conciliables avec celles des agrariens. Sur la base de ces divergences, considérer les écologistes comme l'émanation du même versant de clivage que les agrariens semble inadéquat. C'est cette difficulté qui conduit Daniel-Louis Seiler à identifier deux sous clivages du clivage marché/nature : un sous clivage industrie/monde rural pour mieux déterminer les partis agrariens et un autre écologistes/productivistes pour les partis Verts. Partis Verts et agrariens relèvent d'une même contradiction sociale entre marché et nature mais l'expriment différemment.

Plus problématique est la question de la base sociale des écologistes. En effet si les partis agrariens sont constitués essentiellement de ruraux il en va autrement pour les partis Verts. Ces derniers ont une audience électorale dans les centres villes et les zones périurbaines dont les adhérents proviennent aussi en majorité. On s'éloigne dès lors du versant rural que sont censés représenter les Verts même réactivé sous la forme « nature ». Il a d'ailleurs été remarqué que les écologistes sont peut-être les premiers partis urbains à s'opposer aux agrariens ruralistes convertis, pour une majorité d'entre eux, au productivisme agricole sous l'effet de la PAC196(*). Le contexte français semble confirmer cette hypothèse tant les tirs croisés entre écologistes et agriculteurs sont fréquents. A titre d'exemple les agriculteurs de la FNSEA avaient saccagé en 1999 le bureau de Dominique Voynet alors ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Sur la base de ces critiques il est possible d'envisager les écologistes sous l'angle d'un clivage productivistes/antiproductivistes. Certains auteurs l'envisagent comme un cinquième clivage. Nous préférerons l'évoquer dans le cadre du clivage marché/nature.

L'hypothèse du clivage productivistes/ antiproductivistes

Depuis leur création les partis écologistes ont pour idée force l'antiproductivisme. Cet invariant politique est au coeur de leur identité et se retrouve tant dans le programme que dans le positionnement politique. La logique du projet écologiste devrait donc se retrouver sur le versant de clivage déterminant les partis Verts. Nous posons ici l'hypothèse d'un clivage productivistes/antiproductivistes. Celui-ci étant envisageable de deux manières.

La première approche consiste à ajouter un nouveau clivage aux quatre fondamentaux de Lipset et Rokkan. Vincent de Coorebyter estime que le clivage marché/nature est trop imparfait pour prendre correctement en compte les partis écologistes. Il cherche alors à distinguer les trois strates susceptibles de mettre à jour un nouveau clivage : un « déséquilibre originel », « l'auto-organisation des citoyens », « la création de partis politiques ». Bien que son étude porte sur les partis écologistes belges (Ecolo pour le côté francophone et Agalev/Groen ! pour le côté flamand), le schéma est sensiblement le même pour les Verts hexagonaux. Nous appliquons ici cette méthode des trois strates au cas français.

Le déséquilibre originel est commun à tous les partis Verts européens. Il se situe dans l'avènement de la société de consommation à partir des années 1950. L'augmentation tendancielle de la création de richesse pose pour la première fois la question de la compatibilité entre croissance économique et ressources naturelles finies. C'est dans ce contexte de faste économique que nait la contradiction sociale à l'origine des mouvements écologistes. Face au modèle productiviste et à ses conséquences irrémédiables sur l'environnement se lèvent une série d'acteurs pour s'y opposer. La deuxième phase d'auto-organisation se caractérise alors par la multiplication des associations environnementales. L'écologie associative culmine avec le combat antinucléaire qui agrège les composantes de la galaxie écologiste. Ces luttes menées par la société civile finissent ensuite par prendre place dans le jeu politique avec la création du parti des Verts en 1984.

Vincent de Coorebyter déduit de l'accumulation de ces trois strates un cinquième clivage distinct des quatre fondamentaux. Une ligne de fracture se dessinerait entre les entreprises d'un côté qui recherchent d'abord le profit et les consommateurs et riverains d'un autre côté qui tiennent avant tout à leur santé et à leur cadre de vie. Un rapide historique de l'écologie politique permet de distinguer les trois strates constitutives d'un clivage tant dans le cas belge que dans le cas français. De Coorebyter conclut donc à l'existence d'un cinquième clivage productivistes/antiproductivistes pour situer les partis Verts. Ce canevas d'analyse a l'avantage d'épouser les lignes du projet écologiste et d'en éclairer la singularité.

Toutefois cette hypothèse souffre des mêmes critiques adressées aux précédentes tentatives de définition d'un cinquième clivage. D'abord l'analyse s'attache aux clivages partisans belges. De Coorebyter fait le constat critiquable que le clivage urbain/rural n'existe pas en Belgique et en déduit un nouveau clivage. Il est donc difficile de généraliser un nouveau clivage sur la base des particularités d'un seul pays. D'autre part ce clivage ne revêt pas un caractère de long terme ni ne procède d'une révolution comme les clivages de Rokkan. Dans ces conditions le clivage mis en évidence par De Coorebyter n'est pas plus satisfaisant pour expliquer l'émergence des partis Verts que la dichotomie d'Inglehart.

Cependant l'intuition du politiste belge correspond bien à la logique du projet écologiste. Pour tenir compte de la logique historique des clivages partisans nous considérons le clivage productivistes/antiproductivistes comme une réactivation du clivage rural/urbain. Les partis Verts proviendraient d'un conflit social territorial issu de la révolution industrielle qui s'actualiserait dans les années soixante-dix en un clivage productivistes/antiproductivistes. Ces années constituent en effet un tournant. La contestation de l'économie de marché destructrice des équilibres naturels est catalysée par l'avènement de la société de croissance et son cortège de ravages sociaux et environnementaux. L'écologie politique constitue en quelque sorte le second souffle du versant rural. Cette analyse est proche du sous clivage écologistes/productivistes identifié par Daniel-Louis Seiler. Toutefois les Verts en tant que parti antiproductiviste sont dans une dialectique conflictuelle avec un nombre de partis bien plus important que les seuls partis de défense urbaine ou autres thuriféraires d'un libéralisme débridé. Le versant productiviste renvoie en effet à une majorité de formations soutenant que le « produire plus » est la planche de salut des sociétés modernes. Ce clivage a pour conséquence un relatif isolement que l'on retrouve dans la stratégie autonomiste « ni droite ni gauche » des écologistes.

La mutation du mode de production des sociétés occidentales après-guerre avec le passage au couple production-consommation de masse a réactivé le clivage rural/urbain en un clivage marché/nature selon D-L. Seiler. Nous avançons ici l'idée que ce clivage se manifeste sous la forme d'un clivage productivistes/antiproductivistes. L'émergence des écologistes montre en effet que la ligne de fracture se situe d'abord sur la finalité de l'organisation productive et non plus seulement sur les modalités. L'attachement au productivisme ou sa contestation transcende la question du rapport au marché qui reste déterminante mais secondaire. En tant qu'écologie radicale et contestation virulente du marché, la décroissance tend d'ailleurs à valider l'existence de ce clivage.

***

Classer les partis verts est un challenge que beaucoup de politistes essayèrent de relever. Trop iconoclastes pour s'intégrer au dualisme gauche-droite et postérieures aux clivages développés par Rokkan et Lipset, les formations écologistes ne se laissent situer dans l'espace politique qu'au prix d'une certaine reformulation théorique. Malgré leurs bonnes intuitions les définitions d'un cinquième clivage postmatérialistes/matérialistes ne résistent pas à l'examen du « temps long » dont nous avons vu qu'il était une condition inévitable pour saisir la nature profonde d'un parti. A l'aune de la logique du projet écologiste nous avons tenté d'établir que les Verts se structurent sur un clivage productivistes/antiproductivistes issu du clivage fondamental rural/urbain. Dans ce cadre la décroissance se veut l'expression extrémiste du versant antiproductiviste. Elle revient à la source de ce clivage pour en réactiver le potentiel identitaire.

Toutefois si les partis Verts, et les partis politiques en général, sont issus d'un clivage particulier cela ne les empêche pas de les transcender : « les clivages engendrent les partis politiques pour, ensuite et plus tard les traverser »197(*). Dans une certaine mesure la décroissance conduit à rapprocher les écologistes du versant travailleurs du clivage possédants/travailleurs comme l'atteste le partage de nombreux combats avec les partis de gauche. A partir des travaux de Jean et Monica Charlot198(*) nous pourrions d'ailleurs caractériser l'attitude du parti Vert français à l'égard des autres clivages avec des dominantes particulières. Ainsi Les Verts auraient une dominante forte sur le versant antiproductiviste du clivage productivistes/antiproductivistes et sur le versant travailleurs du clivage possédants/travailleurs en vertu des imbrications entre les projets qui sous-tendent ces deux versants. D'autre part, ils auraient une dominante moins prononcée sur les autres clivages (parti autonomiste et anticlérical).

Après avoir distingué les logiques structurales des partis écologistes, il importe de les envisager sous un angle « micro-politique » pour mieux mettre en exergue l'influence de la décroissance.

Chapitre 6 : Approche conceptuelle de l'identité partisane des Verts français

L'approche par les clivages socio-historiques nous a permis de situer le projet idéologique des partis Verts dans une optique de long terme et de mieux cerner l'influence de la décroissance. Cette hauteur de vue n'est cependant pas suffisante pour mettre à jour une influence spécifique sur l'identité partisane du parti écologiste français.

Nous présenterons ici une autre gamme d'outils conceptuels issus de l'approche entrepreneuriale des partis politiques. Cette tradition d'analyse dans la lignée des Weber, Michels ou encore Schumpeter se focalise en outre sur les enjeux et rapports de force internes aux partis. Le regard du chercheur ne se porte plus sur les contradictions sociales qui structurent l'espace politique mais sur les tensions qui traversent les formations partisanes. Dans ce cadre nous accorderons un intérêt particulier au processus permanent de construction identitaire dont les partis sont l'objet. Ces derniers sont en effet des entités composites qui évoluent au gré des luttes de pouvoir et des modifications de ses enjeux propres. Ils contiennent une diversité d'acteurs qui produisent chacun du sens et façonnent l'identité du parti en s'appropriant l'idéologie à leur manière. L'approche entrepreneuriale des partis offre alors une grille de lecture opportune pour ciseler les implications de la décroissance dans la matrice identitaire des Verts français.

Les partis peuvent donc être définis comme des entreprises idéologiques et culturelles. Leur objectif d'accession au pouvoir ne se fait cependant qu'au prix d'une production identitaire cohérente qui en fait des  « institutions de sens ». L'identité partisane n'est pas pour autant figée et donne lieu à des logiques stratégiques et de représentations différentes.

1. Les partis comme entrepreneurs doctrinaux et culturels

L'approche par l'idéologie a connu des modifications substantielles depuis la définition par Maurice Duverger des partis comme « groupements idéologiques ». Ce type d'analyse prête le flanc aux critiques d'une conception essentialiste des doctrines partisanes. Il est en effet trop restrictif de considérer un parti politique comme un tout idéologique uniforme d'autant que les fondements idéologiques sont souvent difficiles à saisir. Les politistes ont tenté de remédier à ces défauts en mettant en avant le caractère « entrepreneurial » des formations partisanes. Les partis sont envisagés comme des entreprises de conquête du pouvoir agissant sur des marchés politiques. Malgré l'intérêt de cette approche il convient de ne pas négliger les dimensions culturelles et sociétales des partis.

La notion de parti entreprise permet d'utiliser l'idéologie comme un moyen d'investigation de l'identité partisane. Mais cette recherche ne peut parvenir à son but que si l'on considère l'ancrage culturel des partis.

La notion de parti-entreprise

Avant de caractériser les partis politiques comme des entreprises doctrinales ou culturelles, il est nécessaire de définir au préalable la notion de parti-entreprise. Par analogie avec la théorie économique, les partis sont considérés comme des entreprises de représentation en compétition politique avec d'autres formations pour gagner le droit de représenter les électeurs.

L'approche entrepreneuriale fait référence à un objectif central des partis mis en exergue par La Palombra et Weiner : « la volonté délibérée des dirigeants nationaux et locaux de l'organisation de prendre et d'exercer le pouvoir »199(*). Le but ultime de toute organisation partisane est de présenter une offre politique pour gagner les élections. Cette considération appelle une définition plus restrictive des partis politiques que formule Max Weber. Selon le sociologue allemand « on doit entendre par parti des sociations reposant sur un engagement (formellement) libre ayant pour but de procurer à leurs chefs le pouvoir au sein d'un groupement et à leurs militants actifs des chances (idéales ou matérielles) de poursuivre des buts objectifs, d'obtenir des avantages personnels ou de réaliser les deux ensembles »200(*). On retrouve l'orientation des partis vers le pouvoir qu'il s'agisse d'intérêts personnels ou de victoires électorales. Le parti est envisagé comme relation sociale (« sociation ») basée sur un compromis d'intérêts rationnellement légitimes en valeur ou en finalité. Sous réserve de ces précisions, la définition de Weber initie l'approche des formations partisanes en tant qu'entreprises politiques. Elles se situent sur un « marché politique » et entrent en « concurrence pour le courtage politique » afin « d'échanger des biens politiques contre des soutiens actifs ou passifs »201(*). La conquête des positions de pouvoirs constitue donc l'ultima ratio des partis considérés comme des entreprises politiques. La concurrence s'exerçant sur le marché interne (lutte pour les postes dans l'appareil partisan, rétributions matérielles, ...) et externe (participation électorale).

Le politiste Michel Offerlé a repris ce cadre d'analyse entrepreneurial en empruntant tant à Max Weber qu'à la théorie des champs de Bourdieu. Dans son optique il s'agit d'étudier les partis non seulement comme des entreprises politiques à la conquête du pouvoir mais aussi comme un champ de force, c'est-à-dire un espace de concurrence objectivé entre des agents qui luttent pour le contrôle des ressources collectives comme la définition légitime du parti, le droit de parler en son nom, le contrôle des investitures, etc. Autrement dit, l'étude des partis ne se limite pas aux interactions repérables sur l'écume du jeu politique. Elle doit surtout démontrer le liant qui unifie les agents en dépit de la compétition à laquelle ils se livrent.

Si l'on évite l'écueil de tomber dans un utilitarisme excessif, l'approche entrepreneuriale des partis politiques a le mérite de soulever la complexité du phénomène partisan. Les partis ne se résument pas à des blocs d'idées monolithiques qui s'opposent. Ils résultent au contraire de dynamiques concurrentielles qui ont toutes en point de mire la conquête des positions de pouvoirs. Cette approche est alors particulièrement utile pour tenter de rénover les analyses classiques des partis au prisme de leur idéologie.

L'idéologie comme moyen d'investigation de l'identité partisane

L'étude de l'idéologie des formes partisanes est souvent montrée du doigt pour son manque de rigueur. Il est vrai que l'explication du phénomène partisan par l'examen des discours et des programmes a quelque chose de fragile tant ces éléments fluctuent au fil du temps. Nonobstant ces critiques nous soutenons ici, à l'instar d'Alexandre Dézé dans son étude du Front National202(*), que l'idéologie constitue encore une voie féconde pour appréhender les partis politiques et notamment le parti écologiste. Ainsi nous avons pu démontrer plus haut que l'idéologie du parti Vert reposait sur un invariant politique émanant d'une contradiction sociale historique. Au-delà des analyses de contenu il s'agit d'aborder maintenant « les modalités de production, de diffusion ou de réception »203(*) de l'idéologie.

Définir clairement ce que recouvre le terme idéologie est un exercice difficile voire impossible. David McLellan considère que c'est le « concept le plus élusif des sciences sociales »204(*). A défaut d'une définition stable il est possible de poser quelques jalons. Le sociologue Pierre Ansart parle d'un « système d'idées, de représentations et d'images dont on accorde qu'il vise davantage l'action que la connaissance »205(*). L'ensemble de ces significations tend à dresser une certaine « vision du monde »206(*) qui constitue la doctrine du parti. Alexandre Dézé note que les travaux des politistes se sont majoritairement orientés vers la recherche d'une taxinomie sur la base de l'idéologie comme élément structurant de l'identité partisane (il dénombre soixante labels pour définir l'extrême droite). Utiliser l'idéologie comme moyen d'établir une typologie légitime demeure néanmoins lacunaire à plusieurs égards. Cette approche repose sur des raccourcis méthodologiques (sur quels critères définir le corpus idéologique du parti ?) et véhicule une conception essentialiste forcément instable. L'idéologie reste étudiée pour ce qu'elle donne à voir à l'observateur profane. Or l'idéologie n'est pas réductible aux seuls discours des dirigeants et aux tracts nationaux. Le politologue Michel Hastings remarque que « chaque catégorie d'agents partisans contribue à entretenir une pièce du dispositif identitaire et idéologique du parti. Electeurs, sympathisants, militants, dirigeants, élus, intellectuels, chacun s'emploie avec son langage, ses visions du monde, ses rites d'action à définir les propriétés du groupe, en en fixant l'identité autour de marques et de repères jouant comme autant de frontières symboliques »207(*). L'idéologie d'un parti ne s'impose donc pas par nature. Elle est le fruit d'une multitude d'acteurs et « s'exprime à travers toutes les paroles partisanes »208(*).

La conception substantialiste des identités partisanes ne supporte pas non plus l'examen. En effet les identités évoluent en fonction des contextes politiques mais aussi de la manière dont les militants intègrent les traditions, apprennent le langage et appliquent les règles qui fondent un dessein commun. Nathalie Ethuin le résume clairement, « les identités collectives sont malléables et perméables ; elles sont la résultante d'un perpétuel travail de construction et de recomposition »209(*).

L'analyse entrepreneuriale des partis politiques permet de mettre en lumière certains points aveugles des approches idéologiques « classiques ». L'identité d'un parti ne se limite pas à la propagande faite pour soutenir une « vision du monde ». Elle est un construit social qui a aussi une dimension culturelle.

Les partis comme entreprises culturelles

Le paradigme entrepreneurial a fait florès dans la recherche consacrée aux partis politiques quitte à reléguer au second plan l'ancrage sociétal des partis. Il demeure néanmoins intéressant de ne pas négliger les dimensions culturelles et sociétales, ce que permet le concept « d'entreprises culturelles ».

Ces dernières décennies beaucoup de politistes ont utilisé l'approche entrepreneuriale pour expliquer le phénomène partisan. Aux Etats Unis notamment l'organisation stratarchique210(*) des partis a souvent été interprétée comme l'adaptation à la spécificité du marché politique. Ce succès n'est d'ailleurs pas nouveau. Dans les années soixante, Otto Kirchheimer avait déjà défini la notion de « catch-all-party »211(*) ou « parti attrape-tout ». Pour lui, les partis entretiennent un discours idéologique volontairement peu clivant pour gagner un électorat le plus large possible. Les politistes ont longtemps renâclé à transposer ces analyses au cas des partis européens. Toutefois l'érosion de la participation interne aux partis et la professionnalisation des acteurs politiques ont précipité un changement d'analyse. Richard Katz et Peter Mair actent ainsi l'américanisation des partis européens devenus des « partis cartels » financés par l'Etat et dirigés par des professionnels de la politique212(*).

Cependant la simple appréhension des partis en termes de lutte concurrentielle pour le pouvoir ne suffit pas expliquer à expliquer le phénomène partisan et a fortiori le traitement de son idéologie. Suivant Frédéric Sawicki, il nous semble pertinent de ne pas occulter la culture partisane définie comme un ensemble de « cadres cognitifs et normatifs objectivés dans des règles et un langage »213(*). Cette culture n'est pas figée, elle est « l'enjeu permanent de luttes entre acteurs aux dispositions et ressources politiques et sociales différentes qui tentent de les pervertir, de les aménager ou de les perpétuer »214(*).

Les partis sont donc des entreprises politiques à trois égards : ils cherchent à maximiser leurs gains électoraux ; constituent des groupements d'entrepreneur en compétition pour obtenir des postes ; et sont aussi des entreprises « en interaction permanente et de multiples manières avec leur environnement social ». C'est en ce sens que F. Sawicki décrit les partis comme « entreprises culturelles ». Ce concept permet de saisir plus finement les dynamiques à l'oeuvre dans un parti en conciliant la dimension entrepreneuriale et la culture du parti. Contrairement à l'approche entrepreneuriale classique les enjeux identitaires ne sont pas oubliés. Au contraire ils sont au coeur de la recherche d'un équilibre entre finalités stratégiques et identitaires.

L'étude des partis sous l'angle d'entreprises culturelles permet de mettre à jour les dynamiques sous-jacentes au jeu partisan. L'idéologie fait alors l'objet d'un compromis constamment renouvelé entre objectif d'accéder au pouvoir et la culture partisane. Ces logiques tantôt contradictoires, tantôt complémentaires (les enjeux identitaires peuvent augmenter les chances d'arriver aux positions de pouvoir), s'expliquent particulièrement bien à travers la notion « d'institution de sens ».

2. Les partis instituteurs de sens 

Dans une perspective socio-anthropologique, Michel Hastings décrit les partis politiques à travers la notion « d'institution de sens »215(*). Le parti est envisagé comme régulateur de la dialectique profonde entre l'individuel et le collectif. Il administre un système de sens complémentaire et indissociable d'un « système des tâches ». L'approche originale développée par M. Hastings prolonge la dimension entrepreneuriale. C'est justement parce que le parti est un entrepreneur doctrinal et culturel légitime à proposer une « vision du monde » qu'il produit du sens. Or ce sens se retrouve aussi bien dans les idées défendues dans le jeu politique que dans la culture partisane. Le parti comme institution de sens est donc une focale intéressante pour connaitre des tensions qui traversent l'identité partisane.

L'administration du sens par l'organisation partisane vise à construire une « structure de sens » dont la cohérence est entretenue par un « récit identitaire ».

La construction d'une « structure de sens »

Pour qu'un parti accède à ses fins, c'est-à-dire aux positions de pouvoirs, il lui faut susciter une identification de ses membres à la forme collective partagée. L'entreprise des intéressés au sens de Weber dépasse la recherche d'intérêts matériels. Elle s'inscrit résolument dans une « trame de sens », un ensemble de croyances, de normes, de valeurs, de symboles et de représentations qui font système et forgent un imaginaire collectif. Le parti comme instituteur de sens a donc pour but d'administrer, de modeler les différentes composantes de l'identité collective pour faire advenir des significations communes.

Pour réaliser « la présence du social dans l'esprit de chacun »216(*), les représentations de l'être ensemble se fondent dans une institution entendue selon Hauriou comme une « idée d'oeuvre ou d'entreprise qui se réalise et existe juridiquement dans un cadre social ; par la réalisation d'une telle idée s'organise un pouvoir qui lui fournit des organes ; d'un autre côté, entre les membres du groupe social qui est intéressé à la réalisation de l'idée se mettent en place des manifestations communautaires, dirigées par les organes du pouvoir et règlementées par des procédures »217(*). Autrement dit, le parti en tant qu'institution est en charge de créer le cadre d'interprétation de la vision du monde partagée par les acteurs.

Cette approche par l'institution de sens permet de mettre à jour les différentes tensions à la fois sociales et historiques qui traversent depuis l'origine les partis politiques. La première que remarque Michel Hastings est celle de l'ordre et du désordre. Cette dynamique fait fortement écho aux travaux sur la « génétique partisane » de S. Rokkan et D-L. Seiler. Dans cette perspective les partis sont perçus comme les agents politiques de conflits sociaux historiques. Le parti administrateur de sens apporte alors un double intérêt. L'administration du sens consiste en effet souvent à jouer sur les clivages plus ou moins endormis afin de réactiver leur potentiel identitaire. D'autre part cette approche a aussi l'avantage de rendre compte de la diversité intra-partisane et des déchirements qui peuvent avoir lieu à propos des orientations doctrinales du parti.

Dans la même veine, le politiste établit une dynamique du haut et du bas qui pose la question de l'homogénéité du parti. Malgré un substrat culturel commun, le parti contient des sensibilités plurielles qui s'imbriquent les unes aux autres. Le travail d'administration du sens conduit à mobiliser ces différentes cultures hétérogènes en fonction des temporalités et des territoires. Une ligne directrice établie par les instances dirigeantes du parti peut ainsi être nuancée voire modifiée pour s'inscrire dans la réalité des contextes localisés et de leurs traditions. D'autant que chaque agent partisan (élu, militant, sympathisant,...) prend part de fait à la construction du dispositif identitaire du parti.

La théorie des clivages a montré que les partis étaient issus d'un conflit social fondateur, d'une rupture profonde entre deux projets de société. Par conséquent ils dressent et incarnent une certaine conception du monde. Dans une dynamique du relatif et de l'absolu le sens qu'il produit ne se limite pas aux pratiques politiques mais a une vocation universelle. Son message idéologique a pour but de pénétrer le monde social « non pas comme un langage superficiel ou comme une seule apparence, mais bien comme un langage englobant, un surcode, susceptible d'intervenir à tous les niveaux et sur toutes les actions »218(*). La portée universelle du discours idéologique est à mettre en perspective avec la dynamique du dedans et du dehors. Cette dernière s'entend comme la « dialectique des rapports entre l'en-groupe (avec ses exigences propres d'identité et de reconnaissance sociale) et le hors-groupe (avec les contraintes changeants et jamais totalement maitrisées des divers environnements) »219(*). L'idée d'organisation « double face » se retrouve en filigrane dans toute l'approche des partis comme entreprise doctrinale et culturelle. Il y aurait une face tournée vers l'extérieur (électeurs, médias,...) et une autre tournée vers l'intérieur (dirigeants, militants,...). Le parti instituteur de sens procède donc d'un agencement permanent entre ces deux faces aux logiques identitaires et stratégiques différentes. Le liant entre les deux dimensions d'un même parti se fait à travers un récit identitaire.

Le récit identitaire, ciment des organisations partisanes

L'unité et partant la survie d'un parti dépendent de sa capacité à conserver une homogénéité culturelle à travers un « récit identitaire ». Ce récit prend la forme d'un système de sens dont l'importance est cruciale pour définir un « nous en politique »220(*). L'hypothèse de base est ici que les partis constituent ce que le sociologue Alessandro Pizzorno appelle des « matrices de cultures et d'identités politiques »221(*). Selon Weber les partis sont des entreprises d'intéressés qui recherchent des rétributions matérielles ou immatérielles, le but du récit identitaire est alors de forger un sentiment d'appartenance incontestable au groupe. Dans une perspective mertonienne il permet de faire passer ce groupe de l'état latent à une communauté manifeste dont les membres défendent ensemble les intérêts. Le récit identitaire relie ainsi les deux « faces » interne et externe du parti.

Il est possible de distinguer trois éléments constitutifs du récit identitaire. C'est d'abord un lieu de mémoire au sens de Pierre Nora222(*). Le parti est le dépositaire d'une histoire, son histoire, qui fait le lien avec le passé mais aussi avec l'avenir. Comme le remarquait Michel Leiris, l'histoire est au centre de la culture d'un parti puisque celle-ci « apparait d'un côté comme le produit de ses expériences [...] et que d'un autre coté elle offre à chaque génération montante une base pour le futur »223(*). Le rapport partisan à la mémoire renvoie aussi à la manière dont les partis façonnent le passé pour lui donner une clé d'explication politique. L'administration du sens se traduit par une mise en récit d'une continuité historique entre le passé et l'action politique contemporaine. Le passé est réactivé à travers des rites et des commémorations qui marquent une certaine permanence identitaire.

Le parti se présente également comme un lieu de parole. Le pouvoir du Verbe est déterminant dans la construction du système de sens du parti. Le caractère performatif du discours transforme les formations partisanes en entreprises politiques qui cherchent, par les mots, à toucher les acteurs (sympathisants, électeurs) et à changer leur représentations mentales en leur faveur. Mais si la parole politique contient une forte charge idéologique en véhiculant un ensemble d'idées et de valeurs, elle participe aussi largement à l'ingénierie identitaire par lequel le parti transforme le groupe en communauté politique soudée. A travers une série de mots marqueurs, de mots totems, « le discours partisan fabrique ses visions du monde autour d'un jeu de référents identitaires destinés à marquer les frontières du territoire symbolique de son "nous" »224(*). Bien entendu les stratégies discursives varient d'un parti à l'autre. Pour les Verts comme pour la plupart des petits partis le discours tend à s'opposer radicalement aux modèles idéologiques et intellectuels ordinaires dans lesquels se retrouvent les formations réformistes. La prégnance de l'antiproductivisme dans les discours écologistes ne peut que confirmer cette thèse.

Enfin le récit identitaire se base sur les matrices affectives des partis. Les emprunts conceptuels à la psychologie et à la psychanalyse permettent d'éclairer la dimension encore peu connue des mythes et des passions identitaires au sein des partis. Cette dimension socio-affective se comprend à l'aune des logiques conflictuelles qui sous-tendent le fait partisan. Les clivages du jeu politique s'inscrivent dans le système de sens partisan, ils créent des antagonismes qui cristallisent des sentiments de loyauté et de solidarité à l'égard d'un camp. De même sur le plan interne les déchirements, les trahisons ou les mouvements d'affection et de confiance sont autant de preuves de l'importance de « l'émotion en politique » pour reprendre le titre d'un ouvrage de Philippe Braud225(*).

Etudier les partis en tant qu'institution de sens permet de mieux comprendre les dynamiques complexes qui les traversent. Entrepreneurs idéologiques, les partis ont néanmoins besoin de se conformer à leur récit identitaire pour établir un système de sens cohérent. Cette affirmation peut être relativisée aujourd'hui pour les partis de masses au regard de leur perte d'intensité idéologique et de la dilution des instances de formations culturelles dans la multiplication des réseaux. La tendance n'est cependant pas la même pour les partis écologistes et protestataires au sens large. La proposition d'un modèle alternatif global les maintient comme institution de sens malgré des contradictions internes parfois violentes.

3. Des logiques de représentations différentes

La perspective des partis comme institutions de sens conduit à évoquer la pluralité des usages de l'idéologie et les imbrications avec les stratégies politiques. Tenus par l'obligation de résultat électoral, les partis doivent aussi soigner la cohérence de leur récit identitaire. Les tensions qui traversent les matrices culturelles des partis donnent ainsi lieu à des logiques de représentations différentes. L'équation entre intégration au jeu politique et volonté de se différencier est centrale pour toute organisation partisane. Elle détermine de manière essentielle l'intensité idéologique du parti.

L'identité partisane est donc un enjeu de lutte intra-partisane entre les stratégies contradictoires de compétition électorale et de représentation doctrinale.

L'identité partisane enjeu de lutte interne

L'approche en termes d'administration du sens démontre l'idée de « parti dual »226(*) formulée par Jean Charlot. Le parti a deux visages : un visage tourné vers l'extérieur et un autre tourné vers l'intérieur. Les représentations que donne à voir le parti à l'extérieur entrent évidemment en résonnance avec celles établies en interne. Or un parti comprend une diversité qui engendre des contradictions politiques que ce soit entre les dirigeants et les militants ou entre sensibilités organisées. L'identité partisane est alors un objet de lutte de par l'hétérogénéité culturelle des différents acteurs.

Les partis sont régis par un ensemble de règles cognitives qui sont constitutives de l'identité et de la culture partisane. Ces règles sont contraignantes pour les acteurs puisqu'elles s'attachent à rendre intelligibles les actions communes pour rendre manifeste le cadre de l'être ensemble. Comme nous l'avons déjà vu, ces règles sont évolutives. Elles sont l'objet de tensions permanentes entre les acteurs qui n'ont pas forcément les mêmes motivations et ne disposent pas des mêmes ressources politiques et sociales. Les « postulats de base », entendus au sens d'Edgar Schein227(*) comme des valeurs si consensuelles qu'elles deviennent invisibles, sont assimilées par les acteurs. Toutefois les membres d'un parti ne les assimilent pas de la même manière. Tous n'accordent pas la même importance aux mêmes valeurs. De façon identique les adhérents ont une perception inégale des repères qui constituent la vision du monde du parti. Chaque individu membre se réapproprie donc la culture partisane et participe dans le même temps à sa construction. Il existe donc une multiplicité des appartenances culturelles qui empêche une homogénéisation identitaire totale du parti. Marc Lazar souligne à ce titre que la direction d'un parti a des moyens limités pour réaliser cette harmonie culturelle. Elle met en avant des valeurs principales et hiérarchise ses priorités mais ne peut empêcher les luttes internes qui en découlent228(*).

Dans ce cadre l'idéologie joue un rôle prépondérant. Elle est à la fois le socle du récit identitaire interne et la vitrine du parti sur l'échiquier politique. Pièce essentielle de l'identité collective elle met aussi aux prises les acteurs qui souhaitent l'orienter dans le sens de leurs intérêts. En dépit de la complexité identitaire des partis il est possible de distinguer deux grandes tendances. Une première attentive en priorité au visage « hors groupe » du parti pour maximiser les chances de succès électoraux. Une seconde fermement attachée aux fondements idéologiques du parti qui défend des objectifs idéels quitte à s'isoler du système politique.

Logique de compétition électorale

Dans son étude des formations écologistes belges et ouest-allemandes, Herbert Kitschelt formalise un continuum théorique pour caractériser les options stratégiques d'un parti229(*). Il distingue une logique de « représentation du noyau militant » d'une logique de « compétition électorale ». Ce schéma reprend un certain nombre d'analyses duales qui s'intéressent au rapport du parti à l'idéologie (dichotomie entre « parti de patronage » et « parti de principes »230(*) ; « parti pragmatique » et « parti idéologique »231(*) ; « parti d'électeurs » et « parti de militants »232(*)). La logique électorale s'inscrit dans la dimension d'entrepreneur politique. Elle consiste à mettre le parti en ordre de bataille (organisation, programme, ...) pour concourir au mieux sur le marché politique. L'objectif est de capitaliser un nombre maximum d'élus quitte à prendre quelques largesses avec la doctrine du parti. La logique de compétition électorale va de pair avec une stratégie d'adaptation au système politique, ce qui vaut adoption des règles institutionnelles.

Or dans les démocraties représentatives et particulièrement en France, le principe majoritaire tend à ostraciser les petits partis. Le phénomène majoritaire est en effet institué par un ensemble de normes qui limite le pluralisme. Le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours (élections présidentielles et législatives), la loi de financement des partis politiques ou la réglementation de l'accès aux médias sont autant d'éléments discriminants envers les partis minoritaires. Ces règles maintiennent une sorte de plafond de verre qui prive les petits partis de concurrencer le pouvoir avec les mêmes chances que les grandes formations. Murray Eldelman233(*) va même plus loin. Il explique que l'idéologie dominante telle que produite et véhiculée par les grands partis se fond si bien dans la réalité qu'elle n'apparait même plus comme idéologique. Proposer un projet alternatif allant à l'encontre de ce système d'idées et de valeurs ancré dans l'univers mental serait immédiatement perçu comme utopiste. Face à cet ensemble de règles et d'entraves, les petits partis n'auraient alors d'autre choix que d'intégrer la contrainte majoritaire dans leur identité en assouplissant leurs positions idéologiques et en acceptant les alliances avec les partis majoritaires234(*).

A cette première logique purement entrepreneuriale s'y confronte une autre qui refuse cette évolution et prône l'orthodoxie doctrinale.

Logique de représentation doctrinale

La logique de « représentation du noyau militant » selon l'expression de Kitschelt est centrée sur les fondamentaux du parti. L'accession aux positions de pouvoirs ne peut se faire au détriment de la cohérence idéologique. Au contraire le but est de changer l'idéologie dominante en proposant un contre-modèle. Cette logique éclaire le visage « interne » du parti, le « dedans », avec un attachement fort à l'identité du parti. L'organisation partisane n'est pas seulement entendue comme une entreprise d'intéressés à la concurrence électorale. Elle est un lieu de socialisation pour les adhérents qui y trouvent une certaine forme de reconnaissance sociale. En effet l'identité « n'est autre que le résultat [...] des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et définissent les institutions »235(*). Défendre la matrice culturelle et identitaire du parti devient alors un objectif tout aussi important que celui d'obtenir des postes d'élus.

Sur le plan interne cette logique doctrinale peut se traduire par un attachement à des règles protocolaires qui transposent l'identité du parti. Florence Faucher a ainsi mis en exergue un « souci de soi » permanent chez les Verts français à travers le principe de faire de la politique "autrement"236(*). La promotion d'une culture politique alternative se retrouve chez les écologistes dans leur pratique de la démocratie continue et leur refus de la professionnalisation. Pour les partis minoritaires, la logique doctrinale peut mener à une stratégie de « démarcation » sur le plan externe du jeu politique. Elle consiste à se situer aux marges du système politique et d'argumenter par un discours radical mobilisant les fondements idéologiques du parti. Cette posture contestataire refuse l'intégration au système politique et les échéances électorales n'ont qu'une importance secondaire. Le but est avant tout de s'opposer au modèle dominant. Une autre stratégie moins radicale est néanmoins possible. La « différenciation contestataire »237(*) permet aux partis de prendre part au système politique tout en assurant la cohésion identitaire par des positions alternatives à ce même système.

L'approche idéologique permet donc de mieux voir les dynamiques conflictuelles internes des partis. Toutefois les stratégies d'adaptation ou de démarcation se placent aux extrémités d'un même continuum théorique et coexistent au sein des organisations partisanes. Comme nous l'avons remarqué, un parti n'est pas une entité culturelle unifiée. Il ne faut donc pas voir dans ces logiques deux blocs qui s'opposeraient mais des repères pour comprendre les tensions permanentes qui traversent et remodèlent l'identité partisane.

***

Les partis ne sont pas seulement des entreprises qui proposent une offre sur le marché politique en espérant recueillir la plus forte demande. Toutefois la notion de « parti entreprise » est utile pour saisir les mécanismes complexes qui fondent l'identité partisane. Si le parti cherche en premier lieu à acquérir des positions de pouvoirs en s'intégrant au système politique, il ne peut y parvenir au détriment de son intégrité idéologique originelle. Une formation partisane est en effet bâtie sur un ensemble d'idées, de valeurs, de symboles, de mémoires, de rêves qui constituent un système de sens. Ce dernier est indispensable aux adhérents pour se retrouver ensemble autour d'une même conception du monde. On devine alors les oppositions qui peuvent se faire jour entre les partisans d'une stratégie de compétition électorale et les gardiens d'une certaine orthodoxie idéologique.

Ces contradictions internes qui font que l'identité est en perpétuel mouvement se retrouvent avec acuité dans les petits partis et d'autant plus chez les écologistes. Alors que le parti Vert français semble gagner ses galons d'acteur politique crédible auprès des électeurs, la question de son intensité idéologique est plus que jamais d'actualité. Le prisme de la décroissance est une focale intéressante pour l'analyser.

Conclusion Titre II 

Au prix d'une certaine reformulation de la théorie des clivages nous avons essayé de mettre en avant l'ancrage des partis Verts sur un clivage productivistes/antiproductivistes. Cette classification nous renseigne sur la logique de long terme qui sous-tend le projet écologiste. Les écologistes s'opposent structurellement aux promoteurs du productivisme destructeur des écosystèmes et prônent à l'inverse un mode de vie plus sobre et respectueux de l'environnement. La décroissance se retrouve également sur ce clivage. Par sa remise en cause radicale de la société de croissance et du libéralisme elle s'apparente à une manifestation extrémiste du versant « antiproductivistes ». Avec une différence de degré, décroissance et partis Verts procèdent des mêmes racines socio-historiques.

D'autre part nous avons voulu compléter l'analyse par une approche entrepreneuriale pour permettre de mieux saisir la place de la décroissance dans l'identité des Verts français. Cette approche complémentaire remédie aux limites du paradigme des clivages qui n'offre pas la possibilité (ce n'est d'ailleurs pas son objectif) de distinguer la diversité intra-partisane ni la manière dont les partis renforcent ou réduisent l'empreinte des clivages. Réfléchir les partis comme entreprises culturelles et institutions de sens admet la conciliation d'une vision culturaliste et socio-anthropologique. Les stratégies partisanes sont en effet l'émanation d'une culture issue de la logique du conflit mais les partis ont aussi prise sur le réel et agissent comme des « architectes du social »238(*).

Pour comprendre l'influence de la décroissance sur le parti écologiste français il faut s'en référer aux dynamiques complexes qui structurent l'identité partisane et à la manière dont les partis redéfinissent leur idéologie en interaction avec leur environnement social et culturel. La décroissance est alors un cas d'école pour démontrer comment un parti peut concilier ambition électorale et intégrité identitaire.

Titre Trois : La réappropriation de la décroissance par les Verts français

La décroissance est un sujet de débat difficile chez les Verts français. Bien qu'elle réactive l'identité antiproductiviste, la confrontation de cette écologie radicale à la matrice idéologique du parti amène un certain malaise. Depuis l'entrée dans le champ partisan au milieu des années quatre-vingt, le parti écologiste s'est progressivement institutionnalisé en s'affirmant comme parti de gouvernement. D'un autre côté, les petits partis n'ont d'autre choix que de continuer à mener une stratégie de différenciation idéologique pour espérer peser sur le jeu politique.

Dans ce cadre, concilier intégration de la logique majoritaire et intégrité idéologique est une équation complexe à laquelle se mesurent les petits partis. La décroissance illustre au mieux cette difficulté pour le parti Vert. Le parti écologiste français se livre à un travail de réappropriation du concept de décroissance inévitable pour rester cohérent avec son récit identitaire interne. Toutefois cette intégration est à contrebalancer avec le processus d'institutionnalisation du parti. La décroissance est dès lors requalifiée et euphémisé pour ne pas compromettre l'ascension électorale. Pourtant la base militante écologiste reste sensible aux idées de la décroissance.

Chapitre 7 : Une organisation partisane en voie d'institutionnalisation

La décision d'entrée dans le jeu politique ne fut pas simple à prendre pour les écologistes. La création des Verts en 1984 est précédée de vives discussions sur l'opportunité de « politiser l'écologie » sous une forme partisane. Le mouvement écologiste s'était jusqu'à alors construit en opposition aux partis politiques traditionnels et à l'Etat notamment à travers la lutte antinucléaire. Beaucoup d'écologistes étaient donc réfractaires à l'idée d'édifier un parti de l'écologie (une partie d'entre eux préférant rester dans le combat associatif). Sous l'effet de sa participation régulière aux élections, le parti Vert va progressivement intégrer la logique majoritaire du jeu politique. L'objectif n'est plus seulement de sensibiliser le pouvoir aux thèses écologistes mais d'exercer des responsabilités pour les mettre en oeuvre.

Les Verts agissent en tant qu'entreprise politique pour remporter des positions de pouvoirs face à la concurrence électorale. Confronter l'écologie politique à l'épreuve du pouvoir consiste d'abord à mettre en branle l'organisation du parti pour la compétition politique. La stratégie des alliances pour conjurer le système majoritaire est également assumée.

1. L'évolution historique vers un parti de gouvernement : une volonté assumée d'accéder au pouvoir

Dans leur jeune histoire, les Verts semblent tenus par un mouvement de modération. Ce dernier n'est pas uniforme, connu des heurts et des retours en arrière, mais une tendance générale à l'institutionnalisation du mouvement vert s'esquisse. Nous veillerons ici à ne pas décrire une téléologie du parti écologiste qui ferait fi du contexte socio-politique global dans lequel ces évolutions s'inscrivent. Il n'y a pas de déterminisme historique qui impulserait une vocation du parti écologiste à devenir majoritaire. Au contraire l'histoire des Verts est parsemée de périodes d'extension suivies de replis tout aussi importants. A titre d'exemple, le sociologue Alain Touraine qui pronostiquait que le mouvement antinucléaire supplanterait le mouvement ouvrier a depuis reconnu ses torts.

Pour éclairer le processus d'institutionnalisation des écologistes nous retiendrons trois étapes qui jettent les bases de l'intégration de la logique majoritaire par le parti. La structuration difficile d'un mouvement de l'écologie unifié constitue la première. La deuxième concerne l'institution d'un parti écologiste propre. Enfin l'entrée des Verts dans les institutions, en particulier au Parlement et au gouvernement de « majorité plurielle », parachève la stature de parti de gouvernement.

La structuration laborieuse des écologistes en mouvement unifié

Créer un parti écologiste n'allait pas de soi avant 1984. Au contraire elle fut le fruit de débats intenses et controversés sur la meilleure manière de faire triompher les thèses de l'écologie politique. La nature libertaire des premiers mouvements écologistes a conduit longtemps au refus pur et simple de toute organisation politique. Quand celle-ci fut enfin acceptée, le concept de parti fut encore repoussé pendant un certain temps. L'analyse de la structuration tumultueuse de l'écologie politique française est un préalable nécessaire pour comprendre les conflits ouverts qui rythment la vie du parti Vert et la difficulté structurelle à endosser pleinement le rôle de parti de gouvernement.

Les écologistes refusent dans un premier temps toute organisation nationale et permanente239(*). Au sortir de la campagne de 1974 le voeu de René Dumont d'un mouvement de l'écologie unifiée ne se réalise que de manière éphémère. En juin 1974 plusieurs milliers de militants écologistes se réunissent aux assises de Montargis et fondent le Mouvement écologique (ME). Or l'organisation centrale du ME ne séduit guère et une grande partie des militants le quittent pour fonder une multitude de groupes, à caractère électoral le plus souvent. Ecologie 78 pour les législatives de 1978 ou Paris-écologie pour les élections municipales à Paris de 1979 sont parmi les exemples de ces structures biodégradables (elles disparaissent au lendemain du scrutin). Sur le plan national une nouvelle organisation est tentée avec la Coordination interrégionale des mouvements écologistes (CIME) qui lance une liste pour les européennes de 1979 : Europe Ecologie. Là encore les divergences se font jour et le Réseau des Amis de la Terre (RAT) boycottent le mouvement qui rate de peu la barre des 5% (4,4% au final).

La relative réussite d'Europe Ecologie relance l'idée d'une organisation unifiée dans la perspective des élections de 1981. Aux assises de Dijon (1979) un consensus est trouvé sur la constitution d'une organisation nationale permanente avec le Mouvement d'écologie politique (MEP). Or une partie, majoritaire, des présents souhaitent différer l'édification d'une telle structure et refuse d'intégrer le MEP. Le mouvement écologiste se retrouve alors éclatée entre le MEP, le RAT et ceux qui ne se retrouvent ni dans l'un ni dans l'autre (les « diversitaires »). Après le succès de la campagne de 1981 (Brice Lalonde réalise le meilleur score des petits candidats avec 3, 87%) les conflits organisationnels reprennent. Les Amis de la Terre impulsent la Confédération écologiste, fédération lâche de groupes différents, tandis que le MEP fonde le premier vrai parti écologiste fin 1982 : Les Verts-Parti écologiste. L'organisation partisane prend forme avec des statuts et des modalités de fonctionnement précisées. De l'autre côté, la Confédération écologiste qui s'oppose depuis le début à la forme parti, en prend finalement le chemin en fondant Les Verts-Confédération écologiste en 1982.

Il faut encore attendre deux ans (janvier 1984) pour que les deux entités se regroupent au sein d'un même mouvement partidaire « Les Verts, Confédération écologistes -Parti écologiste ». La structuration des écologistes fut donc plus que laborieuse. Comme le fait remarquer Guillaume Sainteny, six organisations nationales théoriquement permanentes et de nombreuses organisations électorales éphémères auront été nécessaires pour que les écologistes se rassemblent et engrangent enfin les bénéfices de leur présence militante240(*).

La cristallisation de l'écologie politique en parti

L'institutionnalisation de l'écologie politique sous la forme partisane est une étape décisive. Mais comme nous l'avons vu, un fort sentiment antiparti traverse le mouvement écologiste. La réunion des différentes organisations sous la forme d'un même parti n'était donc pas chose aisée. Depuis l'origine les écologistes ont critiqué les partis professionnels comme des machines à distribuer des postes déconnectés de la réalité. Ce discours antisystème partisan tend à disparaitre avec l'émergence des Verts en tant que parti. De fait ils intègrent le jeu politique. Ce basculement, qui peut être compris par certains comme une trahison, permet aussi aux écologistes de lever le principal frein à leur aventure électorale. L'échec de la liste Europe Ecologie à dépasser les 5% (synonymes de députés dans une élection à la proportionnelle) alors que les sondages la plaçaient régulièrement au-dessus marque une prise de conscience pour les écologistes. Sans structure établie, il n'est guère possible de franchir les barrières institutionnelles qui les confinent à la marge.

Signe de cette contradiction profonde, les Verts choisissent un mode d'organisation (nous l'étudierons en détails plus tard) qui l'éloigne du profil type d'un parti de pouvoir. Ce choix est idéologique dans la mesure où les écologistes souhaitent faire de la politique « autrement » et entendent instituer une démocratie interne à toute épreuve. Mais c'est aussi une nécessité pratique. Il faut en effet agréger sur le long terme les militants issus de mouvements divers (gauchistes, environnementalistes, féministes, tiers mondistes, ...) dans un même ensemble. Ce double impératif donne alors naissance à une organisation qui permet la libre expression de tous dans le respect de la stricte égalité. A titre d'exemple le principe du fédéralisme est inscrit dans les statuts, tout comme des droits conséquents pour les minorités ou des mesures pour éviter la professionnalisation des dirigeants du parti.

Mais au-delà des spécificités organisationnelles, le parti écologiste reste dans un processus d'institutionnalisation qui s'accélère au contact du pouvoir.

L'entrée dans les institutions

Malgré la fusion des organisations écologistes, une contradiction latente demeure entre deux conceptions de la politique. Certains, issus notamment des Verts-Parti écologiste, considèrent que la forme parti est en priorité une rampe de lancement pour atteindre le pouvoir et résoudre la crise écologique grandissante. D'autres, les anciens de la Confédération écologiste, voient davantage le parti comme une fin. L'organisation partisane doit respecter l'application de leurs principes pour dessiner l'organisation sociale souhaitée. Nous verrons plus loin les compromis auxquels donne lieu cette contradiction. Cependant cette dernière tend à disparaitre à mesure que les écologistes se confrontent aux suffrages populaires et gagnent des élus. Ce moment est sensible pour toute petite formation partisane et d'autant plus pour les Verts. Il y a en effet chez les écologistes un sentiment encore bien ancré que le changement ne peut venir des institutions politiques. Seul le mouvement social aurait la force nécessaire pour y parvenir. Cette perspective « sociétaliste » au sens de Gregg O. Kvisted241(*) est profondément modifiée par l'élection de nombreux écologistes à des postes de responsabilité. Les aventures électorales développent une culture de gestion inédite chez les écologistes en même temps qu'elles changent les positions sociales des nouveaux élus242(*). La rhétorique antisystème cède progressivement la place à un discours de crédibilité. Les institutions sont présentées comme les leviers de la transformation écologique qu'ils appellent de leurs voeux. En dépit de l'alternance entre périodes d'extension électorale et de repli, l'idée de privilégier la conquête des mandats s'impose. L'entrée des écologistes au Parlement et au gouvernement de « majorité plurielle », suite à la dissolution « surprise » du Président Chirac en 1997 et à la victoire de la gauche, parachève la conversion gestionnaire.

Toutefois cela n'est pas sans risque. Le nombre d'élus croit en effet plus rapidement que le nombre d'adhérents, ce qui est un vrai problème pour un jeune parti. Erwan Lecoeur compte deux milles élus pour six mille adhérents en 2008243(*). Ajouté aux quelques 50% d'adhérents en moyenne qui s'abstiennent de tout débat concernant la vie interne du parti, le déséquilibre entre élus et militants est patent. Certains pointent alors le risque d'une « PRGisation »244(*) des Verts, en particulier dans les périodes de reflux électoral à l'instar des élections régionales de 2004 ou des municipales de 2008 lorsque les Verts s'allient dès le premier tour avec le P.S en échange de postes le plus souvent.

L'évolution institutionnelle des Verts est aussi perceptible à travers la présentation de bilans à partir des années quatre-vingt-dix. Ce devoir d'inventaire suite à la participation à de nombreux exécutifs (municipaux, régionaux, gouvernemental) ou à leur présence à l'Assemblée nationale ou au Parlement européen témoigne d'une intégration politique assumée245(*). L'usage du bilan marque en effet une étape décisive pour les Verts français. D'une part le bilan démontre le poids concret des écologistes sur les politiques publiques ce qui légitime leurs prétentions électorales ; d'autre part le travail des élus est évalué sur des critères autres que les valeurs internes du parti. La publication de bilans manifeste l'insertion des écologistes au champ de la politique traditionnelle en acceptant de se plier un peu plus à ses règles.

Du début des années quatre-vingt au début du XXIème siècle, les écologistes ont beaucoup changé. Leurs thèses se sont peu à peu banalisées et trouvent un écho croissant dans l'opinion publique. En outre les Verts assument pleinement leur intégration au jeu partisan après l'éviction d'Antoine Waechter de la direction du parti. La ligne « ni-ni » cède la place à un pragmatisme électoral qui entérine la définition des Verts comme parti généraliste de gouvernement. Cette évolution se retrouve également cahin-caha dans les pérégrinations organisationnelles des écologistes.

2. La mutation de l'organisation partisane écologiste : De l'anti-parti à la machine électorale ?

La création des partis Verts ne se fait pas dans l'idée de fonder un parti de pouvoir. Partout en Europe, l'objectif initial des Verts est moins de fabriquer une machine électorale que de faire du parti l'avant-garde d'une organisation sociale écologiste. Symbole de cette originalité, le leitmotiv de « faire de la politique autrement » anime les débats internes des Verts encore aujourd'hui. Sur la base du constat d'échec de la démocratie représentative ils souhaitent renouveler les modes de participation à la vie collective et instituer une démocratie participative, un Basisdemokratie (« démocratie basiste ») pour les Grünen allemands en pointe sur le sujet. Les Verts allemands bousculent d'ailleurs tant les formes classiques d'organisation partisane qu'ils sont qualifiés de « partis anti-parti» (antipartei Partei). Il est important de ne pas négliger l'originalité organisationnelle des écologistes. Celle-ci ne relève pas du détail de fonctionnement interne mais est consubstantielle à l'identité des Verts. A travers la structuration du parti c'est toute la philosophie de l'écologie politique que l'on retrouve. Benoît Rihoux a forgé l'expression de « projet idéologico-organisationnel »246(*) pour illustrer ce caractère particulier.

Cependant un tel projet réussit il à déjouer la loi fondamentale posée par Roberto Michels selon laquelle toute organisation partisane tend à l'oligarchie247(*) ? Plus généralement, l'intégrité idéologique qui régit le mode d'organisation des écologistes est-elle compatible avec une logique de conquête de pouvoir ?

Les réponses à ces questions imposent de revenir sur les principes qui établissent les Verts en tant que parti basiste. Puis seront examinées les limites d'une telle organisation. Enfin un éclairage sera donné sur les réformes organisationnelles participant au processus d'institutionnalisation de l'écologie partisane française.

Les principes du parti basiste

Paradoxalement les Verts ont souvent fait l'objet de diatribes concernant leur rapport à la démocratie. Accusés de « khmers verts » ou d'écolos fascistes, les Verts sont souvent vilipendés en raison de supposées tentations autoritaires qui imposeraient une dictature « verte »248(*). Face à leurs détracteurs, les Verts expliquent que « non seulement l'écologie est politique, mais que le politique et la démocratie sont déjà de l'écologie »249(*). Pour eux un futur soutenable est indissociable de la démocratie participative. Seule la responsabilisation collective etant à même d'apporter des réponses durables à la crise écologique. Les Verts s'appliquent donc à mettre en oeuvre leurs principes démocratiques au sein de leur organisation.

Le rassemblement des différentes organisations écologistes lors du Congrès de Clichy de 1984 donne lieu à un compromis statutaire. Les négociations entre la Confédération écologiste et le Parti écologiste aboutissent à une organisation hybride. Plus structurés qu'une association ou qu'un mouvement social, les Verts ne sont pas non plus un véritable parti. Examinant la jeune organisation à l'aune de la définition d'un parti politique donnée par La Palombra et Weiner, Guillaume Sainteny se refuse à lui donner le qualificatif de parti. Jusque dans les années quatre-vingt-dix les Verts ne prennent pas la forme partisane car « ils n'ont voulu ou n'ont pu créer un véritable parti de pouvoir »250(*). Les études sur l'organisation du parti Vert ont pu faire émerger plusieurs spécificités qui permettent d'élucider ce constat251(*). Le parti écologiste est d'abord très attaché au respect du pluralisme intra-partisan. Cet aspect se manifeste par l'organisation très girondine du parti. Idéologiquement réfractaires à l'Etat nation les écologistes ont bâti leurs structures partisanes sur un modèle fédéral de régions autonomes et solidaires. En outre le Conseil National Inter-Régional (CNIR), le parlement du parti, est composé majoritairement par des représentants des régions (trois quart de délégués élus dans les assemblées générales régionales et un quart lors de l'assemblée générale fédérale) afin d'éviter l'omnipotence de la région Ile de France. Le respect du pluralisme est également garanti par l'élection au scrutin proportionnel de liste des délégués au CNIR. Les candidats au CNIR se rassemblent autour de motions d'orientation. La représentation de ces différentes « sensibilités » est alors fonction du nombre de suffrages recueillis par leur motion. Le mode de désignation du Collège exécutif (CE) des Verts est lui aussi régi par l'ambition du pluralisme. La quinzaine de membres du CE est désigné avant tout pour leur représentativité et non pour leur compétence.

D'autre part l'organisation du parti est le moyen d'éviter l'instauration d'une oligarchie verte. Des règles institutionnelles sont mises en place afin de barrer l'accumulation de capital politique par les « élites ». Très critiques à l'égard de la Vème République, les Verts ont longtemps refusé l'existence d'un leadership individuel. Les statuts de 1984 prévoient ainsi quatre porte-paroles pour médiatiser le message « vert » sur la place publique. D'une manière générale tout est fait pour empêcher l'établissement de hiérarchies qui viendraient rompre l'égalité entre les adhérents. Des règles de non cumul interne et externe s'appliquent à tous les membres du parti. La pratique du « tourniquet », qui implique le remplacement d'un élu à mi-mandat par son co-élu, est aussi instaurée afin de faire partager l'expérience politique au plus grand nombre et d'éviter l'émergence de professionnels de la politique.

Les principes organisation du parti écologiste (structure décentralisée, autonomie des régions et des groupes locaux, exécutif volontairement faible, refus de la personnalisation, ...) que nous avons ici brossé à grands traits ne donnent pas pleinement motif de satisfaction. La volonté d'instaurer une démocratie interne parfaite bride l'efficacité du parti voire se retourne contre elle-même.

Blocages et dysfonctionnements de la démocratie basiste

Malgré quelques percées électorales, les Verts peinent à s'implanter durablement dans le paysage politique français. Les commentateurs politiques ont vite appris à qualifier les écologistes d'éternels « amateurs », incapables de capitaliser leur potentiel électoral en raison de leurs multiples et récurrentes divisions. La cacophonie souvent reconnue chez les Verts est intrinsèquement due aux déficiences de leur organisation qui n'arrive pas à réguler la multiplicité des objectifs assignés au parti. Non seulement l'organisation Verte est source de blocage dans la perspective d'efficacité électorale mais elle ne permet pas non plus d'établir une démocratie interne satisfaisante.

Le formalisme démocratique du parti amène en réalité à un fonctionnement opaque. Peu de militants maitrisent l'ensemble des règles tandis que près de la moitié ne prend pas part aux débats internes. Le faible niveau de participation interne ainsi que le nombre total limité d'adhérents (le parti peine à atteindre les dix mille membres) est en partie lié au niveau d'investissement élevé demandé à chaque militant écologiste. La culture des Verts impose en effet la règle implicite de la participation active à la vie interne du mouvement. La nécessité d'un investissement important conduit alors une partie des adhérents à se désengager soit par manque de temps disponible soit par mauvaise compréhension des codes et normes internes.

La focalisation des militants sur le bon respect des règles conduit par ailleurs à un climat de suspicion à l'égard des abus commis par les autres. Cette culture du soupçon empêche un fonctionnement apaisé et une délibération efficace. Le caractère structurellement faible de l'exécutif est également responsable de ce phénomène. Composé à la proportionnelle des courants, le Comité exécutif avait pour but premier de satisfaire l'impératif du pluralisme et non de donner un cap au parti. Le manque d'autorité de la direction est un facteur essentiel de l'absence de discipline partisane. Au nom du pluralisme, les décisions et discours du parti peuvent être remis en cause y compris publiquement, une « clause de conscience » étant même prévu à ce dessein. Le principe de l'autonomie individuelle prime ainsi sur les hiérarchies même s'il dessert l'ensemble du parti en brouillant son message auprès de l'opinion publique.

L'idéal organisationnel des Verts n'est donc pas complétement réalisé en pratique. Le formalisme démocratique engendre une défiance à l'égard de toute personnalité souhaitant imposer une certaine autorité. De fait les écologistes sont incapables de se muer en parti de pouvoir, ce qui devint de plus en plus problématique avec la croissance du parti et sa volonté d'exercer un rôle politique accru. Le parti a donc connu un ensemble de réformes successives.

Vers une machine électorale ?

Depuis 1984 les Verts ont procédé à de nombreuses réformes organisationnelles avec le double objectif d'améliorer la participation des adhérents et d'accroitre l'efficacité électorale du parti. La première réforme d'envergure a lieu en 1994 lorsque les écologistes remplacent les assemblées générales annuelles par un congrès à deux niveaux : les assemblées décentralisées au niveau régional élisent leurs représentants au CNIR et les délégués à l'assemblée fédérale. Ces derniers désignent ensuite le quart restant du CNIR et les membres du collège exécutif. La réforme menée par la nouvelle majorité Voynet-Cochet a l'avantage de mettre un terme à la pratique peu démocratique de l'assemblée fédérale annuelle dont les résultats étaient fonction du lieu où elle se tenait. Pourtant elle ne règle pas les nombreuses divergences qui animent les débats internes. Incapable de se mettre d'accord sur l'objectif ultime du parti (compétition électorale ou organisation sociale alternative), les écologistes font même appel à un Audit participatif interne (A.P.I) achevé en 2002. Le travail réalisé par trois politologues jette une lumière crue sur les lacunes organisationnelles des Verts : « l'organisation des Verts est actuellement, et d'une manière structurelle, une organisation faible »252(*). En outre l'A.P.I pointe de nombreux dysfonctionnement du parti comme l'incohérence des statuts ou l'attachement aux courants transformés en écuries d'ambitions personnelles. Malgré l'exhaustivité et la qualité de l'étude, les Verts n'utilisèrent que partiellement ses conclusions à travers le processus de Réforme participative interne (R.P.I.).

La véritable réforme de l'organisation écologiste date en réalité de la transmutation vers EELV. L'aventure Europe Ecologie, initiée par la liste pour les européennes de 2009, est en soit une petite révolution dans l'histoire de l'écologie politique. L'association de personnalités sous le signe du rassemblement des écologistes témoigne de l'intégration de la dimension concurrentielle du marché politique. Europe Ecologie agrège tout ce que le mouvement écologiste peut avoir de personnalités reconnues (à l'exception de Nicolas Hulot néanmoins représenté par ses proches) pour faire un coup médiatique. Au terme de l'élection, l'opération « marketing » est réussie. Mais c'est au prix d'un affranchissement des règles de désignation du parti Vert. L'acceptation de la logique électorale avec Europe Ecologie inaugure un mouvement de réforme organisationnelle qui doit permettre aux écologistes d'accéder un jour au pouvoir.

Pendant près de deux ans les écologistes (Verts et « non Verts » issus d'Europe Ecologie) mènent un travail de réflexion sur la rénovation du mouvement écologiste. Ce processus de reconstruction ravive les idéaux originaux de l'écologie politique. Sous l'impulsion de Daniel Cohn Bendit est évoquée l'idée d'une « coopérative politique », structure souple dans laquelle toute la mouvance écologiste mais aussi des militants d'autres partis politiques se retrouveraient. Les initiatives fleurissent pour dépasser le cadre rigide du parti politique et créer le lien avec la nébuleuse écologiste. Faute d'avoir jamais pu vraiment choisir entre l'expérimentation du monde souhaité et la participation à la société politique, les écologistes finissent par dissocier les deux ambitions sur le plan organisationnel. Une coopérative est créée autour d'EELV afin de reprendre pied dans le mouvement social et associatif. Moyennant une cotisation (plus faible que les adhérents au parti) les coopérateurs forment un réseau de sympathisants plus ou moins proches d'EELV. Ils peuvent ainsi participer aux réunions et actions des groupes locaux, voter le programme ou encore être candidat à une élection mais sont privés de droit de vote dans les discussions internes au parti, sauf en ce qui concerne l'élection présidentielle. D'autre part la forme plus classique du parti demeure avec cependant un certain nombre d'innovations comme le tirage au sort pour la désignation de l'Agora (instance d'élaboration du programme d'EELV).

En dépit des ambitions réformatrices, le poids de l'ancien parti Vert reste déterminant dans l'ensemble organisationnel écologiste. Il est trop tôt pour dire si la tentative de retrouver le lien avec la mouvance écologiste est ou non un succès. Toutefois les évolutions du parti écologiste traduisent une certaine professionnalisation. Les règles de collégialité ou la pratique du tourniquet ont ainsi été abandonnées tandis que les statuts, notamment le non cumul des mandats, sont parfois ostensiblement bafoués dans une relative indifférence. De l'autre côté, le rôle du secrétariat national a été renforcé. Initialement doté de peu de pouvoirs, le secrétaire national est désormais un acteur clé habilité à parler au nom du mouvement. L'émergence d'une élite verte, la mise en place d'une véritable direction ou encore l'adoption d'un processus de primaires « semi-ouvertes » (il est possible de devenir coopérateur à prix réduit pour pouvoir voter) afin de désigner le candidat à l'élection présidentielle253(*) sont autant d'éléments qui démontrent l'institutionnalisation des Verts. Même si ce processus reste inachevé, il est renforcé par l'adoption d'une stratégie d'alliances électorales.

2. L'autonomie relative des écologistes : la stratégie de l'alliance

Depuis l'origine les écologistes n'ont cessé de se disputer sur la stratégie à adopter. Le débat recouvre l'opposition fondamentale entre partisans d'une stratégie de pression et ceux d'une stratégie électorale. A chaque élection ce clivage s'exacerbe et le choix d'une ligne autonome ou d'alliances avec les partenaires de gauche est toujours âprement discuté. Bien que l'autonomie soit un principe idéologique fort pour les écologistes, il est supplanté à partir de 1993-1995 par une stratégie d'alliance avec la gauche non communiste.

Le revirement stratégique opéré par les écologistes confirme leur institutionnalisation. Ce choix peut s'interpréter comme la victoire des « pragmatistes » sur les « doctrinaires » mais cette analyse reste relativement limitée.

La conversion majoritaire des Verts français

La stratégie autonomiste est la traduction politique de l'idéologie des Verts français. Comme nous l'avons expliqué plus haut, le projet antiproductiviste porté par les écologistes est incompatible avec les partis majoritaires, de droite comme de gauche, attachés à la croissance. Néanmoins cette évolution connait des évolutions avec l'entrée dans le jeu partisan. Confronté au mur du système majoritaire, les alliances électorales apparaissent comme le seul moyen de peser dans le champ politique.

Il convient de ne pas caricaturer la ligne politique des Verts français. Les écologistes ne sont pas naturellement opposés à tout partenariat politique. Un an seulement après la création du parti, trois porte-paroles des Verts lancent en effet un « Appel à la convergence des forces alternatives et écologistes »254(*) proposant un accord avec des mouvements tels que la LCR. Cette ligne va se fissurer dès l'assemblée générale de novembre 1986. La motion « Construire » défendue par les promoteurs d'une stratégie d'alliance est balayée par celle d'Antoine Waetcher préconisant l'autonomie. Dans un contexte politique marqué par la déliquescence de la gauche au pouvoir, le discours prônant l'identité spécifique des écologistes plait aux militants. Le parti entreprend alors un recentrage sur les thèmes environnementaux et remporte quelques succès. Le positionnement « ni droite - ni gauche » permet de préserver les écologistes de la défiance qui touche les partis politiques. L'alternance socialiste n'a eu que peu d'effets et l'écologie politique se place en position d'alternative crédible. Toutefois la stratégie autonomiste atteint rapidement ses limites. Malgré des résultats probants aux élections locales et européennes, les Verts ne parviennent pas à s'imposer sur la scène politique nationale. Ils n'obtiennent aucun député aux législatives de 1988 et 1993. De plus, faute de choisir son camp dans un système partisan bipolarisé, les Verts se trouvent confrontés à la concurrence d'une multitude de nouvelles organisations écologistes. La plus importante, Génération Ecologie, est « un missile anti-Verts »255(*) téléguidé par le P.S pour freiner l'ascension électorale des Verts. Avec un certain Brice Lalonde à sa tête, Génération Ecologie réussit à ravir un électorat plus large que les Verts lors des régionales de 1992 (7% pour Génération Ecologie contre 6,8% pour les Verts).

Dans ce cadre A. Waechter perd la majorité à assemblée générale de Lille en 1993. Deux ans plus tard les militants valident la stratégie de rechercher un accord avec des partenaires politiques : l'écologie n'est pas à marier « sauf si elle a un bon préservatif » ironise Voynet en référence à la motion instituant le « ni-ni » en 1986. Des discussions sont menées avec le parti communiste, le parti socialiste et différentes organisations d'extrême gauche. Daniel Boy remarque que l'accord le plus logique idéologiquement serait avec l'extrême gauche256(*). Les écologistes choisissent finalement l'efficacité et conclu l'accord avec le Parti socialiste. Ce dernier laisse une dizaine de circonscriptions « réservées » aux écologistes en échange de ne pas présenter de candidats face au P.S dans un certain nombre d'autres endroits. La stratégie des Verts se révèle payante puisqu'ils obtiennent au final huit élus pour un score total d'environ 4 %. Depuis lors, et malgré les changements de majorité interne, les écologistes ont toujours recherché des accords électoraux (en particulier avec le parti socialiste) en vue des élections législatives sans pour autant toujours l'accepter257(*).

De ce rapide historique électoral des Verts, il est important de retenir l'évolution vers une stratégie d'alliances assumée. Après s'être isolés sur l'échiquier politique, les écologistes affirment leur volonté de participer au pouvoir. L'accord avec le P.S les propulse d'ailleurs directement au rang de parti de gouvernement. Mais si la stratégie d'alliance a des avantages vis-à-vis du nombre de mandats, elle a aussi ses inconvénients. Beaucoup d'écologistes gardent ainsi un mauvais souvenir du gouvernement de « gauche plurielle » et des nombreux camouflets affligés à Dominique Voynet. Plus récemment « l'accord de législature » conclu entre EELV et le P.S en vue des législatives de juin 2012 a été vivement critiqué par une partie des militants écologistes y voyant un renoncement amère à certaines revendications historiques de l'écologie politique258(*).

Le triomphe des « pragmatistes » ?

Les changements stratégiques des Verts français illustrent la diversité intra-partisane et les logiques différentes voire antagonistes que suivent divers groupes au sein du parti. C'est l'hypothèse posée par Herbert Kitschelt : le parti se place à des endroits spécifiques d'un continuum dont les deux extrémités seraient d'une part la « compétition électorale » et de l'autre la « représentation du noyau militant ». La position sur ce continuum est déterminée en fonction d'un rapport de force entre divers groupes d'adhérents: les « idéologues », les « pragmatistes » et les « lobbyistes ».

Figure 3 : Présentation du « modèle théorique » de Kitschelt, d'après Rihoux, B., Les partis politiques..., op. cit., p. 92.

Benoît Rihoux a repris le modèle théorique de Kitschelt sous la forme d'un schéma (cf. figure 3) afin de montrer les imbrications complexes entre les variables externes et internes qui fondent les orientations stratégiques des partis Verts. Pour reprendre la théorie de Kitschelt il semblerait que le parti Vert français avait initialement pour but de porter les revendications des militants. Le positionnement ni gauche - ni droite serait donc la manifestation d'un rapport de force interne favorable aux « idéologues » et « lobbyistes ». Les « pragmatistes » étaient alors pour l'essentiel militants à Génération Ecologie dont la philosophie politique consistait à faire avancer la cause écologique sans prêter garde à l'obédience politique des partenaires. Le changement d'orientation stratégique serait donc le résultat d'un retournement de majorité au profit des « pragmatistes ».

Il est tentant d'accorder un certain crédit à cette analyse. Elle permet de mettre en lumière la nature hybride de l'organisation écologiste qui s'est construite sur une l'hésitation entre expérimentation de nouvelles manières de vivres et parti de pouvoir. Guillaume Sainteny remarquait en 1991 que « ces diverses fonctions, loin d'être congruentes peuvent se révéler conflictuelles, nécessitant des logiques distinctes et obéissent à des logiques de rétribution différentes »259(*). Toutefois la typologie de Kitschelt enferme les interactions internes du parti écologiste dans une lecture réifiante. L'adoption d'une ligne pragmatique à travers la volonté de conclure des alliances électorales est moins la conséquence d'un groupe de « pragmatistes » arrivant à la tête du parti que le fruit d'une évolution sociologique interne et des modifications des conditions politiques externes. Il faut voir que le parti se professionnalise de plus en plus à partir de la fin des années quatre-vingt en raison de la croissance du nombre d'élus. Les préoccupations des adhérents, ayant désormais pour beaucoup un mandat électif, changent et influent sur les options stratégiques du parti. La volonté de conserver son mandat ou d'en acquérir de nouveaux relativise la position autonomiste et ouvre la discussion sur les partenariats politiques.

De plus l'entrée des Verts au Parlement et au gouvernement a catalysé la constitution d'une élite Verte. Pour la première fois les Verts jouissent des avantages d'un parti de pouvoir (financement accru, staff professionnel élargi,...). Mais surtout le porte-parolat du parti revient de fait aux députés et à la ministre qui concentrent l'attention des médias. On assiste alors à une autonomisation de cette élite qui tend à passer outre les règles du parti260(*).

Le modèle de Kitschelt n'est donc pas tout à fait approprié pour étudier les options stratégiques des Verts français. Au regard des évolutions récentes du parti, il parait difficile de discerner clairement les groupes de militants identifiés par Kitschelt. Une très grande majorité des représentants au Conseil fédéral d'EELV approuvait ainsi la recherche d'un accord avec le Parti socialiste en vue des législatives de 2012. Les oppositions à l'accord, adopté à 74 %, portaient en réalité plus sur le volet programmatique que sur l'aspect électoral.

L'étude des choix stratégiques des Verts français démontre la tendance manifeste à l'institutionnalisation du parti. Les alliances avec le Parti socialiste lui ont permis d'engranger un capital politique nouveau et d'être perçu en tant que parti de gouvernement. Cette stature est renforcée par la position clef qu'occuperaient les Verts en cas de majorité de « gauche ». La taille du parti n'est en effet pas évaluée en fonction de ses résultats électoraux mais de sa position dans une coalition261(*). Le choix des socialistes de privilégier les discussions avec les écologistes pour les élections de 2012 plutôt qu'avec le parti communiste n'est d'ailleurs pas étranger à cette considération tactique. Au final la stratégie d'alliance avec le P.S a donné aux Verts une force dans le paysage politique au-delà même de leurs résultats électoraux.

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Malgré leur incapacité structurelle à choisir clairement le rôle de leur parti, les Verts connaissent toutefois un processus d'institutionnalisation depuis les années quatre-vingt-dix. Le parti écologiste semble s'orienter vers la société politique et accepter les règles qui la régissent mais ne parvient pas à faire le lien avec les nombreuses initiatives, combats et débats qui font la richesse du mouvement écologiste. C'est là tout l'enjeu du nouveau parti-réseau EELV que de permettre aux écologistes d'accéder au pouvoir en remettant pied dans le mouvement social dont ils se sont éloignés au fil des épisodes électoraux.

L'équilibre n'est cependant pas facile à trouver. La conversion majoritaire des Verts français est perçue par certains comme une forme de dissolution idéologique. Les Verts renonceraient à leur ambition alternative en échange de quelques postes laissés par la social-démocratie vieillissante. La ligne politique des écologistes est en fait plus complexe. Certes les Verts assument leur prétention électorale et leur envie d'obtenir des responsabilités mais ils ne renient pas leur idéologie contestataire. Comme l'explique Bruno Villalba, l'idéologie des écologistes est tout autant un moyen de se différencier dans le jeu politique que de s'y intégrer. Les écologistes n'ont jamais souhaité mettre à bas la société politique telle qu'elle est pour en reconstruire une nouvelle. Leur philosophie est au contraire de convaincre pour parvenir à gagner une « majorité culturelle ». Les Verts acceptent donc les compromis inhérents au jeu politique mais veulent rester fidèles à leurs principes, avec tous les risques et difficultés que cela comporte.

Chapitre 8 : La réappropriation de la décroissance, une nécessité dans le « récit identitaire » écologiste

L'écologie politique est marquée par un attachement fort à l'antiproductivisme. Les valeurs de frugalité et d'autonomie que véhicule l'invariant politique antiproductiviste sont en effet au coeur du récit identitaire du parti écologiste. Mais son corpus idéologique éclaté ne lui donne pas une assise identitaire solide. Faute d'une pensée clairement formalisée et intégrée par ses membres, le parti Vert est constamment travaillé par ses contradictions identitaires. Il a donc mis en pratique un pluralisme intra-partisan afin de remédier à ce déficit d'unité culturel. Dans ce cadre, le « visage » interne du parti est particulièrement sensible aux idées de la décroissance. Le parti administrateur de sens se réapproprie la décroissance tout en l'euphémisant pour la rendre compatible avec l'objectif de rentabilité électorale.

L'acuité et la permanence du débat identitaire conduit le parti écologiste à inscrire la décroissance à son agenda politique. Cette influence se retrouve dans le programme écologiste à travers l'importance de l'antiproductivisme.

1. La permanence du débat identitaire

Si les invectives lancées par les objecteurs de croissance parviennent si bien à toucher leur cible verte au point de poser la décroissance en objet de débat central262(*), cela tient à l'intensité du débat identitaire au sein du parti écologiste. Avant d'étudier comment les Verts se réapproprient la décroissance, il importe de comprendre pourquoi un tel ajustement est nécessaire. En sus des convergences programmatiques manifestes que nous avons déjà relevées, le parti écologiste repose depuis l'origine sur un socle de références intellectuelles et idéologiques dont la fragilité est à l'origine d'un débat identitaire jamais clos. Un débat d'ailleurs relancé avec la transmutation du vieux (et pourtant encore jeune !) parti Vert dans le nouveau mouvement Europe Ecologie - Les Verts.

Un mouvement aux appartenances culturelles diverses

L'idéologie est une composante fondamentale de l'identité d'un parti qui se traduit ensuite sous la forme d'une doctrine, d'un programme ou d'un projet de société. Comme nous l'avons vu, elle est au coeur d'un système de représentation, de sens pour reprendre la terminologie de Hastings, qui marque la spécificité de chaque formation. Or à sa création le parti Vert n'a pour seules références que la mobilisation des mouvements sociaux et l'héritage de quelques penseurs iconoclastes. Les écologistes doivent alors inventer leur propre système de croyance. Chose peu aisée d'autant que le jeune parti s'apparente à une agrégation friable d'adhérents issus de mouvements politiques divers et variés. Il ne s'agit donc pas ici de se livrer à une nouvelle analyse de l'idéologie ou du programme écologiste mais de poser la question de savoir s'il est possible de mettre à jour une culture politique propre aux Verts.

Nous avons montré plus haut que les partis politiques devaient s'entendre comme des matrices culturelles afin de souligner les dynamiques complexes et contradictoires qui fondent l'identité partisane. Il est utile de préciser ce propos par la notion de « sous-culture politique », souvent évoquée de manière indifférenciée comme « culture politique ». Nous entendons par là les traits culturels, les attitudes et valeurs partagées par un même sous-groupe politique. L'existence d'une telle culture fait débat chez les écologistes. En effet le parti s'est formé à partir d'héritages politiques divers portant chacun une culture politique propre. Comme le remarque Daniel Boy, « les cultures politiques partisanes naissent probablement du rassemblement d'acteurs sociaux partageant une même vision du monde au sein d'organisations politiques dotées d'une certaine permanence. S'agissant de l'écologie, ces conditions premières ne semblent pas réunies »263(*). Pour cause, les militants participant à la création des Verts en 1984 proviennent pour la plupart d'autres horizons politiques. Selon les rares études réalisées sur les militants Verts, la socialisation « primaire » des adhérents écologistes indique une certaine prédisposition familiale aux valeurs de gauche sans être prépondérante pour autant. Ainsi 49 % des militants Verts disent avoir un père de gauche264(*) et 39 % ont eu un passé militant pour seulement 26 % des adhérents socialistes. Ces origines militantes se trouvent en majorité à gauche (notamment au P.S.U). Daniel Boy établit une corrélation entre le passé militant et l'auto-situation sur l'échiquier politique des adhérents puisque « ceux qui proviennent de l'extrême gauche, du P.C.F et du P.S.U, ont davantage tendance à se situer "plus à gauche" sur l'axe gauche-droite »265(*).

Ce rapide aperçu des modes de socialisation politique des Verts tend à démontrer une certaine hétérogénéité culturelle. Certes un nombre important des adhérents à la fondation du parti en 1984 ont participé aux mouvements sociaux des 1970, véritable berceau de l'écologie politique, mais cela ne paraît pas suffisant pour instituer une culture partisane. Au-delà de cette relative absence initiale de points de références partagés, est-il néanmoins possible de distinguer des segments d'identité communs ?

L'antiproductivisme, segment identitaire commun

En dépit de l'éclatement des différentes composantes de la pensée écologiste, la permanence du débat identitaire au sein des Verts démontre une identification collective à un symbole culturel fort. Le débat n'existe que si les contradicteurs se reconnaissent dans la communauté à travers un socle minimal de valeurs. Dans sa thèse266(*) publiée en 1999 et consacrée à l'analyse « anthropologique » des Verts français et anglais, Florence Faucher pose l'hypothèse d'une culture écologiste « forte ». A travers le vocable de « vertitude » elle entend désigner une essence commune à tous les partis écologistes européens. Son étude affirme pourtant de fortes disparités entre les deux groupes de militants français et anglais interrogés. Des différences se font jour à propos des références idéologiques et philosophiques notamment en ce qui concerne la distinction entre vie publique et vie privée. Mais elle repère un même intérêt des adhérents pour soutenir l'idéal d'une société « soutenable ». Ainsi l'unité culturelle des partis écologistes reposerait sur l'ambition d'une société intégrant les paramètres de bien-être collectif et des limites physiques de la planète. Pour intéressante qu'elle soit, cette étude porte une conception essentialiste qui occulte tout à la fois la diversité intra-partisane et les conflits internes aux partis. Or « tout parti politique est le siège de clivages entre ses membres, clivages qui s'expriment en termes de débats internes lorsque le parti les organise démocratiquement ou qui demeurent latents lorsqu'ils ne peuvent pas émerger en son sein »267(*).

Plutôt que d'essayer de dégager une essence commune à tous les partis écologistes nous faisons ici l'hypothèse que la culture politique des écologistes se construit à partir de l'antiproductivisme. Comme nous avons tenté de le démontrer à travers la logique du projet écologiste, l'antiproductivisme est le ferment identitaire du parti Vert. Il ne faut pas l'entendre comme une essence du projet écologiste mais plutôt comme un socle culturel à partir duquel se développe l'identité écologiste. Ceci expliquerait pourquoi un nombre significatif de militants Verts ne s'identifient ni à la droite ni à la gauche voire refusent de se positionner sur un tel gradient. Le tableau suivant montre à ce propos que les adhérents Verts sont huit fois plus nombreux à refuser le positionnement sur le clivage gauche-droite que les adhérents socialistes.

Tableau 2 : Autopositionnement sur un axe gauche-droite des adhérents P.S. et Verts. D'après Boy, D., et alii, C'était la gauche plurielle, op. cit.

Même en reconnaissant un trait culturel commun dans l'antiproductivisme, l'hétérogénéité culturelle ne semble pas dissipée pour autant. Reste à savoir si la transformation du parti avec Europe Ecologie - Les Verts a permis d'en clarifier les fondements identitaires.

Europe Ecologie : vers une homogénéisation culturelle ?

Après le score désastreux de Dominique Voynet à l'élection présidentielle de 2007 et la normalisation de l'écologie suite au Grenelle de l'environnement, le parti écologiste disparait des radars médiatiques. En coulisse certaines personnalités du mouvement s'activent pour redonner un nouveau souffle à l'écologie politique dans la perspective des européennes de juin 2009. A l'initiative de Daniel Cohn Bendit est lancé un rassemblement des écologistes au-delà du seul parti Vert. Et pour cause ce dernier est considéré par certains comme incapable de quelques succès que ce soit en raison de ses sempiternels déchirements internes. Dany le Vert garde d'ailleurs une certaine rancoeur envers le parti écologiste. La direction voynettiste et une partie des militants ne l'avaient pas ménagé lors de la campagne européenne de 1999 dont il était la tête de liste. Son frère Gaby lance même un appel le 22 mars 2008 « Ecologistes de toutes tendances, unissez-vous » en vue des européennes. Le but affiché est de créer une liste indépendante de tout parti politique regroupant des membres des Verts, de l'extrême gauche, du P.S, et jusqu'au Modem.

Dans ce contexte la nouvelle secrétaire nationale des Verts Cécile Duflot prend ses responsabilités et engage le parti dans le rassemblement des écologistes. Ce dernier prend l'allure d'un véritable « casting électoral ». Des personnalités des Verts (Héléne Flautre, Pascal Canfin, Catherine Grèze,...) se retrouvent au côté de figures du mouvement associatif écologiste (Yannick Jadot responsable des campagnes à Greenpeace, Sandrine Bélier directrice de France Nature Environnement) et de la société civile (l'ex magistrate anticorruption Eva Joly, l'altermondialiste José Bové ou l'ancien journaliste Jean Paul Besset). La liste finalement intitulée « Europe Ecologie » remporte un franc succès dans les urnes. Avec plus de 2,8 millions d'électeurs et 16,28% des voix elle talonne le PS (16,4%) et le dépasse même allégrement dans certaines régions comme en Ile de France ou dans le Sud Est. Le triomphe inédit d'Europe Ecologie marque l'amorce d'un cycle de rénovation de l'écologie politique française. Aux régionales de 2010, la politique d'ouverture continue avec de nouvelles recrues issues de la gauche, de l'associatif ou du monde civil tels que le haut fonctionnaire Robert Lion, le responsable des enfants de Don Quichotte Augustin Legrand ou encore Stéphane Hessel qui figure sur la liste en Ile de France. Forts de leur nouvelle stature électorale et de leur unité, les écologistes souhaitent concrétiser cet élan en refondant l'organisation du mouvement écologique français. Après de nombreux travaux collectifs, consultations et rencontres, les Verts se fondent définitivement aux assises de Lyon le 13 Novembre 2010 dans un nouveau mouvement au nom original « Europe Ecologie - Les Verts » (EELV).

La question est ici de savoir si la transmutation du parti écologiste a permis d'instaurer une plus grande homogénéité culturelle. Force est d'abord de constater que la transformation du parti s'est accompagné d'un long processus de démocratie interne. Chaque adhérent peut participer à des groupes de travail qui réfléchissent sur la forme de la future organisation et sur la charte des valeurs qui doit en constituer le socle. Des assemblées régionales se réunissent également pour échanger sur la transformation du mouvement et faire remonter les observations des militants aux groupes de travail. En octobre 2010, les participants au processus d'Europe Ecologie ratifient les statuts à 84% et le texte manifeste à 90%. Quelques semaines plus tard les Verts font de même à 85,1%. Il faut noter que l'adoption d'un manifeste définissant les grandes lignes du projet et de la doctrine écologiste est une première pour les écologistes français. Son apport est bien plus que déclaratoire. Il permet de donner un socle de références communes à l'ensemble des adhérents du nouveau mouvement. Avec un peu plus d'une dizaine de pages, le Manifeste pour une société écologique offre aussi l'avantage d'être facilement diffusable. Vendu pour une somme modique, il est possible de le trouver dans un grand nombre de librairies et les groupes locaux s'en font livrer un certain nombre. Le manifeste apporte donc un progrès incontestable vers une plus grande homogénéité culturelle. La synthèse idéologique du parti est directement accessible aux militants qui peuvent facilement se l'approprier.

L'écriture d'un tel manifeste n'est pas un hasard. Par définition le rassemblement des écologistes agrège un ensemble de personnalités et de militants aux cultures politiques diverses. Le texte renvoie à un besoin d'unifier dans la durée un mouvement encore plus composite qu'auparavant. Mais outre cette diversité nouvelle, les mécanismes permettant d'établir une culture politique commune sont structurellement faibles dans le parti écologiste. Peu de choses sont en effet prévues pour « socialiser » les nouveaux adhérents et entretenir un corps de croyances partagé. Il n'existe pas de structures de formations institutionnalisées pour les militants et les séminaires de formations sont rares et organisés bénévolement. De plus les écologistes sont un des rares partis politiques à ne pas bénéficier d'instance de production doctrinale. Ce type de centre de réflexion est bien utile pour broder la cohérence idéologique et établir des propositions. Le manque de moyens financiers est souvent avancé pour expliquer cette absence. Pourtant même le Front national possède son « Conseil scientifique ». La création d'une Fondation de l'Ecologie politique a été évoquée après le succès d'Europe Ecologie sans que le projet ait vu le jour jusqu'ici.

Ainsi le parti vert connait un turn over élevé qui est à la fois la cause et la conséquence de son hétérogénéité culturelle. Daniel Boy établit à ce propos que 58% des adhérents verts le sont depuis moins de trois ans268(*). A l'heure où nous écrivons ces lignes il est encore trop tôt pour dire si ce phénomène perdurera avec Europe Ecologie - Les Verts. Mais gageons que l'afflux d'adhésions apporté par les bons scores du parti et l'attraction de la primaire écologiste risque de retomber avec la séquence des élections présidentielles et législatives toujours difficile pour les écologistes. En tout état de cause la faible stabilité du corps militant écologiste rend difficile l'élaboration d'une culture politique partagée qui nécessite une certaine continuité pour s'élaborer.

Pour conclure il ne s'agit pas d'affirmer que la culture politique écologiste n'existe pas. Les écologistes possèdent un socle minimal constitué notamment de l'attachement antiproductiviste et enrichi par le manifeste fondateur d'EELV. Cette culture est faiblement structurée et ne parvient pas à transcender l'ensemble des héritages culturels. Pour prendre acte de cette situation, elle est fondée sur le pluralisme et le respect des références culturelles individuelles. Ceci explique pourquoi le débat identitaire est toujours aussi sensible, en particulier sur le sujet de la décroissance. En tant qu'administrateur de sens le parti Vert doit entretenir un récit identitaire crucial pour lier les différents acteurs du parti. Or l'antiproductivisme constitue la base de l'identité partisane écologiste. C'est un des rares segments identitaires communs. Dans ces conditions le parti Vert ne peut ignorer la décroissance qui tend à exacerber cette identité antiproductiviste. Nier tout lien avec la décroissance reviendrait à s'éloigner des fondements mêmes du parti et à saper sa cohérence idéologique. Le parti Vert se livre donc à un subtil jeu de réappropriation des idées décroissantes.

2. Un agenda politique décroissant ?

Les Verts sont évidemment proches des idées de la décroissance. La critique antiproductiviste qu'ils portent est constitutive de leur identité et nombre d'écologistes se considèrent eux-mêmes comme des objecteurs de croissance. Depuis l'émergence du concept de décroissance au milieu de la dernière décennie, les Verts sont sommés de s'expliquer sur leur rapport à ce courant d'idées. Ce débat peut s'apparenter à une bataille purement sémantique. Mais dans ce cas précis les mots sont des symboles auxquels attachent beaucoup d'importance les adhérents écologistes. Comment s'intègre donc la décroissance au récit identitaire écologiste ?

Si la notion de décroissance est assumée par les écologistes ainsi que le débat qui l'accompagne, elle fait néanmoins l'objet d'une euphémisation dans la logique de l'institutionnalisation du parti.

Un débat interne assumé

Il est difficile de retrouver une ligne claire du parti Vert français sur la question de la décroissance L'absence de doctrine officielle n'empêche pas que le débat soit assumé par le parti écologiste qui reconnait l'acuité du sujet.

Contrairement à son traitement dans l'opinion public, la décroissance est un débat de fond pour les écologistes. Il touche à leur identité même et véhicule une forte charge idéologique qui plaît aux militants. L'hypothèse de la décroissance revient d'ailleurs régulièrement dans les discussions du parti et notamment lors des journées d'été où les ateliers qui y sont consacrés font salle comble269(*). Les Verts sont sensibles à la décroissance et le débat est pleinement accepté en dépit des dissensions qui peuvent avoir lieu sur le sujet. Devant les invectives des objecteurs de croissance et l'affection des militants pour ce thème, les instances dirigeantes du parti ont donc cherché à préciser sa doctrine. Un premier numéro du journal interne abordait le sujet en 2004270(*). Mais la première clarification vint surtout lors de l'assemblée fédérale de Reims (décembre 2004) avec le vote de trois motions thématiques sur la décroissance. La motion « Anticiper »271(*) affirme que « l'apprentissage de la sobriété orientera les propositions et les actions des Verts ». Cette sobriété est décrite comme « une perspective d'autosuffisance décentralisée, par minimisation des échanges de matières et d'énergie, une mobilisation générale de la société autour d'un système sobre, démocratique et solidaire ». La seconde motion intitulée « Crises environnementales II, que faire ? »272(*) abonde dans le sens de la première et précise son contenu. Enfin la dernière motion « Pour une décroissance sélective et équitable : concept à apprivoiser (d'urgence), non à écarter ! »273(*) revendique ostensiblement l'usage du terme décroissance. Votée à une large majorité, cette motion invoque une décroissance « "sélective" (selon des critères combinés écologiques et économiques) et "équitable" (selon des critères sociaux et mondialistes), donc "soutenable" ». Le but affiché est de lutter farouchement contre les récupérations du « développement durable » par les tenants du capitalisme vert. La décroissance s'inscrit dans le droit fil de la critique antiproductiviste portée par les Verts. Elle est présentée comme la « clé de voûte » d'un ensemble programmatique qui doit dessiner une alternative radicale au productivisme et à l'idéologie libérale. Si l'on en croit ces motions Les Verts semblent prendre sans équivoque le chemin de la décroissance.

Des figures du parti n'hésitent d'ailleurs pas à plaider ouvertement pour la décroissance. Jean Paul Besset mais surtout Yves Cochet font partie des personnalités politiques identifiées « objecteurs de croissance ». Bien qu'il n'y ait pas de courant « décroissant » véritablement constitué au sein du parti, une part significative des adhérents se retrouve derrière ce vocable. Le fait qu'un des rares députés verts274(*), Yves Cochet, défende les thèses de la décroissance est aussi en soit très symbolique. Non seulement il anime et alimente le débat sur la notion à l'intérieur du parti mais son statut d'homme politique reconnu lui permet d'introduire la décroissance dans des milieux où elle n'a que rarement accès. Au nom de l'ensemble des députés Verts, il prononce ainsi un discours dans l'hémicycle le 14 octobre 2008 dans lequel il développe les thèmes de la décroissance275(*). La « crise anthropologique » est dénoncée comme la conséquence de la « théologie » de la croissance. La décroissance s'invite pour la première fois au coeur de l'arène parlementaire et Yves Cochet d'en appeler à « décoloniser l'imaginaire » devant une assistance médusée.

Au-delà de l'entrée dans les institutions, la décroissance est aussi développée dans les médias. Dans une tribune publiée dans Le Monde fin août 2010 intitulée « Quel projet pour Europe Ecologie ? », l'ancien ministre du gouvernement Jospin critique la myopie des responsables politiques de droite et de gauche qui refusent d'admettre que la croissance ne reviendra pas. Il propose de « faire de l'écologie, de la sobriété et de la décroissance une mode, un esprit du temps » pour construire ce qu'il appelle la « décroissance prospère »276(*). L'objectif recherché de la tribune est d'ailleurs très clair. Dans la période de recomposition de l'écologie politique française il s'agit de peser sur la future organisation pour qu'elle adopte un projet de décroissance.

Le discours sur la décroissance ne s'adresse pas seulement aux adhérents du parti. Il concerne aussi le « visage extérieur » du parti et tend à assimiler les Verts à la décroissance. Malgré l'appétit des militants pour les thématiques de la décroissance et l'évidente proximité idéologique, le parti écologiste ne se revendique pas directement de ce courant. Dans un souci de ne pas s'aliéner un électorat qu'il veut faire croitre, le parti Vert prend ses certaines distances avec l'écologie radicale de la décroissance.

Un travail d'euphémisation

La décroissance porte un projet de rupture radical avec la société moderne. Les Verts partagent en grande partie cette vision qui correspond à leur identité antiproductiviste. Pour autant depuis les années quatre-vingt-dix et en outre la participation au gouvernement de « gauche plurielle », le parti écologiste affiche son caractère de parti de gouvernement. Le débat sur la décroissance esquisse une ligne de friction entre logique identitaire et logique de compétition électorale. Le parti écologiste se livre alors à un exercice de synthèse délicat.

Le projet des écologistes n'a pas vocation à rester dans l'anonymat ou la marginalité. Cette assertion est en substance la réponse des Verts sur la question de la décroissance. Or derrière cette réponse brève se cache une ambivalence que les cadres du parti ont tenté d'éclaircir. L'économiste du parti Jérôme Gleizes est ainsi chargé de faire le point. Dans un article publié dans la revue EcoRev277(*) il tente de lever les ambiguïtés sur l'usage du terme par le parti écologiste. Si la décroissance est présentée comme au centre du programme écologiste, l'auteur insiste sur la nécessaire précision du concept qui n'est « jamais utilisé seul mais toujours qualifié ». Il se réfère à une motion d'orientation votée en 2006 lors de l'Assemblée Générale de Bordeaux qui affirme : « Il y a de la place pour la décroissance de notre empreinte écologique, avec plus de qualité de vie, de "bien être ensemble" et plus de justice sociale ». Les Verts se réapproprient la notion de décroissance mais sous l'angle de la réduction de l'empreinte écologique. Ce changement sémantique est plus qu'une nuance. L'expression « décroissance de l'empreinte écologique » neutralise la charge négative du terme mais également sa radicalité. Il permet de recentrer le concept sur l'antiproductivisme et partant de s'écarter de l'antilibéralisme qui marque la notion. La réappropriation de la décroissance par les Verts a donc valeur de compromis.

Lors d'un entretien lors des journées d'été d'EELV fin août 2011, Yves Cochet nous confirmait cette hypothèse. Il définissait la décroissance selon trois acceptions : la décroissance de l'empreinte écologique (réduction de la prédation de l'homme sur les ressources naturelles) ; la décroissance économique qui se traduit par une baisse du P.I.B (récession) ; la décroissance en tant que projet de société tel que porté par les objecteurs de croissance. Pour lui, la position du parti écologiste se limite à la première définition. La décroissance de l'empreinte écologique est d'ailleurs accompagnée d'adjectifs mélioratifs (« démocratique », « équitable », « solidaire ») pour éviter toute confusion. Dans le même ordre d'idée, de nombreux cadres du parti se rangent derrière l'idée de croissance/décroissance sélective. Autrement dit la transformation écologique doit conduire à la décroissance de certains secteurs (automobile, nucléaire, militaire, ...) et à la croissance d'autres (énergies renouvelables, transports collectifs, agriculture biologique, ...). Là encore la réappropriation du terme marque un recul par rapport au projet des objecteurs de croissance. Postuler une croissance/décroissance sélective occulte la remise en cause profonde de la logique sociale de la société de croissance pour se focaliser sur l'aspect économique et écologique.

L'appropriation de la « décroissance » par le parti Vert conduit donc à vider le concept en partie de sa substance. La raison de cette euphémisation est simple. Il s'agit d'éviter un « suicide électoral » selon la formule d'Yves Cochet. A travers les entretiens que nous avons réalisé avec les élus écologistes, nous avons en effet pu constater une certaine méfiance à l'égard du terme même de décroissance. Celui-ci serait trop violent pour être porté dans une campagne électorale. Selon Jean Paul Besset, il fait peur jusque dans les rangs d'EELV puisque « nos sociétés modernes se sont développées sur la matrice de la croissance »278(*). Or la philosophie du parti Vert n'est pas de s'enfermer dans des positions doctrinales mais de jeter des passerelles vers la société pour créer une majorité culturelle. L'ancien rédacteur en chef du journal Le Monde voit en cela la différence fondamentale entre les Verts et les objecteurs de croissance. Leurs charges virulentes contre le capitalisme et leur surenchère polémique sont contreproductives car « il faut se faire comprendre ».

La réappropriation de la décroissance par les Verts ne se fait donc qu'au prix d'une certaine reformulation. Le parti écologiste a intégré la dimension majoritaire du jeu politique et accepte la concurrence du marché politique. Par conséquent la décroissance est intégrée au récit identitaire mais de manière euphémisée. On retrouve cet équilibre dans les propositions programmatiques écologistes.

3. L'antiproductivisme dans l'ensemble programmatique écologiste

Le programme écologiste illustre l'ambivalence de la réception de la décroissance. La décroissance n'est pas affichée clairement si ce n'est sous l'angle de la décroissance de l'empreinte écologique. D'un autre coté l'antiproductivisme apparait toujours en filigrane dans l'ensemble programmatique vert. Au-delà de l'idéologie ou du discours, le programme revêt un intérêt particulier pour notre étude. En effet le programme n'est autre que la déclinaison d'une doctrine dans un contexte donné. C'est l'offre politique que présente le parti-entreprise aux électeurs sur le marché politique concurrentiel. Dès lors l'analyse de l'ensemble programmatique permet d'illustrer la stratégie du parti écologiste et la manière dont il se réapproprie concrètement la décroissance. L'objet n'est pas ici de mener une monographie détaillée de l'évolution des programmes écologistes. Par l'étude des récents documents programmatiques nous tacherons simplement de mettre en lumière certains éléments utiles pour comprendre l'intégration de la décroissance par les Verts.

Il est possible de discerner une première tendance consistant à rendre le projet écologiste « désirable » et généraliste. La décroissance est ainsi retranchée sous l'angle de l'empreinte écologique bien que l'antiproductivisme continue d'irriguer l'essentiel du programme.

Une tendance historique à généraliser le projet écologiste

Evidemment les écologistes d'aujourd'hui n'ont plus grand-chose à voir avec ceux du congrès fondateur de Clichy en 1984. L'écart idéologique et programmatique peut paraitre saisissant mais il est à mettre en perspective avec les évolutions sociales et politiques au niveau macro ainsi qu'aux changements dans la composition et la stratégie des Verts. Il faut donc garder à l'esprit qu'un programme s'inscrit dans un contexte et évolue en fonction de celui-ci. Cette précision faite, il est possible de repérer une tendance d'extension programmatique qui conduit les Verts à approfondir leurs analyses et à compléter leurs propositions. Cette évolution est à l'oeuvre quasiment depuis l'entrée des écologistes en politique. Elle est la conséquence logique de l'intégration au système partisan. La confrontation avec les autres acteurs du jeu politique les a poussés à développer des propositions sur des thèmes autres que les classiques de l'écologie politique. En effet la première campagne écologiste portée par René Dumont en 1974 est très centrée sur les questions de destruction des ressources naturelles, d'urbanisation et de surpopulation, bien qu'elle aborde également d'autres sujets (décentralisation, bureaucratisation, ...)279(*). Il est ensuite possible de distinguer grossièrement trois phases.

Une première phase (de 1975 à 1986) se traduit par la diversification des thèmes de campagne. L'écologie politique, pas encore partisane, étend ses propositions au domaine économique, social et institutionnel. Guillaume Sainteny relève que sur les douze « mesures d'urgence » lancées par Aujourd'hui l'écologie dans l'entre deux tours de l'élection présidentielle de 1981, aucune ne s'adressent vraiment aux thématiques environnementales280(*). Sous l'influence des Amis de la Terre, le mouvement écologiste attache une importance croissante aux aspects institutionnels (libertés collectives, cumul des mandats, décentralisation,...). La création des Verts marque un ancrage sur les questions économiques et sociales (partage du temps de travail, économie verte, défense des immigrés,...) qu'ils déclinent dans la campagne des européennes de 1984 et des régionales de 1986. L'environnement est renvoyé à l'arrière-plan au point que les écologistes n'apparaissent plus novateurs sur le sujet. En 1986 la principale proposition concernant l'environnement est la création d'un grand ministère de l'environnement, ce que réclament également d'autres courants politiques (Raymond Barre et Michel Rocard en tête)281(*). Les Verts axent leurs campagnes sur des revendications très proches du reste de la gauche (droits de l'homme, antiracisme, justice sociale,...) sans pour autant réussir à combler leur déficit de crédibilité sur ces questions. Pour cause, leurs mesures économiques et sociales paraissent s'ajouter au programme sans être vraiment réfléchies en profondeur.

La deuxième phase commence en 1986 avec le changement de majorité au sein des Verts et l'arrivée d'Antoine Waechter. Elle conduit à une réorientation programmatique sur les questions d'environnement. La préservation de la planète passe au premier plan dès 1988. Les Verts établissent cinq « points prioritaires » dont trois sont directement liés à la protection de la nature282(*). De même en 1989 l'essentiel de la campagne des européennes est centrée sur l'environnement. La mise en avant de l'environnement se fait à travers deux nouveaux concepts qui viennent charpenter les programmes des Verts. D'abord le concept de « crise écologique » (qui recouvre une acception très large allant du trou dans la couche d'ozone à la désertification rurale) légitime les propositions écologistes. Ces dernières s'articulent autour d'une deuxième idée issue du rapport Bruntland283(*), le « développement soutenable ». L'écologie politique se concentre ainsi sur des propositions environnementales sans toutefois renier l'héritage des décennies précédentes. Les questions sociales (partage du travail, revenu social garanti,...) et démocratiques figurent encore dans le projet mêmes si elles ne sont plus prioritaires.

Enfin il est possible de reconnaitre une troisième phase de 1993 à aujourd'hui. L'arrivée de Dominique Voynet au secrétariat national des Verts marque la victoire des partisans d'une alliance avec la gauche face aux tenants du « ni droite ni gauche ». Le changement est d'autant plus radical qu'Antoine Waechter déserte le parti et laisse la direction voynetttiste sans opposition interne significative. Les propositions programmatiques s'orientent alors sur une ligne « Rouge-Verte » avec le retour des propositions sociales au premier plan. La campagne des européennes de 1999 amène d'ailleurs d'autres thématiques alors que les Verts participent à la « majorité plurielle ». Des questions de société comme le Pacs, la légalisation du cannabis ou économiques comme l'entrée dans l'euro sont mises en avant. Le mouvement d'extension programmatique continue en 2002 avec la candidature de Noël Mamère à l'élection présidentielle. Bien que l'expérience de la « majorité plurielle » n'ait pas vraiment été une réussite pour les Verts si l'on en juge au nombre de camouflets qu'a dû gérer la ministre Voynet, elle a néanmoins montré que les écologistes avaient vocation à exercer des responsabilités. La transformation des Verts en parti généraliste continue à travers le programme de 2007 et celui pour 2012. Des réflexions sur l'éducation, la crise des banlieues ou encore les services publics sont avancées. De même des propositions sont formulées en direction des entreprises ou de la refonte de la finance. L'avènement d'EELV marque aussi l'accroissement de l'offre programmatique écologiste personnifié par l'engagement de figures de la société civile. Par exemple Eva Joly ou Laurence Vichnievsky déclinent le thème de la République exemplaire tandis que des personnalités comme Augustin Legrand ou Emmanuelle Cosse (ancienne présidente d'Act Up-Paris, association de lutte contre le sida) appuient une conception forte de l'action sociale (logement, lutte contre les discriminations, ...).

Au-delà du mouvement de fond visant à installer le parti écologiste comme parti de gouvernement généraliste, certains évoquent une tendance à la modération du programme écologiste284(*). Il est vrai que le slogan « l'Utopie ou la Mort » de la campagne de René Dumont (cf. annexe 1) n'a en effet plus grand-chose à voir avec le projet « Vivre mieux vers la société écologiste » pour 2012. Pour autant il existe une certaine continuité dans l'ensemble programmatique Vert à travers l'antiproductivisme.

L'antiproductivisme toujours au coeur du programme écologiste ?

Au centre de l'identité partisane écologiste, l'antiproductivisme doit logiquement constituer la trame du programme des Verts. Or bâtir un projet sur une valeur aussi spécifique est-il compatible avec une logique de compétition électorale ? Les documents programmatiques de 2007 et 2012 apportent quelques éléments de réponse.

Le premier constat est que l'antiproductivisme constitue effectivement le socle du programme des Verts. Il est le terreau dans lequel prennent racine les propositions écologistes et se retrouve le plus souvent dès le préambule. Le programme 2012 dénonce dès la première page l'impasse de la « reproduction sans frein de l'ancien modèle de croissance infinie » et appelle à faire « décroître notre empreinte écologique »285(*). On retrouve ici le concept de « décroissance de l'empreinte écologique » déjà présent dans le programme de 2007286(*). Concrètement cela se traduit par une volonté de faire décroitre la dépendance aux énergies fossiles, le volume des déchets, de sortir du nucléaire d'ici 2031 et du modèle agricole productiviste. Mais l'antiproductivisme du programme écologiste va au-delà de la décroissance de l'empreinte écologique. Les propositions de la semaine de travail à 32h ou la mise en place d'un revenu universel garanti font directement écho aux thématiques des objecteurs de croissance. Elles remettent en cause la société travailliste et s'opposent au consensus libéral. En ce sens le programme des Verts pourrait presque passer pour un programme décroissant.

Pourtant l'apport du programme présidentiel et législatif pour 2012 ne réside pas dans l'adhésion aux thèses de la décroissance. Au contraire ce projet parachève l'édification d'un parti généraliste qui démontrer une capacité gestionnaire. Des thématiques nouvelles sont mises en avant et rompent avec l'idée d'une alternative idéologique radicale. Pour la première fois sont ainsi détaillées des propositions pour une « industrie écologique » mais aussi pour « réduire fermement » la dette et les déficits publics. Certes ces mesures répondent à une conjoncture économique particulière mais notons tout de même l'évolution rapide vers un certain pragmatisme alors que le programme de 2007 entendait rompre avec la « mondialisation néolibérale »287(*). D'autre part à travers le projet de VIème République, les écologistes semblent initier une réflexion sur l'Etat jusqu'ici absente de leurs propositions.

La volonté d'apparaitre comme un parti crédible à vocation majoritaire s'illustre d'autant plus dans le projet présidentiel du candidat écologiste Eva Joly288(*). Ce document est en quelque sorte l'appropriation personnelle par le candidat du programme parti. Les propositions se retrouvent peu ou prou dans le programme officiel d'EELV mais dessinent un ordre de priorité. Ce sont pour l'essentiel ces mesures-là qui sont présentées pendant la campagne présidentielle. Or ce projet est riche d'enseignements. D'abord l'antiproductivisme a presque disparu du texte. On ne trouve aucune occurrence des mots « productiviste » ou « décroissance » dans un ensemble de soixante-huit pages quand il était possible de les dénombrer quatre fois (deux fois « productiviste » et deux fois « décroissance) dans le programme d'EELV pour 2012 et quatorze fois dans celui de 2007 (sept fois et cinq fois). D'ailleurs l'antiproductivisme n'apparait plus clairement. Tout juste est-il fait allusion au « choix de modèles économiques et de comportements respectueux, sobres, de nouveau en accord avec la nature » et à la volonté de construire « des modes de vie [...] qui réduisent notre empreinte sur la planète et sur l'atmosphère ». L'accent est mis sur les questions économiques et sociales notamment avec la proposition de créer « un million d'emplois verts ». A l'instar du voisin belge Ecolo, la tendance est donc à passer sous silence l'antiproductivisme pour y préférer un « néo-keynésianisme vert » dans l'idée d'un « Green New Deal ». Preuve de ce renversement doctrinal, le contre budget d'Eva Joly s'intitule « Budget 2012, un new deal écologique et social »289(*). Il prévoit quatorze milliards d'euros d'investissements dans « l'économie durable » et affirme fortement l'objectif de réduction des déficits réalisé essentiellement par des hausses d'impôts et des coupes dans les dépenses anti-écologiques.

L'étude des programmes écologistes permet de faire un rapide état des lieux de la réappropriation de la décroissance par les Verts. Elle se traduit à minima par la formule de « décroissance de l'empreinte écologique » et se fond plus largement dans l'antiproductivisme qui irrigue l'ensemble programmatique. Cependant la logique de compétition électorale tend à éroder la matrice antiproductiviste des programmes écologistes. Il est trop tôt pour dire si la conversion à une forme de néo-keynésianisme écologique se confirmera. Mais remarquons tout de même que l'objectif affiché de faire revenir le déficit public à 3% du P.I.B en 2014 est un tournant dans l'histoire des Verts.

***

Du fait de la pluralité des cultures qui le composent, le parti écologiste français est fragile sur le plan identitaire. Ces multiples influences rendent le débat identitaire sensible et permanent. Dans ce contexte la stratégie de minorité active des objecteurs de croissance porte ses fruits. Elle remet l'antiproductivisme au coeur de l'agenda politique des Verts alors qu'ils ont entamé un processus de transformation en parti de gouvernement. Pris sous cet angle il serait d'ailleurs possible d'expliquer l'émergence du mouvement pour la décroissance en réaction à l'institutionnalisation de l'écologie politique. En s'engageant à bras le corps dans la compétition électorale, les Verts laisseraient un espace vide que l'écologie radicale des objecteurs de croissance viendrait combler. Les Verts et les tenants de la décroissance se trouvant sur le même versant de clivage, les premiers sont confrontés à l'influence des seconds. La décroissance, en réactivant l'identité antiproductiviste, force ainsi les Verts à intégrer ses thématiques pour éviter la désagrégation de leur récit identitaire.

Dans ce contexte, l'équilibre entre logique électorale et logique identitaire se trouve sur une ligne de crête. L'équation est de se forger une culture politique de gouvernement tout en gardant une offre politique suffisamment différenciée. La décroissance est alors intégrée de manière euphémisée autour du concept de « décroissance de l'empreinte écologique ». Ce compromis permet de conserver à la fois une base culturelle commune aux adhérents du parti et de se mettre en condition pour se confronter à l'épreuve du pouvoir. Toutefois il convient de ne pas négliger la sociologie des adhérents Verts. Le parti étant composé en majorité d'élus, il est nécessaire de s'intéresser plus précisément aux militants Verts pour obtenir une vision d'ensemble de l'influence de la décroissance chez les écologistes français.

Chapitre 9 : Une base militante sensible au débat sur la décroissance

Le sens commun, au même titre que la science politique, considère souvent les partis politiques comme des entités collectives d'un point de vue macro. Or on oublie trop souvent l'essentiel, c'est-à-dire que ces entités sont des communautés politiques composées d'individus. Olivier Filleule et Nonna Mayer le rappellent de manière éloquente, « l'organisation, au moment où on l'observe, n'est [...] rien d'autre que le résultat d'un équilibre ponctuel résultant de la coexistence d'individus dont la présence n'est redevable ni des mêmes déterminants individuels ni des mêmes contextes »290(*).

Nous l'avons remarqué plus haut, le parti écologiste s'est formé à la confluence de différentes mouvances et philosophies politiques. Peut être encore plus que dans les autres formations, les adhérents Verts ne réceptionnent pas l'idéologie verte de la même manière. Pour revenir plus prosaïquement sur notre cas d'espèce, il est intéressant et même nécessaire pour avoir une photographie complète de la question, d'étudier en quoi la « base » du parti Vert appréhende le débat sur la décroissance. Les analyses des idéologies partisanes se résument souvent à l'idéologie des dirigeants. Or les militants produisent eux aussi du « sens » d'autant plus chez les Verts où la culture pluraliste et égalitariste veut que la parole d'un militant ait la même valeur que celle d'un cadre.

Grâce aux analyses conduites par divers auteurs, à notre « observation participante » et aux ressources collectées par questionnaire auprès des adhérents du groupe local EELV Pays d'Aix, nous essayerons de mettre en lumière la sensibilité des militants Verts à la décroissance. Avant de développer ce point particulier, il importe de détailler quelques caractéristiques socio-professionnelles des militants Verts. Nous conclurons notre enquête en abordant le travail de synthèse que commencent à fournir certains partis Verts européens sur la question de la décroissance.

1. Caractéristiques des militants verts

La décroissance n'est pas à proprement parler une proposition classique sur le marché politique. Yves Cochet le dit sans ambages, proposer la décroissance serait un « suicide électoral ». Pourtant, nous avons tenté de démontrer qu'il existe une sensibilité sinon une adhésion plus ou moins grande du parti écologiste aux propositions des objecteurs de croissance. Comment expliquer alors un tel décalage entre un électorat qui refuserait en bloc ce projet politique et une communauté politique Verte qui y adhérerait ? L'analyse des caractéristiques des militants Verts peut contribuer à esquisser une réponse.

Il est très difficile de dessiner l'idéal-type du militant écologiste en raison du peu d'études récentes. Avec les ressources disponibles seront brossés les grands traits de la sociologie des militants Verts.

Des militants des classes moyennes supérieures, surdiplômés

Les similitudes entre la sociodémographie des militants Verts et de leurs électeurs sont assez frappantes. D. Boy, F. Platone, H. Rey, F. Subileau et C. Ysmal soulignaient cet état de fait pour les trois partis qui constituaient, pour l'essentiel, la « gauche plurielle » : « les trois partis, P.S., Verts et P. C. F., bien que dans une moindre mesure, sont bien les partis des couches moyennes salariées disposant d'un fort capital culturel »291(*). Toutefois, à la différence du P.S et du P.C.F, le parti écologiste peine à rassembler un électorat socialement plus large que leurs adhérents. Les Verts seraient un parti de classes socioprofessionnelles supérieures, surdiplômées et qui attirerait donc des électeurs ayant, en majorité, le même profil.

Les études sociologiques menées sur les militants Verts tendent à confirmer ce portrait qui contraste d'ailleurs avec l'image jeune que porte l'écologie politique dans l'opinion. Le premier trait caractéristique du parti Vert concerne sa composition socioprofessionnelle. Les Verts sont essentiellement un parti de cadres et de classes moyennes supérieures provenant du secteur public. En 1998 les catégories intermédiaires représentaient 44% des adhérents Verts soit une augmentation de plus de dix points depuis 1989. Daniel Boy explique cette montée en flèche par l'accroissement du nombre d'instituteurs chez les Verts dont la représentation passe de 8 à 18% du total des adhérents292(*).

Tableau 3 : Composition socioprofessionnelle des Verts en 1989 et en 1998 comparée à celle de la population française, en %. Source : Boy, D., et alii, op. cit., p. 26 et 28.

Le parti écologiste attire aussi les cadres et les professions intellectuelles qui constituaient 35 % des adhérents en 1998. Cette proportion semble avoir encore augmentée avec Europe Ecologie puisque 42% des adhérents ou sympathisants d'Europe Ecologie293(*) se déclaraient appartenir à cette catégorie en 2010. D'autre part les classes populaires sont presque absentes (1% d'ouvriers et 1% d'agriculteurs pour Europe Ecologie). Cette répartition socioprofessionnelle est corrélée à un fort niveau de capital culturel. Dès 1990 on note un nombre important de diplômés du supérieur (58% alors qu'ils ne représentent que 10 % de la population totale) notamment issus de filières scientifiques (environ 60 %)294(*). Daniel Boy évoque même le chiffre considérable de 65% de diplômés du supérieur chez les adhérents Verts en 1998. L'étude de Guillaume Sainteny sur les années soixante-dix à quatre-vingt-dix remarque des constantes similaires. Les écologistes ont un niveau de diplôme important mais ne répondent pas au parcours classique du personnel politique (sciences politiques, droit, écoles d'administration, ...). Ces cadres diplômés proviennent pour beaucoup des milieux de l'éducation, de la recherche, de la santé ou encore de l'art et du journalisme.

Un réservoir de militants presque inchangé

L'autre élément marquant de la sociologie des adhérents Verts concerne la classe d'âge élevée des militants. Le parti écologiste semble frappé par une incapacité structurelle à recruter et à fidéliser les jeunes adhérents. Les variations de la structure d'âge des Verts entre 1989 et 1998 sont tout à fait représentatives (cf. tableau 4).

Tableau 4 : Adhérents Verts par classe d'âge, en %, en 1988 et 1998. D'après Boy, D., et alii, op. cit., p. 20.

On retrouve en effet les mêmes proportions décalées d'une classe d'âge. La structure d'âge est simplement corrigée par les dix années écoulées, ce qui traduit un vieillissement des adhérents inquiétant pour un jeune parti. Ce constat tient au fait que le parti n'arrive pas ou peu à fidéliser ses nouveaux adhérents comme nous l'avons déjà évoqué plus haut. L'Audit participatif interne a ainsi montré que « depuis la création des Verts, le nombre d'anciens adhérents (c'est-à-dire d'adhérents qui ont quitté le parti) est largement supérieur au nombre actuel de membres du parti ! ». En outre l'A.P.I démontre que le vieillissement du parti Vert se poursuit : l'âge moyen des adhérents est passé de 39 ans en 1990 à 47 ans en 2002. Il était permis d'espérer un certain renouvellement des militants avec l'enthousiasme qu'a suscité Europe Ecologie parmi les jeunes. Or ce ne semble pas être le cas, les adhérents et sympathisants d'Europe Ecologie se déclarant à 49% âgés de plus de 50 ans295(*). Les quadragénaires restent majoritaires tandis que les jeunes sont très peu nombreux.

Sur la base de ce constat, l'analyse d'Agnès Roche et Jean Luc Bennahmias parait pertinente : « jusqu'à la fin des années quatre-vingt, les écologistes sont grosso modo la "génération 68", qui a aujourd'hui environ 45 ans »296(*). En effet les militants écologistes seraient peu ou prou, faute de renouvellement majeur, toujours les mêmes à la différence près qu'ils ont vieilli.

Le fait que les Verts français soit un parti composé majoritairement de militants à fort capital culturel et issus de la « génération 68 » ou « post-soixante-huitarde » donne quelques éléments d'explication sur la sensibilité à la décroissance. Ces caractéristiques laissent penser que les militants écologistes seraient moins concernés par les bread and butter issues et concentreraient leur attention sur des valeurs postmatérialistes comme l'antiproductivisme. A défaut de cristalliser en clivage structurant l'espace politique comme le pensait Inglehart, les valeurs postmatérialistes sont bien présentes dans les motivations des militants Verts. Les membres des générations du baby-boom, de mai 68 ou des années suivantes continuent d'être surreprésentés au sein du parti. Ils restent pour la plupart animés par l'esprit contestataire des années soixante-dix, période de leur socialisation politique. Or la décroissance ne fait que prolonger ce rêve d'un monde radicalement différent. Les militants Verts sont donc sociologiquement prédisposés à être sensibles aux thèmes de la décroissance

2. Les Verts et la décroissance : Paroles de militants

Pour compléter notre analyse nous avons tenté de passer un questionnaire aux adhérents Verts du groupe local EELV Pays d'Aix. Le nombre de retour n'est pas suffisamment conséquent pour donner une image fidèle de l'appropriation de la décroissance par ce groupe de militants. Nous détaillerons donc ici seulement quelques exemples qui nous semblent significatifs des différents points de vue des militants Verts sur la décroissance.

La plupart des militants présentés ci-dessous font preuve d'un bon niveau de connaissance de la décroissance. Leur niveau de diplôme élevé (tous les militants ayant répondu sont diplômés de l'enseignement supérieur dont un certain nombre d'ingénieurs et de docteurs) n'est certainement pas étranger à cela. Leur définition de la décroissance parait assez complète et il est d'ailleurs intéressant de constater qu'elle ne se limite pas à la « décroissance de l'empreinte écologique » mais se rapproche souvent de la décroissance en tant que « projet de société ».

Militant 1

Position au sein du groupe

Membre du CA et de la commission environnement nationale

Niveau de diplôme

BAC + 2

Adhésion aux idées de la décroissance (échelle de 1 à 10, ordre croissant)

10

Définition de la décroissance

« Equitable et solidaire, la condition de notre survie » (le sujet fait référence à la motion votée par Les Verts en 2004 « Pour une décroissance équitable et solidaire » évoqué plus haut)

La décroissance, un programme pour EELV ?

« Faire partie du programme »

Le militant 1, très impliqué dans la vie du parti (il exerce des responsabilités internes au niveau local et national), fait clairement référence à la motion « Pour une décroissance équitable et solidaire » approuvée par Les Verts en 2004 dans sa définition de la décroissance. Son intérêt pour la décroissance est maximal mais il nuance la place à lui accorder dans le programme. En effet sa réponse laisse suggérer que le programme d'EELV devrait prendre en compte la décroissance sans forcément la mettre en avant. La décroissance serait un thème parmi les autres classiques de l'écologie politique (féminisme, pacifisme, ...). Cette position nuancée est reprise et détaillée par les autres militants.

Militant 2

Position au sein du groupe

Militant

Niveau de diplôme

BAC + 4

Adhésion aux idées de la décroissance (échelle de 1 à 10, ordre croissant)

8

Définition de la décroissance

« C'est une philosophie, un choix de vie qui cherche à ne pas entrer dans le système du tout marché , du tout consommable, c'est un mouvement pour réfléchir à des modes de vie plus respectueux des ressources, de l'humain... c'est chercher à vivre mieux en consommant moins, en recyclant, en respectant les autres et soi et l'environnement » ; « être décroissant c'est être libre » ; « je dirais aussi que la décroissance mérite un nom plus positif (« ah bon mais vous allez vous éclairer à la bougie ») un mot qui ne connote pas un retour en arrière. » 

La décroissance un programme pour EELV ?

« Non (...) je pense qu'il faut d'abord parler aux citoyens de ce qu'ils peuvent entendre. Le niveau d'acceptabilité de la décroissance me semble très faible si le mouvement veut être crédible » ; « Moi-même très sensibilisée et convaincue de la décroissance j'ai beaucoup de mal à l'appliquer au quotidien »

Le cas du militant 2 est représentatif du malaise du parti écologiste sur la question de la décroissance. Sans responsabilité interne particulière, cet adhérent est manifestement proche des idées de la décroissance  (« être décroissant c'est être libre ») qui ne consistent pas en une décroissance économique mais à un « choix de vie ». Malgré un fort degré d'adhésion à la décroissance, ce militant reconnait la difficulté politique à l'endosser. A l'instar de nombreuses réponses que nous avons reçu, il remarque la charge très négative ne serait-ce que du mot « décroissance » (qui connote un « retour en arrière »). Porter publiquement les thèmes de la décroissance serait incompatible avec la logique électorale. Ce pragmatisme tranche avec les arguments avancés par la fameuse motion de 2004, dont se réclame le militant précédent, qui envisageait de manière radicalement opposée le rôle du parti : « Notre petit parti s'honorerait de ne pas faillir à sa mission historique, qui est davantage sans doute, d'éveiller et conforter un mouvement social capable d'infléchir le cours des choses que de conquérir une majorité d'élus dans les institutions »297(*). Certes il convient de replacer ce texte dans son contexte. Le parti écologiste traversait à l'époque une mauvaise passe, suite au coup de tonnerre du 22 avril 2002, qui contraste avec la relative ascension électorale des trois dernières années. Toutefois le choix entre transformation en parti de pouvoir ou repli sur des bases idéologiques fortes semble toujours donner lieu à un clivage qui s'illustre à travers le débat sur la décroissance.

Militant 3

Position au sein du groupe

Secrétaire du groupe

Niveau de diplôme

BAC + 4

Adhésion aux idées de la décroissance (échelle de 1 à 10, ordre croissant)

9/10

Définition de la décroissance

« C'est considérer notre environnement dans sa globalité et réaliser que le système actuel est arrivé à son apogée d'où le besoin de tout revoir et de planifier une courbe descendante [par rapport] à celle que nous vivons. Ce qui ne signifie pas ne plus produire mais produire autrement pour répondre aux véritables besoins de notre société en adéquation avec nos lieux de vie propres. »

La décroissance un programme pour EELV ?

« Oui mais pas énoncé de la sorte car la population ne comprend pas ce virage parlé et se détournerait complément de nos idées » ; « Les propositions d'EELV sont d'aller vers une économie de croissance qui assure des emplois (...), vers une transition dont les éléments avoisinent la décroissance mais de fait va changer la vie de tous.» ; « il s'agit de passer d'une croissance de surproduction et de gaspillage à une "décroissance" sur certains produits par, de fait, ce changement incontournable de politique, d'économie, (...) »

Le militant 3 illustre à nouveau la difficile réappropriation de la décroissance par les Verts. Responsable du groupe local, il définit la décroissance en des termes proches de l'écologie politique (« considérer notre environnement dans sa globalité », « produire autrement pour répondre aux véritables besoins »). La frilosité sémantique est là aussi bien présente. Il s'agit de ne pas effrayer les électeurs en agitant des chiffons verts mais au contraire de les convaincre qu'une transformation du mode de vie s'impose. La position définie par ce militant nous semble assez caractéristique de la ligne majoritaire du parti sur la décroissance. Le terme « décroissance » étant stigmatisé comme trop violent, il est digéré sous l'angle de l'empreinte écologique (« surproduction », « gaspillage »). Pour EELV il s'agit donc de s'orienter vers une décroissance quantitative et sélective (« certains produits ») accompagnée d'une croissance de certains autres secteurs écologiques.

Militant 4

Position au sein du groupe

« observateur-militant individuel »

Niveau de diplôme

IEP

Adhésion aux idées de la décroissance (échelle de 1 à 10, ordre croissant)

4 (Interrogé sur son intérêt pour la question, le sujet le fixe à 6)

Définition de la décroissance

« Mouvement politique et économique visant à réduire la consommation des ressources et capitaux pour obtenir un niveau de croissance égal ou inférieur tel que mesuré par les agrégats économiques (P.I.B...) » ; « Cela a pour but d'aboutir à un partage des richesses plus égalitaire sur la planète, et d'éradiquer la misère en améliorant l'allocation des ressources et en supprimant les incitations à la cupidité » ; « C'est un mouvement proche du malthusianisme qui a été très controversé et a connu des échecs d'application cuisants »

La décroissance un programme pour EELV ?

« Je pense que le sujet est très segmentant. Il est un angle d'attaque pour les autres partis. EELV est taxé d'idéalisme ou d'idéologie « hors-sol » sur ce thème. Mieux vaut prôner la frugalité même si à long terme la décroissance est plus "logique". »

Enfin ce militant confesse une adhésion moindre aux idées de la décroissance (position 4 sur une échelle de 10 quand la quasi-totalité des autres répondants se placent au-dessus de 7). Cette sensibilité réduite s'explique peut-être par la manière dont il définit la décroissance. En effet la décroissance est ici envisagée sous l'angle purement quantitatif de la réduction du P.I.B (ce qu'Yves Cochet préférerait appeler la « récession »). Dès lors cette définition l'amène à prendre ses distances avec le courant décroissant caractérisé comme « proche du malthusianisme »298(*). De la même manière que les militants précédents, il remarque que la décroissance créer trop de dissensus pour faire partie du programme d'EELV. Mais l'antiproductivisme n'est pas renié pour autant, la « frugalité » pouvant être à ses yeux un thème suffisamment positif pour être un axe de campagne.

Au final, l'antiproductivisme apparait comme le fond commun à l'ensemble de ces réponses. Signe de l'important capital culturel caractéristique des adhérents Verts et de l'intérêt qu'ils portent au sujet, les militants écologistes appréhendent souvent la décroissance dans sa définition la plus complète de « projet de société ». Nombre d'entre eux portent un intérêt certain à la décroissance et adhérent le plus souvent à ses thèses. Ils sont aussi une majorité à penser que les élus d'EELV ne parlent pas assez de décroissance et que ce courant d'idées devrait figurer, à des degrés divers selon les réponses, dans le programme du parti. Ces quelques éléments d'illustration de la réaction des militants Verts à la décroissance tendent à confirmer notre hypothèse de départ. La décroissance fait partie, par extension des valeurs antiproductivistes, du récit identitaire écologiste. A ce titre la base militante souhaiterait une plus grande implication du parti sur ce thème mais sans pour autant compromettre la logique de conquête du pouvoir.

Les partis Verts redoublent d'efforts pour trouver ce point d'équilibre idéologique et stratégique. Puisque le concept fait peur mais que les idées séduisent, les écologistes lancent de nouvelles réflexions pour rendre compatible la substance des idées de la décroissance avec un projet politique désirable et crédible.

3. Tentative de synthèse : la prospérité sans croissance

Concilier projet antiproductiviste et ambition du pouvoir est peut-être le challenge le plus essentiel que les écologistes ont à relever. Le point d'équilibre n'est pas facile à atteindre tant le chemin entre compromission « croissanciste » et isolement électoral est étroit. Or les partis Verts semblent bien sur la défensive concernant la remise en cause de la croissance, obligés de se positionner face aux critiques radicales de la décroissance. Dans ce cadre, le travail théorique livré par l'économiste anglais Tim Jackson autour du concept de « prospérité sans croissance » peut être une porte de sortie. C'est du moins cette idée que mettent à l'étude certains partis écologistes et notamment le premier d'entre eux, le parti belge francophone Ecolo.

La prospérité sans croissance, une troisième voie

Tim Jackson n'a rien d'un gauchiste idéaliste. Au contraire ce professeur de développement durable à l'Université du Surrey occupa le poste très officiel de commissaire à l'économie de la Commission du développement durable du Royaume Uni. Son ouvrage Prosperity Without Growth299(*) est largement issu des travaux de cette commission. Le point de départ de sa réflexion réside dans le caractère insoutenable du modèle de développement productiviste. En cela il reprend les critiques des écologistes et des décroissants sur l'absence de prise en compte des limites écologiques par le système économique. Il pose la question de savoir comment ce systéme peut soutenir une croissance permanente quand les ressources de la planète sont finies. Selon lui, la raison de cet attachement à la croissance provient d'une confusion entre prospérité et croissance du P.I.B. Or la croissance aujourd'hui, au-delà du fait qu'elle ne soit plus possible en raison de la crise écologique, n'est même plus souhaitable puisqu'elle accroit dramatiquement les disparités sociales en creusant le fossé des inégalités. La croissance du P.I.B n'est donc qu'un succédané de l'augmentation de la prospérité car « la prospérité aujourd'hui ne signifie rien si elle sape les conditions dont dépend la prospérité de demain. Et le message le plus important de la crise financière de 2008, c'est que demain est déjà là »300(*). L'analyse de Tim Jackson se réfère beaucoup à la crise financière pour fonder sa démarche. Celle-ci résulte d'une logique de consommation (endettement des ménages sans égard au risque d'insolvabilité) poussée à outrance que l'on retrouve également à l'origine du changement climatique et de la raréfaction des ressources naturelles. La crise de 2008 n'est réalité qu'un soubresaut par rapport au désastre qu'amène la crise écologique.

Pour le professeur britannique, la notion de prospérité est une voie féconde pour sortir de la logique mortifère de la croissance tout en garantissant un bien être à tous. Encore faut-il redéfinir son contenu ce qui est tout à fait possible puisque « tout examen rapide de la littérature révèle qu'au-delà du cadre étroitement économique de cette question, il existe plusieurs visions fortement concurrentes de la prospérité »301(*). Contrairement au paradigme actuel qui associe prospérité et opulence matérielle, Tim Jackson invoque une prospérité alternative fondée sur la sobriété. Ce type de prospérité rejoint l'idée de « capabilités d'épanouissement » selon l'expression d'Amartya Sen reprise par Jackson. L'important serait d'être convenablement nourri, chauffé, logé, éduqué pour participer à la vie de la cité, etc. Néanmoins ces capabilités ne s'entendent pas comme autant de libertés infinies. Au contraire « les capabilités sont limitées d'une part par l'échelle de la population mondiale et, de l'autre, par le caractère fini des ressources écologiques de la planète »302(*). Ces limites sont en effet nécessaires pour que la prospérité ne retombe pas dans les mêmes travers que la notion de croissance.

L'objectif de la pensée de Jackson est alors, à travers cette nouvelle définition de la prospérité, de dessiner une voie médiane entre la croissance verte et la décroissance. En prélude à ses propositions pour une économie durable, Tim Jackson s'emploie à déconstruire la fausse solution du « New Deal Vert ». Le néokeynesianisme vert consiste à cibler les dépenses de relance de l'activité économique sur le défi de la crise écologique. Ces investissements massifs doivent permettre de réduire l'empreinte écologique en isolant par exemple les bâtiments ou en développant les énergies renouvelables. La relance « verte » contribuerait à créer un nombre conséquent d'emplois via la transition écologique de certains secteurs industriels et de services. En dépit de ces perspectives enthousiasmantes, Tim Jackson met un bémol au New Deal vert. Ce stimulus budgétaire, même écologique, signerait le retour au business as usual puisqu'il alimenterait à nouveau la croissance et la consommation. On retourne au point de départ d'une économie de croissance perpétuelle et toujours aussi peu soutenable.

D'une manière générale, Prosperity without Growth met au pilori l'idée selon laquelle il serait possible de découpler l'augmentation du P.I.B de l'empreinte écologique. Le découplage peut être relatif, c'est-à-dire faire croitre le P.I.B pour un même niveau de prédation sur les ressources naturelles, ou absolu, soit faire augmenter le P.I.B tout en réduisant l'empreinte écologique. Si le premier type de découplage est à peu près envisageable c'est vers un découplage absolu qu'il faut aller pour l'effondrement écologique. Evidemment un tel découplage est difficilement opérable dans les économies fondées sur la croissance notamment à cause de l'effet rebond (cf. supra et le paradoxe de Jevons).

L'auteur du rapport pour le gouvernement britannique évoque également la décroissance pour sortir du dilemme de la croissance. Il l'envisage uniquement sous l'angle de la réduction du P.I.B et conclut assez rapidement que celle-ci serait instable. Pourtant l'ouvrage de Tim Jackson est truffé de convergences avec les objecteurs de croissance. Il décrit la « cage de fer du consumérisme » dans laquelle est enfermé le système économique. Pour se maintenir, le système productiviste est lancé dans une course infinie à la productivité quitte à utiliser des subterfuges éloignés de toute éthique comme l'obsolescence programmée. D'autre part il s'attaque aussi à la logique sociale du consumérisme. La société occidentale est exposée à une « récession sociale » qui dilate le vivre ensemble. Jackson reprend à son compte les critiques de la société de consommation et met en avant les mécanismes psychologiques de représentation sociale à travers le « langage des objets ». La recherche permanente de satisfaction des désirs par les biens matériels aliène la capacité des hommes à s'épanouir et donne lieu à une société très anxiogène. Cette structuration mentale est propre à la société de croissance et constitue en soi un blocage pour aller vers une prospérité partagée. Sans y faire référence, Tim Jackson fait écho aux propositions des objecteurs de croissance en invoquant un « hédonisme alternatif » qui consisterait à rechercher des motifs de satisfaction autrement que dans la consommation matérielle.

Au final, le professeur anglais met en lumière la « prospérité sans croissance » comme une troisième voie entre la « croissance verte non durable » et la « décroissance instable ». Son concept est articulé avec une macroéconomie écologique qui s'inscrit dans la lignée des travaux d'Herman Daly sur l'économie en état d'équilibre303(*). L'auteur fait alors plusieurs recommandations pour mettre en pratique la « prospérité sans croissance » parmi lesquelles un partage important du temps de travail, un revenu citoyen et des investissements écologiques massifs (économies de ressources, technologies propres, amélioration de l'écosystème). Dans cette transition vers une économie durable l'Etat doit jouer un rôle interventionniste accru dans une logique très rousseauiste d'incarnation de la volonté générale : « nous cédons certaines de nos libertés individuelles. Mais en retour, nous gagnons une certaine sécurité dans le fait que nos vies seront protégées contre la liberté débridée des autres »304(*).

Ce rapide aperçu du livre de Tim Jackson ne saurait en dispenser la lecture. Nous avons toutefois tenté de montrer en quoi le concept de « prospérité sans croissance » contient un potentiel considérable pour les partis Verts. Il offre en effet l'avantage de proposer des pistes pour une économie débarrassée du productivisme sans déstabiliser complètement l'emploi. En dépit de nombreux points communs, la théorie jacksonienne relève d'une approche différente de la décroissance. Alors que Serge Latouche et ses amis souhaitent « sortir de l'économie », Jackson entend la « réparer » pour la rendre compatible avec les limites finies de la planète. A l'instar des objecteurs de croissance, l'économiste britannique entreprend une remise en cause du capitalisme libéral. Pourtant, et c'est là une divergence centrale, Tim Jackson n'en fait pas la finalité de son concept : « est-ce encore du capitalisme ? Est-ce vraiment important ? Pour ceux qui attachent beaucoup d'importance à cette question, peut-être pourrions-nous nous contenter de paraphraser le capitaine Spock, dans Star Trek, et convenir que "c'est du capitalisme, Jim, mais pas comme nous le connaissons"»305(*).

L'amorce d'une opérationnalisation politique

Le concept de « prospérité sans croissance » est une piste de réflexion intéressante pour les écologistes. Il reprend leur ligne antiproductiviste tout en lui donnant un caractère plus construit et positif. Mais en dépit de la qualité de son travail théorique, Tim Jackson ne délivre que peu de mesures concrètes. Il est donc nécessaire d'opérationnaliser le concept de « prospérité sans croissance » pour le rendre mobilisable dans le champ politique. C'est le projet qu'a entrepris le parti belge francophone Ecolo à travers sa fondation.

L'exemple d'Ecolo est particulièrement intéressant dans le cadre de notre étude. Cette formation est en effet « le plus grand des partis Verts en Europe » selon l'expression de Pascal Delwit306(*). Il est incontestablement celui qui a le plus avancé dans sa conversion majoritaire. Il compte un nombre d'adhérents aussi important que le parti français pour une population bien moindre et s'est érigé une stature de parti de pouvoir depuis sa participation à différentes coalitions gouvernementales. Toutefois Ecolo a connu des résultats électoraux en dents de scie sur la dernière décennie. Après une importante victoire en 1999 qui le situait autour de 20 % des suffrages, le parti a essuyé plusieurs défaites de rang en 2003 et 2004. La formation écologiste belge a alors mené un travail de reconstruction doctrinal et stratégique. Selon Edgar Szoc, coordinateur du pôle prospective à Etopia, le parti s'est reconcentré sur « la crédibilité économique autour d'un néokeynesiansime vert »307(*) incarné par le slogan « Green New Deal » qu'il fit sien. La logique de pouvoir est parfaitement assumée par Ecolo, le parti se présente aux élections pour les gagner et parvenir au gouvernement. Cette ambition a conduit le parti à reléguer l'antiproductivisme au second plan malgré un « intérêt certain » de la base militante pour ce sujet. Edgar Szoc va même plus loin et évoque une différence d'appréciation claire entre les dirigeants et élus du parti et les militants sur la question de la décroissance (« appareil nettement plus réticent à ce genre d'idéologie que la base, certainement à cause d'un principe de réalité »). Il fait l'hypothèse que la décroissance serait incompatible avec l'obtention du pouvoir ce qui expliquerait une certaine « crainte » des dirigeants à porter ce thème (« Si on porte ce programme, former un gouvernement deviendrait impossible ; ou alors on y renonce en le mettant simplement dans le programme »). C'est dans ce contexte que la fondation Etopia a commencé à mener un travail d'opérationnalisation de la « prospérité sans croissance ». L'enjeu est de taille pour Ecolo puisque le concept de Tim Jackson lui permettrait potentiellement de se mettre en accord avec son « récit identitaire » antiproductiviste tout en restant identifié comme parti de gouvernement. Le think-thank écologiste belge travaille donc avec différents chercheurs européens, dont la Française Dominique Méda, pour rendre concrète la troisième voie dessinée par Tim Jackson.

Pour ce qui concerne notre étude des Verts français, les termes ne se posent pas de la même façon. Le parti n'a pas encore complétement achevé sa mue majoritaire. Le nombre d'élus au niveau national reste faible, les participations gouvernementales épisodiques, et il ne semble pas y avoir une telle rupture entre les militants et les cadres. Même si ce n'est pas la ligne « officielle » du parti, Yves Cochet et d'autres militants plaident ouvertement en faveur de la décroissance à l'intérieur du mouvement. Le débat y est présent et assumé. A l'instar d'Ecolo, le parti écologiste français trouverait toutefois un intérêt certain à mobiliser le concept de « prospérité sans croissance ». Or il apparait pour l'instant que les thèses de Tim Jackson n'aient pas traversé les frontières françaises308(*).

***

L'étude des militants Verts confirme l'hypothèse d'une sensibilité forte au sujet de la décroissance. Une bonne partie d'entre eux retrouvent d'ailleurs avec la décroissance des idées proches de celles qu'ils défendaient dans les mouvements sociaux des années soixante-dix ou postérieurs. Si les militants témoignent souvent d'un intérêt plutôt fort pour la décroissance, l'analyse de leur définition du concept montre des niveaux d'appréhension pluriels. En raison de sa relative nouveauté dans l'espace public et de son manque de formalisation, la décroissance n'est pas encore tout à fait cernée y compris chez les militants écologistes même si la plupart font preuve d'un bon niveau d'appréhension.

D'une manière générale, la décroissance n'est pas souhaitée en tant que « vitrine » du parti bien que la remise en cause du modèle de développement inégalitaire et « croissanciste » soit jugée comme prioritaire. Cette ambivalence est significative de la difficulté du parti Vert à promouvoir un projet antiproductiviste tout en se détachant du « mot obus » de décroissance. Le concept de « prospérité sans croissance » initié par Tim Jackson constitue à ce jour la piste de réflexion la plus prometteuse pour résoudre cette équation. A condition qu'elle soit empruntée par l'ensemble des acteurs du parti et non seulement par des experts qui délivreraient une doctrine clef en main aux militants.

Conclusion Titre III

La décroissance questionne l'identité productiviste du parti Vert français. Sans hésiter à frapper fort sur les dirigeants écologistes, elle s'invite dans le débat identitaire des Verts. Or le parti écologiste ne cache plus ses aspirations à devenir majoritaire. Depuis les années quatre-vingt-dix un ensemble de réformes ont été engagées pour adapter le « parti antiparti » au marché politique. Surtout les écologistes semblent avoir pris conscience qu'ils ne changeront pas la société seuls. Le jeu démocratique impose de construire des majorités d'idées au-delà de son propre camp, d'où l'acceptation d'un certain réalisme avec la mise sur pied d'une stratégie partenariale.

Dans cette perspective nous avons essayé de montrer que la fragilité identitaire des Verts français les conduisait à intégrer la critique décroissante. Toutefois, sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres, les écologistes font montre de leur attachement à la complexité chère à Edgar Morin. Faute de pouvoir trancher clairement l'objectif final du parti, les Verts intègrent la décroissance dans leur récit identitaire à travers le compromis de la « décroissance de l'empreinte écologique ». Un entre deux qui ne satisfait pas vraiment grand monde. Les partisans de la décroissance souhaitant une affirmation plus forte tandis que les « pragmatistes » cherchent à relativiser du mieux possible la portée du concept. En fonction de ce contexte, nul doute que le travail de requalification autour de « la prospérité sans croissance » puisse être utile aux écologistes à l'avenir.

Conclusion générale

Dans Les Années d'Hiver, le psychanalyste et penseur de l'écologie politique Felix Guattari lançait un appel à l'invention face au libéralisme triomphant des années quatre-vingt. Il fondait notamment la notion de « territoire de référence » c'est-à-dire « l'ensemble des projets ou des représentations sur lesquels vont déboucher pragmatiquement toute une série de comportements, d'investissements, dans le temps et dans les espaces sociaux, culturels, esthétiques, cognitifs »309(*). Par la déconstruction des mythes qu'elle opère, la décroissance peut s'envisager sous l'angle d'un nouveau « territoire de référence ». Sa nature provocante et radicale suscite les controverses, l'incompréhension ou l'indignation. Il est vrai que les objecteurs de croissance ne font pas les choses à moitié. Porteurs d'une vision alternative de la société face à la gabegie du productivisme, les objecteurs de décroissance remettent en cause une grande partie des soubassements culturels de la société occidentale. Certes l'impératif écologique est au coeur de la pensée décroissante mais c'est toute la logique sociale de la société de croissance qui est dénoncée. Ainsi le consumérisme et la technique conduisent à l'aliénation de l'esprit libre tandis que le travail conditionne l'individu au rôle primaire de consommateur.

La « décolonisation de l'imaginaire collectif » conduit immanquablement à remettre en cause le système dominant, c'est-à-dire le « capitalisme néolibéral ». Evidemment les militants de la décroissance ne sont pas les seuls à soutenir un tel projet. C'est la marotte de la plupart des mouvements radiaux de désigner ainsi l'ennemi pour mieux justifier ses thèses. Toutefois dans le landernau des mouvements alternatifs, la décroissance a quelque chose de particulier. D'abord sa remise en cause du capitalisme se fonde sur un antiproductivisme qui tranche avec la rhétorique classique de l'extrême gauche. Mais surtout la décroissance mène une stratégie de minorité active telle que définie par Serge Moscovici. Elle entend proposer un contre modèle empiriquement incarné par le mouvement de la simplicité volontaire avec pour but de renverser par l'exemple le système dominant. Cette stratégie est controversée au sein même du mouvement pour la décroissance, certains considérant que l'intégration au jeu partisan est la seule manière de faire avancer leurs idées. Pourtant, la stratégie de minorité active commence à produire ses effets. Non pas que la décroissance soit devenue en quelques années le leitmotiv des partis majoritaires, mais ses idées ont fait l'effet d'un pavé lancé dans la marre du parti Vert.

La montée en puissance de la décroissance a en effet mis à vif les tensions identitaires qui parcourent le parti écologiste. Pour en comprendre les raisons nous avons montré, à l'aide du paradigme des clivages, que les Verts s'inscrivaient dans une logique de long terme caractérisé par l'antiproductivisme. Cette notion constitue pour les écologistes un invariant politique. Un socle sur lequel repose l'ensemble des croyances communes des adhérents et qui les fait exister en tant que communauté politique. L'antiproductivisme qui préside à la logique du projet des Verts et des objecteurs de croissance les conduit à partager le même versant du clivage rural/urbain objectivé en clivage productivistes/antiproductivistes. Dans ce cadre, la décroissance apparait comme la manifestation « extrémiste » de ce clivage face à un parti Vert plus modéré. Il est donc possible, comme nous l'a indiqué Yves Cochet, que décroissance et écologie politique se confondent. Pour autant il importe de noter que la différenciation de la décroissance vis-à-vis des Verts se joue, en outre, sur le plan du rapport au libéralisme. Le mouvement de la décroissance n'est en effet pas avare de diatribes à l'égard du libéralisme qu'il considère comme la matrice philosophique de la société de croissance. Les Verts ont eux une position plus mesurée, reconnaissant les limites du libéralisme économique sans toutefois vouloir sortir de l'économie de marché.

La situation des Verts sur le même clivage que les décroissants se traduit par une influence de la décroissance sur le parti écologiste. Pour la comprendre, il importe de prendre en compte les spécificités de l'identité des Verts français. Le parti Vert s'est fondé sur une identité plurielle qu'illustrent les nombreux soubresauts internes que connut l'organisation depuis sa création en 1984. En l'absence d'une doctrine écologiste bien établie, le parti Vert est plus un espace où coexistent différentes cultures politiques que le creuset d'une véritable identité Verte. Ce déficit de structuration est exacerbé par le type d'organisation partisane qui fait la part belle à la démocratie interne pour satisfaire l'ambition d'une politique faite autrement. Dans ce contexte, l'antiproductivisme constitue un des rares segments identitaires communs à l'ensemble des adhérents. En proposant une écologie radicale, la décroissance conduit donc à réactiver le débat identitaire au sein du parti écologiste autour de la place de l'antiproductivisme.

Toutefois le parti Vert est traversé de tensions contradictoires. Depuis l'adoption à partir de 1993 d'une stratégie d'alliance avec les partenaires de gauche, les Verts ont entamé un processus d'institutionnalisation qui doit se conclure par la transformation en parti de pouvoir. La récente transmutation des Verts en Europe Ecologie - Les Verts se veut d'ailleurs une étape décisive en ce sens. Dans cette perspective, se réclamer ouvertement de la décroissance est contradictoire. Cela conduirait à braquer l'électorat quand l'objectif du parti est justement d'accéder à une base électorale plus large. La décroissance est alors réappropriée par les Verts à grands renforts d'euphémismes et de périphrases pour conserver la stabilité de son assise identitaire sans compromettre la logique électorale.

Ce compromis délicat entre défense des postulats idéologiques et maintien dans le jeu pour l'exercice du pouvoir illustre la conversion majoritaire inachevée des Verts français. L'influence qu'exerce un mouvement aussi radical que la décroissance sur les Verts est signe d'un certain manque de maturité politique. En définitive, bientôt trente ans après la création du parti, les écologistes ne semblent toujours pas avoir tranché la logique de leur engagement. Entre revendication du pouvoir et volonté de mettre en oeuvre ses propres principes, le coeur écolo balance toujours. Exemple flagrant de ces atermoiements, le nouveau nom du parti « Europe Ecologie - Les Verts » représente lui-même ces deux logiques accolées l'une à l'autre, comme en 1984 lorsque naquirent « Les Verts, Confédération écologiste - Parti écologiste ». Notre propos n'est cependant pas de dire que rien n'a changé. Au contraire l'orientation organisationnelle, idéologique et stratégique du parti est clairement dans le sens d'une institutionnalisation en parti généraliste de gouvernement. La primaire écologiste de juin-juillet 2011 a d'ailleurs confirmé cette tendance en valorisant l'image d'une écologie gestionnaire incarnée par Eva Joly.

Pour transformer l'essai majoritaire, il s'agira certainement pour les écologistes de savoir affirmer leur ambition électorale tout en forgeant une culture partisane commune. Sans être exclusif, l'exemple du grand frère belge Ecolo et son travail de synthèse autour du concept de « prospérité sans croissance » peut être une piste prometteuse.

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Table des sigles

AFRPN Association Fédérative Régionale pour la Protection de la Nature

ATTAC Association pour la Taxation des Transactions Financières

AdOC Association des Objecteurs de croissance

AMAP Association pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne

A.P.I. Audit participatif interne

CA Conseil d'administration

CDU Christlich Demokratische Union Deutschlands

CE Collège exécutif

CGT Confédération Générale du Travail

CGTSR Confédération générale du travail syndicaliste révolutionnaire

CGTU Confédération générale du travail unitaire

CIME Coordination interrégionale des mouvements écologistes

CNIR Conseil National Inter-Régional

EELV Europe Ecologie - Les Verts 

FRAPNA Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature

FNE France Nature Environnement

FNSEA Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles

GPI Genuine Progress Indicator

GRECE Groupe de recherche et d'études pour la civilisation européenne

HGM Humains Génétiquement Modifiés

IBED Indice de bien être durable

ISS Indicateur de santé sociale

ME Mouvement écologique

MEP Mouvement d'écologie politique

MIT Massachusetts Institute of Technology

MOC Mouvement « les Objecteurs de croissance »

NPA Nouveau Parti Anticapitaliste

PAC Politique Agricole commune

P.I.B Produit Intérieur Brut

P.C.F Parti communiste français

PNUE Programme des Nations Unies pour l'Environnement

PPLD Parti pour la Décroissance

P.S Parti Socialiste

P.S.U Parti Socialiste Unifié

RAT Réseau des Amis de la Terre

R.P.I Réforme participative interne

SEL Système d'Echange Locaux

TGV Train à grande vitesse

UDC Union Démocratique du centre

Annexe

Affiche de campagne de René Dumont, 1974

Table des matières

Remerciements 4

Mots-clés 5

Résumé 5

Sommaire 6

Introduction 8

Titre Premier : La Décroissance, le retour d'une écologie radicale 19

Chapitre 1 : La décroissance, un objet politique propre ? 20

1. Une critique de la croissance et de la société de consommation 20

La contestation du modèle keyneso-fordiste 20

La croissance : un aveuglement au désastre écologique 23

2. Une critique de la science et de la technique 27

La remise en cause du système technicien 27

La contestation du progrès, élément structurant de la société de croissance 30

3. Une critique de la richesse et du travail 34

Redéfinir la richesse pour jouir de sa vie 34

Sortir de la société travailliste 37

Chapitre 2 : La décroissance dans le champ politique 40

1. Un mouvement politique aux origines séculaires 40

La filiation Antique et les origines philosophiques 41

La contestation de la révolution industrielle 42

Les inspirateurs socialistes 43

2. Un mot obus contre le capitalisme vert 46

L'impossible croissance verte 46

Une pensée anticapitaliste ? 49

La controverse du développement 51

3. Une tentative iconoclaste de bousculer le système partisan français ? 52

Une stratégie de minorité active 53

Prendre parti : les décroissants dans le jeu partisan 54

Un espace possible qu'à gauche ? 56

Chapitre 3 : L'antiproductivisme, un invariant politique des Verts français 61

1. Les inimitiés de la décroissance contre les Verts 61

Les Verts « écotartufes » 62

La critique des Verts  « libéraux-libertaires » 64

Des divergences à relativiser 65

2. Un corpus idéologique partagé ? 67

Des références culturelles similaires 67

Un texte fondateur clairement antiproductiviste 69

L'antiproductivisme, une valeur centrale pour les élus Verts 71

3. L'antiproductivisme à la genèse du parti écologiste 73

Des luttes symboliques et fondatrices 73

La candidature du radical René Dumont 75

L'autonomie, un principe étriqué 77

Titre Deux : L'activation d'un clivage productivistes/antiproductivistes 81

Chapitre 4 : La théorie des clivages comme prisme d'analyse de l'écologie politique 82

1. La difficile structuration de l'espace partisan français 83

L'illusion du clivage droite-gauche 83

Les tentatives de typologies scientifiques 85

2. Vers une taxinomie universelle des partis politiques : La théorie des clivages de Rokkan et Lipset 87

La structuration des clivages 88

Le modèle de Rokkan et Lipset 89

3. La perturbation du paradigme des clivages avec l'émergence des partis verts 92

Chapitre 5 : La nécessaire réadaptation des clivages pour situer les partis écologistes 98

1. Les tentatives de définition d'un cinquième clivage matérialistes/postmatérialistes 98

Un nouveau clivage pour situer l'écologie partisane ? 99

Une vision à courte vue inadéquate 103

2. Un clivage marché/nature pour expliquer l'émergence du parti Vert 104

Les partis Verts issus du clivage urbain/rural ... 105

... objectivé en clivage marché/nature 106

La décroissance, un réalignement des partis écologistes ? 108

3. Un nouveau clivage productivistes/antiproductivistes ? 109

Les critiques du clivage marché/nature 109

L'hypothèse du clivage productivistes/ antiproductivistes 111

Chapitre 6 : Approche conceptuelle de l'identité partisane des Verts français 115

1. Les partis comme entrepreneurs doctrinaux et culturels 115

La notion de parti-entreprise 116

L'idéologie comme moyen d'investigation de l'identité partisane 117

Les partis comme entreprises culturelles 119

2. Les partis instituteurs de sens 121

La construction d'une « structure de sens » 121

Le récit identitaire, ciment des organisations partisanes 123

3. Des logiques de représentations différentes 125

L'identité partisane enjeu de lutte interne 126

Logique de compétition électorale 127

Logique de représentation doctrinale 128

Titre Trois : La réappropriation de la décroissance par les Verts français 132

Chapitre 7 : Une organisation partisane en voie d'institutionnalisation 133

1. L'évolution historique vers un parti de gouvernement : une volonté assumée d'accéder au pouvoir 133

La structuration laborieuse des écologistes en mouvement unifié 134

La cristallisation de l'écologie politique en parti 135

L'entrée dans les institutions 136

2. La mutation de l'organisation partisane écologiste : De l'anti-parti à la machine électorale ? 138

Les principes du parti basiste 139

Blocages et dysfonctionnement de la démocratie basiste 141

Vers une machine électorale ? 142

3. L'autonomie relative des écologistes : la stratégie de l'alliance 145

La conversion majoritaire des Verts français 145

Le triomphe des « pragmatistes » ? 147

Chapitre 8 : La réappropriation de la décroissance, une nécessité dans le « récit identitaire » écologiste 151

1. La permanence du débat identitaire 151

Un mouvement aux appartenances culturelles diverses 152

L'antiproductivisme, segment identitaire commun 153

Europe Ecologie : vers une homogénéisation culturelle ? 155

2. Un agenda politique décroissant ? 158

Un débat interne assumé 158

Un travail d'euphémisation 161

3. L'antiproductivisme dans l'ensemble programmatique écologiste 163

Une tendance historique à généraliser le projet écologiste 163

L'antiproductivisme toujours au coeur du programme écologiste ? 166

Chapitre 9 : Une base militante sensible au débat sur la décroissance 170

1. Caractéristiques des militants verts 171

Des militants des classes moyennes supérieurs, surdiplômés 171

Un réservoir de militants presque inchangé 173

2. Les Verts et la décroissance : Paroles de militants 174

3. Tentative de synthèse : la prospérité sans croissance 180

La prospérité sans croissance, une troisième voie 180

L'amorce d'une opérationnalisation politique 184

Conclusion générale 188

Bibliographie 192

Table des sigles 206

Annexe 208

Table des matières 209

* 1 Cette terminologie faisant référence à l'objection de conscience qui consiste à désobéir pacifiquement à certains impératifs

* 2 Voir RAHBI, Pierre, Vers la sobriété heureuse, Arles, Actes Sud, 2010 et LATOUCHE, Serge, Vers une société d'abondance frugale : Contresens et controverses sur la décroissance, Paris, Fayard, Mille et une nuits, 2011

* 3 LATOUCHE, Serge, Le pari de la décroissance, Fayard, Paris, 2006, p.6

* 4 LATOUCHE, Serge, Petit traité de la décroissance sereine, Fayard, Milles et une Nuits, 2007, p.140

* 5 ARIES, Paul, La simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance, Paris, La Découverte, 2010, p.135

* 6 Ibid, p.129

* 7 Ci-après dénommé, sauf mention contraire, Les Verts

* 8 Ci-après dénommé EELV

* 9 REMOND, René, La politique n'est plus ce qu'elle était, Paris, Flammarion, 1993, 2ème éd., 1994, p. 86-87.

* 10 VILLALBA, Bruno, De l'identité des Verts. Essai sur la constitution d'un nouvel acteur politique, thèse de sciences politiques, soutenue le 27 janvier 1995, Université de Lille II, résumé

* 11 DEZE, Alexandre, « Le Front National comme entreprise doctrinale » dans Les Partis politiques et système partisan en France, Florence Haegel (dir.), Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 285

* 12 ROKKAN Stein, LIPSET Seymour, Party Systems And Voters Alignment. Cross National Perspectives, New York, Free Press, London, Collier-Macmillan, 1967

* 13 HASTINGS, Michel, « Partis politiques et administration du sens », dans Dominique Andolfatto, Fabienne Greffet et Laurent Olivier (dir.), Les Partis politiques. Quelles perspectives ?, Paris, L'Harmattan, 2001, p. 22-23

* 14 SAINTENY, Guillaume, Les Verts, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1991, p. 55

* 15 Nous empruntons cette terminologie à SEILER, Daniel Louis, Les partis politiques en Occident, Paris, Ellipses, 2003

* 16 L'empreinte écologique mesure la pression de l'homme sur la nature en calculant la superficie naturelle nécessaire à la satisfaction des besoins d'une population donnée.

* 17 LA PALOMBRA, Joseph, WEINER, Myron, « The Origin and Developpement of political parties », dans Joseph La Palombra, Myron Weiner (eds.), Political Parties and Political Developpement, Princeton, Princeton University Press, 1966, p.6

* 18 Les journées d'été de Nantes en 2010 avaient pour titre « l'écologie à l'épreuve du pouvoir »

* 19 Les Verts ont perdu un tiers de leurs effectifs lorsque Dominique Voynet évinça Antoine Waechter de la tête du parti en 1993. De même en 2002, après avoir désigné Alain Lipietz comme candidat à la présidentielle, les écologistes sont revenus sur leur décision pour finalement lui préférer Noël Mamére.

* 20 LAVIGNOTTE, Stéphane, La décroissance est-elle souhaitable ?, Paris, Textuel, 2009 ; DUVERGER, Timothée, La Décroissance, une idée pour demain, Paris, Sang de la Terre, 2011

* 21 DUPIN, Eric, « La décroissance, une idée qui chemine sous la récession », Le Monde Diplomatique, Août 2009, p.20-21

* 22 MATAGNE, Patrick, Comprendre l'écologie et son histoire, Delachaux et Niestlé, 2002

* 23 COHEN, Daniel, La Prospérité du Vice. Une introduction (inquiète) à l'économie, Paris, Albin Michel, 2009, p.136

* 24 Concept inventé par Immanuel Wallerstein pour décrire un mouvement voulant s'attaquer aux logique économiques systémiques produites par le capitalisme avec une volonté commune

* 25 CANS, Roger, Petite histoire du mouvement écolo en France, Paris, Delauchaux et Niestlé, 2006, p.108

* 26 DUVERGER, Timothée, La Décroissance, une idée pour demain, op.cit., p. 30

* 27 DEBORD, Guy, La société du spectacle (1967), Paris, Gallimard, 1992, 209 p.

* 28 VANEIGEM, Raoul, Traité du savoir-vivre à l'usage des jeunes générations, Paris, Gallimard, 287 p.

* 29 DIVRY, Sophie, Entretien : L'an 01 et Raoul Vaneigem, avec Raoul Vaneigem, dans La Décroissance, numéro 60, Juin 2009

* 30 MARCUSE, Herbert, L'Homme unidimensionnel. Essai sur l'idéologie de la société industrielle avancée, Paris, Editions de Minuit, 1968, 281 p.

* 31 MORIN, Edgar, LEFORT, Claude, CASTORIADIS, Cornélius, Mai 1968, La Brèche (1968), Paris, Fayard, 2008

* 32 MOSCOVICI, Serge, Essai sur l'histoire humaine de la nature, Paris, Flammarion, 1977 (1ere édition 1968)

* 33 MEADOWS, Denis, Halte à la croissance ? Enquête pour le Club de Rome. Rapport sur les limites de la croissance, Paris, Fayard, 1972, 314 p.

* 34 « Les limites de la croissance », dans Ecorev', n° 26, avril 2007, p. 7

* 35 MILL, John Stuart, Principes d'Economie Politique, Londres, 1848

* 36 Cité par VIVIEN, Frank-Dominique, Le Développement soutenable, Paris, La Découverte, 2005, p. 10

* 37 MANSHOLT, Sicco, « Le chemin du bonheur », entretien réalisé par Josette ALIA, Le Nouvel Observateur, 12-18 juin 1972, p. 71-88

* 38 GEORGESCU-ROEGEN, Nicholas, Demain la décroissance. Entropie, écologie, économie, Lausanne, Pierre Marcel Favre, 1979,157 p.

* 39 LATOUCHE, Serge, Petit traité de la décroissance sereine, op.cit., p. 40

* 40 ILLICH, Ivan, Le Genre vernaculaire, dans OEuvres complètes, tome 2, Fayard, Paris, 2005, p. 292

* 41 LATOUCHE, Serge, Le Pari de la décroissance, Fayard, Paris, 2006, p. 53

* 42 PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 2004. La liberté culturelle dans un monde diversifié, Economica, Paris, 2004 in Le Pari de la décroissance, op.cit.

* 43 HANS, Jonas, Le Principe Responsabilité, Une éthique pour la civilisation technologique, (trad:J. GREISCH), Paris, Editions du Cerf, 1990

* 44 ARIES, Paul, La simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance, Paris, Editions La Découverte, 2010

* 45 Ibid, p. 244

* 46 ANDERS, Günther, L'Obsolescence de l'homme, Paris, l'Encyclopédie des nuisances, 2002.

* 47 ANDERS, Günther, Nous fils d'Eichmann, Paris, Rivages Poche, 2003

* 48 ELLUL, Jacques, Le système technicien, Paris, Calmann-Lévy, 1977

* 49 GORZ, André, Ecologica, Paris, Editions Galilée, 2008, p. 32

* 50 ILLICH, Ivan, La Convivialité (1973), Paris, Seuil, 2003

* 51 Ibid, p. 23

* 52 Ibid, p. 79

* 53 VIVERET, Patrick, « Sortir de la démesure et accepter nos limites », interview à TerraEco 29/11 /2009, http://www.terraeco.net/Sortir-de-la-demesure-et-accepter,7598.html

* 54 HABERMAS, Jürgen, La Technique et la science comme « idéologie » (1968), Paris, Gallimard, 1990

* 55 GRAS, Alain, Le Choix du feu. Aux origines de la crise climatique, Paris, Fayard, 2007

* 56 TESTART, Jacques, « Faut il arrêter la recherche », débat avec Philippe, Hervé et Bougain, Catherine, La Décroissance, n°68, avril 2010, p.15

* 57 LATOUCHE, Serge, La Mégamachine. Raison technoscientifique,raison économique et mythe du progrès, Paris, La Découverte, 2004, p. 179

* 58 GRAS, Alain, « La société thermo-industrielle et l'impasse énergétique », in Foi et Vie, décembre 2006, p. 50

* 59 LATOUCHE, Serge, La Mégamachine, op.cit.

* 60 CHARBONNEAU, Bernard, Prométhée réenchainé, Paris, La table ronde, 2001

* 61 BESSET, Jean Paul, Comment ne plus être progressistes... sans devenir réactionnaire, Paris, Fayard, 2005, p.327

* 62 LATOUCHE, Serge, Le Pari de la décroissance, op.cit, p. 87

* 63 GALBRAITH, John Kenneth, Les Mensonges de l'économie. Vérité pour notre temps, Grasset, Paris, 2004

* 64 DURKHEIM, Emile, De la division du travail social, Alcan, Paris, 1926, p. 13

* 65 ILLICH, Ivan, Dans le miroir du passé, dans OEuvres complètes, Paris, Fayard, 2005, p. 744

* 66 Repris dans un ouvrage : VIVERET, Patrick, Reconsidérer la Richesse, Paris, Editions de l'Aube, 2004, 217 p.

* 67 GADREY, Jean et JANY-CATRICE, Florence, Les Nouveaux indicateurs de richesse, Paris, La Découverte, 2005

* 68 SHIVA, Vandana, « The world on the edge », dans Will Hutton et Anthony Giddens (dir.), On the Edge : Living with Global Capitalism, New York, New Press, 2000, p. 128

* 69 GORZ, André, Ecologie et politique, Paris, Seuil, 1975, p. 36

* 70 LAFARGUE, Paul, Le Droit à la paresse, Paris, Mille et Une Nuits, 2000

* 71 GORZ, André, Ecologica, op.cit., p. 134

* 72 SHALINS, Marshall, Age de pierre, âge d'abondance, Paris, Gallimard, 1976

* 73 MOTHE, Daniel, L'utopie du temps libre, Esprit, Paris, 1997

* 74 ARIES, Paul, Décroissance ou barbarie, Villeurbanne, Golias, 2005, p. 31

* 75 BAUDRILLARD, Jean, La Société de consommation, Paris, Gallimard, 1970

* 76 THOREAU, Henry David, Walden ou la vie dans les bois (1854), Paris, Gallimard, 1990

* 77 RUSKIN, John, Unto this last, George Allen, London, 1903

* 78 Pour de plus amples développements, voir l'éclairage de Timothée Duverger dans La Décroissance, une idée pour demain, op.cit.., p. 153

* 79 ARIES, Paul, La simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance, op.cit., p. 162

* 80 Ibid, p. 171

* 81 Ibid, p. 166

* 82 ARIES, Paul, La simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance, op.cit., p. 135

* 83 MORRIS, William, L'Age de l'ersatz et autres textes contre la civilisation moderne, Paris, Encyclopédie des nuisances, 1999.

* 84 LANGLOIS, Jacques, Agir avec Proudhon, Lyon, Chronique sociale, 2004, 204 p.

* 85 LATOUCHE, Serge, Le Pari de la décroissance, op.cit., p. 114

* 86 JACKSON, Tim, Prospérité sans croissance. La transition vers une économie durable (version française réalisée par la fondation Etopia, Bruxelles, De Boeck, 2010

* 87 En français « éco-blanchiment » : opération de publicité donnant une image écologique non fondée à une entité ou un produit.

* 88 CHEYNET, Vincent, Le Choc de la décroissance, op.cit., p. 8

* 89 ARIES, Paul, « Contre le capitalisme vert » dans La Décroissance, mars 2009, p.3

* 90 ARIES, Paul, Décroissance ou barbarie, op.cit., p.87

* 91 « La décroissance est forcément contre le capitalisme », LATOUCHE, Serge, Petit traité de la décroissance sereine, op.cit., p.138 

* 92 ARIES, Paul, Le Mésusage. Essai sur l'hypercapitalisme, Lyon, Parangon/Vs, 2007

* 93 « Capitalism can no more «be persuaded» to limit growth than a human being can be «persuaded» to stop breathing », in New York Times, August 7, 2006, «Murray Bookchin, 85,Writer, Activist and Ecology Theorist, Dies», by Douglas Martin

* 94 FOTOPOULOS, Takis, Vers une démocratie générale. Une démocratie directe économique, écologique et sociale, Paris, Seuil, 2002, p. 39

* 95 PARTANT, François, La Fin du développement. Naissance d'une alternative ? (1982), Arles, Actes Sud, 1997

* 96 LATOUCHE, Serge, L'Occidentalisation du monde (1989), Paris, La Découverte, 2005

* 97 ARIES, Paul, La Décroissance. Un nouveau projet politique, Lyon, Golias, 2009, p. 27

* 98 LATOUCHE, Serge, Le Pari de la décroissance, op.cit., p. 133

* 99 MOSCOVICI, Serge, Psychologie des minorités actives, Paris, PUF, 1991 (première édition 1976)

* 100 BESSON-GIRARD, Jean Claude, Decrescendo cantabile, Lyon, Parangon/Vs, 2005, p. 160

* 101 Une AMAP est une association dont le but est de favoriser les liens de proximité par la vente de produits d'une ferme locale à un groupe de consommateurs-adhérents.

* 102 Un SEL est un système d'échange de produits structuré autour d'une association dont les adhérents s'échangent des biens et des services de manière libre ou à l'aide d'une monnaie fictive et autonome.

* 103 HOPKINS, Rob, The Transitions Handbook. From oil dependency to local resilience, Totnes, Green Books, 2008

* 104 LATOUCHE, Serge, Le Pari de la décroissance, op.cit., p. 269

* 105 LAVIGNOTTE, Stéphane, La décroissance est elle souhaitable, op.cit., p. 98

* 106 Les Amish sont une communauté religieuse d'Amérique du Nord qui s'exclue de la société pour vivre une existence simple en dehors de la société de consommation.

* 107 DUVERGER, Timothée, La Décroissance une idée pour demain, op.cit., p.214

* 108 Le PPDL et le MOC s'étaient séparés en mai 2010 sur la question de la représentation aux élections. En juin 2010, une nouvelle formation, le Parti des Objecteurs de Croissance (POC) est créé à l'initiative d'anciens membres du PPDL.

* 109 DUVERGER, Timothée, La Décroissance, une idée pour demain, op.cit., p. 201

* 110 LATOUCHE, Serge, Le pari de la décroissance, op.cit., p. 186

* 111 Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne

* 112 BENOIST, Alain de, « Objectif décroissance », Éléments, hiver 2005-2006, p.29-30

* 113 BENOIST, Alain de, Demain la décroissance ! Penser l'écologie jusqu'au bout, Paris, Edite, 2007

* 114 Ibid, p. 79

* 115 « Appel à la vigilance des milieux antiproductivistes et décroissants contre l'extrême droite », http://www.decroissance.org/

* 116 LAVIGNOTTE, Stéphane, La décroissance est elle souhaitable ?, op.cit., p.73-80

* 117 LATOUCHE, Serge « La décroissance comme projet politique de gauche », 17 février 2011, http://www.les-oc.info/2010/08/la-decroissance-comme-projet-politique-de-gauche/

* 118 ARIES, Paul, La simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance, op.cit., p. 129

* 119 BILLARD, Martine et ARIES, Paul, « Pour un parti de gauche écologiste », Politis, 9 juillet 2009.

* 120 « Principes fondateurs du Nouveau Parti Anticapitaliste adoptés par le Congrès », http://www.npa2009.org/

* 121 « Communiqué du NPA et du MOC à propos des élections régionales », http://www.les-oc.info/

* 122 ARIES, Paul, «Croissance verte ou décroissance ? », allocution aux Journées d'Eté des Verts, 21 août 2011

* 123 SEILER, Daniel Louis, Les partis politiques en Occident, op.cit.

* 124 MOSCOVICI, Serge, « L'influence n'est pas la manipulation », entretien réalisé par Jacques Lecomte, Sciences Humaines, n°37, Mars 1994

* 125 CHEYNET, Vincent, « Maman, je t'aime », La Décroissance, n°26, avril 2005, p. 4

* 126 CHEYNET, Vincent, « Dominique Voynet », La Décroissance, n°35, décembre 2006, p. 4

* 127 CHEYNET, Vincent, « L'écotartufette : Cécile Duflot », La Décroissance, n°82, septembre 2011, p. 6

* 128 La Décroissance, « Le Grenelle des dupes », n°42, septembre 2007

* 129 DIVRY, Sophie, « La mascarade verte de Nicolas Sarkozy », La Décroissance, n°42, septembre 2007, p.2

* 130 CHEYNET, Vincent, « Ces écolos contre la démocratie », La Décroissance, n°45, décembre 2007/janvier 2008, p. 3-4

* 131 DIVRY, Sophie, « Les Tartuffes de l'écologie », Contre-Grenelle de l'environnement. Pour repolitiser l'écologie, Lyon, Parangon, 2007, p.19-26

* 132 La Décroissance, « Les écolos radioactifs », n°71, juillet-août 2010

* 133 FAIVRE, Catherine, CHINAL, Marc et SuperNo, « Débat : Nicolas Hulot signe t-il la mort de l'écologie politique ? », La Décroissance, n°80, juin 2011, p. 14-15

* 134 La Décroissance, « Où sont les femmes ? », n°80, juin 2011 (Anne Lauvergeon est alors présidente du groupe nucléaire AREVA).

* 135 LATOUCHE, Serge « La décroissance comme projet politique de gauche », op.cit.

* 136 DIVRY, Sophie, « Le vrai visage de Daniel Cohn-Bendit », La Décroissance, n°56, février 2009, p. 8-9

* 137 COHN BENDIT, Daniel, Une envie de politique, Entretiens avec Lucas Delattre et Guy Herzlich, Paris, La Découverte, 1998

* 138 ARIES, Paul et LERAY, Florence, Cohn-Bendit, l'imposture, Paris, Max Milo, 2010, p. 16

* 139 DUFLOT, Cécile, « Explication avec Cécile Duflot des Verts », propos recueillis par Vincent CHEYNET, La Décroissance, n°44, novembre 2007

* 140 Ibid, p. 44

* 141 Propos recueillis lors d'un entretien avec Yves Cochet le 19 août 2011 à Clermont Ferrand

* 142 FREMION, Yves, Histoire de la Révolution écologiste, Paris, Hoëbeke, 2007, p. 13

* 143 Ibid, p. 29-79

* 144 Auteur de Quelle terre laisserons nous à nos enfants ?, Paris, Seuil, 1969 et premier candidat écologiste à la présidentielle américaine en 1980

* 145 Selon l'expression de Cécile Duflot dans Le Monde du 11 novembre 2010

* 146 Manifeste pour une Société écologiste, http://eelv.fr/

* 147 Catherine Grèze est députée écologiste au Parlement européen, adhérente à la création des Verts en 1984. Membre pendant neuf ans de l'exécutif des Verts elle a mis notamment en place la coordination des Verts mondiaux

* 148 Propos recueillis lors d'un entretien avec Catherine Grèze au Parlement européen à Bruxelles le 5 mai 2011.

* 149 Propos recueillis à l'aide d'un questionnaire retourné par courriel le 25 août 2011

* 150 Propos recueillis lors d'un entretien au Parlement européen à Bruxelles le 23 Mai 2011

* 151 Propos recueillis lors d'un entretien au Parlement européen à Bruxelles le 13 Mai 2011

* 152 LECOEUR, Erwan, Des écologistes en politique, Paris, Lignes de Repères, 2011, p. 129

* 153 Ibid, p. 134

* 154 NEVEU, Erick, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 3ème éd., 2002, p. 10.

* 155 FREMION, Yves, Histoire de la révolution écologiste, op.cit., p. 171-231

* 156 LIPIETZ, Alain, Qu'est ce que l'écologie politique ? La grande transformation du XXIème siècle, La Découverte, 1999, p. 38

* 157 GAUCHET, Marcel, « la droite et la gauche », dans Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, tome III, vol. 1, Paris Gallimard, 1992, p. 397

* 158 CRAPEZ, Marc, « De quand date le clivage gauche/droite en France ? », Revue française de science politique 48/1, février 1998, p. 42-75

* 159 Voir un panorama complet dans SEILER Daniel-Louis, Les Partis Politiques, Paris, Armand Colin, 2ème édition, 2000.

* 160 DUVERGER, Maurice, Les Partis Politiques, Paris, Armand Colin, 1951 (pour la première édition).

* 161 Ibid, p. 305

* 162 Pierre Bréchon les détaille dans Les Partis Politiques, Paris, Montchrestien, 1999, p. 63

* 163 Par exemple la démocratie chrétienne incarnée par le Mouvement Républicain Populaire (MRP) gouverne avec la gauche au début de la IVème République en partageant la politique sociale mais se rapproche de la droite par son cléricalisme.

* 164 BLONDE L, Jean, Political Parties: A Genuine Case for Discontent, London, Wildwood House, 1978

* 165 Daniel Louis Seiler dresse une liste de contre-exemples dans Les Partis Politiques, op.cit., p. 58-60

* 166 Paul Magnette utilise notamment cette dichotomie pour dégager la logique de construction des majorités au sein du Parlement européen : MAGNETTE, Paul, Le régime politique de l'Union européenne, Paris, Presses de Sciences Po, 2009

* 167 ROKKAN Stein, LIPSET Seymour M., Party Systems And Voters Alignment. Cross National Perspectives, op.cit.

* 168 BRECHON, Pierre, Les Partis Politiques, op.cit., p. 67

* 169 DE COOREBYTER, Vincent, « Clivages et partis en Belgique », Courrier hebdomadaire du CRISP 15/2008 (n° 2000), p. 7-95.

* 170 BRAUDEL, Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 1949.

* 171 SEILER, Daniel Louis, Clivages et familles politiques en Europe, Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, 2011, p.88-89

* 172 ROKKAN Stein, LIPSET Seymour, Party Systems And Voters Alignment. Cross National Perspectives, op.cit., p.5

* 173 BARTOLINI, Stefano, MAIR, Peter, Identity, Competition, and Electoral Availability, Cambridge, Cambridge University Press, 1990

* 174 LIJPHART, Arend, Democracy At The Polls, dirigé par BUTLER David, PENNIMAN Howard R., RANNEY Austin, chapitre 3: «Political Parties Ideologies And Programs», American Enterprise Institute For Public Policy Research, 1981

* 175 Daniel-Louis Seiler en fait la critique dans Les Partis Politiques, op.cit., p. 69-70

* 176 RAE, Douglas, TAYLOR, Michael, The Analysis Of Political Cleavages, Yale, Yale University Press, 1970

* 177 ROSE, Richard, URWIN, Derek, Comparative Political Studies, avril 1969, vol. 2, n° 1, chapitre 1 « Social Cohesion, Political Parties and Strains in Regimes »

* 178 CHARLOT Jean et Monica, « Les Groupes Politiques Dans Leur Environnement », dans Madeleine Grawitz et Jean Leca, Traité de Science Politique, Tome 1, La science politique, Science sociale, L'ordre politique, Paris, PUF, 1985.

* 179 Daniel-Louis Seiler développe cette idée dans Clivages et familles politiques en Europe, op.cit., 244-246

* 180 INGLEHART, Ronald, The Silent Revolution. Changing Values and Political Styles among Western Politics, Princeton, Princeton University Press, 1977

* 181 INGLEHART, Ronald, FLANAGAN, Scott C., « Value change in industrial societies », American Political Science Review, vol. 81, no. 4, December 1987, p. 1292 (il s'agit d'un débat entre Inglehart et Flanagan, et non d'un article commun).

* 182 Ibid., p. 1297

* 183 SEILER, Daniel-Louis, Clivages et familles politiques en Europe, op.cit., p. 240

* 184 LIPSET, Seymour M., « The Revolt against Modernity », in TORSVIK, P., ed., Mobilization Center-periphery Structures and Nation-Building, Oslo, Universitetsforlaget, 1981, p. 470

* 185 SEILER, Daniel-Louis, « Populistes, extrémistes et ultras : une relecture de Political Man », Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 15, n°3, 2008

* 186 SEILER, Daniel-Louis, Clivages et familles politiques en Europe, op.cit., p. 242

* 187 SHAMIR, Michael, «  Are Western European Party Systems « Frozen » ? », Comparative Political Studies, 17, 1984

* 188 SEILER, Daniel-Louis, Les Partis Politiques, op.cit., p.79-89

* 189 SEILER, Daniel-Louis, Clivages et familles politiques en Europe, op.cit., p. 246

* 190 VIALLATE, Jérôme, Les partis verts en Europe occidentale, Economica, Paris, 1996, p. 188

* 191 POLANYI, Karl, La grande transformation, Paris, Gallimard, 1989, p. 180

* 192 SEILER, Daniel-Louis, Les Partis Politiques, op.cit., p. 142-148

* 193 Ibid, p.81

* 194 MICHEA, Jean-Claude, « Le libéralisme comme philosophie de l'illimité », in La Décroissance, n°85, décembre 2011, p. 3

* 195 DE COOREBYTER, Vincent, « Clivages et partis en Belgique », op.cit., p. 59

* 196 VIALLATE, Jérôme, Les partis verts en Europe occidentale, op.cit., p. 69

* 197 SEILER, Daniel-Louis, Les Partis Politiques, op.cit., p.91

* 198 CHARLOT Jean et Monica, op.cit.

* 199 LA PALOMBRA, Joseph, WEINER, Myron, « The Origin and Developpement of political parties », op.cit., p.6

* 200 WEBER, Max, Economie et Société, Paris, Plon, 1971 (1ère ed. 1921, posthume), p. 371

* 201 OFFERLE, Michel, Les Partis Politiques, Paris, Que sais-je ?, 2006 (1ère ed. 1987), p. 11

* 202 DEZE, Alexandre, « Le Front National comme entreprise doctrinale », op.cit.

* 203 Ibid, p. 257

* 204 MCLELLAN, David, Ideology, Milton Keynes, Open University Press, 1986, p. 1.

* 205 ANSART, Pierre, Les Idéologies politiques, Paris, PUF, 1974, p. 10 et 17

* 206 TOUCHARD, Jean, « Introduction à l'idéologie du Parti communiste français », Cahiers de la

Fondation nationale des sciences politiques, n°175, 1969, p. 84

* 207 HASTINGS, Michel, « Partis politiques et administration du sens », op.cit., p. 26

* 208 BRECHON, Pierre, Les Partis politiques, op.cit., p. 54

* 209 ETHUIN, Nathalie, « La formation communiste dans les processus d'homogénéisation et de (re)construction d'identités partisanes. Une étude de cas : le séminaire «Comment traiter la question Quoi de neuf dans le capitalisme ? dans les initiatives de formation» », communication au colloque de l'Association française de science politique sur Les tendances récentes de l'étude des partis politiques dans la science politique française : organisations, réseaux, acteurs, Institut d'études politiques de Paris, 31 janvier et 1er février 2002, p. 1-2

* 210 ELDERSVEL, Samuel J., Political Parties : A Behavioral Analysis, Chicago, Round Mac Nally and Cie, 1964

* 211 KIRCHHEIMER, Otto, «The Transformation of the Western European Party Systems», dans J. La Palombara, M. Weiner (eds.), Political Parties and Political Development, Princeton, Princeton University Press, 1966, p. 177-

200.

* 212 KARTZ, Richard S., MAIR, Peter, Changing Models of Party Organization and Party Democracy : The Emergence of the Cartel Party, Party Politics, 1995, n°1

* 213 SAWICKI, Frédéric, « Les partis comme entreprises culturelles », dans Daniel Cefaï (dir.), Les Cultures politiques, Paris, PUF, 2001, p. 198

* 214 Ibidem

* 215 HASTINGS, Michel, « Partis politiques et administration du sens », op.cit.

* 216 DESCOMBES, Vincent, Les institutions du sens, Paris, Minuit, 1996, p. 296

* 217 HAURIOU, Maurice, La cité moderne et la transformation du droit, Paris, Alcan, 1929, p. 12

* 218 ANSART, Pierre, Idéologies, conflits et pouvoirs, Paris, PUF, 1977, p. 232

* 219 HASTINGS, Michel, « Partis politiques et administration du sens », op.cit., p. 24

* 220 MARTIN, Denis-Constant, Carte d'identité. Comment dire nous en politique ?, Paris, Presses de la FNSP, 1994

* 221 PIZZORNO, Alessandro, Le radici della politica assoluta, Milan, Feltrinelli, 1993

* 222 NORA, Pierre, Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1997

* 223 LEIRIS, Michel, Cinq études d'ethnologie, Paris, Denoël-Gonthier, 1969, p. 39

* 224 HASTINGS, Michel, « Partis politiques et administration du sens », op.cit., p. 30

* 225 BRAUD, Philippe, L'émotion en politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1996

* 226 CHARLOT, Jean, « Partis politiques : pour une nouvelle synthèse théorique », dans Y. Mény (dir.), Idéologies, partis politiques et groupes sociaux, Paris, Presses de la FNSP, 1989, p. 205-216

* 227 SCHEIN, Edgar, Organizational Culture and Leadership, Londres, Sage, 1986

* 228 LAZAR, Marc, « Cultures politiques et partis politiques en France » dans Daniel Cefaï (dir.), Les Cultures politiques, op.cit., p. 173-174

* 229 KITSCHELT, Herbert, The Logics of Party Formation. Ecological Politics in Belgium and West

Germany, Ithaca (N Y.), Cornell University Press, 1989

* 230 WEBER, Max, Économie et société, Paris, Pocket, 1995 [2e éd.], p. 372

* 231 MILNOR, Andrew J., « Ideology », dans Andrew J. Milnor (ed.), Comparative Political Parties : Selected Readings, New York (N. Y.), Thomas Y. Crowell Company, 1969, p. 101-110

* 232 CHARLOT, Jean, Le Phénomène gaulliste, Paris, Fayard, 1970, p. 63-66

* 233 ELDELMAN, Murray, Pièces et règles du jeu politique, Paris, Le Seuil, 1991

* 234 VILLALBA, Bruno, « Les petits partis et l'idéologie : le paradoxe de la différenciation », dans Annie Laurent et Bruno Villalba (dir.), Les Petits partis. De la petitesse en politique, Paris, L'Harmattan, 1997, p. 76

* 235 DUBAR, Claude, La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin, 1991, p. 111

* 236 FAUCHER, Florence, Les habits verts de la politique, Paris, Presses de Sciences Po, 1999

* 237 VILLALBA, Bruno, « Les petits partis et l'idéologie : le paradoxe de la différenciation », op.cit., p. 78

* 238 LAZAR, Marc, Maisons rouges. Les partis communistes français et italien de la Libération à nos jours, Paris,

Aubier, 1992, p. 187

* 239 SAINTENY, Guillaume, Les Verts, op.cit., p. 14-16.

* 240 Ibid, p. 25

* 241 KVISTED, Gregg O., «Between State and Society : Green Political Ideology in the Mid-1980s», West European Politics, Vol. 10, No. 2, Avril, 1987, p. 211-228

* 242 Cf. PELLETIER, Willy, « Positions sociales des élus et procès d'institutionnalisation des Verts », Contretemps, n°4, mai 2002, p. 58-70

* 243 LECOEUR, Erwan, Des écologistes en politique, op.cit., p. 164

* 244 Le Parti radical de gauche est devenu un parti d'élus sans militants suite à une stratégie d'alliance systématique avec le P.S.

* 245 Voir VILLALBA, Bruno, « Les écologistes à l'heure du pragmatisme », dans Pierre Bréchon (dir.), Les Partis Politiques français, Paris, La Documentation française, 2005, p. 153-178.

* 246 RIHOUX, Benoît, Les partis politiques : organisations en changement. Le test des écologistes, Paris, L'Harmattan, coll. Logiques politiques, 2001

* 247 MICHELS, Roberto, Les partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties, Paris, Flammarion, 1971 (1ère édition 1911)

* 248 La plus fameuses de ces critiques tient surement dans le pamphlet plus idéologique et politique qu'intellectuel de Luc Ferry. Voir FERRY, Luc, Le Nouvel ordre écologique. L'arbre, l'animal et l'homme, Paris, Grasset, 1992

* 249 LIPIETZ, Alain, Vert espérance. L'avenir de l'écologie politique, Paris, La Découverte, 1993, p. 24.

* 250 SAINTENY, Guillaume, L'introuvable écologisme français, Paris, Presses universitaires de France, 2000, p. 245

* 251 FAUCHER, Florence, « Les Verts et la démocratie interne », dans Florence Haegel (dir.), Partis politiques et système partisan, op.cit., p. 102-142.

* 252 RIHOUX, Benoît., PEIRANO, Albert., FAUCHER, Florence, Audit participatif interne (API) des Verts. Rapport final. Vers un parti en mouvement : démocratie, efficacité, convivialité, 22 octobre 2002.

* 253 Ce processus de primaires est un gage de ne pas reproduire les investitures catastrophes comme en 2002 lorsqu'Alain Lipietz avait finalement dû laisser la place à Noël Mamère. C'est aussi un signe d'acceptation de la logique majoritaire propre à la Vème République et à la compétition médiatique qui l'accompagne.

* 254 L'appel est lancé en mai 1985 par les porte-paroles Yves Cochet, Didier Anger et Jean Brière.

* 255 LECOEUR, Erwan, Des écologistes en politique, op.cit., p. 58

* 256 BOY, Daniel, « Les Verts français ont-ils changé ? », dans Pascal Delwitt et Jean-Michel De Waele, Les Partis verts en Europe, Bruxelles, Editions Complexe, 1999, p. 80-81

* 257 En 2002, dans un contexte politique difficile, les Verts trouvent un accord avec le reste de la gauche (P.S, P.C, PRG). En 2007 ils rejettent la proposition du P.S (14 circonscriptions réservées) jugée insuffisante.

* 258 L'accord prévoit par exemple une réduction de la part du nucléaire dans la production électrique de 75 % aujourd'hui à 50 % en 2025 quand les écologistes demandaient une sortie totale en vingt ans.

* 259 GUILLAUME, Sainteny, Les Verts, op.cit., p. 30-31

* 260 Certains députés n'hésitent pas à contredire publiquement les décisions du parti. Surtout Dominique Voynet accepte d'entrer au gouvernement malgré un vote contre du CNIR à 80%.

* 261 SARTORI, Giovanni, Parties and Party Systems: A Framework for Analysis, Vol. 1, Cambridge, Cambridge University Press, 1976

* 262 La décroissance s'invite régulièrement dans les débats des journées d'été du parti.

* 263 BOY, Daniel, « L'écologie, une nouvelle culture politique ? », Vingtième Siècle. Revue d'Histoire, octobre-décembre 1994, n°44

* 264 BOY, Daniel, PLATONE, François, REY, Henri, SUBILEAU, Françoise, et YSMAL, Colette, C'était la gauche plurielle, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 52

* 265 Ibid, p. 62

* 266 FAUCHER, Florence, Les habits verts de la politique, op.cit.

* 267 BOY, Daniel, et alii, C'était la gauche plurielle, op. cit., p. 125

* 268 BOY, Daniel, et alii, C'était la gauche plurielle, op.cit., p. 66

* 269 Nous avons pu assister aux débats concernant la thématique de la décroissance lors des journées d'été de 2010 et 2011. Nous avons pu constater qu'ils suscitaient l'intérêt d'un grand nombre de militants, les capacités maximums des salles étant à chaque fois atteintes. Cette observation ne suffit pas pour être scientifiquement mobilisable mais notons tout de même cet intérêt.

* 270 « La décroissance pourquoi ? », Vert contact, n°709, avril 2004

* 271 « Motion ponctuelle 1 : Anticiper », archives électroniques des Verts, http://archivage.oizoo.com/

* 272 « Motion ponctuelle 2 : Crises environnementales II, que faire ? », http://archivage.oizoo.com/

* 273 « Motion ponctuelle 3 : Pour une décroissance sélective et équitable : concept à apprivoiser (d'urgence), non à écarter ! », http://archivage.oizoo.com/

* 274 Avant le départ d'Yves Cochet pour le Parlement européen en décembre, l'Assemblée nationale ne comptait que quatre députés écologistes. 

* 275 « Crise : Groupe GDR Verts », http://dailymotion.com/

* 276 COCHET, Yves, « Quel projet pour Europe Ecologie ? », Le Monde, 16 août 2010

* 277 GLEIZES, Jérôme, « Les Verts et la décroissance », Ecorev, dossier « Sens de la décroissance », n°26, avril 2006

* 278 Entretien avec Jean Paul Besset, op.cit.

* 279 Voir DUMONT, René, La Campagne de René Dumont et du mouvement écologique, Paris, Pauvert, 1974

* 280 SAINTENY, Guillaume, Les Verts, op.cit., p. 64

* 281 Les Verts, « Vous êtes écologistes. Le saviez-vous ? », encart dans Ecologie, 369, janvier-février 1986, p. 9-12

* 282 La création d'un grand ministère de l'environnement, l'abandon des essais atomiques et l'arrêt de la construction de nouvelles centrales nucléaires dont celle de Creys-Malville

* 283 Commission mondiale de l'environnement et du développement, Notre Avenir à tous, Genève, CMED, 1987

* 284 Guillaume Sainteny explique que les phases où les Verts priorisent les questions environnementales s'accompagnent d'une certaine modération programmatique, Les Verts, op.cit., p. 63-64

* 285 Europe Ecologie - Les Verts, « Vivre mieux vers la société écologique », http://eelv.fr/le-projet/

* 286 "L'avenir ne sera soutenable pour tous les habitants de la planète que si une décroissance de l'empreinte écologique des pays riches est amorcée : décroissance de l'exploitation des ressources non renouvelables, des profits et des revenus des 20% les plus aisés, de la fabrication et de la vente d'armes, du gaspillage énergétique, des transports routiers et aériens...", Les Verts, Le monde change, avec les Verts changeons le monde, programme présidentiel de 2007, http://lesverts.fr/spip.php?breve72

* 287 Les Verts, « Pour une alternative à la mondialisation néolibérale », Le monde change, avec les Verts changeons le monde

* 288 « L'Ecologie, la Solution. Le projet présidentiel d'Eva Joly », http://evajoly2012.fr/

* 289 « Budget 2012, un new deal écologique et social », http://evajoly2012.fr/

* 290 FILLIEULE, Olivier, MAYER, Nonna, « Devenirs militants. Introduction », Revue française de science politique, vol. LI, no. 1-2, février-avril 2001, p. 21

* 291 BOY, Daniel, et alii, C'était la gauche plurielle, op.cit., p. 17

* 292 Ibid., p. 25

* 293 Etude menée en 2010 sur environ 4000 adhérents et sympathisants d'Europe Ecologie par l'agence « Somme toute », pour Europe Ecologie, juillet 2010. Malgré certains biais méthodologiques (adhérents et sympathisants ne sont pas dissociés, ...) cette étude constitue à ce jour la seule source de données disponible sur les militants écologistes depuis la création d'Europe Ecologie. Il faut donc prendre en compte ses résultats plus comme des indications que comme des résultats scientifiques.

* 294 ROCHE, Agnès, BENNAHMIAS, Jean-Luc, Des Verts de toutes les couleurs, Histoire et sociologie du mouvement écolo, Paris, Albin Michel, 1992.

* 295 Enquête interne Europe Ecologie, 2010, ibid

* 296 ROCHE, Agnès, BENNAHMIAS, Jean-Luc, Des Verts de toutes les couleurs, Histoire et sociologie du mouvement écolo, op.cit., p. 117

* 297 « Motion ponctuelle 3 : Pour une décroissance sélective et équitable : concept à apprivoiser (d'urgence), non à écarter ! » adoptée par le CNIR des Verts en 2004, op.cit.

* 298 Les propos de ce militant relèvent d'une certaine justesse. Nombre de promoteurs de la décroissance, parmi lesquels Yves Cochet, ont posé la question du contrôle des naissances pour réduire l'impact de l'homme sur l'écosystème planétaire. Ces propositions malthusiennes ont suscité de vives polémiques et n'ont pas fait l'objet d'un véritable consensus chez les objecteurs de croissance.

* 299 JACKSON, Tim, Prosperity Without Growth : Economics for a finite planet, Earthscan Ltd, 2009 traduit en français par la fondation belge Etopia en 2010, op.cit.

* 300 JACKSON, Tim, La prospérité sans croissance, op.cit., p. 47

* 301 Ibid, p. 50

* 302 Ibid, p. 59

* 303 DALY, Herman E., Beyond Growth: the Economics of Sustainable Development, Beacon Press, 1996.

* 304 JACKSON, Tim, La prospérité sans croissance, op.cit., p. 162

* 305 Ibid, p. 197

* 306 DELWIT, Pascal, « Ecolo : Les défis du plus grand des partis verts en Europe », dans Pascal Delwit et Jean-Michel De Waele, Les Partis verts en Europe, Bruxelles, Editions Complexe, 1999, p. 113-138

* 307 Propos recueillis lors d'un entretien avec Edgar Szoc au siège d'Etopia (Bruxelles), le 2 mai 2011

* 308 La seule, et à notre connaissance unique, référence aux travaux de Tim Jackson remonte à lorsqu'il fut lui-même invité lors des Journées d'été du parti à Nantes en août 2010.

* 309 GUATTARI, Felix, Les Années d'Hiver, Paris, Les Prairies ordinaires, 2009 (1ère ed. 1985), p. 133






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