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La bête du Gévaudan, l'animal pluriel.

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par Laurent Mourlat
Université d'Oslo - Maitrise 2016
  

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Introduction

Aux côtés de nombreux témoignages oraux liés aux traditions vernaculaires, les métamorphoses sont, au cours de l'histoire européenne, attachées à quatre légendes principales : l'histoire de l'âne d'or d'Apulée 433, la lycantropie 434, les compagnons de Diomède 435 et l'histoire des enchantements de Circée 436. Thème prolifique tout au long du Moyen Âge, la métamorphose, qui puise dans l'histoire européenne son inspiration dans les mythes grecs, est présente dans la littérature apologétique et dans la littérature profane. Bien que très courante cette idée n'est visiblement pas du goût de l'Eglise car Saint-Augustin la réfute en la qualifiant de « perfide jeu des démons » 437. L'avis donné par l'évêque d'Hippone 438 va avoir des conséquences importantes car un nombre important de croyances païennes vont au Moyen Âge être considérées comme des phénomènes diaboliques et de ce fait devenir répréhensibles. Ainsi, si l'homme-loup passe du statut de lycanthrope 439 à celui de loup-garou, créature cauchemardesque et diabolique qui aurait le pouvoir de se transformer à volonté, c'est que le discours religieux cherche à se débarrasser du paganisme et applique au monde une dichotomie du bien et du mal. En effet, et cela est tout à fait clair au vu des procès intentés auxdites « sorcières » et autres créatures métamorphes indésirables, il est malvenu d'attenter à la permanence et à l'unicité de l'oeuvre de Dieu. Comme nous allons le voir au cours de ce chapitre, le caractère diabolique des croyances en rapport à la Bête du Gévaudan a une histoire. Cependant, si ce dernier semble trouver sa source dans la théologie, les croyances en tant que telles ont une réalité bien antérieure 440.

433 Écrite au IIè siècle après Jésus-Christ par Apulée, cette histoire relate les aventures d'un aristocrate transformé en âne par erreur par sa maîtresse. (CROUZET, 1963)

434 La lycantropie fait référence aux transformations de l'homme en homme-loup. (CROUZET, 1963)

435 Cette histoire narre les aventures de Diomède qui vit ses compagnons changés en oiseaux. (CROUZET, 1963)

436 Enchanteresse de la mythologie grecque, Circée, disait-on, transformait les hommes en animaux à l'aide de potions et de breuvages. ( (ALPHA, 1968)

437 HARF-LANCNER Laurence. « La métamorphose illusoire : des théories chrétiennes de la métamorphose aux images médiévales du loup-garou ». Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 40? année, N. 1, 1985. p.209.

438 Hippone : Ville où Saint-Augustin fut évêque. ( Aujourd'hui, cette ville se nomme « Annaba » et se trouve au Nord-Est de l'Algérie). (ALPHA, 1968)

439 Lycanthrope : acception grecque de l'homme-loup. Homme transformé en loup du fait de la colère de Zeus. (ALPHA, 1968)

440 Par exemple, les croyances en rapport aux différentes formes de l'homme-loup à travers l'histoire sont le résultat de la transposition et de l'assimilation au Moyen Âge de rites très anciens. En effet, au paléolithique supérieur (entre 35 000 et 10 000 ans avant Jésus-Christ) des os de loups ont été ensevelis de manière intentionnelle et très certainement rituelle par les hommes de cette époque. Comme l'avance Bernard Marillier, il est très probable que les chasseurs aient voulu s'approprier la force de l'animal dans un but

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I. Saint-Augustin et la permanence de l'oeuvre de Dieu

Entre le troisième et le quatrième siècle après Jésus-Christ, Saint-Augustin, docteur de l'Eglise latine rédige « la cité de Dieu » 441. Au chapitre XVIII de cet ouvrage monumental, ceci après une analyse des mythes grecs dont celui de la vénération du dieu « Lykaios » 442, il déclare que la métamorphose relève de deux éléments distincts, « l'irréalité » 443 et le « diabolique » 444. Le démon serait donc à l'oeuvre et induirait les hommes en erreur. Bien que redoutable, le malin n'a cependant pour Saint-Augustin pas le pouvoir de se soustraire à la volonté de Dieu. Il ne peut altérer son oeuvre. La métamorphose reste donc de l'ordre de l'illusion ou de l'apparence. Tirées de la cité de Dieu, ces quelques lignes exposent sa conception : « assurément les démons ne sont pas créateurs de nature, s'il est vrai qu'ils réalisent des prodiges semblables à ceux dont il est question ; ils modifient quant à l'apparence seulement les créatures du vrai Dieu pour qu'elles ne semblent être ce qu'elles ne sont pas » 445.

Afin de donner un fondement théorique à l'idée de l'illusion diabolique Saint-Augustin invente une notion nouvelle : « le phantasticum hominis ». Sorte de double fantastique qui apparaît au cours du rêve, il est la « représentation que le rêveur a de lui-même dans son rêve » 446. N'existant que par les sens, n'ayant ni réalité corporelle, ni d'attache avec le rêveur dont il émane, le « phantasticum hominis » est sujet aux manipulations démoniaques, et c'est alors l'image manipulée du « phantasticum hominis » qui est perçue par autrui, d'où l'illusion. Le sujet est donc, malgré lui, victime d'un véritable dédoublement.

Bien qu'antérieure à l'idée que se faisaient les guerriers germaniques de l'âge de fer 447 et aux pratiques chamaniques, nous pouvons ici remarquer que la conception augustinienne de la

cynégétique. L'idée est d'ailleurs concevable car la transformation symbolique du guerrier en loup étant une partie intégrante des rites d'initiation dans la plupart des armées européennes de l'époque préchrétienne, le symbolisme de l'appropriation de la force d'un animal trouvait déjà un prolongement dans l'art de la guerre. (MARILLIER,1997 : 78).

441 « La Cité de Dieu » : Composée de vingt-deux livres rédigés par Augustin d'Hippone entre 413 et 426 après Jésus-Christ, cet ouvrage est une des oeuvres majeures de la théologie chrétienne. (CROUZET, 1963)

442 « Lykaios » : ce dieu de la Grèce antique est à associer à des rites de passage où le cannibalisme et la transformation en lycanthropes de jeunes adolescents étaient censés se réaliser sur le mont Lykaion, en Arcadie. (UNIVERSITE DE PAU, Actes du colloque de la Société des professeurs d'histoire ancienne, 1990 : 64)

443 HARF-LANCNER, Loc cit., p 209.

444 Ibidem.

445 HARF-LANCNER, Loc cit., pp. 209 et 210

446 HARF-LANCNER, Loc cit., p. 210.

447 Le concept de «Tierkrieger» ou « guerrier animal » est alors répandu dans toute la zone d'influence germanique. Chamane ou guerrier, le « guerrier animal » est supposé être possédé par l'esprit de l'animal et en détenir les attributs et la force. Nous sommes là bien loin de toute idée de métamorphose. L'homme reste un homme, la bête reste une bête. (KROPFELDER, 2015 : 2)

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métamorphose est en deux points semblables. Il n'y a pas de métamorphose corporelle de l'homme en animal, et c'est bien dans un état second 448 que l'homme se « dédouble ».

Ainsi, l'idée d'un changement de nature des choses, en d'autres termes une véritable métamorphose n'est pas admise. Cette idée, qui est centrale dans la pensée théologique médiévale, va contribuer à en former l'imaginaire. Dès le IXè siècle après Jésus-Christ, le Canon episcopi 449 condamne les sorcières, le sabbat et l'idée des métamorphoses. Le concept est fustigé et mis au rang des illusions démoniaques, ceci conformément aux écrits augustiniens.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus