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Contribution à  l'élaboration d'une méthodologie de participation publique à  l'étude d'impact environnementale des projets d'aménagement et industriels: cas du parc de Caracol en Haà¯ti.

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par Felix Junior RONY
Institut Latino-américain des sciences du Pérou - Maà®trise en étude d'impact environnemental 2012
  

Disponible en mode multipage

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FACULTAD DE ARQUITECTURA

Contribution à l'élaboration d'une méthodologie de participation publique à l'étude d'impact environnementale des projets d'aménagement et industriels. Le cas du parc de Caracol en Haïti.

Essai présenté par

Félix Junior RONY, Ing-Agr, MSc

Pour l'obtention du

Diplôme d'Expert en Etude d'Impact Environnemental

Sous la direction de

Prof. César Cervantès Gálvez, Ph.D

Port-au-Prince, le 25 octobre 2012

Avec le support financier de :

INDICE

INDICE ii

SIGLES iv

AGRADECIMIENTO v

RÉSUMÉ vi

CHAPITRE 1 : PROBLEMATIQUE, CADRE D'ANALYSE ET METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE 1

1.1.-Les projets de développement industriel entre bénéfices et coûts sociaux 1

1.2.-L'étude des impacts environnementaux : champ de pratique 2

1.3.-Le principe de participation dans la littérature scientifique 2

1.4.-Objectifs de la recherche 3

1.5.-Hypothèses de travail et questionnements de recherche 4

1.6.-Démarche méthodologique 4

1.6.1.-Justification de la démarche et adéquation avec notre problématique 4

1.6.2.-La recherche documentaire 5

1.6.3.-Outils d'investigation 5

1.6.4.-Dynamiques d'acteurs et stratégies 6

1.6.5.-Cadre d'analyse de la participation 6

1.6.6-Cadre d'analyse des résultats 7

CHAPITRE 2.-CADRE CONCEPTUEL 9

Section 1.- Les concepts 9

2.1.-Etude d'impact environnemental (EIE) 9

2.2.-La participation publique 10

2.3.-Les formes de participation 10

2.5.-La conduite des acteurs 12

2.6.-Les résultats du processus d'étude d'impacts 12

2.7.-L'acceptabilité sociale 12

2.8.-L'empowerment 13

Section 2.-Les tendances autour du principe de participation publique 16

2.9.-Les arguments favorables 16

2.9.1-Soutenir le développement d'une société démocratique 16

2.9.2.-Renforcer le pouvoir d'agir des communautés 16

2.9.3.-Intégrer les valeurs et connaissances des citoyens dans l'EIE 17

2.9.4.-Formuler des recommandations durables 17

2.10.-L'écart entre la rhétorique et la pratique 18

2.10.1.-Les facteurs organisationnels 18

2.10.2.-Les facteurs communautaires 19

2.10.3-Les facteurs politiques 19

2.10.4.-Les facteurs théoriques 19

2.10.5.-Les facteurs d'ordres méthodologiques 20

2.11.-Le capital social 20

CHAPITRE 3.-ETUDE DE CAS : LE PARC DE CARACOL DANS LE NORD-EST D'HAITI 22

3.1.-Présentation du projet 22

3.2.-Négociation autour du projet 25

3.3.-Caractéristiques socio-économiques des communautés de la région 28

3.4.-Caractéristiques sociales et culturelles de la zone du projet directement touchée 28

3.4.1.- Emplois et moyens de subsistance 28

3.4.2.- Logement 29

3.4.3.- Cohésion sociale et réseaux communautaires 29

3.5.-Catégorisation des personnes touchées par la localisation du chantier 30

3.5.1.-Les exploitants agricoles qui ne disposent des terres fertiles du site sélectionné 30

3.5.2.-Les personnes qui perdent leurs maisons ou d'autres infrastructures collectives/communautaires 30

3.5.3.-Les ouvriers agricoles saisonniers et les commerçants de denrées agricoles 30

3.5.4.-Autres usagers affectés 31

3.6.-La réception du projet dans la communauté 31

3.6.1.-Les opposants 31

3.6.2.-Les supporteurs de la construction du Parc sur le site choisi 32

3.7.-Les impacts sociaux 32

3.8.-Le déplacement de populations 33

3.9.-Les dispositifs participatifs 33

3.9.1.-La pré-consultation 33

3.9.2.-l'enquête 33

3.9.3.-Les rencontres thématiques 34

3.9.4.-le comité de suivi 34

CHAPITRE 4.-RESULTATS ET DISCUSSION : BILAN DE LA PARTICIPATION ET DE LA CONDUITE DES ACTEURS 35

4.1.-Les facteurs de type institutionnel 35

4.2.-Les facteurs sociaux 36

4.3.-Groupes spontanés et pressions politiques 36

4.4.-Analyse de la participation sur le plan des conditions de la participation 37

4.4.1.-Equité du processus 37

4.4.2.-La compétence 39

4.5.-Analyse de la participation sur la plan de la conduite des acteurs 40

4.6.-Evaluation des dispositifs participatifs sur le plan des résultats 41

4.6.1.-Empowerment 41

4.6.2.-L'effet du dispositif participatif sur l'empowerment 41

4.6.3.-Maîtrise sociale du changement 42

CHAPITRE 5.-ESTRATEGIA PARA CONSULTA PÚBLICA EN LA EVALUACIÓN DE IMPACTO AMBIENTAL (EIA) DE PROYECTOS INDUSTRIALES EN HAITI. 43

5.1.-Nature du dispositif : une entité gouvernementale et consultative 43

5.2.-Objectifs 44

5.3.-Mode de fonctionnement 44

5.4.-Sensibilisation environnementale et gestion des conflits sociaux 45

5.5.-Les mécanismes de demande de sessions 45

5.6.-Le contenu de la demande 46

CHAPITRE 6.-CONCLUSION 47

CHAPITRE 7.-BIBLIOGRAPHIE 50

SIGLES

BID

: Banque Interaméricaine de Développement

CECI

: Centre d'Etude et de Coopération Internationale

EIE

: Etude d'impact environnemental

EIES

: Etude des Impacts Environnementaux et Sociaux

EPA

: Environmental Protection Agency

GOH

: Gouvernement d'Haïti

ILC

: Institut Latino-Américain des Sciences

MDE

: Ministère de l'Environnement

MEF

: Ministère de l'Economie et des Finances

ONG

: Organisation Non Gouvermentale

PAR

: Plan d'Action de Réinstallation

PIB

: Produit Intérieur Brut

PFC

: Projet de fin de cours

TCA

: The theory of Communicative Action

TVA

: Taxe sur la Valeur Ajoutée

UTE

: Unité Technique d'Exécution

AGRADECIMIENTO

En préambule à ce mémoire, je souhaite adresser mes remerciements les plus sincères aux personnes qui m'ont apporté leur aide et qui ont contribué à l'élaboration de ce modeste travail ainsi qu'à la réussite de cette intense session de formation.

Je remercie une fois de plus FONDOVERDE et la Direction Régionale Haïti du Centre d'Etude et de Coopération Internationale (DRA-CECI) pour leur support financier. Sans votre généreuse contribution, ce rêve n'aurait jamais pu devenir réalité.

Je tiens à remercier très sincèrement le Prof. César Cervantès Gálvez, qui, en tant que tuteur et directeur de ce Projet de Fin de Cours (PFC), s'est toujours montré à l'écoute et très disponible tout au long de la réalisation de ce travail, ainsi que pour l'inspiration, l'aide et le temps qu'il a bien voulu me consacrer et sans qui ce mémoire n'aurait jamais vu le jour.

Mes remerciements s'adressent également à mes collègues et ami(es) qui ont eu la gentillesse de lire des versions provisoires du texte et m'ont formulé leurs recommandations et à tous les consultants et internautes rencontrés lors des recherches effectuées et qui ont accepté de répondre à mes questions avec une grande compréhension et générosité.

Enfin, un dernier grand merci à toute personne qui aura contribué de près ou de loin à l'élaboration de ce modeste travail.


Merci à tous et à toutes.

 RÉSUMÉ

Au cours des vingt-cinq(25) dernières années, nous assistons, en Haïti à une multiplication des dispositifs institutionnels de participation tant dans les projets de développement financés par la coopération internationale que dans les grands projets d'infrastructures exécutés par l'Etat. La gestion participative de ces initiatives devient de plus en plus une exigence de la société civile en dépit du fait que la reconnaissance de l'importance de la participation citoyenne dans les grands projets susceptibles de modifier le fonctionnement des territoires n'a pas encore fait la preuve de son efficacité.

Notre recherche a analysé dans quelle mesure la participation des acteurs sociaux à l'évaluation et au suivi des impacts sociaux et environnementaux contribue valablement à l'identification et à la prise en compte des incidences sociales et environnementales du projet, favorise un dialogue entre les acteurs et facilite une meilleure répartition du pouvoir entre les acteurs dans le sens de la maîtrise sociale du changement à l'échelle locale ou régionale.

Notre réflexion sur l'efficacité de la participation s'est située dans le sens des concepts d'«empowerment» et de capital social et nos trois (3) hypothèses de travail ont porté sur la qualité de la participation et l'engagement des acteurs. Pour la vérification des hypothèses, nous avons analysé le cas du Parc de Caracol dont la construction est assujettie à la procédure de l'Etude d'Impact Environnemental (EIE). Quatre (4) dispositifs participatifs ont été analysés : (1) La pré-consultation du promoteur, (2) l'enquête, (3) les rencontres thématiques et (4) le comité local de suivi.

Notre analyse a révélé que malgré les moyens déployés par le projet, le bilan est mitigé. Le mode de participation prôné a eu très peu d'effet sur l' «Empowerment» et la construction du capital social dans la communauté. Deux (2) catégories de raisons expliquent, selon notre analyse, cette situation : (1) Les lacunes des dispositifs participatifs et (2) la conduite des acteurs. L'étude a plutôt montré que la participation a eu pour effet de réaffirmer le contrôle et le pouvoir exercés par les acteurs dominants (le promoteur et la firme de construction en particulier).

Le projet de construction du parc de Caracol soulève un certain nombre de questions et de préoccupations sur le bien fondé du crédit accordé à l'Etude d'Impact Environnementale (EIE) dans sa méthodologie. Théoriquement, des objectifs et de la vision qui ressortent de sa définition, voire caractéristique propres à l'EIE dans le cas précis de Caracol, la participation publique occupe une place prépondérante dans le processus dit décisionnel. Cependant, sur la base des faits exposés dans le cas à l'étude, il semble tout à fait justifié d'affirmer que l'EIE souffre d'une précarité méthodologique qui est due en grande partie au mode d'implication de la population dans le processus. Un tel point de vue est non seulement motivé par la présence d'un arbitrage politique insensible, sinon vaguement, aux préoccupations du public, mais également par la contribution inéquitable des différents acteurs (promoteur, société civile, citoyens directement ou potentiellement concernés) au processus décisionnel.

La mesure proposée, et qui serait susceptible de contrer l'effet des rapports de force s'exerçant dans le cadre de la définition des impacts sociaux et environnementaux, consisterait à confier la gestion du processus d'EIE à un organisme public indépendant du promoteur et de toutes autres parties ayant des intérêts dans le projet comme des organismes de développement économique ou les autorités locales et régionales.

Un tel organisme assurerait une certaine continuité sur les plans de la gestion de l'information, de l'étape de la planification à celle du suivi. À l'étape du suivi, l'organisme assurerait la gestion des comités multipartites afin d'assurer leur représentativité et le respect des règles minimums de fonctionnement. L'établissement de telles règles et la prise en charge de leur application par une instance indépendante sont encore plus pertinents dans le contexte d'un projet comme celui du parc de Caracol qui bénéficie d'un niveau élevé d'acceptabilité sociale et où l'expression ouverte de questionnements et de points de vue divergents est plus difficile.

Mots-clé : dispositifs participatifs, conduite des acteurs, analyse de l'empowerment, maîtrise sociale du changement, Caracol, Haïti

CHAPITRE 1 : PROBLEMATIQUE, CADRE D'ANALYSE ET METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

Le concept de la participation citoyenne est intimement lié à celui de la démocratie (Bellilna et al, 2008). Originellement, la démocratie est venue consacrée le principe de la participation des citoyens au choix de leurs représentants (Villemeur et Magro, 2007). Avec l'évolution et la modernité, la démocratie implique la participation des citoyens au choix des leaders, à la conception des programmes et politiques publiques, à leur mise en oeuvre et à leur évaluation (Coote, A. et al, 1997; Bellilna et al, 2008). La question de la participation citoyenne a été soulevée de façon itérative dans plusieurs forums de débats et surtout au cours de la réflexion approfondie autour de la thématique de la décentralisation et du partage du pouvoir (Arnstein, 1969; Austin, J., Stevenson, H. et Wei-Skillern, J.2006). En principe, le peuple, mandant primaire, doit être au centre du processus décisionnel dans toutes les étapes de la vie d'un pays notamment celles qui marquent un tournant décisif dans le mode de fonctionnement d'un territoire. Le cas de la construction du parc de Caracol est en ce sens un exemple très intéressant car selon les spécialistes de l'Evaluation environnementale il serait un récent cas d'échec du mécanisme de participation du public au processus décisionnel.

La présente recherche porte sur les dispositifs institutionnels de participation dans le domaine de l'environnement. À l'instar d'autres domaines d'intervention de l'Etat, nous assistons en Haïti depuis la fin des années 1980, à l'émergence de nouveaux modes de gestion de l'environnement. Parmi ces modes on retient celui de plus en plus exigé des bailleurs de fonds internationaux à savoir l'Etude d'impact environnemental

Dans ce domaine spécifique la plupart des processus mis en place par plus d'une centaine de pays et d'organisations à travers le monde comportent des dispositifs de participation. Les modalités varient d'une juridiction à l'autre notamment en ce qui concerne l'identification des acteurs, l'ampleur et le moment de la participation (Elliott et Williams, 2008). La plupart comporte de rendre public l'information sur le projet, certaines prévoient la possibilité de tenir de consultations sous forme de contacts informels, d'ateliers, de groupes consultatifs, de questionnaires ou d'assemblées publiques, et récemment, on a vu apparaitre des processus de négociation et de collaboration multipartite (Mahoney, Potter et al. 2007; Wright, Parry et al. 2005) suite à l'introduction de la médiation et des comités de suivi environnemental.

1.1.-Les projets de développement industriel entre bénéfices et coûts sociaux

Certaines décisions marquent l'histoire d'un territoire. Celles entourant l'implantation de grands complexes industriels en font partie et c'est le cas de la construction du Parc industriel à Caracol dans le Nord-est d'Haïti non loin de la frontière entre Haïti en la République Dominicaine. De telles infrastructures entraînent en effet des changements importants dans les territoires habités (Gauthier, 1998 ; Gagnon 2010). Ces changements concernent tout autant l'économie que l'occupation du territoire, les pratiques sociales liées à la nature, la qualité de l'environnement, la santé publique ou le paysage par exemple. Certains sont souhaités, d'autres sont redoutés. Certains sont bien connus, d'autres prêtent à débat.

Historiquement tolérés au nom du progrès et de la croissance économique, plusieurs projets soulèvent de plus en plus de questionnements, voire d'oppositions. Comme le rappellent les contestataires : les projets présentés au nom du développement n'apportent pas seulement des bénéfices, ils ont aussi des coûts (Potter et al. 2007 ; Wright, 2005 ; Gillis, 1999). De plus, ceux-ci ne sont pas répartis également sur les territoires et dans les populations. Dans un contexte où les sociétés sont traversées par des valeurs et des intérêts variés (Gagnon, 2010), où des demandes sociales parfois contradictoires et mouvantes sont exprimées (Sauvé, 2007), les décideurs publics, locaux comme nationaux, font parfois face à des dilemmes.

Divers outils ont été mis en place pour éclairer leur travail, comme celui de l'étude d'impact environnemental (EIE). Introduite en 1969 aux États-Unis, la procédure formelle et légale est désormais adoptée dans plus d'une centaine de pays (Elliott et Williams, 2008 ; Kemm, 2005 ; Douglas, 2001 ; Gillis, 1999 ; Mahoney, Potter et al. 2007; Wright, Parry et al. 2005).

Elle est aussi régulièrement exigée par de grandes institutions financières (Banque Mondiale, Banque Interaméricaine de Développement). En Haïti, depuis 1985, il est fait l'obligation à « [tout promoteur]... ou maître d'ouvrage de tout projet d'aménagement, d'ouvrage, d'équipement ou d'installation qui risque, en raison de sa dimension, de sa nature ou des incidences des activités qui y sont exercées sur le milieu naturel, de porter atteinte à l'environnement est tenu de réaliser, selon les prescriptions du cahier des charges, une étude d'impact permettant d'évaluer les incidences directes ou indirectes dudit projet sur l'équilibre écologique de la zone d'implantation ou de toute autre région, le cadre et la qualité de vie des populations et des incidences sur l'environnement en général (...) » (Article 253, Titre IX, Chapitre II De l'Environnement) sous l'autorité du Ministère de l'Environnement (MDE).

1.2.-L'étude des impacts environnementaux : champ de pratique

L'étude d'impact est une procédure bien connue des Maîtres d'Ouvrage, maîtrisée par les experts et appréciée par le public. Etape du processus d'évaluation environnementale, selon http://www.viadeo.com/profile/0021m8gw7qx5420p/?utm_source=Viadeomail-FR&utm_medium=email&utm_term=Etpl:ViewProfile,Ep:body,Ety:txtlink,En:PotentialContacts-NameorPhoto,&utm_content=&utm_campaign=Cn:150,Ce:B2C,Cp:Alert-newsletter,&mtrck=aa28dd99af28ab638ed551c6ba7785fa3403be47be9c25ef46f78cea04f63ffce4fe89c7b32aa95cc340ed0bb5fc47d5Gauthier (1998), elle constitue un moment essentiel pour faire évoluer les projets de travaux et d'aménagement vers la solution de moindre impact et pour développer une concertation effective avec le public. Elle peut être définie comme une combinaison de procédures, de méthodes et d'outils par lesquels une politique, un programme, ou un projet peut être jugé quant à ses effets potentiels sur l'environnement et sur la population (European Centre for Health Policy, 1999). L'EIE vise à estimer, à l'aide d'informations scientifiques et contextuelles, les effets possibles afin de minimiser les impacts négatifs et de maximiser les impacts positifs.

L'EIE est donc forte d'une pratique de près de 60 ans. Sur cette période, le contexte social et institutionnel a cependant changé considérablement. La pratique aussi a évolué. Alors que l'opinion publique prenait au fur et à mesure conscience des problèmes environnementaux dès le début des années 1960 (Gagnon, 2010), de nouvelles expertises se sont développées, pour répondre à de nouveaux questionnements et champs de préoccupations sociales qui doivent être considérés dans l'évaluation. Les questions liées à la qualité de l'environnement biophysique (air, eau, sols) demeurent toujours centrales, mais d'autres s'ajoutent et prennent de l'importance comme celles liées aux impacts sociaux, à la santé publique et à la distribution sociale et territoriale des impacts.

Dans ce travail de recherche, un autre type de préoccupations retient notre attention : celles de la qualité de la participation du public dans des grands projets industriels qui impliquent souvent des déplacements de population.

1.3.-Le principe de participation dans la littérature scientifique

Dans la littérature scientifique, la participation des acteurs sociaux à l'étude d'impact environnemental et au suivi des impacts sociaux et environnementaux est analysée sur plusieurs plans. Certaines études s'appuient sur des critères normatifs -démocratisation des processus décisionnels- d'autres sur les objectifs des intervenants, ceux des promoteurs -publics ou privés- qui cherchent à obtenir l'acceptation sociale de leur projet et ceux des personnes potentiellement affectées ou concernées qui cherchent à influencer les décisions dans le sens de leurs préoccupations et de leurs intérêts. Mais plusieurs critiques portent sur les limites théoriques de la participation dans le contexte plus large des grands chantiers nationaux.

Nous partons du constat que si, depuis les années 1960, l'environnement a été utilisé par des groupes sociaux comme principal argument pour dénoncer les impacts négatifs causés par les grandes infrastructures et industries (Elliott et Williams, 2008), la thématique de la participation publique dans la définition des alternatives y prend de plus en plus d'importance depuis une vingtaine d'années (Gagnon, 2010 ; Sauvé, 2007). Comme le montrent sans équivoque les débats sociaux entourant les projets de barrages et centrales hydroélectriques, de lignes de transport d'énergie, d'aménagements routiers et, plus récemment en Haïti, ceux liés à la construction de parcs industriels et de zones franches : la relocalisation de la population est devenue un objet de conflit de plus en plus important entre les entreprises, des fois l`Etat, les organisations de la société civile et les populations locales (Fortin, 2007a).

Par ailleurs, la littérature sur l'EIE n'apporte pas toujours de réponses claires aux questions d'ordre méthodologique qui préoccupent les praticiens : Qui sont les citoyens qui devraient être mis à contribution? À quelles étapes dans la démarche devraient-ils être mis à contribution ?

Toutefois, certains soulignent que les critiques reflètent le fait que la participation citoyenne dans l'EIE est une pratique en émergence (Mahoney, Potter et al. 2007; Wright, Parry et al. 2005) qui démontre la nécessité de pousser les réflexions sur les méthodes les plus prometteuses ou pertinentes en fonction de différents enjeux et contextes (Gorman et Douglas, 2001, p. 164). Car non seulement les pratiques participatives dans l'EIE demeurent encore limitées (Gagnon, St-Pierre et al. 2010), mais l'idée même de participation citoyenne dans l'EIE ne semble pas très bien articulée et est parfois remise en question (Dannenberg, Bhatia et al. 2006, p. 266)

Cela dit, la rhétorique participative de l'EIE fait face à de nombreux écueils, que ce soit les limites des organisations publiques appelées à mener des EIE dans un contexte de ressources limitées et d'échéanciers très courts, des communautés pauvres, désintéressées et mal outillées, ou encore des acteurs politiques inquiets des risques que pourrait poser la participation citoyenne. À cela s'ajoute l'immaturité théorique de l'EIE et l'absence de «mode d'emploi» pour mettre les citoyens à contribution.

1.4.-Objectifs de la recherche

Les objectifs de cette recherche sont les suivants :

· Déterminer dans quelle mesure la participation du public à l'EIE :

· Contribue à l'identification et à la prise en compte des conséquences sociales et environnementales du projet;

· Favorise un dialogue entre les acteurs ;

· Favorise un arbitrage plus équitable des intérêts en présence;

· Contribue à une meilleure répartition du pouvoir entre les acteurs sociaux dans le sens de la maîtrise sociale du territoire à l'échelle locale.

· Préciser l'impact des dispositifs participatifs dans le renforcement (empowerment) des communautés locales à participer à l'évaluation des impacts et à leur suivi;

· Concevoir et proposer une stratégie et un mécanisme de participation citoyenne de la société civile et des ONG de protection de l'environnement à l'EIE de projets de développement de grands complexes industriels en Haití.

1.5.- Hypothèses de travail et questionnements de recherche

Compte tenu des concepts et des notions évoqués dans ce document, nos questionnements de recherche sont les suivants :

· Quelle a été la nature de l'opportunité offerte par les dispositifs participatifs aux acteurs locaux dans le cas à l'étude, d'être présents, de s'exprimer, de participer aux discussions, de participer au processus de décision ?

· Les dispositifs participatifs mis en place ont-ils permis la construction de la meilleure compréhension possible et une compréhension partagée, compte tenu des connaissances raisonnablement accessibles aux participants au moment de la construction du parc ?

Nous sommes d'avis qu'en soit, la participation publique (variable indépendante) ne favorise pas l'augmentation du consensus. Par exemple, des procédures de participation publique peuvent être organisées sans qu'il y ait une véritable volonté d'écouter ni d'intégrer les avis formulés. Dans ce cas, il ne serait pas surprenant qu'il n'y ait pas d'augmentation du consensus. C'est pourquoi nous établissons un lien de corrélation et non pas un lien de causalité entre la participation publique et l'augmentation du consensus.

Nous postulons en conséquence que la qualité de la participation publique, respectivement l'intégration des propositions de la population (ou ses représentants) dépend d'un certain nombre de facteurs. Dans ce cadre nous émettons 3 hypothèses :

1. H1 : La participation augmente le consensus à condition qu'elle intègre les propositions des acteurs de la participation publique.

2. H2 : L'évaluation des impacts environnementaux et les dispositifs participatifs y relatifs induisent des processus d'empowerment et la construction et du capital social à l'échelle de la communauté locale.

3. H3 : L'efficacité de la participation à l'EIE dépend des conditions de la participation, mais également de l'engagement et de l'implication des acteurs, ainsi de la revendication de leur rôle dans la gestion du processus.

1.6.-Démarche méthodologique 

1.6.1.-Justification de la démarche et adéquation avec notre problématique

Le mode d'investigation consiste en une étude de cas : celui de la participation des acteurs locaux à l'évaluation et au suivi des impacts du projet de construction du Parc industriel de Caracol. Ce cas est pertinent à notre problématique de recherche et à notre cadre d'analyse. D'abord, la construction du complexe industriel est susceptible de modifier en profondeur, à différents degrés, positivement ou négativement, plusieurs dimensions de la «qualité de vie» des communautés (qualité de l'environnement, économie locale dont l'emploi et les retombées pour les entreprises régionales, infrastructures de transport, accès au logement, etc.). De plus, le projet a été soumis à toute une batterie de procédures d'évaluation et d'examens environnementaux qui exigent la réalisation d'une étude d'impact par le promoteur en l'occurrence l'Etat Haïtien.

L'étude approfondie de ce cas apparaissait comme une stratégie cohérente avec notre conception de l'étude d'impact, envisagée comme un outil de régulation des processus de négociations sociales adopté par l'État. Ce cas était aussi intéressant à cause du contexte particulier dans lequel s'inscrivaient les négociations, qui présente plusieurs caractéristiques d'une région «fragile» (Lafontaine et Thivierge, 1999). Selon Blowers et Leroy (1994), il s'agit de régions 1) éloignées des centres décisionnels, 2) économiquement marginales, 3) socialement homogènes, 4) ayant peu de pouvoir et dominées par une culture de l'acceptation et 5) souffrant d'une fragilité environnementale ou subissant des risques découlant de l'industrie moderne.

La démarche méthodologique a été structurée de la façon suivante. D'abord, sur le plan du cadre d'observation et de la constitution des données, il apparaissait nécessaire d'étudier les dispositifs participatifs mis sur pied pour faciliter la participation de la population. Pour ce qui est de la procédure, autant celles tenues en amont qu'en aval (c'est-à-dire depuis la planification historique du projet jusqu'au démarrage des travaux), celles prenant place dans les mécanismes formels de participation prévus à cette fin que celles menées en parallèle de l'ÉIE ont été considérées.

1.6.2.-La recherche documentaire

La recherche documentaire porte sur les écrits rendus publics dans le cadre de l'évaluation environnementale dans le cas du projet de Caracol (étude d'impact, rapport d'enquêtes, compte-rendu de conférence, et documents afférents), les écrits diffusés dans la presse et ceux émanant d'organismes publics et de la société civile portant sur la région, le promoteur, l'industrie de la sous-traitance ainsi que sur le projet lui-même.

1.6.3.-Outils d'investigation

En fait, tout moment d'interaction entre les acteurs impliqués constituait un lieu d'observation potentiel pour comprendre les négociations sociales concernant un aspect ou l'autre du processus, ainsi que leurs incidences sur le devenir du projet industriel et les impacts qui en découlent. Dans cette perspective, pour le cas étudié, des observations directes ont été réalisées lors des rencontres thématiques entre février et avril 2012, de même que pendant cinq séances d'information organisées et lors de deux visites de chantier réalisées par le promoteur à l'intention des membres du comité de suivi et de résidents de proximité. Les écrits produits dans ces cadres, de même que ceux issus d'autres négociations auxquelles nous n'avions pas accès en personne ont également été examinés.

De ces observations, deux grands types de données ont par la suite été dégagés pour être soumis à l'analyse : d'une part, les demandes exprimées par divers groupes d'acteurs en matière de perte de biodiversité et, d'autre part, les diverses actions et stratégies menées sur une ou l'autre des trois dimensions relatives au cadre physique (matérielle, symbolique, politique). Les stratégies ont ainsi été retenues sur la base que, à un moment ou un autre du processus d'implantation, elles visaient à influencer le devenir du projet, autant dans ses dimensions matérielles (ex. : envergure physique, type de production, quantité d'émissions) que symboliques (ex : représentation du projet, bien-être des résidents).

Le choix de retenir les actions touchant la symbolique du projet est conséquent avec la perspective privilégiée (constructiviste, interactionniste et critique). Celle-ci considère en effet que la perception des changements matériels suscités par l'implantation industrielle - et donc la nature et l'importance des impacts sociaux - peut être influencée par les rapports d'échange et de concertation expérimentés entre les acteurs et le projet (Greider et Little, 1998).

En conséquence, dans le cas à l'étude, les stratégies de communication et de promotion étaient alors à considérer. Pensons aux rencontres d'information organisées par le promoteur, comme celles annonçant le début de travaux ou celle tenue pour tenter de désamorcer un sentiment d'insécurité que commençaient à exprimer des résidents, témoins oculaires d'un incident technologique. Pensons aussi aux négociations et stratégies concernant le design du parc qui favorise une certaine mise en scène du chantier, ainsi que son utilisation par le promoteur lors de visites guidées du chantier. De même, ont été considérés les diverses stratégies déployées par l'Etat pour tenter d'influencer les représentations de l'environnement portées par la communauté, un groupe d'acteurs stratégiques pour l'acceptabilité sociale du projet, incluant des visites de chantier. Nos observations n'ont donc pas porté uniquement sur les cadres formels de participation.

1.6.4.-Dynamiques d'acteurs et stratégies

Enfin, les dynamiques d'acteurs et leurs stratégies ont été analysées pour tenter de cerner la capacité de l'ÉIE, d'une part, à intégrer les préoccupations associées à l'environnement notamment humain, en accord avec notre définition élargie, que celles-ci aient été formulées ou non sous ce thème explicite, et, d'autre part, à réguler les dynamiques de négociation. Trois critères ont été utilisés, inspirés d'une proposition de Theys (2003), et qui correspondent à trois aspects des pratiques de gouvernance. Ils touchent : 1) la coordination, 2) la légitimité de la décision, et 3) la réception par la communauté. Ces critères sont décrits au point 2.5

Enfin, le développement fait jusqu'ici conduisent à l'étude de cinq (5) concepts fondamentaux : (1) La participation du public et ses formes, (2) la société civile et les acteurs directement concernés qui représentent l'élément intégrateur du processus de participation. A ceux-là on ajoute (3) l'«Empowerment » et (4) l'acceptabilité sociale et (5) le capital social

1.6.5.-Cadre d'analyse de la participation

Dans la présente étude, nous étudions la participation sur le plan des conditions dans lesquelles elle s'effectue, de la conduite des acteurs sociaux et des résultats. L'étude des conditions de la participation vise à déterminer la nature de l'opportunité offerte aux acteurs sociaux : les participants, le moment de la participation dans le processus décisionnel, le mode participatif, la portée de la participation, etc. Pour étudier ce processus, nous nous intéresserons à la théorie de l'action communicative : Theory of Communicative Action : d'Habermas et l'application qu'en font Webler et Tuler (2000)

L'autre dimension considérée est celle de la conduite des acteurs. Cette dimension s'impose de plus en plus dans les études sur la participation qui s'intéressent à l'attitude des acteurs sociaux et à leur implication dans les dispositifs participatifs (Margerum, 1999), à l'effet de facteurs comme la culture et l'histoire pour expliquer le niveau de participation (Botes et Van Rensburg, 2000), et aux attitudes et à a capacité des acteurs à saisir l'opportunité de la participation (Palerm, 2000). En résumé, les suppositions de ces auteurs, sont que les dispositifs participatifs n'interviennent pas dans un vide social.

Dans notre étude, nous nous intéresserons à la conduite des acteurs comme révélateur des normes et des pratiques sociales et culturelles existantes dans la communauté et à leur influence sur l'efficacité de l'EIE comme outil favorisant la maîtrise sociale du changement.

1.6.6-Cadre d'analyse des résultats

Nous partons du postulat que le comportement des acteurs d'un processus (participatif) est le résultat de plusieurs influences, notamment : (1) les idées, (2) les institutions, (3) les intérêts. Les idées ne sont pas figées dans le temps; elles évoluent à la suite de l'exposition des acteurs à de nouvelles informations ou expériences. De plus, ce caractère évolutif en fait des cibles des interventions publiques visant à influencer le comportement des acteurs.

Sur cette base et partant de l'existant, à savoir les caractéristiques socio-économiques du territoire et celles du projet, nous analysons les dispositifs participatifs sous l'angle de la conduite des acteurs afin d'estimer leur degré d'appropriation du processus d'Étude des Impacts Environnementaux et Sociaux comme il est schématisé dans la figure 1 ci-dessous.

Figure 1 : CADRE D'ANALYSE

INPUTS

PROCESSUS

OUTPUTS

OUTCOMES

· Présentation du projet et de son territoire d'insertion

· Analyse de la population locale et des différentes catégories d'acteurs

· Présentation des parties prenantes au processus d'étude d'impact environnement

· Présentation des attentes des acteurs locaux

· Analyse des dispositifs participatifs

o Pré consultation

o Enquêtes

o Rencontres thématiques

o Comité local de suivi

· Analyse des rapports et du cadre légale et institutionnel

· Analyse de la maîtrise sociale du changement et de l«Empowerment»  de la population locale

· Représentation sociale du processus d'EIE chez les acteurs locaux

· Les moments de la participation dans le processus

· Niveau d'implication des acteurs (la conduite des acteurs)

· Niveau de prise en compte des suggestions des acteurs dans le processus décisionnel (les formes de participation)

· Niveau de contrôle du processus d'EIE par la population

· Niveau d'augmentation des connaissances raisonnablement accessibles au moment de l'EIE

· Perception chez la population du processus d'EIE

CHAPITRE 2.-CADRE CONCEPTUEL

SECTION 1.- Les concepts

2.1.-Etude d'impact environnemental (EIE)

L'étude d'impact environnemental est généralement conçue comme un processus d'analyse basé sur une conception de développement durable, liant l'économique, le social, l'environnemental et le politique (Sadler, 1996). Souscrivant au paradigme rationaliste de la planification, un postulat fondateur de l'évaluation environnementale est qu'une prise de décision «informée» permettrait de mieux maîtriser les changements anticipés par l'implantation de projets, programmes ou politiques1(*). La procédure d'évaluation environnementale comporte plusieurs processus formels. En ce qui a trait aux grands projets d'infrastructures, il s'agit de l'évaluation des impacts sur l'environnement (ÉIÉ), qui comprend notamment l'étude d'impacts, document le plus connu, ainsi que la participation citoyenne non mentionnée dans la législation haïtienne. L'ÉIE consiste à prévoir et à évaluer les changements, positifs et négatifs, susceptibles de se produire suite à l'implantation d'un projet au regard des spécificités biophysiques et sociales du milieu d'accueil, respectivement les impacts environnementaux et les impacts sociaux.

Malgré l'absence de mention expresse du principe de l'EIE, la Déclaration de Stockholm a, dans sa démarche, permis une première réflexion dans ce sens, et a encouragé à adopter une attitude plus engagée pour l'avenir. Même sans la présence d'un Principe consacré à l'étude d'impact, les Principes 14, 15 et 21 consacrent l'obligation pour les Etats de veiller à ce que les activités exercées sous leur juridiction ne causent pas de dommages à l'environnement dans d'autres Etats. Cette obligation très générale pourrait aussi servir de base au principe de l'EIE préalable à toute activité susceptible de détériorer l'environnement. De plus, cette obligation prévoit déjà un débordement du cadre national vers d'autres Etats, obligation qui fera l'objet spécifique d'une Convention2(*), 20 ans plus tard.

Malgré les nombreuses démarches raisonnées qui la concernent, l'ÉIE comporte toujours une part de «subjectivité» et une dimension politique. En soi, l'évaluation «chevauche la science et la politique, puisqu'elle fait intervenir des jugements de valeurs», comme le rappellent André et al. (1999 :292). L'évaluation environnementale est alors vue comme un cadre, utilisé par l'État, pour réguler et arbitrer les différents intérêts portés par les acteurs sociaux, locaux comme nationaux, à l'égard de grands projets (Gariépy, 1997). Il peut s'agir de ceux de l'entreprise liés à la productivité et à la rentabilité économique, des préoccupations d'ONG pour la protection de l'environnement, ou de celles de parties concernées et impliquées, de groupes ou d'individus affectés concernant la création d'emploi, la santé publique, la qualité de vie ou le paysage.

Comme les processus de négociation impliquent traditionnellement l'État central et l'entreprise, des mécanismes de participation sont prévus par la procédure de l'ÉIE dans le but d'intégrer davantage de groupes associés à la société civile. Pensons aux consultations du public, à la médiation environnementale ou aux comités de suivi mis en place depuis une dizaine d'années (Parry et Wright, 2003; Elliott et Williams, 2008).

2.2.-La participation publique

La participation comme fait « d'avoir droit à une part », « de prendre part » (dictionnaire Hachette, 1998) fait ressortir deux (2) facteurs importants : l'existence d'un droit à la part et (2) l'exercice de ce droit. Selon l'Agence de Protection de l'Environnement des Etats-Unis (EPA), il y a participation publique lorsque ce droit est exercé par un large public : les citoyens, les différents groupements d'individus tels que les associations de consommateurs, les environnementalistes, les représentants d'industrie et de commerce, etc. La définition de l'EPA fait ressortir deux (2) dimensions de la participation citoyenne : (1) la représentation assurée par une agence intermédiaire qui établit (2) un dialogue entre un large public et le décideur. Dans sa définition, Canter (1996) insiste plus sur la nature de ce dialogue. Il présente en effet la participation comme un flux continu bidirectionnel d'échanges dont le but est d'aboutir à la compréhension des processus et mécanismes qui risquent de nuire à l'environnement et pouvant être résolus par l'agent responsable (Canter, 1996, p 19).

De plus, cette définition à l'intérêt d'insister sur une troisième dimension ; celle du traitement et de la transformation de l'information. La participation suppose et impose que l'information soit recueillie de part et d'autre du processus et validée auprès des parties. Dans cette perspective, la participation représente autant un processus d'investigation et de résolution des problèmes environnementaux, d'analyse, de traitement de l'information qu'un mécanisme de représentation et de légitimation. En permettant au public d'intervenir dans la formulation des politiques pour que celles-ci reflètent mieux ses valeurs, intérêts et priorités (Clifford, 1994, p. 50), elle devient de fait, un cadre d'action de nombreux acteurs ayant des intérêts divergents sinon contradictoires mais qui doivent être conciliés en vue de fournir l'information pertinente pour la décision.

La participation publique est une composante stratégique de la planification (Hamel, 1993 p. 71) que Mintzberg (1994, p. 28) considère comme une procédure formalisée devant produire un résultat articulé sous la forme d'un système intégré de décisions. Pour comprendre les difficultés et les problèmes relatifs au processus de participation publique, Godbout (1983) et Parenteau (1988) préconisent de l'étudier comme une entité distincte. « Dans le mouvement actuel, la participation n'est plus un concept automatique lié à celui de la démocratie; elle devient autonome » (p.23) argumente le premier et d'après le second, « formelle ou non, elle développera ses propres moyens et génèrera sa propre dynamique interne » (p.4)

2.3.-Les formes de participation

Rechercher des solutions collectives aux problèmes qualifiés d'affaires publiques nécessite, dans le cadre d'une démocratie libérale (Enriquez, 1995), une participation multiforme. Les formes les plus courantes utilisées par les pays qui accordent une attention particulière à la participation citoyenne sont l'information, la consultation, la concertation, le débat public, la conciliation/médiation, la conférence de citoyens ou de consensus, le jury de citoyens ou cellule de planification et les repas de quartier.

Signalons qu'avec l'expansion de l'Internet, certains pays industrialisés développent ces dernières années les «e-gouvernance», «e-administration », «e-participation», etc., une façon de faciliter et d'accélérer la participation du citoyen dans la gestion de la chose publique à partir de son ordinateur personnel relié à l'internet. Haïti n'est pas encore à ce stade et de ce fait, nous fermons tout de suite la parenthèse. Nous nous contentons de nous pencher alors sur les formes traditionnelles préalablement citées.

· L'information.- Ce paramètre est incontournable et constitue le préalable à tout projet de participation. Il devient impérieux de fournir suffisamment d'informations à la population appelée à participer. Cette information véhiculée à travers les médias traditionnels, médias de masse, Internet, réunions publiques ou autres doit être complète, claire et compréhensible. Ce n'est qu'à cette condition que la population va être investie du pouvoir d'agir.

· La consultation.- C'est lorsqu'en amont d'une politique, les décideurs demandent l'avis de la population afin de connaître ses opinions, ses attentes et ses besoins.

· La concertation.- C'est une attitude globale de demande d'avis sur un projet ou une politique, par la consultation de personnes intéressées par une décision avant qu'elle ne soit prise.

· Le débat public.- C'est une étape importante dans le processus décisionnel qui s'inscrit en amont du processus d'élaboration du projet ou de la politique.

· La conciliation/médiation.- C'est la confrontation de points de vue divergents des participants animés par le désir et la volonté d'aboutir à une solution ou un consensus majoritaire.

· La conférence de citoyens ou de consensus.- C'est le dialogue public, en vue d'un consensus, engagé entre un panel de citoyens profanes (qui ont reçu des experts une formation préparatoire) et des représentants du monde politique, économique et associatif sur des problématiques d'ordre scientifique et technologique (Bévort, 2002). Le rapport final comportant les avis et recommandations du panel de citoyens sera rendu public et remis aux décideurs politiques à l'issue de la conférence.

· Le jury de citoyens ou cellule de planification.- C'est une méthode (Bevort, 2002), à la différence de la conférence de citoyens, qu'on utilise surtout au niveau local et notamment dans le cadre du développement urbain. De fait, un panel de citoyens informés représentant le noyau de leur communauté et divisé en petite « cellule de planification » va remettre - après discussions et évaluation de différentes options relatives à une problématique de planification urbaine - un rapport comportant avis et recommandations aux autorités politiques.

· Les repas de quartier.- C'est aussi une méthode de participation qui s'applique à une sphère géographique très réduite : « Le quartier ». Les premiers repas de quartier hebdomadaires (Bevort, 2002) furent organisés à Arnaud-Bernard, un vieux quartier de Toulouse (France), dans les années 1991-1993. Ils avaient pour but de « contribuer à inventer de nouvelles solidarités, de transformer les mentalités dans notre pays, de prendre à revers la technocratie ». Les participants furent à la fois acteurs et organisateurs de ces repas qui leur offrent l'occasion de se rencontrer en toute convivialité, d'échanger et d'envisager d'autres actions communes.

C'est donc à travers l'une ou deux des formes de participation décrites ci-dessous que vont se retrouver les acteurs qui désirent intervenir dans l'élaboration de l'EIE. Les acteurs intéressés sont le promoteur, les résidents, les entreprises, les groupes, les individus et, de manière plus large, la société civile.

2.4.-La société civile

Point n'est besoin de rappeler que la société civile joue un rôle prépondérant dans tout processus de participation citoyenne, de démocratie participative. Dans cet ordre d'idées, divers auteurs ont travaillé sur ce thème et ont montré, à travers leur définition du concept, les acteurs composant la société civile et leurs rapports avec l'Etat.

Pour Saint-Simon (Houtard, 1995), par exemple, la société civile indiquait au 18ème siècle tout ce qui n'appartenait pas au pouvoir politique, c'est-à-dire l'État. Tandis que Hegel voit en elle la médiation entre la forme sociale primaire qui est la famille et la forme la plus élevée, l'État. Dans son étude faite au début du 19ème siècle sur la démocratie aux Etats-Unis, Alexis de Tocqueville (1835 et 1840) constate que les associations libres, en fonction du principe de l'égalité et de la liberté d'opinion, se développent dans la sphère non contrôlée par l'État. Gramsci étend, pour sa part, la société civile à l'ensemble des organismes publics non gouvernementaux, groupes et mouvements exprimant les préoccupations et les droits populaires.

La dynamique constatée dans la vie associative en Haïti, depuis deux décennies, se rapproche davantage de la conception gramscienne de la société civile. On a, en effet, observé à la chute de la dictature des Duvalier en 1986 à un pullulement de comités de quartiers, d'organisations populaires, d'associations socioprofessionnelles, de syndicats, de partis politiques, d'organisations communautaires de base, etc. La plupart de ces associations ont disparu et réapparu avec les conjonctures socio-politiques. Elles ont certainement la vertu de porter tant soit peu la population en général et leurs membres en particulier à s'intéresser aux affaires publiques. On assiste alors à un nombre appréciable de citoyens qui participent aux élections présidentielles, législatives et municipales en qualité de candidats ou d'électeurs. Ils appuient ou prennent activement part aux manifestations des rues, aux grèves, meeting, réunions-discussions, tribunes libres, etc.

2.5.-La conduite des acteurs

L'autre concept opératoire concerne la conduite des acteurs. Cette dimension s'impose de plus en plus dans les études sur la participation qui s'intéressent à l'attitude des acteurs sociaux et à leur implication dans les dispositifs participatifs (Margerum, 1999), à l'effet de facteurs comme la culture et l'histoire pour expliquer le degré de participation (Botes et van Rensburg, 2000), aux attitudes et à la capacité des acteurs sociaux à saisir l'occasion de participer (Palerm, 2000). En somme, la prémisse de ces recherches est que les dispositifs participatifs n'interviennent pas dans un vacuum social. Dans notre étude de cas, nous nous sommes intéressés à la conduite des acteurs comme révélateur des normes et des pratiques sociales et culturelles existantes dans le milieu d'accueil, et à leur influence sur l'efficacité de l'évaluation des impacts environnementaux (ÉIE) comme outil favorisant la maîtrise sociale du changement.

2.6.-Les résultats du processus d'étude d'impacts

Enfin, le concept d'analyse des résultats a été retenu afin de confronter notamment la théorie et la pratique et d'amorcer une réflexion sur la plus-value de la participation des acteurs sociaux aux processus décisionnels. Le concept d'empowerment s'appuie sur une participation citoyenne (Rich et al., 1995), sur un partenariat favorisant la santé de la communauté et le développement des individus (Fawcett et al., 1995). Nous en parlons amplement dans la section 1.7.8.

2.7.-L'acceptabilité sociale

Contrairement à une vision trop répandue, l'acceptabilité sociale n'est pas l'acceptation d'un projet par la majorité des citoyens (Gagnon, 2010). Le niveau d'acceptabilité sociale d'un projet ne se résume pas au résultat d'un sondage départageant une population sur la base d'une vision binaire de « pour » ou « contre ». Cette conception démocratique est erronée (Gariépy, 1997), car elle néglige les conditions d'acceptabilité propres à chacune des parties prenantes (Whitmore et Kerans, 1988) sous prétexte que leur opinion est minoritaire (Coté, 2011). Cela a d'ailleurs été confirmé à de multiples reprises : l'opposition d'une minorité peut bel et bien suffire à bloquer un projet (Botes et van Rensburg, 2000; Palerm, 2000)

L'acceptabilité sociale est le résultat d'un processus durant lequel les parties prenantes construisent ensemble les conditions minimales à respecter pour qu'un projet s'intègre harmonieusement, à un moment donné, dans son milieu naturel et humain (Coté, 2011). Cela a d'ailleurs été confirmé à de multiples reprises : l'opposition d'une minorité peut bel et bien suffire). Deux facteurs sont essentiels pour atteindre ce résultat :

· La prise en compte du contexte local,

· L'ouverture du projet aux parties prenantes via un processus de co-création.

L'acceptabilité sociale repose sur la perception des inconvénients et des bénéfices que les parties prenantes associent au projet (Gariépy, 1997). Que les conditions exprimées soient acceptables ou non par le promoteur est un autre sujet: il arrive que certaines conditions minimales exprimées puissent être en contradiction avec les fondamentaux du projet, conduisant à son abandon, ou à un passage en force.

2.8.-L'empowerment

Extrait du site:  http://www.cewh-cesf.ca/PDF/cesaf/projet-empowerment.pdf, consulté le 30 juin 2012

Les auteurs ont élaboré plusieurs définitions concernant le concept d'empowerment (Rappaport, 1984). Selon les contextes, on peut conceptualiser la notion d'empowerment et s'y référer à la fois comme théorie, cadre de référence, plan d'action, but, idéologie, processus, résultat (Hawley & Mc Wrirter, 1991) ou conséquence (Gibson, 1991).

L'importance démontrée d'une compréhension pluraliste de ce concept nous amène à aborder les questions de recherche à différents niveaux, (individuel, social et communautaire) et selon différentes perspectives (psychologique, organisationnelle, sociale, éthique, communautaire et politique (Gibson, 1991). Nous présentons ici ces différents niveaux et perspectives.

L'analyse du concept d'empowerment réalisée par Le Bossé et Lavallée (1993) a permis de dégager certaines constantes se retrouvant dans la majorité des définitions applicables à l'empowerment. Les notions de caractéristiques individuelles (le sentiment de compétence personnelle, de prise de conscience et de motivation à l'action sociale), ainsi que celles liées à l'action, aux relations avec l'environnement et à sa dimension dynamique font l'unanimité.

Au plan individuel, Eisen (1994) définit l'empowerment comme la façon par laquelle l'individu accroît ses habiletés favorisant l'estime de soi, la confiance en soi, l'initiative et le contrôle. Certains parlent de processus social de reconnaissance, de promotion et d'habilitation des personnes dans leur capacité à satisfaire leurs besoins, à régler leurs problèmes et à mobiliser les ressources nécessaires de façon à se sentir en contrôle de leur propre vie (Gibson, 1991 p. 359). Les notions de sentiment de compétence personnelle (Zimmerman, 1990), de prise de conscience (Kieffer, 1984) et de motivation à l'action sociale (Rappoport, 1987, Anderson, 1991) y sont de plus associées. L'empowerment individuel comprend une dimension transactionnelle qui se joue aussi au plan social et collectif car il implique une relation avec les autres. À cet effet, Katz (1984) le représente comme un paradigme synergique où les personnes sont interreliées, où il y a un partage des ressources et où la collaboration est encouragée. Il demande un effort individuel qui est alimenté par les efforts de collaboration et un changement de l'environnement (Wallerstein & Bernstein, 1988).

À ce niveau, la notion d'empowerment psychologique est primordiale. Elle est définie comme un sentiment de grand contrôle sur sa vie où l'expérience individuelle suit les membres actifs dans un groupe ou une organisation. Cette notion se construit sur des niveaux de développement personnel, de soutien mutuel de groupe, de participation et d'organisation. Elle peut apparaître sans la participation d'une action politique ou collective et l'unité d'analyse est l'individu (Rissel, 1994). L'empowerment psychologique est nécessaire mais insuffisant pour l'accomplissement de transformations et de changements de niveau social ou collectif. Rappoport (1987) estime que si la psychologie communautaire doit encourager la reconnaissance de la diversité culturelle, c'est essentiellement parce que cela est nécessaire au développement de l'empowerment. Il en est de même pour la prévention, le développement des communautés, la démocratie participative, la relation entre chercheurs et participants, les réseaux de soutien, les groupes d'entraide, etc.

Rappoport (1987) transforme la notion d'empowerment, jusqu'alors utilisée pour exprimer une intention abstraite, en un objectif explicite, celui qui doit être au coeur de toutes les réflexions. L'empowerment comporte quatre composantes essentielles: la participation, la compétence, l'estime de soi et la conscience critique (conscience individuelle, collective, sociale et politique). Lorsque ces quatre composantes sont en interaction, un processus d'empowerment est alors enclenché. Ce processus proactif est centré sur les forces, les droits et les habiletés des individus et de la communauté, plutôt que sur les déficits ou les besoins (Gibson, 1991, Anderson, 1996).

Hawley et Mc Whirter (1991) ajoutent à la dimension individuelle et à tout ce qui précède, les perspectives sociales et communautaires lorsque l'empowerment se situe au niveau collectif ou communautaire. L'empowerment contribue au développement de la santé communautaire par les attitudes, les valeurs, les capacités, les structures organisationnelles et le leadership. À cet effet, les attitudes et les valeurs sont associées au degré avec lequel les individus ont le "sens communautaire", les capacités réfèrent aux connaissances et habiletés de la communauté ou de ses membres; la structure organisationnelle réfère au développement des organisations locales; et le leadership pour les individus et les organisations est l'opportunité d'exercer leur initiative au plan communautaire (Lackey, Burke, Peterson, 1987).

L'empowerment communautaire devient un processus au moment où il y a interaction entre la coopération, la synergie, la transparence et la circulation de l'information, le tout basé sur les forces du milieu. Il est le résultat de la participation dans des actions politiques et collectives et il requiert la participation active des personnes où la redistribution des ressources est favorable pour le groupe. L'unité d'analyse devient le groupe ou la communauté. L'empowerment communautaire se déroule en plusieurs étapes : la découverte des membres du milieu entre eux ainsi que le dialogue et l'établissement d'un sentiment d'appartenance au groupe. Après concertation, le groupe pose un diagnostic de la situation dans lequel il se trouve et formule par la suite des objectifs à atteindre (Lackey, Burke, Peterson, 1987). Dans une approche de santé communautaire, l'empowerment touche le plus souvent des groupes de personnes sans pouvoir reconnu. Il est primordial de renforcer les forces souvent inutilisées de ces individus. Cibler les forces existantes devient bénéfique pour l'ensemble du groupe. Il est à noter que dans un tel processus, les conflits peuvent surgir. Les personnes impliquées doivent prioritairement trouver des stratégies pour diminuer ou régler ces conflits.

L'un des objectifs de l'empowerment communautaire est de rendre la communauté capable d'analyser sa situation, de définir ses problèmes et de les résoudre afin qu'elle jouisse pleinement de son droit aux services de base. Les stratégies d'intervention peuvent être l'animation à la base (méthodes de communication interpersonnelles, groupes de discussion), la formation en séminaire, en atelier, l'appui financier et logistique de ces comités ainsi que le suivi des activités. Au niveau des structures de santé, l'objectif retenu est le renforcement de la capacité des intervenants à remplir leurs rôles de techniciens de la santé et d'accompagnateurs de la population dans son action sociale. Les stratégies opérationnelles deviennent la formation ou le recyclage en cours d'emploi des professionnels de la santé, l'appui financier et logistique aux structures sanitaires, le suivi et l'évaluation des activités (Eisen, 1994).

Dans une perspective organisationnelle, l'empowerment réfère principalement au transfert du pouvoir de l'équipe d'intervention vers une clientèle (Cornwall & Perlman, 1990). Socialement, l'empowerment a une influence potentielle sur la formulation des politiques de santé publique et la formulation des programmes de santé (Wallerstein & Bernstein, 1988).

Dans la perspective politique, l'empowerment est le résultat qui permet de changer les structures actuelles et les relations de pouvoir entre les diverses instances, les intervenants et les individus (Sherwin,1992). L'expérience a démontré que les programmes qui associent la population à leur gestion ont souvent mieux réussi que d'autres. Il est souhaitable de développer chez certains membres de la communauté l'expertise nécessaire pour l'auto-gestion de programme au fur et à mesure qu'il évolue. En adoptant cette politique, on économise des ressources rares qui servent à soutenir des experts étrangers au milieu alors qu'une main d'oeuvre locale valorisée offrirait de meilleures garanties au plan des coûts et des bénéfices pour la communauté. La formation des intervenants vise le transfert des outils, des techniques et donc de l'expertise à la base.

Selon, Beaulieu, Shaminan, Donner et Pringle (1997) d'autres dimensions sont liées au succès de l'empowerment, comme le soutien, l'information, les ressources et la créativité (Chally, 1992). Lorsque mises en application, il est démontré que ces dimensions peuvent contribuer à favoriser l'augmentation de la confiance et du pouvoir chez les individus ou les collectivités en matière de santé (Chally, 1992). 

La plupart des États sont aujourd'hui dotés de procédures d'ÉIE auxquelles sont assujettis certains projets ou activités. Ces procédures prévoient diverses formes de participation pour le public concerné par les effets environnementaux potentiels pouvant en découler. La participation du public assure effectivement une meilleure connaissance des multiples facettes d'un projet, permettant ainsi aux décideurs de prendre une décision plus avisée. Par ailleurs, la participation du public constitue également la matérialisation procédurale du droit substantif à l'environnement, lequel bénéficie aujourd'hui d'une reconnaissance nationale et internationale manifeste3(*). Il reste que dans beaucoup de pays surtout en voie de développement, cette étape du processus est négliger sinon traiter en parent pauvre.

Section 2.-Les tendances autour du principe de participation publique

2.9.-Les arguments favorables

La littérature sur la participation citoyenne dans l'EIE met en lumière quatre (4) principaux arguments favorables : (2.1) soutenir le développement d'une société démocratique; (2.2) renforcer le pouvoir d'agir des communautés; (2.3) intégrer les valeurs et connaissances des citoyens dans l'EIE; et (2.4) formuler des recommandations durables. Nous discutons plus en détail de ces quatre avantages dans les sections qui suivent.

2.9.1-Soutenir le développement d'une société démocratique

L'une des raisons invoquées pour soutenir la participation citoyenne en EIE est que cela rejoint les valeurs de base d'une société démocratique. En effet, les citoyens ont le droit de se prononcer sur les impacts éventuels des politiques, des programmes et des projets sur leur santé. Ce sont eux qui devront vivre, sur une base quotidienne, les conséquences de ces décisions (Bauer et Thomas, 2006, p. 501). Par le fait même, la participation citoyenne permettrait de redresser un certain déficit démocratique (Northridge et Sclar, 2003, p. 120; Wright et al., 2005, p. 58), c'est-à-dire le manque de transparence et de légitimité dont souffrent les gouvernements actuels que l'on peut imputer à la complexité de fonctionnement des institutions et aux processus décisionnels souvent inaccessibles aux citoyens.

L'EIE devient ainsi un mécanisme de démocratisation des processus décisionnels (Cole, Shimkhada et al., 2005; Elliott et Williams, 2004), voire un catalyseur de renouveau démocratique (Mahoney et al., 2007, p. 230). Une EIE favorisant la participation citoyenne permettrait ainsi de revitaliser les liens entre le gouvernement, ses institutions et les citoyens; d'établir une meilleure redistribution du pouvoir; et de renforcer la légitimité du processus décisionnel (Parry et Wright, 2003; Elliott et Williams, 2008). Cette démarche permettrait également d'intégrer des préoccupations d'équité et de justice sociale dans l'EIE en mettant à contribution des individus et des groupes qui sont souvent exclus ou marginalisés (Northridge et Sclar, 2003, p. 120).

2.9.2.-Renforcer le pouvoir d'agir des communautés

Dans le même ordre d'idées, la participation citoyenne en EIE contribuerait au renforcement du pouvoir d'agir des communautés (Dannenberg et al. 2006 ; den Broeder, Penris et al., 2003 ; Gillis, 1999 ; Parry et Kemm, 2005). Cette idée constitue d'ailleurs l'une des idées centrales des déclarations contemporaines sur la promotion de la santé, que l'on pense à la Déclaration d'Alma Ata (1978), à la Charte d'Ottawa (1986), à la Déclaration de Jakarta (1997) ou encore à la Charte de Bangkok (2005). Toutes ces déclarations mettent en lumière le besoin d'une plus grande dévolution des pouvoirs décisionnels vers les communautés. Celles-ci seraient capables de prendre en main leurs destinées et d'assumer la responsabilité de leurs actions en matière de santé.

En participant à une EIE, la communauté se trouve à jouer un rôle actif dans la prise de décisions qui affecteront la vie de ses membres. Wright et ses collègues (2005, p. 58) soutiennent que la participation en EIE nourrit le sentiment que les préoccupations des citoyens font partie intégrante de la formulation de politiques publiques. De plus, les communautés deviendraient les auteurs ou coauteurs des transformations politiques, sociales et économiques susceptibles d'affecter leur vie (Elliott et Williams, 2008, p. 1112).

2.9.3.-Intégrer les valeurs et connaissances des citoyens dans l'EIE

Non seulement la participation citoyenne dans l'EIE sert à démocratiser le processus décisionnel et à renforcer le pouvoir d'agir des communautés, mais elle vise également à prendre des décisions plus éclairées en intégrant dans l'EIE les valeurs et les connaissances des citoyens. Greig et ses collègues (2004, p. 265) avancent même que « si l'EIE souhaite faire une différence, en terme de prise de décisions plus éclairées, une approche participative est essentielle » (traduction libre).

Les promoteurs d'une approche participative de l'EIE soutiennent que la participation permettrait d'approfondir les connaissances à l'égard des déterminants de la santé, et ce, en favorisant le croisement des savoirs experts et citoyens (Joffe, 2003). Il y a d'ailleurs une reconnaissance croissante de l'expertise ou de l'«intelligence civique » des citoyens, qui peut grandement contribuer à l'EIE (Elliott et Williams, 2004; Elliott et Williams, 2007). Les citoyens connaissent mieux que quiconque leurs valeurs, leurs besoins, leurs préférences et les dynamiques animant leur communauté. Leurs connaissances sont ancrées dans les réalités locales et sont tout aussi valides et légitimes que les connaissances scientifiques pour éclairer le processus décisionnel (Wright et al., 2005; Parry et Kemm, 2005; Dora, 2003). Les citoyens pourraient donc apporter un éclairage nouveau sur les impacts potentiels des politiques, des programmes ou des projets que les décideurs envisagent d'adopter (Gillis, 1999; Kearney, 2004; Kosa, 2007).

Plusieurs auteurs soutiennent également qu'une approche participative permettrait à l'EIE d'être plus robuste sur le plan scientifique (Kjellstrom, van et al., 2003, p. 455). Elliott et Williams (2008, p. 1113) abondent dans le même sens et déclarent que « La co-création d'une expertise citoyenne et scientifique ne permet pas seulement une forme de science plus inclusive et démocratique, mais aussi une science plus fiable, valide et efficace, qui a une conception plus riche de la connaissance et qui peut informer l'action sociale » (traduction libre).

Une approche participative apparaît d'autant plus pertinente que les praticiens et décideurs doivent souvent travailler dans des zones grises où subsistent bien des incertitudes. Les données probantes issues de la recherche scientifique concernant les impacts potentiels d'une politique, sont souvent insuffisantes, non concluantes, ou sujettes à la controverse scientifique. Les décideurs ne peuvent donc pas appuyer leurs décisions strictement sur des considérations scientifiques et sont confrontés à des dilemmes sociaux et éthiques complexes (Elliott et Williams, 2004, p. 233). Une EIE participative permettrait ainsi aux décideurs d'avoir un éclairage citoyen sur les dilemmes auxquels la science ne peut apporter que des réponses partielles.

2.9.4.-Formuler des recommandations durables

L'approche participative dans l'EIE se veut consensuelle en transcendant les différends et en favorisant davantage d'unité et de coopération (Lester et Temple, 2006, p. 916). La participation citoyenne dans l'EIE favoriserait ainsi l'élaboration de recommandations plus durables d'un point de vue politique, social et économique (Mahoney et al., 2007; Kearney, 2004). Par exemple, la participation citoyenne permettrait de déterminer les modifications qui doivent être apportées à un projet afin que celui-ci réponde aux besoins exprimés par la communauté (Hübel et Hedin, 2003; Kwiatkowski, Tikhonov et al., 2009). Une telle approche permettrait de s'assurer d'une plus grande acceptabilité des recommandations formulées par l'EIE (Harris Roxas et Harris, 2007, p. 161) et ainsi de prévenir des « boomerangs » politiques (Mittelmark, 2001, p. 270).

2.10.-L'écart entre la rhétorique et la pratique

C'est ainsi que s'exprimait Sherry R. Arnstein, une pionnière de la participation citoyenne, dans un article publié en 1969. Comme nous l'avons vu précédemment, bien des arguments peuvent être invoqués pour promouvoir la participation citoyenne en EIE. Toutefois, il semble y avoir un écart entre la rhétorique participative de l'EIE et sa pratique. Dans la section suivante, nous explorons cinq catégories de facteurs qui peuvent expliquer cet écart : (3.2.1) des facteurs organisationnels; (3.2.2) des facteurs communautaires; (3.2.3) des facteurs politiques; (3.2.4) des facteurs théoriques; et (3.2.5) des facteurs méthodologiques.

Fait à noter, ces facteurs peuvent être perçus à la fois comme des risques et des obstacles. En effet, les ardents défenseurs de la participation citoyenne y verront des obstacles qui peuvent et doivent être surmontés. D'autres y verront plutôt des risques réels qui expliquent leur intérêt mitigé, voire leur opposition, face à la participation citoyenne dans l'EIE.

2.10.1.-Les facteurs organisationnels

Plusieurs facteurs évoqués dans la littérature font référence aux limites des organisations publiques qui sont appelées à mener des EIE (ex. : directions de santé publique, autorités régionales de la santé, municipalités, etc.). Parmi les obstacles organisationnels, le manque de ressources humaines et financières ainsi que le manque d'expertise en matière de participation citoyenne ressortent fréquemment (Kearney, 2004). En effet, une participation citoyenne active et authentique risque d'entraîner des besoins importants en termes de ressources pour l'organisation ou l'équipe menant l'EIE. Cela est d'autant plus contraignant que l'EIE est souvent conçue comme une démarche intersectorielle qui nécessite de la formation et de l'appui financier des différentes parties intéressées (Kearney, 2004; Mannheimer, Gulis et al., 2007).

Dans le même ordre d'idées, la mise en place de processus participatifs d'EIE peut s'avérer incompatible avec les échéanciers des décideurs gouvernementaux, qui sont souvent très courts, et avec leurs programmes surchargés (Wright et al., 2005; Mahoney et al., 2007). Parry et Wright (2003, p. 388) soutiennent d'ailleurs que les promoteurs de l'EIE devraient reconnaître de façon explicite la tension entre le temps requis pour répondre à l'agenda politique et le temps requis pour mettre en place des EIE participatives.

Dans un tel contexte, une approche participative de l'EIE risque de perdre son attrait pour les décideurs et pourrait même nuire à la prise de décision. Certains remettent donc en question l'idée selon laquelle la participation doit être un pilier de l'EIE. Wright et ses collègues (2005, p. 59) se montrent d'ailleurs très critiques et soutiennent que «l'adhésion aux valeurs fondamentales de la participation et du renforcement d'agir des communautés risque de nuire à l'EIE comme approche visant à influencer le processus d'élaboration de politiques » (Traduction libre).

Les praticiens de l'EIE sont donc confrontés à un choix, qui sera influencé par les enjeux et le contexte : faire une EIE longue et détaillée qui intègre la perspective des citoyens ou encore faire une EIE rapide (et peut-être superficielle) sans participation citoyenne. Pour certains, il est plus raisonnable de mener une EIE sans participation citoyenne si le temps et les ressources ne permettent pas de mettre à contribution le public de façon authentique (Kemm, 2005, p. 805). Dans cette perspective, la participation citoyenne devient alors optionnelle plutôt qu'une condition sine qua non de l'EIE (Parry et Wright, 2003, p. 388).

2.10.2.-Les facteurs communautaires

Des auteurs soutiennent également que les citoyens peuvent remettre en question la nécessité d'investir tant d'efforts et de temps dans une démarche d'EIE. Selon leurs dires, les citoyens, déjà assez occupés par leurs propres obligations quotidiennes, peuvent difficilement s'engager dans de telles activités (Parry et Wright, 2003, p. 388). Certains groupes exclus ou marginalisés peuvent également être difficiles à mobiliser ou simplement ne pas souhaiter participer, comme l'avancent Wright et al. (2005, p. 61) cité par Koios, 2011:

La participation est peut-être ancrée dans la culture moderne en santé pour des politiques de développement et de revitalisation, mais la recherche participative démontre bien souvent que certains groupes sont difficiles à impliquer, que les représentants légitimes de la communauté ne sont pas toujours faciles à cibler et que les personnes pauvres et marginalisées ne souhaitent pas toujours participer au processus et préfèrent parfois que les projets soient dirigés par des professionnels (traduction libre).

L'étude menée par Kearney (2004, p. 227) révèle également que les structures participatives favorisent souvent la participation de représentants de groupes déjà bien établis plutôt que la participation de citoyens « ordinaires », mais aussi que les citoyens peuvent être frustrés devant des exercices participatifs qui ne leur semblent pas toujours accessibles et dignes de confiance.

2.10.3-Les facteurs politiques

La participation citoyenne dans l'EIE pourrait également soulever des craintes sur le plan politique. Une EIE participative risquerait d'intéresser des acteurs aux intérêts potentiellement divergents ou qui n'ont pas l'habitude de collaborer (Farhang, Bhatia et al., 2008, p. 264). Une EIE participative risque donc de soulever la controverse au sein d'une communauté ou encore de ranimer un conflit latent qui nuira au processus décisionnel.

La crainte que le processus décisionnel soit pris en otage par les citoyens est également évoquée (Kearney, 2004, p. 225). Ainsi, certains décideurs gouvernementaux appréhendent une opposition systématique des citoyens à tout projet d'importance, sur la base que leur santé pourrait en être affectée. Puisque les décideurs ont généralement une aversion pour le risque, ils seraient alors réticents à s'engager dans un processus participatif qui risque de miner leur capacité à mettre en oeuvre des projets, des programmes ou des politiques.

2.10.4.-Les facteurs théoriques

La participation citoyenne dans l'EIE fait également face à plusieurs obstacles de nature théorique. Tout d'abord, il existe bien des ambiguïtés sur la notion de « participation citoyenne » et sur la façon de l'appliquer en EIE. Certains avancent que ces problèmes trouvent leurs origines dans les documents fondateurs de l'EIE qui évoquent l'idée de participation citoyenne sans toutefois l'expliciter (Mahoney et al., 2007). De surcroît, nombre d'expressions prolifèrent dans la littérature sur l'EIE : « implication citoyenne », « implication locale », « participation communautaire », « consultation de la communauté » et bien d'autres. Ces expressions sont souvent utilisées de façon interchangeable, sans qu'une réflexion critique soit portée sur ce qu'elles impliquent pour l'EIE (Mahoney et al., 2007).

Il ne semble donc pas y avoir de cadre théorique solide permettant de guider les décideurs et praticiens de l'EIE en matière de participation citoyenne. Comme le souligne Bauer et Thomas (2006, p. 512), « l'écart entre la promotion théorique de la participation de la communauté dans l'évaluation d'impact et le manque de lignes directrices pour le faire suggère que, dans le meilleur des cas, il ne sera pas possible de répondre à cette exigence à cause de sa complexité » (traduction libre).

D'ailleurs, certains avancent que les fondements théoriques de l'EIE n'ont pas encore atteint un niveau de maturité permettant d'y intégrer le citoyen. Selon cette perspective, les mécanismes participatifs pourront être intégrés seulement lorsque la science de l'EIE deviendra plus mature et robuste (Cole et al., 2005, p. 385).

D'autres auteurs soulignent que l'EIE peut être conçue de façons bien différentes. Par exemple, Kemm (2000, p. 431) distingue deux types d'EIE : (i) les EIE à « focus larges » qui mettent en lumière un modèle holistique de l'environnement, qui sont plus qualitatives, et qui promeuvent des valeurs démocratiques et la participation de la communauté; et (ii) les EIE à « focus étroits » qui reposent plutôt sur l'épidémiologie et la toxicologie, et qui cherchent à mesurer et à quantifier les impacts des politiques sur la santé de la population. La participation citoyenne peut donc être définie bien différemment en fonction de l'approche privilégiée par les praticiens de l'EIE.

2.10.5.-Les facteurs d'ordres méthodologiques

Dans le même ordre d'idées, Elliott et Williams (2008, p. 1104) font remarquer que certains praticiens souhaitent séparer les aspects « scientifiques » des aspects « sociopolitiques » de l'EIE. Certains praticiens craignent d'ailleurs que la participation citoyenne puisse éroder les fondements scientifiques de la prise de décision suggérée par l'EIE (Parry et Stevens, 2001, p. 1179). D'autres redoutent qu'une EIE participative repose plus sur des opinions plutôt que sur des données probantes (Wright et al., 2005, p. 59). Il n'est donc pas surprenant, comme l'indique Mittelmark (2001, p. 271), que certains praticiens de l'EIE utilisent des méthodes complexes et un jargon qui ont le potentiel d'exclure les citoyens, un phénomène qui a d'ailleurs été observé à Caracol.

2.11.-Le capital social

La principale difficulté avec le capital social, c'est que l'on peut parler de plusieurs choses. Néanmoins, l'idée générale est assez simple : la participation à des groupes peut avoir des effets bénéfiques pour les individus et pour la collectivité. Comme le remarque Portes (1998), l'idée est basique, et en traquer les origines reviendrait à passer en revue presque toute la sociologie depuis le 19ème siècle (et même, peut-on ajouter, une bonne part de la philosophie politique et de l'histoire des idées depuis Aristote). La plupart des acceptations du concept s'appuient sur celle de Coleman, bien qu'il n'ait pas contribué à la promotion du concept.

Dans l'approche de Coleman, le contexte social est caractérisé par l'organisation des relations entre acteurs, c'est-à-dire les structures sociales. Ces structures procurent les ressources qui constituent le capital social, et Coleman définit celui-ci, dans une logique résolument fonctionnelle, comme les caractéristiques de la structure qui facilitent les actions des individus :

« Social capital is defined by its function. It is not a single entity, but a variety of different entities having two characteristics in common: They all consist of some aspect of a social structure, and they facilitate certain actions of individuals who are within the structure. Like other forms of capital, social capital is productive, making possible the achievement of certain ends that in its absence would not be possible. » (1988, p. S98).

La définition peut apparaître obscure : certains aspects de la structure, qui facilitent certaines actions dans la structure, le moins que l'on puisse dire, c'est que cela ne dessine pas un objet aux contours très nets ; d'ailleurs, le capital social, s'il ressemble (en tout cas selon Coleman) aux autres « capitaux », s'en différencie en même temps par son mode de formation : « Unlike other forms of capital, social capital inheres in the structure of relations between persons and among persons. » (id.).

C'est effectivement une différence importante par rapport à la notion de capital physique ou de capital humain, entre lesquels Coleman veut établir l'analogie ; car l'approche économique usuelle du capital n'en fait pas une chose inhérente à un environnement, mais une chose résultant de la décision de renoncer au présent dans le but précis d'obtenir un bénéfice dans le futur.

Or chez Coleman, le capital social ne résulte pas d'une telle décision : « most forms of social capital are created or destroyed as by-products of other activities » (p. S118) ; le capital social n'est donc pas produit : c'est plutôt qu'il se produit, à l'occasion d'autres activités. Au sens économique, il s'agit donc non d'un capital, mais d'une externalité. Et le fait que cette externalité, en facilitant les actions des individus, puisse avoir des effets bénéfiques n'en fait pas pour autant un capital

CHAPITRE 3.-ETUDE DE CAS : LE PARC DE CARACOL DANS LE NORD-EST D'HAITI

La Banque Interaméricaine de Développement (BID) a finement analysé la possibilité de fournir une aide financière au Gouvernement d'Haïti (GOH) pour aménager ce parc qui sera localisé dans la commune de Caracol, département du Nord-est. Les activités économiques dans cette commune, peuplée en 2008 de 7,850 habitants (IHSI, 2009), sont la production de sel marin, la pêche et l'agriculture. On y retrouve environ 300 parcelles de bonnes terres agricoles dont la plupart de superficie comprises entre 0.5 et 1.0 hectares entièrement ou partiellement dans les limites du parc, qui seront endommagées par la construction. Il existe encore une quarantaine de parcelles voisines du parc qui seront également susceptibles d'endommagement en fonction de la nécessité de construire ou d'élargir des routes d'accès. Les propriétaires et les travailleurs de ces terrains (qui relèvent du domaine privé de l'Etat) ont été dédommagés. L'Unité Technique d'Exécution (UTE) du Ministère de l'Économie et des Finances d'Haïti a retenu une firme américaine pour procéder à une Etude des Impacts Environnementaux et Sociaux (EIES) de l'aménagement du parc, et pour préparer un rapport d'envergure d'un Plan d'Action de Réinstallation (PAR) des personnes déplacées.

Disons dès maintenant que le plus grand risque environnemental identifié est celui de la fragilité de la Baie de Caracol. Toutes les eaux de drainage du parc industriel et des zones de développement prévues autour du parc finiront par se déverser dans la baie. Au cours de notre étude, nous avons déterminé qu'il s'agit d'un écosystème côtier unique, productif et précieux. Même si les eaux usées du parc sont traitées, diverses autres menaces, liées au développement du parc industriel sur ce site, pourraient mettre cet écosystème en péril. Bien que l'importance de l'écosystème de la baie de Caracol ait été reconnue par des organisations nationales et internationales, à ce jour, peu d'études scientifiques ont été menées à son sujet

3.1.-Présentation du projet

La décision de situer le parc dans la région du nord, prise bien avant le séisme du 12 janvier 2010, fait partie de la politique de décentralisation et de relance de l'économie haïtienne, qui cherche à réduire la congestion dans la région métropolitaine de Port-au-Prince et de répandre des opportunités économiques et des investissements dans d'autres régions. La région du Nord, et surtout le long du corridor entre Cap-Haïtien et Ouanaminthe, a été choisie en fonction de la qualité de la route nationale # 6 ou route internationale, la présence du port de Cap-Haïtien et sa proximité à la frontière dominicaine, qui offre non seulement accès à Puerto Plata et autres ports de la région mais aussi la possibilité de tirer de nouveaux bénéfices de la collaboration transfrontalière, surtout dans la confection de vêtements (Koios, 2011).

Fig 2.- Contexte de localisation du site

Le site du Parc industriel occupera une superficie 243 hectares dans la commune de Caracol, juste à l'est de la route de Caracol, entre les villages de Chambert au sud, Fleury et Boue à l'ouest, et Volant à l'est. Le projet a avant tout été conçu pour faciliter les investissements d'entreprises de fabrication de vêtements, nationales et internationales, ainsi que ceux d'autres entreprises d'industrie légère, attirées non seulement par les préférences tarifaires généreuses et l'accès aux marchés accordés par les États-Unis, mais aussi par la main-d'oeuvre bon marché disponible en Haïti. Pour les raisons détaillées ci-dessous, le Gouvernement d'Haïti, de concert avec les bailleurs de fonds partenaires, a établi les conditions pour le développement du parc. Celui-ci doit donc :

· Être situé dans la zone comprise entre Cap-Haïtien et Ouanaminthe;

· Être développé sur un terrain appartenant déjà au gouvernement d'Haïti;

· Appartenir à l'État et être géré par une entité publique devant être désignée ultérieurement.

Sur la base d'estimations des besoins en locaux industriels dans la région et du financement probablement disponible, les consultants ont donc recommandé un parc de 150 hectares, à développer en 2 phases sur deux(2) zones d'environ 75 hectares chacune, accompagné d'une zone tampon d'environ 100 ha. Compte tenu de l'espace requis pour l'infrastructure (routes, clôtures, centrale électrique, installations de traitement des eaux usées, et réseaux d'électricité, d'eau et d'assainissement), chaque phase du développement devrait ainsi fournir environ 60 hectares de surface constructible sur lesquels quelque 420,000 mètres carrés de bâtiments pourraient être construits. L'évaluation de préfaisabilité a conclu que le projet serait très avantageux, non seulement pour la région nord d'Haïti, mais aussi pour l'ensemble du pays. Les avantages attendus comprennent :

· La création d'environ 2.800 emplois dans le secteur du bâtiment (pouvant durer de 3 à 7 ans) ;

· La création, au long terme, d'environ 40.000 emplois à temps plein;

· La création, au minimum, d'un nombre équivalent d'emplois indirects (les emplois dans les entreprises fournissant des biens et services au parc et à ses locataires) et induits (les emplois dans les entreprises fournissant des biens et des services aux personnes employées directement ou indirectement par le parc), soit un total de 80.000 emplois additionnels, directement attribuables au parc ;

· La fourniture de moyens de subsistance à environ 500.000 personnes, soit 5 % de la population;

· Environ 360 millions de dollars de revenus annuels additionnels, directement attribuables au parc, pour les citoyens haïtiens (représentant environ 5 % du PIB en 2007) ;

· Des recettes fiscales supplémentaires estimées à plus de 60 millions de dollars par an, provenant des impôts sur les revenus de la direction et du personnel technique du parc et de la TVA sur les achats des employés directs et indirects ;

· La possibilité de créer un pôle industriel vraiment compétitif et durable, fondé sur des processus nationaux d'augmentation de la valeur ajoutée, et capable non seulement de prospérer sur des marchés internationaux aux conditions changeantes, mais aussi de survivre à l'érosion ou à l'élimination de l'accès préférentiel au marché américain.

3.2.-Négociation autour du projet

Le mégacomplexe de Caracol vise à créer des conditions propices au décollage économique d'Haïti par la création de plus 30,000 emplois directs et indirects. Comme énoncé plus haut, les grandes industries ont des impacts certains sur les territoires d'accueil. Concernant le parc, ceux touchant l'économie locale et régionale occupaient une place centrale dans les discours des élus et dans les médias. Il faut dire que dans le contexte économique difficile et eu égard au rapport de dépendance historique vécu avec l'international, les retombées fiscales importantes pour Haïti, tout comme les emplois créés et ceux consolidés étaient très attendus.

Les impacts sur l'environnement (qualité de l'eau, de l'air) et la santé publique ont également été soulevés par divers groupes (ONG environnement, syndicats de travailleurs, organisations de la société civile) lors de prises de position dans les médias. Pour leur part, les résidants vivant à proximité du nouveau site industriel avaient aussi posé plusieurs questions sur ces sujets lors du processus d'évaluation environnementale, lancé avant le séisme du 12 janvier 2010. Les entrevues collectives réalisées alors ont révélé ensuite clairement que ces résidants établissent un lien entre les activités de construction, la qualité de l'environnement et la santé publique.

Comparativement à ces attentes sur l'économie et l'environnement, le sujet du devenir de la population qui occupait l'espace n'est pas ressorti au premier plan des rapports intérimaires d'études d'impact environnementales produits par l'Etat, ni lors des conférences tenues en 2008-2009, ni à aucun autre moment de l'implantation. Même pendant la construction, lorsqu'il est devenu évident que le paysage local serait modifié de façon importante, contrairement aux prévisions faites dans l'étude d'impacts, cette question n'a pas été discutée ou même abordée dans ces termes lors des réunions formelles du comité de mise en oeuvre du projet, où siégeaient des représentants de la compagnie et des ministères concernés. Sur la base de ces observations, il aurait été tentant de conclure que le bien-être de la population ne constituait pas une préoccupation sociale par rapport au projet industriel de Caracol. Néanmoins, plusieurs acteurs avaient exprimé des attentes en la matière, autant sous la forme de questions, comme lors de la pré-consultation faite par la firme en charge de l'étude d'impacts, que par des demandes plus précises, sous formes de manifestations de rue particulièrement.

Ces attentes peuvent avoir été de façon explicite formulées sous le thème de la participation du public, mais pas uniquement. Pour être cohérent avec notre compréhension élargie du concept de participation défini précédemment, toute affirmation ayant un lien avec la vision de la communauté et/ou de la collectivité, qu'elle soit tangible ou socialement construite, a été intégrée dans la dynamique de la participation. Ont ainsi été ajoutés les propos d'acteurs se rapportant à d'autres termes traditionnellement associés au bien-être de la population (esthétique, environnement visuel, impacts visuels, aménagement paysager). De même, ont été intégrés ceux abordant l'aménagement du territoire, la qualité de vie (cadre de vie, infrastructures), la qualité de l'environnement (rejets, pollution, qualité du milieu récepteur), ainsi que la représentation territoriale du projet industriel. Dans le cas étudié, cela signifie concrètement que dans les mémoires et le discours des habitants, la participation de la communauté dans l'implantation, l'aménagement et le traitement des habitants n'a pas été traitée de façon transparente.

Devant ces demandes sociales très variées, une question était de savoir lesquelles avaient été prises en considération dans les négociations entourant l'implantation du Parc. Plus particulièrement, quelles stratégies d'action avaient été mises en oeuvre pour tenter d'y répondre, et par qui? De même, lesquelles avaient été conduites dans le cadre de l'étude d'impacts environnementale, ou en marge de la procédure? En ce sens, notre analyse sur les capacités de l'ÉIE à intégrer les préoccupations associées au bien-être, dépasse largement les seuls impacts sociaux et économiques habituellement considérés sous ce terme mais considère aussi des aspects variés du projet industriel comme la qualité de l'accès à l'information et l'implication de la population dans le processus décisionnel.

À la suite de nos observations, directes et documentaires, un (1) des cinq (5) grands enjeux, ou objets de négociation a été retenu pour la formulation de recommandations, soit : la localisation du site industriel, sa présence visuelle, les pratiques liées à la nature, le suivi environnemental et l'aménagement du site. Les stratégies d'acteurs sont très diversifiées, incluant notamment : la négociation sur l'utilisation de la main d'oeuvre locale, le changement du zonage «agricole» pour celui d'«industriel lourd», la promotion du chantier par des visites, des articles de presse, la réalisation de l'étude d'impacts par le promoteur et son acceptation par le ministère de l'Environnement, la conception du plan d'aménagement des terrains en périphérie du site industriel incluant un programme de plantation d'arbres, la négociation d'ententes autorisant des usages récréatifs du site industriel par des tiers, la définition du contenu du programme de suivi, la négociation pour ajouter des infrastructures et augmenter la capacité de production du projet initial, les activités de suivi volontaire et réglementé.

Cette description constitue une première phase pour donner une «lisibilité» aux dynamiques de négociation, considérée comme un préalable nécessaire avant de procéder à une interprétation. À partir de celle-ci, une analyse a été réalisée en recourant à deux critères de la gouvernance territoriale4(*). L'objectif est de comprendre dans quelle mesure l'étude d'impact environnementale peut être utile pour réguler les négociations entre des acteurs sociaux. En d'autres termes, est-ce que la procédure d'évaluation a permis à des acteurs de la société civile de faire valoir leurs préoccupations face au grand projet et, plus encore, d'avoir eu une influence sur les décisions marquant la qualité du territoire qu'ils habitent? Les principaux constats sont discutés dans la suite du document.

Plusieurs groupes d'acteurs ont été impliqués dans les négociations entourant l'implantation industrielle et concernant des aspects du paysage. En plus des deux grands acteurs habituellement impliqués que sont l'État central, par l'intermédiaire du ministère de l'Environnement, et l'entreprise, de nouveaux acteurs sont présents lors des négociations. Citons nommément des élus locaux, des représentants d'associations locales oeuvrant en environnement, en tourisme ou en agriculture, des citoyens et des résidents de proximité. Deux(2) principaux mécanismes de participation étaient disponibles pour leur permettre d'échanger : les rencontres thématiques, tenues lors de la planification, et le comité de suivi environnemental, mis en place au début des travaux. La présence de tels mécanismes et d'acteurs provenant de la société civile constituait un aspect positif certain pour la gouvernance. Un examen attentif des dynamiques et stratégies d'acteurs entourant l'implantation du parc a montré cependant plusieurs faiblesses quant à la capacité de l'ÉIE à coordonner les négociations sur le bien-être de la population.

Par conséquent, la négociation sociale s'est révélée complexe. Plus encore, elle est éclatée et discontinue, autant sur les plans temporels que sur la diversité des acteurs impliqués et par rapport au caractère fragmenté des négociations. Ainsi, d'une part, des groupes entrent et sortent de la scène, étant impliqués dans certaines discussions et non dans d'autres, étant présents à certains phases de l'implantation du projet et absents à d'autres. De fait, seul le promoteur (l'Etat) a assuré une présence presque continue dans l'ensemble des négociations, ce qui lui permet de connaître l'ensemble du projet en devenir, alors que les autres acteurs n'en ont qu'une vision parcellaire.

D'autre part, des stratégies d'actions influençant le devenir du projet industriel ont été menées avant le début de la procédure formelle d'évaluation des impacts sur l'environnement (ÉIE). C'est le cas des rencontres thématiques. Ces activités ont porté essentiellement sur un objet de négociation concernant le paysage, soit le choix de localisation du complexe industriel. Celui-ci s'est trouvé fixé presque dix ans avant le lancement des travaux, il était devenu alors difficile d'envisager d'autres scénarios de localisation. Or, la localisation constitue une décision fondamentale du point de vue de l'importance des impacts sociaux et environnementaux (par exemple qui serait potentiellement touché par les émissions atmosphériques?) et, donc, de la concrétisation de principes de développement durable.

Le fait que des négociations aient eu lieu avant le début de l'ÉIE ne surprend probablement personne. L'envergure d'un mégaprojet industriel comme celui de Caracol a nécessité une longue planification, de près de dix ans. Cependant, même lorsque l'ÉE a commencé, des négociations se sont poursuivies en parallèle de la procédure formelle. En effet, les acteurs ont engagé de nombreuses stratégies sur une base volontaire, c'est-à-dire non exigées par l'ÉIE. Que des négociations se soient déroulées à l'extérieur de la procédure et des forums de concertation prévus ne serait pas un problème en soi selon certains tenants de l'approche de l'«expérimentalisme démocratique». Comme l'expliquent Mormont, Mougenot et Dasnoy (2001), l'exploration des idées et la conception de solutions innovantes se feraient plus aisément à travers des réseaux de discussion plus souples que dans des cadres formels où les acteurs adoptent habituellement un comportement stratégique et reproduisent les normes sociales existantes. Cependant, cette façon de faire peut poser un problème de légitimité politique, comme ce fut le cas pour la situation que nous étudions dans ce travail.

Comme le soulignent ces auteurs, les solutions retenues dans de tels réseaux informels doivent retourner dans une sphère plus large et publique pour être soumises et validées par l'ensemble des acteurs concernés. Il s'agit là d'une condition requise pour que les ententes négociées acquièrent une légitimité politique et, par la suite, permettent une «régulation adéquate et acceptée» (Mormont et al. 2001, n.p.). Or, dans le cas de Caracol, les négociations examinées ne satisfont pas ce deuxième critère.

En effet, elles ont revêtu un caractère quasi privé alors que les négociations se sont déroulées généralement entre deux acteurs à la fois, en face-à-face - impliquant généralement le promoteur et un autre groupe. Surtout, les ententes négociées ont été rarement explicitées aux acteurs absents de la négociation, qui ne peuvent alors statuer sur leur contenu. En effet, même si les conclusions de l'entente ont été rapportées, les modalités ont été rarement présentées de façon détaillée, de même que les logiques et arguments sur lesquels elles reposaient. En définitive, les ententes ne pouvaient pas constituer un cadre de référence commun pour la conduite des divers acteurs impliqués dans le processus d'implantation du projet.

La procédure haïtienne d'ÉIE prévoit certes un mécanisme mettant en interaction un nombre important d'acteurs concernés par les enjeux environnementaux notamment et qui pourrait jouer un tel rôle de validation publique. Il s'agit des séances d'informations/consultations tenues lors de la phase de planification. Il existe également divers comités de suivi multipartite instaurés sur une base volontaire, réunissant le promoteur et des acteurs régionaux concernés et affectés, incluant le comité de suivi environnemental.

Cependant, aucun des deux mécanismes ne pouvait prétendre jouer ce rôle de validation pour l'ensemble de l'implantation du parc : les premières (les négociations) parce qu'elles ont constitué un moment ponctuel dans le processus et que plusieurs négociations avaient eu lieu en aval (ajout d'infrastructures, contenu des obligations de suivi environnemental), et le second (le comité de suivi), parce qu'il a souffert de plusieurs limites qui, elles, ont renvoyé aux derniers critères d'analyse.

3.3.- Caractéristiques socio-économiques des communautés de la région

En 2005, la population de la commune de Caracol était estimée à 6, 237 habitants dont près de 2/3 résident en milieu rural. Le rapport de masculinité, 105 hommes pour 100 femmes, traduisait une supériorité numérique des hommes dans la commune. Pour une superficie de 74,91km2, la densité était évaluée à 83,0 habitants/km2. Pendant la période intercensitaire 1982-2003, la population de la commune a connu un taux d'accroissement annuel moyen de 2,0%. La répartition de la population par grand groupe d'âges présente la structure suivante : 39,5% ont moins de quinze (15) ans ; 53,6% sont âgés de 15-64 ans et 6,9% de 65 ans et plus. La commune de Caracol a quinze (15) établissements scolaires. En milieu urbain, une (1) école préscolaire, cinq (5) écoles primaires et une (1) institution secondaire ont été répertoriées alors que huit (8) écoles primaires l'ont été en milieu rural.

Parmi les quinze (15) institutions scolaires répertoriées, neuf (9) d'entre elles sont du secteur privé. De plus, la commune a deux (2) centres d'alphabétisation et une (1) institution technique et professionnelle. En termes d'infrastructures sanitaires, une (1) clinique et deux (2) dispensaires ont été inventoriés dans la commune. Un (1) médecin, une (1) infirmière, quatre (4) auxiliaires, deux (2) matrones et un (1) technicien de laboratoire constituent le personnel technique de ces établissements. Du côté de la religion, on comptait au total treize (13) temples ou églises. Parmi ces temples ou églises répertoriés, sept (7) étaient de confession baptiste, quatre (4) de confession catholique et deux (2) adventiste.

3.4.- Caractéristiques sociales et culturelles de la zone du projet directement touchée

3.4.1.- Emplois et moyens de subsistance

Les activités économiques sur et autour du site du projet peuvent être caractérisées par une agriculture de subsistance à petite échelle et la pêche. Par exemple, selon les discussions avec les collectivités locales 50% de produits sont vendus dans le commerce et 50% sont consommés. Des preuves anecdotiques suggèrent que ces chiffres peuvent varier selon le climat économique et la qualité de récolte. Les gens ont également complété leurs revenus avec le petit commerce ou d'occasionnel travail saisonnier dans le secteur du tourisme. La zone du projet se caractérise par de faibles revenus et le manque de sécurité de l'emploi salarié, et un niveau plus bas que la moyenne d'alphabétisation ou d'éducation - bien que cela devra être confirmé par des données empiriques sur les zones du projet spécifique. Beaucoup de responsables de foyers ont besoin de s'engager dans plusieurs types d'activités économiques pour soutenir leurs familles, selon les habitants locaux qui ont été interviewés par l'équipe Koios. Ainsi, ce sont des communautés qui pourraient être très vulnérables aux changements sociaux externes et macro-économiques, tels que l'afflux soudain de personnes et l'argent en raison du développement industriel ou une forte chute de l'économie si les investisseurs du parc étaient amenés á fermer leurs opérations (Koios Associates, février 2011).

En plus des activités agricoles et des activités de pêche, des données anecdotiques révèlent que le secteur des petites entreprises touristiques, des hôtels, des bars et des clubs est une autre source de revenus pour les gens dans les villes et régions avoisinantes du site. Les gens reçoivent également des fonds de parents travaillant à l'étranger. La Banque mondiale indique qu'Haïti est l'un des principaux bénéficiaires de transferts de fonds internationaux dans la région de l'Amérique latine et des Caraïbes. Un grand nombre de personnes reçoivent ainsi un soutien de l'importante diaspora haïtienne, résidant en particulier aux États-Unis et au Canada.

3.4.2.- Logement

Il ne semble pas y avoir de parc de logements inoccupés pour les contractuels potentiels qui travailleraient au développement du site ou pour les employés à long terme du parc industriel et des entreprises qui s'y implanteront. Selon les autorités communales et départementales, ainsi que certaines personnes d'affaires, il y a un parc de logements vacants important dans la ville de Fort-Liberté. Cependant, comme ces logements sont en mauvais état et que la distance de Fort-Liberté au site du parc est probablement trop grande, il ne constitue probablement pas une solution optimale ou même partielle au besoin de logements potentiel dans la région du parc. Dans des conditions idéales, la construction de logements supplémentaires pour répondre à la demande liée à l'aménagement du parc et à l'infrastructure connexe, serait prévue dans le cadre d'un plan de développement régional plus large. Il se peut cependant qu'un tel plan ne soit pas mis en place suffisamment tôt pour influencer le développement de logements à court terme. Ce rapport tente néanmoins de réaliser des évaluations et de faire des recommandations pour le développement de tous futurs logements dans le contexte des communautés et infrastructures locales.

3.4.3.- Cohésion sociale et réseaux communautaires

Des discussions menées avec les communautés locales et avec des représentants du gouvernement semblent indiquer que les communautés ont une identité dynamique. Il y a beaucoup de petits réseaux et d'associations formels, comprenant entre autres différentes associations d'agriculteurs, de travailleurs et de femmes. Toutes les réunions communautaires ont connu une excellente participation et les gens semblaient bien informés quant à la situation sociale et économique de leurs communautés et des communautés voisines. Au cours de ces rencontres locales, au sujet des problèmes sociaux associés au développement du parc industriel, le représentant du Gouvernement a promis de travaillé en collaboration avec les réseaux formels et informels et les organisations communautaires, il a également informé que l'Etat prendra en compte les processus de prise de décision et de réparation des griefs existants.

Les gens ont une méfiance innée des promesses du Gouvernement, en matière de protection sociale et de développement communautaire, car ils ont déjà fait l'expérience des grands projets de développement ou en ont connaissance. Une bonne stratégie de communication et de dialogue avec les parties prenantes aurait été un élément essentiel de tout plan permettant de gérer et d'atténuer les impacts sociaux provoqués par l'aménagement du parc.

3.5.-Catégorisation des personnes touchées par la localisation du chantier

La décision de localiser le parc à Caracol a affecté différentes catégories de personnes. Il y en a qui le sont directement comme les exploitants agricoles et les ayants droits sur les propriétés de la localité et aussi celles qui le sont indirectement comme les personnes qui vivent dans les environs du site ou celles ayant leurs activités économiques dépendant du lieu d'implantation du chantier. Ainsi, l'étude d'impact a identifié quatre (4) grandes catégories de personnes touchées

3.5.1.-Les exploitants agricoles qui ne disposent des terres fertiles du site sélectionné

A ce propos, l'enquête foncière a révélé que 246 hectares de terres prévus pour construire le parc étaient réparties en 411 parcelles et étaient exploitées par 366 familles. Au total, huit (8) catégories de personne ont perdu soit leur terre soit les fruits du loyer de leur propriété ou encore les privilèges et les rentes concédés par le bail du foncier de l'Etat. Ces personnes affectées ont été catégorisées suivant le nombre de parcelles qu'elles ont occupé sur le site.

Tableau 1.-Catégories d'occupants du site

§ Propriétaires fonciers

3

0,65%

§ Fermiers de l'Etat

72

15,55%

§ Sous-fermiers de l'Etat

25

5,40%

§ Métayer de propriétaires fonciers

1

0,22%

§ Sous-fermiers privés

3

0,65%

§ Métayers de Fermiers de l'Etat

8

1,73%

§ Occupants de fait

288

62,20%

§ Fermiers de squatters

63

13,61%

Total

463

100%

Source : Enquête foncière, PIRN-Caracol, ERICE AZ, juillet 2011

Comme l'indique le tableau, la grande majorité des occupants du site tombait dans la catégorie occupants de fait.

3.5.2.-Les personnes qui perdent leurs maisons ou d'autres infrastructures collectives/communautaires

Parmi ces personnes on a identifié :

§ Trois (3) familles qui ont perdu leurs maisons dont 2 sont habitables et 1 en construction

§ Une (1) église localisée sur le site

§ Quelques maisons de jardin et des équipements agricoles y relatifs

3.5.3.-Les ouvriers agricoles saisonniers et les commerçants de denrées agricoles

Le site de construction attire beaucoup d'ouvriers agricoles saisonniers et de prestataires de services tout au long de l'année. Les consultations auprès des exploitants ont révélé que :

§ Plus 720 ouvriers agricoles venant des autres communes voisines y venaient travailler à raison de 100 à 120 jours par an et gagnaient entre 125 gourdes et 200 gourdes par jour en plus de la nourriture offerte;

§ 24 groupes de travail ont été inventoriés qui opéraient en rotation sur les diverses habitations à travers les diverses saisons;

§ Divers groupes de marchandes (madan sarah) venues du Cap-Haitien, de Port-au-Prince, de Hinche, Limbé se plaignent de la rupture de l'approvisionnement en haricot, mais, etc. ;

§ Plusieurs PTEPME (ateliers de fabrication de beurre d'arachide, de galettes de manioc, ateliers d'entretien d'équipements agricoles, de restauration, etc...) ont dit enregistré une chute brutale de leur chiffre d'affaire.

3.5.4.-Autres usagers affectés

Le site de construction a été traversé par de multiples voies d'accès permettant aux habitants de vaquer à leurs activités, d'accéder à la baie pour les activités de pêche, etc. Depuis la mise en place de la clôture provisoire et l'arrivée des agents de sécurité, la libre circulation sur le site est devenue très limitée. Les bénéfices et l'usufruit des ressources naturelles (fruits, manguiers, anacardiers et autres fruitiers à pain) ne sont plus à leur portée.

3.6.- La réception du projet dans la communauté

Dans l'ensemble, les opinions sont polarisées dans la communauté d'accueil du projet entre ceux qui sont en faveur du projet et ceux qui s'y opposent. Une forte proportion des participants à proximité de la zone d'implantation, incluant ceux de Caracol se positionnent pour la réalisation du projet. En contrepartie, une grande part des participants plus éloignés est d'avis que le projet devrait se réaliser le plus rapidement possible. Des participants résidant hors du secteur convoité (la sous-traitance) partagent toutefois les préoccupations des opposants.

Divers éléments motivent la prise de position des citoyens et des groupes. Une participante aux rencontres thématiques nous a confié que « les personnes opposées au projet de Caracol défendent leur environnement, leur santé et leur sécurité, alors que les groupes favorables, principalement des gens d'affaires, défendent leur intérêt financier ». Un autre évalue que la position des opposants relève davantage de la défense d'intérêts personnels plutôt que des intérêts collectifs. Mentionnons que les prises de position n'ont pas trait au projet que presque toute la communauté trouve favorable au développement économique du pays, mais concernent le site sélectionné.

En effet, le plus grand risque environnemental identifié est celui de la fragilité de la Baie de Caracol. Toutes les eaux de drainage du parc industriel et des zones de développement prévues autour du parc finiront par se déverser dans la baie de Caracol. Au cours des études préalables, il a été déterminé qu'il s'agit d'un écosystème côtier unique, productif et précieux. Même si les eaux usées du parc sont traitées, diverses autres menaces, liées au développement du parc industriel sur ce site, pourraient mettre cet écosystème en péril.

3.6.1.-Les opposants

D'un côté, les opposants s'appuient notamment sur des intérêts territoriaux, des considérations de sécurité publique et d'environnement. Plusieurs remettent en question la justification économique du projet (en termes notamment de création d'emplois de qualité) ou, à tout le moins, croient que la faiblesse de l'Etat ne le met en position de négocier de bonnes conditions de travail pour les ouvriers haïtiens. Ils croient que le projet contribuerait à augmenter les bidonvilles comme c'est le cas dans la capitale, Port-au-Prince, et s'inquiètent de ses impacts sur la communauté notamment en terme de sécurité. Les opposants estiment aussi que l'emplacement retenu à Caracol pour l'implantation du projet est inadéquat, principalement en raison de la proximité de zones habitées, des usages résidentiels, agricoles ainsi que de son caractère paysager et patrimonial.

Certains appréhendent les effets négatifs que le projet pourrait avoir sur l'économie locale par la diminution de l'attrait touristique de l'endroit. Sur le plan humain, plusieurs résidants craignent pour leur sécurité en raison des risques potentiels d'accidents associés aux divers éléments du projet. Ils sont également préoccupés par les effets néfastes qu'il pourrait avoir sur leur qualité de vie et leur santé, de même que sur le milieu naturel.

3.6.2.-Les supporteurs de la construction du Parc sur le site choisi

De l'autre côté, les participants en faveur du projet invoquent principalement la raison d'être du projet ainsi que son importance pour l'économie locale et régionale. Ils croient que sa réalisation est justifiée pour assurer le décollage économique du Nord et l'élargissement de l'assiette fiscal du pays. Ils estiment également que la présence du parc devrait permettre aux jeunes de rester au pays au lieu d'aller travailler dans de mauvaises conditions en République dominicaine. Ils font également valoir que les retombées économiques attendues risquent d'être considérables et nécessaires pour la région, que les répercussions du projet sur le milieu humain et le milieu naturel seraient limitées et que les mesures d'atténuation proposées sont adéquates.

La polarisation des positions face au projet, que plusieurs participants déplorent, semble avoir accentué la division sociale dans la communauté locale. L'affrontement des idées et des opinions a été effervescent et très animé.

Compte tenu des circonstances, des participants ont espoir que les rencontres thématiques permettront de trancher un litige qui divise la communauté locale. À cet égard, un participant reflétant l'avis de bien d'autres souligne la tâche et la responsabilité du comité de suivi à la nécessité de faire la part des choses à propos du projet : « il revient aux membres du comité de faire la différence entre ces deux positions et d'interpréter de la façon la plus juste possible le clivage entre deux visions du développement économique et deux sortes de besoins sociaux »

3.7.-Les impacts sociaux

En gros, le développement du parc industriel devrait avoir un double impact social. Le premier découle du défrichage du site du parc, une zone agricole qui représente le principal moyen de subsistance pour plus de 1000 personnes, à savoir : ceux qui louent et qui travaillent ces terres et les personnes à leur charge. Un afflux important (et quasi certain) de population dans la région constitue le second impact. Les grands projets d'industrie ou d'exploitation minière dans les pays pauvres indiquent qu'une telle migration se produira, quels que soient les efforts visant à l'empêcher.

Le défi est donc de comprendre les impacts négatifs potentiels de tels flux de population et d'élaborer des stratégies pour les atténuer. Une augmentation rapide de la population pourrait solliciter l'infrastructure physique et sociale existante (y compris les logements, les routes, les systèmes d'égouts et de gestion des déchets, les écoles et les établissements sanitaires, ainsi que la vie sociale et culturelle des communautés existantes) au-delà de ses limites. Les recherches en Haïti ainsi que des expériences d'autres pays indique qu'en fonction de la création anticipée d'environ 85.000 emplois directs et indirects attribuables au parc il peut y avoir un afflux d'un minimum de 30.000 personnes et peut-être autant que 300.000. Si cette augmentation de population approche le niveau maximale (c'est-à dire au-dessus de 100.000 personnes), elle risque de dépasser de loin les capacités des communautés avoisinant le parc et même la totalité de la région du nord en matière de logement, d'infrastructures d'eau et assainissement, de transport, de services d'éducation, de santé, et d'ordre public.

3.8.-Le déplacement de populations

Le rapport de préfaisabilité a également noté un certain nombre d'impacts négatifs potentiels, comprenant : le déplacement potentiel des personnes qui travaillent sur le site du parc; l'afflux potentiel d'un grand nombre de personnes et la pression qui en résulterait sur l'infrastructure physique et sociale existante ; ainsi que la création potentielle de bidonvilles comme ceux de Cité Soleil et d'Ouanaminthe (la création de bidonvilles dans ces deux(2) endroits étant des conséquences directes du développement de parc industriel à proximité). Toutefois, le rapport a conclu que, si une proportion suffisante des recettes fiscales supplémentaires était consacrée au développement et à l'amélioration de l'infrastructure sociale et physique dans la région, beaucoup de ces effets négatifs pourraient être évités ou atténués.

3.9.-Les dispositifs participatifs

Dans le montage du processus d'EIE et en conformité avec la législation haïtienne sur l'environnement relative aux projets d'infrastructures industriels (Gestion de l'environnement du 12 octobre 2005, articles 56, 57, 58 et 59; Constitution de 1987 articles 253, 254, 257, 258), un dispositif participatif sur 4 niveaux a été élaboré. : (a) la pré-consultation par le promoteur, (b) l'enquête, (c) les rencontres et (d) le comité de suivi

3.9.1.-La pré-consultation

Même si cela n'est pas formellement mentionné dans la loi sur la gestion de l'environnement, le promoteur peut tenir une consultation le plus tôt possible dans le processus de planification afin que les opinions des parties intéressées puissent réellement influer sur les choix et les prises de décision (MDE, 1998). Le projet a suivi les recommandations du Ministère de l'Environnement et a tenu une pré-consultation sur le projet entre juillet et aout 2007. Les objectifs formulés par le promoteur ont été les suivants :

· Etablir un dialogue constructif et continu avec la population concernée et lui fournir l'information disponible pour qu'elle puisse porter des jugements éclairés

· Connaitre tôt les préoccupations de la communauté et des employés pour être en mesure de les intégrer à l'étude d'impact.

· Elaborer avec le milieu un « un meilleur projet » pour l'Etat central et la communauté

3.9.2.-l'enquête

La législation prévoit qu'à tout moment de la durée, une personne ou une groupe de personnes ou encore la municipalité peut, durant la période de l'EIE, solliciter de l'Etat une enquête (GE, art 58). Une particularité de ce projet est que le promoteur s'est lui-même porté demandeur d'enquêtes pour mieux estimer le degré d'acceptabilité du projet dans sa zone d'implantation. Zone, rappelons-le à fortes potentialités agricoles et limitrophe d'une baie qui est reconnue comme une zone unique à Haïti. Elle comprend les plus grandes mangroves restantes du pays, accueille plus de 20,000 oiseaux migrateurs par an et représente un habitat et une zone d'alevinage productifs pour un écosystème marin qui fournit de nombreux services aux communautés côtières.

Il n'est pas interdit que le promoteur fasse une demande d'enquête, mais il est inhabituel qu'une telle demande soit faite par ce dernier et que celle-ci soit accordée dans un contexte où il n'y pas eu d'autres demandeurs. Légalement, le Ministère de l'Environnement décide au sujet de la demande d'enquête en considérant les motifs exposés et l'intérêt du demandeur par rapport au milieu touché par le projet (art 57 du code de Gestion de l'Environnement). Ce n'est que si le Ministère estime la demande frivole par rapport à ces deux (2) critères qu'il peut l'écarter.

Dans la pratique internationale, lorsqu'il y a peu de demandeurs et que la justification du projet n'est pas remise en cause, l'autorité compétente va de préférence proposer la tenue d'une médiation visant essentiellement à trouver des solutions aux problèmes particuliers évoqués par les demandeurs.

3.9.3.-Les rencontres thématiques

Ces rencontres poursuivent un peu les mêmes objectifs que la pré-consultation. La seule différence est qu'elles ne concernent que des segments de la communauté qui s'estiment victimes d'une incidence négative. Comme le suggère le qualificatif thématique, les discussions se focalisent sur un problème spécifique vécu ou perçu par la population. Nous verrons par la suite que l'information inadéquate et l'absence de règles de gestion des débats lors de ces rencontres ont constitué autant de lacunes ayant eu l'effet de maintenir la communauté dans un flou quant au processus de prise de décision.

3.9.4.-le comité de suivi

La législation haïtienne ne définit pas les étapes pour la mise en place du comité de suivi. Elle précise simplement que celui-ci doit être composé de représentants de la communauté surtout les personnes susceptibles d'êtres touchées par les nuisances occasionnées par le projet. Son objectif est triple :

· Participer à la mise en oeuvre du plan de suivi environnemental ;

· Contribuer à minimiser les effets nuisibles des travaux de construction ;

· Recevoir du promoteur, les informations relatives au suivi environnemental du projet ;

· Partager les résultats de l'évaluation avec les groupes concernés ;

· Proposer le cas échéant les mesures d'atténuation des impacts qui pourraient être requises.

Spécifiquement, à la phase de construction, il s'agit pour ce comité de :

· Participer à la planification et à la mise en oeuvre des travaux d'aménagement du site

· Partager les informations appropriées au suivi des impacts de la construction (nuisances et inconvénients en fonction du contenu de l'étude d'impact

· Faciliter les communications avec les citoyens voisins du site

A la phase d'exploitation, il sera question pour le comité de :

· Recevoir les informations relatives au programme de suivi environnemental du Parc

· Faciliter les communications avec les citoyens voisins du site

Le comité ne bénéficie d'aucune source de financement ou d'infrastructures spécifiques comme secrétariat répondant en son nom. Toutefois la mairie met gracieusement ses locaux à sa disposition pour la tenue de réunions. La composition de ce comité n'a pas été communiquée dans le rapport d'étude d'impact environnemental. Mais nous savons qu'il est présidé par le maire de la commune.

CHAPITRE 4.-RESULTATS ET DISCUSSION : BILAN DE LA PARTICIPATION ET DE LA CONDUITE DES ACTEURS 

Malgré ces dispositifs, le bilan de la participation des acteurs sociaux à l'évaluation et au suivi des impacts est plutôt partagé. En effet, la participation semble avoir eu peu d'effet sur l'empowerment de la communauté locale, Caracol, et, plus particulièrement, des voisins immédiats du site industriel affectés directement par les travaux de construction. Également, la participation n'a pas eu d'effet significatif sur la façon de faire du promoteur. Nous analysons ces résultats à partir de deux types de facteurs : 1) les facteurs institutionnels, soit la procédure d'ÉIE et les dispositifs participatifs afférents, et 2) les facteurs sociaux, soit la conduite des acteurs.

4.1.- Les facteurs de type institutionnel

En ce qui concerne les facteurs de type institutionnel, rappelons d'abord que l'ÉIE intervient tardivement dans le processus décisionnel, soit après que les principales composantes du projet furent déterminées par le promoteur. Aussi, le choix du site, décision déterminante sur le plan des incidences sociales puisque le complexe industriel est situé en milieu habité à fortes potentialités agricoles, n'a pas été soumis à l'ÉIE ni à la consultation. L'analyse comparative des sites envisagés a été réalisée avant le déclenchement de l'ÉIE. Le rapport d'étude d'impact se limite à présenter sommairement les considérations économiques et politiques sur lesquelles s'appuie la décision.

Le deuxième facteur explicatif concerne la qualité et la pertinence de l'information produite par l'ÉIE. L'étude d'impact qui comporte de nombreuses lacunes ne permet pas d'établir les enjeux du projet. Par exemple, malgré la somme des informations colligées dans l'étude d'impact sur les émissions atmosphériques et les rejets liquides estimés, il est pratiquement impossible de savoir si la réalisation du projet a un effet sur la santé des populations limitrophes ou s'il y a des risques associés. Le troisième facteur, influençant négativement le bilan de la participation, concerne l'absence d'une méthode d'intégration des données tout au long du processus d'ÉIE.

En effet, chaque étape a donné lieu à la réalisation de rapports de synthèses distincts qui se caractérisent par une structuration de l'information différente, rendant leur usage très difficile aux fins de la compréhension des enjeux et de suivi des impacts. Peut-on alors parler de participation éclairée ? Le quatrième facteur retenu concerne le suivi des préoccupations des participants. Les deux consultations n'ont pas servi à identifier et à prendre en compte des conséquences sociales et environnementales dans la planification du projet et l'élaboration de mesures de suivi, mais plutôt à répondre aux questions des participants et à trouver des solutions de communication publique aux problèmes susceptibles d'en affecter l'acceptabilité sociale. En nous basant sur l'information disponible, nous n'avons pas trouvé d'indication, ni chez le promoteur, ni dans les comités de suivi, sur la manière dont celles-ci ont été considérées ou incorporées à un moment ou l'autre de l'évaluation et du suivi. En ce qui concerne plus particulièrement l'audience publique, après une analyse approfondie de l'ensemble de la documentation, il apparaît clairement que plusieurs préoccupations, valables selon nous, par exemple celles relatives à la santé, n'ont pas été analysées.

4.2.-Les facteurs sociaux

À l'étape du suivi, les attentes et les préoccupations sociales exprimées lors des consultations sont demeurées sans réponse. Aussi, le promoteur n'a établi aucune procédure de suivi des impacts au sens propre du terme, c'est-à-dire une procédure par laquelle on relève et analyse les impacts pouvant résulter de changements non prévus ou de changements qui ont été anticipés, mais mal évalués dans l'étude d'impact, ce qui n'est pas sans conséquence. En effet, par exemple, en réaction aux plaintes reçues des résidants d'un quartier concernant la circulation intense de véhicules lourds, le comité a proposé des mesures d'atténuation pour améliorer la sécurité et réduire les inconvénients. Des mesures ont été prises pour réduire et appliquer les limites de vitesse, ainsi qu'un nouvel horaire limitant les activités de transport à certaines heures. Mais aucune évaluation des impacts n'a été faite.

Aussi, les changements occasionnés par l'augmentation de la circulation pour les populations riveraines comme le niveau de bruit ambiant, la contamination de l'air par le sable, la sécurité des résidants, ainsi que les conséquences sociales de ces changements, comme la perte de sommeil, l'augmentation du stress, les changements d'habitude de vie, les risques d'accident, n'ont pas été documentés ni analysés (Côté, 2001). Même si rien n'avait pu être fait parce qu'il était impossible d'arrêter la circulation, ce qui aurait eu pour effet de ralentir, voire d'interrompre les travaux de construction dont l'exécution était assujettie à un échéancier serré, les informations sur les impacts de la circulation auraient pu contribuer à sortir de l'isolement les résidents qui avaient décidé d'exprimer leur mécontentement dans la communauté qui les considérait d'entrée de jeu comme des « chialeurs ».

Par ailleurs, au regard de la conduite des acteurs, il est important de mentionner que le projet était perçu par les politiques et la majorité de la population comme essentiel au décollage économique du pays, et par conséquent, bénéficiait d'un niveau élevé d'acceptabilité sociale. L'entente tacite entre le promoteur et la communauté à cet égard peut être résumée de la façon suivante : sous réserve de la volonté du promoteur de réaliser le projet en partenariat avec le milieu, voire de faire preuve de transparence en diffusant l'information sur le projet et en participant à des instances multipartites de suivi, ainsi que de prendre des mesures pour maximiser les retombées du projet en favorisant la participation des entreprises et l'embauche de main-d'oeuvre à l'échelle locale et régionale, le milieu est prêt à faire des sacrifices pour permettre la réalisation du projet.

4.3.-Groupes spontanés et pressions politiques

Comme nous l'avons mentionné précédemment, des controverses éclatèrent à propos d'activités ou de travaux réalisés en lien avec la construction du Parc. Parmi ces controverses, deux (2) ont retenu notre attention: (1) la circulation de véhicules lourds, (2) la réfection des lignes de transport de l'énergie électrique. Ces controverses sont intéressantes parce qu'elles mettent en scène des groupes spontanés qui utilisent des stratégies de pression politiques traditionnelles telles que l'interpellation des politiciens, les manifestations publiques et le recours aux médias d'information.

De plus, ces controverses sont révélatrices de la conduite des acteurs (Le comité de suivi des recommandations, le Ministère de l'Environnement, firme de construction, etc.) du système de gestion de l'information environnementale. Le comité de suivi des recommandations aurait pu jouer un rôle dans la recherche de solutions aux problèmes évoqués par les résidents de Caracol. Enfin dans la controverse sur la circulation des engins lourds, on sent le poids de l'acceptabilité sociale du projet sur les personnes particulièrement touchées par les nuisances découlant de la réalisation du projet.

Il ressort de l'analyse qui précède les éléments suivants :

· Des personnes particulièrement affectées par les travaux de construction se sont mobilisées au sein d'organisations plus ou moins formalisées pour faire valoir leurs préoccupations et leurs demandes auprès du promoteur et des autorités publiques.

· Ces initiatives se situent en marge des activités du comité de suivi créé par le projet.

· Les personnes affectées n'ont pas eu recours au comité de suivi pour faire valoir leurs revendications ;

· Le comité de suivi n'a joué aucun rôle dans la recherche de solution aux problèmes soulevés en raison des limites de son mandat ;

· L'étude d'impact et les rares consultations n'ont pas permis d'identifier tous les impacts du projet

· Les consultations n'ont pas permis de rejoindre toutes les personnes potentiellement affectées par le projet. parmi lesquelles plusieurs personnes ont découvert les impacts du projet qu'une fois les travaux commencés

4.4.-Analyse de la participation sur le plan des conditions de la participation

L'étude des conditions de participation vise à déterminer la nature de l'opportunité offerte aux acteurs sociaux. Les participants, le moment de la participation dans le processus décisionnel, le mode participatif, la portée de la participation, etc. Procurer aux acteurs locaux les moyens et les capacités permettant d'effectuer un suivi de qualité passe par un accroissement des « capacités sociales » des acteurs à participer (d'Aquino et al. 1999, d'Aquino 2005, Bouard et al, 2006). Pour étudier la participation, nous nous intéressons à la théorie de l'action communicative «The theory of Communicative Action (TCA) » d'Habermas, et plus particulièrement de l'application de Webler et de Tuller (2000), qui proposent un modèle basé deux (2) critères : L'équité et la compétence.

4.4.1.-Equité du processus

À titre de rappel, la notion d'équité de Webler et Tuller (2000) , a trait à ce que les gens sont autorisés à faire dans un processus décisionnel délibératif et partant aux possibilités qui leur sont offertes à cet égard, à savoir :

· d'être présent

· de s'exprimer

· de participer aux discussions (demander des clarifications, s'opposer, questionner, débattre)

· de participer à la prise de décision (résoudre les désaccords et clore la controverse)

La participation à la prise de décision peut prendre différentes formes selon les étapes du processus d'évaluation des impacts sur l'environnement. Le cadrage, la réalisation de l'étude d'impact et le suivi.

· A l'étape du cadrage, la décision porte sur la détermination des grands enjeux soulevés par le projet et la portée de l'étude d'impact.

· À l'étape de la réalisation de l'étude d'impact la décision porte sur l'identification et l'évaluation des impacts ainsi que la proposition de mesures d'atténuation et de bonification, des mesures de suivi et de modifications du projet.

· A l'étape de suivi, la décision dépend de l'activité en cause. En ce qui concerne la surveillance des paramètres, la décision porte sur la désignation préalable des paramètres environnementaux et sociaux à partir desquels seront mesurés les changements attribuables spécifiquement au projet.

En ce qui concerne la surveillance de la conformité, les décisions portent sur les mesures à prendre en cas de non-respect des activités au x normes réglementaires et autres conditions de réalisations du projet énoncées dans la législation environnementale. Quant à la surveillance des impacts, la décision porte sur l'identification des impacts non prévus, l'évaluation des impacts non prévus, des impacts imprévus. Ces précisions étant apportées, quelle est la nature des possibilités de participation offertes aux personnes affectées ou intéressées ?

D'abord en ce qui concerne la « possibilité d'être présent », la consultation a exclu un nombre important de personnes potentiellement affectées par la réalisation du projet. En effet, dans la catégorie des résidents, la consultation a exclu en priorité les résidents des secteurs limitrophes, c'est-à-dire, les secteurs situés dans la périphérie immédiate du site de construction. Dans le rapport d'évaluation, le promoteur n'a pas apporté d'explication sur les raisons de ce choix. Pourtant plusieurs travaux directement liés au projet ont été réalisés sur le territoire de Caracol, travaux qui se sont avérés à l'origine de nuisances non prévues dans l'étude d'impact. Par ailleurs, selon les plans des rencontres, les participants devaient avoir la possibilité de demander des clarifications, des s'opposer et de questionner. Le promoteur faisait une présentation du projet suivie d'une période d'échange de 60 minutes environ. La prise de décision lors de la consultation n'a pas non plus contribué à l'identification des enjeux et à la structuration de l'étude d'impact.

En effet, l'absence d'indication concrète quant à la méthode utilisée pour intégrer l'information en provenance des participants et la structuration du rapport d'évaluation par problèmes évoqués et réponses apportées suggèrent que nous sommes en présence d'une démarche de communication plutôt qu'une démarche d'identification et évaluation des incidences environnementales et sociales du projet.

Nous déduisons de notre analyse que la consultation a permis au promoteur de diffuser l'information sur le projet et à identifier les problèmes pouvant constituants des irritants susceptibles d'en compromettre l'acceptabilité sociale plutôt que de structurer le contenu de l'étude d'impact. Au sujet des réponses apportées aux questions de la population, elles ont porté surtout sur les dimensions techniques, telles que la technologie employée pour traiter les eaux usées et faciliter une bonne gestion des déchets de chantiers.

Sur le plan de la composition du comité de suivi, rappelons que seuls les résidents des secteurs limitrophes au site industriel sont représentés au sein du comité. En plus de ne pas avoir de représentants en titre, les résidents de Caracol et des autres localités ne sont pas représentés en raison de la « faible représentativité territoriale de Caracol » (Koios, 2011). Ces particularités constituent une sérieuse limitation à la possibilité des personnes potentiellement affectées ou concernées par les activités d'être présentes »

4.4.2.-La compétence

Toujours selon Webler et Tuller (2000), la compétence se rapporte à :

· La capacité du processus mis en place de permettre la construction de la meilleure compréhension possible,

et

· Une compréhension partagée par les participants compte tenu des connaissances raisonnablement accessibles au moment de l'intervention

Les pré-requis à l'atteinte de cet objectif sont l'accès à l'information et à son interprétation et l'utilisation des meilleures procédures disponibles pour la sélection de la connaissance (Use of the best available procedures of knowledge selection, Webler et Tuller 2000, p 157). Ainsi, dans le contexte particulier du cas à l'étude, la question qui se pose est la suivante : est-ce que les dispositifs de consultation ont permis d'acquérir la meilleure compréhension possible du projet et de ses incidences sociales et environnementales ?

Au moment de la pré-consultation, l'information sur le projet se limitait à la description de ses principales composantes, et des conséquences liées à la nature des différentes activités. Cependant, cette phase a constitué une occasion pour identifier les enjeux du projet à partir des préoccupations exprimées par les participants. En vue de structurer le contenu de l'étude d'impact. La construction de la meilleure compréhension possible du projet s'est appuyée sur la description du projet faite par le promoteur et la connaissance partagée des participants des enjeux du projet. Or, la formule adoptée par le promoteur comportait à cet égard de nombreuses lacunes.

· Pour commencer, le promoteur a choisi une approche consistant en des rencontres par petits groupes de trente personnes, sur invitation et par thèmes. Selon le promoteur, cette façon de faire favorise les échanges. Cependant, les rencontres ont pour effet de concentrer les échanges sur les préoccupations très ciblées des intervenants (par thèmes) présents (petits groupes) et la recherche de solutions à leurs préoccupations particulières.

· De plus, les participants n'ont pas eu accès au contenu des autres rencontres.

Enfin, le rapport de pré-consultation annexé à l'étude d'impact qui présente un sommaire par thèmes des préoccupations exprimées et des réponses apportées par le promoteur, est insuffisant car il est intervenu trop tard dans le processus pour donner aux participants une compréhension partagée des enjeux aux fins d'avoir une influence sur la structuration de l'étude d'impact. Du reste, le fait de répondre aux questions des intervenants et d'apporter des solutions aux problèmes soulevés ne constitue pas en soi une démarche de construction de la connaissance, mais de préférence une démarche de résolution de problèmes prise en charge par le promoteur.

Par ailleurs, l'étude d'impact de site industriel comporte de nombreuses lacunes sur les plans de la structuration de l'information et de l'analyse des incidences sociales du projet susceptibles de nuire à l'atteinte de cet objectif. La structuration de l'information permet difficilement d'identifier les enjeux du projet. Ensuite, l'analyse des incidences sociales décrit les changements matériels ou directs plutôt que les effets sociaux ou humains qui découleraient de ce changement. Enfin, les rencontres et les enquêtes n'ont pas permis de combler les lacunes de l'étude d'impact sur le plan de l'identification et de l'évaluation des incidences sociales et environnementales du projet et cela d'autant plus qu'une part importante des considérations soulevées par les intervenants à cet égard sont restées partiellement ou non analysées.

Enfin, une autre composante du processus qui a rendu difficile la construction d'une compréhension partagée (par la population) des impacts du projet a concerné la circulation de l'information. Les consultations sont publiques et ceux qui ne peuvent pas participer aux rencontres ont accès aux rapports. Cependant, comme l'ont montré les analyses, l'information ne circule pas nécessairement entre les participants d'une étape à une autre du processus. Les considérations soulevées en première partie des consultations ne sont pas nécessairement connues des participants à la deuxième partie.

En conclusion, plusieurs lacunes ont été identifiées, constituant des obstacles à la construction de la meilleure compréhension possible et une compréhension partagée des enjeux du projet et de ses impacts. A l'étape de l'évaluation, les participants ne disposent pas de l'information pertinente pour identifier les enjeux du projet à cause de l'absence de données ou parce que l'information est dispersée. À l'étape du suivi, les comités ne disposent de l'information pertinente en raison de l'absence de processus systématique d'enquête permettant de mesurer les incidences sociales et environnementales des changements engendrés par les activités de construction du parc industriel ou de l'accès limité à certaines données pertinentes au suivi.

4.5.-Analyse de la participation sur la plan de la conduite des acteurs

Dans notre recherche, nous avions envisagé d'appliquer l'analyse organisationnelle à l'étude de la conduite des membres des différents comités. Postulant que ces comités constituaient des systèmes d'action concrets. Cependant l'analyse du cas à l'étude nous incita à réviser ce postulat constatant que les dispositifs participatifs mis en place dans le cadre de la procédure d'évaluation et d'examen des impacts sur l'environnement, incluant les comités, n'ont constitué que l'extension d'un système d'action existant.

Un système d'actions concret se caractérise par : (1) l'interdépendance des acteurs, (2) la création d'une norme sociale qui détermine les règles du jeu à travers lesquelles les calculs rationnels et stratégiques des acteurs se trouvent intégrés. Dans un contexte d'interdépendance chaque acteur a besoin de l'autre pour atteindre ses objectifs. Dans le cas à l'étude, le promoteur voulait maintenir de bonnes relations avec la communauté et avait de son appui pour la réalisation de projet. Il avait également besoin des autorités municipales et régionales pour faciliter la réalisation du projet et en assurer l'acceptabilité sociale. La communauté avait de besoin du promoteur et de son projet pour assurer sa survie. Elle avait besoin des autorités municipales comme représentant de ses intérêts auprès du promoteur. Les autorités régionales et nationales souhaitaient que le parc industriel soit construit en raison des retombées fiscales importantes et avait de l'appui de la communauté à cet égard.

En ce qui concerne la norme sociale, le compromis plusieurs fois exprimé implicitement et explicitement par les participants consistait en la proposition suivante : Sous réserve que le promoteur veut nous impliquer dans la réalisation du projet en favorisant l'embauche de la main d'oeuvre locale et régionale, nous sommes prêts à faire des sacrifices pour faciliter la réalisation du projet ». Les dispositifs participatifs semblaient s'inscrire dans la continuité de ce compromis dont l'application a été assurée par les autorités municipales et le promoteur avec l'assentiment implicite et explicite de la population.

4.6.-Evaluation des dispositifs participatifs sur le plan des résultats

4.6.1.-Empowerment

Nous nous intéressons à la participation comme processus pouvant conduire à l'empowerment et à l'effet des dispositifs participatifs à cet égard. Cependant, selon Rich et al (1995) la participation ne conduit nécessairement à l'empowerment. La participation au processus décisionnel peut être «empowering » ou «dispowering » selon la nature et l'issue de l'expérience. Le  «dispowerment » se produit lorsque les citoyens ou la communauté perdent la maitrise de la gestion de leurs affaires et cela même si, comme l'affirment les auteurs, les citoyens ont eu la possibilité de participer au processus décisionnel.

Dans l'étude de cas, chaque dispositif a permis à des citoyens, à différentes étapes de la réalisation du projet, d'exprimer leurs préoccupations et d'obtenir l'adoption de mesures d'atténuation ou de bonification, des mesures de suivi ou des modifications du projet. Mais ces dispositifs pris dans leur ensemble, ont-ils permis l'atteinte de l'objectif de maîtrise sociale (des citoyens) qui suppose la possibilité d'exercer une influence réelle sur la décision ? Nous nous limitons à une présentation des faits à la phase de réalisation du projet.

A cette phase, les efforts déployés pour atténuer les nuisances de la construction ont eu un succès limité compte tenu de la situation de fait créer par la décision de construire le complexe industriel en milieu habité et à fortes potentialités agricoles. Dans ce contexte, même si le promoteur et les autorités régionales et municipales, accompagnés de certains membres du comité de suivi ont tenté de rassurer les résidents en leur démontrant que les normes régissant ce type d'activités ont été respectées, et que des mesures ont été prises en vue pour atténuer les nuisances, l'impact sur les résidents n'en a pas été pour autant diminué. Le stress vécu par certains résidents a détérioré leur qualité de vie et cela malgré la grande acceptabilité sociale dont jouit le projet auprès de la communauté.

La situation est la même en ce qui concerne le cas de la circulation intensive des véhicules lourds qui s'est maintenue voire intensifiée pendant plusieurs semaines, du matin jusqu'au soir et à raison d'un passage toutes les 30 secondes. Le contrôle accru de la vitesse, l'adoption d'un horaire limitant les activités de transport et l'élargissement de certains tronçons du réseau routier local n'ont pas eu d'effets significatifs sur les nuisances et le problème de la sécurité causé par ces va-et-vient ininterrompus de ce type de véhicules dans une zone en pleine activité.

En somme, il ressort de ce qui précède que l'empowerment formel créé par L'organisme participatif institué par le projet ne s'est pas traduit par une maîtrise sociale du changement. Les deux (2) problèmes expliquant cette situation sont : l'absence de l'information pertinente au moment requis pour identifier les enjeux de la décision, les lacunes de l'étude d'impact en ce qui concerne l'identification des incidences sociales et environnementales du projet et la détermination a priori d'un site pour la construction du complexe industriel sans solution alternative.

4.6.2.-L'effet du dispositif participatif sur l'empowerment

Toujours selon Rich et al (1995) l'empowerment a trait à la capacité des autorités et des citoyens à travailler ensemble afin d'aboutir à des décisions qui permettent de régler les problèmes ou d'obtenir les résultats désirés. Une approche basée sur l'anticipation plutôt sur la réaction favorise ce genre de collaboration de même la possibilité de soulever de nouveaux enjeux favorise également ce type d'empowerment. À la phase de consultation thématique, le problème que soulèvent les stratégies participatives au regard de l'empowerment pourrait être résumé en posant la question suivante : qui représente les absents et leurs intérêts ?

Les absents sont toutes les personnes potentiellement affectées ou concernées par la réalisation du projet mais dont les intérêts n'ont pas été représentés lors des rencontres thématiques. L'analyse du processus d'étude d'impact environnementale du projet de Caracol démontre clairement que les dispositifs participatifs n'ont pas permis de combler cette lacune. Deux (2) points peuvent être rapportés à ce propos : (1) Les enquêtes et les rencontres régionales et locales n'ont pas suscité la mobilisation souhaitée, (2) les interventions faites par les rares participants n'ont pas apporté beaucoup d'éléments nouveaux par rapport à l'étude d'impact et les considérations soulevées sont demeurées partiellement ou pas analysées.

À la lumière de ces considérations, nous pouvons nous demander si on peut compter sur des dispositifs participatifs de type consultation, dont l'efficacité dépend exclusivement de la mobilisation des personnes affectées ou concernées pour identifier et évaluer les incidences sociales et environnementales d'une intervention surtout dans le cadre d'un projet d'une ampleur aussi large que celui du Parc de Caracol?

4.6.3.-Maîtrise sociale du changement

En résumé de la présente section, la participation à l'EIE n'a pas conduit à l'empowerment des participants aux dispositifs participatifs, ni à celui de la communauté de Caracol. L'empowerment formel exigé dans le cadre de l'EIE et les dispositifs qui y sont liés ne s'est pas traduit par une maîtrise sociale du changement. L'information inadéquate et l'absence de règles de gestion des débats lors des rencontres thématiques ont constitué autant de lacunes ayant eu l'effet contraire sur la communauté. De plus, sur le plan de l'établissement de liens de confiance, les remarques de certains habitants concernant la situation de conflit d'intérêt dans laquelle se trouvaient certains membres du comité local de suivi et l'absentéisme des représentants des organisations locales dans les rencontres thématiques ont gêné énormément. Comment faire confiance à quelqu'un qu'on estime avoir les mains liées en raison de ses liens d'affaires avec le promoteur ?

.

CHAPITRE 5.-ESTRATEGIA PARA CONSULTA PÚBLICA EN LA EVALUACIÓN DE IMPACTO AMBIENTAL (EIA) DE PROYECTOS INDUSTRIALES EN HAITI.

Les analyses menées jusqu'à cette phase de notre recherche ont conduit à la conclusion que, dans le cadre des grands projets industriels du moins, les dispositifs participatifs mis en place sont trop disséminés dans le temps pour permettre un réel empowerment des communautés locales ou du public. Depuis la pré-consultation en passant par les rencontres thématiques pour aboutir aux consultations plus larges de la société civile, les représentants de la communauté changent, le format des rapports varie et les conflits d'intérêt éclatent. De même, les structures de suivi des mesures de bonification ou de mitigation des impacts mises sur pied ne jouissent souvent d'aucune autonomie car les membres sont bien des fois à la solde des acteurs dominants dans le processus décisionnel en l'occurrence le promoteur qui, dans le cas du Parc de Caracol, est l'Etat Haïtien représenté par le Ministère de l'Economie et des Finances (MEF). Il faut donc, par delà cette nécessité d'encourager la participation citoyenne aux grandes décisions de la nation, mettre sur pied des structures facilitant cette participation et la rendre productive. C'est l'objectif de cette section.

Sur le plan théorique, notre proposition s'inscrit dans la continuité des travaux portant sur les instruments d'action publique de type informatif et communicationnel (Lascoumes et Le Galès, 2004 ; Lascoumes et Simard, 2011). Ceux-ci connaissent une popularité croissante depuis bientôt une trentaine d'années en Europe comme en Amérique du Nord et dans certains pays émergents (Blondiaux, 2008; Blondiaux et Sintomer, 2002; Dietz et Stern, 2008 ; Lascoumes, 1998). Au coeur du phénomène de la gouvernance tant sociétale qu'organisationnelle, ces instruments participeraient d'une transformation de l'action publique sous l'angle d'un plus grand partage du pouvoir et d'une coproduction de connaissance dans la prise de décision (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001).

Sur le plan méthodologique, notre analyse qualitative est construite à partir de deux axes. Le premier se concentre directement sur les faits saillants de l'histoire de la participation du public aux Etudes d'impacts depuis les années 1960. Le deuxième repose sur une lecture de quatre (4) projets majeurs exécutés par l'Etat Haïtien entre 1956 et 20115(*) en dégageant quelques constats marquants liés au processus de consultation de la société civile. En croisant ces deux axes, notre intention a été non seulement de saisir l'essentiel des changements survenus au cours des 60 dernières années, mais également d'observer les éléments de stabilité afin de mieux comprendre l'évolution et les incidences de la qualité de la participation publique aux débats sur ces grands projets d'infrastructures.

5.1.- Nature du dispositif : une entité gouvernementale et consultative

L'organisme proposé prendrait la forme d'une entité publique et autonome qui relèverait du Ministère de l'Environnement. Sa mission serait d'éclairer la prise de décision gouvernementale dans une perspective de développement durable, lequel englobe les aspects biophysique, social et économique. La réalisation de cette mission fondamentale passera par l'information, la réalisation d'enquêtes et la consultation quasi permanente de la population sur des projets ou des questions relatives à la qualité de l'environnement que lui soumettra le Gouvernement ou tout promoteur de projets industriels. Il produirait des rapports d'enquête qui seront rendus publics. L'organisme serait par conséquent une entité gouvernementale consultative et non décisionnelle. 

La vision que cache ce dispositif est celui d'un pays où les citoyens sont mieux renseignés sur les questions environnementales et sur les projets d'importance soumis à la consultation publique. Ils sauront qu'ils ont la possibilité d'être consultés par un organisme indépendant et impartial afin que leurs préoccupations et leurs opinions soient considérées dans la prise de décision des autorités.

5.2.- Objectifs

L'objectif du dispositif proposé est clair : il s'agit d'instituer un droit à la participation des citoyens haïtiens étroitement associé à l'examen des impacts sur l'environnement des grands projets d'équipements tels que les routes, les équipements de production et de transport d'énergie électrique et les projets industriels. Ce dispositif interviendrait selon deux(2) modalités qui pourraient être consignées dans une loi et qui lui confèreraient deux(2) fonctions distinctes :

· faciliter, dans le cadre de la procédure d'évaluation et d'examen des impacts sur l'environnement, la consultation des documents soumis à l'appui d'une demande ainsi que l'accès à l'information et, sur mandat du MDE, ou dans certains cas sur demande de la société civile, tenir des enquêtes et des consultations des citoyens;

· enquêter sur toute question relative à la qualité de l'environnement que lui soumet l'Etat ou la société civile et faire rapport de ses constatations ainsi que de l'analyse qu'il en est fait. Il doit aussi tenir des audiences publiques dans les cas où la situation l'exige.

5.3.-Mode de fonctionnement

Le mode de fonctionnement de ce dispositif pourrait se décliner en 2 étapes : Un fois le projet approuvé par le Ministère compétent, (1) une session d'information, suivie, après un délai dont la durée serait à déterminer (2) d'une session d'interventions des représentants de la communauté ou des communauté(s) susceptibles d'être touchées ou concernées directement par le projet. Chacune de ces sessions pourra être précédée d'un avis dans les journaux d'au moins 30 jours à l'avance. Pour faciliter la pleine participation de tous les acteurs intéressés, ces sessions se tiendront le soir, après les heures d'activités.

La première partie de la session sera consacrée à l'examen du projet et de ses conséquences sur l'environnement. Les commissaires et les participants interrogeront le promoteur pour connaître la raison d'être du projet, les différentes options étudiées et les moyens de diminuer les impacts sur l'environnement. Ce questionnement permettra d'expliciter les intérêts et les valeurs sociales sous-jacentes au projet et provoquera cet important transfert de connaissances dont on a discuté dans les sections précédentes. Cette première session permettra également de dégager les enjeux et encadrera, à la fois, la présentation des procès verbaux des rencontres et l'analyse de la commission, particulièrement au chapitre de l'examen des solutions alternatives.

Ces procès verbaux devront être déposés dans les jours (10 jours) qui suivent au Ministère de l'Environnement avant le début de la deuxième session d'informations et d'échanges. Celle session permettra à toute personne de faire entendre son opinion ou ses suggestions sur le projet, l'étude d'impact, la révision technique ou tout autre document faisant partie du dossier. A la fin du processus, les commissaires rédigent un rapport de consultation et feront part de leurs constatations au Ministère qui lui devra public le rapport, dans les cinquante jours qui suivront sa réception.

5.4.-Sensibilisation environnementale et gestion des conflits sociaux

La participation du public au processus décisionnel témoigne d'une transformation progressive des rapports entre la société civile et l'administration publique. L'organisme proposé consistera également en des forums de médiation et de concertation, où les groupes concernés, des groupes de pression, exprimeront leurs inquiétudes directement, sans l'entremise de représentants politiques, en prenant part aux décisions qui les affectent.

L'organisme leur permettra d'exprimer les intérêts de la société civile, même s'ils sont contraires à ceux de l'État. Cette liberté d'expression prévaudra dans la sphère des politiques environnementales des droits et libertés jusqu'alors non exprimés. Ceci devra contribuer également à créer un climat politique plus favorable à l'atteinte d'objectifs environnementaux, en sensibilisant la population aux enjeux de changements climatiques, de perte de biodiversité, de sécurité citoyenne, etc.

Mais la tenue des sessions publiques ne garantira pas l'examen de tous les moyens de réduire les impacts sur l'environnement ou de protéger l'environnement. C'est pour celle, L'organisme prévoit la réalisation d'enquête qui porteront principalement sur la justification des projets et les diverses possibilités envisagées par les promoteurs pour mitiger les conséquences environnementales. Les sessions publiques ne permettront pas non plus d'évaluer la portée des nouvelles technologies. Elles aideront toutefois à constater à quel point la dimension environnementale n'apparaît que tard dans le processus de prise de décision.

Ainsi, L'organisme permettra de répondre en partie aux critiques et au souci d'équité procédurale reprochée au processus d'Etude d'impact environnemental. Bien sûr, pour devenir un lieu efficace de négociation et de médiation des conflits environnementaux, il faudra faire évoluer le mandat du dispositif pour le faire s'adapter aux changements sociaux, voire s'étendre à d'autres secteurs de l'activité publique, tout en faisant appel à des procédures plus globales, telles les audiences génériques. La transmission des audiences publiques par Internet devrait aussi être réalisée dans un avenir prochain, ce qui aura pour effet d'augmenter la transparence et l'accès à l'information.

5.5.-Les mécanismes de demande de sessions

Les sessions d'information et d'échanges sont un moyen prévu dans la procédure d'évaluation et d'examen des impacts sur l'environnement permettant au public de s'informer et d'exprimer son opinion sur un projet. La demande de sessions pourra se faire pendant la période d'information et de consultation du dossier par le public. Ainsi, toute personne, tout groupe, tout organisme ou toute municipalité a le pouvoir de requérir un examen public d'un projet en demandant au Ministère de l'Environnement la tenue de sessions publiques. Une telle demande peut être faite dans le cas où, par exemple, des personnes considèrent que l'information n'est pas suffisante pour se prononcer sur un projet, pour exprimer leurs préoccupations ou encore pour donner leur opinion.

5.6.-Le contenu de la demande

Tout d'abord, il faudra mentionner clairement qu'il s'agit d'une demande de sessions d'informations et d'échanges, afin d'éviter tout malentendu sur la nature du document. D'une part, une lettre de couverture précisera les motifs de la demande, c'est-à-dire les raisons pour lesquelles une ou des personnes requièrent la tenue d'une session. D'autre part, il faudra préciser dans la demande l'intérêt par rapport au milieu touché par un projet, c'est-à-dire en quoi ce dernier concerne particulièrement une personne, un groupe ou une municipalité.

Une personne peut également indiquer dans sa demande son ouverture pour une médiation. À moins que la requête soit jugée frivole, le Ministère de l'Environnement pourra demander la tenue de sessions d'informations et de lui faire part de ses constatations ainsi que de l'analyse qu'il en a faite. Toute la population pourra participer aux sessions publiques. Le Ministère pourra aussi confier au dispositif un mandat d'enquête et de médiation ce qui ne devrait modifier en rien le droit d'un requérant d'obtenir la tenue d'une session publique.

CHAPITRE 6.- CONCLUSION 

La construction du Parc industriel de Caracol, projet industriel d'envergure de transformation et de sous-traitance, offre une occasion particulièrement fertile de discuter plus largement des enjeux liés à la qualité de la participation publique. On l'a vu, concilier les principes de la démocratie participative tout en renforçant le référentiel du destin commun et du rééquilibrage des pouvoirs de décision est un défi méthodologique et conceptuel majeur. Les travaux de recherche de Gilles Côté (2010) et de Marie Christine Gagnon (2008) offrent des perspectives pour suivre au plus près et accompagner la construction de nouveaux modes de gouvernance.

Le premier objectif (Objectif 1) de notre recherche consistait à analyser les limites et les conséquences des dispositifs participatifs dans le processus décisionnel des Études d'Impact Environnementales (EIE). Notre réflexion s'est fondée sur les concepts d'acceptabilité sociale et d'empowerment de la communauté. Nous avons postulé en ce sens que la qualité de la participation publique, respectivement l'intégration des propositions de la population (ou ses représentants) dépend d'un certain nombre de facteurs qui nous a porté a formulé des hypothèses parmi lesquelles la participation augmente le consensus à condition qu'elle intègre les propositions des acteurs de la participation publique.

Afin de vérifier nos hypothèses, nous avons réalisé une étude sur un projet industriel dont la réalisation était assujettie à la procédure de l'étude d'impact sur l'environnement (EIE). Ce cas nous permis de suivre le cheminement de la participation publique à travers 3 dispositifs participatifs.

Notre analyse a montré que malgré l'ampleur des moyens déployés par l'Etat, le bilan de la participation des acteurs, notamment la communauté locale, à l'évaluation et au suivi des impacts était plutôt mitigé en raison principalement du fait que (1) la population n'avait pas accès à une information de qualité et à temps et (2) la communauté locale était exclue du processus décisionnel. Ce constat invalide notre première hypothèse (H1) qui n'a pas pris en compte l'intégration des propositions des acteurs de la participation dans le processus décisionnel.

De même, les retombées positives de la participation sur l'«empowerment» de la communauté (Objectif 2) énoncées par Withmore et Kerans (1988) ne se sont pas réalisées (H2). Au contraire, au lieu de porter la population a poussé plus en avant leurs revendications, le constat a été que certaines tranches de la communauté se sont réfugiées dans une sorte d'attentisme et ont perdu la maîtrise sur la gestion de leur territoire. L'une des lacunes relevée dans le cas étudié est l'approche utilisée par le promoteur qui a été assimilable à une démarche de résolution de problèmes plutôt qu'à une démarche collective d'identification et d'évaluation des incidences sociales et environnementales d'un projet.

Tant à l'étape de l'évaluation qu'à celle du suivi, les dispositifs participatifs ont servi surtout à répondre aux problèmes susceptibles d'avoir un effet négatif sur l'acceptabilité sociale du projet et l'image du promoteur (l'Etat); ce qui confirme notre seconde hypothèse (H3) sur le fait que l'efficacité de la participation dépend des conditions de participation et de l'engagement des acteurs. En outre, notre travail a démontré que les rencontres thématiques tenues sur le projet ont eu un effet limité sur la structuration de l'étude d'impact et plusieurs considérations soulevées par la population sont restées sans réponse. L'absence d'un processus systématique d'identification et d'évaluation des impacts, selon nos déductions n'est pas sans conséquences sur ce sentiment d'instrumentalisation observé dans la population.

Aussi, le cas du Parc de Caracol est une illustration de la confusion dénoncée par Freudenberg et Olson (1983) entre les notions «d'information sur les opinions» et «d'évaluation des impacts sociaux». Ceci pour dire que le fait de répondre aux inquiétudes de la population et de trouver des solutions aux problèmes susceptibles d'avoir un effet négatif sur l'acceptabilité sociale du projet ne signifie pas l'absence d'incidences sociales.

Comme il été relevé dans notre démonstration, le projet a été présenté à la communauté comme essentiel à la survie de l'économie nationale et bénéficiait donc d'un niveau d'acceptabilité sociale exprimée lors des rencontres thématiques et des consultations plus larges de la société civile régionale.

Compte tenu des résultats, le cas à l'étude confirme la thèse défendue par Kothari (2001, p142) à l'effet que la participation encourage la réaffirmation que la participation encourage l'emprise du contrôle et du pouvoir exercés par les acteurs dominants.

Une première mesure consisterait à adopter une démarche d'étude intégrée des impacts environnementaux telle que proposée par Gagnon (1995) qui se traduit essentiellement par un suivi « social » axé sur l'apprentissage des acteurs sociaux des pratiques participatives.

La mesure que nous proposons qui serait susceptible de contrer l'effet des rapports de force s'exerçant dans le cadre de la définition des impacts sociaux et environnementaux consiste à confier la gestion du processus d'EIE à un organisme indépendant du promoteur même si dans le cas à l'étude celui-ci est l'Etat et que nous avons proposé que cet organisme soit public (Objectif 3). Comme défini dans son mandat, il assurerait une certaine continuité sur les plans de la gestion de l'information, de l'étape de la planification à celle du suivi des impacts environnementaux et sociaux.

En somme, le cas étudié révèle les limites de la participation citoyenne aux décisions touchant l'environnement, basée exclusivement sur une démarche formelle de nature légale et des stratégies participatives basées exclusivement sur l'initiative individuelle et la volonté de ces derniers d'exprimer leurs préoccupations ou leur opinion ouvertement lors d'une consultation ou au sein de comités multipartites. Comme on l'a vu, les pressions exercées au sein de la communauté, qui percevait le projet comme essentiel à sa survie en raison de l'importance de ses retombées économiques, ont fait obstacle à une participation libre et éclairée où les options demeurent ouvertes jusqu'à l'autorisation du projet.

Ce type de situation, qui n'est pas forcément unique - pensons seulement au projet de construction de la route Cayes-Jérémie - demande à revoir les formes et les conditions de participation citoyenne, notamment là où l'enjeu économique domine. En effet, l'identification et la prise en compte des conséquences sociales du projet, les modalités de dialogue entre les acteurs sociaux, l'arbitrage plus équitable des intérêts co-présents, tout cela nécessite des modes de participation adaptés à ce type de contexte social, économique et politique. Les lieux de participation formelle de même que les comités de suivi devraient être indépendants du promoteur. Les organisations responsables de la participation publique, devraient aussi garantir, au besoin, l'anonymat, fournir à la communauté une analyse plus fouillée de l'ensemble des préoccupations publiques, assurer un suivi des préoccupations énoncées de même que des engagements du promoteur, eu égard à des objectifs territoriaux, dont la création d'emplois pour les femmes et les jeunes.

Pour réaliser ces objectifs, des méthodes d'investigation, telles que les entrevues individuelles, les rencontres de type focus group, les forums de discussion, etc., doivent être utilisées afin de joindre les groupes sociaux et les individus, là où ils vivent, et qui n'osent pas participer à des rencontres trop contraignantes par leurs formalités. De plus, la procédure d'étude d'impact devrait être appliquée à la planification territoriale stratégique. Plusieurs questions comme celle des impacts cumulatifs des activités industrielles sur un territoire donné ne peuvent être traitées adéquatement à l'échelle de l'analyse de projets particuliers.

Pour que les processus d'EIE et les dispositifs participatifs puissent prétendre devenir un outil de nouvelle gouvernance et renseigner qualitativement, éclairer les choix collectifs, une révision de cette procédure majeure s'impose : elle doit tenir compte du contexte social et territorial, intégrer toutes les dimensions de la qualité de vie ainsi que les valeurs des parties prenantes, rendre transparents les choix méthodologiques des experts et, enfin, documenter des scénarios dont celui du statu quo. Pour favoriser un empowerment des collectivités, inscrit dans une économie et une société du savoir, cela demande d'abord une volonté de la part des acteurs politiques et économiques pour reconnaître l'ensemble des habitants d'un territoire comme des acteurs à part entière, c'est-à-dire comme des producteurs et des détenteurs de savoirs. Les nouvelles responsabilités d'étude d'impact environnementale collaborative et interactive, confiées à la communauté sous le pilotage et le support technique des experts seront sans aucun doute source d'enseignements pour les futurs projets d'aménagement affectant les individus et les communautés.

CHAPITRE 7.-BIBLIOGRAPHIE

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* 1 Dans les deux derniers cas, il est alors question d'évaluation stratégique. André et al. 2003 en propos

* 2 Signée le 25 février 1991, la convention d'Espoo (Finlande) est le premier acte conventionnel qui traite exclusivement des EIE dans un cadre transfrontière. Cette convention a été signée sous les auspices de la Commission économique des Nations Unies pour l'Europe (CEE-ONU). Bien qu'étant une Convention régionale, son contenu est déterminant dans la mesure où il prévoit une élaboration précise des EIE, en coopération étroite avec d'autres Etat

* 3 Voir à ce sujet : Maryse GRANDBOIS et Marie-Hélène BÉRARD, « La reconnaissance internationale des droits environnementaux : le droit de l'environnement en quête d'effectivité », (2003) 44 Cahiers de Droits 427; Aude TREMBLAY, « Regard sur l'évolution du concept de droit à l'environnement », (2005) 18 R.J.E.U.L. 3, 19-27.

* 4 a.-La construction collective d'objectifs et d'actions (au sens très large : pouvoirs, relations, savoirs, statuts, capitaux financiers)

b.-La mise en oeuvre des dispositifs multiples (agencement des procédures, des mesures, des connaissances, des savoir faire et informations diversifiées) qui reposent sur des apprentissages collectifs et induisent des reconfigurations/innovations institutionnelles et organisationnelles au sein des territoires

* 5 Le barrage de Péligre sur le fleuve Artibonite, 1956-1958

L'aéroport Internationale Toussaint Louverture à Port-au-Prince, 1960

Le Parc Industriel de Port au Prince, 1974

Le Parc Industriel de Caracol, 2011






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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand