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La question de la décroissance chez les verts français

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par Damien ZAVRSNIK
Université Aix- Marseille  - Diplôme d'études politiques 2012
  

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Un espace possible qu'à gauche ?

Postuler la sortie du capitalisme comme préalable à la société de décroissance rapprocherait mécaniquement le mouvement de la décroissance d'une partie de l'extrême gauche. Si cette assertion se vérifie empiriquement, Timothée Duverger évoque également des « passerelles »109(*) possibles à droite.

Selon Serge Latouche la critique radicale de la modernité au coeur de la pensée décroissante a été historiquement « plus poussée à droite qu'à gauche »110(*) avec les penseurs contre-révolutionnaires Burke, De Maistre ou Bonald. Il existerait un « antiproductivisme de droite » qui aurait toujours de fortes convergences avec « l'antiproductivisme de gauche » dont se réclament les objecteurs de croissance. Ce rapprochement s'opère notamment à travers les écrits du philosophe Alain de Benoist. Membre du GRECE111(*), il publie en 2005 dans la revue d'extrême droite Éléments un article intitulé « Objectif décroissance »112(*). Alain de Benoist s'en prend au matérialisme et à la société de la consommation comme mode d'uniformisation culturelle engendrant l'effacement des identités. Dans ses nombreux écrits critiques de la modernité il se réfère sans complexes à des figures de la décroissance comme Baudrillard ou Latouche. Ce rapprochement trouve son point d'orgue dans la publication d'un manifeste en 2007 : Demain la décroissance !113(*). Il en appelle à une union des antiproductivistes au nom d'une « rupture radicale avec l'idéologie des Lumières, c'est-à-dire l'idéologie de la modernité »114(*). Cette proposition jette le trouble chez les objecteurs de croissance. La plupart réagissent en signant un appel contre l'extrême droite qui « affirme solennellement que nous n'avons [les militants antiproductivistes] rien à voir avec les émules d'Alain de Benoist, d'Alain Soral, du Front national, des catholiques intégristes,... »115(*). Malgré un déni clair de toute rapprochement, cette réaction sonne comme un aveu d'une certaine proximité avec les mouvements réactionnaires. Stéphane Lavignotte remarque à ce propos les ambiguïtés de certains théoriciens de la décroissance qui flirtent avec un conservatisme pur jus par leur critique du mariage homosexuel ou leur reprise des thèses du psychanalyste Jean Pierre Lebrun116(*).

En dépit de ces passerelles la plupart des théoriciens décroissants considèrent clairement leur projet politique à gauche. C'est même une « évidence » pour Serge Latouche parce qu'il se « fonde sur une critique radicale de la société consommation, du libéralisme et renoue avec l'inspiration originelle du socialisme »117(*). De la même manière Paul Ariès se place résolument dans le champ de la gauche et en appelle à « une autre gauche »118(*) antiproductiviste. Ce positionnement idéologique se traduit également par les stratégies de la décroissance dans le jeu politique. Ainsi les objecteurs de croissance exercent en premier lieu une influence sur les partis de la gauche. Le dialogue est instauré avec le Parti Socialiste. Le mouvement trans-parti Utopia qui porte des thèmes proches de la décroissance présente des motions aux Congrès du PS mais n'obtient jamais plus de 1%. Les rapports avec la social-démocratie n'en restent qu'au stade de la courtoisie mais les résultats sont plus probants avec les représentants de « l'autre gauche ». La création du Parti de Gauche par l'ancien socialiste Jean Luc Mélenchon s'accompagne d'un vrai dialogue avec les objecteurs de croissance. Paul Ariès et l'ancienne députée Verte Martine Billard pèsent alors de tout leur poids pour que le Parti de Gauche « revendique explicitement l'identité écologiste »119(*). Martine Billard et Vincent Cheynet (pour un temps) adhérent même au Parti de Gauche. Néanmoins celui-ci n'opère pas la mue écologiste escomptée en raison de son alliance avec le Parti Communiste caractérisé par son productivisme. Les discussions n'aboutissent pas à créer un parti de gauche ouvertement décroissant mais les relations restent amicales comme en témoigne les listes communes entre Parti de gauche et objecteurs de croissance aux régionales de 2010.

L'accueil est également favorable du côté du NPA qui se détourne dans ses principes fondateurs d'un « développement illimité de la production » pour se concentrer sur l'objectif de « la satisfaction écologique des besoins sociaux »120(*). Le NPA et le MOC rédigent même un communiqué commun avant les élections régionales de 2010 « pour une convergence de la gauche anticapitaliste et antiproductiviste et de l'écologie radicale »121(*).

L'antiproductivisme des objecteurs de croissance les conduit mécaniquement au-dessus du système partisan. Pour autant la volonté de peser de l'extérieur semble aujourd'hui contrebalancée par l'intégration croissante de la décroissance au jeu politique. La participation électorale se fait au nom d'un « écosocialisme » selon l'expression du philosophe Michael Löwy, ce qui permet d'entamer des discussions voire des alliances avec d'autres partenaires de la gauche radicale.

***

Les objecteurs de croissance se veulent les héritiers d'une longue tradition antiproductiviste. Bien que d'inspiration socialiste, leur projet politique s'inscrit en faux contre les formations politiques de gauche comme de droite qui placent le productivisme au centre de leurs analyses et de leurs propositions. Ce constat entraine une certaine aversion des décroissants envers le jeu partisan dont les acteurs seraient les chiens de garde de la société de croissance. Par conséquent, mêmes les Verts seraient devenus des « éco-tartufes ». Les figures du parti écologiste font d'ailleurs régulièrement l'objet de portraits au vitriol dans la rubrique du journal La Décroissance du même nom. Ce refus de la société de croissance et de la politique partisane a précipité une partie considérable des objecteurs de croissance dans la recherche d'un « alter-monde », expérimentant la décroissance par leur éthique individuelle et leurs pratiques quotidiennes. Néanmoins le jeune mouvement n'a pas résisté longtemps à la tentation d'ancrer la décroissance dans la tradition de la démocratie représentative. Malgré les réticences d'instigateurs historiques tels que Serge Latouche, la décroissance tend à entrer dans une phase de participation électorale.

Cette innovation apporte deux enseignements capitaux dans notre entreprise de cerner un peu mieux les contours idéologiques de la décroissance. Tout d'abord l'entrée dans le jeu politique des objecteurs de croissance relève d'une manière finalement très classique de faire évoluer la société. Alors qu'ils dénonçaient sans vergogne les compromissions des partis politiques, mêmes « alternatifs », avec le système capitaliste, leur stratégie s'inscrit dans la même lignée. Les alliances avec le Parti de Gauche notamment accréditent l'idée d'un double discours des objecteurs de croissance critiquant à la fois le système partisan tout en y participant.

D'autre part la revendication anticapitaliste et les partenariats avec le parti trotskiste (Vincent Cheynet et Paul Ariès avaient en outre revendiqué la tête de liste Rhône Alpes au NPA pour les européennes de 2009) dissipe les ambiguïtés sur l'ancrage politique de la décroissance. Si l'antiproductivisme constitue la matrice du projet décroissant, l'antilibéralisme en constitue un axiome tout aussi important. Les vives adresses aux écologistes politiques sur leur supposé abandon de l'antiproductivisme sont ainsi à relativiser. La critique essentielle porterait en réalité sur l'adoption peu ou prou par les Verts de l'économie de marché. Avec la décroissance il s'agirait donc non seulement de  « laver plus vert » mais « plus rouge »122(*).

* 109 DUVERGER, Timothée, La Décroissance, une idée pour demain, op.cit., p. 201

* 110 LATOUCHE, Serge, Le pari de la décroissance, op.cit., p. 186

* 111 Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne

* 112 BENOIST, Alain de, « Objectif décroissance », Éléments, hiver 2005-2006, p.29-30

* 113 BENOIST, Alain de, Demain la décroissance ! Penser l'écologie jusqu'au bout, Paris, Edite, 2007

* 114 Ibid, p. 79

* 115 « Appel à la vigilance des milieux antiproductivistes et décroissants contre l'extrême droite », http://www.decroissance.org/

* 116 LAVIGNOTTE, Stéphane, La décroissance est elle souhaitable ?, op.cit., p.73-80

* 117 LATOUCHE, Serge « La décroissance comme projet politique de gauche », 17 février 2011, http://www.les-oc.info/2010/08/la-decroissance-comme-projet-politique-de-gauche/

* 118 ARIES, Paul, La simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance, op.cit., p. 129

* 119 BILLARD, Martine et ARIES, Paul, « Pour un parti de gauche écologiste », Politis, 9 juillet 2009.

* 120 « Principes fondateurs du Nouveau Parti Anticapitaliste adoptés par le Congrès », http://www.npa2009.org/

* 121 « Communiqué du NPA et du MOC à propos des élections régionales », http://www.les-oc.info/

* 122 ARIES, Paul, «Croissance verte ou décroissance ? », allocution aux Journées d'Eté des Verts, 21 août 2011

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery