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La bête du Gévaudan, l'animal pluriel.

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par Laurent Mourlat
Université d'Oslo - Maitrise 2016
  

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III. Les croyances attachées à la Bête du Gévaudan au XVIIIè siècle

L'ambition de la dernière partie de ce chapitre est de découvrir si les croyances du Tiers-Etat en Gévaudan sont originales. C'est à travers l'examen des croyances énoncées par les habitants que j'espère pouvoir établir si ces dernières sont le résultat d'un processus historique, ou si nous avons affaire à autre chose. Dans le but de clarifier mon propos, je vais - tout comme dans l'étude des icônes - procéder par étapes. En premier lieu, je m'intéresserai aux créatures anthropomorphiques après quoi je porterai mon attention sur les êtres zoomorphes. J'examinerai donc premièrement les témoignages liés aux sorcières, à l'homme-loup puis au diable. Enfin, je terminerai par une étude des hybrides.

454 HARF-LANCNER, Loc cit., p. 216.

455 Il est possible d'observer, et ceci jusqu'à notre époque, des conséquences de la croyance en ce caractère soi-disant sacré de l' « oeuvre de Dieu ». Les prises de position quant au débat sur les recherches génétiques ne sont à mon sens que ce qui en résulte.

456 Il faut ici définir le « loup-garou » car celui-ci n'est pas un lycanthrope. C'est un être hybride, inquiétant et lié à nos peurs et à nos angoisses. Défini autrefois comme un loup mangeur d'hommes, il est décrit au XVIIIè siècle par Buffon comme un loup féroce dont il faut « se garer ». Cette explication rationnelle, qui est très certainement liée à une certaine réalité des campagnes, a aussi fait au cours de l'histoire référence à autre chose. Le loup-garou était un homme doué de la capacité à se métamorphoser à volonté et de ce fait, était considéré par l'Eglise comme une créature démoniaque. (MARILLIER,1997 : 82).

457 Alain Parbeau a mentionné au cours d'une conversation téléphonique qu'une personne qu'il avait rencontrée en Gévaudan croyait encore au loup-garou. Le témoignage relaté par Alain Parbeau date des années 1980.

458 Après avoir visité le Gévaudan parlé aux habitants, aux chercheurs et aux auteurs, mon opinion personnelle est qu'il subsiste encore aujourd'hui en Gévaudan un fond de croyance. En ce qui me concerne, je ne pense pas que l'on croit encore en des créatures fantastiques dans cette région, mais je persiste à dire que, dans certains cas extrêmes, l'éventualité n'est pas à écarter.

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A. Les créatures anthropomorphiques

Les créatures anthropomorphiques dont il est fait mention par les autochtones dans les archives écrites sont le/la sorcier(e), l'homme-loup et le diable. Ces entités présentent un caractère particulier car elles sont aussi, bien que toutes ne soient pas représentées dans les icônes 459, douées du pouvoir de métamorphose 460.

1. La sorcière

Les témoignages attachés à l'existence des sorcières sont particulièrement intéressants car l'un est tiré des écrits de Francois Antoine, et l'autre d'une lettre anonyme. Si le premier écrit confirme la dichotomie des interprétations du fait du niveau social, le second peut être l'indice d'une certaine perméabilité 461 des croyances entre les classes et montre la récurrence de la réaction des masses au contact d'un danger immédiat.

Présent dans la majeure partie des témoignages issus des classes supérieures ou éduquées, le dédain 462 attaché aux croyances du petit peuple est à mon sens le plus visible dans une lettre de Mr Antoine, porte-arquebuse du roi et noble de naissance. Dans un courrier adressé à Mr de Ballainvilliers et daté du 29 juillet 1765, il décrit les habitants en ces termes : « ces habitants poltrons comme des poules à marcher la nuit, même à si peu de distance des endroits où nous sommes, par la frayeur mortelle dont ils sont remplis de ladite bête, qu'ils croient la plupart être sorcière » 463. Le caractère de la bêtise est ici cumulé à celui de la couardise.

459 A l'époque des évènements, on ne trouve pas de représentation du diable ou du sorcier dans les icônes.

460 L'homme-loup est du fait de sa dualité un être qui illustre parfaitement la métamorphose. Parfois homme, parfois loup ou quelquefois un mélange des deux il se situe entre deux mondes. La sorcière et le diable sont eux passés maîtres dans l'art de la mystification. La sorcière avait, disait-on le pouvoir de se transformer en lièvre pour se rendre rapidement sur les lieux de son choix. Le diable lui a, dans le folklore populaire et médiéval, une panoplie impressionnante de figures à sa disposition. Lutin, animal, hybride ou fait homme, il était souvent, selon la légende, visible dans les forêts profondes. (DEY, 1881)

461 Cet exemple est l'exception qui confirme la règle. Comme je l'ai écrit précédemment, la noblesse ne semble pas avoir de croyance particulière en Gévaudan à cette époque. Aussi, il n'est pas établi que cette lettre fut écrite par un noble.

462 Au cours de notre histoire, l'éventualité de l'existence du (de la) sorcier (e) est avancée plusieurs fois et cela par des personnes appartenant à des milieux différents. En ce qui concerne la noblesse, il est clair qu'en tant que classe dominante, elle n'y prête aucune importance et traite le tout sur le ton du dédain et de l'ironie. C'est le cas de Mr de la Barthe, de son fils et de Mr de Seroin qui est un noble attaché au service du comte de Clermont. Les ecclésiastiques, dont l'abbé Trocellier et l'abbé de Vienne, fustigent la superstition tout en n'omettant pas de critiquer « l'ignorance » du peuple.

463 BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.417.

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Le détail de l'analyse des archives met aussi en évidence que l'opinion de la noblesse est parfois contredite, peut-être même de l'intérieur, mais ceci avec une infinie précaution. En effet, à la lecture d'une lettre anonyme adressée Mr de Ballainvilliers, on devine l'existence d'une réalité alternative dont les références sont bien antérieures au XVIIIè siècle. La correspondance en question relate les « morts d'hommes », les « pertes de bestiaux » les « gelées » et les « pertes de fruits », le tout agrémenté par la description de soit disant « sorciers qui fourmillent dans le monde

» 464.

Bien que l'auteur s'exprime dans une langue qui n'a rien du patois local 465, il est clair que nous nous trouvons là dans le cadre d'une interprétation populaire et religieuse 466 car on retrouve dans des retranscriptions des procès du Sabbat des détails similaires au témoignage qui figure dans la lettre anonyme citée ci-dessus. Par exemple, un extrait tiré des Errores gazatorium 467 nous apprend que les maléfices des sorciers peuvent « tuer hommes et animaux ou détruire les récoltes » 468. Aussi, le 30 juillet 1438, « Aymonet Maugetaz », un individu d'une vingtaine d'années rapporte qu'après une réunion consacrée à la pratique de la sorcellerie, une « forte tempête (...)s'abattit sur les récoltes(...) » 469. Ces épisodes, qui semblent mettre en évidence que le sorcier pourrait être à l'origine d'intempéries destructrices, trouvent un écho dans la description de 1765.

C'est en poussant l'analyse de l'idée directrice qui sous-tend l'argumentation de l'auteur de la lettre anonyme que l'on peut aussi mettre en lumière un détail important : les catastrophes naturelles qui sont décrites comme étant le résultat de la sorcellerie y sont liées à la présence de la Bête du Gévaudan 470. Cette constatation est signifiante car elle montre le mécanisme de la désignation d'un bouc émissaire. Dans ce cas-là, la Bête est assimilée au sorcier et inversement. Il

464 Lettre anonyme datée du 27 juillet 1766. Archives départementales du Puy-de-Dôme, cote 1740.

465 Ce détail peut vouloir dire que cette lettre anonyme ait été écrite par une personne qui a eu accès à l'enseignement des meilleurs précepteurs, donc soit un noble ou une personne lettrée. Il peut aussi, dans le cas ou l'auteur soit un noble ou une personne éduquée, être l'indice d'une certaine perméabilité des classes supérieures aux croyances et aux superstitions populaires.

466 Les actions maléfiques des sorciers(ères) sont synthétisées dans une bulle papale qui date de 1484. Dans ce document, le « Summis desiderantes affectibus », le pape de l'époque, Innocent VII, énumère les crimes liés à la sorcellerie. Déjà au XVè siècle, ce texte attribue les dégâts sur les récoltes et les meutres aux sorciers (éres). (THACKER, 2011 : 36,37,38)

467 Textes anciens en rapport avec la description du sabbat des sorciers et des sorcières.

468 PARAVICINI BAGLIANI Agostino, Martine OSTORERO. « La genèse du sabbat. Autour de l'édition critique des textes les plus anciens ». Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 144? année, N. 1, 2000. p.74.

469 PARAVICINI BAGLIANI Agostino, Martine OSTORERO, Loc cit., p. 73.

470 Cette allusion est très claire à la lecture d'un passage tiré de la lettre anonyme à propos des ravages de la Bête. Les activités de cette dernière y sont directement assimilées à la sorcellerie. « (...) je crois que ce sont des sorciers qui fourmillent dans le monde. Pourquoi tant de dérangements de saisons, tant de neiges( ...)». Lettre anonyme datée du 27 juillet 1766. Archives départementales du Puy-de-Dôme, cote 1740.

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est donc clair que la figure de la Bête du Gévaudan se trouve au centre d'un processus d'assimilation.

En effet, si l'on se réfère à deux études 471 qui ont été faites sur la sorcellerie, on peut constater que l'assimilation d'individus, d'êtres étranges ou de groupes sociaux aux sorcier(e)s et autres cohortes diaboliques, est une idée récurrente au cours de l'histoire. Au contact d'un traumatisme ou d'un danger immédiat, les communautés majoritaires recherchent une victime expiatoire et tendent à marginaliser un groupe ou une entité. Le sorcier, qui selon la légende se rend au sabbat à tire-d'aile après s'être métamorphosé 472 en animal, ou se meut sur le dos d'une bête pour tramer des plans diaboliques en réunion avec d'autres créatures infernales, représente un ennemi. Malvenue dans la société des hommes, son image s'est souvent propagée aux groupes minoritaires et exposés. Par exemple, en France, vers 1321, on accuse les lépreux d'empoisonner l'eau des fleuves, ceci en relation à la participation supposée au Sabbat. L'accusation inclut d'ailleurs immédiatement les Juifs qui eux sont soupçonnés d'avoir participé à ces crimes 473. Ainsi, des siècles après l'Inquisition et les bûchers, la Bête du Gévaudan qui n'est dans le témoignage anonyme et dans celui rapporté par le porte-arquebuse du roi que la victime d'une assimilation au (à la) sorcier(e) montre bien l'importance du fait religieux. Comme l'écrit Saint-Augustin, les sorcièr(e)s et leurs transformations ne peuvent relever que de deux éléments distincts, l'irréalité et le diabolique. La Bête, qui elle-même ferait partie d'une espèce honnie, le loup 474, dont « les yeux brillent comme des bougies » 475 et qui « sont des oeuvres du diable » 476 n'est selon moi que la victime de la conjonction d'une idéologie dominante, celle de l'Eglise de Saint-Augustin et d'un imaginaire intégré, celui de la superstition.

La création de l'objet de la croyance en la sorcière semble ici se rapprocher des théories de Meurger. En effet, l'échec des battues organisées en vue de l'éradication de la Bête a pu être à la base de la « réactivation de croyances locales » 477 et doter ces dernières d'une « valeur interprétative » 478.

471 PARAVICINI BAGLIANI Agostino, OSTORERO Martine, Loc cit. - HARF-LANCNER, Loc cit.,

472 Ce détail fait de lui un être d'autant plus détestable car cette croyance est réfutée par Saint-Augustin et le place de ce fait du côté des êtres malfaisants.

473 (TAGUIEFF, 2008 : 328).

474 Cet avis sur le genre présumé de la bête du Gévaudan, est à l'époque partagé par un grand nombre de personnes

475 Citation tirée du bestiaire médiéval de Pierre de Beauvais. Citée et traduite de la page internet dédiée au sujet : «The medieval bestiary, animals in the middle age». Version anglaise : « The shining of the wolf's eyes in the night is like the work of the devil, which seem beautiful to foolish men ». Pour accéder à une information plus complète, se référer à la bibliographie.

476 Ibidem

477 MEURGER Michel. Loc. cit., p. 179.

478 Ibidem

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2. Le loup-garou

Abondemment relayée par la presse, la figure du loup-garou provoque, nous l'avons vu au cours de la première partie de cette étude, l'effroi dans les campagnes françaises du XVIIIè siècle. Cette créature revient plusieurs fois à la lecture des documents relatifs à notre histoire et le témoignage qui suit est, car il fait référence à deux acceptions différentes de l'homme-loup, à mon sens le plus propice à nous renseigner sur l'origine de cette croyance

2a. Un témoignage aux références multiples

Dans la retranscription de l'abbé Pourcher, il est écrit que, le 27 juin 1765, Pailleyre dit Bégou de Pontajou, un paysan local, aurait du pas de la porte de sa demeure été le témoin d'une scène épouvantable. En voici la teneur narrée par Pourcher : « lorsqu'il fut sorti à la porte de sa maison, il479 reconnut que c'était bien la lune qui éclairait (...) l'homme de la rivière s'apercevant qu'il480 était vu, d'un bond sortit de l'eau et fut changé en Bête »481.

Ce témoignage est très intéressant car nous sommes là de façon très claire en présence de la description d'une métamorphose d'un homme en bête. Bien que la référence à l'homme-loup ne soit pas explicite, deux éléments tendent à confirmer cette hypothèse. En effet, nous pouvons déjà remarquer la présence de la lune lors de la métamorphose. Etabli pour la première fois par Gervais de Tilbury, un écrivain et un homme politique du Moyen Âge, le rapport entre les métamorphoses de l'homme en loup et la pleine lune est décrit dans Otia Imperialia 482 dont le titre se traduit par : « Les Divertissements pour un empereur ». Dans cet ouvrage du XIIIè siècle, il est même précisé que des métamorphoses prennent place en Auvergne 483. Durant le XIIIè siècle, l'homme-loup, qui est connu sous le nom de « leu garoul » 484, est considéré comme une créature démoniaque douée de la capacité de se transformer à volonté et son existence est acceptée par le plus grand nombre.

479 Le sujet (il) fait référence à l'observateur de la scène, Pailleyre dit Bégou de Pontajou.

480 Le deuxième sujet (il) décrit l'homme qui se transforme.

481 BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.130.

482 Cet ouvrage était, un peu comme dans une encyclopédie ou comme dans un dictionnaire, supposé rassembler les connaissances du moment. (CROUZET, 1963).

483Citation : « Je sais seulement que chez nous il arrive journellement, dans le cours des destinées humaines, que certains, aux changements de lune, se transforment en loups. Nous savons en effet qu'en Auvergne, dans l'évêché de Clermont, le noble sire Pont de Capitoul avait dépouillé de ses biens Raimbaud de Pinet, un soldat très exercé au maniement des armes. Celui-ci, devenu errant et fugitif sur la terre , parcourait seul, comme une bête sauvage, les endroits écartés et boisés ». Extrait tiré d'une page internet dédiée à l'étude des légendes et des mythes ( arcanum.com) . Se référer à la bibliographie pour obtenir des informations plus précises sur cette page.

484 Le terme « leu garoul » voit le jour en France au XIIIè siècle. Cette expression vient de « garwall » mot dont l'origine vient du latin « gerul phus » terme lui-même dérivé du francique « wari-wulf ». La signification originale de « wari-wulf » est « homme-loup », d'où la confusion avec le lycanthrope dont le sens (homme loup) est le même mais qui fait référence à autre chose. (MARILLIER, 1997 : 83)

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Par exemple, Sigsimond, un prince attaché à la maison du Luxembourg qui vécut au XIIIè siècle, sans doute effrayé par l'idée d'une telle abomination, questionne à l'époque les théologiens. La réponse de ces érudits est sans appel : « on devrait croire à leur existence et il y aurait hérésie à ne pas y croire » 485.

Fort de ces observations, il est je pense possible de voir entre la retranscription du témoignage de Pailleyre dit Bégou de Pontajou et l'histoire des croyances exposée ci-dessus une relation assez claire. En effet, et cela tout comme au XIIIè siècle, la transformation d'un homme en une Bête dans le Gévaudan du XVIIIè siècle est mise en rapport avec la présence de la lune. De plus, si l'on s'attache à la lecture attentive de faits consignés dans la même retranscription on peut se rendre compte que Pailleyre dit Bégou de Pontajou eut une « frayeur (...) si grande qu'il faillit ne pas en revenir » 486, ce qui pourrait vouloir dire que ce dernier ait été influencé par les peurs du Moyen Âge et donc par la figure du « leu garoul »

Ensuite, il semble bien que la retranscription du témoignage de Pailleyre dit Bégou de Pontajou fasse écho à une réalité encore plus ancienne. En effet, vers 400 avant Jésus-Christ, Hérodote mentionne un rituel attaché à la transformation d'hommes en loup en Scythie, une province de la Grèce antique située au nord de la Mer Noire. Faisant référence au mythe grec de la lycanthropie, ce rituel nous ramène à l'Antiquité et à Lycaon, fils de Prônée et roi d'Arcadie. Ayant élevé un temple où des sacrifices humains étaient pratiqués en faveur de Zeus, Lycaon fut honoré de la visite de celui-ci. En guise de bienvenue, Lycaon l'invita à se mettre à table et lui servit de la chair humaine. La colère de Zeus fut terrible et le roi d'Arcadie fut changé en loup. Il devint par la même occasion le premier lycanthrope. La possibilité pour lui de recouvrer la forme humaine était, tout comme dans le rituel décrit 487 par Hérodote, liée au franchissement d'une étendue d'eau.

Comme nous l'avons lu dans les lignes qui précédent, dans la mythologie grecque le lycanthrope doit accomplir un rite de passage pour passer d'une forme à une autre. Pour ce faire, il doit traverser un lac ou une rivière. Le fait que l'homme de la rivière décrit dans la retranscription du témoignage de Pailleyre dit Bégou de Pontajou soit changé en bête en quittant l'élément liquide

485 BOSC Ernest, Glossaire raisonné de la divination, de la magie et de l'occultisme, 1909, Ligaran. p.22.

486 BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.130.

487 Ce rituel incluait un ensemble de rites de passage où les participants figuraient la résurrection en revêtant un masque ou une peau de loup. Aussi, le franchissement d'un fleuve et la consommation de viande se pratiquaient dans le contexte d'un cérémonial où la nudité des participants ajoutait encore au caractère bestial de l'ensemble. Ces célébrations étaient périodiques et se reproduisaient annuellement ou tous les neuf ans. On pense aujourd'hui que ces coutumes sont à rattacher au fait que les lycanthropes étaient des prêtres ou une confrérie qui se vouait au culte de « Zeus lycaos » dont la traduction est « Dieu loup ». (MARILLIER, 1997 : 80)

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semble indiquer que nous soyons en présence d'un changement d'état induit par une « eau des transformation ». Ainsi, cette retranscription est doublement interessante car elle fait selon moi référence à deux croyances éloignées de plusieurs millénaires. La première et cela du fait de la présence de la lune la lie à une acception de l'homme-loup qui nous vient du Moyen Âge, celle du « leu garoul ». La seconde la rattache du fait de la symbolique de l'eau au mythe du lycanthrope grec.

Du point de vue de l'élaboration de l'objet de l'homme-loup à l'époque de la Bête du Gévaudan, il me semble clair que nous pouvons invoquer la présence de «cycles narratifs unifiés par la croyance » 488 antérieurs au témoignage de Pailleyre dit Bégou de Pontajou. Aussi, il ne faut pas oublier le rôle de la presse qui, en plus de multiplier l'impression d'icônes pour le moins fantaisistes, s'est focalisée sur la création d'une « topographie » de la Bête du Gévaudan. En effet, le rappel continuel des itinéraires de l'animal et de ses ravages a très certainement participé à l'établissement de sa légende.

3. Le diable

Quiconque s'attelle à la lecture des archives et des documents consacrés à notre histoire peut remarquer que la Bête du Gévaudan est souvent associée à la figure du diable. De plus, l'étude des écrits consacrés à la Bête montre que l'animal partagerait un nombre important de traits de caractère avec celui-ci. Pour comprendre les origines de ces attributions, intéressons-nous maintenant aux bestiaires chrétiens et en particulier au « Physiologus » un bestiaire daté du IIè ou du IVè siècle.

Au Moyen Âge, la caractérisation des bêtes de la création est binaire et les attributs physiques de ces dernières sont utilisés afin de développer un discours moral et mystique. Par exemple, si l'on se réfère au Physiologus, on peut remarquer que le renard est hypocrite car il simule la mort pour dévorer les oiseaux : « le renard est très rusé. Quand il a faim et ne trouve rien à manger, il cherche un endroit où il y ait une terre rouge, et s'y étant roulé, il se couche sur le dos ; après quoi, retenant son souffle, il s'enfle ; les oiseaux, le croyant mort, descendent du ciel pour s'en repaître, mais il s'en saisit alors et les dévore » 489. Cette description est dans le même ouvrage suivie par un discours moralisateur qui assimile le renard au diable car sa technique de chasse est assimilée à la fourberie : «Il en est de même du diable, tricheur dans toutes ses oeuvres. Quiconque

488 MEURGER Michel. Loc. cit., p. 179.

489 CARMODY Francis J. « Le Diable des bestiaires », « Cahiers de l'Association internationale des études francaises », 1953, n°3-5. p.79.

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mangera de sa chair mourra ; ses oeuvres sont l'adultère, la fornication, la luxure, le vol et autres choses semblables » 490.

Si tous les animaux présents dans le « Physiologus » sont décrits et classifiés, c'est la description du loup qui pour nous est la plus signifiante. En effet, le loup, y est dépeint comme une créature repoussante où se fondent « les caractères de la hyène du singe et du renard » 491. Comme nous l'avons déjà noté au cours de ce travail, les symboliques du loup et de la hyène sont au Moyen Âge particulièrement chargées de sens et se rapportent très souvent au diable. Voyons maintenant la symbolique attachée au singe.

Le singe est, si l'on en croit le bestiaire médiéval et les histoires qui circulent à l'époque, victime d'une réputation pour la moins scabreuse. Camaldule 492, un savant qui côtoyait la cour pontificale au XIè siècle, rapporte que des rapports sexuels auraient eu lieu entre l'épouse du comte de Ligurie 493 et un singe apprivoisé. Le « physiologus », lui, l'assimile directement au Diable 494. Cette réputation sulfureuse lui vaut d'ailleurs d'être représenté enchaîné dans l'art roman car il est, dit-on, associé au péché ou muni d'un miroir ceci en relation à sa vanité.

On pourrait croire qu'un document dont l'origine remonte au Haut Moyen Âge n'ait aucune influence plus d'un millénaire après sa création. L'analyse des sources nous montre que cette assertion semble être fausse. En effet, la hyène, le singe et le renard sont présents dans les archives et comparés à la Bête du Gévaudan. Si l'on considère les lettres, les témoignages, les articles, les poèmes et les rapports en tous genres, on dénombre respectivement, 90, 14 et 19 occurrences de ces animaux dans les archives. L'évocation d'animaux associés au loup, lui-même considéré par Pierre de Beauvais comme un être maléfique et peu recommendable 495 est très intéressante car tous ces animaux nous ramènent à l'idée du mal et au discours moral et mystique du « Physiologus » ainsi qu'à d'autres histoires dont l'origine remonte au Moyen Âge. Comme nous allons le voir dans les

490 Ibidem

491 CARMODY, Loc cit., p.85.

492 Camaldule : Moine érémitique du XIé siecle, il devient Saint Romuald à sa mort en 1027. La date de sa naissance est inconnue (ALPHA, 1968).

493 Ligurie : région de l'Italie localisée dans le nord-ouest du pays. La capitale de cette province de la péninsule italienne est Gênes. (ALPHA, 1968).

494 « Au Moyen Âge (...) les auteurs de bestiaires et d'encyclopédies et les prédicateurs reprennent des anecdotes anciennes qu'ils recouvrent d'un vernis chrétien. (...). De nombreux bestiaires reprennent l'idée du singe diabolique ». GAUDRON Amandine, Le singe médiéval. Histoire d'un animal ambigu : savoirs, symboles et représentations, Paris, Sorbonne, 2014. (Thèse de doctorat)

495 Le loup aurait les « yeux qui brillent comme des bougies » et qui seraient «des oeuvres du diable ». Il est au Moyen Âge une créature redoutée et souvent apparentée au diable. Citation tirée du bestiaire médiéval de Pierre de Beauvais. Citée et traduite de la page internet dédiée au sujet : «The medieval bestiary, animals in the middle age». Pour accéder à une information plus complète, se référer à la bibliographie.

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lignes qui suivent, les « traits de caractères » supposés du singe, du renard et de la hyène sont aussi visibles dans certaines des retranscriptions des méfaits de la Bête du Gévaudan.

Le singe, dont les traits de caractère confinent entre autres à la luxure, trouve à travers les méfaits de la Bête du Gévaudan une possible illustration de sa nature perverse. En effet, les archives contiennent des commentaires qui impliquent une préférence de la bête pour le Beau sexe 496. Ces commentaires sont parfois assez explicites et font quelquefois directement référence au diable. Par exemple, dans deux extraits tirés respectivement du livre de l'abbé Pourcher et d'une lettre de Mr de la Barthe, on peut lire : « (...) Quand on vint pour ramasser les restes de cette malheureuse fille, on trouva que la couture du devant de sa robe avait été décousue, comme si une personne l'avait fait. » 497 ou « il 498 mange de fort belles filles, qu'à juger en diable, il gagnerait bien plus à tenter et à s'en servir pour tenter les hommes ». 499

Le renard, qui est dans le « physiologus » une bête rusée et fourbe voit lui aussi une illustration de sa nature supposée dans les archives. En effet, la Bête du Gévaudan utilise la ruse pour parvenir à ses fins . Elle se « couche ventre à terre et rampe » 500 et ne paraît alors « pas plus grande qu'un gros renard » 501. Du « mauvais goupil » 502 du « physiologus » à la « mauvaise bête » 503 du greffe de la Prévote Royale de Langeac, la comparaison est ici visible jusque dans la langue.

La hyène, elle, est une bête très particulière. Dans le bestiaire médiéval, elle est vue comme un chasseur redoutable qui dévore hommes et animaux 504. Elle est aussi supposée roder aux abords des villages à la recherche d'une proie facile. Créature considérée comme imaginaire 505, elle est de ce fait comprise dans la catégorie des hybrides. Tous ces éléments en font une créature comparable à la nature supposée de la Bête du Gévaudan. En effet, la Bête est elle aussi décrite comme une

496 Ceci peut s'expliquer par le fait que les filles et les jeunes filles étaient les plus faibles et donc les plus enclines à être attaquées. Cependant, les descriptions de Mr de la Barthe (robe décousue) et celle de la lettre de Marvejols (mise côte à côte de « forts belles filles » et de la « tentation des hommes ») semblent indiquer que dans certains témoignages, l'idée de la luxure est bien présente.

497 BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.606.

498 « Il » fait référence au monstre et par association à la Bête du Gévaudan

499 BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.275.

500 BONET, « Chronodoc », Loc cit., p.46.

501 Ibidem

502 CARMODY, Loc cit., p.83.

503 Archives de la Haute-Loire 180-B-62. « minutes du greffe de la Prévôté Royale de Langeac ».

504 PASTOUREAU Michel, Gaston SUCHEAUX, Op.cit, p. 79.

505 Les animaux imaginaires des bestiaires médiévaux sont pour la plupart des hybrides. L'Hippogriffe y cotoie le Griffon et la Licorne.

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sorte d'hybride 506. Tout comme la hyène, la Bête est un redoutable chasseur qui dévore les hommes ou les animaux, et qui rode près des maisons et des villages 507.

Comme nous avons pu nous en rendre compte, le loup, qui par les animaux auxquels il est associé dans les bestiaires médiévaux devient l'expression personnifiée des péchés des hommes, trouve une illustration de sa nature supposée dans les méfaits de la Bête. Maligne, peut-être même tentée par le beau sexe, la Bête du Gévaudan est associée au diable car elle en devient l'incarnation naturelle. Enfin, son hybridation supposée en fait un être transgressif car elle sort de la norme augustinienne qui refuse l'idée d'un changement de la nature des choses et altère de ce fait l'oeuvre de Dieu.

La création de l'objet du diable est ici selon moi fondée sur le modèle traditionnel de l'imaginaire du loup en tant que tel. En effet, comme l'écrit Pierre de Beauvais au XIIIè siècle, le loup n'est pas une créature fréquentable, «ses yeux brillent comme des bougies ; ce sont des oeuvres du diable, qui sont belles et plaisantes pour les fols gens, et pour ceux qui sont aveugles de coeur» 508. Doté de tels antécédents l'assimilation du loup au diable paraît bien naturelle.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci