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La bête du Gévaudan, l'animal pluriel.

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par Laurent Mourlat
Université d'Oslo - Maitrise 2016
  

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Introduction

Comme nous venons de nous en rendre compte, la Noblesse et les populations éduquées n'ont pas de croyances particulières. La question est maintenant de savoir ce qu'il en est pour le Tiers-Etat. Issu d'une culture que tout oppose à celle de la Noblesse, le Tiers-Etat est sous l'Ancien régime un groupe social où règne l'illettrisme et la pauvreté. En Gévaudan, une des régions les plus pauvres du royaume de France à l'époque des faits, l'isolement et l'organisation quasi-féodale du territoire sont des éléments qui accentuent encore les différences entre les classes sociales. C'est donc le prêtre, personnage central car il sait écrire, qui prend en charge les tâches administratives et le discours de l'Eglise qui forme l'imaginaire des autochtones. L'analphabétisme des habitants qui appartiennent au Tiers-Etat a des conséquences importantes car, ne sachant pas lire, le petit peuple s'informe à travers les rumeurs ou à l'aide des illustrations qui sont véhiculées par les colporteurs. Conséquence logique de l'ignorance, l'impact des images est alors de la plus haute importance. Après m'être penché sur le rôle du prêtre en Gévaudan à l'époque des faits, je m'intéresserai au discours de l'Eglise et sur la façon dont celui-ci est relayé aux habitants. En prenant soin d'établir de quelle manière la narration religieuse ainsi que son mode de propagation génèrent de l'incertitude quant à l'identification de la Bête, j'essayerai d'en isoler les figures les plus récurrentes. Cela étant effectué, je me concentrerai sur les références iconographiques utilisées par la presse dans les estampes qui ont représenté la Bête du Gévaudan. Les icônes étant avec les rumeurs parfois le seul moyen de s'informer pour les illettrés, il me semble essentiel d'en faire une analyse approfondie, ceci tant du point de vue pictural que du point de vue historique ou symbolique.

I. Le prêtre, trait d'union entre les habitants et le clergé

Elément essentiel de la vie des campagnes du Gévaudan au XVIIIè siècle, le prêtre occupe un rôle central dans l'organisation sociale et religieuse de la région. Venant d'un milieu rural, souvent originaire de la province même où il exerce ses fonctions, il est souvent issu de couches sociales supérieures. Alliant une parfaite connaissance du terrain et des personnes qu'il côtoie à un réseau étendu de relations, il fait le lien entre la société rurale des paysans et les autorités locales. En tant que représentant de l'Église, le prêtre se doit de donner aux fidèles les bases d'une

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instruction religieuse. Celle-ci est donnée à chaque messe paroissiale 355. En plus de ces responsabilités, sa capacité à la lecture et à l'écriture le prédestine à devoir exercer des fonctions administratives. Ainsi, c'est par la main du prêtre que les cérémonies religieuses telles que les mariages ou les décès sont enregistrées dans les registres paroissiaux et envoyés aux autorités civiles 356. Oreille attentive, le prêtre est aussi très bien informé. En tant qu'intercesseur entre Dieu et ses fidèles, il a la confiance de tous et c'est donc tout naturellement que l'on se rend à la confession pour lui livrer les secrets les plus inavouables. Proche des populations qu'il administre, il participe aux tâches difficiles et n'hésite pas à prendre des risques. Par exemple, comme le fait remarquer Bernard Soulier, le vicaire de Pruniéres, ne recule pas devant l'eau glacée de la Truyère. Le 7 février 1765, il poursuit la Bête jusque dans la rivière. « (...)Le vicaire de Prunières et dix de ses paroissiens se jetèrent dans la rivière et la traversèrent à pied, et presque à la nage, nonobstant la rigueur de la saison. Ils suivirent la Bête pendant longtemps à la trace, la perdirent ensuite dans les bois qui ont beaucoup d'étendue(...). » 357

Le dévouement du prêtre lui vaut aussi parfois les foudres des autorités. Ainsi, en 1764 358, l'abbé Ollier, curé de Lorcières, se permet d'écrire à Versailles. Il demande alors une baisse de l'imposition pour ses ouailles et invoque le climat et les ravages de la Bête. La réponse est sèche ! On le traite d' « écrivain perpétuel » 359 et les impôts sont maintenus. L'abbé Bouniol, curé de Chanaleilles et l'abbé Béraud, curé de Saint Alban auront plus de chance. Auteur d'un récit dramatique relatif à des attaques sur des enfants, ils réussissent à émouvoir les autorités, et voient leurs efforts récompensés. Jeanne Jouve 360 obtient 300 livres 361 et Jacques Portefaix est pris en charge 362. Comme on peut le voir, le prêtre et l'Eglise en tant qu'organisation religieuse sont

355 SOULIER Bernard, Loc. cit. p. 206.

356 SOULIER Bernard, Loc. cit. p. 207.

357 Archives départementales de l'Hérault cote 44.

358 La certitude de cette date n'est pas établie. La lettre en question pourrait avoir été envoyée en 1765.

359 SOULIER Bernard, Loc. cit., p. 210

360 Le 13 mars 1765, Jeanne Jouve, mère de six enfants, se bat corps-à-corps contre la Bête pour sauver ses enfants. Son courage force l'admiration. Par une ordonnance datée du 10 avril 1765, Louis XV autorise le paiement de la somme de 300 livres à l'intéressée, ceci en considération des « marques surnaturelles de courage qu'elle a données, malgré sa faible complexion pour défendre ses enfants en bas âge des attaques de la Bête féroce qui ravage le Gévaudan » BONET, « Chronodoc », Loc cit., p. 267.

361 SOULIER Bernard, Loc. cit., p. 210.

362 Le 12 janvier 1765, Jacques Portefaix alors âgé de douze ans se distingue en prenant la tête d'un petit groupe d'enfants. La petite troupe, armée de bâtons où étaient attachées des lames, met l'animal en fuite. Cet épisode, qui va impressionner la Couronne aura des conséquences pour Portefaix. Élevé aux frais de l'Etat, il devient, après des études chez les frères Ignorantins de Montpellier puis à l'école militaire, lieutenant en troisième (adjudant) dans l'artillerie royale. Décédé en dehors du service le 14 août 1785 au presbytère de Franconville-La-Garenne (Seine-et-oise). Source : Archives des corps de l'Outre-Mer. Dossier militaire de Jacques-André Portefaix au SHD de Vincennes. Acte de décès du 14 août 1785, paroisse de Sainte-Marie Magdeleine de Franconville-La-Garenne, acte testamentaire du notaire Robert-Guillaume Bouju et lettre de confirmation du ministre Calonne, AD Montpellier, cote 44. Recherches menées auprès des services concernés par les membres du Groupe de recherche « le clavier des Bestieux » en 2015. Ci-dessous une lettre de Mr de Laverdy datée 19 février 1765 atteste de l'intérêt qui lui est porté. «(...) Le Roy a admiré comment un enfant de cet âge a montré tant de courage et de fermeté dans une circonstance aussi

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parfaitement intégrés dans le Gévaudan du XVIIIè siècle. Des sacrements à l'éducation religieuse ils structurent la vie quotidienne et l'imaginaire des habitants. Fort de cette constatation, on peut alors prendre la mesure de l'impact produit par le mandement de l'évêque de Mende. Document daté du 31 décembre 1764, ce document propose une lecture religieuse des événements et introduit des éléments tirés des scènes de l'apocalypse.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld