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La bête du Gévaudan, l'animal pluriel.

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par Laurent Mourlat
Université d'Oslo - Maitrise 2016
  

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III. La traduction du mandement, une interprétation personnelle du prêtre

La première question que l'on peut se poser est de savoir si les mots utilisés dans le mandement du 31 décembre 1764 trouvent tous des correspondances dans le patois régional. Dans le cas où certains mots seraient intraduisibles directement , le prêtre se trouve dans l'obligation de devoir en expliquer le sens. Cette éventualité oblige donc le prêtre à produire un énoncé qui est le résultat de son interprétation personnelle. Dans le cas où il y aurait des correspondances, la question est de savoir si le mot français a le même sens que le mot traduit dans le patois régional. La traduction n'en est pas rendue moins délicate car, comme l'indique Jules Mazoureau 367 dans un article publié dans les « Cahiers de l'Association internationale des études françaises » 368, lorsqu'une correspondance est possible la simplification ou le délayage sont des écueils qui sont souvent masqués sous prétexte d'analyse ou de synthèse 369. Ensuite vient s'immiscer l'épineuse question du style. En effet, le mandement de l'évêque de Mende n'est pas n'importe quel document. Le « léopard de l'Apocalypse » y côtoie la « volonté de Dieu », et le tout est écrit dans un style où les images s'allient aux métaphores. Par exemple, si la Bête se substitue métaphoriquement au « Léopard de l'Apocalypse », l'image qui en est donnée n'en est pas moins terrifiante. En effet, c'est bien « le Seigneur qui dirige sa course rapide vers les lieux où elle doit exécuter les arrêts de mort que sa justice a prononcés » 370. Décrite comme rapide, chargée d'exécuter la justice divine, la Bête est au centre d'une narration où des éléments stylistiques comme les métaphores sont utilisés en vue de les rendre signifiants. Au vu de la difficulté de traduire toutes les finesses sémantiques induites par l'utilisation de figures de style, il n'est pas sûr que les traductions proposées dans les paroisses aient été fidèles à l'original. Enfin, il ne faut pas oublier l'aspect structurel de la langue. L'ordre des mots, la construction des phrases sont autant d'outils et de particularités linguistiques qui permettent d'adapter et d'exprimer la pensée. Ce qui peut ici paraître naturel pour le pratiquant d'une langue maternelle peut se révéler être une énigme pour le traducteur. En effet, « l'ordre des

366 Une grande partie de la population du Gévaudan du XVIIIè parle la langue d'Oc, ou un dialecte dérivé. Le français est donc assez peu utilisé et parfois mal compris. (Information donnée par Bernard Soulier au cours de la conversation téléphonique du 15.02.2016).

367 MAZOUREAU Jules, 20.03.1878-27.09.1964. Latiniste français, professeur à la Sorbonne, il est l'auteur de plusieurs publications scientifiques telles que : « L'ordre des mots dans la phrase latine », « Les articulations de l'énoncé » ou « La phrase à verbe être en latin ».

368 Cahiers qui traitent de la littérature ou de la langue française. Ces publications font autorité depuis des décennies et traitent dans chaque volume de questions concernant l'histoire littéraire.

369 Ibidem

370 Extrait du mandement de l'évêque de Mende. BONET, «Chronodoc», Loc cit., p. 84.

371 MAZOUREAU Jules. « La traduction », Cahiers de l'Association Internationale des Etudes Françaises », 1956, n°8. p. 149.

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mots est un élément d'expressivité, il ne se calque pas, il se traduit » 371. Cette constatation, pose la question du sens et donne des indices quant au travail qui fut demandé aux prêtres du Gévaudan il y a de cela plus de 250 ans. Du français aux patois de la langue d'Oc, il fallait donc aussi donner du sens à l'ordre des mots.

Comme nous l'avons vu précédemment, le prêtre est un élément indissociable de la vie et de l'organisation de la société gévaudannaise du XVIIIè siècle. Avec le mandement du 31 décembre 1764, il se trouve dans la situation de devoir traduire et expliquer un document où le langage métaphorique et les références à l'Ancien Testament sont utilisés pour décrire une Bête dévorante. En butte à des difficultés telles que l'interprétation des correspondances interlangagières, la retranscription du style ou la transposition dans une autre langue des particularités linguistiques inhérentes à la syntaxe d'une langue source, le ministre du Culte a pu faire des erreurs quant à la traduction de la pensée originale du mandement. De plus, la parole étant un acte individuel, il paraît très vraisemblable que l'interprétation des fidèles ait été colorée par l'opinion personnelle du traducteur.

En conséquence, il semble raisonnable d'avancer que la retranscription religieuse des événements ait varié de paroisse à paroisse. Ainsi, il est possible d'envisager que des habitants de différentes parties du Gévaudan se soient trouvés en présence d'un problème insoluble. Face à l'ambiguïté causée par la narration d'histoires multiples et sans doutes déformées au cours du temps, il leur était impossible de se faire une idée précise de la nature de l'animal dévorant dont ils étaient les victimes. Alors, en proie à une angoisse bien naturelle, le petit peuple était livré aux conjectures et les théories quant à la véritable identité de la Bête se répandirent dans la région.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote