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La question de la décroissance chez les verts français

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par Damien ZAVRSNIK
Université Aix- Marseille  - Diplôme d'études politiques 2012
  

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3. Tentative de synthèse : la prospérité sans croissance

Concilier projet antiproductiviste et ambition du pouvoir est peut-être le challenge le plus essentiel que les écologistes ont à relever. Le point d'équilibre n'est pas facile à atteindre tant le chemin entre compromission « croissanciste » et isolement électoral est étroit. Or les partis Verts semblent bien sur la défensive concernant la remise en cause de la croissance, obligés de se positionner face aux critiques radicales de la décroissance. Dans ce cadre, le travail théorique livré par l'économiste anglais Tim Jackson autour du concept de « prospérité sans croissance » peut être une porte de sortie. C'est du moins cette idée que mettent à l'étude certains partis écologistes et notamment le premier d'entre eux, le parti belge francophone Ecolo.

La prospérité sans croissance, une troisième voie

Tim Jackson n'a rien d'un gauchiste idéaliste. Au contraire ce professeur de développement durable à l'Université du Surrey occupa le poste très officiel de commissaire à l'économie de la Commission du développement durable du Royaume Uni. Son ouvrage Prosperity Without Growth299(*) est largement issu des travaux de cette commission. Le point de départ de sa réflexion réside dans le caractère insoutenable du modèle de développement productiviste. En cela il reprend les critiques des écologistes et des décroissants sur l'absence de prise en compte des limites écologiques par le système économique. Il pose la question de savoir comment ce systéme peut soutenir une croissance permanente quand les ressources de la planète sont finies. Selon lui, la raison de cet attachement à la croissance provient d'une confusion entre prospérité et croissance du P.I.B. Or la croissance aujourd'hui, au-delà du fait qu'elle ne soit plus possible en raison de la crise écologique, n'est même plus souhaitable puisqu'elle accroit dramatiquement les disparités sociales en creusant le fossé des inégalités. La croissance du P.I.B n'est donc qu'un succédané de l'augmentation de la prospérité car « la prospérité aujourd'hui ne signifie rien si elle sape les conditions dont dépend la prospérité de demain. Et le message le plus important de la crise financière de 2008, c'est que demain est déjà là »300(*). L'analyse de Tim Jackson se réfère beaucoup à la crise financière pour fonder sa démarche. Celle-ci résulte d'une logique de consommation (endettement des ménages sans égard au risque d'insolvabilité) poussée à outrance que l'on retrouve également à l'origine du changement climatique et de la raréfaction des ressources naturelles. La crise de 2008 n'est réalité qu'un soubresaut par rapport au désastre qu'amène la crise écologique.

Pour le professeur britannique, la notion de prospérité est une voie féconde pour sortir de la logique mortifère de la croissance tout en garantissant un bien être à tous. Encore faut-il redéfinir son contenu ce qui est tout à fait possible puisque « tout examen rapide de la littérature révèle qu'au-delà du cadre étroitement économique de cette question, il existe plusieurs visions fortement concurrentes de la prospérité »301(*). Contrairement au paradigme actuel qui associe prospérité et opulence matérielle, Tim Jackson invoque une prospérité alternative fondée sur la sobriété. Ce type de prospérité rejoint l'idée de « capabilités d'épanouissement » selon l'expression d'Amartya Sen reprise par Jackson. L'important serait d'être convenablement nourri, chauffé, logé, éduqué pour participer à la vie de la cité, etc. Néanmoins ces capabilités ne s'entendent pas comme autant de libertés infinies. Au contraire « les capabilités sont limitées d'une part par l'échelle de la population mondiale et, de l'autre, par le caractère fini des ressources écologiques de la planète »302(*). Ces limites sont en effet nécessaires pour que la prospérité ne retombe pas dans les mêmes travers que la notion de croissance.

L'objectif de la pensée de Jackson est alors, à travers cette nouvelle définition de la prospérité, de dessiner une voie médiane entre la croissance verte et la décroissance. En prélude à ses propositions pour une économie durable, Tim Jackson s'emploie à déconstruire la fausse solution du « New Deal Vert ». Le néokeynesianisme vert consiste à cibler les dépenses de relance de l'activité économique sur le défi de la crise écologique. Ces investissements massifs doivent permettre de réduire l'empreinte écologique en isolant par exemple les bâtiments ou en développant les énergies renouvelables. La relance « verte » contribuerait à créer un nombre conséquent d'emplois via la transition écologique de certains secteurs industriels et de services. En dépit de ces perspectives enthousiasmantes, Tim Jackson met un bémol au New Deal vert. Ce stimulus budgétaire, même écologique, signerait le retour au business as usual puisqu'il alimenterait à nouveau la croissance et la consommation. On retourne au point de départ d'une économie de croissance perpétuelle et toujours aussi peu soutenable.

D'une manière générale, Prosperity without Growth met au pilori l'idée selon laquelle il serait possible de découpler l'augmentation du P.I.B de l'empreinte écologique. Le découplage peut être relatif, c'est-à-dire faire croitre le P.I.B pour un même niveau de prédation sur les ressources naturelles, ou absolu, soit faire augmenter le P.I.B tout en réduisant l'empreinte écologique. Si le premier type de découplage est à peu près envisageable c'est vers un découplage absolu qu'il faut aller pour l'effondrement écologique. Evidemment un tel découplage est difficilement opérable dans les économies fondées sur la croissance notamment à cause de l'effet rebond (cf. supra et le paradoxe de Jevons).

L'auteur du rapport pour le gouvernement britannique évoque également la décroissance pour sortir du dilemme de la croissance. Il l'envisage uniquement sous l'angle de la réduction du P.I.B et conclut assez rapidement que celle-ci serait instable. Pourtant l'ouvrage de Tim Jackson est truffé de convergences avec les objecteurs de croissance. Il décrit la « cage de fer du consumérisme » dans laquelle est enfermé le système économique. Pour se maintenir, le système productiviste est lancé dans une course infinie à la productivité quitte à utiliser des subterfuges éloignés de toute éthique comme l'obsolescence programmée. D'autre part il s'attaque aussi à la logique sociale du consumérisme. La société occidentale est exposée à une « récession sociale » qui dilate le vivre ensemble. Jackson reprend à son compte les critiques de la société de consommation et met en avant les mécanismes psychologiques de représentation sociale à travers le « langage des objets ». La recherche permanente de satisfaction des désirs par les biens matériels aliène la capacité des hommes à s'épanouir et donne lieu à une société très anxiogène. Cette structuration mentale est propre à la société de croissance et constitue en soi un blocage pour aller vers une prospérité partagée. Sans y faire référence, Tim Jackson fait écho aux propositions des objecteurs de croissance en invoquant un « hédonisme alternatif » qui consisterait à rechercher des motifs de satisfaction autrement que dans la consommation matérielle.

Au final, le professeur anglais met en lumière la « prospérité sans croissance » comme une troisième voie entre la « croissance verte non durable » et la « décroissance instable ». Son concept est articulé avec une macroéconomie écologique qui s'inscrit dans la lignée des travaux d'Herman Daly sur l'économie en état d'équilibre303(*). L'auteur fait alors plusieurs recommandations pour mettre en pratique la « prospérité sans croissance » parmi lesquelles un partage important du temps de travail, un revenu citoyen et des investissements écologiques massifs (économies de ressources, technologies propres, amélioration de l'écosystème). Dans cette transition vers une économie durable l'Etat doit jouer un rôle interventionniste accru dans une logique très rousseauiste d'incarnation de la volonté générale : « nous cédons certaines de nos libertés individuelles. Mais en retour, nous gagnons une certaine sécurité dans le fait que nos vies seront protégées contre la liberté débridée des autres »304(*).

Ce rapide aperçu du livre de Tim Jackson ne saurait en dispenser la lecture. Nous avons toutefois tenté de montrer en quoi le concept de « prospérité sans croissance » contient un potentiel considérable pour les partis Verts. Il offre en effet l'avantage de proposer des pistes pour une économie débarrassée du productivisme sans déstabiliser complètement l'emploi. En dépit de nombreux points communs, la théorie jacksonienne relève d'une approche différente de la décroissance. Alors que Serge Latouche et ses amis souhaitent « sortir de l'économie », Jackson entend la « réparer » pour la rendre compatible avec les limites finies de la planète. A l'instar des objecteurs de croissance, l'économiste britannique entreprend une remise en cause du capitalisme libéral. Pourtant, et c'est là une divergence centrale, Tim Jackson n'en fait pas la finalité de son concept : « est-ce encore du capitalisme ? Est-ce vraiment important ? Pour ceux qui attachent beaucoup d'importance à cette question, peut-être pourrions-nous nous contenter de paraphraser le capitaine Spock, dans Star Trek, et convenir que "c'est du capitalisme, Jim, mais pas comme nous le connaissons"»305(*).

* 299 JACKSON, Tim, Prosperity Without Growth : Economics for a finite planet, Earthscan Ltd, 2009 traduit en français par la fondation belge Etopia en 2010, op.cit.

* 300 JACKSON, Tim, La prospérité sans croissance, op.cit., p. 47

* 301 Ibid, p. 50

* 302 Ibid, p. 59

* 303 DALY, Herman E., Beyond Growth: the Economics of Sustainable Development, Beacon Press, 1996.

* 304 JACKSON, Tim, La prospérité sans croissance, op.cit., p. 162

* 305 Ibid, p. 197

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