WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'enseignement de la lecture en Afrique noire. Cas de quelques collèges de Brazzaville

( Télécharger le fichier original )
par Martin GUIMFAC
Université Marien Ngouabi - Diplôme d'études approfondies 1999
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

CONCLUSION

Au terme de notre étude sur l'enseignement-apprentissage de la lecture en classe de 3ème dans quelques établissements scolaires de l'Afrique noire et singulièrement de Brazzaville, il convient de formuler quelques observations et d'en dégager leur impact.

L'amélioration de l'enseignement-apprentissage de la lecture est sans doute tributaire du changement de comportement des professeurs et des apprenants vis-à-vis de l'acte de lecture. Ce changement dépend pour l'essentiel des facteurs milieu de résidence, disponibilité d'un minimum de support pluriel d'enseignement-apprentissage, amélioration et actualisation fréquentes des pratiques pédagogiques et pratique régulière de la lecture.

La lecture ne désigne pas seulement les mécanismes de déchiffrage, mais la compréhension et la maîtrise des textes écrits, vecteurs incontournables de la réussite scolaire, de l'insertion sociale et souvent de l'épanouissement personnel.

Ainsi, l'apprenant doit chercher dans les signes écrits une information, au lieu de s'attacher au passage des signes graphiques aux sons, ce qui peut aboutir à une lecture mécanique à peu près dénuée de compréhension. A ce propos, Henri Giraud (1972) affirme et nous sommes de cet avis que :

Il faut habituer l'enfant à faire l'économie des signes sonores, et l'amener à lire relativement vite126(*).

Cela n'exclut pas, évidemment, la lecture à haute voix qui est la lecture pour les autres : communication d'une information, ou une invitation à partager une émotion esthétique.

Nous avons essayé de montrer avec Emile Javal (1978) et François Richaudeau (1988) que ce sont les yeux qui perçoivent les signes sur un support. Ils procèdent par bonds et arrêts successifs. Au cours des pauses, ils voient des mots ou des groupes de mots. Ces ensembles graphiques sont transmis au cerveau, qui les reconnaît et les interprète. Le lecteur découvre un sens aux signes graphiques ou il le construit lui-même d'une façon personnelle. Ainsi, la lecture est une activité idéo-visuelle. Pour être efficace, l'enseignement-apprentissage de la lecture requiert que :

- certains éléments du milieu favorisent à la fois la pratique et l'enseignement- apprentissage de la lecture ;

- la possession d'un minimum de support pluriel d'enseignement-apprentissage soit effective, même si son manque ne constitue plus un handicap incontournable ;

- une actualisation et une adaptation des pratiques pédagogiques aux avancées des différents domaines de la science soient une attitude de tous les instants.

A propos des innovations pédagogiques, le choix des textes mérite d'être repensé. En effet, au lieu d'enseigner la lecture, il s'agit plutôt de former un lecteur polyvalent. Ainsi, en situation d'enseignement-apprentissage, l'apprenant doit être confronté aux différents genres littéraires et aux différents types de textes. Les principaux genres littéraires à aborder sont : le genre poétique, le genre romanesque et le genre dramatique. Les types de texte les plus usuels à présenter sont le texte descriptif, le texte historique, le texte narratif, le texte injonctif, le texte argumentatif et le texte informatif.

A l'heure actuelle, il est important d'insister sur le texte fonctionnel parce qu'il a une prise réelle sur la vie sociale de l'apprenant. Il s'agit par exemple du mode d'emploi d'un appareil électroménager, d'une notice de produit pharmaceutique, d'une recette de cuisine ou d'un curriculum vitae.

Aussi faut-il convenir avec IPAM (1986) que, quel que soit le type de texte ou le genre d'extrait choisi, il importe qu'il soit motivant, adapté, de longueur raisonnable et de préférence d'auteur. Il est utile de rappeler que le choix des textes de lecture doit tenir compte aussi des intérêts et des motivations des apprenants car « véhiculant les intérêts et les fantasmes des apprentis lecteurs » comme le mentionne Eveline Charmeux (1998), la lecture leur est facilement accessible « pourvu que ce soient ces intérêts et ces fantasmes qui nourrissent les textes de leur apprentissage »127(*). Ces intérêts et ces fantasmes sont fréquents dans la littérature de jeunesse. Nous avons abondamment exposé les caractéristiques de ce genre littéraire au chapitre VIII.

Il serait bon que les objectifs visés tiennent compte de ce que la lecture est avant tout, comme l'a précisé Jean Foucambert (1980), une activité sociale avant d'être une discipline scolaire128(*). Et dans le cas de la République du Congo comme celui de toute l'Afrique noire, les objectifs poursuivis ne doivent pas perdre de vue que la lecture n'est pas un acquis culturel.

Dans la préparation écrite, les stratégies didactiques doivent considérer qu'il s'agit de conduire l'apprenant à construire son savoir car apprendre, ce n'est pas seulement acquérir des savoirs, mais c'est aussi les construire soi-même. Apprendre c'est également modifier son comportement, ses représentations et ses schèmes d'action de façon durable.

Ce processus est d'autant plus complexe qu'il comporte des facteurs internes et externes à l'apprenant lui-même. S'agissant des facteurs externes, nous avons énuméré les influences familiales et les influences sociales. En ce qui concerne les facteurs internes, nous avons montré le rôle de l'hérédité dans l'intelligence. Pour apprendre à lire aux adolescents de la classe de 3ème, il n'est pas absolument nécessaire de les considérer comme des individus qui ont tout à apprendre, ni de les obliger à lire des histoires qui ne tiennent aucun compte de leurs réalités et de celles de leurs parents.

Il est tout à fait possible de les habituer à l'idée que l'essentiel est le sens du texte. Dans ces conditions, le débat sur les méthodes est inapproprié, comme le montre le constat ci-après :

Les discussions sur les avantages et les inconvénients des méthodes de lecture nous paraissent désuètes129(*).

Des enquêtes ont montré en France que, pour des enfants sans difficulté particulière, les résultats étaient identiques quel que fût le procédé employé130(*). Les controverses à propos des méthodes d'enseignement-apprentissage de la lecture ont longtemps caché aux pédagogues d'autres aspects importants du problème. L'aptitude à la lecture comporte les facteurs psychophysiologiques, psycholinguistiques et psychologiques.

Dans le cas de la République du Congo et de l'Afrique noire en général, les facteurs socioculturels ont longtemps été occultés dans l'enseignement-apprentissage de la lecture. Il s'agit d'installer les adolescents issus pour la plupart de la tradition orale dans l'univers du lire/écrire. Il faut d'abord les conforter dans leur langue maternelle car la maîtrise d'une langue première facilite l'acquisition d'une seconde.

Les activités d'enseignement-apprentissage méritent d'être organisées autour des tâches d'apprentissage pour favoriser l'émergence et la consolidation des mécanismes de lecture. Les mécanismes de lecture font référence à la prise d'indices (linguistiques et paralinguistiques), au balayage, à la discrimination, à l'identification, à la mémorisation immédiate, à l'anticipation, à la formulation d'hypothèses et leurs vérifications.

Il serait souhaitable que les tâches d'apprentissage visent les compétences d'orientation et de repérage dans l'univers du lire/écrire, les compétences à construire du sens à partir de ce que l'on voit ainsi que les compétences d'ordre langagier. Les compétences d'orientation et de repérage impliquent de se sentir à l'aise dans les lieux, les objets, les situations de lecture ainsi que dans la diversité des types de discours.

Les compétences d'ordre sémiotique supposent d'avoir des capacités perceptives : ampleur du champ visuel et finesse de discrimination. Elles impliquent aussi l'aptitude à formuler des hypothèses et leurs vérifications. Les compétences d'ordre langagier font référence à la diversité de types de discours, de faits de discours et de langue, objets d'une saisie visuelle dans une organisation spatiale donnée. Elles visent aussi le fonctionnement linguistique diversifié dont les variations sont liées aux situations sociales de la communication et aux projets d'action du producteur d'écrits.

L'évaluation de tout acte pédagogique étant une nécessité, le processus d'évaluation doit être intégré à celui d'enseignement-apprentissage. En effet, la culture d'évaluation fait cruellement défaut à l'ensemble du système éducatif de l'Afrique noire tout au moins pour le moment. Elle mérite d'être installée dans tous les dispositifs d'enseignement-apprentissage. L'évaluation, lorsqu'elle revêt une fonction d'aide à l'apprentissage, encourage une collaboration professeur et apprenant. Cette dernière permet à l'apprenant de se responsabiliser face à ses apprentissages.

Le champ disciplinaire « lecture » devrait être appréhendé par le filtre de l'apprentissage. Un accent particulier devrait être mis sur l'installation chez l'adolescent ou l'adolescente de la classe de 3ème des stratégies de lecture qui sont au nombre de trois, comme le préconise Anne Torunczyk (2000), à savoir :

- La reconnaissance de mots que l'apprenant a mémorisés ;

- le décodage syllabe après syllabe ;

- le devinement lorsque le mot est plus complexe et le contexte le permet131(*).

Dans le même ordre d'idées, il convient d'éduquer l'apprenti lecteur à éviter les écueils qui consistent en des fréquents retours en arrière inutiles, la sub-vocalisation et la précipitation qui freinent sa vitesse d'exécution de la lecture. Il serait bon de proposer à l'apprenant des exercices d'entraînement progressifs portant sur les compétences de lecteur : la vitesse, l'oeil habile, l'oeil panoramique, la capacité à anticiper et à reconstituer, et l'entraînement total, comme l'affirme Brigitte Chevalier (1986)132(*).

Par ailleurs, la leçon de lecture devrait être aussi une modeste leçon de littérature. Elle doit montrer comment les phrases s'ordonnent dans un paragraphe, comment les paragraphes sont mis en ordre entre eux dans un passage et quel est le lien qui permet d'établir la cohérence du texte. Ce dernier étant à la fois un tissu de sens et un matériau de la communication.

Il serait nécessaire que les activités de prolongement de la lecture préparent l'apprenant à l'autonomie car il s'agit surtout de le doter d'un dispositif méthodologique particulier lui permettant d'exploiter, de s'approprier sa lecture et de la réinvestir dans un travail personnel car

Savoir travailler de façon indépendante, c'est savoir se servir des écrits disponibles pour les comprendre et construire, à partir d'eux, des productions adaptées à ses besoins133(*).

L'analyse des résultats comparatifs des groupes expérimentaux et témoins montre que les apprenants, qui avaient les compétences sensiblement identiques au départ, ont tous plus ou moins amélioré leurs compétences en lecture. Toutefois, ceux des groupes expérimentaux ont globalement plus perfectionné les leurs que leurs camarades des groupes témoins. Les améliorations concernent particulièrement la vitesse de lecture, la prise d'indices, le balayage, la capacité à anticiper et à reconstituer, à formuler des hypothèses et leurs vérifications ainsi que la représentation que les apprenants se font de la lecture.

La mise en oeuvre de nouvelles pratiques pédagogiques nous a donné par ailleurs l'occasion d'observer l'éclosion des comportements nouveaux et l'émergence d'une relation nouvelle de l'apprenant à l'écrit. A notre avis, elles ont le mérite d'initier les apprenants à se prendre en charge et à faire de la lecture un véritable outil d'investigation et d'appropriation de la culture.

Nous sommes conscients que les innovations pédagogiques n'échappent pas aux risques des dérives de toute innovation. Les contraintes rencontrées dans la mise en oeuvre, des habituels obstacles institutionnels et psychologiques peuvent déformer les projets initialement satisfaisants. Toutefois, vu l'accueil que nous ont réservé les expérimentateurs et leurs apprenants, nous nous demandons, à juste titre, si les pratiques pédagogiques que nous avons fait expérimenter, ne pourraient pas être généralisées dans toutes les classes en Afrique noire, à condition de bien aménager un processus progressif, en commençant par un nombre limité d'établissements scolaires et évaluer à chaque fois leur impact.

Naturellement, tous les aspects de l'acte de lire n'ont pu être analysés et tous les problèmes que suscite l'enseignement-apprentissage de la lecture n'ont pas été résolus non plus. Tout cela n'est pas possible dans une étude unique. Les résultats auxquels nos sujets expérimentaux sont parvenus restent modestes. Ils s'intègrent toutefois parmi ceux qu'expose la littérature. Leur mérite est qu'ils sont obtenus dans un contexte particulier où la lecture n'est pas un acquis culturel et où domine la tradition orale. En effet, en République du Congo, le français est une langue seconde. Elle se parle et s'enseigne dans un contexte multilingue où l'espace linguistique national est composé, en plus du français, de deux langues nationales et de près d'une quarantaine de langues vernaculaires, comme nous l'avons mentionné à l'introduction. La situation est quasi identique dans nombre de pays d'Afrique noire.

Nous avons indiqué que nous aurions aimé étendre cette étude à tout le département scolaire de Brazzaville, mais la modicité de notre budget de recherche ne pouvait nous le permettre. Nous espérons qu'un échantillon plus large pourrait permettre de mieux évaluer les résultats de la présente étude. Cependant, la mise en oeuvre de nouvelles pratiques pédagogiques nous a permis de prendre conscience qu'enseigner à lire à un adolescent, est un exercice subtil et complexe qui ne saurait se réduire à l'application mécanique de quelques recettes surannées. Il n'existe, comme l'affirme IPAM (1993), aucune méthodologie totalement adaptée aussi bien à tous les professeurs qu'à tous les contextes de réalisation ou à toutes les situations d'enseignement-apprentissage134(*).

En effet, l'acte pédagogique est complexe parce qu'il concilie la psychologie et l'intérêt de l'apprenant tout comme le savoir à dispenser, la compétence de l'enseignant ainsi que les finalités et les buts éducatifs de la société dans laquelle a lieu l'enseignement-apprentissage. L'enseignement est une entreprise humaine et sociale qui requiert de nombreuses interactions entre professeurs, apprenants et savoir d'une part, un renouvellement constant de pratiques d'autre part. En conséquence, nous considérons que la recherche pédagogique devrait être une quête de tous les instants, car l'enseignement-apprentissage de la lecture dépasse le cadre de la pédagogie.

En effet, à propos de l'enseignement-apprentissage de la lecture, et il en est de même pour d'autres sous-disciplines du français, nous reconnaissons que la rénovation procède à la fois de la réflexion pédagogique, des recherches psychologiques et du développement de la linguistique. La littérature constate par ailleurs que :

Les recherches sur l'apprentissage de la lecture sont beaucoup plus avancées que celles sur son enseignement135(*).

Ce constat fait sur l'enseignement-apprentissage de la lecture au cycle préscolaire nous paraît tout aussi pertinent pour l'enseignement secondaire. Nous avons indiqué que les difficultés accumulées en lecture au primaire ne sauraient se transformer en succès, sans un travail de longue haleine. Nous savons que les difficultés de lecture des apprenants des classes de 3ème sont tributaires pour l'essentiel des premiers apprentissages qu'il faut corriger en vue d'un parcours de formation efficace.

Ainsi, nous considérons à sa juste valeur l'importance de l'enseignant et la nécessité pour ce dernier de construire ses pratiques d'enseignement et de les actualiser le plus fréquemment possible. Il ne devrait pas nécessairement faire appel aux pratiques surannées que les habitudes scolaires lui proposent.

En revanche, à partir d'objectifs clairs qu'une bonne formation lui aura permis de maîtriser, et en relation étroite avec les savoirs des apprenants, il doit élaborer ses stratégies d'approche d'enseignement-apprentissage de la lecture. Celles-ci devraient s'appuyer sur son souci d'amener les apprenants à trouver du sens à l'enseignement qu'ils reçoivent. Les savoirs des apprenants renvoient à ce qu'ils sont, ce qu'ils savent, ce qu'ils font et les représentations qu'ils ont construites dans leurs expériences.

En somme, pour développer le goût de la lecture chez les apprenants et les professeurs, il importe de recourir aussi à l'approche par compétences. Elle peut offrir à tout enseignant les moyens de donner du sens aux enseignements qu'il dispense. Dans la perspective de la réforme des curricula, le choix de l'approche par compétences peut constituer l'un des axes de la refondation du système éducatif congolais et, partant ceux des Etats de l'Afrique noire en général.

* 126. Henri, GIRAUD (1972), Un nouvel enseignement du français, Editions du Centurion, p. 94.

* 127. Eveline, CHARMEUX (1998), Apprendre à lire, Echec à l'échec, Paris, Editions Milan, p. 129.

* 128. Jacques, FOUCAMBERT (1980), op.cit.

* 129. Henri, GIRAUD (1972), op.cit. p. 74.

* 130 Idem, p. 85.

* 131. Anne, TORUNCZYK (2000), op.cit.

* 132. Brigitte, CHEVALIER (1986), op.cit.

* 133.Texte sur l'apprentissage continué de la lecture au collège, « Commission horizontale de français », (1984), Ministère Français de l'Education Nationale, Direction des collèges, 2 mai.

* 134. IPAM (1993), Guide pratique du maître, Paris, p. 117.

* 135. Antoine, PROST (2004), « L'apprentissage de la lecture : les recommandations des experts », La classe maternelle, n° 127, mars, p. 10.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry