ÉTABLISSEMENT RECONNU PAR L'ÉTAT -
DIPLÔME VISÉ PAR L'ÉTAT
Groupe INSEEC
N° d'ordre : 2016 - 195 Promotion 2016
Mémoire de recherche
Présenté devant l'École de Commerce
Européenne Pour l'obtention du
Diplôme BBA INSSEC
ÉCOLE DE COMMERCE EUROPÉENNE
Par
Ambre SACLIER
« Comment notre héritage culturel et historique
influence-t-il encore notre monde actuel ? A travers l'exemple du Luxe en
France »
Soutenu en juin 2016
1
« Comment en effet mieux réchauffer les coeurs
et les rassurer qu'avec cette preuve qu'on peut changer, mûrir, vieillir,
tout en s'améliorant. »
Comité Colbert
2
REMERCIEMENTS
Je tenais à présenter mes remerciements tout
d'abord à l'ensemble du corps enseignant du BBA INSEEC qui m'a
donné l'opportunité de suivre un cursus passionnant, dans lequel
je me suis épanouie depuis maintenant quatre ans. Aux portes du monde du
travail, je réalise aujourd'hui combien vous m'avez apporté et
à quel point mon esprit a mûri. Grâce à vous, je
m'envole vers de nouveaux horizons pleine d'espoir et de bon sens.
Mes pensées vont tout particulièrement à
ma Directrice de Mémoire, Mme Niki PAPADOPOULOU, qui a porté avec
moi ce projet du début jusqu'à sa finalisation. Cette
étude n'aurait pas pu être menée à bien sans votre
soutien et vos précieux conseils.
J'adresse également mes remerciements à toutes
les personnes que j'ai sollicitées durant la réalisation de mon
mémoire : Mme Alice CAMUS, Mme Carenne ANDRE, Mr Mathieu DA VINHA, Mme
Gloria RUSSO, Mr Yves BOREL, Mme Aurélie FOURTEAU, Mr Xavier LE PERSON,
Mme Alice VANDERWALLE et Mr Martin GERLIER. Vous m'avez apporté un grand
appui et une précieuse clairvoyance à chaque étape de ce
projet. Avoir eu votre regard sur ma problématique a été
d'une grande valeur.
Enfin plus généralement, j'associe mes
remerciements à tous ceux qui ont cru en mon sujet de mémoire et
qui m'ont communiqué leur enthousiasme. C'est au contact de personnes de
valeur que j'ai réussi à construire ce voyage dans le luxe et
l'art de vivre. Une part de chacun de vous se retrouve dans les lignes qui vont
suivre.
A vous tous, merci.
3
Table des figures4 Introduction5
Partie 1 : Qu'est-ce que le luxe ?
Chapitre 1 : Tentative de définition
I. Généralités et
étymologie7
II. Les différentes perceptions du
luxe11 Chapitre 2 : Brève Histoire du luxe en
France13 Chapitre 3 : Les secteurs clés de la
France
I. La Gastronomie 16
II. Les Vins et Champagnes19
III. La Haute Couture21
IV. L'hôtellerie : Palaces et sens du
service23 Chapitre 4 : Le régime du bon
goût26
Méthodologie30 Formulation d'une
hypothèse31 Partie 2 : Le luxe à la française : tout un
concept
Chapitre 5 : Focus sur Louis XIV, ou la naissance de
valeurs fondamentales33
Chapitre 6 : Le Bon Marché, l'apparition des Grands
Magasins 40 Chapitre 7 : Les Grandes Marques,
créatrices de mythes44 Chapitre 8 : Le luxe,
huitième art ?48
Partie 3 : L'importance des origines aujourd'hui
Chapitre 9 : Le retour sur soi des marques, un argument de
vente pertinent 52
Chapitre 10 : Comment les marques jouent elles avec les
émotions ?57 Chapitre 11 : Le cercle vertueux de
la démocratisation62 Chapitre 12 : Le luxe
français va-t-il réussir à atteindre ses ambitions
futures sans pour autant mettre en danger sa culture et son
identité ?66
Conclusion71 Bibliographie & Sitographie73
Annexes76
4
TABLE DES FIGURES
Figure 1 : La hiérarchie des
besoins selon la pyramide de Maslow9 Figure 2 : Gravure
tirée du Mercure Galant de l'année 167829
Figure 3 : Gravure de l'intérieur du Bon
Marché43 Figure 4 : Le Château de la Colle
Noire, le 09 mai 201661
5
INTRODUCTION
L'Histoire avec un grand H est bien plus riche que toutes les
histoires que nous puissions inventer. Ce constat m'a toujours fascinée.
Aussi, j'ai toujours été intimement convaincue que nombre
d'interrogations du présent, voire du futur trouvent leurs
réponses dans le passé. C'est alors tout naturellement que mon
sujet de mémoire porte sur notre héritage culturel.
Captivée par l'authentique et le beau, j'ai
décidé d'explorer le secteur du luxe, au sens large.
L'idée m'est venue lorsque j'ai découvert de plus en plus de
publicités autour du luxe qui valorisaient les origines. Plusieurs
éléments m'ont par la suite confortée dans mon choix,
donnant de la pertinence à mon mémoire.
Ma réflexion s'est portée sur le luxe à
la française. Plus précisément, le sujet est question ici
de l'art de vivre français, pour y dégager une vision plus
culturelle et plus orientée qu'un sujet concentré uniquement sur
les marques de luxe françaises. Ce périmètre
géographique restreint est un choix personnel, découlant de
l'idée que le luxe français constitue déjà en soit
un sujet dense, riche de son histoire et de son patrimoine.
Ces différentes réflexions préalables
m'ont permis de dégager un sujet d'étude précis : En quoi
notre héritage culturel et historique influence-t-il encore notre monde
actuel ? À travers l'univers du luxe en France.
Dans une première partie, la synthèse de
littérature vise à cerner ce qu'est précisément le
luxe. Après avoir constaté que les avis des écrivains
comme l'étymologie semblent laisser penser que le luxe ne serait pas le
même selon le regard qu'on lui porte, une analyse des différentes
perceptions dégagera les principales caractéristiques du concept.
Il s'en suivra une brève chronologie du luxe en France, puis l'analyse
historique des secteurs clés qui font en partie la renommée de la
France sur le plan international : la Gastronomie, les Vins et Champagnes, la
Haute Couture et l'Hôtellerie.
6
Ensuite, l'étude se penchera sur le régime du
bon goût, ou comment le style français s'est
imprégné de toutes les différentes couches sociales, de
façon volontaire ou inconsciente.
Une fois le sujet bien défini, mes recherches se
poursuivront à l'aide de différents moyens qui seront
expliqués dans la méthodologie. Une hypothèse sera alors
formulée pour développer mes idées.
Puis la deuxième partie de cette étude a pour
vocation de valider cette hypothèse. Pour ce faire, je m'appuierais sur
l'étude approfondie d'une période, le règne de Louis XIV,
puisque plusieurs éléments pertinents de réponse à
ma problématique sembleraient trouver leurs racines à cette
époque. De même, deux innovations, les Grands Magasins et les
Grandes Marques seront à leur tour étudiées, parce
qu'elles aussi décèlent des éléments, semble-t-il,
qui confirment ma position. Pour finir, une mise en lumière des
similitudes entre le luxe et l'art s'impose.
Enfin, la troisième partie soulignera l'importance de
nos origines. Les éléments de réponses abordés
précédemment d'un point de vue historique seront
transposés au monde actuel. Il s'agira de démontrer en quoi
l'empreinte du passé constitue un argument de vente pertinent pour les
marques en présentant pourquoi ce retour à leur essence est
important et comment elles le cultivent. Ces deux chapitres achèveront
le tracé du cercle vertueux de la démocratisation du luxe qui
sévit depuis des années. Pour conclure, des recommandations
seront formulées afin d'éviter la banalisation de l'image de
l'art de vivre à la française : l'esprit de création doit
demeurer.
Un bel hier opposé au vil aujourd'hui, le refrain n'est
pas nouveau. Il est usuel d'utiliser un passé enchanté qui
viendrait adoucir un présent sans charme ni inspiration. Le
«c'était mieux avant», sous son aspect faussement
passéiste, trouve une résonnance tout particulière ici,
faisant écho au luxe à la française où passé
et présent se mêlent.
7
PARTIE 1 : Qu'est-ce que le luxe ?
Donner au luxe une seule définition serait
réducteur. Il ne s'agit pas que d'un simple mot avec une
définition précise, figée. Tout le concept va bien
au-delà, parce que le luxe est un domaine si vaste que chacun le voit de
sa propre façon, en résonnance avec ses perceptions, ses
préférences et ses émotions. La notion est
complètement subjective et propre à chacun. Preuve que même
en terme d'explication, le luxe est insaisissable. C'est une conception
à part, qui laisse le choix de l'interprétation : chacun doit y
trouver sa définition.
CHAPITRE 1 : Tentative de définition
I. Généralités et étymologie
Selon Jean Castarède1, la complexité
ne s'arrête pas à mettre des mots exacts sur ce qu'est le luxe,
elle remonte avant tout à son étymologie. Bien que cette source
soit contestée, il semblerait que le mot dérive du latin lux
qui signifie «lumière, gloire». Cette racine
suggère donc que l'aura joue un grand rôle dans l'analyse et la
compréhension du concept. En effet, si le luxe est à la fois ce
qui rayonne et ce qui éblouit, le surnom que choisit d'adopter Louis XIV
prend alors tout son sens : Le Roi Soleil. En témoigne aussi la
manière dont la France s'enorgueillit toujours de ce luxe qu'elle
exporte.
Sinon, le mot «luxe» tel que nous le connaissons
pourrait aussi venir d'un autre mot latin, luxus,
référant quant à lui à l'excès, au faste,
mais toujours avec une référence à la somptuosité.
Cette étymologie désigne alors ce mode de vie dispendieux
adopté par les riches et célèbres par goût du
plaisir et de la monstration.
Le luxe, si on mélange les deux origines, pourrait
alors signifier une surabondance de somptuosités qui éblouit. La
définition se tient.
1 Jean CASTAREDE, Que sais-je : Le Luxe, Paris,
Édition PUF, 2010, p.3
8
D'ailleurs, le luxe a toujours divisé les esprits des
Français en deux camps irréductiblement hostiles. D'un
côté, il rappelle à certains l'époque des
privilèges et met à mal l'idéal démocratique des
républicains. De l'autre, il signifie pour ses partisans le
réveil de la partie élitaire en chacun de nous qui aspire au
beau. De plus, il s'acquiert et s'entretient par de grandes dépenses, ce
qui lui vaut d'être tantôt vanté, tantôt
critiqué.
L'infinie querelle entre les deux philosophe Voltaire et
Rousseau illustre bien cette division. Cette querelle est même
personnifiée par une pendule exposée au Musée Carnavalet.
D'un côté, Voltaire est un fervent défenseur du luxe parce
qu'il le considère comme un moteur essentiel à l'économie.
Il définit même le superflu comme « une chose très
nécessaire»2. Il pense que le luxe a trop souvent une
connotation négative. Au contraire, Jean Jacques Rousseau y voit un
principe d'exploitation du petit peuple et un ressort de toutes les
décadences qui fracture la société. Ainsi, il est
incompatible avec le bonheur. Le luxe est par conséquent perçu
comme un moyen de paraître et non d'être, portant ainsi atteinte
à la virtus (en latin : vertu ; volonté qui habilite
l'homme à agir bien). Selon lui, le luxe n'est qu'un étalage de
richesse, une dépense de prestige obligatoire des plus riches, pour
affirmer sa hiérarchie dans la société et se
différencier du commun des mortels. En quelques mots, le luxe est fait
pour être contemplé et susciter les regards envieux de ceux qui
n'y ont pas accès.
En effet, toujours de nos jours, le luxe repose sur un
principe d'ouverture/fermeture, une volonté de notoriété
universelle mais avec un accès restreint : tout le monde doit
connaître le luxe mais peu peuvent y accéder afin de conserver
l'exclusivité. C'est à ce stade que se situe la
spécificité du secteur.
Dans la pyramide des besoins du psychologue Abraham
Maslow3, les besoins primaires (l'avoir) se distinguent des besoins
secondaires (l'être). Cette séparation
2 VOLTAIRE, poème Le Mondain, 1736
3 Dans l'article, A Theory of Human Motivation, dans la
revue Psychological Review n°50, 1943, p.370-396
9
permet de situer les besoins du consommateur et de comprendre
à quel moment le luxe entre en jeu.
Les besoins primaires symbolisent les produits de
première nécessité comme l'alimentation, l'habillement, ou
encore le besoin de rassurer en achetant des marques (respectivement besoins
psychologiques et besoins de sécurité, les deux premiers
piliers).
Ensuite, la troisième catégorie concerne les
besoins d'appartenance et de relations. Cela peut se traduire par la
volonté d'adhérer à un club et de se sentir
accepté, d'être bien dans sa peau.
Puis, le quatrième palier est celui du besoin
d`être reconnu. Ce besoin repose sur l'estime de soi et d'autrui, le
pouvoir et le bonheur. C'est à ce moment-là que le luxe entre en
scène en proposant des produits de prestige qui résonnent dans
l'imaginaire collectif et valorisent ainsi le possesseur aux yeux de tous.
Enfin, le dernier palier représente
l'épanouissement de soi et de la réalisation de soi. L'homme
achète une personnalité, un style particulier qui lui parle. Le
but n'est plus la reconnaissance, mais la volonté d'accéder
à des produits rarissimes accessibles seulement à une partie de
privilégiés, ou profiter d'expériences uniques en leur
genre.
10
L'approche de Maslow est d'autant plus intéressante que
le luxe en lui-même a un côté très subjectif, et donc
forcément psychologique. Le luxe trouve sa réelle
définition dans les expériences de vie de chacun, leur
façon de voir les choses, et le moyen de satisfaire leurs besoins. Le
luxe est le beau que chacun met dans sa vie, à sans façon, comme
une valeur personnelle qui régalerait les seules narines que celui qui
en jouit. D'ailleurs, Kapferer le souligne : «Le luxe n'est pas qu'un
simple vocable, une pure création sémantique, mais un vrai
concept sociologique et psychologique». 4 Difficile donc
de poser les contours d'un concept assez abstrait, qui n'a lui-même pas
de limites puisqu'il trouve une part de vérité différente
chez chacun de nous.
Si le luxe doit exprimer quelque chose d'unique, alors les
secteurs qui viennent alors immédiatement à l'esprit sont ceux de
la Haute Joaillerie, de l'Automobile ou encore de la Haute Couture. C'est le
premier cercle du luxe selon Jean Castarède5, celui du
patrimoine. Mais, ce champ restreint peut s'étendre à deux autres
cercles du luxe : celui de l'image est celui du mieux-être. Le luxe est
devenu est vrai style de vie, les codes ont changé.
Certes, le luxe dépasse l'indispensable, et
représente tout ce qui est considéré comme superflu et
inutile. Mais le sa nature peut aussi signifier la splendeur et le raffinement
dans l'art de vivre dans son ensemble : le luxe ne se cantonne pas à du
matériel, l'expérience doit se retrouver jusque dans ses plus
petites actions. Le luxe est partout, puisqu'il est intégré
complètement dans la façon de vivre, mais à
différents niveaux. Le luxe suprême est accessible à tous
mais élitiste car peu savent le décrypter. C'est pourquoi cette
étude s'étend à tous les domaines considérés
comme luxueux : l'art, les Palaces, la Grande Cuisine, les Vins, ou plus
étonnant encore, le style de vie.
4 KAPFERER Jean Noël et BASTIEN Vincent, Luxe Oblige
/ On Luxury, 2ème Édition, Paris, Éditions Eyrolles,
2012
5 CASTARÈDE Jean, Le Luxe, Paris, PUF, 1992,
p.63-64
11
II. Les différentes perceptions du luxe
Il paraît compliqué et peu pertinent
d'énumérer toutes les dimensions que le mot luxe peut
suggérer. Une mise en perspective des différentes perceptions de
luxe (par le temps et par l'espace) met en lumière les aspects
fondamentaux d'un produit dit de luxe et d'en dégager les principales
caractéristiques.
l Perceptions dans le temps
Il faut comprendre que dans les années 1920-1930, les
ménages ayant un réfrigérateur «se sentaient
membres d'une aristocratie technologique»6. Maintenant,
c'est d'une banalité absolue. Pareillement, le luxe en 1950 pouvait
signifier la télévision couleur, alors qu'il faut
dorénavant avoir un modèle en réalité
augmentée. Autant en 2200, le luxe pourra peut-être rimer avec la
jeunesse éternelle ou les voyages dans l'espace. Cela suggère que
le luxe serait une question de prix et d'innovation.
Durant le XVIème siècle en France, le sucre
était considéré comme un produit de luxe, qui
répondait aux besoins des grands pâtissiers de l'époque.
Avec la découverte du jus de betterave au début du XIXème
siècle, le sucre perdit immédiatement toute sa dimension
exclusive et se popularisa jusqu'à en devenir le produit de consommation
insignifiant que l'on connaît7. De même, le saumon
fumé et le foie gras étaient autrefois considérés
comme des produits de luxe puisque accessibles seulement à une
élite. Dorénavant, les produits sont vendus en grandes surfaces,
de qualités très variables et à tous les prix. Certains
sont certes encore des produits de grande qualité,
élaborés dans les règles de l'art, mais ils ne peuvent
plus être appelés des produits de luxe. Au contraire, des produits
comme le caviar restent exceptionnels parce qu'ils ne sont pas accessibles de
partout, ou alors dans des points de ventes bien spécifiques. Cela
suggère que le luxe est une question de rareté et
d'unicité.
6 CATRY Bernard, Le luxe peut être cher, mais
est-il toujours rare ?, Revue Française de Gestion N°171,
Février 2007, p. 52
7 Ibid, p.51
12
Pierre Cardin était auparavant connu pour ses robes
confectionnées par des couturières dans les ateliers parisiens.
Mais son image de marque a été fragilisée par son recours
à de nombreuses licences dans les années 1980-1990. Le
créateur a fait le choix de se démocratiser pour pouvoir toucher
une clientèle plus ample et faire grandir son chiffre d'affaires. Mais
la stratégie choisie n'a pas été la bonne. Ses
collaborations avec des enseignes comme Carrefour ont sérieusement mis
en péril sa crédibilité. La plupart des adeptes rattache
le luxe à une tradition et à un savoir-faire, souvent artisanal
et fait-main. La temporalité joue un rôle important, se traduisant
par des références culturelles. Cela suggère que le luxe
est une question d'authentification d'un savoir-faire particulier et donc
d'excellence.
Dans les années 80, porter un sac Vuitton était
presque considéré comme vulgaire. Maintenant, la marque a
retrouvé son pouvoir d'attraction et de brillance sur les masses. Cela
suggère que le luxe est une question d'émerveillement et de
classe.
l Perceptions par l'espace
Pour un habitant de Jakarta, le luxe peut signifier avoir un
air pur sans pollution. En Europe, ce serait avoir une Bugatti Veyron. Cela
suggère que le luxe définit un mode de vie sans contraintes et
sans tensions.
Le luxe d'aujourd'hui n'est pas celui d'hier et certainement
pas celui de demain : il peut refléter des réalités
différentes. De nombreux produits autrefois considérés
comme luxueux sont devenus des produits de masse. Aussi, les perceptions
peuvent évoluer suivant l'espace, et les classes sociales. Le luxe d'une
famille rentière (luxe d'exception) ne sera pas le même que celui
d'une famille modeste (luxe de consommation). Le luxe est ainsi relatif aux
expériences personnelles et émotionnelles de chaque individu.
Pour finir, le luxe est également une question de moralité, voire
d'éducation. Le luxe, au-delà de l'aspect matériel, peut
alors devenir une attitude, un véritable mode de vie.
13
CHAPITRE 2 : Brève Histoire du Luxe en
France
Il convient de remonter le temps ensemble, de poser quelques
jalons historiques pour observer le luxe d'hier. Il s'agit de comprendre
pourquoi et comment il est né ainsi que ses évolutions à
travers le temps, pour mieux déchiffrer les codes du luxe de demain. Je
pense que chaque chose trouve son explication par son histoire, les faits qui
l'ont construit et l'ont tant modifié.
Notre épopée commence vers la fin de la
Préhistoire. Aux alentours des Eyzies, un petit village de Dordogne, les
archéologues ont retrouvé des objets qui s'apparentent à
des accessoires de luxe, et plus particulièrement à des
parures.8 En effet, l'or a été découvert en
-5000 av JC, puis l'argent en -3000 av JC. Il paraît donc probable que
les civilisations antérieures aient trouvé une utilité
à ces métaux. La conclusion est assez aisée : la notion de
luxe remonte à la nuit des temps, puisque détenir et utiliser des
produits d'exception a toujours permis de montrer sa classe sociale. Ainsi, des
inégalités de richesses existaient déjà à la
période la plus rudimentaire que la France ait connu.
En 808, Charlemagne prône le luxe utile et chasse le
l'ostentation de la cour, avec une ordonnance qui interdisait d'acheter des
vêtements au-dessus d'un certain prix. Cette ordonnance avait pour but de
contenir le train de vie des nobles. C'est aussi le premier à faire de
la cuisine un art, avec une réelle attention à la vaisselle et au
décor des banquets.
En 1229, l'enrichissement des bourgeois énerve Louis
VIII, le Roi Coeur de Lion. Pour lui, porter de bijoux et habits
précieux devait rester un privilège réservé
à la haute noblesse. Pour contrer cette démocratisation, des lois
somptuaires sont appliquées pour réglementer le port des riches
vêtements.9
8 CASTARÈDE Jean, Histoire du Luxe en France, des
origines à nos jours, Paris, Éditions Eyrolles, 2006,
p.15-16
9 Ibid, p.90
14
A la sortie du Moyen Age, la Renaissance Française,
menée par François Ier, apporte son lot de
distractions et le luxe de maintenant commence à éclore,
notamment avec les artistes qui entouraient le Roi. Le XVIIe siècle
marque clairement l'avènement du luxe à la française, de
l'élégance et du raffinement, avec pour exemple le lancement des
chantiers de Chambord, l'ancêtre de Versailles.
Là encore, des édits somptuaires sont
promulgués, dans le but non seulement de limiter l'importation de belles
matières étrangères, mais aussi pour creuser toujours plus
l'écart vestimentaire entre bourgeois et aristocrates. Or, les
édits somptuaires n'étaient pas souvent respectés par les
bourgeois, qui préféraient payer les amendes plutôt que de
renoncer à leur rêve d'élévation sociale. Voltaire
le souligne d'une manière très juste : « L'histoire a
prouvé que toutes les lois somptuaires des anciens et des modernes ont
été partout, après un temps très-court, abolies,
éludées ou négligées : la vanité inventera
toujours plus de manières de se distinguer que les lois somptuaires n'en
pourront défendre. »10
Louis XIV reprendra le flambeau de François
Ier et accélèrera le processus en le poussant à
son paroxysme. Il fonde en 1667 La Manufacture royale des Gobelins où
son décorateur en chef, Charles Le Brun dirige une multitude
d'orfèvres, ébénistes et autres talentueux
artisans.11 Toutes les manufactures royales créées par
Le Roi et son ministre Colbert jettent les fondements du luxe dit
«industriel». Mais, la Révocation de l'édit de Nantes
en 1685 fait fuir à l'étranger de nombreux artisans (notamment
les minorités protestantes), portant un sérieux coup au
développement du luxe français et privant notre pays de
précieux talents, que Louis XIV avait pourtant fait venir pour former
les artisans français. Ce fut une des plus sérieuses erreurs du
Roi Soleil dans sa volonté de faire de la France la reine du luxe.
Au XVIIIème, le luxe est au beau milieu de toutes les
controverses philosophiques, religieuses, économiques et morales. Paris
est alors devenue la capitale de la mode, et les dépenses vestimentaires
ont doublé, aussi bien chez les nobles que chez les classes
inférieures. Le luxe, inégalitaire par essence, commence à
être
10 VOLTAIRE, OEuvres complètes, Volume 1, Paris,
Imprimeries de Fain, 1817, p.602
11 RIVAL Pierre et BAUDOT François Métiers
Choisis, Les secrets du savoir-faire pour le Comité Colbert,
Flammarion, Paris, 1995
15
critiqué. Mais, ce siècle de jouissances va
curieusement le hisser au statut d'art de vivre. La monarchie continue
d'encourager le savoir-faire français. En 1764 la marque Baccarat est
créée, sur autorisation du Roi Louis XV, qui veut
développer l'art de la porcelaine. Plus tard, Napoléon
1er et Napoléon III permettront eux aussi l'essor de
nombreuses marques de luxe.
Le XIXème siècle voit naitre la Haute Couture.
Le premier défilé de couture par Charles Frederick Worth est
présenté en 1845.
La fin des années 1940 est menée par des
personnalités avant-gardes comme Coco Chanel ou Christian Dior. C'est
l'époque de la sacralisation des créateurs, qui promettent un
échappatoire face à la dureté de la
guerre.12
De 1980 aux années 2000, le luxe entre dans une
nouvelle ère. Les petites entreprises familiales et artisanales
deviennent de grands groupes internationaux focalisés sur une
stratégie financière et industrielle. Louis Vuitton-Moët
Hennessy (LVMH) devint en 1987 la première multinationale de marque. La
mondialisation et la massification échafaudent un nouveau modèle
économique et importunent les fondements du luxe français, qui se
généralise et se banalise. Qui dit mondialisation dit extension
de marque et hyper accessibilité. Le terme de démocratisation du
luxe apparaît, condamnant la prolifération d'accessoires
d'entrée de gamme, la distribution massive via Internet et la
contrefaçon dont certaines marques souffrent beaucoup.
De nos jours, le luxe se prend à rêver
d'élévation, loin d'une société de consommation qui
a montré ses limites : le nouveau luxe flirte avec émotionnel et
expérientiel.
Ainsi, déjà le luxe se transforme avec les
découvertes artistiques et techniques, mais aussi au gré des
conflits culturels. En quelques mots, le luxe accompagne l'histoire de
l'humanité.
12 STEELE Valérie, Se Vêtir au XXème
siècle, de 1945 à nos jours, Paris, Editions Adam Biro,
1998, p.12: «La mode fut peut-être une façon de nier
l'humiliation de la défaite et de l'Occupation, voire une façon
d'y résister. La créativité fut, à n'en pas douter,
une réponse à la pénurie ».
16
CHAPITRE 3 : Les secteurs clés de la France
La France sait qu'elle peut capitaliser sur certains
secteurs, qui ont participé à forger sa renommée et qui
continuent de faire sa fierté. Ce chapitre se focalise sur quatre
secteurs qui semblent indissociables de la culture française : la
Gastronomie, les Vins et Champagnes, la Haute Couture et les Palaces.
Il paraît d'ailleurs intéressant de montrer que
ces quatre secteurs semblent absolument indissociables les uns des autres. Ils
se sont toujours entremêlés, comme solidaires pour promouvoir
l'excellence française : Le restaurant du Plaza Athénée
met le livre de cuisine de Christian Dior13 à l'honneur, en
reprenant ses recettes dans un menu exceptionnel proposé lors de la
Fashion Week ; César Ritz était ami avec le célèbre
cuisinier Auguste Escoffier, qui va d'ailleurs le suivre à Paris et
officier dans ses cuisines, aidant ainsi le Ritz à s'imposer très
vite comme le rendez-vous de toute l'aristocratie européenne ; Les
étiquettes des meilleurs Grands Crus et Cuvées de Champagnes se
retrouvent sur toutes les tables des meilleurs restaurants gastronomiques,
leurs meilleures des vitrines.
I. La gastronomie
La gastronomie est une indétrônable institution
en France, avec pour exemple très concret l'attachement que porte les
chefs cuisiniers français aux Étoiles, bien plus prononcé
que dans n'importe quelle autre patrie. Pourtant, la même tyrannie est
exercée dans les cuisines étrangères. Mais la gastronomie
s'inscrit profondément dans la culture de la France. Le chef place la
cuisine au coeur de sa vie, puisqu'il cherche continuellement à extraire
la quintessence des produits à travers la recherche d'une
sélection qui relève d'une grande investigation. C'est une notion
dure à saisir pour quelqu'un qui n'est pas français. Un dire du
magazine anglais The Independant illustre bien l'intensité du
lien entre les chefs français avec le prestige
13 Peu savent que Christian Dior était un fin gourmet.
Son livre La Cuisine Cousu-main (1972) témoigne pourtant de sa
folle gourmandise.
17
d'un plat d'exception : «La norme Michelin- Gault et
Millau est née en France, existe depuis plusieurs siècles et sera
toujours à sa place dans le pays où la gastronomie est une
question de vie ou de mort.»
Cette passion pour la bonne cuisine n'était pourtant
pas spécialement vouée à naître en France.
L'histoire explique comment la gastronomie est devenue inhérente
à la civilisation française. La suprématie de la France
sur la bonne cuisine s'est forgée au fil des siècles. Le
processus s'enclencha en 1651, avec la parution du livre de La Varenne (de son
vrai nom François Pierre) : Le Cuisinier Français. Avec
cet ouvrage, tout le monde a subitement envie de mieux manger. Les mets sont
qualifiés de fins, de délicats : les palais prennent enfin
conscience des saveurs et des plaisirs de la bonne cuisine.
Ce livre fut d'ailleurs le premier à être
traduit en de nombreuses langues. Réédité plus de
quarante-six fois en moins de cinquante ans, le succès fut d'une ampleur
sans précédent, aussi bien auprès des cuisiniers et des
convives français, qu'à l'échelle internationale. De plus,
la France jouissait déjà à cette époque d'un
certain rayonnement sur l'ensemble du Vieux Continent, et même
au-delà de ses frontières. Cette puissance n'a fait qu'augmenter
l'engouement des populations étrangères pour ce nouvel art.
Ce livre, et d'ailleurs la profusion d'ouvrages qui
découla de cette parution, permit non seulement aux cuisiniers
professionnels du monde entier de se perfectionner à cette nouvelle
méthode, mais aussi aux amateurs de découvrir une nouvelle
jouissance à laquelle s'adonner. La mode se répandit dans toutes
les couches sociales, de l'aristocrate au routinier, qui se mirent alors
à développer un goût certain, une conscience collective
pour les bonnes recettes.
La cuisine fut dès lors accessible à tous et
plébiscitées par une large clientèle internationale : le
savoir-faire français se retrouve dans chaque assiette fine et
raffinée.14
14 DEJEAN Joan le précise dans Du Style (2006) :
«La cuisine devint un élément essentiel de la nouvelle
civilisation du bon goût (français, naturellement).»
18
Au travers de tous ces guides culinaires qui émergent
dans la seconde moitié du XVIIème siècle, les
Français sont encouragés à manger des produits plus
raffinés cuits d'une façon plus fine. Lecteurs et auteurs se
retrouvaient ainsi autour de valeurs communes puisqu'ils adhéraient tous
à ce nouvel art culinaire. La cuisine traditionnelle était
codifiée, ce qui a permis non seulement l'acceptation de ce changement
d'alimentation, mais aussi de l'exporter. Cette tournure radicale dans la
façon de consommer marque l'avènement d'une nation de
gourmets.
En 1674, un livre écrit par un chef dont seules les
initiales sont connues, LSR, associe pour la première fois l'art
culinaire à l'art de recevoir. C'est d'ailleurs son titre : L'Art de
Bien Traiter. François Marin poursuit sur cette lancée avec
la parution en 1739 des Dons de Comus, qui enseigne au fil des pages
l'art de servir un repas avec la dernière
élégance.15 Ces ouvrages témoignent que la
cuisine est plus que boire et manger en France. Il s'en accompagne tout un art
de la table.
Encore aujourd'hui, les chefs cuisiniers savent rendre
hommage aux illustres qui ont fait la réputation de leur métier,
les plus anciens comme les plus contemporains. Cela souligne la valeur de la
transmission du savoir-faire dans ce domaine. Pour en citer un, le Guide
Culinaire d'Auguste Escoffier est toujours considéré comme
une Bible par les plus grands Chefs du monde : Eric Fréchon le
reconnaît dans une interview accordée à Madame le Figaro le
05 Mars 2016.
Dorénavant, la France n'est plus la seule nation
à donner naissance à des chefs capables de réaliser des
plats exquis. La mondialisation et la croisée des influences ont fait
que d'autres nations se distinguent par leur maîtrise de la cuisine. Mais
la cuisine française peut s'enorgueillir de la richesse incroyable de
l'art de vivre à table qu'elle tire de son héritage. Qu'elle soit
modestement présentée dans les bistrots traditionnels, ou sur les
tables des restaurants chics, la gastronomie française continue de
réjouir les papilles des gourmets du monde entier. Cette
souveraineté en est d'autant justifiée par le classement en 2010
du Repas gastronomique des Français au Patrimoine Mondial
Immatériel de l'UNESCO.
15 RIVAL Pierre et BAUDOT François Métiers
Choisis, Les secrets du savoir-faire pour le Comité Colbert,
Flammarion, Paris, 1995
19
II. Les vins et champagnes
Au fur et à mesure des années, les
Français ont découvert des terres pourtant peu propices à
la culture, mais qui semblaient ouvertes à la culture des vignes, et
ainsi à produire du grand vin. Le Médoc émerge des
marécages au 17ème siècle. Les domaines Saint
Emilion, Saint Estèphe et Sauternes font prospérer la
région jusqu'à la Révolution. Au milieu du
19ème siècle, le comble de la mode est d'être
propriétaire d'un vignoble en Médoc : les vendanges sont
l'occasion de rassemblements mondains. C'est de là que naquit
l'idée de château, avec des règles, des codes et des
charmes qui n'appartiennent qu'à lui.
Le champagne baptise tous les moments marquants de la vie :
c'est la boisson de la fête et des paillettes. Scintillant, le champagne
est aimé de tous. Il se doit de remercier l'abbé Dom
Pérignon, qui découvrit l'assemblage des cépages
nécessaire pour faire du Champagne. Il paraît peu inattendu que ce
soit un religieux qui le découvre, puisque depuis le Moyen-âge,
les plus gros producteurs de vins étaient les monastères. S'il
est certain que le moine fut le premier à trouver les ingrédients
propices pour donner ce goût si unique au vin doré, le secret
plane autour de la découverte du processus dans son ensemble. Certains
écrits laissent penser que ce sont les Anglais qui auraient
trouvé comment faire pétiller un vin tranquille, d'autres
prétendent que c'est Dom Pérignon qui inventa la méthode
Champenoise. La légende raconte que Dom Pérignon avait
laissé des notes de ses recherches à son ami Dom Ruinart
après sa mort en 1715. Son neveu, Charles Ruinart fonde en 1729 la plus
vieille maison de champagne. Quoiqu'il en soit, le processus qui permet au vin
de devenir effervescent ne fut complètement maitrisé qu'en 1880
avec la découverte de Pasteur sur la fermentation. Cela explique aussi
pourquoi le Champagne était aussi cher : la demande dépassait
largement l'offre parce que les pertes liées au problème de
maitrise des bulles étaient gargantuesques (de 30 à 90% des
productions).16 Aujourd'hui encore, le risque est présent
lors du remuage des bouteilles et certaines continuent d'éclater.
16 DEJEAN Joan, Du Style, Editions Grasset, 2006,
p.173
20
Les grands vins et les champagnes sont de véritables
repères culturels pour leur clientèle, et il demeure encore de
grandes traditions dans ce domaine. L'élaboration d'une bouteille de vin
passe d'ailleurs par l'histoire, la civilisation, les paysages : c'est une
culture ancrée dans un terroir. Pour protéger ce patrimoine et
lutter contre la fraude, il fallait prendre des mesures et mettre en place des
réglementations. C'est ainsi que sont créées les
appellations. En France, on parle déjà de Bordeaux et de
Bourgogne depuis le Moyen-âge. Au XVIIIème
siècle, l'Américain Thomas Jefferson distingue 4 grands crus :
Lafite, Latour, Margaux et Haut Brion. La notion de cru s'établit en
Bourgogne en 1825 à l'initiative du Docteur Morelot qui analyse et
classifie le vin selon des critères bien précis : couleur, corps,
bouquet et finesse. Il faudra néanmoins attendre 1905 pour qu'une
première délimitation géographique ne soit tracée
pour les vins les plus réputés. Ce ne sera qu'à partir du
30 juillet 1935 que la qualité ne sera complètement
assurée, avec la création du Comité National des
Appellations Contrôlées.
Si rouler en Bentley et s'inonder de «N°5» de
Chanel est à la portée du premier gagnant au Loto,
déguster un grand cru ou un champagne exceptionnel n'est accessible
qu'aux palais initiés. Mais pour intégrer ce cercle d'amateurs
éclairés, il faut d'abord pouvoir en reconnaître les
symboles et surtout avoir la culture du plaisir de la dégustation,
propre à la France. Argentine, Californie ou Australie : le vin n'est
pas à l'abri des effets de la mondialisation. Si ces concurrents sont de
plus en plus soucieux de qualité et de renommée, c'est toujours
dans l'Hexagone que l'on produit les crus mythiques cités auparavant, ou
encore les Cheval Blanc, Pétrus ou autres Romanée-Conti. Tous
sont devenus des icônes au même titre que le sac Birkin
d'Hermès. La culture française a su faire grandir la
légende de ces précieux breuvages que le monde s'arrache. Toutes
les caves des plus grandes tables étoilées et des plus grands
palaces de notre pays affichent fièrement les étiquettes des
meilleurs domaines, augmentant la visibilité des bouteilles et surtout
en leur donnant une légitimité. En effet, l'important
propriétaire de vignobles internationaux, le caviste Bernard Magrez,
s'associe aux grands chefs pour corréler leurs efforts à faire
rayonner la France en terme d'art de vivre. Le restaurant de son hôtel
bordelais cinq étoiles, la Grande Maison, a vu passé des grands
noms comme Joël Robuchon (le chef le plus étoilé du monde),
et est maintenant tenu par Pierre Gagnaire, un des papes français de la
gastronomie.
21
III. La Haute Couture
Depuis des siècles, Paris garde précieusement
les secrets d'un savoir-faire jalousée par les ateliers du monde entier.
Paris a toujours été le point de chute de ceux à la
poursuite de modes à la pointe du style. La Ville Lumière
recèle en son sein certains des meilleurs créateurs que la mode
n'ait jamais connu. Les débuts du commerce de la mode remontent aux
alentours de 1670 à Paris. A cette époque, la Cour du Roi est de
plus en plus exigeante en terme d'habillement. Ce nouveau commerce est d'autant
plus facilité par l'avènement de moyens de plus en plus
sophistiqués pour diffuser les nouvelles tendances. Il est notamment
question ici de l'essor fulgurant de la presse, et principalement de la presse
de mode, autrement dit le moyen de diffuser les dernières tendances au
plus grand nombre.
En 1672, un des pionniers du journalisme de mode est Jean
Donneau de Visé. Son nom est aujourd'hui connu grâce au journal
qu'il décidât de lancer cette année-là : Le
Mercure Galant. Cette gazette était la première en son
genre. Plus qu'un magazine de mode (le premier article sur la mode ne fut
d'ailleurs paru qu'en janvier 1678), elle regroupait les actualités du
moment, des indications sur le dernier style à suivre en matière
d'art, de lettres, de décoration. Le Mercure Galant fut d'une
inspiration sans précédent pour toutes les françaises de
cette époque.17Avant Le Mercure Galant, tous les
vêtements de nobles étaient faits sur mesure. Depuis tout temps,
les privilégiés étaient habitués à choisir
leurs tissus et leurs modèles avec leurs tailleurs privés.
À partir de la sortie du Mercure Galant, les nobles se lassent
de ces vêtements, tellement uniques que personne ne les reconnaît.
Ce phénomène est d'autant plus paradoxal quand aujourd'hui, avoir
des vêtements élaborés sur mesure représente le
summum du luxe. Pareillement, les gens fortunés d'aujourd'hui veulent en
général se différencier et ne surtout pas ressembler
à tout le monde. En effet, pour lancer une tendance, il faut bien que
les autres la suivent. Bien entendu, il convient que le temps que les classes
inférieures
17 DEJEAN Joan le fait remarquer dans Du style
(2006) : «Donneau de Visé, en véritable
génie du marketing, ne destinait pas sa publication aux femmes ayant la
possibilité de constater par elles-mêmes les nouvelles tendances,
mais bien aux ancêtres d'Emma Bovary, ces femmes enfermées dans
les provinces qui rêvaient d'être aussi chic que la créature
devenue mythique au moment même où la haute couture vit le jour,
la Parisienne.»
22
copient cette tendance, les « reines de la mode »
soient déjà passées à autre chose depuis au moins
une saison. Il fallait donc constamment renouveler sa garde-robe. Et pour que
les dames de cours étrangères soient au summum de la mode, il
fallait qu'elles rivent les yeux sur Paris, la capitale de
l'élégance, pour obtenir les dernières indications sur ce
qu'il fallait porter pour cette saison-là. Il faut souligner que la
domination de Paris sur la mode à cette époque réduit
considérablement les distances sociales. La mode se propagea au sein de
toute la population française. Certes, si les plus pauvres ne pouvaient
pas se permettre de s'offrir les merveilleuses robes des courtisanes de
Versailles, elles voulaient néanmoins participer au
phénomène. La préoccupation pour la mode était
telle, qu'elles commencèrent à changer leur apparence, à
leur niveau. Elles arboraient par exemple des bas, des rubans ou autres
produits accessibles.
Mais le phénomène eut aussi une
répercussion internationale. Les trente dernières années
du 17ème siècle ont énoncé les leçons de
base qui dictent encore l'industrie de la mode de nos jours. Les
créateurs français avaient déjà bien compris que le
recours à la publicité, aux égéries et la
transgression des moeurs allait être le moyen de commercialiser la mode
à la française au-delà des frontières. C'est
grâce à ce regard visionnaire des marchands français que
Paris devint capitale de la mode dans le monde. En effet, la clientèle
pouvant se permettre d'acquérir des biens d'exception n'a jamais
été très large. Les français à eux seuls ne
pouvaient pas permettre aux couturiers d'être rentables : ils avaient
besoin de clients étrangers. C'est à ce moment que deux
innovations majeures virent le jour : les poupées et les gravures de
mode.
Les poupées existaient déjà depuis
plusieurs années, mais elles restaient destinées à un
usage privé, familial.18 Dans les dernières
années du XVIIème, les marchands réalisèrent que
ces poupées pouvaient être envoyées hors de France pour
présenter les dernières collections aux dames
étrangères. Les reproductions étaient
particulièrement fidèles, jusque dans les moindres détails
: les tissus étaient les mêmes utilisés que sur les
vêtements originaux, et les accessoires complétaient la
18 Dans les années 1600, Henri IV envoyait des
poupées à sa fiancée, Marie de Médicis, qui
résidait en province, pour qu'elle soit au courant des tendances
à la Cour.
23
tenue. Mais ces poupées avaient leurs limites.
Même si les clientes de New York ou de Londres se les arrachaient, il
fallait tout de même payer pour avoir le droit de la regarder, et encore
plus cher pour avoir le privilège de la ramener chez soi et d'en jouir
pleinement, sans cohue. Les marchands eurent alors une idée de
génie et décidèrent d'introduire les gravures de mode.
Facilement remplaçables et copiables, ces gravures permettaient de
toucher un public plus large. Elles guidaient le goût vestimentaire
mondial en imposant le style français, et en réaffirmant une fois
de plus que ce style détenait le monopole du raffinement et du luxe. Ces
gravures présentant les musts des saisons ouvriront la voie à la
Haute Couture.
Inventée pendant la seconde moitié du
19ème siècle par Monsieur Charles
Frédéric Worth, La Haute Couture propose des collections en
dehors de toute demande particulière, mais qui s'adaptent aux besoins de
chaque client. Avant lui, la plupart des artisans sont inconnus : ils
travaillent dans l'ombre, exécutant simplement les demandes de leurs
commanditaires et ne bénéficient d'aucune reconnaissance du
travail accompli. Tout va changer avec la Haute Couture, qui verra naître
quelques années plus tard quelques-unes des marques les plus puissantes
du monde.
IV. L'hôtellerie : Palaces et sens du service
Paris et la Côte d'Azur sont demeures des fleurons de
l'hôtellerie dans le monde. Le Bristol, Le Negresco, Le Meurice ou le
Ritz font rêver à la simple évocation du nom. Les palaces
sont devenus de véritables institutions qui ennoblissent le prestige.
Ces hôtels sont l'allégorie même de l'art de vivre à
la française, où rien n'est assez raffiné.
L'apparition des premiers hôtels de prestige en France
se fait dans les dernières années du XIXème siècle.
À cette époque, le goût pour le voyage se propage et le
tourisme commence à prendre de l'importance. C'est aussi le
siècle des inventions, comme l'ascenseur ou le téléphone,
mises au service des clients. 19
19 LESURE Jean-Marc, Les Hôtels de Paris,
Éditions Alphil, 2005
24
Dès la fin du XVIIIème, de nouvelles fortunes se
créent et les très grandes familles aristocratiques cherchent un
moyen de plus pour se différencier des bourgeois marchands. Ils ont
alors l'idée de créer des lieux hors du commun, rassemblant
objets et denrées rares et couteux. Habitués à voyager de
châteaux en châteaux avec du personnel et des belles choses, les
nobles savaient très bien ce que ces Palaces devaient être en
mesure d'offrir. C'est grâce à ces exigences que les lieux ont
atteint un tel niveau d'excellence.20 Le premier à sortir de
terre, sous les ordres de Napoléon III pour les besoins de l'Exposition
Universelle, est le Grand Hôtel du Louvre en 1854.
Mais surtout, le véritable supplément
d'âme des hôtels de luxe réside dans la qualité du
personnel. La notion de Relation Client a été inventée
dans les hôtels de luxe. Si la réputation du sens de l'accueil et
du service à la française n'est plus à faire, elle reste
néanmoins fondamentale et contribue fortement à la part
d'émerveillement que ressent le client quand il descend dans un palace.
Le service en France est réputé pour être impeccable. La
discrétion se mêle subtilement à la sympathie, et le client
a alors l'impression que tous ses souhaits peuvent être
réalisés. D'ailleurs, il paraît tout à fait logique
que la France ait vu naître l'Association des Clés d'Or (1929),
une organisation mondialement connue et respectée, qui ne compte pas
moins de 3 000 concierges de palaces et hôtels de luxe dans le monde. Il
va sans dire que pour arriver à cette distinction, il faut
littéralement avoir porté sa fonction à la perfection.
Le Concierge joue un rôle essentiel, mais il fait aussi
parti d'un engrenage de talents qui font vivre les traditions de l'art de
recevoir à la française. Ici résidait tout le génie
de Vatel qui inspire toujours les plus grands noms de l'hôtellerie de
luxe. Quand Antoine Beauvilliers ouvre le premier véritable restaurant
en 178221 au Palais Royal, baptisé « La Grande Taverne
de Londres », il trouve la gloire non seulement dans la qualité de
ses plats, mais aussi dans la magie qui régnait dans son restaurant : un
décor enchanteur, une vaisselle magnifique, une ambiance
particulière et un
20 COQUERY Natacha, L'hôtel
aristocratique : Le marché de luxe á Paris au XVIIIème
siècle, Paris, Publications de La Sorbonne, 1998
21 1782 selon Brillat Savarin, d'autres auteurs
prétendent 1786
25
personnel aux petits soins. Il se distinguait par sa
mémoire exceptionnelle pour les habitudes des clients, ce qui leur
donnait l'impression d'être uniques. Encore aujourd'hui, certains chefs
tiennent des Rolodex : un petit fichier qui recense toutes les habitudes
alimentaires, les préférences et les allergies des
habitués de la maison. Le personnel peut ainsi guider les choix des
clients, assurant un service sans aucune fausse note.
C'est sur ce modèle d'un nouveau genre que les
hôtels de prestige voient le jour. Un Palace doit mêler
harmonieusement gastronomie, service à la hauteur de
l'établissement, cave exceptionnelle, décoration fastueuse et
emplacement chargé d'histoire. Depuis le 8 novembre
2010, l'appellation « Palace » récompense les hôtels de
luxe avec les caractéristiques les plus exceptionnelles. 16
établissement sont décorés de cette belle distinction, et
tous sont en France : 8 à Paris, 3 à Courchevel, 2 à St
Tropez, 1 à Biarritz, 1 à St-Jean-Cap-Ferrat et 1 à
Ramatuelle.
22
Comme le dit si bien Didier le Calvez23 : «
Dans un monde à la recherche de ses repères, les Palaces,
résolument intergénérationnels, tels des ponts entre le
passé et le présent, tels des garants d'un art de vivre, offrent
des refuges au coeur des grandes métropoles où l'on retrouve des
valeurs, peut-être d'une autre époque mais toujours
d'actualitéì, faites de savoir-vivre et de courtoisie
«.
Autour des subtilités de la cuisine gastronomique, de
la mise en scène de l'instant présent, et de la qualité du
service, le tout orchestré tel un ballet, il se dégage des
palaces un retour au temps passé troublant.
22 Site Atout France :
http://atout-france.fr/content/connaitre-les-16-etablissements-distingues-palace
23 Dans la préface du livre d'ENHART
Hélène, Palace : du mythe à la reconnaissance
officielle, Paris, Éditions BPI, 2004
26
CHAPITRE 4 : Le régime du bon goût
Dans le sens usuel, le luxe se rattache au faste, à la
somptuosité et au raffinement dans la façon de vivre. Pour
comprendre ces affirmations, il est nécessaire d'analyser comment les
aristocrates ont placés le bon goût, la grâce et la
présence d'esprit au centre de leurs préoccupations à la
cour du Roi de France, puis comment ce bon goût a ensuite atteint les
couches sociales inférieures. Vestige de la Renaissance, la Cour des
Rois français, et plus particulièrement celle de Louis XIV, a
habillé cet art de vivre.
Il est dans un premier temps intéressant de
préciser que le mot «goût» renvoie aux aliments. Dans
l'article de Voltaire24, il est démontré que non
seulement les goûts de chacun divergent mais surtout que le goût
est indissociable du dégoût, l'un n'allant pas sans l'autre. Il
semblerait donc que seules des papilles de connaisseurs peuvent affirmer si tel
ou tel produit à un bon goût, et donc que des codes doivent
être instaurés pour plébisciter le bon goût au
détriment du mauvais.
A la Cour, plaire est signe de puissance. La Renaissance
marque la montée de valeurs humanistes et individualistes, soulageant
les nobles du poids de la réputation et leur permettant ainsi de tracer
leurs propres chemins, d'être maître de leur destinée.
L'intérêt du bon goût est alors de se distinguer des autres
à l'aide d'aptitudes qui se jouent de l'esthétisme. Les nobles
voyaient dans le goût le moyen d'attirer la reconnaissance, non pas
seulement des classes sociales supérieures dont ils voulaient tirer
profit, mais aussi des classes inférieures dans les yeux desquels ils
voulaient briller25. La reconnaissance de soi passe aussi dans le
regard
24 Dans son article
«Goût», issu l'Encyclopédie de Diderot
et d'Alembert, Tome VII, 1751-1772, p.761: «le Goût, ce sens, ce
don de discerner nos aliments, a produit dans toutes les langues connues la
métaphore qui exprime, par le mot goût, le sentiment des
beautés et des défauts dans tous les arts : c'est un discernement
prompt, comme celui de la langue et du palais, et qui prévient comme lui
la réflexion : il est comme lui, sensible et voluptueux à
l'égard du bon ; il rejette comme lui, le mauvais avec
soulèvement (...). Comme le mauvais goût, au physique, consiste
à n'être flatté que par les assaisonnements trop piquants
et trop recherchés, ainsi le mauvais goût dans les arts est de ne
se plaire qu'aux ornements étudiés, et de ne pas sentir la belle
nature»
25 ASSOULY Olivier, Le capitalisme
esthétique : Essai sur l'industrialisation du goût, Paris,
Éditions du Cerf, 2008, p.19
27
que les autres portent : c'est même un point essentiel,
car plaire exige une réciprocité.
Le bon goût ne peut pas être enseigné : il
faut savoir sans apprendre, tout est dans la suggestion. Par exemple, les
courtisans doivent adopter une apparence très désinvolte tout en
faisant très attention aux détails. Là réside toute
la complexité de la façon d'être à la
française, exigeant une certaine rigueur.
Cela nécessite bien entendu un gros travail de
préparation, pour donner l'impression que tout est facile, que tout
vient instinctivement. D'où l'apparition de manuels du savoir vivre,
comme un guide des bonnes manières, de codes, de règles à
suivre scrupuleusement : «Sous son voile de raffinement et avec ses
bienséances, l'ordre pacifique des civilités exprime toute la
violence sourde des relations mondaines dont la perte d'honneur constitue le
pire des maux. En ce sens, le bon goût nourrit et justifie la promotion
comme la disgrâce sociale.»26
Dans la vie des courtisans, la grâce est souvent
associée à la bonne conduite : «le courtisan doit
accompagner ses actions, ses gestes, ses manières, en somme tous ses
mouvements, de grâce»27 . La grâce vient
d'ailleurs d'une vieille valeur chrétienne qui signifie «l'acte par
lequel on s'attire de la reconnaissance». La grâce qui accompagne le
bon goût si cher aux courtisans n'a de valeur que si cette conduite peut
être décodée par ses adeptes mais échapper à
la maîtrise des gens routiniers. C'est ce qui est appelé plus
communément la courtoisie. La réputation des salons parisiens
était très grande en Europe, puisqu'ils sont
considérés comme le temple du bon goût et de la
bienséance, où l'art de la conversation à la
française s'exprime dans toute sa splendeur. Les voyageurs
étrangers de passage à Paris cherchent à s'y introduire,
en obtenant des « laisser-passer » par l'intermédiaire
d'habitués ou de lettres de recommandation.
Ce régime du bon goût soulève alors une
question : si la noblesse aspirait à être encore plus
privilégiée et à étendre leur cercle d'influence,
sans plus uniquement se reposer sur le nom de naissance, n'existait-il pas
dès alors une certaine mobilité
26 Ibid, p.31
27CASTIGLIONE Baldassar, Le livre du
Courtisan, I, p.24
28
sociale, même au plus haut de l'échelle ? En
effet, il ne peut pas y avoir de conquête ou disgrâce sans
mobilité sociale. La machine est en marche. Le siècle des
Lumières reprend ces fondements posés quelques années
auparavant pour ouvrir la voie à une mobilité sociale à
une encore plus grosse part de la société.
En effet, à l'heure des nouveautés, le bon
goût permet de se projeter plus facilement dans le futur. D'un
côté, les nobles peuvent asseoir leur dominance sur leurs
semblables (toujours dans une logique de prestige), tandis que de l'autre, les
bourgeois s'enrichissent et se mettent à aspirer à
posséder. Le courtisan doit montrer qu'il est riche et qu'il est
prêt à dépenser sans compter, et c'est cette
libéralité qui lui permet à la fois de montrer sa noblesse
(la libéralité est une valeur traditionnelle de la noblesse) et
de se distinguer des bourgeois, réputés plus économes et
soucieux de gagner de l'argent.
Le fait est que pendant que les nobles se complaisent dans
leurs habitudes oisives, les bourgeois sont beaucoup plus ambitieux : ils se
mettent à la tâche, puisqu'ils aspirent dorénavant à
jouir des biens matériels au même titre que les aristocrates. Ils
ont vite compris que le seul moyen d'y arriver était de se consacrer
à leur métier, et de faire prospérer leur affaire. Le
mérite apporte alors son coup de grâce à l'honneur. Le bon
goût n'est alors plus synonyme de puissance politique mais provoque la
consommation immatérielle des bourgeois pour satisfaire leurs plaisirs
privés (à la différence de la noblesse, qui devait
affirmer son statut et donc profiter de ses privilèges en
public)28.
Au XIXème siècle, les bourgeois
détiennent enfin des signes pour distinguer leur classe sociale du petit
peuple : ils se vêtissent maintenant de beaux habits, ils vivent dans de
belles maisons bien décorées, et possèdent une grande
maîtrise des civilités. Ils ont réussi à mettre peu
à peu du beau dans leur vie, à coup d'efforts et de
reconnaissance sociale bien méritée. La société est
ainsi de moins en moins établie sur l'héritage et la naissance et
s'ouvre à la fluidité des situations.
28 ASSOULY Olivier, Le capitalisme
esthétique : Essai sur l'industrialisation du goût, Paris,
Éditions du Cerf, 2008, p. 43 : « On est ainsi passé
d'une compensation symbolique indispensable à la noblesse, à
l'exigence d'une satisfaction traduite à terme en plaisirs
matériels, pour tous les aspirants à la fortune. (...) Il faut
toucher les biens tangibles acquis par le labeur ».
29
L'embellissement de la population à travers les temps
s'explique ainsi par un ensemble de valeurs communes, spécifiques
à chaque époque. Le devoir, le plaisir et la reconnaissance sont
autant de moteurs qui ont permis aux citoyens français de toucher du
doigt une vie plus jouissive, en mettant tout simplement des pincées de
belles choses çà et là dans leur existence, en
adhérant au régime du bon goût.
30
MÉTHODOLOGIE
Comme il a été démontré, la
notion de luxe semble difficile à cerner. Après avoir
montré qu'il semblait exister plusieurs luxes, il paraitrait
néanmoins que le bon goût à la française ait
transcendé les temps. La réflexion exprime un luxe intellectuel
dont la commercialisation ne serait pas seulement élitiste.
Afin de réaliser l'étude exploratoire, il est
nécessaire d'interroger plusieurs personnes ayant un certain niveau
d'expertise en la matière afin de se forger une opinion et
développer un regard critique mais averti sur le sujet. L'idée
est d'éveiller l'esprit au sujet en me tenant informée des
conférences à venir sur le thème, des expositions à
aller découvrir et en réalisant des études qualitatives
auprès d'experts. Le but était non pas seulement de dresser un
simple constant, mais de pousser la réflexion et chercher une
véritable problématique s'articulant autour des idées.
Au vu du caractère assez confidentiel et
mystérieux qui plane autour du secteur du luxe, recevoir l'aide
d'experts en la matière n'était pas de trop. Ce document a donc
aussi été réalisé grâce à la
sympathique collaboration de professionnels travaillant dans le luxe, de
membres de comité regroupant des marques de luxe, d'historiens, de
l'Association des Maitres-Cuisiniers de France et de collectionneurs d'art. Il
m'a semblé intéressant de confronter différentes visions,
amenant chacune leur lot de surprises et de révélations. Chaque
personne interrogée m'a gentiment donné son accord pour
être citée29, témoignant ainsi de leur
intérêt pour cette problématique.
Les expositions et visites ont apporté une grande
contribution. La découverte de l'exposition Louis Vuitton à
Paris, les Journées Particulières de LVMH ou encore la visite du
Château de Versailles ou du Musée Carnavalet m'ont semblées
absolument essentielles à l'aboutissement de ma réflexion.
Enfin, la curiosité et la soif de connaissance ont fait
le reste.
29 Voir les retranscriptions des interviews dans leur
intégralité en annexes 1 à 9, p. 77-111.
31
FORMULATION D'UNE HYPOTHÈSE
La démocratisation du luxe n'est pas si
récente, elle est même inévitable. Il existe plusieurs
luxes, et le luxe français a su définir le sien et l'imposer dans
le monde. Ce luxe découle d'un archétype politique et social
intrinsèquement lié à la tradition aristocratique de la
Cour. L'art de vivre à la française s'est ancré lentement
dans la vie des Français. Les habitudes conditionnent le bon goût
: les français ont été habitués à l'art de
vivre et il a fini par s'enraciner inconsciemment.
Lors de l'essor des gravures de mode, les dames les plus
puissantes de Versailles servaient de modèles aux créateurs de
l'époque. Leur mode de vie inspirait toute une nation, et les gravures
de mode permettaient d'entrevoir ce monde fabuleux l'espace d'un instant. Le
luxe a toujours eu besoin d'égéries pour incarner sa grandeur.
Ces gravures de mode prouvent que le luxe s'adresse depuis toujours aux
puissants comme aux plus démunis. En effet, les gravures étaient
moins destinées aux courtisans qu'à émerveiller les
classes sociales inférieures. La démocratisation a toujours
été le propos du luxe puisque dès les premières
campagnes de publicité de l'Histoire (en l'occurrence les gravures de
mode), la cible était ceux qui ne pouvaient pas accéder à
ces produits. Les créateurs du XVIIème n'étaient non pas
dans une logique de vendre à tout le monde, mais de faire rêver
tout le monde.
À partir du XVIIIème, l'enrichissement de la
bourgeoisie a élargi les classes de luxe. Cette nouvelle bourgeoisie a
acquis sa fortune non pas par son nom de naissance, mais grâce au travail
et au mérite. Motivés par l'envie d'accéder à tous
ces produits qui les faisaient jadis saliver, les bourgeois se mettent à
imiter le mode de vie des nobles. Le luxe s'ouvre alors à la
mobilité sociale, un phénomène qui se reproduit encore
aujourd'hui, quelques centaines d'années plus tard.
Pareillement, à la fin des années 1800, les
progrès industriels et mécaniques ont permis un essor du luxe
(comme on pourrait comparer au progrès d'aujourd'hui, comme Internet qui
a remis en questions beaucoup de principes du luxe). C'est
notamment à cette époque qu'on voit
apparaître de nouveaux produits, à moindre prix et de moins bonne
qualité, copiant les originaux.
Ce n'est que la suite logique, la corrélation
inévitable que suit l'histoire du luxe. Il n'est donc pas question d'une
démocratisation du luxe puisque «le luxe n'a pas attendu notre
ère pour s'adresser aux classes sociales montantes».
30
De plus, il faut tout de même garder à l'esprit
que diffusion ne veut pas forcément dire démocratisation : si la
fréquentation des boutiques de luxe a augmenté, c'est avant tout
parce que la population française a elle-même augmenté, que
les éléments les plus attachés à ce mode de vie ont
accru leur rythme de fréquentation, et que le tourisme s'est
développé et a donc ouvert la voie à de nouveaux
consommateurs.31
Pour finir, le luxe n'est pas qu'un bien matériel, il
passe aussi par l`élégance de la vie quotidienne. Il peut se
transmettre par l'éducation, mais il peut aussi se traduire par un choix
de style de vie, une adhésion à des valeurs, un goût pour
le raffiné.
32
30 LIPOVETSKY Gilles, Le Luxe Éternel,
Éditions Gallimard, 2003
31 DONNAT Olivier avertit ses lecteurs quant à la
confusion (à propos de la culture) dans son ouvrage Les
Français face à la culture : De l'exclusion à
l'éclectisme, Paris, Éditions La Découverte, 1994,
p.10
33
PARTIE 2 : Le luxe à la française, tout
un concept
Les Français exportent du luxe dans 180
pays32 : personne ne fait mieux, pas même la Suisse ou
l'Italie qui la talonnent. Leader incontestable en matière de belles
choses et d'art de vivre, la France séduit par sa culture et son
histoire riches en traditions. Tout le monde applaudit l'excellence
française. La France jouit traditionnellement d'une image admirable,
puisqu'elle est commodément associée au luxe. Cela se comprend au
travers de l'Histoire de France, qui vu naitre les Maisons les plus puissantes
du monde et qui a fait du luxe son domaine de prédilection.
CHAPITRE 5 : Focus sur Louis XIV, ou la naissance de
valeurs fondamentales
Il semble absolument inévitable de parler du
règne de Louis XIV quand le poids de l'héritage et du patrimoine
dans le luxe français est étudié. Paris est devenue sous
sa monarchie la capitale du luxe en Europe, lançant les modes qui se
répandaient ensuite dans toutes les autres Cours du continent. Les
experts s'accordent tous pour dire qu'une rétrospective de cette
époque met en lumière certains fondements qui régissent
encore le secteur du luxe de nos jours. Au fil des temps, le luxe
français s'est considérablement transformé, mais certaines
valeurs fondamentales résonnent toujours dans l'imaginaire collectif
avec persistance. Le rayonnement de la culture française passe beaucoup
par la propagation d'un art de vivre et de modes considérés comme
intrinsèquement français.
En effet, la légitimité de l'excellence
française dans le monde vient précisément de cette
période de l'histoire. L'idéal aristocratique et monarchique du
XVIIème siècle s'ancre profondément dans l'ADN des
différents acteurs du luxe qui font la fierté de la nation. Les
ambassadeurs du prestige français puisent sans cesse dans ce vaste
vivier historique et culturel qu'est le nôtre, à
l'intérieur duquel ils trouvent des
32 Émission Capital, diffuée sur M6 le
01er mai 2016 « Luxe : Pourquoi la France est-elle
championne du monde ? »
34
images, des références : il suffit de compter le
nombre de défilés au Trianon ou de présentations de
collections de Haute Couture à Versailles. Les étrangers semblent
d'ailleurs plus à même que les Français à
décoder le poids de l'héritage culturel dans l'essence des
marques de luxe.
? L'image
Tout le monde connaît Louis XIV. D'ailleurs,
lui-même savait que son nom sera mondialement connu des centaines
d'années plus tard. Mais tout le monde ne connaît pas
l'énergie que cet homme a su insuffler à notre patrie pour la
faire rayonner. Le Roi Soleil avait vite compris qu'il ne suffisait pas de
grands chose pour que la France domine le reste du monde dans le luxe.
Avant la Renaissance en Italie, il n'y avait aucun
intérêt pour les belles choses en France. Louis XIV était
le premier mannequin, à lancer des modes. Le Roi Soleil avait
un charisme fou : beaucoup d'historiens expliquent ainsi pourquoi ses
successeurs n'ont pas été capables d'avoir le même impact
que lui dans les consciences. Il est le Roi qui fait naitre la notion d'«
image » car il avait compris qu'il fallait fasciner pour être
imité. Esthète et amoureux des belles choses, il est le Roi qui a
réussi à habiller l'esprit de la France d'une touche de
grandiose, en incarnant un style de vie jusqu'au bout de son règne.
? Le château de Versailles
Louis XIV a toujours encouragé le superflu et les
excès. Le plus bel exemple n'est autre que le Château de
Versailles, dont le chantier fut officiellement achevé en 1682.
Versailles représente vraiment l'archétype ultime du luxe,
l'aboutissement de la vision que le Roi se faisait du faste. Le Château
évoque depuis des siècles le raffinement ultime qui mêle
paraître, pouvoir et plaisir.
A l`époque de Louis XIV, les fêtes
organisées au Château étaient toujours celles attendues
avec la plus grande impatience. Réputées pour être les plus
glamours et les plus impressionnantes, Versailles se transformaient alors en
véritable temple du raffinement. Des décors extravagants à
la qualité des banquets, en passant par
35
la puissance des hôtes de marque, ces fêtes
éblouissaient aussi bien ceux qui s'y rendaient que ceux qui ne
faisaient que se les imaginer. Chaque savoir-faire français était
divinement mis en scène ; les pâtisseries, les restaurants chics,
les réalisations impressionnantes des manufactures royales, la mode et
le fameux savoir recevoir. Louis XIV avait conçu Versailles comme une
vraie vitrine de ce que la France était capable de réaliser.
D'ailleurs, Jean Donneau de Visé relatait chacun de
ses évènements dans les pages du Mercure Galant. Selon lui,
« les yeux en pouvoient à peine supporter l'éclatante
variété ». Ses articles étaient de
véritables odes aux produits de luxe français. Le but
était dans un premier temps d'encourager le pouvoir de fascination de la
Cour sur les sujets français, mais aussi d'inciter les étrangers
à venir découvrir la ville où rien n'est assez beau pour
les yeux. Dans un second temps, et puisque que tout le monde ne pouvait pas
participer à ces fêtes majestueuses ou se déplacer
jusqu'à Paris, l'auteur invitait à faire venir la capitale chez
soi, en important les objets précieux que seule Paris pouvait offrir au
monde.
De nos jours, le Château de Versailles fabrique encore
des rêves fous. Le Château de Versailles continue chaque
année d'entretenir la tradition en proposant aux initiés ses
« Fêtes Galantes ». L'idée est de faire revivre les
soirées de l'époque de Louis XIV, de se plonger dans la peau des
Courtisans de l'époque, en dansant comme au temps du Roi, dans des
costumes baroques. Le temps d'une soirée, les participants revivent avec
nostalgie les fêtes exceptionnelles que le Château accueillait en
ses murs.
Également, le Château inspire et continuera
d'inspirer des décors d'hôtels, de cinéma, etc., qui sont
d'ailleurs toujours réalisés selon les savoir-faire ancestraux
utilisés pour le bâtiment. Cela souligne d'autant plus la
qualité et la technicité des artisans français, qui sont
toujours très reconnues aux quatre coins du monde. Le Château de
Versailles a activement participé à faire naître la
reconnaissance du travail français, son degré de technique et sa
capacité d'innovation.
36
? L'héritage de l'aristocratie française
Les marques de luxe française font sans cesse des
allers-retours entre le monde d'aujourd'hui et la monarchie du Roi Soleil.
Cette époque possède un pouvoir de fascination extrêmement
fort. En effet, même si on ne se sent pas proches de ces marques, le luxe
véhicule un certain mystère, il possède cet étrange
pouvoir à susciter des affinités qui sont ancrées dans
l'histoire. Le luxe français est fréquemment associé
à une espèce d'arrogance, de domination de
supériorité. Les étrangers disent souvent que le luxe
français a quelque chose de noble, de particulier. Ils ont en effet
souvent du mal à mettre des mots sur cette particularité. Il est
intéressant de souligner que les autres nations nous voient souvent
comme des personnes très élitistes, très aristocratiques
dans notre façon d'être33. Si on se place au
XVIIème siècle, dans la peau d'un courtisan de
Versailles, le Roi est omniscient : il savait, connaissait tout. Il faisait
converger à sa cour des produits alimentaires, et des processus de
fabrication selon ses préférences. Au début de son
règne, Louis XIV portait des vêtements amples avec des tissus
vaporeux et précieux comme la mousseline. Ce tissu est à l'image
du caractère surnaturel de la monarchie. Par imitation, la population
faisait en sorte de se procurer les mêmes produits pour adopter le mode
de vie du Roi. Si les nobles avaient une perruque, se fardaient et portaient
des talons hauts, c'était pour s'élever vers le haut, se donner
une apparence qui échappe au temps, le tout empreint d'une certaine
spiritualité. Les élites manifestent leur mysticisme à
travers le luxe.
Les marques les plus prestigieuses du luxe français
portent en elles un héritage lié au modèle politique et
social de la monarchie absolue. Cet héritage constitue une incroyable
source d'inspiration pour les marques. Le spot publicitaire de Dior pour son
parfum « J'adore » dans le décor de la Galeries des Glaces de
Versailles (2011) est une évocation magnifique de quelque chose qui
ressemble un peu à la tradition du ballet de cour, où tout le
monde vient se costumer pour participer au spectacle.
33 Cette affirmation s'applique plus aux Parisiens, qu'au reste
de la population française.
37
Aussi, le défilé Chanel dans un
supermarchés34 ou les déclarations chocs et le
porno-chic instauré par John Galliano sont de parfaits exemples du jeu
simultané avec désacralisation et sacralisation de la marque. Ce
procédé permet de donner un peu d'air à cet univers. Cette
espèce d'irrévérence appartient aussi à la
tradition aristocratique française. En effet, entre la fin des
années 1690 et le début des années 1700, les
créateurs de mode avaient déjà compris que le sexe pouvait
faire vendre. Les aristocrates jouaient avec le fruit défendu en
abordant des tenues beaucoup plus décontractées, comme les
déshabillés qui dévoilaient leurs décolletés
et leurs jambes. Il s'agissait de se donner un air plus transgressif, plus
provocateur. Audacieuses, les dames de Versailles se voulaient carrément
érotiques. À noter que dévoiler une jambe à
l'époque était bien plus choquant que ne l'est la nudité
aujourd'hui. L'aristocratie vit dans une transcendance mais elle aime aussi se
dévoyer, parce que la monarchie flirte toujours avec le profane.
À travers l'apparence, les nobles cachent les péchés
originels.
? L'importance du luxe dans l'économie
C'est aussi sous son règne que la mode
française explose. Il ne semble pas anodin que le mot « mode »
soit employé pour l'habillement. En effet, un vêtement est plus
« périssable » qu'un tableau ou un meuble, pour la simple et
bonne raison que la durabilité des matériaux est moindre. Cela
explique aussi pourquoi nous sommes amenés à les renouveler plus
souvent. Chacun y trouve son compte, et le Roi Soleil l'avait bien compris. Ce
roulement de mode stimule d'une part la production industrielle et profite
ainsi à l'économie d'un pays. De l'autre, il permet le
rehaussement du niveau de vie général et empêche l'ennui
des populations qui le comble en dépensant.
La mode n'est qu'un exemple pour souligner à quel
point le luxe avait un rôle prépondérant dans
l'économie de la France. Louis XIV avait compris que le luxe participait
à la puissance d'un pays et inversement. Avec son contrôleur
général des Finances, Jean-Baptiste Colbert, ils posent les bases
des théories modernes du
34 Lors du défilé automne-hiver 2014-2015, pendant
la Fashion Week de Paris.
38
protectionnisme économique. Ils étaient tous
deux déterminés à ce que la France poursuive son
règne sur les produits de luxe et que cette situation demeure
pérenne. Colbert s'est bien assuré que tous les aspects du
commerce du luxe, des réglementations commerciales aux taxes
d'importation, soient conçus de manière à favoriser la
France et sa communauté d'artisans. Bien que largement contestée,
ce protectionnisme fut la force motrice de la création de la nouvelle
image de la France.
Et il n'est pas possible nier le fait que ce protectionnisme
s'applique encore à notre époque. Pourquoi les touristes
asiatiques dévalisent t'ils les Sephora, les Chanel et autres grandes
marques lors de leur passage en France ? Pour la bonne raison que c'est bien
moins cher ici que chez eux ! Les taxes à l'importation des produits de
luxe, notamment français, sont démentielles : les marques
françaises sont en moyenne 40% plus chères en Chine. 35
Aussi, Louis XIV fut par exemple le premier à
comprendre la dimension pacificatrice du luxe. En effet, le goût pour les
belles choses transforme les personnes : l'esprit devient plus
distingué. Par exemple, lors de la Guerre de Sécession
(1701-1714), Louis XIV et l'Angleterre étaient à la tête
des deux coalitions qui s'opposaient. Londres interdit alors l'importation des
produits français. Mais les dames anglais en vogue faisaient pression
sur le gouvernement pour lever l'interdiction. Elles ne voulaient surtout pas
être démodées et pour ne pas l'être, il fallait
qu'elles puissent continuer de recevoir les fameuses poupées qui
présentaient les dernières tendances
françaises.36 L'ambassadeur anglais finit par céder et
accordât un laisser-passer aux poupées de mode. Jusqu'à la
fin de la guerre, ce fut le seul produit autorisé à circuler
entre les deux pays. Preuve irréfutable de l'influence des produits de
luxe français sur les moeurs diplomatiques.
35 Source :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/03/17/chanel
-va-baisser-ses-prix-en-chine_4594911_3234.html
36 Voir Chapitre 7, p.21-23
39
? La puissance de l'art
Louis XIV était très soucieux de sa gloire et
de son prestige aux yeux des courtisans mais aussi des autres souverains de son
temps. C'est ainsi qu'il organisa tout un patronage des arts et des lettres. Le
prestige et le luxe affiché de la Cour de Versailles s'inscrit dans
cette politique. Ce fut globalement un succès puisque la France devient
le modèle à suivre au niveau artistique avec le style classique
en architecture, les jardins à la française et la diffusion du
Français comme langue internationale du beau monde. Louis XIV avait
compris la force de l'art et ses affinités avec le luxe. 37
Que le rayonnement politique de la France en Europe aux XVIIe
et XVIIIe siècle se soit accompagné d'un rayonnement dans le
domaine des arts et du goût n'a rien d'étonnant. Il est certain
que la force et l'unité du pouvoir central ont attiré en un seul
lieu une importante concentration La royauté française, de par sa
suprématie était une monarchie qui a été
très associée au développement de l'art, puisque
protectrice des artistes. Molière, La Fontaine ou Le Vau ne seraient pas
connus de nos jours sans un précieux soutien royal. La volonté de
faire de la France une nation d'esthètes en mécénat et
pensionnant des artistes a tout naturellement encouragé ces mêmes
artistes à se surpasser pour offrir des oeuvres qui allaient s'inscrire
dans l'Histoire. En incitant au déploiement du bon goût et de la
critique, Louis XIV à participer à éveiller les
consciences et à préfigurer le luxe moderne.
Alors oui, certes, le luxe français s'est
considérablement inspiré des autres pays : d'abord du luxe
italien de la Renaissance, qui nous a entre autres fait adopter la fourchette
puis du luxe anglais qui a considérablement influencé les
Français au XVIIIème siècle. Il suffit d'entrer dans
n'importe quel musée européen pour s'en rendre compte. Il n'en
reste pas moins que sous le règne de Louis XIV, l'Angleterre importait
20 fois plus de produits de luxe qu'elle n'en exportait vers la
France38. A méditer donc.
37 Voir Chapitre 8, p.48-50
38 Précisément à partir des années
1670 selon DEJEAN Joan dans Du Style (2006)
40
CHAPITRE 6 : Le Bon Marché, l'apparition des
Grands Magasins
Au coeur du nouveau Paris d'Hausmann, l'invention de la
seconde moitié du XIXème siècle est le Grand
Magasin. Le premier à sortir de terre est Le Bon Marché en 1852
et ce fut une vraie révolution en son temps. L'édifice est
énorme et entièrement conçu pour faire passer un moment
féérique aux consommateurs dans le but de faire vendre. Les
objets sont sublimés par une ambiance de fête et de faste pour
compenser le peu d'aspect utilitaire qu'ils revêtent. Comme le
décrit si bien Emile Zola dans son livre Le Bonheur des
Dames39 : « Les femmes vont là passer des
heures (...), elles entrent en lutte avec leur passion de la toilette et
l'économie de leur mari, enfin tout le drame de l'existence avec
l'au-delà de la beauté ».
Un critique écrivit également un papier dans
l'Orphéon du 5 janvier 1886, qui met des mot sur la sensation
que procure une visite au Bon Marché: « Les lumières,
les fleurs, les splendeurs entassées sous les yeux des invités,
les artistes éminents qu'on a applaudis, tout enfin miroite, bruit et se
brouille dans la mémoire de la personne la moins distraite et l'on reste
ébloui, étourdi pendant quelques temps tout en cherchant à
retrouver la stabilité nécessaire à l'esprit pour
développer un jugement quelconque. » En fait, à travers
la diversité des biens qu'elle consommait, la société
cherchait de plus en plus son identité. Et selon les normes des Grands
magasins, les choses qu'une personne possède définissent son
identité. En d'autres termes, pour les bourgeois, consommer comme les
aristocrates faisaient d'eux des aristocrates.
Les Grands Magasins s'apparentent à une certaine forme
de « démocratisation » du luxe puisqu'ils intensifient l'achat
de produits non nécessaires et autrefois réservés à
une élite. Ces nouveaux grands magasins bouleversent les codes
établis avec la diversité de l'offre, mêlant le futile et
l'indispensable et utilisant des méthodes nouvelles comme la libre
entrée et service, les soldes ou encore la publicité. Les riches
comme les moins riches se font plaisir en consommant : c'est l'apparition du
shopping comme activité à plein temps.
39 Au Bonheur des Dames est un livre qui a
été inspiré par Le Bon Marché.
41
Il semble alors bien loin le temps où le luxe
était synonyme de paroles magiques et autres rites sacrés :
bienvenue dans un monde où les belles choses et les prix attractifs
suffisent au bonheur des classes moyennes.40 Toutes les parisiennes
accourent, prises d'une irrésistible envie d'acheter.
Cette analyse est d'autant plus appuyée par un exemple
très concret. Il suffit de se pencher sur le nom particulier que porte
le Grand Magasin qui a influencé tous les suivants : Le Bon
Marché. Cette dénomination n'a certainement pas été
choisie au hasard, puisqu'elle reflète parfaitement cette nouvelle
tendance : une envie de bonheur et de confort privé, mais pas au prix
fort, la recherche des petits plaisirs de la vie quotidienne qui rehausse la
morosité de l'existence et lui apporte un peu de piment. Le Bon
Marché diffusait les valeurs et prônait l'art de vivre de
l'aristocratie auprès de l'ensemble de la classe moyenne
française, et il y parvint en abaissant les prix. Mais il y parvint
aussi en devenant une sorte de manuel culturel de base.
Là encore, la réponse des élites est
sans appel : ils refusent catégoriquement de participer à ce
nouvel étalage de richesse. Ils prônent le « luxe de
simplicité » : une élégance chic et discrète,
dont les codes ne peuvent être perçus et interprétés
que par les personnes issues du même monde. Pour eux, le Grand Magasin ne
se pliait pas aux valeurs et moeurs traditionnels qu'ils avaient connus
autrefois. Pire encore, il montrait aux classes moyennes comment accéder
au style de vie de la noblesse. Le Grand Magasin, en rendant ce style de vie
palpable, indiquait le chemin à suivre pour en faire partie, à
condition bien sûr d'avoir un minimum de moyens : « Tout ce
qu'une toilette cherche à cacher, dissimuler, augmenter et grossir plus
que la nature ou la mode ne l'ordonnent ou ne le veulent, est toujours
censé vicieux. Aussi, toute mode qui a pour but un mensonge est
essentiellement passagère et de mauvais goût ». 41
40 MILLER Michael, Au Bon Marché 1869-1920 ; Le
Consommateur apprivoisé, Paris, Éditions Armand Colin,
1987
41 DE BALZAC Honoré, Traité de la Vie
Élégante dans Pathologie de la Vie Sociale, 1830
42
Mais, au final, ce changement social a permis de redessiner,
de restructurer les traditions pour qu'elles puissent répondre aux
nouveaux enjeux et s'adapter aux nouveaux besoins.
De nos jours, le Bon Marché est
considéré comme le Grand Magasins le plus chic de la capitale.
Étonnant puisqu'il était autrefois voué à offrir
des prix moins chers que les boutiques spécialisées.
Racheté par le groupe LVMH en 1984, les parisiennes
élégantes ainsi que les coquettes du monde entier continuent
cependant de pousser chaque jour les portes de ce nouveau « temple du luxe
» où règne l'art de vivre à la française. Le
Bon Marché, à réussi à s'imposer comme une enseigne
prestigieuse et entretient son statut de « monument ». C'est un
bâtiment qui est se visite, au même titre que les autres
emblèmes de la capitale.
Il semblerait donc que le Bon Marché cultive
activement son patrimoine. Un autre exemple est la collection
créée à l'occasion de ces 160 années d'existence.
En 2012, le magasin revisite des motifs historiques, tirés des archives
de la Maison, et donne naissance à une collection dédiée.
Pour l'occasion, les marques de luxe se prêtent également au jeu
et 160 d'entre elles rendent hommage à ce lieu emblématique en
réinterprétant leurs pièces iconiques pour le Bon
Marché. Cette collection unique, baptisée « Les Exclusifs
» conjugue modernité, liberté et créativité.
Comme à l'époque, une mise en scène extraordinaire est
orchestrée et des expositions qui révèlent son histoire
habillent le Grand Magasin : une façon joyeuse de célébrer
ce bel âge, dans une étonnante modernité.
S'il avait n'avais pas évolué depuis sa
création, le Bon Marché n'aurait certainement pas l'image
grandiose qui le définit. Il ne s'est pas seulement contenté de
continuer à faire ce qu'il faisait déjà, c'est à
dire vendre des objets, il est aussi devenu un lieu de culture. En invitant
régulièrement différents artistes à
s'exprimer42, le Bon Marché fédère et
émerveille.
La sortie de terre de ce temple de la consommation a
jeté les bases de l'achat à outrance, mais il a aussi permis une
révolution sociale, en diffusant l'art de vivre.
42 L'illustratrice Marjane Satrapi, l'actrice Catherine Deneuve
et le réalisateur Loïc Prigent pour célébrer les 160
bougies du Magasins
43
C'est d'ailleurs ce qui le maintient maintenant dans le
domaine du luxe. En préservant son côté historique et ses
valeurs, Il n'oublie cependant pas de s'adapter au gré des changements
tout en créant un concept. En se voulant musée, Le Bon
Marché souligne d'autant plus l'importance de séparer le luxe dit
matériel, du luxe immatériel. Et le luxe immatériel n'a
pas de prix.
Vue de l'intérieur du Bon Marché 43
43 Source de l'image :
http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr/2013/05/france-grands-magasins.html
44
CHAPITRE 7 : Les Grandes Marques, naissance d'un mythe
Il est difficile de parler de naissance d'une marque. Petits
ateliers au début, les marques s'établissent au gré du
temps, et font grandir leur réputation progressivement, autour de
rencontres, de virtuosité et de secrets. En se rattachant à des
légendes, les grandes marques développent une épaisseur
créatrice de mythe et d'imaginaire.
En 1780, la toute première marque de luxe voit le jour
: Chaumet. Devenu joaillier officiel de Napoléon et de Joséphine
en 1802, Marie-Etienne Nitot offre à la Couronne de France le plus beau
joyau, le Régent (140 carats), aujourd'hui exposé au Musée
du Louvre. Entre les années 1828 et 1854, Pierre François
Guerlain ouvre sa maison de parfumerie, Charles Christofle reprend la
société de son beau-père, Thierry Hermès
débute son aventure de maroquinier et Jean-Louis Cartier s'installe
à son compte. A l'aube de la Belle Époque, l'Empire supporte ces
nouveaux talents, et Louis Vuitton devient le malletier attitré de
l'impératrice Eugénie. Son fils George dessine le
célèbre monogramme en 1896 en hommage à son père et
déjà pour lutter contre la contrefaçon. Au milieu des
années 1880, Jeanne Lanvin ouvre son atelier et lance sa marque en
1909. Cela fait de Lanvin la plus vieille Maison de couture encore
en activité. L'année 1909 marque les débuts de Gabrielle
Chanel.
Avec l'invention de la Haute Couture au XIXème
siècle, l'artisan est alors vu comme un visionnaire, un véritable
créateur au même titre qu'un artiste. Les produits sont toujours
aussi exceptionnels, mais à cela s'ajoute la renommée et le
prestige du fabriquant : la richesse des matériaux époustoufle,
mais la magie de la marque fait rêver. La marque doit avoir de vraies
valeurs auxquelles une population peut se repérer et s'identifier. Chez
Chanel, Dior ou Yves Saint Laurent, le créateur est comme
sacralisé. Ils inspirent des cinéastes, ils suscitent le
débat : le poids spirituel des créateurs a été
entretenu par ces marques. Les logos sont fétichisés et portent
une charge symbolique qui les hissent au statut d'emblème. Les marques
de luxe passent sans arrêt de l'histoire au conte, du conte au mythe.
C'est pourquoi les marques doivent se forger un véritable univers
d'expression : elles peuvent le faire en puisant dans leur histoire (Chanel) ou
en réinventant une légende (Dom
45
Pérignon). Certains des créateurs sont des
novateurs, d'autres des héritiers, et certains sont même des
novateurs héritiers, par goût ou par fidélité.
Orfèvres du plaisir donné, ils sont porteurs d'une alchimie : ils
font naitre un désir qui saura mériter leur création, en
lui donnant tout son sens.
Aussi, plus qu'un logo, un nom ou un visa social, la marque
est une personne à part entière, avec une personnalité
qu'elle affiche haut et fort. Chaque marque, tout en portant en majesté
des valeurs d'élégance et de classe, propose un style de vie bien
à elle. C'est ainsi que le bon goût sépare le luxe du
snobisme : l'initié achète la marque qui lui ressemble, il ne se
contente pas d'imiter. Cependant, il faut que cet univers soit cohérent
avec l'image que la marque veut donner d'elle pour éviter qu'elle ne
devienne qu'un simple exercice de style. L'honnêteté est une
garantie de réussite, c'est pourquoi on raconte des histoires vraies,
autour des aventures des fondateurs, presque comme une religion. Chanel est une
marque qui ose : Gabrielle Chanel était une avant-garde qui a
participé à l'émancipation des femmes. Après elle,
les femmes ne seront plus jamais les mêmes, puisqu'elles ont conquis une
liberté nouvelle que Chanel a su préfigurer et accompagner :
l'allure. Si Chanel prône le chic minimaliste et fait l'éloge du
noir et du blanc, c'est avant tout lié à l'enfance de la
créatrice. A l'orphelinat, elle portait le sarrau noir à col
blanc des orphelines. Elle, petite fille privée de tout,
débarrasse les femmes gâtées par l'existence de ce qui
encombre, gène ou brouille, pour ne laisser place qu'à
l'essentiel. Le « less is more » est né. Encore
aujourd'hui, c'est le credo de la marque. Comme mentionné
précédemment, les objets de grand luxe étaient à
l'origine utilisés pour partir à la conquête de
l'éternité, comme assurer son salut éternel après
la mort. Coco Chanel est morte en 1988, mais la marque Chanel continue
d'exister.
A l'aube de notre millénaire, les marques ont dû
redoubler d'efforts pour remporter un combat difficile : celui d'allier les
contraintes de la productivité à la créativité et
l'excellence. Les géants du luxe ont réussi à conjuguer
innovation et transmission de l'héritage : un challenge difficile.
Dorénavant, le luxe est tourné vers le présent et vers la
seule consommation des oeuvres immortelles du passé. Si le luxe veut
échapper à la fossilisation, il doit reconduire et actualiser les
formules du passé.
46
Entre tradition et mode, le luxe est devenu une sorte
d'hybride, dont la survie repose désormais sur son image. D'où la
nécessité pour les grandes maisons de valoriser leur passé
: ces lieux de mémoire s'imposent comme de véritables mythes
parce que c'est au travers des légendes des origines que se
façonnent les grandes marques.44 Les Grandes Maisons qui font
la fierté de la nation ont mérité leurs majuscules par
leur singularité, leur excellence, et souvent, leur mythologie. Si elles
contiennent des trésors, ce n'est pas pour les enfouir et encore moins
pour les cacher. En effet, autour de toutes ses anecdotes hasardeuses et de ses
légendes, le nom d'une marque devient ce qu'elle a créé,
car la saveur de l'éphémère peut parfois prendre un parfum
d'éternité si elle se transmet.
En 1954, le Comité Colbert est créé
à l'entreprise de Jean-Jacques Guerlain pour rassembler les marques de
luxe françaises (15 membres en 1954, 81 aujourd'hui) autour de valeurs
communes. De l'hôtellerie aux grands vins, en passant par la Haute
Couture et la gastronomie, tous les secteurs sont valorisés. Cette
institution, qui fait référence au ministre des finances du Roi
Soleil, légitime les marques de luxe françaises en terme
d'excellence. Cet organisme a pour vocation de promouvoir l'art, la culture
française et le luxe. Le Comité Colbert n'est autre que
l'héritage d'une coutume monarchique protectrice des arts pour mieux les
associer à son rayonnement. A la croisée du luxe, de la culture
et de l'art de vivre si chers à la France, elle est
l'héritière directe du règne du Roi Soleil. A l'image du
Comité Colbert, les comités Montaigne ou Vendôme sont les
anges gardiens de deux lieux emblématiques de la capitale : L'Avenue
Montaigne qui aligne les plus puissantes Maisons de luxe et la Place
Vendôme, place emblématique de la joaillerie.
Le luxe fait désormais face à des enjeux
majeurs : garder l'exception « culturelle », faire vivre les mythes
bâtisseurs, affirmer la création comme ressort et demeurer
très sélectif. D'un côté il faut innover,
surprendre, rajeunir la marque pour rester compétitif : c'est le
défi à court terme, celui de la mode. D'un autre, il faut
maintenir l'image d'éternité des marques et un halo
d'intemporalité. Pour être en accord avec les tendances, il faut
palper l'air du temps. La Haute Couture doit être au summum
44 LIPOVETSKY Gilles, Le Luxe Éternel, Paris,
Éditions Gallimard, 2003
du luxe, tout en étant au summum de la mode. C'est
autour de ce paradoxe que se jouent les plus grands challenges des ambassadeurs
du luxe dorénavant. C'est d'ailleurs ce à quoi répond le
Comité Colbert à la problématique de cette étude :
le luxe français puise sa force dans sa capacité à
s'adapter à la société, et à son exceptionnelle
créativité45. Rien ne sera fait si l'amour du
passé ne peut se marier au meilleur de l'avenir.
Des marques comme Chanel ou Louis Vuitton sont presque aussi
connues que le drapeau tricolore : elles sont au Panthéon du
génie français. Ces grandes marques participent à faire
rayonner l'image de la France dans le monde et la fascination qui en ressort,
puisqu'elles sont créatrices de tendances. Bernard Arnault est comme un
monarque à la tête de LVMH. Et si le rôle des marques
ambassadrices de la France était tout simplement d'éduquer les
autres nations au bon goût ?
47
45 J'ai sollicité le Comité Colbert par email pour
mon étude.
48
CHAPITRE 8 : Le luxe, huitième art ?
À de nombreuses reprises, les chemins de l'art et du
luxe ont toujours fini par se retrouver. Une oeuvre d'art produit des
émotions similaires à celles d'un produit de luxe. Elle ne
répond pas non plus à un besoin existant au sens propre du mot,
mais crée plutôt des désirs de consommations artificiels et
superflus.
Fondamentalement lié à la notion de
création, l'art se retrouve dans beaucoup de pièces iconiques des
marques. Yves Saint Laurent s'est inspiré d'oeuvres de Mondrian pour
créer la collection qui le rendra célèbre en 1965. Dior
s'inspire dans du mouvement pointilliste pour créer une robe Haute
Couture, en hommage aux oeuvre de Claude Monet46. Force
d'inspiration sans demie mesure des créateurs, l'art complète
l'univers magique que les marques veulent se créer.
En effet, la touche artistique se retrouve également
dans la communication des marques. Il suffit de regarder une publicité
pour Chanel pour juger des techniques cinématographiques, notamment avec
la présence d'un générique, et de la mise en scène
des produits comme objets d'art. Les publicités sont d'ailleurs
elles-mêmes réalisées par de réalisateurs
distingués, et mettent régulièrement en scène des
actrices, qui sont souvent choisies pour être les muses, les
égéries de la marque.
Au-delà de leurs créations ou de leur
communication, les marques s'engagent aussi culturellement. A l'époque
où les biens d'exception commençaient à descendre dans la
rue, les rois et nobles d'autrefois financent des artistes pour qu'ils leur
créent des oeuvres extraordinaires : c'est le début du
mécénat. C'est resté une tradition pour les marques de
luxe, qui se portent alors garantes de l'intemporel et de l'inestimable, au
même titre que les produits qu'elles vendent : Hermès finance la
restauration du Château de Versailles avec son carré «
Promenade à Versailles », Bernard Arnault (LVMH) et François
Pinault (Kering) s'improvisent gardiens de l'art47 et Cartier, Prada
ou Louis Vuitton s'engagent culturellement en
46 Voir photo en Annexe 10, p.112
47 Le premier par sa fondation au Bois de Boulogne, le second
avec le Musée Pinault, qui a investi le Palazzo Grassi à
Venise
49
créant des fondations. Elles érigent
également des musées pour matérialiser la marque et parler
de l'histoire de la famille comme le Musée Louis Vuitton à
Asnières. D'autres marques veulent aussi raconter leur saga comme
Chaumet, dans sa Boutique Musée place Vendôme ou encore Yves Saint
Laurent horizon 2017, avec sa fondation Pierre Bergé. En outre, le Bon
Marché est lui-même un musée au milieu des vêtements,
car le Grand Magasin héberge ses oeuvres permanentes,
agrémentées régulièrement d'expositions
temporaires, présentant des artistes de tous les horizons.
Aussi, l'art suit le cours du luxe. En 1500, et comme
c'était le cas depuis des millénaires, les grandes oeuvres
étaient réalisées pour gagner son éternité
après la mort, son entrée au Paradis. A partir du XVIème
siècle, il n'en est maintenant plus question, enfin plus exactement dans
la même notion de temps. A cette époque, la religion dictait les
croyances, et l'État et la morale dictaient les désirs. Seul
l'art octroyait des sensations pures, comme une échappatoire. Les
commandes de portraits et les autobiographies se multiplient, pour laisser une
trace de son passage sur Terre, pour faire perdurer le nom et la gloire de sa
famille : la montée de l'individualisme fait son apparition.
Au temps aristocratique, l'art devait être grand et
noble, au même titre que les aristocrates se devaient de l'être, en
effectuant des dépenses de prestiges obligatoires. Les codes
étaient figés. Néanmoins dans les dernières
années du XVIIème, un certain attrait pour le culte de des
anciens objets se développe et des collectionneurs d'art commencent
à apparaître. Ensuite, le siècle des Lumières se
distingue par un intérêt accru pour la décoration
privée, employant une riche collection de mobilier et d'objets
d'art.48 C'est l'essor d'une consommation faite par amour, dans un
souci d'esthétique et non plus par obligation de prestige. Les oeuvres
sont aimées pour ce qu'elles sont, mais plus pour justifier d'un certain
statut social. Ce phénomène pourrait être le point de
départ du nouveau luxe qui se veut plus émotionnel et beaucoup
moins ostentatoire.
48 Le Rez-de-Chaussée et le 1er
étage du Musée Carnavalet illustre bien le
phénomène, notamment avec la reconstitution de Salon bleu de
l'Hôtel de Breteuil (environ 1780) et un exemple de lit à la
polonaise.
50
Maintenant, dans un mode régi par le
libéralisme, l'oeuvre d'art doit être plaisante et
émouvante avant toutes choses. Si l'art contemporain perd de sa
fonctionnalité représentative pour véhiculer des
idées plus conceptuelles, il devient alors un art de vivre choisi. Cela
s'illustre dans le monde du luxe, notamment avec la dérégulation
des consommations où il est admis de mixer du H&M et du Dior. Ce
mélange ne pose plus problème car ils n'existent plus de
contraintes collectives : c'est l'expression de soi, de ce que l'on veut, des
sensations. L'esthétisation du rapport au luxe se traduit par un
désir de qualité de vie, de moments intenses, et tout cela
renvoie à une inspiration individuelle.
Pour conclure, le lien entre le luxe et l'art semble
évident. En permettant aux artistes de s'exprimer librement, le public
se sent alors lui-même libre et indépendant. L'artiste lui permet
de suivre sa propre vision du style.
Comme le luxe, l'art a ce côté émotionnel
: une oeuvre ne fait pas appel à notre raison. Comme le luxe, l'art se
rattache moins à la valeur intrinsèque qu'à la valeur
émotionnelle, se séparant ainsi du monde de l'argent et des
contingences du monde. Elle joue avec les émotions, confronte les
sentiments et entraine la passion du merveilleux. De plus, son
intemporalité la rend durable : elle s'inscrit dans le temps. Chaque
oeuvre échappe à la répétition et aux similitudes
puisqu'elle est absolument unique. Le luxe repose sur le principe de se faire
plaisir en accédant un objet superflu qui transcende, exactement de la
même manière que l'art le fait. Cette corrélation montre
bien que les deux notions sont très similaires et profitent l'une
à l'autre.
51
PARTIE 3 : L'importance des origines aujourd'hui
Aujourd'hui, toute l'économie, est mondialisée,
même celle du luxe. Paris ne possède plus l'exclusivité en
matière de luxe comparé à des villes comme Tokyo, Londres,
New York ou encore Milan. Mais le fait d'être français est
toujours reconnu comme une qualité dans le milieu. Cela permet de
rassurer les interlocuteurs d'autre nationalités puisque nous jouissons
d'une excellente réputation à l'étranger.
L'industrie du luxe se métamorphosa dans les
années 1980 : il se vulgarisa et devint plus manifeste. En 1990, les
codes se globalisent. Les marques donnent le sentiment de s'étouffer, de
se brouiller, de se perdre : l'impression que tout a déjà
été fait domine les esprits. Enfin, dans les années 2000,
la création se refait une place et prédomine. Bienvenue dans
l'ère de la dématérialisation, celle où
l'expérience de consommation onirique et phénoménale prend
tout son sens. Ainsi, depuis quelques années, on se rend bien compte que
plusieurs marques de luxe ressentent le besoin de retrouver leurs racines, leur
essence.
Par exemple, Rolex a sorti en hiver 2015 une publicité
télévisée, qui insiste sur son utilisation historique (la
montre était destinée aux aviateurs ; elle pouvait transmettre
deux fuseaux horaires simultanément), mais aussi sur son pays d'origine,
la France (elle est aux couleurs de la France). Autre exemple, en 2006, la
marque Dupont réédite le briquet Winsdor, 54 ans après la
commande spéciale du Duc : les sources sont utilisées d'une
manière contemporaine.
De même, les marques retournent à leurs origines
: des Cacharel renait de ses cendres en repensant son positionnement (Cacharel
a décidé de revenir à ses essentiels, en quittant le
positionnement luxe qui ne marchait pas, et renouant avec la catégorie
du prêt à porter simple mais toujours haut de gamme), ou le
renouveau de produits phares comme la Fiat 500. Il est intéressant de se
demander comment ses marques font pour faire du neuf avec du vieux ?
Effectivement, même si la marque ou ses produits sont revisités,
ce qui est proposé n'est pas vintage, mais tout à fait moderne.
Les marques jouent sur les succès qui ont jalonnés leur histoire.
Les références au passé sont utiles pour les produits
destinés à durer. Ainsi, les
52
consommateurs se laissent porter par l'air du temps, en se
disant que c'était mieux avant. Mais au final, le temps ne se remonte
pas, alors le présent doit être réinventé.
CHAPITRE 9 : Le retour sur soi des marques, un
argument de vente pertinent
Toutes ces actualités montrent qu'on rentre dans un
nouveau monde : celui où la décision d'achat n'est plus
fondée sur la marque, mais sur les origines. Le luxe a la
particularité de faire les deux. Si les grands créateurs font et
défont les tendances au gré des défilés qu'ils
organisent, l'essentiel de leurs ventes est souvent assuré par leurs
produits les plus intemporels. Le sac Kelly d'Hermès, crée en
1935 reste le modèle phare du sellier. Le parfum presque centenaire
N°5 de Chanel est toujours le parfum féminin le plus vendu dans le
monde.
De nos jours, les consommateurs ont aussi envie de savoir ce
qu'ils achètent. Au-delà de la qualité, le public
d'aujourd'hui a envie de comprendre les valeurs de la marque. Dans un monde en
perte de repères, les clients ont besoin de traditions et de valeurs
sûres auxquelles se raccrocher. Il ne s'agit plus alors d'attacher pour
attacher, mais aussi de s'imprégner de la marque pour mieux la saisir et
s'identifier à elle.
Ce désir de connaître la marque renforce
d'autant plus l'importance de la transmission dans les Maisons. Car si le
public souhaite des réponses, les grandes marques elles aussi veulent
des regards et des questions. A l'image de ce que doit être la
consommation des produits de raffinement qu'elles vendent, les Grandes Maisons
ne trouvent leur sens que dans le partage, l'échange et l'amour. C'est
aussi pourquoi les Marques se raccrochent à des produits historiques
qu'elles continuent de mettre sur le premier plan même s'ils ne
génèrent pas tellement de chiffres comme Hermès avec les
selles ou encore Louis Vuitton et les malles. En effet, les malles ne
représentent plus que 2% des ventes de Louis Vuitton et sont parmi les
derniers produits de la marque qui soient encore totalement
confectionnés en France, dans l'atelier mythique d'Asnières. Ces
parties intégrantes de leur héritage
53
leur permettent de ne pas perdre leur identité, ni
d'oublier d'où elles viennent. Puis, la France jouit d'une richesse
culturelle et historique fabuleuse et les marques de luxe ont bien compris
qu'elles devaient jouer dessus pour se démarquer, et donner un
supplément d'âme à leurs discours et produits. Les valeurs
patrimoniales et familiales sont le meilleur des marketings. Elles justifient
un savoir-faire avéré, donnant naissance à des
icônes qui traversent les siècles.
En effet, la France fait vendre et au prix fort 49
Dans les boutiques Louis Vuitton, certains étuis de
téléphone sont affichés au prix de 200 euros, les
présentant comme un des produits les moins chers de la gamme. Elles sont
même personnalisables : les initiales peuvent être gravées
à la feuille d'or gratuitement, juste en dessous du «Made in
Spain». Effectivement, ces pochettes sont produites dans l'un des deux
ateliers de Louis Vuitton en Espagne. Cela explique sûrement le faible
prix de ces pochettes, parce que le Made in France coûte cher. En effet,
et malheureusement, l'objectif du chiffre d'affaire prend bien souvent le pas
sur celui de l'image. Certaines marques préfèrent faire des
économies d'échelles quitte à mettre en péril leurs
origines.
Mais le pragmatisme et la rationalité ne nourrissent
pas le rêve. En effet, Chanel a des ateliers en Écosse, les
chaussures Louboutin et les sacs Dior sont fabriqués en Italie et 10 des
46 ateliers d'Hermès sont à l'étranger. En revanche,
toutes les collections se décident dans les bureaux parisiens, ce qui
conserve tout de même le patrimoine créatif français. Puis,
les pièces de Haute Couture et les Commandes Spéciales (c'est
à dire les produits faits sur mesure, avec les matériaux les plus
précieux et les plus chers) sont toujours élaborées dans
les ateliers parisiens. Dior se justifie de ses productions italiennes par le
fait que c'est dans ce pays que se trouvent les meilleurs textiles
(principalement le cuir) et les artisans les plus qualifiés pour
effectuer ce travail particulier. Quand je leur demande s'ils comptent faire
revenir leurs productions entièrement en France et former des artisans
français, un malaise se fait sentir, accompagné d'un vague :
« Oui bien sûr c'est prévu ».50
Peut-être qu'une distance est ainsi volontairement mise entre les
49 Voir Annexe 11, p.113
50 J'ai posé ces questions lors des Journées
Particulières le vendredi 20 mai 2016, pendant la visite de
l'Hôtel Particulier au 30 avenue Montaigne, là où
l'aventure Dior a commencé.
54
produits « standards », les produits qui se trouvent
en magasin et immédiatement accessibles, avec les produits d'exception
comme les pièces de Haute Couture et les Commandes Spéciales qui
elles sont réalisées à Paris. Dior a au moins le
mérite d'être transparent sur ce sujet. Mais au-delà du
prix, il est dommage que les marques n'appliquent la
sévérité de la Haute Couture à l'ensemble de leurs
collections, ce qui aurait certainement préservé leur
authenticité. Car face à la standardisation des produits
mondialisés, le « Made in France » apporte un gage de
qualité. Mais une fois de plus, l'appât du gain et de la puissance
l'a emporté sur les traditions.
L'essor des contrefaçons a aussi son rôle
à jouer dans le besoin des marques à redorer leur image. Bien que
la contrefaçon représente un sérieux danger pour les
marques de luxe, elle renforce néanmoins la légitimité des
originaux. Rien ne remplace la sensation de porter du vrai. Malgré cela,
la contrefaçon est toujours un problème d'actualité, parce
que certains consommateurs persistent à résister à l'achat
de produits originaux. Cette résistance peut s'expliquer par le fait que
ces consommateurs n'arrivent pas à accéder aux valeurs du luxe
telles qu'elles devraient l'être. Les vraies valeurs du luxe sont
censées être la confidentialité, la discrétion, le
respect pour la tradition et le savoir-faire authentique. La notion d'apparence
y est pour beaucoup dans cette confusion parce que certains ne savent pas
l'utiliser à bon escient. Ces consommateurs ressentent le besoin cruel
d'étaler leur argent, sans retenue, dans le but d'impressionner les
autres. La contrefaçon résulte de l'aspiration à
s'approprier des signes ostentatoires, mais surtout de montrer qu'on est plus
riches que ce qu'on est. Cela reflète le combat mondial du bon
goût, puisqu'il est plus facile d'avoir de l'argent que d'avoir du
goût.
Enfin, et comme expliqué précédemment,
le luxe est relatif à chacun : certains sont prêts à tuer
pour avoir le Kelly d'Hermès, un produit iconique de la marque et
symbole du luxe ultime pour certains. D'autres vont trouver ce comportement
ridicule mais n'hésite pas à se payer des vacances dans un chalet
de prestige sur les pistes. Il est permis d'interpréter cela comme une
personnification du problème soulevé : le luxe se veut de plus en
plus expérientiel. L'émotion ressentie l'emporte sur le produit
en lui-même.
55
Même l'essor des produits d'entrée de gamme est
justifié par l'expérience. Les marques répondent que
l'expérience d'achat doit être ancrée dans les gènes
de la Maison et donc être la même, quel que soit la valeur du
montant de l'achat. En revanche, cette expérience n'est permise que par
une distribution au sein d'établissement approuvés par la marque,
ou même possédés par elle-même (Sephora, Le Bon
Marché, etc.). Pour compenser le différentiel de rêve entre
les gammes, les marques de luxe comptent sur les produits griffés, les
icônes, pour redorer leur image en finançant divers
évènements somptueux pour renforcer le prestige. Le luxe ne
s'adresse pas seulement à ceux qui l'achètent : le conte de
fées sert à entretenir le rêve dans les consciences
collectives.
Dorénavant, les acheteurs investissent autant qu'ils
se font plaisir dans leurs achats. Il s`agit de consommer moins et mieux, les
consommateurs sont dorénavant prêts à économiser
pour s'offrir quelque chose de vraiment digne d'intérêt,
d'authentique et de valorisant. Le prix passe au second plan, après la
valeur de l`émotion. Le vrai chic, c'est de durer, de se maintenir pour
aller encore plus loin. Ces consommateurs aspirent à des produits plus
durables, qui se démarquent par leur simplicité et
s'éloignent de l'ostentation. La dimension émotionnelle du luxe
prend alors tout son sens : il faut créer une émotion qui
s'inscrira si fort dans le temps qu'elle en deviendra inoubliable. Ces produits
doivent alors organiser un rendez-vous unique, taillé sur mesure pour
vivre un rêve éveillé. La proposition luxueuse d'avant
n'est plus la même, car elle doit dorénavant correspondre à
une approche créative. Les gens veulent de l'étonnement (peu en
quantité mais beaucoup en surprise), de la révélation de
la pureté, de la précision et de l'esthétique : ils
aspirent à quelque chose qui amène des frissons.
Les marques de luxe n'ont pas vraiment de concurrents puisque
chacune d'elles a une image de marque qui lui est propre : son territoire est
marqué. Le but est d'imaginer un univers confidentiel autour de la
marque. Tout est mis en oeuvre pour sublimer le produit à travers un
scénario plein d'anecdotes. Surtout dans un contexte de crise
économique, les consommateurs ont besoin de sortir de l'ordinaire. C'est
pourquoi les émissaires du luxe s'évertuent à projeter un
univers chimérique.
56
Le luxe se crée son propre monde imaginaire,
composé de lieux phénoménaux et d'oeuvres d'art. Cet
univers flamboyant est renforcé par un vocabulaire plus lyrique, plus
évocateur : des Maisons, des Ateliers et des Modèles, pour
souligner une distance avec les entreprises, les usines et les produits, bien
plus anodins ou encore la distinction claire entre les hôtels et les
Palaces. Les marques de luxe ne veulent pas être choisies parmi d'autres,
elles veulent que le consommateur les voit comme l'unique réponse
à ses besoins. Cette tactique de story-telling s'avère
gagnante, tant que la marque reste honnête.
57
CHAPITRE 10 : Comment les marques peuvent-elles jouer
avec les émotions ?
L'histoire offre une belle mise en scène de
l'identité puisque c'est un véritable vecteur d'émotions.
Déjà dans la seconde moitié 14ème
siècle, la divergence entre le culte de l'ancien et celui du
présent apparaît. D'un côté, les vestiges de
l'Antiquité raniment les passions, le latin connaît son heure de
gloire auprès des érudits : les choses qui ne semblaient avoir
plus aucune valeur deviennent synonymes de préciosité. Pourquoi ?
Sous prétexte qu'ils appartiennent à une époque qui est
révolue, et tous ces savoirs ne pourront plus jamais être
exécutés exactement de la même façon : il s'en
dégage une certaine nostalgie. Ces vestiges sont absolument uniques et
irremplaçables, et confèrent un sentiment d'exclusivité
ultime. Les origines servent à se différencier. En revalorisant
le passé historique et la tradition, la nostalgie de la marque redore
une époque qui semblait empoussiérée.
Le cas du champagne est un très bon exemple. Ce
segment jouit encore aujourd'hui une demande en constante croissance.
Étant peu sensible au prix, il attire de plus de plus de consommateurs.
Le «vin des rois», bien qu'il se présente comme un produit
d'excellence, n'en devient pas moins un produit de luxe. Mais il peut le
devenir, notamment autour d'une histoire, d'un savoir-faire ou tout simplement
de l'évocation d'un mode de vie auquel on aspire. Flirtant
dorénavant avec le produit de masse, il porte toujours bien haut ses
symboles. En effet, le champagne peut toujours se conjuguer avec inaccessible
comme le fait Moët avec la Trilogie des Grands Crus. Ces trois vins
viennent de trois cépages rares (Les Vignes de Saran, Les Champs de
Romont, et Les Sarments d'Aÿ) et sont limités à 15 000
exemplaires par an. Une distance est ainsi mise entre ces produits et les
bouteilles d'entrée de gamme puisqu'ils reposent sur une rareté
naturelle. La Trilogie des Grands Crus est encore élaborée dans
le respect de la tradition. Elle se distingue ainsi des plaisirs accessibles
qui ne font plus que suivre les tendances comme le champagne Mercier. À
savoir que la marque Mercier a toujours eu vocation de rendre le champagne
accessible au plus grand nombre, tout en assurant une certaine
qualité.
58
Le fondateur Eugène Mercier imagine même un des
premiers documentaires sur le sujet, et jette en quelques sortes les bases de
la communication moderne.51
Depuis tout temps, la consommation de produits de luxe
s'apparente à l'échappatoire d'une réalité
ennuyeuse. Dans les années 1690, le pays est pourtant à feu et
à sang. Les précédents hivers ont été
très rudes, ravageant les récoltes et plongeant les agriculteurs
des campagnes françaises dans une sérieuse pénurie
alimentaire. Malgré cela, le Roi Soleil continue d'exhiber ses diamants.
Pareillement, de part et d'autres des frontières, les guerres font rage.
Mais les talentueuses couturières tournent cette situation à leur
«avantage» ; en s'inspirant des techniques d'habillement des soldats
pour les transformer en nouvelles tendances. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard
si les créateurs ont toujours puisé leur inspiration dans les
périodes sombre : le génie et le talent des artistes redonnent
l'espoir et le sourire au peuple. Ils s'évadent le temps de contempler
une belle robe. D'ailleurs, Valérie Steele le précise bien «
(...) Il fallait réaffirmer l'importance de Paris, après une
coupure de plusieurs années qui avait permis aux pays étrangers
de se dégager de son influence. La Haute Couture française
organisa alors une brillante opération de Relations Publiques en montant
une exposition intitulée « Le Théâtre de la mode
»52. En mars 1945, alors que Paris, éprouvée
par la Seconde Guerre Mondiale, manque encore de tout, une exposition hors du
commun attire les visiteurs par milliers au Musée des Arts
Décoratifs. Véritable ode à la Haute Couture
française, le Théâtre de la mode rassemble en versions
miniatures les créations des plus grands couturiers de l'époque.
Cette exposition est un parfait exemple de ce que les grandes marques font
encore aujourd'hui : réaffirmer et surtout rappeler au public toute la
gloire qu'inspire la mode française.
À la base, le luxe est un cas unique en communication
et marketing. Tout part des créations des artisans et, normalement, le
marché suit. Le luxe n'a pas besoin de faire du marketing pur en
analysant le marché, mais de se réinventer pour rester
51 De la grappe à la coupe,
réalisé par les Frères Lumière est le premier film
publicitaire de l'Histoire, projeté au Pavillon Mercier lors de
l'Exposition Universelle de Paris en 1900.
52 STEELE Valérie, Se Vêtir
au XXème siècle : de 1945 à nos jours, Paris,
Editions Adam Biro,1998, p.12
Voir aussi en Annexe 12 p.114, le Théâtre Dior
reconstitué lors des Journées Particulières, toujours
d'actualité en 2016.
59
compétitif. Le luxe doit sortir des chemins du
marketing classique pour se distinguer, continuer de cultiver son
unicité et véhiculer des promesses telles que le rêve, le
prestige et la rareté. Ce problème est d'autant plus
d'actualité que les consommateurs sont de plus en plus exigeants.
Les Relations Publiques et l'Evènementiel
représentent tous deux un moyen de développer la
préférence des consommateurs envers la marque.53 Ces
fonctions offrent de nouvelles opportunités pour se démarquer en
créant plus d'excitations, plus d'enthousiasme, tout simplement avec des
interactions plus vivantes, plus instinctive que la publicité classique.
La publicité ne fait pas forcément aimer une marque. En revanche,
les Relations Publiques promettent une rencontre, un échange plus
personnalisé destiné à susciter l'intérêt et
la sympathie en séduisant le leader d'opinion plus qu'à
véhiculer un message massif et standardisé.
Aussi, les Relations Publiques exigent une immersion
professionnelle comme personnelle dans l'univers des clients de la haute
société. Il faut vivre de la même façon qu'eux, car
une maitrise totale des habitudes, des codes et des langages est
inhérente au métier. C'est une question d'image : si la marque
doit être représentée, alors il faut mettre à
disposition une excellence. Les rendez-vous doivent se faire dans des lieux
confidentiels, les déjeuners d'affaires autour de bonnes tables, les
journalistes invités aux événement choisis avec soin, le
réseau efficace ... Au même titre qu'une pièce de Haute
Couture, il faut penser à chaque petit détail.
Pour ce qui est de l'Evènementiel, les soirées
privées cultivent l'exception. Par exemple, le Lundi 09 Mai dernier, la
renaissance du mythique Château de la Colle Noire, le refuge de Christian
Dior, a été célébrée par la Maison avec une
pléthore d'invités triés sur le volet : journalistes de
grands magazines, artistes, célébrités influentes, gros
clients ... Bien entendu, très peu d'éléments de cette
soirée exceptionnelle ne sont connus du grand public. Seuls quelques
détails, qui semblaient essentiels à la réussite d'une
soirée si prestigieuse, ont été dévoilés,
53 HEILBRUNN Benoit, Le luxe éternel. De l'âge
du sacré au temps des marques/ Prologue dans Plaidoyer pour les
marques, Décisions Marketing N° 31, Juillet 2003, p.
101-102
60
comme le menu concocté par un chef étoilé
ou encore un feu d'artifice pour clôturer la soirée. Cet
évènement, non seulement très grandiose et aussi un clin
d'oeil aux traditions de Christian Dior. L'homme aimait réunir tous ses
amis en plein territoire grassois, autour d'un grand diner dans son lieu
d'inspiration fétiche.
L'évènementiel passe aussi par des expositions
temporaires, qui présentent les marques de luxe sous un nouveau jour.
Louis Vuitton joue toutes les cartes de cette nouvelle stratégie parce
que la marque devient un article de mode qui suit les tendances sans plus
aucune authenticité. Après l'inauguration de la somptueuse
Fondation à Paris, une nouvelle exposition retraçant l'histoire
de la famille, son savoir-faire, son respect pour les traditions et son
goût pour l'art et le voyage est ouverte à Paris dans les salons
d'Honneur du Grands Palais. L`exposition retrace les origines de cette Maison
de prestige, fondée en 1854. Une véritable épopée
famille et une histoire de transmission de savoir-faire, autant de valeurs qui
sont chères au luxe.
L'exposition nous apprend que la mode et les produits de luxe
en général se doivent de correspondre aux attentes des
consommateurs et aux mutations de la société. Au XIXème
siècle, des inventions comme les navires à vapeur (1830) ou les
chemins de fers (1848) permettent d'accéder à des contrées
avant trop lointaines. Plus tard, l'automobile (1890) et l'exploitation des
lignes commerciales aériennes (dans les années 1900) ont
précipité le peuple dans de nouvelles habitudes et pratiques de
vie. La notion de voyage apparait, ou comment s'évader le temps de
quelques jours. Le succès est tel que le voyage devient un
véritable art de vivre. Ces inventions ont permis aux artistes et
créateurs d'exprimer leur créativité, en créant des
choses tout à fait innovantes. Louis Vuitton permet en 1890 l'invention
de la serrure à gorges, une découverte capitale qui permet
à un même client d'ouvrir l'ensemble de ses bagages avec une seule
clé. Encore aujourd`hui, cette technique est un secret de fabrication de
la Maison. Quelques années plus tard, Louis Vuitton participe aux deux
expéditions menées par André Citroën : la
Croisière Noire sur le continent africain et la Croisière Jaune
sur le continent asiatique. Ces missions exceptionnelles et totalement
révolutionnaires réunissent tous les visionnaires d'une
ère autour d'un véritable enjeu humain, géographique et
scientifique. C'est donc sur le voyage que la marque va axer sa communication
et s'imposer comme
la référence des nomades contemporains,
jusqu'à en devenir la gigantesque machine que l'on connaît. Il est
vrai que Louis Vuitton communique toujours sur cette notion d'évasion et
de voyage, bien des années après. C'est l'ADN de la marque, son
essence même.
Dans les expositions comme dans les évènements,
les produits des marques de luxe sont présentés comme des oeuvres
d'art. Chaque histoire est unique. Tout le monde connaît la marque mais
l'histoire n'est pas toujours assez racontée. Elle se place maintenant
au coeur des nouvelles stratégies commerciales. En effet, les vendeurs
glissent de plus en plus fréquemment des anecdotes historiques autour
des produits, pour enrichir le story-telling. Le but n'est pas de montrer la
marque comme une froide machine à enseigner, mais de la régler
sur l'individu.
Le Château de la Colle Noire lors de la soirée
d'ouverture le 09 mai 2016.54
61
54 Source:
http://www.dior.com/diormag/fr_fr/suggest/la-colle-noire
62
CHAPITRE 11 : Le cercle vertueux de la
démocratisation
Tout ce qui paraît luxueux aujourd'hui a pour vocation
de se vendre demain à une grande échelle et à un prix
modéré. Ces dernières années ont vu le luxe
descendre dans la rue. L'inaccessible est devenu accessible. C'est l'apparition
du nouvel oxymore du luxe qui se vend bien. Ce nouveau cycle de
démocratisation du luxe se souligne d'autant plus que par l'effondrement
du pôle sur mesure dans les marques de luxe, supplantés par
l'essor considérable des biens de première catégorie comme
le parfum, le maquillage, les accessoires ou encore le prêt à
porter.
Néanmoins, l'inaccessible est-il vraiment devenu
accessible ? N'en n'est-il pas moins qu'une illusion ? Quand les marques dites
de luxe acceptent de dessiner des choses plus abordables pour des enseignes de
grande diffusion (à l'instar de Balmain pour H&M), certains pensent
que cela dévalorise la marque. J'appartiens à l'autre
école. A mon sens, les marques de luxe qui se prêtent à ce
jeu ne perdent sans doute pas leurs clients habituels. Ses acheteurs vivent
trop haut perchés pour voir l'écume du commerce de
proximité du commun des mortels. Le nom sur l'étiquette ne fait
pas tout : les vêtements Balmain vendus chez H&M ne sont pas des
produits de luxe, à la différence des vêtements Balmain qui
se trouvent dans la boutique Rue François 1er à Paris. Non
seulement à cause du prix, mais aussi par la qualité des
matériaux, les finitions et le travail engagé dans les
créations. Le luxe réside dans l'art des détails.
Le beau attire, c'est bien connu. Les clients qui
achètent de la Haute Couture ne permettent pas forcément à
la marque de prospérer économiquement. C'est en effet sur ce
segment que les marques margent le moins, car les matières
premières et le travail fait main coûtent extrêmement cher.
Pourtant, les enjeux de croissance sont devenus essentiels pour la survie d'une
marque. Alors elles font en sorte que l'enthousiasme
généré par les produits d'exception découle sur
d'autres produits, plus accessibles. En effet, même acheter un petit
objet signifie l'adhésion du client, une entrée dans l'univers de
la marque, puisque sa communication déploie des réseaux
d'appartenance à des mondes communs. En effet, la jouissance
esthétique rend plus facile le fait d'aimer et de sympathiser. Et la
sympathie abolit les distances.
63
De plus, l'augmentation de quantités des produits et
l'amélioration de la qualité de ces mêmes produits
apportent une satisfaction toujours plus complète aux désirs de
consommation.
Dès lors que les biens deviennent plus disponibles et
plus adaptés à l'époque en question, le bien-être se
développe dans les différentes classes sociales. C'est ainsi que
des produits qui étaient autrefois réservés à une
certaine élite atteignent les classes moins fortunées. Cette
vulgarisation des jouissances raffinées entraine forcément la
manifestation d'un luxe plus « populaire », loin de celui des gens
privilégiés.
Comme à la fin du Moyen-Âge, lors de l'invention
de la mode, l'importance de l'innovation et des changements joue un rôle
primordial dans nos sociétés. Il y a 500 ans, les nouveaux
systèmes bancaires, le goûts pour les grands voyages (rendues
possibles par des innovations) et tout ce renouvellement a pris le pas sur les
traditions ancestrales : on accorde plus de place au nouveau.
De même, avec l'essor de la consommation des loisirs et
du bien-être dans les années 1950-1960, le superflu est non
seulement devenu nécessaire, mais il est surtout logiquement devenu une
aspiration de masse. Ainsi, le caprice se vit remplacé par la
coutume.
Il est aussi intéressant de mettre en lumière
un autre phénomène. En 1670, le point central des gravures de
mode, que les créateurs français diffusaient dans le monde,
était le vêtement en lui-même. Quelques années plus
tard, aux alentours de 1690, l'accès était en revanche
plutôt mis sur le style de vie que procuraient ces vêtements. Le
message que voulaient faire passer ces gravures était que si le client
lambda ressemblait aux dames de la Cour, alors il partagerait un petit bout de
leur style de vie. Cette évolution fut exactement la même dans la
photographie du siècle dernier. En effet, dans les campagnes de
publicité des grandes marques, il est plus question de montrer
l'univers, l'ambiance de la marque que de flatter les produits en
eux-mêmes. Ils sont incorporés à un décor
particulier, qui véhicule lui aussi des messages de grandeur. Le message
est exactement le même quand les marques
64
d'aujourd'hui en choisissant des égéries
célèbres. Les gens célèbres ont de tout temps
étaient privilégiés. En effet, ils parlent
déjà à l'imaginaire des masses.
Comme dans cela s'est déjà produit dans le
passé, le luxe emprunte des chemins différents : l'exceptionnel
et l'accessible. D'où l'essor d'une nouvelle tendance, celle du mixage
des produits d'exceptions avec des produits beaucoup moins coûteux dans
les boutiques de luxe.
Compte tenu de tous les éléments
évoqués au fil des chapitres, le luxe suit une
continuité historique. Le phénomène de
« démocratisation » semble indéniablement se
répéter, au moins depuis la Renaissance. Il n'y a rien de nouveau
dans cette causalité des hommes avec la consommation de biens
onéreux.
Ce que démontre cette étude, c'est que la
passion du luxe ne veut pas forcément dire étaler ses richesses,
mais plutôt s'admirer soi-même. De nos jours, la montée de
l'individualisme est telle que l'importance du regard des autres est moindre :
le public veut être indépendant et différent. En effet, si
les motivations d'ostentation et d'étalage de richesse sont devenues
modiques, le néo-narcissisme s'accompagne d'une promotion d'une image
personnelle plutôt que d'une image de classe. Le client aspire
désormais à jouir de moments de volupté, pour se
satisfaire lui-même avant tout. L'heure est à la primauté
des sensations intimes, à la fête privée des sens
plutôt qu'à la théâtralité sociale et à
l'exigence de reconnaissance. Ce qui compte dorénavant, c'est
l'épanouissement personnel, le frisson de l'aventure, le sentiment d'un
soi victorieux, l'intensité des sensations intimes ... Si la
réfection se positionne de ce point de vue, tout devient très
logique, car même le fait de flamber vient s'inscrire dans le temps.
Pourquoi ? Pour faire du présent un moment tellement fort qu'il en
deviendra inoubliable.
Cela se confirme par la conservation d'une consommation assez
cérémonielle des produits de luxe. Dans l'opinion publique,
encore aujourd'hui serait considéré comme un véritable
sacrilège de consommer un Grand Cru dans la précipitation dans
des gobelets en plastique, sans avoir pris le temps d'admirer la robe et
d'humer le bouquet. Pareillement, le chef d'un grand restaurant gastronomique
fait office de « maître de cérémonie ». C'est
à s'en demander s'il est peut-être là, tout
65
le charme du luxe : il est capable de ressusciter une aura de
sacré, de fournir une tonalité cérémonielle
à l'univers des choses, de réinscrire la ritualité dans le
monde désenchanté.55
Si le luxe est question d'adhésion à des
valeurs, de style de vie et d'émotions plus que de prix, alors la «
démocratisation du luxe » ne veut rien dire. Si le luxe en France
est étudié d'un point de vue historique, alors il apparaît
clairement que de tous temps, le luxe s'est toujours adressé aux classes
montantes aussi bien qu'à la haute société. Il
apparaît aussi que ces classes montantes ont toujours aspiré
à accéder à une vie sans contraintes, où le
raffinement est roi. Le luxe sera toujours le contraire de
l'égalité, mais il participe paradoxalement aussi à
réduire les distances entre riches et pauvres. Louis Vuitton et
Gabrielle Chanel étaient d'origine très modeste, mais leur bon
goût les a établis ambassadeurs du luxe et ce statut reste
inchangé depuis des générations.
Que la France soit le pays du luxe et des Droits de l'Homme
n'est peut-être pas anodin. Elle est peut-être le seul pays qui a
assumé ses paradoxes et ses contradictions. Le luxe a probablement
réussi à réduire les différences en riches et
pauvres, en proposant à toutes les parties de sa population de cultiver
un certain art de vivre. Et il s'est aussi imposé comme un formidable
ascenseur social pour les talentueux qui ont osé tenter leur chance.
Comme disait si bien Victor Hugo : « Le luxe est un besoin des grands
états et des grandes civilisations. Cependant il y a des heures
où il ne faut pas que le peuple le voie. Mais qu'est-ce qu'un luxe qu'on
ne voit pas ? Problème. Une magnificence dans l'ombre, une profusion
dans l'obscurité, un faste qui ne se montre pas, une splendeur qui ne
fait mal aux yeux à personne. Cela est-il possible ? Il faut y songer
pourtant. » 56
55 LIPOVETSKY Gilles, Le Luxe Éternel, Paris,
Éditions Gallimard, 2003
56 HUGO Victor, Aux Tuileries dans Choses
Vues, Paris, 1847, p.225.
66
CHAPITRE 12 : Le luxe français va-t-il
réussir à atteindre ses ambitions futures sans pour autant
mettre en danger sa culture et son identité ?
Pour conclure cette étude, il convient de
présenter quelques recommandations. Plusieurs marques ont tendance
à reléguer leur capital patrimonial et culturel au second plan,
pour privilégier leur statut de marque mondiale. Alors comment
éviter la banalisation de l'image de la France ?
l Valorisation du savoir faire
Le designer est souvent mis en avant, mais il ne faut pas
oublier les petites mains qui ont investi leur vie dans leur art. Pourtant,
tout était plutôt bien parti. En 1675, à l'aube de
l'industrie de la mode, l'autorisation du statut officiel de
«couturière» marque un vrai tournant dans la vie des petites
mains qui fabriquent les vêtements. Pour la première fois, elles
étaient reconnues à leur juste valeur. Ce terme est d'ailleurs le
premier du champ lexical de la Haute Couture, preuve irréfutable du
rôle crucial qu'ont joué les petites mains dans l'essor de
l'industrie de la mode.
La différence entre un artisan lambda et un artisan
qui perpétue un savoir-faire depuis des générations
réside dans le plaisir qu'il trouve à créer un produit
d'exception. Un artisan doit être à l'origine d'une
création avec une vision du futur, une ambition, une
détermination et un chemin plein d'espoir à tracer. Quand
l'artisan lambda aura l'impression de « perdre son temps » à
coudre alors que la machine pourrait le faire beaucoup plus rapidement,
l'artisan d'un atelier va se surpasser car la passion l'anime. Et aussi car il
sait qu'une machine ne pourra jamais mieux faire qu'il ne le peut. Ce sont dans
leurs ateliers que souffle l'art vif de la création permettant à
des trésors de voir le jour. Les artisans travaillent tous ardemment
à la conservation de l'artisanat et du savoir-faire qui participe tant
à la grandeur de notre patrimoine. Du dessin jusqu'à la maquette,
l'héritage culturel français occupe une place de choix dans la
création de produits de luxe. Dans l'ensemble de ses composante, ces
techniques ancestrales revêtent des couleurs de rêves, car le
67
travail d'artiste est un jeu de patience conçu pour
déclencher le régal des sens. Le champ créatif qui se
dessine sous leurs doigts est immense.
L'accès de nouveaux consommateurs aux produits de luxe
donne aux clients historiques des Grandes Maisons moins d'exclusivité.
Or le luxe, le vrai, doit être unique. D'où le retour en force du
sur mesure, qui s'impose comme le luxe ultime. De la chemise au costume, en
passant par les chaussures, bijoux et parfums, tout se personnalise et se
réalise à la commande. La customisation est redevenue une
tendance majeure. D'une part parce que le public aspire dorénavant
à quelque chose qui offre de l'affectif et de l'artisanal dans ses
créations. Un objet personnalisé aura toujours plus de valeur,
pour la simple et bonne raison qu'un lien est établi. C'est ce que les
marques cherchent à faire : réintroduire l'intimité avec
le client. Le service de personnalisation permet de faire sentir aux client
qu'aucun de leurs rêves n'est impossible à réaliser. Quand
des personnes ont déjà tout, la somme de détails favorise
la surprise.
Cette année, la troisième édition des
Journées Particulières de LVMH a lieu fin mai. Ces
Journées sont l'occasion de découvrir les coulisses des
savoir-faire séculaires des grandes marques françaises pour
rendre hommage à notre patrimoine. Dans la même dynamique, Chanel
fête en 2016 les treize ans de ses défilés «
Métiers d'Arts », qui rendent hommage chaque année à
une ville et un savoir-faire différent.
Les marques devraient aussi un peu moins se pencher sur le
plan financier, et ramener leurs ateliers en France. Il est sincèrement
essentiel que le pays soit stimulé par la production de produits de
luxe. Mais chacun livré à lui-même et solitaire ne pourra
pas accomplir grand-chose. C'est dans l'addition des ambitions individuelles
qu'une oeuvre collective devient possible. Les marques doivent mener des
actions communes et jouer la même partition. Les puissants du luxe ne
manquent ni de projets ni de moyens financiers, et c'est ici que se trouvent
les hommes pour réaliser et faire.
l 68
Allier patrimoine et innovation
Même si le produit de luxe accepte une imperfection
technologique pour une perfection humaine et identitaire, et si les marques de
luxe se complaisent dans leur nostalgie il ne faut pas oublier que l'innovation
demeure essentielle pour ne pas tomber dans l'obsolescence. Le luxe
français reste prudent, presque mal à l'aise avec la
digitalisation. La France est sans aucun doute elle aussi une patrie
compétente au regard de la technologie, mais le luxe s'en accommode en
général assez mal. Les valeurs de performances techniques ont peu
d'affinités avec sa psychologie. Le luxe français n'est pas un
luxe d'objets évaluables selon des fonctionnalités objectives,
puisqu'il s'inscrit dans une dynamique de la création proche du monde de
l'art. L'aura se crée dans la légende et dans l'histoire
plutôt que dans l'aptitude vérifiable. Cependant, les marques
doivent maintenant continuer d'inscrire leur histoire dans le temps, mais avec
une écriture plus moderne.
Le luxe français doit se forcer à toujours plus
innover pour rester attrayant, mais sans jamais compromettre son patrimoine
créatif. Aujourd'hui, la tendance est à la sophistication de
l'économie et de la société. Les désirs sont de
plus en plus artificiels. Cela fait suite à l'élévation
général du niveau de vie qui fait lui-même écho
à l'industrialisation. A ce niveau-là encore, l'innovation est
absolument primordiale pour les acteurs du luxe s'ils ne veulent pas prendre le
risque de perdre leur statut d'avant gardes. Car de plus en plus de marques
(pour ne pas dire quasiment toutes) parient sur la technologie pour charmer. Il
est par conséquent impératif que les marques de luxe maintiennent
leur excellence, même sur le plan de l'innovation. Encore faut' il savoir
l'utiliser à bon escient. Depuis l'essor d'Internet, le consommateur est
pour la première fois aux commandes au détriment de la marque. La
digitalisation reflète une perte d'autorité et du pouvoir des
marques. Il faut donc construire une nouvelle relation à l'autre sans
perdre pour autant perdre notre territoire culturel. Il faut alors penser
à construire une stratégie basée sur la personnalisation
des services.
69
En 2015, Hermès est considérée par
Forbes57 comme la 22ème marque la plus innovante
du monde et comme la marque de luxe la plus innovante. Effectivement,
Hermès joue excessivement bien avec ce nouveau défi. Pour elle,
le couple tradition et innovation semble être parfaitement
intégré. Sa présence sur le Web en est le parfait reflet.
D'un côté, son site Web officiel ne propose que les produits
d'entrée de gamme, préservant l'exclusivité des produits
d'exception à ses magasins. Néanmoins, ses sites miroirs (par
exemple pour les carrés de soie) resplendissent de
créativité et d'esthétisme et proposent une
expérience digitale originale.
Aussi, en Thaïlande, des marques comme Cartier
réalisent des spots projetés sur les façades des centres
commerciaux de luxe : c'est du 3D Mapping. Ce nouveau système diffuse en
géant un film en 3D sur tous types de supports. Cartier a retracé
son histoire dans un film, recréant une ambiance parisienne en plein
coeur de Bangkok.
l Repenser le tourisme
Les paysages, les marques de luxe, le terroir de la
gastronomie, le patrimoine architectural ... Autant d'éléments
qui font fleurir le tourisme en France, où l'achat se conjugue à
l'expérience privilégiée de consommation. : le rêve
par l'excellence de la qualité, du savoir-faire, du service et de
l'environnement.
Aujourd'hui, le Georges V est possédé par un
prince arabe, la Dorchester Collection est détenue par le Brunei. ... En
effet, les puissants du Moyen-Orient commencent à penser à
l'après pétrole. Mais surtout, ils sont extrêmement
sensibles au prestige qu'il confère de posséder des bijoux si
précieux. Ces acquisitions sont nécessaires pour le
développement de l'hôtel et la préservation de son
patrimoine. Ils permettent par exemple d'engager des travaux de
rénovations très coûteux, ou encore de constamment
renouveler son portfolio de services originaux. En effet, les Français
en général sont de plus en plus portés sur l'appât
du gain au détriment de la qualité des services, qui ne sont plus
à la hauteur des espérances des touristes. Il semblerait que le
problème ne soit pas seulement financier mais aussi culturel : les
57 Source :
http://www.forbes.com/innovative-companies/#/tab:rank_page:3
70
Français ne font pas vraiment d'efforts pour s'adapter
aux nouveaux enjeux du tourisme. En effet, la France se focalise trop sur le
retour sur investissement.
La nouvelle donne géopolitique de l'évolution de
la répartition des richesses place les Asiatiques et
particulièrement les Chinois comme invités de marque.
L'arrivée de nouveaux hôtels asiatiques sur le marché
français comme le Mandarin Oriental ou le Shangri-La redistribuent les
cartes. Ils se sont même vu décerner la prestigieuse distinction
« Palace », alors même que certaines institutions comme Le
Crillon ne la possède pas. Si les Chinois ne sont pas habitués
à descendre dans ce genre d'hôtels, ils se retrouvent cependant
dans les chaînes d'hôtels qui sont omniprésentes chez eux.
Ces nouveaux modèles ont imité le savoir recevoir français
jusqu'à le rendre encore plus excellent.
Il faut savoir que la classe aisée chinoise (40 000
dollars annuels en moyenne) devrait compter 280 millions de personnes d'ici
à 2020, contre 120 millions aujourd'hui. Elle assurera 35 % de la
consommation mondiale, et 75 % de la croissance des achats de produits de luxe
en Chine.58 Les enjeux sont donc de taille. Le défi est de
s'adapter à cette nouvelle clientèle chinoise afin de les attirer
puis de les fidéliser tout en communiquant sur les valeurs de la France
et sa longue tradition d'excellence en matière de tourisme.
58 KAPFERER Jean Noël et BASTIEN Vincent, Luxe Oblige
/ On Luxury, 2ème Édition, Paris, Éditions Eyrolles,
2012, p. 43
71
CONCLUSION
Au regard de la boulangerie artisanale, du bon pain, les
artisans boulangers se sont mis au luxe incidemment. Vingt ans qu'ils vendent
de l'authenticité, du savoir-faire, du façonné main, de la
tradition. Car oui, la baguette tradition, vendue en moyenne 20% plus cher que
la baguette classique, est un petit luxe quotidien que s'offrent des
Français, sans même y prêter attention. Le luxe chez nous
est la définition du savoir-faire à la française et de la
recherche de l'exception.
Le nouveau luxe est culturel et immatériel, tout en
étant aussi spirituel et physique, car il s'intègre
inconsciemment dans une vie remplie de raffinement.
La beauté est l'affaire de tous. La France
réussit et continue d'enchanter car elle est le seul pays à
proposer le « beau » luxe. Générant des
retombées économiques importantes, le luxe à la
française représente également une source d'inspiration et
de modèles dans le monde grâce à la force de ses enseignes
et de sa culture. Le luxe parle français.
Dans un monde où le superflu et le vital se sont
toujours côtoyés, tradition et création façonnent
ensemble le luxe. Dans le luxe à la française, le changement est
prépondérant alors que l'empreinte de l'Histoire est pourtant
omniprésente. Le désir sans cesse renouvelé de revivre
l'Histoire avec un regard neuf éprouve cette alliance compliquée,
impérative et pourtant naturelle entre passé et présent.
Le patrimoine est vivant.
A la Cour du Roi Soleil, les plaisirs et les divertissements
faisaient le quotidien parce qu'ils participaient à l'art de gouverner.
Ce mémoire nous apprend que les Palaces, les défilés de
Haute Couture ou les Cuvées Prestige de champagnes n'en sont qu'une
mince évocation, mais construisent un lien précieux entre hier et
aujourd'hui. Le luxe raconte l'histoire de la France et de sa culture. Toute
atteinte à l'image du pays porterait préjudice à son
industrie puisque que c'est atout majeur par rapport à
l'étranger.
72
La machine à remonter le temps existe : elle se trouve
dans chaque parcelle du luxe à la française.
Et si le meilleur artisan du luxe, c'était justement
d'avoir du temps ? Il faut, certes, un savoir-faire pour réaliser les
plus beaux produits des Grandes Maisons. Mais rien ne serait possible sans le
temps : celui des fûts qui attendent que les vins atteignent leur
meilleur potentiel, celui de former un artisan compétent qui s'initie
continuellement comme coudre les précieux cuirs ou monter les centaines
de minuscules pièces qui composent les mouvements d'horlogerie les plus
précis. Mais compte aussi l'empreinte du temps passé qui bonifie
le produit et donne du corps à la marque. Parce que le temps revêt
également une dimension historique. Le passé et le patrimoine
sont les piliers luxe français. De Dior à Lanvin en passant par
Saint Laurent, toutes les marques assoient leur légitimité sur
leurs illustres fondateurs et leurs années d'expertise. Dans un monde en
recherche constante d'être toujours à la pointe, le luxe reste un
domaine où le temps garde toute sa valeur et son importance.
Je souhaite que vous ayez pris tout votre temps pour lire ce
mémoire : c'est votre luxe à vous.
73
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages pertinents
ASSOULY Olivier, Le capitalisme esthétique : Essai
sur l'industrialisation du goût, Paris, Éditions du Cerf,
2008
BONAL François, Le Débuts du Champagne
in Vins de Champagne et d'ailleurs (Médiathèque
d'Epernay), Paris : Direction du Livre et de la Lecture, 2000, p 17-22 BOULOGNE
Jean-Claude, Histoire des cafés et des cafetiers, Paris,
Éditions Larousse, 1993
CASTARÈDE Jean, Histoire du Luxe en France, des
origines à nos jours, Paris, Éditions Eyrolles, 2006
CASTARÈDE Jean, Luxe et civilisations : Histoire
Mondiale, Paris, Éditions Eyrolles, 2008
CASTARÈDE Jean, Le Luxe, Paris, PUF, 1992,
p.63-64
COLONA D'ISTRIA Robert, L'art du luxe, petit traité du
luxe suivi d'un catalogue raisonné des objets, lieux, pensées y
contribuant, Paris, Éditions Hermé, 1991 DE JEAN Joan,
Du Style, Paris, Éditions Grasset, 2006
DONNAT Olivier, Les Français face à la
culture : De l'exclusion à l'éclectisme, Paris,
Éditions La Découverte, 1994, p.10
FROMAGEOT Paul, La Foire Saint Germain, Bulletin de
la société historique du 6ème arrondissement de Paris IV
(1901), p. 185-248
GANDHILHON René, Naissance du Champagne : Dom
Pierre Pérignon, Paris, Éditions Hachette, 1968
KIT Borys, Gossip Girl team heading back in time with
feature «The Luxe», Hollywood Reporter, 13 July 2011
MANCEAUX Jean-Baptiste, Histoire de l'abbaye et du village
d'Hautvilliers, 3 vols, Epernay, L. Doublat, 1880
MARSEILLE Jacques, France, Terre de Luxe, Paris,
Éditions La Martinière, 2000 MICHEL Dominique, Vatel et la
naissance de la gastronomie, Paris, Éditions Fayard, 2000
MILLER Michael, Au Bon Marché 1869-1920 ; Le
Consommateur apprivoisé, Paris, Éditions Armand Colin,
1987
74
SABBAN Françoise et SERVENTI Silvano, La
gastronomie au Grand siècle, Paris, Éditions Stock, 1998
STEELE Valérie, Se Vêtir au XXème
siècle : De 1945 à nos jours, Paris, Éditions Adam
Biro, 1998
RIVAL Pierre et BAUDOT François Métiers
Choisis, Les secrets du savoir-faire pour le Comité Colbert,
Flammarion, Paris, 1995
ROCHE Daniel, Histoire des choses banales, la naissance de
la société de consommation dans De La rareté au
luxe, 1997, p. 85-91
Références
académiques
DE BALZAC Honoré, Traité de la Vie
Élégante dans Pathologie de la Vie Sociale, 1830
CARRONNIER Vanessa, Luxe, Design et Volupté,
CosmetiqueMag N°156, Décembre 2014, p.54-55
CATRY Bernard, Le luxe peut être cher, mais est-il
toujours rare ? dans Revue Française de Gestion N°171,
Février 2007
COQUERY Natacha, L'hôtel aristocratique : Le
marché de luxe á Paris au XVIIIème siècle,
Paris, Publications de La Sorbonne, 1998
DIDEROT et D'ALEMBERT, L'Encyclopédie,
1751-1772
DIDIER Lucas et SCHOEPFER Alexandre, L'hôtellerie de
luxe : enjeux et mutations, Géo économie N°64, Mars
2013, p. 171-184
HEILBRUNN Benoit, Le luxe éternel. De l'âge
du sacré au temps des marques/ Prologue dans Plaidoyer pour les
marques, Décisions Marketing N° 31, Juillet 2003, p.
101-102
HUGO Victor, Aux Tuileries dans Choses Vues,
Paris, 1847, p.225.
KAPFERER Jean Noël et BASTIEN Vincent, Luxe Oblige /
On Luxury, 2ème Édition, Paris, Éditions Eyrolles,
2012
LERMERCIER Claire, Tenir boutique à Paris au
XVIIIème siècle : luxe et demi-luxe dans COQUERY
Natacha, Economic History Review N°66, 2, Mai 2013, p.674-675
LESURE Jean-Marc, Les Hôtels de Paris,
Éditions Alphil, 2005
MASLOW Abraham, A Theory of Human Motivation, paru dans
la revue Psychological Review n°50, 1943, p.370-396
VOLTAIRE, poème Le Mondain, 1736
VOLTAIRE OEuvres complètes, Volume 1, Paris,
Imprimeries de Fain, 1817
SITOGRAPHIE
http://atout-france.fr/content/connaitre-les-16-etablissements-distingues-palace
http://acteursdeleconomie.latribune.fr/debats/grands-entretiens/2016-02-11/edgar-morin-le-temps-est-venu-de-changer-de-civilisation.html#xtor=EREC-32280591-%5Bnewsletter
acteurs economie%5D-20160213
http://lexpansion.lexpress.fr/entreprises/les-secrets-de-la-reussite-du-luxe-a-la- francaise1426433.html
http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/03/17/chanel-va-baisser-ses-prix-en- chine45949113234.html
75
http://www.dior.com/diormag/frfr
76
TABLE DES ANNEXES
Annexe 1 : Interview de Madame Alice
CAMUS 77
Annexe 2 : Interview de Madame Carenne
ANDRE83
Annexe 3 : Interview de Monsieur
Mathieu DA VINHA 87
Annexe 4 : Interview de Madame Gloria
RUSSO 92
Annexe 5 : Interview de Monsieur Yves
BOREL95
Annexe 6 : Interview de Madame
Aurélie FOURTEAU 99
Annexe 7 : Interview de Monsieur
Xavier LE PERSON 103
Annexe 8 : Interview de Madame Astrid
VANDEWALLE 107
Annexe 9 : Interview de Monsieur
Martin GERLIER109
Annexe 10 : La robe Dior
inspirée par Claude Monet 112
Annexe 11 : L'importance du Made in
France113
Annexe 12 : Reconstitution du
Théâtre Dior 114
77
ANNEXE 1
Transcription de l'interview de Madame ALICE CAMUS,
attachée de recherche au Centre de recherche du Château de
Versailles et Présidente de l'Association Louis XIV. Cette interview m'a
été accordée le Lundi 25 Avril, dans ses bureaux.
Comment définiriez-vous le luxe ?
Si je devais donner une définition très
générale et très subjective en même temps, je dirais
que le luxe est la capacité de pouvoir faire ce que l'on veut (en terme
de temps, ou d'acheter ce que l'on veut) sans la moindre contrainte, en ayant
conscience que ce n'est pas accessible à tout le monde. Si le luxe ne se
limite pas à un cercle de personnes, alors ce n'est plus du
luxe.
Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un
exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.
D'un point de vue plus matériel, je pense tout de
suite Haute Couture et aux Parfums. Et puis surtout, aux grandes marques
françaises : le luxe ultime, c'est ce qu'on est capable de faire en
France.
Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes ? Si
oui, pourquoi ?
Oui puisque la vision du luxe est très relative et
subjective. Ce qui va apparaître luxueux pour quelqu'un ne le sera pas
forcement pour moi. Après, la communication et le marketing autour du
luxe nous laissent penser qu'il n'y aurait qu'un modèle de luxe, pour
qu'on ait tous envie des mêmes choses. On essaye de nous dicter les
choix, mais il ne faut pas être esclave de ça.
Comment voyez-vous le luxe dans 50 ans
Il y aura à mon avis comme une galvaudisation du
luxe. Les classes inférieures accéderont à des choses
auxquelles elles n'avaient pas accès avant, mais que ça ne sera
plus considéré comme du luxe quand elles y accéderont. Si
tout le monde peut acheter, cela ne fait plus envie. Ce qui fait envie, c'est
toujours ce qu'on ne peut pas avoir. On a l'impression que tout a
déjà été fait, alors peut être que le luxe
dans 50 ans sera d'avoir du temps ou faire un voyage dans l'espace. Au bout
d'un
78
moment, le matériel ne suffit plus. Pour
l'industrie du luxe, il faudrait songer à repenser cette notion de luxe,
car les clients en veulent toujours plus.
Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe
français ?
Le raffinement et l'élégance sont vraiment
les deux valeurs qui ressortent tout de suite. L'idée également
qu'il y a un certain passé historique, que ce n'est pas artificiel. La
qualité aussi, car on s'imagine tout le temps que ce qui est fait en
France («le Made in France») est ce qu'on fait de mieux au monde, ce
qui justifie le prix par conséquent.
On parle souvent de l' « art de vivre à la
française » : comment expliquez-vous que les autres
nationalités nous voient comme le symbole du raffinement et de
l'élégance ?
Cela rejoint ce que je disais. Je pense que c'est parce
que ça s'est ancré dans l'histoire, essentiellement depuis Louis
XIV, c'est le fruit de l'évolution historique, et cela est ancré
dans l'image de la France, car dorénavant on l'associe à cette
notion de luxe. Et j'ai surtout l'impression que les Français sont ceux
qui en ont le moins conscience : les étrangers d'ailleurs
idéalisent la France, j'imagine que certains sont souvent
déçus quand ils viennent à Paris (notamment des gens
qu'ils peuvent rencontrer). L'art de vivre à la française est le
fruit de cette évolution historique. Car il y a 3000-400 ans, la France
était au sommet du monde. C'est le modèle de l'excellence, d'un
point de vue artistique notamment. C'est à partir de là que s'est
forgé ce modèle d'art de vivre, que ce soit dans les bonnes
manières avec des gestes qui étaient en vigueur à la cour,
avec l'étiquette, qui après évolue sur la politesse, l'art
gastronomique qui commence à se développer, et tous les
Beaux-arts autour. On a cette micro société de la cour qui
éblouit l'Europe, et donc le monde puisqu'à cette époque
l'Europe était le monde on peut dire. Puis avec le patrimoine
architectural : Versailles a été copié de nombreuses fois.
En 1700, chaque souverain voulait son Versailles. La cour était ce
modèle que chaque pays a voulu copier. C'est encore une image
très idéalisée. Versailles c'est l'art de vivre à
la française incarné dans la pierre et dans la richesse des
salons, du mobilier, ...
79
Diriez-vous que cet art de vivre s'est
complètement intégré dans la vie quotidienne des
Français à travers les temps ? J'entends par là que
certaines notions telles la gastronomie, les cafés chics, les vins,
l'hôtellerie... semblent être devenues intrinsèquement
françaises.
Je pense la aussi que c'est plus vrai dans la perception
que les étrangers en ont. Ils s'imaginent la vie à la
française au quotidien pour 80% des Français alors que nous en
tant que Français, on en a moins conscience. Alors certes, si on on a
moins conscience, c'est aussi parce que l'on a intégré d'un
certain coté. Mais je pense que c'est de moins en moins vrai, on a
tendance à perdre cette spécificité sans s'en rendre
compte, ce qui est bien sûr aussi lié à la mondialisation
et aux changements des modes de vie. De plus en plus de familles le soir ne se
retrouvent pas forcément autour de la table. En revanche, je pense que
la tradition du repas en famille le dimanche est plutôt bien entretenue
(d'où le classement par l'UNESCO du repas à la française).
Mais je pense que les Français n'ont pas conscience que c'est vraiment
une spécificité française et qu'il faut le
défendre. Par exemple dans l'hôtellerie, on a notre service
à la française. Mais aujourd'hui ces hôtels luxueux
reçoivent beaucoup de clients qui voyagent dans le monde et d'autres
d'autres palaces : ils comparent et se rendent compte qu'on est mieux
accueillis à l'étranger. Je pense qu'il y a remise en cause de
l'art de recevoir dans l'hôtellerie. On l'a trop défendu, on est
trop restés sur nos acquis mais on ne s'est pas rendus que les autres
nous copiaient jusqu'à faire mieux que nous.
Trouvez-vous des similitudes entre la façon
d'appréhender les choses sous Louis XIV et à notre époque
?
Louis XIV a presque lancé l'industrie, notamment
avec la création d'académies. Ça sera difficile de
comparer avec aujourd'hui, car aujourd'hui ce serait une espèce de
relance de l'industrie française, mais cette relance ne serait pas
forcément en lien avec le luxe, même si d'un point de vue
économique ce serait judicieux. Ce qu'on a plus aujourd'hui, c'est cette
volonté qui vient d'en haut. Dans le domaine du luxe, les grandes
marques sont maintenant autonomes et suivent leur propre règle. Alors
qu'avant c'était vraiment une volonté royale de relancer
l'économie.
80
Diriez-vous que Louis XIV a lancé la
première campagne marketing de l'Histoire ?
Il y avait clairement une volonté de relancer
l'économie qui est lié à son ministre Colbert et son
colbertisme et cette idée qu'il faut éviter que les fonds
français partent à l'étranger. Il fallait que la France
soit capable de se subvenir à elle-même. Et le Château de
Versailles fut la vitrine de tous ces nouveaux savoirs faire que la France
avait acquis avec l'aide des espions, ou en débauchant de nouvelles
personnes. C'est à cette époque que la notion du «luxe
français» naît même si on ne l'appelait pas comme
ça à cette époque. Il voulait montrer que la France
était capable de réaliser des oeuvres d'art, mais surtout qu'on
ne pouvait pas faire mieux à l'étranger. Et il y avait bien sur
un intérêt économique très net.
Comment et où étaient diffusées
les gravures et autres revues à l'époque de Louis XIV
?
Je pense aux deux revues phares de cette époque :
Le Mercure Galant et la Gazette. Je pense que les gravures de mode
étaient diffusées dans le Mercure Galant car il visait un public
plus féminin et plus mondain. Il décryptait tous les
détails des banquets de la Cour, et notamment les toilettes. On trouvait
beaucoup d'estampes sous forme d'almanachs. Ces almanachs étaient
très répandus auprès du peuple car ils étaient
très peu chers, contrairement au Mercure qui s'adressait à une
clientèle assez fortunée. L'information descendait jusqu'aux
paysans français qui avaient donc connaissance de ce qui se passait
à la Cour, et donc de la mode vestimentaire, la mode en terme de
mobilier ou de vaisselle ... La diffusion était très large :
c'était un monde très restreint en terme de personnes
concernées, mais qui descendait sur l'ensemble de la population
françaises.
Avez-vous entendu parler des guides touristiques
à cette époque ?
Il y en avait même à Versailles. On raconte
toujours que n'importe qui pouvait rentrer dans le Château. On pouvait se
balader dans les Salons avec des guides expliquaient des tableaux, et
même assister au repas du roi. Il y a d'un côté la
volonté de communication de la part du pouvoir, mais les guides
provenaient aussi d'éditeurs privés. Les deux se font en
parallèle, et il y malgré a monarchie absolue une certaine
liberté. Il y a une étonnante proximité.
81
Quelles leçons pourrions-nous tirer du
règne de Louis XIV ?
Je trouve que vu de notre époque, on est envieux de
se dire qu'à cette époque-là, la France était un
modèle dans le monde entier. C'est d'ailleurs sous le règne du
Roi Soleil que le Français devient la langue internationale comme
l'anglais aujourd'hui. Ce temps nous parait maintenant très loin. Louis
XIV a porté la France sur le plan politique et artistique surtout, au
somment. Tout le monde a voulu son Versailles : on voit très clairement
les inspirations du Château dans divers pays. A la fin du 19ème
siècle Louis II de Bavière était passionnée par
Louis XIV : il s'est inspiré du style et il a vraiment copié
Versailles dans son château d'Herrenchiemsee. Il y a une Galerie des
Glaces et plusieurs pièces sont copiées, et même les
tableaux. Cela monte bien quel impact a eu ce règne, qui a duré
dans le temps. C'est une époque où tous les artistes qui
étaient dans l'entourage du Roi sont devenues des personnages
célèbres eux aussi : La Fontaine, Louis Le Vau, Molière,
Madame de Sévigné. On a l'impression que c'était une
époque un peu «bénie» dans le domaine artistique.
L'excellence était à son comble.
Appart Louis XIV, pourriez-vous me citer d'autres
personnes qui ont activement travaillé à faire régner la
France en maître sur les produits de luxe ? Si oui, pourquoi
?
Je pense que c'est vraiment à partir de Louis XIV
que la notion est apparue. Avant son règne, au XVIème,
c'était plutôt l'Espagne ou l'Italie qui étaient les
modèles. Au XVIIème siècle, c`était la France. Et
c'est amusant de remarquer que le phénomène monte, car au
XVIIIème, c'était l'Angleterre avec la Révolution
Industrielle. Puis ensuite, ça quitte l'Europe pour aller aux
États-Unis. Les monarques qui l'ont succédé n'ont pas eu
cette envergure, ils n'ont pas été capables de mener des actions
semblables. Puis ensuite, les initiatives menées étaient plus
personnelles avec les entrepreneurs privés et les industriels. On ne
retrouve plus l'impulsion de la part du pouvoir de mener une politique de
«luxe», de donner à la France un certain charisme. Dans les
mémoires qu'il a laissées, on voit qu'il avait déjà
intégré le fait que dans plusieurs siècles on parlerait
encore de lui. Cela vient de son caractère à lui, de la
période propice, qu'il a su s'entourer de bonnes personnes comme Colbert
qui a permis cet essor de l'artisanat puis de l'industrie.
82
Pensez-vous que la démocratisation du luxe soit
un phénomène si récent que ça ? Si oui, pourquoi ?
Si non, pourquoi ?
Certes le luxe se démocratise mais alors peut -on
vraiment parler de luxe ? Si on n'est plus dans un cercle restreint
d'acheteurs, alors pour moi ce n'est plus du luxe. Mais les stratégies
de communication des grandes marques veulent nous laisser croire que chacun
peut acheter sa part de luxe. On nous fait passer pour du luxe, mais je
considère que c'en est plus. Il y a toujours des objets qu'on ne peut
pas s'offrir à une époque donnée qu'on peut s'offrir par
la suite. On se dit que depuis que le luxe a existé, cette
démocratisé l'a suivi en décalé. Donc c'est un
phénomène qui a toujours existé. Dès lors que le
luxe se démocratise, il perd sa notion de luxe. Mais après
d'autres choses le remplacent car le public qui est visé par le milieu
du luxe ne veut plus de ce que n'importe qui peut s'offrir. C'est comme
ça qu'on en vient à s'acheter un yacht de 60 mètres, car
pour le moment c'est encore luxueux. Cela entraîne une course
effrénée à l'objet toujours plus cher, toujours plus rare,
et on se demande si on ne va pas arriver à une certaine limite. Donc la
démocratisation existe depuis la création du luxe, et par
conséquent, elle est inévitable.
83
ANNEXE 2
Transcription de l'interview de Madame Carenne
ANDRÉ, responsable du Bureau International des
Maîtres Cuisiniers de France. Cette interview m'a été
accordée le mercredi 11 mai 2016, dans ses bureaux.
Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un
exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.
J'ai plusieurs images qui me viennent en même temps.
D'abord il y a l'élégance et la classe. La seconde image qui me
vient est un plateau avec service à thé et petits gâteaux
dans un hôtel de luxe. La troisième image est celle du gros
bouquet de fleurs que vous recevez quand vous descendez dans un palace. Ce sont
des petits plaisirs raffinés et perfectionnés, qui sont
complétement en résonnance avec la classe. Ce qui est incroyable
je trouve dans le luxe, c'est que pour toucher à cette finesse qui passe
par la luxuriance, on n'est ni dans l'excès, ni dans l'ostentation ou le
clinquant : on est dans la simplicité. La cuillère qui est bien
essuyée et qui est toujours placée de la même façon
est plus luxueuse qu'une cuillère en or.
Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes ? A
mon opinion, le luxe diverge selon les perceptions de la personne (temps,
espace, ...)
Ce n'est pas exactement plusieurs luxes, je penserai
plutôt à différent thèmes. En réalité,
quand on parle du temps, on parle en même temps de l'évolution des
classes sociales et de l'histoire. En effet, les produits et les classes
sociales ont changé à travers certaines époques. Aussi,
à travers l'histoire, le luxe a changé avec les différents
produits qu'on a pu découvrir. Aussi, le vrai sens du mot luxe
diffère selon les classes sociales. Certaines classes en
difficulté vont considérer que partir en vacances est un luxe,
alors que pour nous ce n'est pas le cas. Je crois que le véritable luxe
est dans la simplicité et dans les vraies valeurs. Donc pour moi, le
luxe a différentes thématiques : en fonction de l'histoire, en
fonction des classes sociales, et en rapport à la
moralité.
84
Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe
à la française ?
Le luxe à la française, c'est la
«luxury attitude». Ce luxe est tellement reconnu à
l'international qu'il est devenu des valeurs haut de gamme exportées
puis adaptées. Le luxe à la française vient de l'histoire,
du service à la française du temps de la royauté. J'ai eu
la chance de travailler avec des Mauriciens qui ont ce mélange de
culture anglais et hindouiste qui est tout simplement incroyable. Et si je dois
le comparer au luxe français, on va y ajouter dans la distance. Pour
être dans le luxe, il faut donner la place à chacun d'être
et surtout au client d'avoir l'impression d'être quasiment seul au monde
et que toutes ses demandes sont exaucées à peine formulées
comme par magie. On retrouve ce côté français qui va semer
une espèce de sympathie. Là où les anglais vont être
très froids et distants, là où les mauriciens vont
être à l'écart, le français va oser le regard,
l'interpellation, silencieuse toujours, mais quand même. En France, on a
l'opportunité d'avoir le sourire de ceux qui nous servent et de sentir
cette sympathie française, très classieuse. La sympathie nous
rend attendrissant, et c'est ainsi que le client se souviendra de là
où il a mangé, et n'oubliera jamais ce repas. L'art culinaire
français vient de notre héritage de savoir recevoir. Dans un
restaurant, plus il y a d'étoiles, et plus il y a de sous assiettes :
c'est là où on comprend vraiment le raffinement de la
vaisselle.
On parle souvent de l'« art de vivre à la
française » : comment expliquez-vous que les autres
nationalités nous voient comme le symbole du raffinement et de
l'élégance ?
C'est notre histoire : savoir-être, savoir-faire,
savoir recevoir.
Diriez-vous que cet art de vivre s'est
complètement intégré dans la vie quotidienne des
Français à travers les temps ?
La nuance va dépendre de l'éducation, et
donc des moyens financiers qui vont positionner l'éducation. On peut
aujourd'hui être très fortuné et le lendemain se retrouver
à travailler pour le SMIC et garder cette éducation. Elle n'est
pas en relation avec le bien matériel, mais plutôt à
l'histoire, à ce qui est porté. Il y a des gens beaucoup plus
modestes qui sont tombés amoureux de ce raffinement, en visitant des
musées, en découvrant des choses, et du coup l'ont
réintégré dans leurs vies alors qu'il ne l'était
pas sur les générations précédentes. Il n'est pas
obligé d'avoir des origines nobles pour l'avoir dans le sang, ou
l'avoir
85
reçu dans notre éducation. Par exemple, il y
a toute une génération d'immigrés qui ont
considéré que venir s'installer en France était une vraie
chance et qui ont été vers cette culture qu'on leur offrait.
Aujourd'hui, il la transmette, toute une gardant une part de leur
exotisme.
En quoi la Haute Cuisine est-elle une ambassadrice de la
France ?
Elle représente absolument tous les
éléments dont on a parlé : le service, le raffinement,
l'élégance, le savoir-faire ... C'est absolument tout
réuni dans la qualité du choix des produits, le savoir-faire de
la réalisation, le dressage de l'assiette, l'exigence au niveau du gout
et même dans l'hygiène. Et une fois de plus, un plat
raffiné n'aura pas le même gout s'il est mal servi, que lorsqu'il
est présenté avec élégance et discrétion. A
cela vous ajoutez le service à table et le vin et je crois qu'on a fait
le tour.
Avant le livre de la Varenne, les Français
n'étaient pas destinés à briller en cuisine, mais ce guide
s'est propagé dans toute la population. Alors certes, on ne mangeait pas
les mêmes mets, or il y avait un plaisir de bien manger, qui s'est encore
développé avec l'apparition des traiteurs : une bonne ambiance,
de jolis décors, et le cuisinier qui officiait comme un maitre de
cérémonie. Tout cela a participé à établir
notre nation de gourmets.
Tout à fait. Même dans les campagnes, quand
on élevait les filles, on devait leur transmettre le savoir recevoir,
à faire manger : leur métier pour la vie était à
demeure. Il y avait aussi des guides des bonnes manières, qui
codifiaient tous les faits et gestes. D'ailleurs dans les années 1980,
Madame de Rothschild en a écrit un. Je souhaitais partager avec vous
l'éditorial de Monsieur Têtedoie, notre Président dans
notre guide 2015 : « Le premier restaurant s'est ouvert après la
Révolution lorsque les cuisiniers des aristocrates ayant perdu leurs
emplois, ont dû songer à se reconvertir. Ils ont alors
imaginé un lieu chaleureux où l'on pourrait servir les clients
comme les princes et les rois l'avaient été jusqu'à alors.
Le premier restaurant était né et avec lui tant de promesses,
toutes plus gourmandes et savoureuses les unes que les autres. »
86
Je sais à quel point l'importance de la
transmission est grande dans la gastronomie. Les maitres-cuisiniers mettent
tout leur coeur à former leurs apprentis et je me demandais, vous,
à travers l'Association des Maitres Cuisiniers de France (MCF), vous la
préserviez ?
Il est vrai que la transmission est très importante
dans la gastronomie, mais cela ne dépend pas que d'un métier.
Cela dépend des individus et de leur capacité à
développer une valeur. Si l'on sait quelque chose et que l'on est pas
capable de le donner, c'est le savoir que pour soi et vivre sur de
l'égocentrisme : cela n'a pas de sens. Nous, en tant de l'Association
des MCF, avons deux grandes valeurs : le rayonnement à l'international
de l'art culinaire français et la transmission. Cette transmission est
développée avec la 62ème année du concours national
du Meilleur Apprenti de France (MAF). Je pense que sur nos 600 Maitres
Cuisiniers dans le monde, peu sont à ne pas avoir formé
d'apprentis. Et aujourd'hui, les chefs de cuisine qui nous sollicitent pour
rentrer dans l'association nous disent : «Quand j'étais apprenti,
mon chef était MCF et pour moi, c'est un aboutissement». L'essence
même de l'association, c'est la transmission. C'est un métier
très dur, mais grâce à cette humanité, ce
savoir-faire de transmission du maitre à l'apprenti, on trouve une force
dans laquelle puiser pour aller au bout des épreuves. C'est une
reconnaissance, un remerciement.
En plus du concours des MAF, nous présentons aussi
le concours Espoir sur le salon du SIAL avec la société Euro
Toque et la société Meilleur Ouvrier de France (MOF). On
organisait aussi jusqu'en 2009 le concours du Meilleur Apprenti d'Europe, qui
s'est arrêté mais que j'ai en grande ferveur de relancer au plus
tard dans 2 ans.
87
ANNEXE 3
Transcription de l'interview de Monsieur Mathieu DA VINHA,
directeur Scientifique au Centre de recherche du Château de Versailles.
Cette interview m'a été accordée le mercredi 11 mai 2016,
dans ses bureaux.
Comment définiriez-vous le luxe ?
Le côté unique, le côté
savoir-faire, le côté fait main, traditionnel.
Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un
exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.
Ma première émission de télé
portait sur le luxe car j'étais client chez Berluti. Je ne suis plus
client chez eux pour plusieurs raisons, notamment parce qu'ils se sont
diversifiés dans les vêtements. Il ne devrait pas avoir trop de
diversification pour rester dans le luxe puisqu'il est question d'un
savoir-faire particulier et d'un côté unique. Chez Berluti, ce
côté unique a un peu disparu dans la mesure où il n'existe
plus qu'une seule boutique dans le monde. Ils ont été
rachetés par le groupe LVMH il y a une vingtaine d'années et il y
a désormais des boutiques à Paris, à Londres, au Japon
etc. Berluti fait encore rêver mais on s'éloigne de ma notion du
luxe. Je distingue le luxe du côté cher. Le luxe existe encore
aujourd'hui, mais les grands groupes semblent plus motivés par les
résultats financiers et par l'idée de vendre. C'est dommage car
Berluti perd de plus en plus sa clientèle traditionnelle, qui aimait se
retrouver et discuter dans le Club Swann, au profit de clients uniquement
attirés par le côté cher. Mais cela ne semble pas
inquiéter les grands groupes : au final ils sont gagnants, ils savent
que quoi qu'il arrive, ils continueront de vendre leurs chaussures et leurs
vêtements, et ce bien plus qu'avant. Le luxe ne connaitra jamais la crise
: il y aura toujours des gens riches, et plus ce sera cher, plus ils
achèteront.
Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes
?
Oui bien sur ! La preuve avec ce que je viens de dire sur
Berluti, la marque reste du luxe, seulement ce n'est pas le luxe que j'envisage
à titre personnel. Il peut y avoir plusieurs perceptions de luxe et il
n'y a pas que le luxe matériel.
88
Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe
français ? Diriez-vous que le luxe français est plus noble que
les autres ?
Il y a une tradition depuis Louis XIV. Mais pour le
définir concrètement c'est plus compliqué. Il existe une
sorte de protectionnisme français qu'a mis en place Colbert avec les
systèmes de manufactures, et qu'on retrouve d'ailleurs aujourd'hui,
comme avec le Made in France de Montebourg. Par exemple la maroquinerie
italienne, la rivalité qui existait ainsi entre Gucci et Hermès
n'a plus lieu d'être, car les grandes marques italiennes ont maintenant
été rachetées par les grands groupes français. Je
dirais qu'il n'y a pas de caractéristiques spéciales, à
part peut-être dans certains domaines. Le luxe peut être
français, italien, asiatique (pour les soieries pour par exemple) ...
Mais il est vrai qu'en France on s'appuie plus sur la tradition,
peut-être parce qu'on est nostalgiques de la période du
17ème, où on rayonnait en Europe et dans le monde.
Mais quand on regarde de près, chaque pays peut avoir ses propres
domaines de prédilection.
Et d'ailleurs pour la France, quels seraient ces
secteurs ?
La Gastronomie bien sûr, et puis la Haute Couture.
Même si les défilés se font maintenant également
à New York ou à Milan, la France reste quand même assez
symptomatique dans le milieu. Après il y aussi le vin, même si les
spécialistes s'accordent à dire que les vins étrangers
sont aussi bons, voire meilleurs que les vins français. Je pense qu'on
se repose sur nos traditions, et tout ce qu'elles drainent derrière
elles : l'image de la France, le côté traditionnel et romantique,
Paris... Les critères ne sont pas forcément objectifs, je parle
surtout en termes de goût.
On parle souvent de l' « art de vivre à la
française » : comment expliquez-vous que les autres
nationalités nous voient comme le symbole du raffinement?
Tout est dans l'image. Dans la cuisine, sous prétexte qu'on
a beaucoup de restaurants étoilés, les gens s'imaginent que tous
les Français mangent des plats gastronomiques tous les jours. Or ce
n'est pas le cas, la Grande cuisine qui porte la France vers le haut est quand
même réservée à une certaine élite. Il y a
encore une tradition pour les repas à laquelle les Français sont
très attachés, c'est quelque chose d'assez sacré. Ce sont
toujours des petits faits qu'on met en avant, mais la
89
majorité des Français ne va pas manger dans
des étoilés tous les jours. C'est comme l'image du
Français avec sa baguette et son béret, à
Montmartre.
Quelles leçons pourrions-nous tirer du
règne de Louis XIV ? En quoi a-t-il fait naitre des valeurs
fondamentales ?
Il est très facile de tomber dans la glorification
de Louis XIV alors qu'il existe aussi des mauvais côtés. En
revanche, il y a de la part de Louis XIV, une réelle incarnation de la
monarchie française et au-delà de cela, de l'esprit de la France
dans son règne. Il voyait au-delà de sa propre gloire, avec la
mise en place des frontières françaises et de
sécurisation, car la France à cette époque était
une sorte d'enclave, avec d'un côté l'Empire et de l'autre
l'Espagne. Il y a aussi le côté protectionniste avec la mise en
avant des savoir-faire français qu'il est parvenu à diffuser.
Avec les manufactures de Colbert, il a importé des savoir-faire, des
ouvriers spécialisés d'Hollande par exemple, qui ont formé
les Français, qui sont par la suite restés ou repartis, puis
c'est ainsi qu'on a lancé Saint-Gobain et qu'on a
institutionnalisé les Gobelins. On a aussi imposé les lois
somptuaires où on demandait aux nobles de ne porter que des tissus
français. Aujourd'hui, on a du mal à comprendre ce
protectionnisme avec l'Europe et la mondialisation mais ce qui n'empêche
que ce protectionnisme a créé des gens compétents pour la
fabrication de biens matériels. Alors aujourd'hui cela ressurgit, avec
les organismes institutionnels qui sont nés ou qui sont devenus
importants à l'époque de Louis XIV, comme l'Académie des
Sciences, l'Académie de la Musique ou encore l'Opéra. Il n'a pas
inventé la musique ou la danse, mais il les a portées au statut
d'institutions. Il y a toujours cette idée de pérennisation de la
part de Louis XIV, qui est encore valable aujourd'hui. Tous ces ouvriers, qu'on
perd malheureusement de plus en plus, sont le conservatoire de tous ces
savoir-faire. On le voit avec Le Mobilier National ou Saint-Gobain qui sont
toujours très attachés à leur histoire et qui ne manque
pas de le rappeler.
Diriez-vous que le Château de Versailles est en
quelques sortes le luxe achevé de Louis XIV ?
Je pense qu'il l'a conçu comme un showroom : il
voulait impressionner ses visiteurs et Versailles a utilisé tous les
savoir-faire français qu'il a voulu mettre en avant. D'ailleurs
c'était un château européen, il a fait appel des artisans
belges et hollandais pour les toitures, aux marbres de Belgique, puis a ensuite
utilisé le
90
marbre français. Il a utilisé ce qu'il y
avait de mieux, c'est la matérialisation de son rêve des
savoir-faire français : quand les étrangers arrivent, ils
devaient voir immédiatement ce qu'on était capables de faire en
France. Le plus bel exemple est la Galerie des Glaces. Il a créé
un objet que ses successeurs d'ailleurs savaient moins bien utiliser que lui
puisqu'il en était l'architecte. Il a perfectionné le
château à son image, et en cinquante ans, il a fait de Versailles
ce qu'il représente encore aujourd'hui. Il y aura des
aménagements faits par Louis XV et Louis XVI, mais eux héritent
de ce château dont ils n'ont pas voulu, qu'ils n'ont pas
créé, et dont ils doivent supporter tout le poids à
assumer. Louis XIV l'a créé en fonction de son mode de vie, de la
façon dont il voulait qu'on voit son pouvoir et de la manière
dont il voulait montrer la grandeur de la France. Chez lui il y a une maitrise
totale, et c'est aussi pour cela que ses successeurs auront plus de mal et
navigueront de châteaux en châteaux. On est dans l'aboutissement de
l'image que Louis XIV se fait certainement du luxe.
Sur son lit de mort, Louis XIV avait demandé
à son petit-fils d'être plus pacifiste que lui, de faire moins de
guerres. J'ai trouvé cela curieux car on dit souvent que le luxe adoucit
les moeurs. J'y vois une résonnance.
À l'heure de sa mort, il convoque son
arrière-petit-fils, le futur Louis XV qui avait alors 5 ans et il lui
fait cette déclaration ; « Mignon, vous allez être un
très grand Roi, ne m'imitez pas dans les guerres que j'ai faites et dans
les finances ». Ayant passé une quarantaine d'années en
guerre, il se remet en questions. D'un autre côté, la gloire
passait forcément par les guerres et par la construction de
bâtiments au sens large. La construction de Versailles, des Invalides, de
places royales à Paris et en province a marqué le territoire de
son empreinte. Encore aujourd'hui, les travaux présidentiels
initiés par Pompidou ou Mitterrand sont très monarchiques, comme
par exemple le Centre Pompidou, le Grand Louvre et la Bibliothèque
nationale de France. Louis XIV aimait indéniablement les arts, il y
était très sensible, et s'il ne les connaissait pas
forcément tous très bien il était très bien
conseillé et entouré. Puis il savait très bien qu'en
pensionnant des gens en mécénant, les gens étaient
obligés de le glorifier. C'est une sorte de « propagande »,
même si on peut difficilement parler de propagande à cette
époque, c'était en tout cas un très bon
communicant.
91
Pour revenir sur ce que vous avez dit sur Pompidou et
Mitterrand, voyez-vous d'autres figures qui ont participé à faire
rayonner la France dans le luxe ?
Napoléon III et sa Cour avaient très bien
intégré les notions de luxe, de raffinement et de protocole. Je
vous en parle facilement car un livre va bientôt paraître sur la
Cour et le faste sous Napoléon III. Son règne était une
fête permanente. Mais toute la pompe qu'on retrouve dans les gardes
républicaines sont mises en place à cette époque. Le
propos que défend l'auteur dans son livre est que si on met un
Président habillé n'importe comment en plein milieu de nulle
part, alors il ne dégage pas grand-chose. Mais si on l'habille bien,
qu'on met les gardes républicains à cheval autour de lui, alors
ça donne tout de suite de l'allure. La pompe républicaine,
l'Élysée, les Expositions Universelles, tout est né sous
Napoléon III. Aussi, De Gaulle, quand il reçoit Khrouchtchev,
Kennedy ou le roi des Belges à Versailles, profite au faste de la
République Française, même si les références
à la monarchie sont directes.
Est-ce que vous pensez qu'il existe un lien entre le luxe
et l'art ?
Oui. Le luxe est un peu de l'art, on parle de
métiers d'art. En latin le terme « artifex » désigne
à la fois l'artiste et l'artisan. Aussi, beaucoup des
mécènes de Versailles sont des maisons de luxe, elles essayent de
trouver des liens.
Comment expliquez-vous que parler de son histoire et
de son patrimoine puisse être pertinent, pas seulement pour vendre, mais
aussi en terme d'imaginaire, de rêve, de grandeur ?
Dans un premier temps, pour ne pas l'oublier et aussi pour
comprendre. La difficulté quand les gens viennent à Versailles,
c'est déjà de comprendre pourquoi c'est ici, pourquoi on en est
arrivé là. Et je ne sais pas si tout le public le comprend car
quand il vient à Versailles, il a envie de voir la chambre du Roi, la
Galerie des Glaces. Mais c'est important pour nous, dans un souci d'un discours
didactique et pédagogique, de comprendre les traditions qui se
perpétuent. Quand les marques de luxe communiquent sur leurs origines et
leur histoire, c'est parfois un peu mensonger. Mais je pense que revenir sur
son passé ancre les marques dans le temps, et les gens ont besoin de
traditions. Je pense que mentionner son ancienneté et son savoir-faire
fait penser que c'est toujours fait comme à l'époque
92
ANNEXE 4
Interview de Madame Gloria RUSSO, directrice de la
rédaction du Guide de l'Avenue Montaigne (en partenariat avec le
Comité Montaigne). Cette interview a été
réalisée par mail.
Comment définiriez-vous le luxe ?
With one and historic word, which explains everything:
luxuria (a Latin word, which Dante described perfectly in his Divina Commedia).
And the meaning of luxuria (that is the etymological root of the word luxe),
has nothing to do with the modern concept of luxe (high level of
consumerism).
Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un
exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.
Luxe is an attitude. Luxe can be do not have to take the
Metro to go working, and Luxe can be checking a flight to Maui and 2 minutes
later have booked that flight to Maui. It is not just concerning Fashion or
what we call «Luxury industry'. Luxe is a way of
life.
Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes ? Si
oui, pourquoi ?
No, I do not. Because Luxe is a specific concept, and as I
told you before, a specific attitude. Everything can belong to this concept,
but it will always be the one and only.
Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe
français ? History and tradition.
On parle souvent de l' « art de vivre à la
française » : comment expliquez-vous que les autres
nationalités nous voient comme le symbole du raffinement et de
l'élégance ?
I live in Paris since two years and I had the big chance
to travel a lot in France since I was really young. I do love France. But I
think that the expression « art de vivre à la
française» is anachronous. We should say «art de vivre
à la parisienne «, which is
93
completely different. Since years and years, people from
others countries had always thought that France is Paris, and it is
not.
Paris is the symbol of the elegance all over the world,
and people who live here are charmed by its magical atmosphere. Paris makes
Parisiens how people see them: «raffinés et
élégantes». But France today is a mix of cultures,
traditions and attitudes.
Diriez-vous que cet art de vivre s'est
complètement intégré dans la vie quotidienne des
Français à travers les temps ? J'entends par là que
certaines notions telles la gastronomie, les cafés chics, les vins,
l'hôtellerie... semblent être devenues intrinsèquement
françaises.
Maybe. But for me luxe is a concept that goes beyond
consumerism.
Pensez-vous que la démocratisation du luxe soit
un phénomène si récent que ça ? Si oui, pourquoi ?
Si non, pourquoi ?
If we talk about the luxe as an attitude, I say no. If we
talk about luxe as a way to consume, I say yes. The possibility of having
access to the luxe of the few, is the major attraction of the luxury market:
today objects and lifestyles became a status symbol of social positions,
especially for people who never got them before. And it happens because now it
is possible, in the past it wasn't.
Comment voyez-vous le luxe dans 50 ans ? No
more as an attitude, but as a way to consume.
Quand les marques communiquent aujourd'hui sur leur
passé et leur héritage, trouvez-vous cela pertinent ? Si oui,
pourquoi ?
Yes, completely. That is why the choice of an artistic
director is so hard for each brand. He or She has to reflect the heritage of
the «Maison», in order to update it.
Comment expliquez-vous que parler de son histoire et
de ses traditions puisse être un argument de vente ?
Today history and tradition sell. Europe (I say Europe
because the 90% of the brands are European) sells. Especially for foreigners.
People who love luxury
94
market, want to hear about history and tradition because it
is cool, because today we are charmed by our roots like never before.
Quelles sont selon vous les principales ambitions des
grandes Maisons de luxe pour les années à venir, les nouveaux
challenges ?
As they have already changed to concept of models, they will
provide to change the concept of «artistic director'
(Alber Elbaz left Lanvin, Alessandra Facchinetti left TOD'S, Raf
Simons left Dior, etc..). This will be a new era.
Voyez-vous des similitudes entre le luxe et
l'art?
Not really, because today luxe (way of consuming) is open to
everybody. Art will be forever reserved to certain kind of people.
95
ANNEXE 5
Transcription de l'interview de Monsieur Yves BOREL,
journaliste et concepteur de la Règle d'Or. Cette interview m'a
été accordée le 16 Avril 2016, par
téléphone.
Comment définiriez-vous le luxe ?
Pour moi, le luxe, c'est ce qui est rare. C'est
très psychologique, car c'est très lié à ce que les
personnes tiennent à coeur. Par exemple, j'ai des skis (ce qui ne vaut
pas une fortune) mais ils sont d'excellente qualité, la première
fois que j'ai skié avec je me suis dit : « Je peux faire ce que je
veux avec ses skis ! ». Le skieur m'a répondu que si on donne ses
skis à quelqu'un qui ne sais pas skier, il ne saura rien en faire.
Pareillement dans le cas des voitures : celui qui est passionné par les
voitures va être touché, alors que moi pas du tout.
Donc la notion de luxe est liée à celle de
rareté et d'expérience personnelle.
Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un
exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.
C'est un peu ce que je viens de dire. Si demain, je peux
avoir chez moi un tableau de Chagall, ce sera pour moi le summum du luxe. Pour
le commun des mortels, cela peut ne rien vouloir dire, mais pour moi c'est
important.
Le luxe c'est quelque chose qui brille dans l'esprit. Il y
a une part d'émerveillement. Je trouve que c'est très
attaché aux gens.
Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes ? Si
oui, pourquoi ?
Cela dépend comment on l'interprète. Du
point de vue de l'émerveillement, c'est le même luxe. Les gens
peuvent l'interpréter comme ils le veulent, mais le ressenti est le
même. Par exemple, je vais descendre au Negresco, ou je vais me payer un
costume Hugo Boss. Même s'il ne s'agit pas vraiment de la même
chose, je vais satisfaire un grand plaisir dans les deux cas. Le luxe 'est une
impression, une émotion. Le luxe pour moi c'est de déjeuner
à midi dans un restaurant top dans le Sud-Ouest avec un super foie gras,
je finirai avec un armagnac de 1929. Et le lendemain, je serai dans une ferme,
je mangerais une garbure avec une omelette. Le luxe c'est que pendant une
semaine, je dorme sous une tente et ensuite, la
96
semaine d'après, je me paye un hôtel de luxe.
C'est pouvoir satisfaire toutes mes envies. Là, je pense avoir la
définition la plus juste de ce qu'est le luxe.
Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe
français ?
Un mot me vient : le respect. C'est comme s'il y a avait
un respect de soi et des autres. Les français, dans leur façon de
s'habiller par exemple, se respectent et on un très fort respect des
autres. C'est l'élégance, la beauté, la finesse.
Ça a aussi un coté assez exceptionnel. Par
exemple, l'Angleterre fait de très belles choses mais on n'a pas ce
côté élégant comme on peut le retrouver en France ou
en Italie. Finalement, avant Louis XIV, il n'y avait pas vraiment de
raffinement ni d'élégance. Louis XI ne s'habillait pas
forcément bien pour un roi. On doit beaucoup au Roi Soleil.
On parle souvent de l'« art de vivre à la
française » : comment expliquez-vous que les autres
nationalités nous voient comme le symbole du raffinement et de
l'élégance ?
Parce que je pense qu'il y a au travers de l'Histoire de
la France, une grande part de recherche du bien-être, donc de bien
profiter des choses, de la vie. Je crois que par exemple, la gastronomie
française est vraiment dans la recherche de ce qui va susciter de
l'intérêt, de l'attention qui va émerveiller. Un chef qui
parle de sa cuisine va donner forcement beaucoup d'envie ; La France est un
pays qui donne envie. Il y a aussi quand même quelque chose
d'extraordinaire auquel on ne pense pas forcement : la beauté des
paysages, la beauté du pays qui génère de l'enthousiasme
et du bien-être.
Diriez-vous que cet art de vivre s'est
complètement intégré dans la vie quotidienne des
Français à travers les temps ? J'entends par la que certaines
notions telles la gastronomie, les cafés chics, les vins,
l'hôtellerie... semblent être devenues intrinsèquement
françaises.
Oui, je te rejoins sur le sujet. Cela rejoint aussi la
vocation du Pôle Excellence Tourisme dans lequel je suis impliqué.
Il s'agit de promouvoir l'excellence française à l'international.
Je pense que l'excellence est bien là, mais on ne se donne pas assez les
moyens de le faire valoir à l'international. On est plus dans un langage
que dans une action.
97
Je suis en contact avec une personne qui a des
responsabilités régionales sur le commerce extérieur. Il
regrette que ce luxe-là ne soit pas assez mis en valeur. Au niveau de
l'état, pour l'instant, rien n'est vraiment fait.
Pensez-vous que la démocratisation du luxe soit un
phénomène si récent ? J'aurais tendance
à penser que non. Surtout par rapport aux moyens de communication qui
font que en effet, on a accès en effet à des choses auxquelles on
n'aurait pas eu accès avant. Je crois que la communication et
l'élévation du niveau de vie y sont pour beaucoup.
L'évolution de la société mord sur le luxe.
Comment vous imaginez-vous le luxe dans 50 ans
?
Je pense qu'il y aura encore une élévation
du niveau de vie, le luxe sera donc encore plus important. Si le Pôle
Excellence Tourisme va au bout de ses idées, le luxe aura encore plus de
place. Ensuite, l'élévation du niveau de conscience va à
mon avis vers une finesse, une qualité de vie, une perception de
vie.
Quand les marques communiquent aujourd'hui sur leur
passé et leur héritage, trouvez-vous cela pertinent ? Si oui,
pourquoi ?
Oui évidemment. J'ai vu avec l'exposition de Louis
Vuitton le luxe porté à des niveaux très
élevés. Il y avait des malles extrêmement belles, mais en
même temps rares. Cela m'a changé la vision de la marque. On vit
l'histoire de la marque avec elle.
Comment expliquez-vous que parler de son histoire et
de ses traditions puisse être un argument de vente ?
La référence aux racines est essentielle ;
tout ce qui a été réalisé par la grande marque,
tout ce qui est beau et exceptionnel dans la fabrication. On est dans
l'unicité et la séduction. Ça donne envie. J'imagine la
réaction des gens à l `époque, ça devait être
de toute beauté.
Quelles sont selon vous les principales ambitions des
grandes Maisons de luxe pour les années à venir, les nouveaux
challenges ?
C'est les qualités de la France : avoir des
pièces qui sont exceptionnelles car il y a une tradition, une recherche
de qualité. La chose qui compte, c'est que ces prouesses sont possibles
grâce à de gens remarquables (les artisans ou les
98
créateurs). Il faut continuer à faire valoir
les artisans. On a en puissance des créateurs, mais cela se conjugue
forcément avec nouvelles créations : une recherche de
créativité permanente. L'une des qualités de la
Règle d'Or, c'est faire en sorte que la création soit reconnue,
mise en valeur et développée. S'il y a une
élévation du niveau de conscience, les choses se font
d'elles-mêmes.
Quelles leçons pourrions-nous tirer du
règne de Louis XIV ?
Pour moi, il s'est entouré d'artistes dans tous les
domaines et il les a laissé s'exprimer, même s'il n'était
pas toujours d`accord (par exemple avec Molière). Ils ont permis de que
les artistes s'expriment. C'est ce que permet la Règle d'Or.
Appart Louis XIV, pourriez-vous me citer d'autres
personnes qui ont activement travaillé à faire régner la
France en maitre sur les produits de luxe ? Si oui, pourquoi ?
François 1er (pendant la Renaissance)
avait bien compris les choses. Malraux aussi avait compris la puissance de la
culture. Ils ont fait comme Louis XIV, ils se sont entourés
d'artistes.
99
ANNEXE 6
Transcription de l'interview d'Aurélie FOURTEAU, guide
conférencière de Paris et ancienne de chez Louis Vuitton. Cette
interview a été réalisée par
téléphone le 23 Avril 2016.
Comment définiriez-vous le luxe ?
C'est avant tout un savoir-faire, et cela passe surtout
par la qualité du produit. Certaines maisons de luxe font toujours des
choses à la main. Cela s'applique aussi aux vins, notamment le champagne
qui a une appellation d`origine contrôlée, donc qui ne peut
s'élaborer qu'en France, en général dans des familles qui
le produisent depuis des dizaines d'années. Les raisins sont toujours
récoltés à la main pour les cuvées
spéciales. C'est vraiment l'aspect artisanal qui caractérise le
luxe.
Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un
exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.
Parmi tout ce que propose Louis Vuitton, il y a le service
des commandes spéciales qui existe depuis le début de la
création de la Maison. On peut demander un type de bois
spécifique, une forme particulière, des détails
personnalisés, etc. Il faut que l'objet soit beau et maniable, pratique
et réutilisable. Quand on le reçoit, l'objet devient alors la
personne la plus chère qu'on ait au monde.
Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes
?
Le luxe dépend de chacun : ce n'est plus dans
l'élégance du paraître mais dans l'élégance
qu'on met dans son quotidien. Ce sont des petits luxes du quotidien qui
façonnent l'art de vivre.
Comment voyez-vous le luxe dans 50 ans ?
Je pense que ce sera toujours le luxe comme on l'entend
maintenant (avec les grandes marques comme Chanel ou Guerlain). D'ailleurs, on
voit bien que de plus en plus de grands hôtels sont en train d'ouvrir
à Paris, comme Le Peninsula. Si le luxe était amené
à considérablement changer, les grands groupes ne continueraient
pas d'investir. Je pense aussi qu'une partie de la population va se rapprocher
de ce
100
luxe, qu'il va devenir encore plus accessible.
Peut-être que s'il devait y avoir un changement dans le luxe, ce sera par
rapport à la santé. La santé, malgré les sous, nous
ramène à nos conditions d'êtres humains. Ce sera
peut-être le luxe de vieillir avec moins de maladies ou pour permettre
aux gens de vivre mieux.
Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe
français ?
La technicité, le raffinement, le savoir-faire, la
modernité, l'avant-garde et l'innovation.
On parle souvent de l' « art de vivre à la
française » : comment expliquez-vous que les autres
nationalités nous voient comme le symbole du raffinement et de
l'élégance ?
D'une part, c'est un aspect historique. Tout au long du
18ème, les Français étaient considérés comme
au summum de l'éducation. Cet art de vivre s'est aussi
développé à travers la mode : la couturière de
Marie-Antoinette faisait des robes non seulement pour elle, mais aussi pour
toutes les autres reines d'Europe. Après elle, l'impératrice
Joséphine a fait la mode de partout. Aussi, il faut savoir que
Napoléon a mis sur les trônes d'Europe tous ses frères et
soeurs, et cela a activement participé à la mondialisation de la
mode.
Diriez-vous que cet art de vivre s'est
complètement intégré dans la vie quotidienne des
Français à travers les temps ? J'entends par la que certaines
notions telles la gastronomie, les cafés chics, les vins,
l'hôtellerie... semblent être devenues intrinsèquement
françaises.
Oui. J'ai passé 3 jours avec des américains,
et ils m'ont dit que la parisienne ne marche dans la rue comme personne. Le
bruit de ses talons fait un bruit qu'aucune autre femme dans le monde ne peut
faire. Même s'il y a une différence entre Paris et le reste de la
France, la majorité de la population aime bien manger, boire un bon vin
(le chiffrage baisse en consommation mais monte en qualité), on mange
des produits frais, on retourne à nos fourneaux pour cuisiner. En
France, on règle nos journées par rapport aux repas, les repas
sont des moments conviviaux, de pause, où on s'arrête pour prendre
le temps de partager. Les règles de civilité à table nous
viennent tout droit de la courtoisie au Moyen-Âge, et on continue de se
soumettre à ces règles.
101
Trouvez - vous des similitudes entre la façon
d'appréhender les choses sous Louis XIV et à notre époque
?
Le système qu'a créé Louis XIV
était surtout pour contrôler la cour, le gouvernement et la
famille royale. Les gens se sont pliés pour plaire au roi. Pour nous ce
serait trop tyrannique. Inconsciemment, toujours aujourd'hui, on suit les
tendances si une mode est lancée Mais on appréhende les choses,
on le fait de façon moins inconsciente que sous son règne. Le Roi
Soleil est le premier qui a eu un goût en terme d'art, et il a
utilisé tous les arts au service de la politique, de son image et de sa
gloire. C'est d'ailleurs drôle, car maintenant un système
totalitaire refuse toute utilisation de l'art, pour ne pas provoquer de
pensées alternatives. Lui l'a utilisé à son
service.
Quelles leçons pourrions-nous tirer du
règne de Louis XIV ?
Son succès vient principalement du charisme de
l'homme. D'ailleurs après Louis XIV, ça été
difficile de rester au même niveau de rayonnement. Il s'est astreint
à un style de vie qu'il a tenu jusqu'à la fin.
A part Louis XIV, pourriez-vous me citer d'autres
personnes qui ont activement travaillé à faire régner la
France en maître sur les produits de luxe ? Si oui, pourquoi
?
Je penserai à Coco Chanel et Yves Saint Laurent :
c'étaient des précurseurs, des novateurs. Ils ont permis une
certaine démocratisation. Ils ont réussi à renouveler une
certaine idée du luxe, car ils l'ont modernisé. Les grands
couturiers comme Paul Poiret ou Yves Saint Laurent étaient de grand
amateurs d'art, et c'est ce qui a fait leur force.
Pensez-vous que la démocratisation du luxe soit
phénomène si récent que ça ?
Non, je ne pense pas que ce soit si récent. Par
exemple Marie Antoinette donnait ses robes à son personnel.
C'était une manière de démocratiser. De plus, la
bourgeoisie a toujours aspiré à avoir ce qu'avait la noblesse.
Tout ce qui a été démodé est d'abord passé
entre les mains de la classe inférieure. De tout temps, le luxe est venu
avec l'économie. Lorsque Napoléon est arrivé au pouvoir,
dix ans après la Révolution, l'économie allait très
mal. Il a alors commandé au soyeux
102
lyonnais 80 km de tapisseries pour Versailles (qui n'ont
d'ailleurs jamais été au château) : il a voulu relancer le
luxe pour relancer l'économie. Et Napoléon III et sa femme
Eugénie vont faire exactement la même chose.
Quand les marques communiquent aujourd'hui sur leur
passé et leur héritage, trouvez-vous cela pertinent ?
Dans le jargon de la mode, on parle souvent de l'ADN de la
marque. Ils essayent d'être fidèle à l'image du luxe qu'ils
essayent d'enraciner dans le passé pour asseoir l'image de la marque.
Chaque marque à son propre ADN, facilement identifiable.
Comment expliquez-vous que parler de son histoire et
de ses traditions puisse être un argument de vente ?
On a besoin de se raccrocher à une valeur sure du
passé pour prouver à quel point on est solide et pour rajouter du
prestige à l'histoire actuelle.
Quelles sont selon vous les principales ambitions des
grandes Maisons de luxe pour les années à venir, les nouveaux
challenges ?
Je pense que ce sera la mondialisation dans le sens
où la cliente chinoise est différente de la cliente australienne
ou de la cliente finlandaise. Il va falloir continuer à plaire au plus
grand nombre tout en gardant le prestige et le savoir-faire presque ancestral.
Il faut plus ou moins continuer ce qu'ils font déjà : LVMH
propose depuis 3 ans Les Journées Particulières pour rendre les
marques célèbre accessibles, prouver le savoir-faire du travail
manuel, mettre en valeur les hommes et les femmes qui créent ses
produits, et que les produits ne sont pas réalisés dans des
laboratoires face à des écrans. Il faut valoriser les petites
mains. Les marques font de plus en plus visiter leurs ateliers, les gens sont
intéressés de savoir comment les produits finis arrivent chez eux
: les gens sont curieux comment toutes ses choses sont faites. Les clients
s'approprient un peu plus le produit, se sentent plus proches de la
marque
103
ANNEXE 7
Transcription de l'interview de Monsieur Xavier LE PERSON,
maître de
conférence en histoire moderne à
l'université Paris IV Sorbonne. Cette interview m'a été
accordée le 21 Avril, dans un café.
Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un
exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.
Le luxe est quelque chose qui n'est pas accessible
à tout le monde, car il y a une question sociale à travers le
luxe. Au-delà de la dimension esthétique ou de la facture de
l'objet, c'est le privilège de posséder ce que les autres ne
possèdent pas.
Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes ? Si
oui, pourquoi ?
Je pense qu'il existe plusieurs niveaux de luxe : d'un
côté, le luxe commercial qui s'adresse aux bourses
fréquentes, et le vrai luxe qui n'est pas accessible à tous.
D'une certaine manière, le luxe c'est un peu une image. On rend
accessible le luxe pour donner l'impression aux consommateurs qu'ils sont
exceptionnels, alors que dans le fond c'est tout simplement une dépense
coûteuse. On voit bien cette différence dans les magasins, avec
les portefeuilles et autres petits objets qui sont bien mis en avant, alors que
les produits plus coûteux sont mis à l'arrière. On remarque
aussi que bien souvent, les gens s'arrêtent au niveau des produits
d'entrées, car rares sont ceux qui peuvent acheter les vrais produits
coûteux.
Il y a la consommation contre l'exception. On sent bien
une évolution aujourd'hui. Le luxe, c'est censé être ce qui
n'est pas standardisé et l'importance du sur mesure prend tout son sens
de nos jours. On revient à une facture adaptée aux désirs
du client et non pas une facture standard.
Comment voyez-vous le luxe dans 50 ans ?
Par rapport à la tendance actuelle, on a des sortes
de comportements excessifs, des gens qui dépensent sans compter. Avec la
mondialisation et l'enrichissement général, je pense que de
nouvelles populations vont accéder au luxe. C'est un pas de plus vers le
luxe pour tous, le luxe accessible. La démocratisation va s'accentuer
puisque le luxe est amené à se vendre de mieux en mieux.
104
Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe
français ? Comment expliquez-vous que les autres nationalités
nous voient comme le symbole du raffinement et de l'élégance
?
Je dirais que c'est le savoir-faire et
l'esthétique. Au Japon par exemple, les références
françaises et italiennes sont très clairement affichées.
Notamment dans les magasins, on voit sur les devantures des phrases en
français (souvent pas vraiment fidèles au niveau de la
traduction), car c'est tout un art de vivre qui est associé à
l'objet. Je pense que l'image culturelle de la France est déterminante
dans la vente de ses produits. D'ailleurs, on voit bien les
représentations fantasmées qu'ont les asiatiques de la France :
ils s'imaginent Paris comme sur des photos de Doisneau.
Diriez-vous que cet art de vivre s'est
complètement intégré dans la vie quotidienne des
Français à travers les temps ? J'entends par là que
certaines notions telles la gastronomie, les cafés chics, les vins,
l'hôtellerie... semblent être devenues intrinsèquement
françaises.
Quand le reste de la population essayait de copier le mode
de vie des élites, c'était une belle tromperie, car au moment
où les produits deviennent accessibles au plus grand nombre, les nobles
sont déjà passés à autre chose. Tout est toujours
plus raffiné chez les élites, les classes sociales
inférieures ont l'impression que tout est plus beau sur eux. Les nobles
contribuent donc à la magnificence du roi. On joue sur l'image du corps,
pour transformer ce qui est commun (un corps) en quelque chose
d'extraordinaire. Pour ce qui est de la gastronomie, j'ai une explication. Au
XVIIème, on était persuadés qu'il existait un lien entre
la nature des produits qu'on ingérait et l'apparence extérieure.
Du coup, on mangeait beaucoup de blanc car cela symbolisait la pureté,
et donc permettait de fuir le mal. Il y a une très forte logique
chrétienne qui se dégage à travers ça. On retrouve
aussi chez les nobles la volonté de se procurer des produits d'exception
qui coûtent très cher. Et puisque la gastronomie participait
à la réputation d'une maison de nobles, il y avait une
émulation. Le café vient de marie Thérèse,
l'épouse d'origine espagnole de Louis XIV. Les liens culturels
très forts qui existent encore aujourd'hui entre La France et certains
pays se sont pérennisés à travers la circulation des
produits. D'abord réservé à la cour du Roi, le café
est ensuite descendu dans la rue avec de nombreux cafés qui
émergeaient de part et d'autres. Au 16ème siècle, il
était très difficile de
105
se procurer des épices, mais elles servaient
à tout : rendre le vin moins âpre, pour les
cérémonials religieux... En effet, on pensait à
l'époque que les épices venaient du paradis. Puis ensuite, le
prix a chuté car les Portugais et les Arabes on en ramené plein
et il y en avait à profusion. Aussi, les nobles ne portaient qu'une
seule fois leurs vêtements ou leurs chaussures : la ruine de la noblesse
du 18ème était intimement liée à la
recherche permanente du luxe. En Angleterre, Charles II a essayé de
lancer une mode anglaise, mais la mode française a pris le
dessus.
Trouvez-vous des similitudes entre la façon
d'appréhender les choses sous Louis XIV et à notre époque
?
Oui car le luxe c'est toujours posséder des choses
que les autres n'ont pas. On associe des objets à des gens en vue et on
a envie de les imiter.
Diriez-vous que Louis XIV a lancé la
première campagne marketing de l'Histoire ?
Je dirais que c'est involontaire, que ça y a
contribué indirectement. Alors oui, on était dans une
volonté de susciter l'intérêt mais pas dans une
volonté de faire vendre, alors je ne parlerais pas de marketing. Il
était plutôt question de gloire : les arts de la table, et
même l'ordre des plats déterminent la culture. Le roi veut faire
rayonner sa gloire sous toutes ses formes, et l'art de vivre à la
française participe à cette gloire.
Pensez-vous que les lois somptuaires étaient
dans l'optique de contrer la démocratisation du luxe ?
Les lois somptuaires ont plus un rôle
économique. Au XVIIème, il y avait de plus en plus de mariages
entre nobles et bourgeois pour des raisons économiques, je ne pense pas
que la volonté du Roi était de créer un écart entre
les deux. Des liens économiques existent entre les nobles et les
bourgeois. Les lois somptuaires ont aussi été mises en place pour
empêcher que l'argent ne sortent du pays. C'est la loi des politiques
mercantilistes : faire converger vers le royaume des métaux
précieux. On voulait tout simplement empêcher que la noblesse ne
se ruine. C'est d'ailleurs le paradoxe de la noblesse, qui est si bien
décrit dans la pièce de théâtre L'Avare : le noble
veut s'enrichir, mais il doit faire des dépenses obligatoires pour
justifier son statut, et il se ruine littéralement. Louis XIV a
trouvé la parade : quand
106
il crée les manufactures des Gobelins, de
porcelaines... c'est pour que les nobles achètent en France, et donc
créer de la richesse dans le pays. On peut y voir une certaine forme de
protectionnisme. Pour finir, il faut aussi savoir que ces lois étaient
très liées à des conceptions
judéo-chrétiennes de la vanité. Il devait certes y avoir
une part de volonté de distinction sociale, mais on ne tolérait
pas de transgressions à travers les apparences. La trop grande
ostentation est condamnée car sinon, elle en devient vulgaire : et je
pense qu'on est encore dans cette logique-là aujourd'hui.
Pourquoi les marques retournent à leurs
origines ? Comment expliquez-vous que parler de son histoire et de ses
traditions puisse être un argument de vente pour les grandes marques de
luxe ?
Je trouve qu'il y a une sorte de nostalgie de la part des
grandes marques. Cela donne un coté rétro, qui est aussi original
et donc un bon argument de vente. On utilise le regard du passé pour se
déconnecter du présent. Dans leur communication en
général, je ne trouve pas les marques de luxe utilisent
spécialement leurs histoires, après je ne suis pas un grand
connaisseur non plus. En revanche, je trouve qu'elles s'inscrivent dans cette
logique en créant des fondations artistiques : le mécénat
est une façon d'être au coeur de la tendance. Le souverain fait
venir à lui ce qui est historique.
Quelles sont selon vous les principales ambitions des
grandes Maisons de luxe pour les années à venir, les nouveaux
challenges ?
A mon avis, elles cherchent à mette un prix de vente
suffisamment élevé pour laisser penser que c'est luxueux tout en
vendant au plus grand nombre. Donc le luxe est certainement une question de
prix. Les gens achètent pour diffuser une image d'eux-mêmes, tout
comme les nobles le faisaient, car nous vivons depuis bien longtemps dans une
société fondée sur l'image. J'ai aussi remarqué que
dernièrement, les maques font appel à des grands metteurs en
scène pour réaliser leurs publicités : une façon
d'appuyer encore plus leur story-telling, car on tend vers une recherche
d'unicité et de plaisir. Je pense que le luxe se veut de plus en plus
émotionnel.
107
ANNEXE 8
Interview d'Astrid VANDEWALLE, documentariste Style chez Yves
Saint Laurent. Cette interview a été réalisée par
mail.
Comment définiriez-vous le luxe ?
Le luxe est un ensemble de prestations, de services et de
produits d'excellence destinés à une élite
fortunée. Il s'accompagne de la notion de superflu : personne n'a besoin
d'un sac à main à 1500 € et c'est un luxe de pouvoir se le
permettre.
Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes
?
Le Luxe est pour moi vraiment un mode de vie. Ce n'est pas
quelque chose de ponctuel, cela reste une notion assez floue qui peut
s'exprimer à travers différentes choses mais qui reste une notion
unique.
Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe
français ?
Nous avons en France la chance d'avoir une histoire et un
savoir-faire ancien et développé dans de nombreux domaines. Les
valeurs liées au luxe en France sont vraiment liées à un
savoir-faire ancien qui rayonne depuis des siècles.
On parle souvent de l'« art de vivre à la
française » : comment expliquez-vous que les autres
nationalités nous voient comme le symbole du raffinement ?
Tout simplement car la France a une histoire très riche et
un rayonnement vif. Encore aujourd'hui, la France présente ce qu'il y a
de mieux en matière de gastronomie (vin, produits du terroir),
d'artisanat (mobilier, joaillerie) et les Maison de luxe les plus prestigieuses
sont Françaises.
Diriez-vous que cet art de vivre s'est
complètement intégré dans la vie quotidienne des
Français à travers les temps ?
Je suis plutôt d'un avis contraire. Si en effet en
France on a plutôt accès facilement à ces services dans le
sens où ils sont présents en nombre sur le territoire, je trouve
que c'est malgré tout très peu accessible et c'est
également une notion très
108
parisienne ou du moins très citadine. Cela ne
concerne qu'une minorité des Français.
Pensez-vous que la démocratisation du luxe soit un
phénomène si récent ? Je ne sais pas si le
luxe s'est réellement démocratisé. Il y a des subterfuges
qui en donnent l'impression (les cosmétiques de grande marques par
exemple quasiment accessibles à tout le monde). Mais si le luxe est un
mode de vie, je ne pense pas que beaucoup de gens y aient accès.
Comment voyez-vous le luxe dans 50 ans ?
J'ai du mal à anticiper, mais j'imagine que cela
n'aura pas forcément beaucoup évolué, peut-être en
termes de services liés aux nouvelles technologies qui peuvent toujours
être améliorés, mais le luxe en tant que mode de vie reste
le même.
Quand les marques communiquent aujourd'hui sur leur
passé et leur héritage, trouvez-vous cela pertinent ?
C'est tout à fait pertinent car l'histoire donne
une impression d'héritage de qualité. L'histoire fait sens et
amène une cohérence avec le passé et la tradition, des
notions importantes dans l'univers du luxe.
Comment expliquez-vous que parler de son histoire et
de ses traditions puisse être un argument de vente ?
Dans le milieu de la mode, on prête de plus en plus
attention au patrimoine des Maisons ainsi qu'à leur histoire. Cela
permet de tempérer et d'argumenter dans le sens où des produits
même s'ils sont nouveaux, renvoient à des valeurs du passé
et s'inscrivent dans une histoire. Le monde va vite, on a besoin de
repères, de s'identifier à des icônes.
Quelles sont selon vous les principales ambitions des
grandes Maisons de luxe pour les années à venir, les nouveaux
challenges ?
Encore une fois dans la mode, les enjeux à l'heure
actuelles sont à la stabilisation de la consommation. On a besoin de
revenir à de meilleurs produits consommés de manière plus
réfléchie et trouver le juste milieu entre l'héritage et
l'innovation.
109
ANNEXE 9
Interview de Martin Gerlier, Fondateur de MoonStar Fine Arts
et MG Art Design. Cette interview a été réalisée
par mail.
Comment définiriez-vous le luxe ?
Je définirais simplement le luxe par
l'expérience offerte par un groupe hôtelier à ses clients.
Dans mon cas, cela passe bien sûr par l'émotion et
l'expérience artistique
Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un
exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.
Aujourd'hui dans l'industrie hôtelière, les
clients recherchent plus qu'une belle chambre, un bel hôtel ou un bon
restaurant. Les clients veulent être surpris, apprendre et vivre de
nouvelles choses, c'est une des responsabilités d'un grand groupe. Nous
avons ouvert une galerie d'art pour un grand hôtelier français,
les retours sont très positif pour l'hôtel d'un point du vue
marketing et financier. C'est également très positif pour les
Artistes qui sont soutenus par une entreprise international avec la
visibilité quotidienne des clients de l'hôtel.
Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe
français ? La culture, l'histoire, traditions et les
valeurs.
On parle souvent de l' « art de vivre à la
française » : comment expliquez-vous que les autres
nationalités nous voient comme le symbole du raffinement ?
Pareil : L'Histoire, les traditions et les valeurs ! La France est
l'une des plus ancienne, riche et intéressante culture et est une
inspiration pour beaucoup d'autres.
Diriez-vous que cet art de vivre s'est
complètement intégré dans la vie quotidienne des
Français à travers les temps ?
L'art de vie est inné pour un français, cela
passe par l'éduction reçu de ses parents et de ses
grands-parents. Cela se ressent très facilement lorsque l'on voyage et
se mélange à d'autres cultures.
110
Pensez-vous que la démocratisation du luxe soit
si récente que ça ?
Pour moi le luxe restera toujours le luxe. Le luxe est
inaccessible : un sac Louis Vuitton, une montre Patek Phillipe, une semaine au
Aman Hôtel de Venise, voyager en first etc. Si H&M s'associe avec
Madona pour lancer une collection, la collection sera luxe pour ceux qui
l'achèteront, pas pour ceux qui s'habillent chez Prada. C'est une
question de point de vue. Un coup marketing. Le luxe ne se démocratise
pas, seulement le sentiment d'y avoir accès
Comment voyez-vous le luxe dans 50 ans ?
Les moeurs changent et évoluent si vite, pour
être transparent je n'en ai aucune idée. Pour moi, le luxe sera
toujours l'intimité, la nature, le silence.
Comment analysez-vous les rapports (et leur
évolution) qui lient le monde de l'art à celui du luxe
?
Les grandes marques se sont toujours rapprochées de
l'art pour rafraichir leurs images et toucher des générations
plus jeunes. C'est le cas du groupe LVMH, avec Louis Vuitton et Takashi
Murakami qui ont lancé plusieurs collections ensemble. Pour un groupe
hôtelier c'est un moyen de se positionner différemment d'autres
groupes, d'attirer de nouveaux clients.
Pourquoi les marques de luxe se saisissent de l'espace
de l'art pour créer un imaginaire qui semble attirer de plus en plus
?
Je répondrai simplement par une citation de BEN :
« l'art c'est la vie !! ». En résumé c'est un moyen
pour les marques de luxe de s'humaniser.
Pourquoi selon vous, les grandes maisons créent
des fondations ?
Trois raisons : c'est un très bon moyen de
défiscalisation, de réputation, et également un devoir
pour une marque de rendre service au public par l'éducation et la
sensibilisation par la culture.
Paris mérite-t-elle selon vous d'être le
centre du Monde de l'art comme elle l'est pour la mode ? Quelle est sa place
face à New York ou Londres ?
Paris a été pendant de très
nombreuses années le centre mondial de l'art international
jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale et l'arrivée des Allemands
en
111
France. Tous les artistes et collectionneurs ont ensuite
fuient pour l'étranger. NYC a ensuite pris le lead, la France est
maintenant loin derrière et ne risque pas de revenir sur les devants,
pour des raisons économiques et fiscales. Les allusions à l'Art
se font de plus en plus récurrentes dans le luxe, y va-t-il un lien
entre la possession d'Art et la possession du luxe ? L'art est un luxe. Tout le
monde ne peut y avoir accès. C'est un moyen de se positionner
socialement mais également d'investir. L'art et le luxe sont
indissociables.
112
ANNEXE 10
A gauche : Huile sur toile de Claude MONET, Jardin de
l'artiste à Giverny, 1900, 81x92cm, Musée d'Orsay (Paris). A
droite : Robe en organza blanc brodé de mousseline
dégradée façon pointilliste lors du défilé
Christian Dior Haute Couture Automne-Hiver 2012/2013 by Raf Simons, Look 47.
Source :
https://longlifefashion.net/2014/09/26/dossier-la-mode-et-le-paysage-fashion-landscape/
113
ANNEXE 11
Source :
http://www.credoc.fr/pdf/Rapp/R315.pdf
114
ANNEXE 12
Lors de ma visite à la Maison Dior (Journées
Particulières LVMH du 20 au 22 mai 2016) j'ai eu la chance de voir le
Théâtre Dior reconstitué. Le Théâtre
d'aujourd'hui est un clin d'oeil à l'évènement qui marqua
les esprits parisiens en 1945. C'est aussi un hommage au travail de
précisions des ateliers de Haute Couture, dont le talent s'expriment
pleinement dans ces vêtements miniatures, cousus au millimètre
près et semblables aux originaux jusque dans les moindres détails
: toute l'essence de l'esprit d'une Maison aux proportions délicates
d'un théâtre de poupées.
|