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« Comment notre héritage culturel et historique influence-t-il encore notre monde actuel ? A travers l'exemple du luxe en France. »

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par Ambre Saclier
BBA INSEED - Master 1, Diplôme dà¢â‚¬â„¢école de commerce BBA INSEEC (reconnu et visé par là¢â‚¬â„¢État) 2016
  

Disponible en mode multipage

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ÉTABLISSEMENT RECONNU PAR L'ÉTAT - DIPLÔME VISÉ PAR L'ÉTAT

Groupe INSEEC

N° d'ordre : 2016 - 195 Promotion 2016

Mémoire de recherche

Présenté devant l'École de Commerce Européenne
Pour l'obtention du

Diplôme BBA INSSEC

ÉCOLE DE COMMERCE EUROPÉENNE

Par

Ambre SACLIER

« Comment notre héritage culturel et historique influence-t-il
encore notre monde actuel ? A travers l'exemple du Luxe
en France »

Soutenu en juin 2016

1

« Comment en effet mieux réchauffer les coeurs et les rassurer qu'avec cette preuve qu'on peut changer, mûrir, vieillir, tout en s'améliorant. »

Comité Colbert

2

REMERCIEMENTS

Je tenais à présenter mes remerciements tout d'abord à l'ensemble du corps enseignant du BBA INSEEC qui m'a donné l'opportunité de suivre un cursus passionnant, dans lequel je me suis épanouie depuis maintenant quatre ans. Aux portes du monde du travail, je réalise aujourd'hui combien vous m'avez apporté et à quel point mon esprit a mûri. Grâce à vous, je m'envole vers de nouveaux horizons pleine d'espoir et de bon sens.

Mes pensées vont tout particulièrement à ma Directrice de Mémoire, Mme Niki PAPADOPOULOU, qui a porté avec moi ce projet du début jusqu'à sa finalisation. Cette étude n'aurait pas pu être menée à bien sans votre soutien et vos précieux conseils.

J'adresse également mes remerciements à toutes les personnes que j'ai sollicitées durant la réalisation de mon mémoire : Mme Alice CAMUS, Mme Carenne ANDRE, Mr Mathieu DA VINHA, Mme Gloria RUSSO, Mr Yves BOREL, Mme Aurélie FOURTEAU, Mr Xavier LE PERSON, Mme Alice VANDERWALLE et Mr Martin GERLIER. Vous m'avez apporté un grand appui et une précieuse clairvoyance à chaque étape de ce projet. Avoir eu votre regard sur ma problématique a été d'une grande valeur.

Enfin plus généralement, j'associe mes remerciements à tous ceux qui ont cru en mon sujet de mémoire et qui m'ont communiqué leur enthousiasme. C'est au contact de personnes de valeur que j'ai réussi à construire ce voyage dans le luxe et l'art de vivre. Une part de chacun de vous se retrouve dans les lignes qui vont suivre.

A vous tous, merci.

3

Table des figures4 Introduction5

Partie 1 : Qu'est-ce que le luxe ?

Chapitre 1 : Tentative de définition

I. Généralités et étymologie7

II. Les différentes perceptions du luxe11
Chapitre 2 : Brève Histoire du luxe en France13 Chapitre 3 : Les secteurs clés de la France

I. La Gastronomie 16

II. Les Vins et Champagnes19

III. La Haute Couture21

IV. L'hôtellerie : Palaces et sens du service23
Chapitre 4 : Le régime du bon goût26

Méthodologie30 Formulation d'une hypothèse31 Partie 2 : Le luxe à la française : tout un concept

Chapitre 5 : Focus sur Louis XIV, ou la naissance de valeurs fondamentales33

Chapitre 6 : Le Bon Marché, l'apparition des Grands Magasins 40
Chapitre 7 : Les Grandes Marques, créatrices de mythes44 Chapitre 8 : Le luxe, huitième art ?48

Partie 3 : L'importance des origines aujourd'hui

Chapitre 9 : Le retour sur soi des marques, un argument de vente pertinent 52

Chapitre 10 : Comment les marques jouent elles avec les émotions ?57 Chapitre 11 : Le cercle vertueux de la démocratisation62 Chapitre 12 : Le luxe français va-t-il réussir à atteindre ses ambitions

futures sans pour autant mettre en danger sa culture et son identité ?66

Conclusion71 Bibliographie & Sitographie73 Annexes76

4

TABLE DES FIGURES

Figure 1 : La hiérarchie des besoins selon la pyramide de Maslow9 Figure 2 : Gravure tirée du Mercure Galant de l'année 167829 Figure 3 : Gravure de l'intérieur du Bon Marché43 Figure 4 : Le Château de la Colle Noire, le 09 mai 201661

5

INTRODUCTION

L'Histoire avec un grand H est bien plus riche que toutes les histoires que nous puissions inventer. Ce constat m'a toujours fascinée. Aussi, j'ai toujours été intimement convaincue que nombre d'interrogations du présent, voire du futur trouvent leurs réponses dans le passé. C'est alors tout naturellement que mon sujet de mémoire porte sur notre héritage culturel.

Captivée par l'authentique et le beau, j'ai décidé d'explorer le secteur du luxe, au sens large. L'idée m'est venue lorsque j'ai découvert de plus en plus de publicités autour du luxe qui valorisaient les origines. Plusieurs éléments m'ont par la suite confortée dans mon choix, donnant de la pertinence à mon mémoire.

Ma réflexion s'est portée sur le luxe à la française. Plus précisément, le sujet est question ici de l'art de vivre français, pour y dégager une vision plus culturelle et plus orientée qu'un sujet concentré uniquement sur les marques de luxe françaises. Ce périmètre géographique restreint est un choix personnel, découlant de l'idée que le luxe français constitue déjà en soit un sujet dense, riche de son histoire et de son patrimoine.

Ces différentes réflexions préalables m'ont permis de dégager un sujet d'étude précis : En quoi notre héritage culturel et historique influence-t-il encore notre monde actuel ? À travers l'univers du luxe en France.

Dans une première partie, la synthèse de littérature vise à cerner ce qu'est précisément le luxe. Après avoir constaté que les avis des écrivains comme l'étymologie semblent laisser penser que le luxe ne serait pas le même selon le regard qu'on lui porte, une analyse des différentes perceptions dégagera les principales caractéristiques du concept. Il s'en suivra une brève chronologie du luxe en France, puis l'analyse historique des secteurs clés qui font en partie la renommée de la France sur le plan international : la Gastronomie, les Vins et Champagnes, la Haute Couture et l'Hôtellerie.

6

Ensuite, l'étude se penchera sur le régime du bon goût, ou comment le style français s'est imprégné de toutes les différentes couches sociales, de façon volontaire ou inconsciente.

Une fois le sujet bien défini, mes recherches se poursuivront à l'aide de différents moyens qui seront expliqués dans la méthodologie. Une hypothèse sera alors formulée pour développer mes idées.

Puis la deuxième partie de cette étude a pour vocation de valider cette hypothèse. Pour ce faire, je m'appuierais sur l'étude approfondie d'une période, le règne de Louis XIV, puisque plusieurs éléments pertinents de réponse à ma problématique sembleraient trouver leurs racines à cette époque. De même, deux innovations, les Grands Magasins et les Grandes Marques seront à leur tour étudiées, parce qu'elles aussi décèlent des éléments, semble-t-il, qui confirment ma position. Pour finir, une mise en lumière des similitudes entre le luxe et l'art s'impose.

Enfin, la troisième partie soulignera l'importance de nos origines. Les éléments de réponses abordés précédemment d'un point de vue historique seront transposés au monde actuel. Il s'agira de démontrer en quoi l'empreinte du passé constitue un argument de vente pertinent pour les marques en présentant pourquoi ce retour à leur essence est important et comment elles le cultivent. Ces deux chapitres achèveront le tracé du cercle vertueux de la démocratisation du luxe qui sévit depuis des années. Pour conclure, des recommandations seront formulées afin d'éviter la banalisation de l'image de l'art de vivre à la française : l'esprit de création doit demeurer.

Un bel hier opposé au vil aujourd'hui, le refrain n'est pas nouveau. Il est usuel d'utiliser un passé enchanté qui viendrait adoucir un présent sans charme ni inspiration. Le «c'était mieux avant», sous son aspect faussement passéiste, trouve une résonnance tout particulière ici, faisant écho au luxe à la française où passé et présent se mêlent.

7

PARTIE 1 : Qu'est-ce que le luxe ?

Donner au luxe une seule définition serait réducteur. Il ne s'agit pas que d'un simple mot avec une définition précise, figée. Tout le concept va bien au-delà, parce que le luxe est un domaine si vaste que chacun le voit de sa propre façon, en résonnance avec ses perceptions, ses préférences et ses émotions. La notion est complètement subjective et propre à chacun. Preuve que même en terme d'explication, le luxe est insaisissable. C'est une conception à part, qui laisse le choix de l'interprétation : chacun doit y trouver sa définition.

CHAPITRE 1 : Tentative de définition

I. Généralités et étymologie

Selon Jean Castarède1, la complexité ne s'arrête pas à mettre des mots exacts sur ce qu'est le luxe, elle remonte avant tout à son étymologie. Bien que cette source soit contestée, il semblerait que le mot dérive du latin lux qui signifie «lumière, gloire». Cette racine suggère donc que l'aura joue un grand rôle dans l'analyse et la compréhension du concept. En effet, si le luxe est à la fois ce qui rayonne et ce qui éblouit, le surnom que choisit d'adopter Louis XIV prend alors tout son sens : Le Roi Soleil. En témoigne aussi la manière dont la France s'enorgueillit toujours de ce luxe qu'elle exporte.

Sinon, le mot «luxe» tel que nous le connaissons pourrait aussi venir d'un autre mot latin, luxus, référant quant à lui à l'excès, au faste, mais toujours avec une référence à la somptuosité. Cette étymologie désigne alors ce mode de vie dispendieux adopté par les riches et célèbres par goût du plaisir et de la monstration.

Le luxe, si on mélange les deux origines, pourrait alors signifier une surabondance de somptuosités qui éblouit. La définition se tient.

1 Jean CASTAREDE, Que sais-je : Le Luxe, Paris, Édition PUF, 2010, p.3

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D'ailleurs, le luxe a toujours divisé les esprits des Français en deux camps irréductiblement hostiles. D'un côté, il rappelle à certains l'époque des privilèges et met à mal l'idéal démocratique des républicains. De l'autre, il signifie pour ses partisans le réveil de la partie élitaire en chacun de nous qui aspire au beau. De plus, il s'acquiert et s'entretient par de grandes dépenses, ce qui lui vaut d'être tantôt vanté, tantôt critiqué.

L'infinie querelle entre les deux philosophe Voltaire et Rousseau illustre bien cette division. Cette querelle est même personnifiée par une pendule exposée au Musée Carnavalet. D'un côté, Voltaire est un fervent défenseur du luxe parce qu'il le considère comme un moteur essentiel à l'économie. Il définit même le superflu comme « une chose très nécessaire»2. Il pense que le luxe a trop souvent une connotation négative. Au contraire, Jean Jacques Rousseau y voit un principe d'exploitation du petit peuple et un ressort de toutes les décadences qui fracture la société. Ainsi, il est incompatible avec le bonheur. Le luxe est par conséquent perçu comme un moyen de paraître et non d'être, portant ainsi atteinte à la virtus (en latin : vertu ; volonté qui habilite l'homme à agir bien). Selon lui, le luxe n'est qu'un étalage de richesse, une dépense de prestige obligatoire des plus riches, pour affirmer sa hiérarchie dans la société et se différencier du commun des mortels. En quelques mots, le luxe est fait pour être contemplé et susciter les regards envieux de ceux qui n'y ont pas accès.

En effet, toujours de nos jours, le luxe repose sur un principe d'ouverture/fermeture, une volonté de notoriété universelle mais avec un accès restreint : tout le monde doit connaître le luxe mais peu peuvent y accéder afin de conserver l'exclusivité. C'est à ce stade que se situe la spécificité du secteur.

Dans la pyramide des besoins du psychologue Abraham Maslow3, les besoins primaires (l'avoir) se distinguent des besoins secondaires (l'être). Cette séparation

2 VOLTAIRE, poème Le Mondain, 1736

3 Dans l'article, A Theory of Human Motivation, dans la revue Psychological Review n°50, 1943, p.370-396

9

permet de situer les besoins du consommateur et de comprendre à quel moment le luxe entre en jeu.

Les besoins primaires symbolisent les produits de première nécessité comme l'alimentation, l'habillement, ou encore le besoin de rassurer en achetant des marques (respectivement besoins psychologiques et besoins de sécurité, les deux premiers piliers).

Ensuite, la troisième catégorie concerne les besoins d'appartenance et de relations. Cela peut se traduire par la volonté d'adhérer à un club et de se sentir accepté, d'être bien dans sa peau.

Puis, le quatrième palier est celui du besoin d`être reconnu. Ce besoin repose sur l'estime de soi et d'autrui, le pouvoir et le bonheur. C'est à ce moment-là que le luxe entre en scène en proposant des produits de prestige qui résonnent dans l'imaginaire collectif et valorisent ainsi le possesseur aux yeux de tous.

Enfin, le dernier palier représente l'épanouissement de soi et de la réalisation de soi. L'homme achète une personnalité, un style particulier qui lui parle. Le but n'est plus la reconnaissance, mais la volonté d'accéder à des produits rarissimes accessibles seulement à une partie de privilégiés, ou profiter d'expériences uniques en leur genre.

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L'approche de Maslow est d'autant plus intéressante que le luxe en lui-même a un côté très subjectif, et donc forcément psychologique. Le luxe trouve sa réelle définition dans les expériences de vie de chacun, leur façon de voir les choses, et le moyen de satisfaire leurs besoins. Le luxe est le beau que chacun met dans sa vie, à sans façon, comme une valeur personnelle qui régalerait les seules narines que celui qui en jouit. D'ailleurs, Kapferer le souligne : «Le luxe n'est pas qu'un simple vocable, une pure création sémantique, mais un vrai concept sociologique et psychologique». 4 Difficile donc de poser les contours d'un concept assez abstrait, qui n'a lui-même pas de limites puisqu'il trouve une part de vérité différente chez chacun de nous.

Si le luxe doit exprimer quelque chose d'unique, alors les secteurs qui viennent alors immédiatement à l'esprit sont ceux de la Haute Joaillerie, de l'Automobile ou encore de la Haute Couture. C'est le premier cercle du luxe selon Jean Castarède5, celui du patrimoine. Mais, ce champ restreint peut s'étendre à deux autres cercles du luxe : celui de l'image est celui du mieux-être. Le luxe est devenu est vrai style de vie, les codes ont changé.

Certes, le luxe dépasse l'indispensable, et représente tout ce qui est considéré comme superflu et inutile. Mais le sa nature peut aussi signifier la splendeur et le raffinement dans l'art de vivre dans son ensemble : le luxe ne se cantonne pas à du matériel, l'expérience doit se retrouver jusque dans ses plus petites actions. Le luxe est partout, puisqu'il est intégré complètement dans la façon de vivre, mais à différents niveaux. Le luxe suprême est accessible à tous mais élitiste car peu savent le décrypter. C'est pourquoi cette étude s'étend à tous les domaines considérés comme luxueux : l'art, les Palaces, la Grande Cuisine, les Vins, ou plus étonnant encore, le style de vie.

4 KAPFERER Jean Noël et BASTIEN Vincent, Luxe Oblige / On Luxury, 2ème Édition, Paris, Éditions Eyrolles, 2012

5 CASTARÈDE Jean, Le Luxe, Paris, PUF, 1992, p.63-64

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II. Les différentes perceptions du luxe

Il paraît compliqué et peu pertinent d'énumérer toutes les dimensions que le mot luxe peut suggérer. Une mise en perspective des différentes perceptions de luxe (par le temps et par l'espace) met en lumière les aspects fondamentaux d'un produit dit de luxe et d'en dégager les principales caractéristiques.

l Perceptions dans le temps

Il faut comprendre que dans les années 1920-1930, les ménages ayant un réfrigérateur «se sentaient membres d'une aristocratie technologique»6. Maintenant, c'est d'une banalité absolue. Pareillement, le luxe en 1950 pouvait signifier la télévision couleur, alors qu'il faut dorénavant avoir un modèle en réalité augmentée. Autant en 2200, le luxe pourra peut-être rimer avec la jeunesse éternelle ou les voyages dans l'espace. Cela suggère que le luxe serait une question de prix et d'innovation.

Durant le XVIème siècle en France, le sucre était considéré comme un produit de luxe, qui répondait aux besoins des grands pâtissiers de l'époque. Avec la découverte du jus de betterave au début du XIXème siècle, le sucre perdit immédiatement toute sa dimension exclusive et se popularisa jusqu'à en devenir le produit de consommation insignifiant que l'on connaît7. De même, le saumon fumé et le foie gras étaient autrefois considérés comme des produits de luxe puisque accessibles seulement à une élite. Dorénavant, les produits sont vendus en grandes surfaces, de qualités très variables et à tous les prix. Certains sont certes encore des produits de grande qualité, élaborés dans les règles de l'art, mais ils ne peuvent plus être appelés des produits de luxe. Au contraire, des produits comme le caviar restent exceptionnels parce qu'ils ne sont pas accessibles de partout, ou alors dans des points de ventes bien spécifiques. Cela suggère que le luxe est une question de rareté et d'unicité.

6 CATRY Bernard, Le luxe peut être cher, mais est-il toujours rare ?, Revue Française de Gestion N°171, Février 2007, p. 52

7 Ibid, p.51

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Pierre Cardin était auparavant connu pour ses robes confectionnées par des couturières dans les ateliers parisiens. Mais son image de marque a été fragilisée par son recours à de nombreuses licences dans les années 1980-1990. Le créateur a fait le choix de se démocratiser pour pouvoir toucher une clientèle plus ample et faire grandir son chiffre d'affaires. Mais la stratégie choisie n'a pas été la bonne. Ses collaborations avec des enseignes comme Carrefour ont sérieusement mis en péril sa crédibilité. La plupart des adeptes rattache le luxe à une tradition et à un savoir-faire, souvent artisanal et fait-main. La temporalité joue un rôle important, se traduisant par des références culturelles. Cela suggère que le luxe est une question d'authentification d'un savoir-faire particulier et donc d'excellence.

Dans les années 80, porter un sac Vuitton était presque considéré comme vulgaire. Maintenant, la marque a retrouvé son pouvoir d'attraction et de brillance sur les masses. Cela suggère que le luxe est une question d'émerveillement et de classe.

l Perceptions par l'espace

Pour un habitant de Jakarta, le luxe peut signifier avoir un air pur sans pollution. En Europe, ce serait avoir une Bugatti Veyron. Cela suggère que le luxe définit un mode de vie sans contraintes et sans tensions.

Le luxe d'aujourd'hui n'est pas celui d'hier et certainement pas celui de demain : il peut refléter des réalités différentes. De nombreux produits autrefois considérés comme luxueux sont devenus des produits de masse. Aussi, les perceptions peuvent évoluer suivant l'espace, et les classes sociales. Le luxe d'une famille rentière (luxe d'exception) ne sera pas le même que celui d'une famille modeste (luxe de consommation). Le luxe est ainsi relatif aux expériences personnelles et émotionnelles de chaque individu. Pour finir, le luxe est également une question de moralité, voire d'éducation. Le luxe, au-delà de l'aspect matériel, peut alors devenir une attitude, un véritable mode de vie.

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CHAPITRE 2 : Brève Histoire du Luxe en France

Il convient de remonter le temps ensemble, de poser quelques jalons historiques pour observer le luxe d'hier. Il s'agit de comprendre pourquoi et comment il est né ainsi que ses évolutions à travers le temps, pour mieux déchiffrer les codes du luxe de demain. Je pense que chaque chose trouve son explication par son histoire, les faits qui l'ont construit et l'ont tant modifié.

Notre épopée commence vers la fin de la Préhistoire. Aux alentours des Eyzies, un petit village de Dordogne, les archéologues ont retrouvé des objets qui s'apparentent à des accessoires de luxe, et plus particulièrement à des parures.8 En effet, l'or a été découvert en -5000 av JC, puis l'argent en -3000 av JC. Il paraît donc probable que les civilisations antérieures aient trouvé une utilité à ces métaux. La conclusion est assez aisée : la notion de luxe remonte à la nuit des temps, puisque détenir et utiliser des produits d'exception a toujours permis de montrer sa classe sociale. Ainsi, des inégalités de richesses existaient déjà à la période la plus rudimentaire que la France ait connu.

En 808, Charlemagne prône le luxe utile et chasse le l'ostentation de la cour, avec une ordonnance qui interdisait d'acheter des vêtements au-dessus d'un certain prix. Cette ordonnance avait pour but de contenir le train de vie des nobles. C'est aussi le premier à faire de la cuisine un art, avec une réelle attention à la vaisselle et au décor des banquets.

En 1229, l'enrichissement des bourgeois énerve Louis VIII, le Roi Coeur de Lion. Pour lui, porter de bijoux et habits précieux devait rester un privilège réservé à la haute noblesse. Pour contrer cette démocratisation, des lois somptuaires sont appliquées pour réglementer le port des riches vêtements.9

8 CASTARÈDE Jean, Histoire du Luxe en France, des origines à nos jours, Paris, Éditions Eyrolles, 2006, p.15-16

9 Ibid, p.90

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A la sortie du Moyen Age, la Renaissance Française, menée par François Ier, apporte son lot de distractions et le luxe de maintenant commence à éclore, notamment avec les artistes qui entouraient le Roi. Le XVIIe siècle marque clairement l'avènement du luxe à la française, de l'élégance et du raffinement, avec pour exemple le lancement des chantiers de Chambord, l'ancêtre de Versailles.

Là encore, des édits somptuaires sont promulgués, dans le but non seulement de limiter l'importation de belles matières étrangères, mais aussi pour creuser toujours plus l'écart vestimentaire entre bourgeois et aristocrates. Or, les édits somptuaires n'étaient pas souvent respectés par les bourgeois, qui préféraient payer les amendes plutôt que de renoncer à leur rêve d'élévation sociale. Voltaire le souligne d'une manière très juste : « L'histoire a prouvé que toutes les lois somptuaires des anciens et des modernes ont été partout, après un temps très-court, abolies, éludées ou négligées : la vanité inventera toujours plus de manières de se distinguer que les lois somptuaires n'en pourront défendre. »10

Louis XIV reprendra le flambeau de François Ier et accélèrera le processus en le poussant à son paroxysme. Il fonde en 1667 La Manufacture royale des Gobelins où son décorateur en chef, Charles Le Brun dirige une multitude d'orfèvres, ébénistes et autres talentueux artisans.11 Toutes les manufactures royales créées par Le Roi et son ministre Colbert jettent les fondements du luxe dit «industriel». Mais, la Révocation de l'édit de Nantes en 1685 fait fuir à l'étranger de nombreux artisans (notamment les minorités protestantes), portant un sérieux coup au développement du luxe français et privant notre pays de précieux talents, que Louis XIV avait pourtant fait venir pour former les artisans français. Ce fut une des plus sérieuses erreurs du Roi Soleil dans sa volonté de faire de la France la reine du luxe.

Au XVIIIème, le luxe est au beau milieu de toutes les controverses philosophiques, religieuses, économiques et morales. Paris est alors devenue la capitale de la mode, et les dépenses vestimentaires ont doublé, aussi bien chez les nobles que chez les classes inférieures. Le luxe, inégalitaire par essence, commence à être

10 VOLTAIRE, OEuvres complètes, Volume 1, Paris, Imprimeries de Fain, 1817, p.602

11 RIVAL Pierre et BAUDOT François Métiers Choisis, Les secrets du savoir-faire pour le Comité Colbert, Flammarion, Paris, 1995

15

critiqué. Mais, ce siècle de jouissances va curieusement le hisser au statut d'art de vivre. La monarchie continue d'encourager le savoir-faire français. En 1764 la marque Baccarat est créée, sur autorisation du Roi Louis XV, qui veut développer l'art de la porcelaine. Plus tard, Napoléon 1er et Napoléon III permettront eux aussi l'essor de nombreuses marques de luxe.

Le XIXème siècle voit naitre la Haute Couture. Le premier défilé de couture par Charles Frederick Worth est présenté en 1845.

La fin des années 1940 est menée par des personnalités avant-gardes comme Coco Chanel ou Christian Dior. C'est l'époque de la sacralisation des créateurs, qui promettent un échappatoire face à la dureté de la guerre.12

De 1980 aux années 2000, le luxe entre dans une nouvelle ère. Les petites entreprises familiales et artisanales deviennent de grands groupes internationaux focalisés sur une stratégie financière et industrielle. Louis Vuitton-Moët Hennessy (LVMH) devint en 1987 la première multinationale de marque. La mondialisation et la massification échafaudent un nouveau modèle économique et importunent les fondements du luxe français, qui se généralise et se banalise. Qui dit mondialisation dit extension de marque et hyper accessibilité. Le terme de démocratisation du luxe apparaît, condamnant la prolifération d'accessoires d'entrée de gamme, la distribution massive via Internet et la contrefaçon dont certaines marques souffrent beaucoup.

De nos jours, le luxe se prend à rêver d'élévation, loin d'une société de consommation qui a montré ses limites : le nouveau luxe flirte avec émotionnel et expérientiel.

Ainsi, déjà le luxe se transforme avec les découvertes artistiques et techniques, mais aussi au gré des conflits culturels. En quelques mots, le luxe accompagne l'histoire de l'humanité.

12 STEELE Valérie, Se Vêtir au XXème siècle, de 1945 à nos jours, Paris, Editions Adam Biro, 1998, p.12: «La mode fut peut-être une façon de nier l'humiliation de la défaite et de l'Occupation, voire une façon d'y résister. La créativité fut, à n'en pas douter, une réponse à la pénurie ».

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CHAPITRE 3 : Les secteurs clés de la France

La France sait qu'elle peut capitaliser sur certains secteurs, qui ont participé à forger sa renommée et qui continuent de faire sa fierté. Ce chapitre se focalise sur quatre secteurs qui semblent indissociables de la culture française : la Gastronomie, les Vins et Champagnes, la Haute Couture et les Palaces.

Il paraît d'ailleurs intéressant de montrer que ces quatre secteurs semblent absolument indissociables les uns des autres. Ils se sont toujours entremêlés, comme solidaires pour promouvoir l'excellence française : Le restaurant du Plaza Athénée met le livre de cuisine de Christian Dior13 à l'honneur, en reprenant ses recettes dans un menu exceptionnel proposé lors de la Fashion Week ; César Ritz était ami avec le célèbre cuisinier Auguste Escoffier, qui va d'ailleurs le suivre à Paris et officier dans ses cuisines, aidant ainsi le Ritz à s'imposer très vite comme le rendez-vous de toute l'aristocratie européenne ; Les étiquettes des meilleurs Grands Crus et Cuvées de Champagnes se retrouvent sur toutes les tables des meilleurs restaurants gastronomiques, leurs meilleures des vitrines.

I. La gastronomie

La gastronomie est une indétrônable institution en France, avec pour exemple très concret l'attachement que porte les chefs cuisiniers français aux Étoiles, bien plus prononcé que dans n'importe quelle autre patrie. Pourtant, la même tyrannie est exercée dans les cuisines étrangères. Mais la gastronomie s'inscrit profondément dans la culture de la France. Le chef place la cuisine au coeur de sa vie, puisqu'il cherche continuellement à extraire la quintessence des produits à travers la recherche d'une sélection qui relève d'une grande investigation. C'est une notion dure à saisir pour quelqu'un qui n'est pas français. Un dire du magazine anglais The Independant illustre bien l'intensité du lien entre les chefs français avec le prestige

13 Peu savent que Christian Dior était un fin gourmet. Son livre La Cuisine Cousu-main (1972) témoigne pourtant de sa folle gourmandise.

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d'un plat d'exception : «La norme Michelin- Gault et Millau est née en France, existe depuis plusieurs siècles et sera toujours à sa place dans le pays où la gastronomie est une question de vie ou de mort

Cette passion pour la bonne cuisine n'était pourtant pas spécialement vouée à naître en France. L'histoire explique comment la gastronomie est devenue inhérente à la civilisation française. La suprématie de la France sur la bonne cuisine s'est forgée au fil des siècles. Le processus s'enclencha en 1651, avec la parution du livre de La Varenne (de son vrai nom François Pierre) : Le Cuisinier Français. Avec cet ouvrage, tout le monde a subitement envie de mieux manger. Les mets sont qualifiés de fins, de délicats : les palais prennent enfin conscience des saveurs et des plaisirs de la bonne cuisine.

Ce livre fut d'ailleurs le premier à être traduit en de nombreuses langues. Réédité plus de quarante-six fois en moins de cinquante ans, le succès fut d'une ampleur sans précédent, aussi bien auprès des cuisiniers et des convives français, qu'à l'échelle internationale. De plus, la France jouissait déjà à cette époque d'un certain rayonnement sur l'ensemble du Vieux Continent, et même au-delà de ses frontières. Cette puissance n'a fait qu'augmenter l'engouement des populations étrangères pour ce nouvel art.

Ce livre, et d'ailleurs la profusion d'ouvrages qui découla de cette parution, permit non seulement aux cuisiniers professionnels du monde entier de se perfectionner à cette nouvelle méthode, mais aussi aux amateurs de découvrir une nouvelle jouissance à laquelle s'adonner. La mode se répandit dans toutes les couches sociales, de l'aristocrate au routinier, qui se mirent alors à développer un goût certain, une conscience collective pour les bonnes recettes.

La cuisine fut dès lors accessible à tous et plébiscitées par une large clientèle internationale : le savoir-faire français se retrouve dans chaque assiette fine et raffinée.14

14 DEJEAN Joan le précise dans Du Style (2006) : «La cuisine devint un élément essentiel de la nouvelle civilisation du bon goût (français, naturellement)

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Au travers de tous ces guides culinaires qui émergent dans la seconde moitié du XVIIème siècle, les Français sont encouragés à manger des produits plus raffinés cuits d'une façon plus fine. Lecteurs et auteurs se retrouvaient ainsi autour de valeurs communes puisqu'ils adhéraient tous à ce nouvel art culinaire. La cuisine traditionnelle était codifiée, ce qui a permis non seulement l'acceptation de ce changement d'alimentation, mais aussi de l'exporter. Cette tournure radicale dans la façon de consommer marque l'avènement d'une nation de gourmets.

En 1674, un livre écrit par un chef dont seules les initiales sont connues, LSR, associe pour la première fois l'art culinaire à l'art de recevoir. C'est d'ailleurs son titre : L'Art de Bien Traiter. François Marin poursuit sur cette lancée avec la parution en 1739 des Dons de Comus, qui enseigne au fil des pages l'art de servir un repas avec la dernière élégance.15 Ces ouvrages témoignent que la cuisine est plus que boire et manger en France. Il s'en accompagne tout un art de la table.

Encore aujourd'hui, les chefs cuisiniers savent rendre hommage aux illustres qui ont fait la réputation de leur métier, les plus anciens comme les plus contemporains. Cela souligne la valeur de la transmission du savoir-faire dans ce domaine. Pour en citer un, le Guide Culinaire d'Auguste Escoffier est toujours considéré comme une Bible par les plus grands Chefs du monde : Eric Fréchon le reconnaît dans une interview accordée à Madame le Figaro le 05 Mars 2016.

Dorénavant, la France n'est plus la seule nation à donner naissance à des chefs capables de réaliser des plats exquis. La mondialisation et la croisée des influences ont fait que d'autres nations se distinguent par leur maîtrise de la cuisine. Mais la cuisine française peut s'enorgueillir de la richesse incroyable de l'art de vivre à table qu'elle tire de son héritage. Qu'elle soit modestement présentée dans les bistrots traditionnels, ou sur les tables des restaurants chics, la gastronomie française continue de réjouir les papilles des gourmets du monde entier. Cette souveraineté en est d'autant justifiée par le classement en 2010 du Repas gastronomique des Français au Patrimoine Mondial Immatériel de l'UNESCO.

15 RIVAL Pierre et BAUDOT François Métiers Choisis, Les secrets du savoir-faire pour le Comité Colbert, Flammarion, Paris, 1995

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II. Les vins et champagnes

Au fur et à mesure des années, les Français ont découvert des terres pourtant peu propices à la culture, mais qui semblaient ouvertes à la culture des vignes, et ainsi à produire du grand vin. Le Médoc émerge des marécages au 17ème siècle. Les domaines Saint Emilion, Saint Estèphe et Sauternes font prospérer la région jusqu'à la Révolution. Au milieu du 19ème siècle, le comble de la mode est d'être propriétaire d'un vignoble en Médoc : les vendanges sont l'occasion de rassemblements mondains. C'est de là que naquit l'idée de château, avec des règles, des codes et des charmes qui n'appartiennent qu'à lui.

Le champagne baptise tous les moments marquants de la vie : c'est la boisson de la fête et des paillettes. Scintillant, le champagne est aimé de tous. Il se doit de remercier l'abbé Dom Pérignon, qui découvrit l'assemblage des cépages nécessaire pour faire du Champagne. Il paraît peu inattendu que ce soit un religieux qui le découvre, puisque depuis le Moyen-âge, les plus gros producteurs de vins étaient les monastères. S'il est certain que le moine fut le premier à trouver les ingrédients propices pour donner ce goût si unique au vin doré, le secret plane autour de la découverte du processus dans son ensemble. Certains écrits laissent penser que ce sont les Anglais qui auraient trouvé comment faire pétiller un vin tranquille, d'autres prétendent que c'est Dom Pérignon qui inventa la méthode Champenoise. La légende raconte que Dom Pérignon avait laissé des notes de ses recherches à son ami Dom Ruinart après sa mort en 1715. Son neveu, Charles Ruinart fonde en 1729 la plus vieille maison de champagne. Quoiqu'il en soit, le processus qui permet au vin de devenir effervescent ne fut complètement maitrisé qu'en 1880 avec la découverte de Pasteur sur la fermentation. Cela explique aussi pourquoi le Champagne était aussi cher : la demande dépassait largement l'offre parce que les pertes liées au problème de maitrise des bulles étaient gargantuesques (de 30 à 90% des productions).16 Aujourd'hui encore, le risque est présent lors du remuage des bouteilles et certaines continuent d'éclater.

16 DEJEAN Joan, Du Style, Editions Grasset, 2006, p.173

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Les grands vins et les champagnes sont de véritables repères culturels pour leur clientèle, et il demeure encore de grandes traditions dans ce domaine. L'élaboration d'une bouteille de vin passe d'ailleurs par l'histoire, la civilisation, les paysages : c'est une culture ancrée dans un terroir. Pour protéger ce patrimoine et lutter contre la fraude, il fallait prendre des mesures et mettre en place des réglementations. C'est ainsi que sont créées les appellations. En France, on parle déjà de Bordeaux et de Bourgogne depuis le Moyen-âge. Au XVIIIème siècle, l'Américain Thomas Jefferson distingue 4 grands crus : Lafite, Latour, Margaux et Haut Brion. La notion de cru s'établit en Bourgogne en 1825 à l'initiative du Docteur Morelot qui analyse et classifie le vin selon des critères bien précis : couleur, corps, bouquet et finesse. Il faudra néanmoins attendre 1905 pour qu'une première délimitation géographique ne soit tracée pour les vins les plus réputés. Ce ne sera qu'à partir du 30 juillet 1935 que la qualité ne sera complètement assurée, avec la création du Comité National des Appellations Contrôlées.

Si rouler en Bentley et s'inonder de «N°5» de Chanel est à la portée du premier gagnant au Loto, déguster un grand cru ou un champagne exceptionnel n'est accessible qu'aux palais initiés. Mais pour intégrer ce cercle d'amateurs éclairés, il faut d'abord pouvoir en reconnaître les symboles et surtout avoir la culture du plaisir de la dégustation, propre à la France. Argentine, Californie ou Australie : le vin n'est pas à l'abri des effets de la mondialisation. Si ces concurrents sont de plus en plus soucieux de qualité et de renommée, c'est toujours dans l'Hexagone que l'on produit les crus mythiques cités auparavant, ou encore les Cheval Blanc, Pétrus ou autres Romanée-Conti. Tous sont devenus des icônes au même titre que le sac Birkin d'Hermès. La culture française a su faire grandir la légende de ces précieux breuvages que le monde s'arrache. Toutes les caves des plus grandes tables étoilées et des plus grands palaces de notre pays affichent fièrement les étiquettes des meilleurs domaines, augmentant la visibilité des bouteilles et surtout en leur donnant une légitimité. En effet, l'important propriétaire de vignobles internationaux, le caviste Bernard Magrez, s'associe aux grands chefs pour corréler leurs efforts à faire rayonner la France en terme d'art de vivre. Le restaurant de son hôtel bordelais cinq étoiles, la Grande Maison, a vu passé des grands noms comme Joël Robuchon (le chef le plus étoilé du monde), et est maintenant tenu par Pierre Gagnaire, un des papes français de la gastronomie.

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III. La Haute Couture

Depuis des siècles, Paris garde précieusement les secrets d'un savoir-faire jalousée par les ateliers du monde entier. Paris a toujours été le point de chute de ceux à la poursuite de modes à la pointe du style. La Ville Lumière recèle en son sein certains des meilleurs créateurs que la mode n'ait jamais connu. Les débuts du commerce de la mode remontent aux alentours de 1670 à Paris. A cette époque, la Cour du Roi est de plus en plus exigeante en terme d'habillement. Ce nouveau commerce est d'autant plus facilité par l'avènement de moyens de plus en plus sophistiqués pour diffuser les nouvelles tendances. Il est notamment question ici de l'essor fulgurant de la presse, et principalement de la presse de mode, autrement dit le moyen de diffuser les dernières tendances au plus grand nombre.

En 1672, un des pionniers du journalisme de mode est Jean Donneau de Visé. Son nom est aujourd'hui connu grâce au journal qu'il décidât de lancer cette année-là : Le Mercure Galant. Cette gazette était la première en son genre. Plus qu'un magazine de mode (le premier article sur la mode ne fut d'ailleurs paru qu'en janvier 1678), elle regroupait les actualités du moment, des indications sur le dernier style à suivre en matière d'art, de lettres, de décoration. Le Mercure Galant fut d'une inspiration sans précédent pour toutes les françaises de cette époque.17Avant Le Mercure Galant, tous les vêtements de nobles étaient faits sur mesure. Depuis tout temps, les privilégiés étaient habitués à choisir leurs tissus et leurs modèles avec leurs tailleurs privés. À partir de la sortie du Mercure Galant, les nobles se lassent de ces vêtements, tellement uniques que personne ne les reconnaît. Ce phénomène est d'autant plus paradoxal quand aujourd'hui, avoir des vêtements élaborés sur mesure représente le summum du luxe. Pareillement, les gens fortunés d'aujourd'hui veulent en général se différencier et ne surtout pas ressembler à tout le monde. En effet, pour lancer une tendance, il faut bien que les autres la suivent. Bien entendu, il convient que le temps que les classes inférieures

17 DEJEAN Joan le fait remarquer dans Du style (2006) : «Donneau de Visé, en véritable génie du marketing, ne destinait pas sa publication aux femmes ayant la possibilité de constater par elles-mêmes les nouvelles tendances, mais bien aux ancêtres d'Emma Bovary, ces femmes enfermées dans les provinces qui rêvaient d'être aussi chic que la créature devenue mythique au moment même où la haute couture vit le jour, la Parisienne.»

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copient cette tendance, les « reines de la mode » soient déjà passées à autre chose depuis au moins une saison. Il fallait donc constamment renouveler sa garde-robe. Et pour que les dames de cours étrangères soient au summum de la mode, il fallait qu'elles rivent les yeux sur Paris, la capitale de l'élégance, pour obtenir les dernières indications sur ce qu'il fallait porter pour cette saison-là. Il faut souligner que la domination de Paris sur la mode à cette époque réduit considérablement les distances sociales. La mode se propagea au sein de toute la population française. Certes, si les plus pauvres ne pouvaient pas se permettre de s'offrir les merveilleuses robes des courtisanes de Versailles, elles voulaient néanmoins participer au phénomène. La préoccupation pour la mode était telle, qu'elles commencèrent à changer leur apparence, à leur niveau. Elles arboraient par exemple des bas, des rubans ou autres produits accessibles.

Mais le phénomène eut aussi une répercussion internationale. Les trente dernières années du 17ème siècle ont énoncé les leçons de base qui dictent encore l'industrie de la mode de nos jours. Les créateurs français avaient déjà bien compris que le recours à la publicité, aux égéries et la transgression des moeurs allait être le moyen de commercialiser la mode à la française au-delà des frontières. C'est grâce à ce regard visionnaire des marchands français que Paris devint capitale de la mode dans le monde. En effet, la clientèle pouvant se permettre d'acquérir des biens d'exception n'a jamais été très large. Les français à eux seuls ne pouvaient pas permettre aux couturiers d'être rentables : ils avaient besoin de clients étrangers. C'est à ce moment que deux innovations majeures virent le jour : les poupées et les gravures de mode.

Les poupées existaient déjà depuis plusieurs années, mais elles restaient destinées à un usage privé, familial.18 Dans les dernières années du XVIIème, les marchands réalisèrent que ces poupées pouvaient être envoyées hors de France pour présenter les dernières collections aux dames étrangères. Les reproductions étaient particulièrement fidèles, jusque dans les moindres détails : les tissus étaient les mêmes utilisés que sur les vêtements originaux, et les accessoires complétaient la

18 Dans les années 1600, Henri IV envoyait des poupées à sa fiancée, Marie de Médicis, qui résidait en province, pour qu'elle soit au courant des tendances à la Cour.

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tenue. Mais ces poupées avaient leurs limites. Même si les clientes de New York ou de Londres se les arrachaient, il fallait tout de même payer pour avoir le droit de la regarder, et encore plus cher pour avoir le privilège de la ramener chez soi et d'en jouir pleinement, sans cohue. Les marchands eurent alors une idée de génie et décidèrent d'introduire les gravures de mode. Facilement remplaçables et copiables, ces gravures permettaient de toucher un public plus large. Elles guidaient le goût vestimentaire mondial en imposant le style français, et en réaffirmant une fois de plus que ce style détenait le monopole du raffinement et du luxe. Ces gravures présentant les musts des saisons ouvriront la voie à la Haute Couture.

Inventée pendant la seconde moitié du 19ème siècle par Monsieur Charles Frédéric Worth, La Haute Couture propose des collections en dehors de toute demande particulière, mais qui s'adaptent aux besoins de chaque client. Avant lui, la plupart des artisans sont inconnus : ils travaillent dans l'ombre, exécutant simplement les demandes de leurs commanditaires et ne bénéficient d'aucune reconnaissance du travail accompli. Tout va changer avec la Haute Couture, qui verra naître quelques années plus tard quelques-unes des marques les plus puissantes du monde.

IV. L'hôtellerie : Palaces et sens du service

Paris et la Côte d'Azur sont demeures des fleurons de l'hôtellerie dans le monde. Le Bristol, Le Negresco, Le Meurice ou le Ritz font rêver à la simple évocation du nom. Les palaces sont devenus de véritables institutions qui ennoblissent le prestige. Ces hôtels sont l'allégorie même de l'art de vivre à la française, où rien n'est assez raffiné.

L'apparition des premiers hôtels de prestige en France se fait dans les dernières années du XIXème siècle. À cette époque, le goût pour le voyage se propage et le tourisme commence à prendre de l'importance. C'est aussi le siècle des inventions, comme l'ascenseur ou le téléphone, mises au service des clients. 19

19 LESURE Jean-Marc, Les Hôtels de Paris, Éditions Alphil, 2005

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Dès la fin du XVIIIème, de nouvelles fortunes se créent et les très grandes familles aristocratiques cherchent un moyen de plus pour se différencier des bourgeois marchands. Ils ont alors l'idée de créer des lieux hors du commun, rassemblant objets et denrées rares et couteux. Habitués à voyager de châteaux en châteaux avec du personnel et des belles choses, les nobles savaient très bien ce que ces Palaces devaient être en mesure d'offrir. C'est grâce à ces exigences que les lieux ont atteint un tel niveau d'excellence.20 Le premier à sortir de terre, sous les ordres de Napoléon III pour les besoins de l'Exposition Universelle, est le Grand Hôtel du Louvre en 1854.

Mais surtout, le véritable supplément d'âme des hôtels de luxe réside dans la qualité du personnel. La notion de Relation Client a été inventée dans les hôtels de luxe. Si la réputation du sens de l'accueil et du service à la française n'est plus à faire, elle reste néanmoins fondamentale et contribue fortement à la part d'émerveillement que ressent le client quand il descend dans un palace. Le service en France est réputé pour être impeccable. La discrétion se mêle subtilement à la sympathie, et le client a alors l'impression que tous ses souhaits peuvent être réalisés. D'ailleurs, il paraît tout à fait logique que la France ait vu naître l'Association des Clés d'Or (1929), une organisation mondialement connue et respectée, qui ne compte pas moins de 3 000 concierges de palaces et hôtels de luxe dans le monde. Il va sans dire que pour arriver à cette distinction, il faut littéralement avoir porté sa fonction à la perfection.

Le Concierge joue un rôle essentiel, mais il fait aussi parti d'un engrenage de talents qui font vivre les traditions de l'art de recevoir à la française. Ici résidait tout le génie de Vatel qui inspire toujours les plus grands noms de l'hôtellerie de luxe. Quand Antoine Beauvilliers ouvre le premier véritable restaurant en 178221 au Palais Royal, baptisé « La Grande Taverne de Londres », il trouve la gloire non seulement dans la qualité de ses plats, mais aussi dans la magie qui régnait dans son restaurant : un décor enchanteur, une vaisselle magnifique, une ambiance particulière et un

20 COQUERY Natacha, L'hôtel aristocratique : Le marché de luxe á Paris au XVIIIème siècle, Paris, Publications de La Sorbonne, 1998

21 1782 selon Brillat Savarin, d'autres auteurs prétendent 1786

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personnel aux petits soins. Il se distinguait par sa mémoire exceptionnelle pour les habitudes des clients, ce qui leur donnait l'impression d'être uniques. Encore aujourd'hui, certains chefs tiennent des Rolodex : un petit fichier qui recense toutes les habitudes alimentaires, les préférences et les allergies des habitués de la maison. Le personnel peut ainsi guider les choix des clients, assurant un service sans aucune fausse note.

C'est sur ce modèle d'un nouveau genre que les hôtels de prestige voient le jour. Un Palace doit mêler harmonieusement gastronomie, service à la hauteur de l'établissement, cave exceptionnelle, décoration fastueuse et emplacement chargé d'histoire. Depuis le 8 novembre 2010, l'appellation « Palace » récompense les hôtels de luxe avec les caractéristiques les plus exceptionnelles. 16 établissement sont décorés de cette belle distinction, et tous sont en France : 8 à Paris, 3 à Courchevel, 2 à St Tropez, 1 à Biarritz, 1 à St-Jean-Cap-Ferrat et 1 à Ramatuelle.

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Comme le dit si bien Didier le Calvez23 : « Dans un monde à la recherche de ses repères, les Palaces, résolument intergénérationnels, tels des ponts entre le passé et le présent, tels des garants d'un art de vivre, offrent des refuges au coeur des grandes métropoles où l'on retrouve des valeurs, peut-être d'une autre époque mais toujours d'actualitéì, faites de savoir-vivre et de courtoisie «.

Autour des subtilités de la cuisine gastronomique, de la mise en scène de l'instant présent, et de la qualité du service, le tout orchestré tel un ballet, il se dégage des palaces un retour au temps passé troublant.

22 Site Atout France : http://atout-france.fr/content/connaitre-les-16-etablissements-distingues-palace

23 Dans la préface du livre d'ENHART Hélène, Palace : du mythe à la reconnaissance officielle, Paris, Éditions BPI, 2004

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CHAPITRE 4 : Le régime du bon goût

Dans le sens usuel, le luxe se rattache au faste, à la somptuosité et au raffinement dans la façon de vivre. Pour comprendre ces affirmations, il est nécessaire d'analyser comment les aristocrates ont placés le bon goût, la grâce et la présence d'esprit au centre de leurs préoccupations à la cour du Roi de France, puis comment ce bon goût a ensuite atteint les couches sociales inférieures. Vestige de la Renaissance, la Cour des Rois français, et plus particulièrement celle de Louis XIV, a habillé cet art de vivre.

Il est dans un premier temps intéressant de préciser que le mot «goût» renvoie aux aliments. Dans l'article de Voltaire24, il est démontré que non seulement les goûts de chacun divergent mais surtout que le goût est indissociable du dégoût, l'un n'allant pas sans l'autre. Il semblerait donc que seules des papilles de connaisseurs peuvent affirmer si tel ou tel produit à un bon goût, et donc que des codes doivent être instaurés pour plébisciter le bon goût au détriment du mauvais.

A la Cour, plaire est signe de puissance. La Renaissance marque la montée de valeurs humanistes et individualistes, soulageant les nobles du poids de la réputation et leur permettant ainsi de tracer leurs propres chemins, d'être maître de leur destinée. L'intérêt du bon goût est alors de se distinguer des autres à l'aide d'aptitudes qui se jouent de l'esthétisme. Les nobles voyaient dans le goût le moyen d'attirer la reconnaissance, non pas seulement des classes sociales supérieures dont ils voulaient tirer profit, mais aussi des classes inférieures dans les yeux desquels ils voulaient briller25. La reconnaissance de soi passe aussi dans le regard

24 Dans son article «Goût», issu l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, Tome VII, 1751-1772, p.761: «le Goût, ce sens, ce don de discerner nos aliments, a produit dans toutes les langues connues la métaphore qui exprime, par le mot goût, le sentiment des beautés et des défauts dans tous les arts : c'est un discernement prompt, comme celui de la langue et du palais, et qui prévient comme lui la réflexion : il est comme lui, sensible et voluptueux à l'égard du bon ; il rejette comme lui, le mauvais avec soulèvement (...). Comme le mauvais goût, au physique, consiste à n'être flatté que par les assaisonnements trop piquants et trop recherchés, ainsi le mauvais goût dans les arts est de ne se plaire qu'aux ornements étudiés, et de ne pas sentir la belle nature»

25 ASSOULY Olivier, Le capitalisme esthétique : Essai sur l'industrialisation du goût, Paris, Éditions du Cerf, 2008, p.19

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que les autres portent : c'est même un point essentiel, car plaire exige une réciprocité.

Le bon goût ne peut pas être enseigné : il faut savoir sans apprendre, tout est dans la suggestion. Par exemple, les courtisans doivent adopter une apparence très désinvolte tout en faisant très attention aux détails. Là réside toute la complexité de la façon d'être à la française, exigeant une certaine rigueur.

Cela nécessite bien entendu un gros travail de préparation, pour donner l'impression que tout est facile, que tout vient instinctivement. D'où l'apparition de manuels du savoir vivre, comme un guide des bonnes manières, de codes, de règles à suivre scrupuleusement : «Sous son voile de raffinement et avec ses bienséances, l'ordre pacifique des civilités exprime toute la violence sourde des relations mondaines dont la perte d'honneur constitue le pire des maux. En ce sens, le bon goût nourrit et justifie la promotion comme la disgrâce sociale26

Dans la vie des courtisans, la grâce est souvent associée à la bonne conduite : «le courtisan doit accompagner ses actions, ses gestes, ses manières, en somme tous ses mouvements, de grâce»27 . La grâce vient d'ailleurs d'une vieille valeur chrétienne qui signifie «l'acte par lequel on s'attire de la reconnaissance». La grâce qui accompagne le bon goût si cher aux courtisans n'a de valeur que si cette conduite peut être décodée par ses adeptes mais échapper à la maîtrise des gens routiniers. C'est ce qui est appelé plus communément la courtoisie. La réputation des salons parisiens était très grande en Europe, puisqu'ils sont considérés comme le temple du bon goût et de la bienséance, où l'art de la conversation à la française s'exprime dans toute sa splendeur. Les voyageurs étrangers de passage à Paris cherchent à s'y introduire, en obtenant des « laisser-passer » par l'intermédiaire d'habitués ou de lettres de recommandation.

Ce régime du bon goût soulève alors une question : si la noblesse aspirait à être encore plus privilégiée et à étendre leur cercle d'influence, sans plus uniquement se reposer sur le nom de naissance, n'existait-il pas dès alors une certaine mobilité

26 Ibid, p.31

27CASTIGLIONE Baldassar, Le livre du Courtisan, I, p.24

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sociale, même au plus haut de l'échelle ? En effet, il ne peut pas y avoir de conquête ou disgrâce sans mobilité sociale. La machine est en marche. Le siècle des Lumières reprend ces fondements posés quelques années auparavant pour ouvrir la voie à une mobilité sociale à une encore plus grosse part de la société.

En effet, à l'heure des nouveautés, le bon goût permet de se projeter plus facilement dans le futur. D'un côté, les nobles peuvent asseoir leur dominance sur leurs semblables (toujours dans une logique de prestige), tandis que de l'autre, les bourgeois s'enrichissent et se mettent à aspirer à posséder. Le courtisan doit montrer qu'il est riche et qu'il est prêt à dépenser sans compter, et c'est cette libéralité qui lui permet à la fois de montrer sa noblesse (la libéralité est une valeur traditionnelle de la noblesse) et de se distinguer des bourgeois, réputés plus économes et soucieux de gagner de l'argent.

Le fait est que pendant que les nobles se complaisent dans leurs habitudes oisives, les bourgeois sont beaucoup plus ambitieux : ils se mettent à la tâche, puisqu'ils aspirent dorénavant à jouir des biens matériels au même titre que les aristocrates. Ils ont vite compris que le seul moyen d'y arriver était de se consacrer à leur métier, et de faire prospérer leur affaire. Le mérite apporte alors son coup de grâce à l'honneur. Le bon goût n'est alors plus synonyme de puissance politique mais provoque la consommation immatérielle des bourgeois pour satisfaire leurs plaisirs privés (à la différence de la noblesse, qui devait affirmer son statut et donc profiter de ses privilèges en public)28.

Au XIXème siècle, les bourgeois détiennent enfin des signes pour distinguer leur classe sociale du petit peuple : ils se vêtissent maintenant de beaux habits, ils vivent dans de belles maisons bien décorées, et possèdent une grande maîtrise des civilités. Ils ont réussi à mettre peu à peu du beau dans leur vie, à coup d'efforts et de reconnaissance sociale bien méritée. La société est ainsi de moins en moins établie sur l'héritage et la naissance et s'ouvre à la fluidité des situations.

28 ASSOULY Olivier, Le capitalisme esthétique : Essai sur l'industrialisation du goût, Paris, Éditions du Cerf, 2008, p. 43 : « On est ainsi passé d'une compensation symbolique indispensable à la noblesse, à l'exigence d'une satisfaction traduite à terme en plaisirs matériels, pour tous les aspirants à la fortune. (...) Il faut toucher les biens tangibles acquis par le labeur ».

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L'embellissement de la population à travers les temps s'explique ainsi par un ensemble de valeurs communes, spécifiques à chaque époque. Le devoir, le plaisir et la reconnaissance sont autant de moteurs qui ont permis aux citoyens français de toucher du doigt une vie plus jouissive, en mettant tout simplement des pincées de belles choses çà et là dans leur existence, en adhérant au régime du bon goût.

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MÉTHODOLOGIE

Comme il a été démontré, la notion de luxe semble difficile à cerner. Après avoir montré qu'il semblait exister plusieurs luxes, il paraitrait néanmoins que le bon goût à la française ait transcendé les temps. La réflexion exprime un luxe intellectuel dont la commercialisation ne serait pas seulement élitiste.

Afin de réaliser l'étude exploratoire, il est nécessaire d'interroger plusieurs personnes ayant un certain niveau d'expertise en la matière afin de se forger une opinion et développer un regard critique mais averti sur le sujet. L'idée est d'éveiller l'esprit au sujet en me tenant informée des conférences à venir sur le thème, des expositions à aller découvrir et en réalisant des études qualitatives auprès d'experts. Le but était non pas seulement de dresser un simple constant, mais de pousser la réflexion et chercher une véritable problématique s'articulant autour des idées.

Au vu du caractère assez confidentiel et mystérieux qui plane autour du secteur du luxe, recevoir l'aide d'experts en la matière n'était pas de trop. Ce document a donc aussi été réalisé grâce à la sympathique collaboration de professionnels travaillant dans le luxe, de membres de comité regroupant des marques de luxe, d'historiens, de l'Association des Maitres-Cuisiniers de France et de collectionneurs d'art. Il m'a semblé intéressant de confronter différentes visions, amenant chacune leur lot de surprises et de révélations. Chaque personne interrogée m'a gentiment donné son accord pour être citée29, témoignant ainsi de leur intérêt pour cette problématique.

Les expositions et visites ont apporté une grande contribution. La découverte de l'exposition Louis Vuitton à Paris, les Journées Particulières de LVMH ou encore la visite du Château de Versailles ou du Musée Carnavalet m'ont semblées absolument essentielles à l'aboutissement de ma réflexion.

Enfin, la curiosité et la soif de connaissance ont fait le reste.

29 Voir les retranscriptions des interviews dans leur intégralité en annexes 1 à 9, p. 77-111.

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FORMULATION D'UNE HYPOTHÈSE

La démocratisation du luxe n'est pas si récente, elle est même inévitable. Il existe plusieurs luxes, et le luxe français a su définir le sien et l'imposer dans le monde. Ce luxe découle d'un archétype politique et social intrinsèquement lié à la tradition aristocratique de la Cour. L'art de vivre à la française s'est ancré lentement dans la vie des Français. Les habitudes conditionnent le bon goût : les français ont été habitués à l'art de vivre et il a fini par s'enraciner inconsciemment.

Lors de l'essor des gravures de mode, les dames les plus puissantes de Versailles servaient de modèles aux créateurs de l'époque. Leur mode de vie inspirait toute une nation, et les gravures de mode permettaient d'entrevoir ce monde fabuleux l'espace d'un instant. Le luxe a toujours eu besoin d'égéries pour incarner sa grandeur. Ces gravures de mode prouvent que le luxe s'adresse depuis toujours aux puissants comme aux plus démunis. En effet, les gravures étaient moins destinées aux courtisans qu'à émerveiller les classes sociales inférieures. La démocratisation a toujours été le propos du luxe puisque dès les premières campagnes de publicité de l'Histoire (en l'occurrence les gravures de mode), la cible était ceux qui ne pouvaient pas accéder à ces produits. Les créateurs du XVIIème n'étaient non pas dans une logique de vendre à tout le monde, mais de faire rêver tout le monde.

À partir du XVIIIème, l'enrichissement de la bourgeoisie a élargi les classes de luxe. Cette nouvelle bourgeoisie a acquis sa fortune non pas par son nom de naissance, mais grâce au travail et au mérite. Motivés par l'envie d'accéder à tous ces produits qui les faisaient jadis saliver, les bourgeois se mettent à imiter le mode de vie des nobles. Le luxe s'ouvre alors à la mobilité sociale, un phénomène qui se reproduit encore aujourd'hui, quelques centaines d'années plus tard.

Pareillement, à la fin des années 1800, les progrès industriels et mécaniques ont permis un essor du luxe (comme on pourrait comparer au progrès d'aujourd'hui, comme Internet qui a remis en questions beaucoup de principes du luxe). C'est

notamment à cette époque qu'on voit apparaître de nouveaux produits, à moindre prix et de moins bonne qualité, copiant les originaux.

Ce n'est que la suite logique, la corrélation inévitable que suit l'histoire du luxe. Il n'est donc pas question d'une démocratisation du luxe puisque «le luxe n'a pas attendu notre ère pour s'adresser aux classes sociales montantes». 30

De plus, il faut tout de même garder à l'esprit que diffusion ne veut pas forcément dire démocratisation : si la fréquentation des boutiques de luxe a augmenté, c'est avant tout parce que la population française a elle-même augmenté, que les éléments les plus attachés à ce mode de vie ont accru leur rythme de fréquentation, et que le tourisme s'est développé et a donc ouvert la voie à de nouveaux consommateurs.31

Pour finir, le luxe n'est pas qu'un bien matériel, il passe aussi par l`élégance de la vie quotidienne. Il peut se transmettre par l'éducation, mais il peut aussi se traduire par un choix de style de vie, une adhésion à des valeurs, un goût pour le raffiné.

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30 LIPOVETSKY Gilles, Le Luxe Éternel, Éditions Gallimard, 2003

31 DONNAT Olivier avertit ses lecteurs quant à la confusion (à propos de la culture) dans son ouvrage Les Français face à la culture : De l'exclusion à l'éclectisme, Paris, Éditions La Découverte, 1994, p.10

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PARTIE 2 : Le luxe à la française, tout un concept

Les Français exportent du luxe dans 180 pays32 : personne ne fait mieux, pas même la Suisse ou l'Italie qui la talonnent. Leader incontestable en matière de belles choses et d'art de vivre, la France séduit par sa culture et son histoire riches en traditions. Tout le monde applaudit l'excellence française. La France jouit traditionnellement d'une image admirable, puisqu'elle est commodément associée au luxe. Cela se comprend au travers de l'Histoire de France, qui vu naitre les Maisons les plus puissantes du monde et qui a fait du luxe son domaine de prédilection.

CHAPITRE 5 : Focus sur Louis XIV, ou la naissance de valeurs
fondamentales

Il semble absolument inévitable de parler du règne de Louis XIV quand le poids de l'héritage et du patrimoine dans le luxe français est étudié. Paris est devenue sous sa monarchie la capitale du luxe en Europe, lançant les modes qui se répandaient ensuite dans toutes les autres Cours du continent. Les experts s'accordent tous pour dire qu'une rétrospective de cette époque met en lumière certains fondements qui régissent encore le secteur du luxe de nos jours. Au fil des temps, le luxe français s'est considérablement transformé, mais certaines valeurs fondamentales résonnent toujours dans l'imaginaire collectif avec persistance. Le rayonnement de la culture française passe beaucoup par la propagation d'un art de vivre et de modes considérés comme intrinsèquement français.

En effet, la légitimité de l'excellence française dans le monde vient précisément de cette période de l'histoire. L'idéal aristocratique et monarchique du XVIIème siècle s'ancre profondément dans l'ADN des différents acteurs du luxe qui font la fierté de la nation. Les ambassadeurs du prestige français puisent sans cesse dans ce vaste vivier historique et culturel qu'est le nôtre, à l'intérieur duquel ils trouvent des

32 Émission Capital, diffuée sur M6 le 01er mai 2016 « Luxe : Pourquoi la France est-elle championne du monde ? »

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images, des références : il suffit de compter le nombre de défilés au Trianon ou de présentations de collections de Haute Couture à Versailles. Les étrangers semblent d'ailleurs plus à même que les Français à décoder le poids de l'héritage culturel dans l'essence des marques de luxe.

? L'image

Tout le monde connaît Louis XIV. D'ailleurs, lui-même savait que son nom sera mondialement connu des centaines d'années plus tard. Mais tout le monde ne connaît pas l'énergie que cet homme a su insuffler à notre patrie pour la faire rayonner. Le Roi Soleil avait vite compris qu'il ne suffisait pas de grands chose pour que la France domine le reste du monde dans le luxe.

Avant la Renaissance en Italie, il n'y avait aucun intérêt pour les belles choses en France. Louis XIV était le premier mannequin, à lancer des modes. Le Roi Soleil avait un charisme fou : beaucoup d'historiens expliquent ainsi pourquoi ses successeurs n'ont pas été capables d'avoir le même impact que lui dans les consciences. Il est le Roi qui fait naitre la notion d'« image » car il avait compris qu'il fallait fasciner pour être imité. Esthète et amoureux des belles choses, il est le Roi qui a réussi à habiller l'esprit de la France d'une touche de grandiose, en incarnant un style de vie jusqu'au bout de son règne.

? Le château de Versailles

Louis XIV a toujours encouragé le superflu et les excès. Le plus bel exemple n'est autre que le Château de Versailles, dont le chantier fut officiellement achevé en 1682. Versailles représente vraiment l'archétype ultime du luxe, l'aboutissement de la vision que le Roi se faisait du faste. Le Château évoque depuis des siècles le raffinement ultime qui mêle paraître, pouvoir et plaisir.

A l`époque de Louis XIV, les fêtes organisées au Château étaient toujours celles attendues avec la plus grande impatience. Réputées pour être les plus glamours et les plus impressionnantes, Versailles se transformaient alors en véritable temple du raffinement. Des décors extravagants à la qualité des banquets, en passant par

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la puissance des hôtes de marque, ces fêtes éblouissaient aussi bien ceux qui s'y rendaient que ceux qui ne faisaient que se les imaginer. Chaque savoir-faire français était divinement mis en scène ; les pâtisseries, les restaurants chics, les réalisations impressionnantes des manufactures royales, la mode et le fameux savoir recevoir. Louis XIV avait conçu Versailles comme une vraie vitrine de ce que la France était capable de réaliser.

D'ailleurs, Jean Donneau de Visé relatait chacun de ses évènements dans les pages du Mercure Galant. Selon lui, « les yeux en pouvoient à peine supporter l'éclatante variété ». Ses articles étaient de véritables odes aux produits de luxe français. Le but était dans un premier temps d'encourager le pouvoir de fascination de la Cour sur les sujets français, mais aussi d'inciter les étrangers à venir découvrir la ville où rien n'est assez beau pour les yeux. Dans un second temps, et puisque que tout le monde ne pouvait pas participer à ces fêtes majestueuses ou se déplacer jusqu'à Paris, l'auteur invitait à faire venir la capitale chez soi, en important les objets précieux que seule Paris pouvait offrir au monde.

De nos jours, le Château de Versailles fabrique encore des rêves fous. Le Château de Versailles continue chaque année d'entretenir la tradition en proposant aux initiés ses « Fêtes Galantes ». L'idée est de faire revivre les soirées de l'époque de Louis XIV, de se plonger dans la peau des Courtisans de l'époque, en dansant comme au temps du Roi, dans des costumes baroques. Le temps d'une soirée, les participants revivent avec nostalgie les fêtes exceptionnelles que le Château accueillait en ses murs.

Également, le Château inspire et continuera d'inspirer des décors d'hôtels, de cinéma, etc., qui sont d'ailleurs toujours réalisés selon les savoir-faire ancestraux utilisés pour le bâtiment. Cela souligne d'autant plus la qualité et la technicité des artisans français, qui sont toujours très reconnues aux quatre coins du monde. Le Château de Versailles a activement participé à faire naître la reconnaissance du travail français, son degré de technique et sa capacité d'innovation.

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? L'héritage de l'aristocratie française

Les marques de luxe française font sans cesse des allers-retours entre le monde d'aujourd'hui et la monarchie du Roi Soleil. Cette époque possède un pouvoir de fascination extrêmement fort. En effet, même si on ne se sent pas proches de ces marques, le luxe véhicule un certain mystère, il possède cet étrange pouvoir à susciter des affinités qui sont ancrées dans l'histoire. Le luxe français est fréquemment associé à une espèce d'arrogance, de domination de supériorité. Les étrangers disent souvent que le luxe français a quelque chose de noble, de particulier. Ils ont en effet souvent du mal à mettre des mots sur cette particularité. Il est intéressant de souligner que les autres nations nous voient souvent comme des personnes très élitistes, très aristocratiques dans notre façon d'être33. Si on se place au XVIIème siècle, dans la peau d'un courtisan de Versailles, le Roi est omniscient : il savait, connaissait tout. Il faisait converger à sa cour des produits alimentaires, et des processus de fabrication selon ses préférences. Au début de son règne, Louis XIV portait des vêtements amples avec des tissus vaporeux et précieux comme la mousseline. Ce tissu est à l'image du caractère surnaturel de la monarchie. Par imitation, la population faisait en sorte de se procurer les mêmes produits pour adopter le mode de vie du Roi. Si les nobles avaient une perruque, se fardaient et portaient des talons hauts, c'était pour s'élever vers le haut, se donner une apparence qui échappe au temps, le tout empreint d'une certaine spiritualité. Les élites manifestent leur mysticisme à travers le luxe.

Les marques les plus prestigieuses du luxe français portent en elles un héritage lié au modèle politique et social de la monarchie absolue. Cet héritage constitue une incroyable source d'inspiration pour les marques. Le spot publicitaire de Dior pour son parfum « J'adore » dans le décor de la Galeries des Glaces de Versailles (2011) est une évocation magnifique de quelque chose qui ressemble un peu à la tradition du ballet de cour, où tout le monde vient se costumer pour participer au spectacle.

33 Cette affirmation s'applique plus aux Parisiens, qu'au reste de la population française.

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Aussi, le défilé Chanel dans un supermarchés34 ou les déclarations chocs et le porno-chic instauré par John Galliano sont de parfaits exemples du jeu simultané avec désacralisation et sacralisation de la marque. Ce procédé permet de donner un peu d'air à cet univers. Cette espèce d'irrévérence appartient aussi à la tradition aristocratique française. En effet, entre la fin des années 1690 et le début des années 1700, les créateurs de mode avaient déjà compris que le sexe pouvait faire vendre. Les aristocrates jouaient avec le fruit défendu en abordant des tenues beaucoup plus décontractées, comme les déshabillés qui dévoilaient leurs décolletés et leurs jambes. Il s'agissait de se donner un air plus transgressif, plus provocateur. Audacieuses, les dames de Versailles se voulaient carrément érotiques. À noter que dévoiler une jambe à l'époque était bien plus choquant que ne l'est la nudité aujourd'hui. L'aristocratie vit dans une transcendance mais elle aime aussi se dévoyer, parce que la monarchie flirte toujours avec le profane. À travers l'apparence, les nobles cachent les péchés originels.

? L'importance du luxe dans l'économie

C'est aussi sous son règne que la mode française explose. Il ne semble pas anodin que le mot « mode » soit employé pour l'habillement. En effet, un vêtement est plus « périssable » qu'un tableau ou un meuble, pour la simple et bonne raison que la durabilité des matériaux est moindre. Cela explique aussi pourquoi nous sommes amenés à les renouveler plus souvent. Chacun y trouve son compte, et le Roi Soleil l'avait bien compris. Ce roulement de mode stimule d'une part la production industrielle et profite ainsi à l'économie d'un pays. De l'autre, il permet le rehaussement du niveau de vie général et empêche l'ennui des populations qui le comble en dépensant.

La mode n'est qu'un exemple pour souligner à quel point le luxe avait un rôle prépondérant dans l'économie de la France. Louis XIV avait compris que le luxe participait à la puissance d'un pays et inversement. Avec son contrôleur général des Finances, Jean-Baptiste Colbert, ils posent les bases des théories modernes du

34 Lors du défilé automne-hiver 2014-2015, pendant la Fashion Week de Paris.

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protectionnisme économique. Ils étaient tous deux déterminés à ce que la France poursuive son règne sur les produits de luxe et que cette situation demeure pérenne. Colbert s'est bien assuré que tous les aspects du commerce du luxe, des réglementations commerciales aux taxes d'importation, soient conçus de manière à favoriser la France et sa communauté d'artisans. Bien que largement contestée, ce protectionnisme fut la force motrice de la création de la nouvelle image de la France.

Et il n'est pas possible nier le fait que ce protectionnisme s'applique encore à notre époque. Pourquoi les touristes asiatiques dévalisent t'ils les Sephora, les Chanel et autres grandes marques lors de leur passage en France ? Pour la bonne raison que c'est bien moins cher ici que chez eux ! Les taxes à l'importation des produits de luxe, notamment français, sont démentielles : les marques françaises sont en moyenne 40% plus chères en Chine. 35

Aussi, Louis XIV fut par exemple le premier à comprendre la dimension pacificatrice du luxe. En effet, le goût pour les belles choses transforme les personnes : l'esprit devient plus distingué. Par exemple, lors de la Guerre de Sécession (1701-1714), Louis XIV et l'Angleterre étaient à la tête des deux coalitions qui s'opposaient. Londres interdit alors l'importation des produits français. Mais les dames anglais en vogue faisaient pression sur le gouvernement pour lever l'interdiction. Elles ne voulaient surtout pas être démodées et pour ne pas l'être, il fallait qu'elles puissent continuer de recevoir les fameuses poupées qui présentaient les dernières tendances françaises.36 L'ambassadeur anglais finit par céder et accordât un laisser-passer aux poupées de mode. Jusqu'à la fin de la guerre, ce fut le seul produit autorisé à circuler entre les deux pays. Preuve irréfutable de l'influence des produits de luxe français sur les moeurs diplomatiques.

35 Source : http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/03/17/chanel -va-baisser-ses-prix-en-chine_4594911_3234.html

36 Voir Chapitre 7, p.21-23

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? La puissance de l'art

Louis XIV était très soucieux de sa gloire et de son prestige aux yeux des courtisans mais aussi des autres souverains de son temps. C'est ainsi qu'il organisa tout un patronage des arts et des lettres. Le prestige et le luxe affiché de la Cour de Versailles s'inscrit dans cette politique. Ce fut globalement un succès puisque la France devient le modèle à suivre au niveau artistique avec le style classique en architecture, les jardins à la française et la diffusion du Français comme langue internationale du beau monde. Louis XIV avait compris la force de l'art et ses affinités avec le luxe. 37

Que le rayonnement politique de la France en Europe aux XVIIe et XVIIIe siècle se soit accompagné d'un rayonnement dans le domaine des arts et du goût n'a rien d'étonnant. Il est certain que la force et l'unité du pouvoir central ont attiré en un seul lieu une importante concentration La royauté française, de par sa suprématie était une monarchie qui a été très associée au développement de l'art, puisque protectrice des artistes. Molière, La Fontaine ou Le Vau ne seraient pas connus de nos jours sans un précieux soutien royal. La volonté de faire de la France une nation d'esthètes en mécénat et pensionnant des artistes a tout naturellement encouragé ces mêmes artistes à se surpasser pour offrir des oeuvres qui allaient s'inscrire dans l'Histoire. En incitant au déploiement du bon goût et de la critique, Louis XIV à participer à éveiller les consciences et à préfigurer le luxe moderne.

Alors oui, certes, le luxe français s'est considérablement inspiré des autres pays : d'abord du luxe italien de la Renaissance, qui nous a entre autres fait adopter la fourchette puis du luxe anglais qui a considérablement influencé les Français au XVIIIème siècle. Il suffit d'entrer dans n'importe quel musée européen pour s'en rendre compte. Il n'en reste pas moins que sous le règne de Louis XIV, l'Angleterre importait 20 fois plus de produits de luxe qu'elle n'en exportait vers la France38. A méditer donc.

37 Voir Chapitre 8, p.48-50

38 Précisément à partir des années 1670 selon DEJEAN Joan dans Du Style (2006)

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CHAPITRE 6 : Le Bon Marché, l'apparition des Grands Magasins

Au coeur du nouveau Paris d'Hausmann, l'invention de la seconde moitié du XIXème siècle est le Grand Magasin. Le premier à sortir de terre est Le Bon Marché en 1852 et ce fut une vraie révolution en son temps. L'édifice est énorme et entièrement conçu pour faire passer un moment féérique aux consommateurs dans le but de faire vendre. Les objets sont sublimés par une ambiance de fête et de faste pour compenser le peu d'aspect utilitaire qu'ils revêtent. Comme le décrit si bien Emile Zola dans son livre Le Bonheur des Dames39 : « Les femmes vont là passer des heures (...), elles entrent en lutte avec leur passion de la toilette et l'économie de leur mari, enfin tout le drame de l'existence avec l'au-delà de la beauté ».

Un critique écrivit également un papier dans l'Orphéon du 5 janvier 1886, qui met des mot sur la sensation que procure une visite au Bon Marché: « Les lumières, les fleurs, les splendeurs entassées sous les yeux des invités, les artistes éminents qu'on a applaudis, tout enfin miroite, bruit et se brouille dans la mémoire de la personne la moins distraite et l'on reste ébloui, étourdi pendant quelques temps tout en cherchant à retrouver la stabilité nécessaire à l'esprit pour développer un jugement quelconque. » En fait, à travers la diversité des biens qu'elle consommait, la société cherchait de plus en plus son identité. Et selon les normes des Grands magasins, les choses qu'une personne possède définissent son identité. En d'autres termes, pour les bourgeois, consommer comme les aristocrates faisaient d'eux des aristocrates.

Les Grands Magasins s'apparentent à une certaine forme de « démocratisation » du luxe puisqu'ils intensifient l'achat de produits non nécessaires et autrefois réservés à une élite. Ces nouveaux grands magasins bouleversent les codes établis avec la diversité de l'offre, mêlant le futile et l'indispensable et utilisant des méthodes nouvelles comme la libre entrée et service, les soldes ou encore la publicité. Les riches comme les moins riches se font plaisir en consommant : c'est l'apparition du shopping comme activité à plein temps.

39 Au Bonheur des Dames est un livre qui a été inspiré par Le Bon Marché.

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Il semble alors bien loin le temps où le luxe était synonyme de paroles magiques et autres rites sacrés : bienvenue dans un monde où les belles choses et les prix attractifs suffisent au bonheur des classes moyennes.40 Toutes les parisiennes accourent, prises d'une irrésistible envie d'acheter.

Cette analyse est d'autant plus appuyée par un exemple très concret. Il suffit de se pencher sur le nom particulier que porte le Grand Magasin qui a influencé tous les suivants : Le Bon Marché. Cette dénomination n'a certainement pas été choisie au hasard, puisqu'elle reflète parfaitement cette nouvelle tendance : une envie de bonheur et de confort privé, mais pas au prix fort, la recherche des petits plaisirs de la vie quotidienne qui rehausse la morosité de l'existence et lui apporte un peu de piment. Le Bon Marché diffusait les valeurs et prônait l'art de vivre de l'aristocratie auprès de l'ensemble de la classe moyenne française, et il y parvint en abaissant les prix. Mais il y parvint aussi en devenant une sorte de manuel culturel de base.

Là encore, la réponse des élites est sans appel : ils refusent catégoriquement de participer à ce nouvel étalage de richesse. Ils prônent le « luxe de simplicité » : une élégance chic et discrète, dont les codes ne peuvent être perçus et interprétés que par les personnes issues du même monde. Pour eux, le Grand Magasin ne se pliait pas aux valeurs et moeurs traditionnels qu'ils avaient connus autrefois. Pire encore, il montrait aux classes moyennes comment accéder au style de vie de la noblesse. Le Grand Magasin, en rendant ce style de vie palpable, indiquait le chemin à suivre pour en faire partie, à condition bien sûr d'avoir un minimum de moyens : « Tout ce qu'une toilette cherche à cacher, dissimuler, augmenter et grossir plus que la nature ou la mode ne l'ordonnent ou ne le veulent, est toujours censé vicieux. Aussi, toute mode qui a pour but un mensonge est essentiellement passagère et de mauvais goût ». 41

40 MILLER Michael, Au Bon Marché 1869-1920 ; Le Consommateur apprivoisé, Paris, Éditions Armand Colin, 1987

41 DE BALZAC Honoré, Traité de la Vie Élégante dans Pathologie de la Vie Sociale, 1830

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Mais, au final, ce changement social a permis de redessiner, de restructurer les traditions pour qu'elles puissent répondre aux nouveaux enjeux et s'adapter aux nouveaux besoins.

De nos jours, le Bon Marché est considéré comme le Grand Magasins le plus chic de la capitale. Étonnant puisqu'il était autrefois voué à offrir des prix moins chers que les boutiques spécialisées. Racheté par le groupe LVMH en 1984, les parisiennes élégantes ainsi que les coquettes du monde entier continuent cependant de pousser chaque jour les portes de ce nouveau « temple du luxe » où règne l'art de vivre à la française. Le Bon Marché, à réussi à s'imposer comme une enseigne prestigieuse et entretient son statut de « monument ». C'est un bâtiment qui est se visite, au même titre que les autres emblèmes de la capitale.

Il semblerait donc que le Bon Marché cultive activement son patrimoine. Un autre exemple est la collection créée à l'occasion de ces 160 années d'existence. En 2012, le magasin revisite des motifs historiques, tirés des archives de la Maison, et donne naissance à une collection dédiée. Pour l'occasion, les marques de luxe se prêtent également au jeu et 160 d'entre elles rendent hommage à ce lieu emblématique en réinterprétant leurs pièces iconiques pour le Bon Marché. Cette collection unique, baptisée « Les Exclusifs » conjugue modernité, liberté et créativité. Comme à l'époque, une mise en scène extraordinaire est orchestrée et des expositions qui révèlent son histoire habillent le Grand Magasin : une façon joyeuse de célébrer ce bel âge, dans une étonnante modernité.

S'il avait n'avais pas évolué depuis sa création, le Bon Marché n'aurait certainement pas l'image grandiose qui le définit. Il ne s'est pas seulement contenté de continuer à faire ce qu'il faisait déjà, c'est à dire vendre des objets, il est aussi devenu un lieu de culture. En invitant régulièrement différents artistes à s'exprimer42, le Bon Marché fédère et émerveille.

La sortie de terre de ce temple de la consommation a jeté les bases de l'achat à outrance, mais il a aussi permis une révolution sociale, en diffusant l'art de vivre.

42 L'illustratrice Marjane Satrapi, l'actrice Catherine Deneuve et le réalisateur Loïc Prigent pour célébrer les 160 bougies du Magasins

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C'est d'ailleurs ce qui le maintient maintenant dans le domaine du luxe. En préservant son côté historique et ses valeurs, Il n'oublie cependant pas de s'adapter au gré des changements tout en créant un concept. En se voulant musée, Le Bon Marché souligne d'autant plus l'importance de séparer le luxe dit matériel, du luxe immatériel. Et le luxe immatériel n'a pas de prix.

Vue de l'intérieur du Bon Marché 43

43 Source de l'image : http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr/2013/05/france-grands-magasins.html

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CHAPITRE 7 : Les Grandes Marques, naissance d'un mythe

Il est difficile de parler de naissance d'une marque. Petits ateliers au début, les marques s'établissent au gré du temps, et font grandir leur réputation progressivement, autour de rencontres, de virtuosité et de secrets. En se rattachant à des légendes, les grandes marques développent une épaisseur créatrice de mythe et d'imaginaire.

En 1780, la toute première marque de luxe voit le jour : Chaumet. Devenu joaillier officiel de Napoléon et de Joséphine en 1802, Marie-Etienne Nitot offre à la Couronne de France le plus beau joyau, le Régent (140 carats), aujourd'hui exposé au Musée du Louvre. Entre les années 1828 et 1854, Pierre François Guerlain ouvre sa maison de parfumerie, Charles Christofle reprend la société de son beau-père, Thierry Hermès débute son aventure de maroquinier et Jean-Louis Cartier s'installe à son compte. A l'aube de la Belle Époque, l'Empire supporte ces nouveaux talents, et Louis Vuitton devient le malletier attitré de l'impératrice Eugénie. Son fils George dessine le célèbre monogramme en 1896 en hommage à son père et déjà pour lutter contre la contrefaçon. Au milieu des années 1880, Jeanne Lanvin ouvre son atelier et lance sa marque en 1909. Cela fait de Lanvin la plus vieille Maison de couture encore en activité. L'année 1909 marque les débuts de Gabrielle Chanel.

Avec l'invention de la Haute Couture au XIXème siècle, l'artisan est alors vu comme un visionnaire, un véritable créateur au même titre qu'un artiste. Les produits sont toujours aussi exceptionnels, mais à cela s'ajoute la renommée et le prestige du fabriquant : la richesse des matériaux époustoufle, mais la magie de la marque fait rêver. La marque doit avoir de vraies valeurs auxquelles une population peut se repérer et s'identifier. Chez Chanel, Dior ou Yves Saint Laurent, le créateur est comme sacralisé. Ils inspirent des cinéastes, ils suscitent le débat : le poids spirituel des créateurs a été entretenu par ces marques. Les logos sont fétichisés et portent une charge symbolique qui les hissent au statut d'emblème. Les marques de luxe passent sans arrêt de l'histoire au conte, du conte au mythe. C'est pourquoi les marques doivent se forger un véritable univers d'expression : elles peuvent le faire en puisant dans leur histoire (Chanel) ou en réinventant une légende (Dom

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Pérignon). Certains des créateurs sont des novateurs, d'autres des héritiers, et certains sont même des novateurs héritiers, par goût ou par fidélité. Orfèvres du plaisir donné, ils sont porteurs d'une alchimie : ils font naitre un désir qui saura mériter leur création, en lui donnant tout son sens.

Aussi, plus qu'un logo, un nom ou un visa social, la marque est une personne à part entière, avec une personnalité qu'elle affiche haut et fort. Chaque marque, tout en portant en majesté des valeurs d'élégance et de classe, propose un style de vie bien à elle. C'est ainsi que le bon goût sépare le luxe du snobisme : l'initié achète la marque qui lui ressemble, il ne se contente pas d'imiter. Cependant, il faut que cet univers soit cohérent avec l'image que la marque veut donner d'elle pour éviter qu'elle ne devienne qu'un simple exercice de style. L'honnêteté est une garantie de réussite, c'est pourquoi on raconte des histoires vraies, autour des aventures des fondateurs, presque comme une religion. Chanel est une marque qui ose : Gabrielle Chanel était une avant-garde qui a participé à l'émancipation des femmes. Après elle, les femmes ne seront plus jamais les mêmes, puisqu'elles ont conquis une liberté nouvelle que Chanel a su préfigurer et accompagner : l'allure. Si Chanel prône le chic minimaliste et fait l'éloge du noir et du blanc, c'est avant tout lié à l'enfance de la créatrice. A l'orphelinat, elle portait le sarrau noir à col blanc des orphelines. Elle, petite fille privée de tout, débarrasse les femmes gâtées par l'existence de ce qui encombre, gène ou brouille, pour ne laisser place qu'à l'essentiel. Le « less is more » est né. Encore aujourd'hui, c'est le credo de la marque. Comme mentionné précédemment, les objets de grand luxe étaient à l'origine utilisés pour partir à la conquête de l'éternité, comme assurer son salut éternel après la mort. Coco Chanel est morte en 1988, mais la marque Chanel continue d'exister.

A l'aube de notre millénaire, les marques ont dû redoubler d'efforts pour remporter un combat difficile : celui d'allier les contraintes de la productivité à la créativité et l'excellence. Les géants du luxe ont réussi à conjuguer innovation et transmission de l'héritage : un challenge difficile. Dorénavant, le luxe est tourné vers le présent et vers la seule consommation des oeuvres immortelles du passé. Si le luxe veut échapper à la fossilisation, il doit reconduire et actualiser les formules du passé.

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Entre tradition et mode, le luxe est devenu une sorte d'hybride, dont la survie repose désormais sur son image. D'où la nécessité pour les grandes maisons de valoriser leur passé : ces lieux de mémoire s'imposent comme de véritables mythes parce que c'est au travers des légendes des origines que se façonnent les grandes marques.44 Les Grandes Maisons qui font la fierté de la nation ont mérité leurs majuscules par leur singularité, leur excellence, et souvent, leur mythologie. Si elles contiennent des trésors, ce n'est pas pour les enfouir et encore moins pour les cacher. En effet, autour de toutes ses anecdotes hasardeuses et de ses légendes, le nom d'une marque devient ce qu'elle a créé, car la saveur de l'éphémère peut parfois prendre un parfum d'éternité si elle se transmet.

En 1954, le Comité Colbert est créé à l'entreprise de Jean-Jacques Guerlain pour rassembler les marques de luxe françaises (15 membres en 1954, 81 aujourd'hui) autour de valeurs communes. De l'hôtellerie aux grands vins, en passant par la Haute Couture et la gastronomie, tous les secteurs sont valorisés. Cette institution, qui fait référence au ministre des finances du Roi Soleil, légitime les marques de luxe françaises en terme d'excellence. Cet organisme a pour vocation de promouvoir l'art, la culture française et le luxe. Le Comité Colbert n'est autre que l'héritage d'une coutume monarchique protectrice des arts pour mieux les associer à son rayonnement. A la croisée du luxe, de la culture et de l'art de vivre si chers à la France, elle est l'héritière directe du règne du Roi Soleil. A l'image du Comité Colbert, les comités Montaigne ou Vendôme sont les anges gardiens de deux lieux emblématiques de la capitale : L'Avenue Montaigne qui aligne les plus puissantes Maisons de luxe et la Place Vendôme, place emblématique de la joaillerie.

Le luxe fait désormais face à des enjeux majeurs : garder l'exception « culturelle », faire vivre les mythes bâtisseurs, affirmer la création comme ressort et demeurer très sélectif. D'un côté il faut innover, surprendre, rajeunir la marque pour rester compétitif : c'est le défi à court terme, celui de la mode. D'un autre, il faut maintenir l'image d'éternité des marques et un halo d'intemporalité. Pour être en accord avec les tendances, il faut palper l'air du temps. La Haute Couture doit être au summum

44 LIPOVETSKY Gilles, Le Luxe Éternel, Paris, Éditions Gallimard, 2003

du luxe, tout en étant au summum de la mode. C'est autour de ce paradoxe que se jouent les plus grands challenges des ambassadeurs du luxe dorénavant. C'est d'ailleurs ce à quoi répond le Comité Colbert à la problématique de cette étude : le luxe français puise sa force dans sa capacité à s'adapter à la société, et à son exceptionnelle créativité45. Rien ne sera fait si l'amour du passé ne peut se marier au meilleur de l'avenir.

Des marques comme Chanel ou Louis Vuitton sont presque aussi connues que le drapeau tricolore : elles sont au Panthéon du génie français. Ces grandes marques participent à faire rayonner l'image de la France dans le monde et la fascination qui en ressort, puisqu'elles sont créatrices de tendances. Bernard Arnault est comme un monarque à la tête de LVMH. Et si le rôle des marques ambassadrices de la France était tout simplement d'éduquer les autres nations au bon goût ?

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45 J'ai sollicité le Comité Colbert par email pour mon étude.

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CHAPITRE 8 : Le luxe, huitième art ?

À de nombreuses reprises, les chemins de l'art et du luxe ont toujours fini par se retrouver. Une oeuvre d'art produit des émotions similaires à celles d'un produit de luxe. Elle ne répond pas non plus à un besoin existant au sens propre du mot, mais crée plutôt des désirs de consommations artificiels et superflus.

Fondamentalement lié à la notion de création, l'art se retrouve dans beaucoup de pièces iconiques des marques. Yves Saint Laurent s'est inspiré d'oeuvres de Mondrian pour créer la collection qui le rendra célèbre en 1965. Dior s'inspire dans du mouvement pointilliste pour créer une robe Haute Couture, en hommage aux oeuvre de Claude Monet46. Force d'inspiration sans demie mesure des créateurs, l'art complète l'univers magique que les marques veulent se créer.

En effet, la touche artistique se retrouve également dans la communication des marques. Il suffit de regarder une publicité pour Chanel pour juger des techniques cinématographiques, notamment avec la présence d'un générique, et de la mise en scène des produits comme objets d'art. Les publicités sont d'ailleurs elles-mêmes réalisées par de réalisateurs distingués, et mettent régulièrement en scène des actrices, qui sont souvent choisies pour être les muses, les égéries de la marque.

Au-delà de leurs créations ou de leur communication, les marques s'engagent aussi culturellement. A l'époque où les biens d'exception commençaient à descendre dans la rue, les rois et nobles d'autrefois financent des artistes pour qu'ils leur créent des oeuvres extraordinaires : c'est le début du mécénat. C'est resté une tradition pour les marques de luxe, qui se portent alors garantes de l'intemporel et de l'inestimable, au même titre que les produits qu'elles vendent : Hermès finance la restauration du Château de Versailles avec son carré « Promenade à Versailles », Bernard Arnault (LVMH) et François Pinault (Kering) s'improvisent gardiens de l'art47 et Cartier, Prada ou Louis Vuitton s'engagent culturellement en

46 Voir photo en Annexe 10, p.112

47 Le premier par sa fondation au Bois de Boulogne, le second avec le Musée Pinault, qui a investi le Palazzo Grassi à Venise

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créant des fondations. Elles érigent également des musées pour matérialiser la marque et parler de l'histoire de la famille comme le Musée Louis Vuitton à Asnières. D'autres marques veulent aussi raconter leur saga comme Chaumet, dans sa Boutique Musée place Vendôme ou encore Yves Saint Laurent horizon 2017, avec sa fondation Pierre Bergé. En outre, le Bon Marché est lui-même un musée au milieu des vêtements, car le Grand Magasin héberge ses oeuvres permanentes, agrémentées régulièrement d'expositions temporaires, présentant des artistes de tous les horizons.

Aussi, l'art suit le cours du luxe. En 1500, et comme c'était le cas depuis des millénaires, les grandes oeuvres étaient réalisées pour gagner son éternité après la mort, son entrée au Paradis. A partir du XVIème siècle, il n'en est maintenant plus question, enfin plus exactement dans la même notion de temps. A cette époque, la religion dictait les croyances, et l'État et la morale dictaient les désirs. Seul l'art octroyait des sensations pures, comme une échappatoire. Les commandes de portraits et les autobiographies se multiplient, pour laisser une trace de son passage sur Terre, pour faire perdurer le nom et la gloire de sa famille : la montée de l'individualisme fait son apparition.

Au temps aristocratique, l'art devait être grand et noble, au même titre que les aristocrates se devaient de l'être, en effectuant des dépenses de prestiges obligatoires. Les codes étaient figés. Néanmoins dans les dernières années du XVIIème, un certain attrait pour le culte de des anciens objets se développe et des collectionneurs d'art commencent à apparaître. Ensuite, le siècle des Lumières se distingue par un intérêt accru pour la décoration privée, employant une riche collection de mobilier et d'objets d'art.48 C'est l'essor d'une consommation faite par amour, dans un souci d'esthétique et non plus par obligation de prestige. Les oeuvres sont aimées pour ce qu'elles sont, mais plus pour justifier d'un certain statut social. Ce phénomène pourrait être le point de départ du nouveau luxe qui se veut plus émotionnel et beaucoup moins ostentatoire.

48 Le Rez-de-Chaussée et le 1er étage du Musée Carnavalet illustre bien le phénomène, notamment avec la reconstitution de Salon bleu de l'Hôtel de Breteuil (environ 1780) et un exemple de lit à la polonaise.

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Maintenant, dans un mode régi par le libéralisme, l'oeuvre d'art doit être plaisante et émouvante avant toutes choses. Si l'art contemporain perd de sa fonctionnalité représentative pour véhiculer des idées plus conceptuelles, il devient alors un art de vivre choisi. Cela s'illustre dans le monde du luxe, notamment avec la dérégulation des consommations où il est admis de mixer du H&M et du Dior. Ce mélange ne pose plus problème car ils n'existent plus de contraintes collectives : c'est l'expression de soi, de ce que l'on veut, des sensations. L'esthétisation du rapport au luxe se traduit par un désir de qualité de vie, de moments intenses, et tout cela renvoie à une inspiration individuelle.

Pour conclure, le lien entre le luxe et l'art semble évident. En permettant aux artistes de s'exprimer librement, le public se sent alors lui-même libre et indépendant. L'artiste lui permet de suivre sa propre vision du style.

Comme le luxe, l'art a ce côté émotionnel : une oeuvre ne fait pas appel à notre raison. Comme le luxe, l'art se rattache moins à la valeur intrinsèque qu'à la valeur émotionnelle, se séparant ainsi du monde de l'argent et des contingences du monde. Elle joue avec les émotions, confronte les sentiments et entraine la passion du merveilleux. De plus, son intemporalité la rend durable : elle s'inscrit dans le temps. Chaque oeuvre échappe à la répétition et aux similitudes puisqu'elle est absolument unique. Le luxe repose sur le principe de se faire plaisir en accédant un objet superflu qui transcende, exactement de la même manière que l'art le fait. Cette corrélation montre bien que les deux notions sont très similaires et profitent l'une à l'autre.

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PARTIE 3 : L'importance des origines aujourd'hui

Aujourd'hui, toute l'économie, est mondialisée, même celle du luxe. Paris ne possède plus l'exclusivité en matière de luxe comparé à des villes comme Tokyo, Londres, New York ou encore Milan. Mais le fait d'être français est toujours reconnu comme une qualité dans le milieu. Cela permet de rassurer les interlocuteurs d'autre nationalités puisque nous jouissons d'une excellente réputation à l'étranger.

L'industrie du luxe se métamorphosa dans les années 1980 : il se vulgarisa et devint plus manifeste. En 1990, les codes se globalisent. Les marques donnent le sentiment de s'étouffer, de se brouiller, de se perdre : l'impression que tout a déjà été fait domine les esprits. Enfin, dans les années 2000, la création se refait une place et prédomine. Bienvenue dans l'ère de la dématérialisation, celle où l'expérience de consommation onirique et phénoménale prend tout son sens. Ainsi, depuis quelques années, on se rend bien compte que plusieurs marques de luxe ressentent le besoin de retrouver leurs racines, leur essence.

Par exemple, Rolex a sorti en hiver 2015 une publicité télévisée, qui insiste sur son utilisation historique (la montre était destinée aux aviateurs ; elle pouvait transmettre deux fuseaux horaires simultanément), mais aussi sur son pays d'origine, la France (elle est aux couleurs de la France). Autre exemple, en 2006, la marque Dupont réédite le briquet Winsdor, 54 ans après la commande spéciale du Duc : les sources sont utilisées d'une manière contemporaine.

De même, les marques retournent à leurs origines : des Cacharel renait de ses cendres en repensant son positionnement (Cacharel a décidé de revenir à ses essentiels, en quittant le positionnement luxe qui ne marchait pas, et renouant avec la catégorie du prêt à porter simple mais toujours haut de gamme), ou le renouveau de produits phares comme la Fiat 500. Il est intéressant de se demander comment ses marques font pour faire du neuf avec du vieux ? Effectivement, même si la marque ou ses produits sont revisités, ce qui est proposé n'est pas vintage, mais tout à fait moderne. Les marques jouent sur les succès qui ont jalonnés leur histoire. Les références au passé sont utiles pour les produits destinés à durer. Ainsi, les

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consommateurs se laissent porter par l'air du temps, en se disant que c'était mieux avant. Mais au final, le temps ne se remonte pas, alors le présent doit être réinventé.

CHAPITRE 9 : Le retour sur soi des marques, un argument de
vente pertinent

Toutes ces actualités montrent qu'on rentre dans un nouveau monde : celui où la décision d'achat n'est plus fondée sur la marque, mais sur les origines. Le luxe a la particularité de faire les deux. Si les grands créateurs font et défont les tendances au gré des défilés qu'ils organisent, l'essentiel de leurs ventes est souvent assuré par leurs produits les plus intemporels. Le sac Kelly d'Hermès, crée en 1935 reste le modèle phare du sellier. Le parfum presque centenaire N°5 de Chanel est toujours le parfum féminin le plus vendu dans le monde.

De nos jours, les consommateurs ont aussi envie de savoir ce qu'ils achètent. Au-delà de la qualité, le public d'aujourd'hui a envie de comprendre les valeurs de la marque. Dans un monde en perte de repères, les clients ont besoin de traditions et de valeurs sûres auxquelles se raccrocher. Il ne s'agit plus alors d'attacher pour attacher, mais aussi de s'imprégner de la marque pour mieux la saisir et s'identifier à elle.

Ce désir de connaître la marque renforce d'autant plus l'importance de la transmission dans les Maisons. Car si le public souhaite des réponses, les grandes marques elles aussi veulent des regards et des questions. A l'image de ce que doit être la consommation des produits de raffinement qu'elles vendent, les Grandes Maisons ne trouvent leur sens que dans le partage, l'échange et l'amour. C'est aussi pourquoi les Marques se raccrochent à des produits historiques qu'elles continuent de mettre sur le premier plan même s'ils ne génèrent pas tellement de chiffres comme Hermès avec les selles ou encore Louis Vuitton et les malles. En effet, les malles ne représentent plus que 2% des ventes de Louis Vuitton et sont parmi les derniers produits de la marque qui soient encore totalement confectionnés en France, dans l'atelier mythique d'Asnières. Ces parties intégrantes de leur héritage

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leur permettent de ne pas perdre leur identité, ni d'oublier d'où elles viennent. Puis, la France jouit d'une richesse culturelle et historique fabuleuse et les marques de luxe ont bien compris qu'elles devaient jouer dessus pour se démarquer, et donner un supplément d'âme à leurs discours et produits. Les valeurs patrimoniales et familiales sont le meilleur des marketings. Elles justifient un savoir-faire avéré, donnant naissance à des icônes qui traversent les siècles.

En effet, la France fait vendre et au prix fort 49 Dans les boutiques Louis Vuitton, certains étuis de téléphone sont affichés au prix de 200 euros, les présentant comme un des produits les moins chers de la gamme. Elles sont même personnalisables : les initiales peuvent être gravées à la feuille d'or gratuitement, juste en dessous du «Made in Spain». Effectivement, ces pochettes sont produites dans l'un des deux ateliers de Louis Vuitton en Espagne. Cela explique sûrement le faible prix de ces pochettes, parce que le Made in France coûte cher. En effet, et malheureusement, l'objectif du chiffre d'affaire prend bien souvent le pas sur celui de l'image. Certaines marques préfèrent faire des économies d'échelles quitte à mettre en péril leurs origines.

Mais le pragmatisme et la rationalité ne nourrissent pas le rêve. En effet, Chanel a des ateliers en Écosse, les chaussures Louboutin et les sacs Dior sont fabriqués en Italie et 10 des 46 ateliers d'Hermès sont à l'étranger. En revanche, toutes les collections se décident dans les bureaux parisiens, ce qui conserve tout de même le patrimoine créatif français. Puis, les pièces de Haute Couture et les Commandes Spéciales (c'est à dire les produits faits sur mesure, avec les matériaux les plus précieux et les plus chers) sont toujours élaborées dans les ateliers parisiens. Dior se justifie de ses productions italiennes par le fait que c'est dans ce pays que se trouvent les meilleurs textiles (principalement le cuir) et les artisans les plus qualifiés pour effectuer ce travail particulier. Quand je leur demande s'ils comptent faire revenir leurs productions entièrement en France et former des artisans français, un malaise se fait sentir, accompagné d'un vague : « Oui bien sûr c'est prévu ».50 Peut-être qu'une distance est ainsi volontairement mise entre les

49 Voir Annexe 11, p.113

50 J'ai posé ces questions lors des Journées Particulières le vendredi 20 mai 2016, pendant la visite de l'Hôtel Particulier au 30 avenue Montaigne, là où l'aventure Dior a commencé.

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produits « standards », les produits qui se trouvent en magasin et immédiatement accessibles, avec les produits d'exception comme les pièces de Haute Couture et les Commandes Spéciales qui elles sont réalisées à Paris. Dior a au moins le mérite d'être transparent sur ce sujet. Mais au-delà du prix, il est dommage que les marques n'appliquent la sévérité de la Haute Couture à l'ensemble de leurs collections, ce qui aurait certainement préservé leur authenticité. Car face à la standardisation des produits mondialisés, le « Made in France » apporte un gage de qualité. Mais une fois de plus, l'appât du gain et de la puissance l'a emporté sur les traditions.

L'essor des contrefaçons a aussi son rôle à jouer dans le besoin des marques à redorer leur image. Bien que la contrefaçon représente un sérieux danger pour les marques de luxe, elle renforce néanmoins la légitimité des originaux. Rien ne remplace la sensation de porter du vrai. Malgré cela, la contrefaçon est toujours un problème d'actualité, parce que certains consommateurs persistent à résister à l'achat de produits originaux. Cette résistance peut s'expliquer par le fait que ces consommateurs n'arrivent pas à accéder aux valeurs du luxe telles qu'elles devraient l'être. Les vraies valeurs du luxe sont censées être la confidentialité, la discrétion, le respect pour la tradition et le savoir-faire authentique. La notion d'apparence y est pour beaucoup dans cette confusion parce que certains ne savent pas l'utiliser à bon escient. Ces consommateurs ressentent le besoin cruel d'étaler leur argent, sans retenue, dans le but d'impressionner les autres. La contrefaçon résulte de l'aspiration à s'approprier des signes ostentatoires, mais surtout de montrer qu'on est plus riches que ce qu'on est. Cela reflète le combat mondial du bon goût, puisqu'il est plus facile d'avoir de l'argent que d'avoir du goût.

Enfin, et comme expliqué précédemment, le luxe est relatif à chacun : certains sont prêts à tuer pour avoir le Kelly d'Hermès, un produit iconique de la marque et symbole du luxe ultime pour certains. D'autres vont trouver ce comportement ridicule mais n'hésite pas à se payer des vacances dans un chalet de prestige sur les pistes. Il est permis d'interpréter cela comme une personnification du problème soulevé : le luxe se veut de plus en plus expérientiel. L'émotion ressentie l'emporte sur le produit en lui-même.

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Même l'essor des produits d'entrée de gamme est justifié par l'expérience. Les marques répondent que l'expérience d'achat doit être ancrée dans les gènes de la Maison et donc être la même, quel que soit la valeur du montant de l'achat. En revanche, cette expérience n'est permise que par une distribution au sein d'établissement approuvés par la marque, ou même possédés par elle-même (Sephora, Le Bon Marché, etc.). Pour compenser le différentiel de rêve entre les gammes, les marques de luxe comptent sur les produits griffés, les icônes, pour redorer leur image en finançant divers évènements somptueux pour renforcer le prestige. Le luxe ne s'adresse pas seulement à ceux qui l'achètent : le conte de fées sert à entretenir le rêve dans les consciences collectives.

Dorénavant, les acheteurs investissent autant qu'ils se font plaisir dans leurs achats. Il s`agit de consommer moins et mieux, les consommateurs sont dorénavant prêts à économiser pour s'offrir quelque chose de vraiment digne d'intérêt, d'authentique et de valorisant. Le prix passe au second plan, après la valeur de l`émotion. Le vrai chic, c'est de durer, de se maintenir pour aller encore plus loin. Ces consommateurs aspirent à des produits plus durables, qui se démarquent par leur simplicité et s'éloignent de l'ostentation. La dimension émotionnelle du luxe prend alors tout son sens : il faut créer une émotion qui s'inscrira si fort dans le temps qu'elle en deviendra inoubliable. Ces produits doivent alors organiser un rendez-vous unique, taillé sur mesure pour vivre un rêve éveillé. La proposition luxueuse d'avant n'est plus la même, car elle doit dorénavant correspondre à une approche créative. Les gens veulent de l'étonnement (peu en quantité mais beaucoup en surprise), de la révélation de la pureté, de la précision et de l'esthétique : ils aspirent à quelque chose qui amène des frissons.

Les marques de luxe n'ont pas vraiment de concurrents puisque chacune d'elles a une image de marque qui lui est propre : son territoire est marqué. Le but est d'imaginer un univers confidentiel autour de la marque. Tout est mis en oeuvre pour sublimer le produit à travers un scénario plein d'anecdotes. Surtout dans un contexte de crise économique, les consommateurs ont besoin de sortir de l'ordinaire. C'est pourquoi les émissaires du luxe s'évertuent à projeter un univers chimérique.

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Le luxe se crée son propre monde imaginaire, composé de lieux phénoménaux et d'oeuvres d'art. Cet univers flamboyant est renforcé par un vocabulaire plus lyrique, plus évocateur : des Maisons, des Ateliers et des Modèles, pour souligner une distance avec les entreprises, les usines et les produits, bien plus anodins ou encore la distinction claire entre les hôtels et les Palaces. Les marques de luxe ne veulent pas être choisies parmi d'autres, elles veulent que le consommateur les voit comme l'unique réponse à ses besoins. Cette tactique de story-telling s'avère gagnante, tant que la marque reste honnête.

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CHAPITRE 10 : Comment les marques peuvent-elles jouer avec
les émotions ?

L'histoire offre une belle mise en scène de l'identité puisque c'est un véritable vecteur d'émotions. Déjà dans la seconde moitié 14ème siècle, la divergence entre le culte de l'ancien et celui du présent apparaît. D'un côté, les vestiges de l'Antiquité raniment les passions, le latin connaît son heure de gloire auprès des érudits : les choses qui ne semblaient avoir plus aucune valeur deviennent synonymes de préciosité. Pourquoi ? Sous prétexte qu'ils appartiennent à une époque qui est révolue, et tous ces savoirs ne pourront plus jamais être exécutés exactement de la même façon : il s'en dégage une certaine nostalgie. Ces vestiges sont absolument uniques et irremplaçables, et confèrent un sentiment d'exclusivité ultime. Les origines servent à se différencier. En revalorisant le passé historique et la tradition, la nostalgie de la marque redore une époque qui semblait empoussiérée.

Le cas du champagne est un très bon exemple. Ce segment jouit encore aujourd'hui une demande en constante croissance. Étant peu sensible au prix, il attire de plus de plus de consommateurs. Le «vin des rois», bien qu'il se présente comme un produit d'excellence, n'en devient pas moins un produit de luxe. Mais il peut le devenir, notamment autour d'une histoire, d'un savoir-faire ou tout simplement de l'évocation d'un mode de vie auquel on aspire. Flirtant dorénavant avec le produit de masse, il porte toujours bien haut ses symboles. En effet, le champagne peut toujours se conjuguer avec inaccessible comme le fait Moët avec la Trilogie des Grands Crus. Ces trois vins viennent de trois cépages rares (Les Vignes de Saran, Les Champs de Romont, et Les Sarments d'Aÿ) et sont limités à 15 000 exemplaires par an. Une distance est ainsi mise entre ces produits et les bouteilles d'entrée de gamme puisqu'ils reposent sur une rareté naturelle. La Trilogie des Grands Crus est encore élaborée dans le respect de la tradition. Elle se distingue ainsi des plaisirs accessibles qui ne font plus que suivre les tendances comme le champagne Mercier. À savoir que la marque Mercier a toujours eu vocation de rendre le champagne accessible au plus grand nombre, tout en assurant une certaine qualité.

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Le fondateur Eugène Mercier imagine même un des premiers documentaires sur le sujet, et jette en quelques sortes les bases de la communication moderne.51

Depuis tout temps, la consommation de produits de luxe s'apparente à l'échappatoire d'une réalité ennuyeuse. Dans les années 1690, le pays est pourtant à feu et à sang. Les précédents hivers ont été très rudes, ravageant les récoltes et plongeant les agriculteurs des campagnes françaises dans une sérieuse pénurie alimentaire. Malgré cela, le Roi Soleil continue d'exhiber ses diamants. Pareillement, de part et d'autres des frontières, les guerres font rage. Mais les talentueuses couturières tournent cette situation à leur «avantage» ; en s'inspirant des techniques d'habillement des soldats pour les transformer en nouvelles tendances. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les créateurs ont toujours puisé leur inspiration dans les périodes sombre : le génie et le talent des artistes redonnent l'espoir et le sourire au peuple. Ils s'évadent le temps de contempler une belle robe. D'ailleurs, Valérie Steele le précise bien « (...) Il fallait réaffirmer l'importance de Paris, après une coupure de plusieurs années qui avait permis aux pays étrangers de se dégager de son influence. La Haute Couture française organisa alors une brillante opération de Relations Publiques en montant une exposition intitulée « Le Théâtre de la mode »52. En mars 1945, alors que Paris, éprouvée par la Seconde Guerre Mondiale, manque encore de tout, une exposition hors du commun attire les visiteurs par milliers au Musée des Arts Décoratifs. Véritable ode à la Haute Couture française, le Théâtre de la mode rassemble en versions miniatures les créations des plus grands couturiers de l'époque. Cette exposition est un parfait exemple de ce que les grandes marques font encore aujourd'hui : réaffirmer et surtout rappeler au public toute la gloire qu'inspire la mode française.

À la base, le luxe est un cas unique en communication et marketing. Tout part des créations des artisans et, normalement, le marché suit. Le luxe n'a pas besoin de faire du marketing pur en analysant le marché, mais de se réinventer pour rester

51 De la grappe à la coupe, réalisé par les Frères Lumière est le premier film publicitaire de l'Histoire, projeté au Pavillon Mercier lors de l'Exposition Universelle de Paris en 1900.

52 STEELE Valérie, Se Vêtir au XXème siècle : de 1945 à nos jours, Paris, Editions Adam Biro,1998, p.12

Voir aussi en Annexe 12 p.114, le Théâtre Dior reconstitué lors des Journées Particulières, toujours d'actualité en 2016.

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compétitif. Le luxe doit sortir des chemins du marketing classique pour se distinguer, continuer de cultiver son unicité et véhiculer des promesses telles que le rêve, le prestige et la rareté. Ce problème est d'autant plus d'actualité que les consommateurs sont de plus en plus exigeants.

Les Relations Publiques et l'Evènementiel représentent tous deux un moyen de développer la préférence des consommateurs envers la marque.53 Ces fonctions offrent de nouvelles opportunités pour se démarquer en créant plus d'excitations, plus d'enthousiasme, tout simplement avec des interactions plus vivantes, plus instinctive que la publicité classique. La publicité ne fait pas forcément aimer une marque. En revanche, les Relations Publiques promettent une rencontre, un échange plus personnalisé destiné à susciter l'intérêt et la sympathie en séduisant le leader d'opinion plus qu'à véhiculer un message massif et standardisé.

Aussi, les Relations Publiques exigent une immersion professionnelle comme personnelle dans l'univers des clients de la haute société. Il faut vivre de la même façon qu'eux, car une maitrise totale des habitudes, des codes et des langages est inhérente au métier. C'est une question d'image : si la marque doit être représentée, alors il faut mettre à disposition une excellence. Les rendez-vous doivent se faire dans des lieux confidentiels, les déjeuners d'affaires autour de bonnes tables, les journalistes invités aux événement choisis avec soin, le réseau efficace ... Au même titre qu'une pièce de Haute Couture, il faut penser à chaque petit détail.

Pour ce qui est de l'Evènementiel, les soirées privées cultivent l'exception. Par exemple, le Lundi 09 Mai dernier, la renaissance du mythique Château de la Colle Noire, le refuge de Christian Dior, a été célébrée par la Maison avec une pléthore d'invités triés sur le volet : journalistes de grands magazines, artistes, célébrités influentes, gros clients ... Bien entendu, très peu d'éléments de cette soirée exceptionnelle ne sont connus du grand public. Seuls quelques détails, qui semblaient essentiels à la réussite d'une soirée si prestigieuse, ont été dévoilés,

53 HEILBRUNN Benoit, Le luxe éternel. De l'âge du sacré au temps des marques/ Prologue dans Plaidoyer pour les marques, Décisions Marketing N° 31, Juillet 2003, p. 101-102

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comme le menu concocté par un chef étoilé ou encore un feu d'artifice pour clôturer la soirée. Cet évènement, non seulement très grandiose et aussi un clin d'oeil aux traditions de Christian Dior. L'homme aimait réunir tous ses amis en plein territoire grassois, autour d'un grand diner dans son lieu d'inspiration fétiche.

L'évènementiel passe aussi par des expositions temporaires, qui présentent les marques de luxe sous un nouveau jour. Louis Vuitton joue toutes les cartes de cette nouvelle stratégie parce que la marque devient un article de mode qui suit les tendances sans plus aucune authenticité. Après l'inauguration de la somptueuse Fondation à Paris, une nouvelle exposition retraçant l'histoire de la famille, son savoir-faire, son respect pour les traditions et son goût pour l'art et le voyage est ouverte à Paris dans les salons d'Honneur du Grands Palais. L`exposition retrace les origines de cette Maison de prestige, fondée en 1854. Une véritable épopée famille et une histoire de transmission de savoir-faire, autant de valeurs qui sont chères au luxe.

L'exposition nous apprend que la mode et les produits de luxe en général se doivent de correspondre aux attentes des consommateurs et aux mutations de la société. Au XIXème siècle, des inventions comme les navires à vapeur (1830) ou les chemins de fers (1848) permettent d'accéder à des contrées avant trop lointaines. Plus tard, l'automobile (1890) et l'exploitation des lignes commerciales aériennes (dans les années 1900) ont précipité le peuple dans de nouvelles habitudes et pratiques de vie. La notion de voyage apparait, ou comment s'évader le temps de quelques jours. Le succès est tel que le voyage devient un véritable art de vivre. Ces inventions ont permis aux artistes et créateurs d'exprimer leur créativité, en créant des choses tout à fait innovantes. Louis Vuitton permet en 1890 l'invention de la serrure à gorges, une découverte capitale qui permet à un même client d'ouvrir l'ensemble de ses bagages avec une seule clé. Encore aujourd`hui, cette technique est un secret de fabrication de la Maison. Quelques années plus tard, Louis Vuitton participe aux deux expéditions menées par André Citroën : la Croisière Noire sur le continent africain et la Croisière Jaune sur le continent asiatique. Ces missions exceptionnelles et totalement révolutionnaires réunissent tous les visionnaires d'une ère autour d'un véritable enjeu humain, géographique et scientifique. C'est donc sur le voyage que la marque va axer sa communication et s'imposer comme

la référence des nomades contemporains, jusqu'à en devenir la gigantesque machine que l'on connaît. Il est vrai que Louis Vuitton communique toujours sur cette notion d'évasion et de voyage, bien des années après. C'est l'ADN de la marque, son essence même.

Dans les expositions comme dans les évènements, les produits des marques de luxe sont présentés comme des oeuvres d'art. Chaque histoire est unique. Tout le monde connaît la marque mais l'histoire n'est pas toujours assez racontée. Elle se place maintenant au coeur des nouvelles stratégies commerciales. En effet, les vendeurs glissent de plus en plus fréquemment des anecdotes historiques autour des produits, pour enrichir le story-telling. Le but n'est pas de montrer la marque comme une froide machine à enseigner, mais de la régler sur l'individu.

Le Château de la Colle Noire lors de la soirée d'ouverture le 09 mai 2016.54

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54 Source: http://www.dior.com/diormag/fr_fr/suggest/la-colle-noire

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CHAPITRE 11 : Le cercle vertueux de la démocratisation

Tout ce qui paraît luxueux aujourd'hui a pour vocation de se vendre demain à une grande échelle et à un prix modéré. Ces dernières années ont vu le luxe descendre dans la rue. L'inaccessible est devenu accessible. C'est l'apparition du nouvel oxymore du luxe qui se vend bien. Ce nouveau cycle de démocratisation du luxe se souligne d'autant plus que par l'effondrement du pôle sur mesure dans les marques de luxe, supplantés par l'essor considérable des biens de première catégorie comme le parfum, le maquillage, les accessoires ou encore le prêt à porter.

Néanmoins, l'inaccessible est-il vraiment devenu accessible ? N'en n'est-il pas moins qu'une illusion ? Quand les marques dites de luxe acceptent de dessiner des choses plus abordables pour des enseignes de grande diffusion (à l'instar de Balmain pour H&M), certains pensent que cela dévalorise la marque. J'appartiens à l'autre école. A mon sens, les marques de luxe qui se prêtent à ce jeu ne perdent sans doute pas leurs clients habituels. Ses acheteurs vivent trop haut perchés pour voir l'écume du commerce de proximité du commun des mortels. Le nom sur l'étiquette ne fait pas tout : les vêtements Balmain vendus chez H&M ne sont pas des produits de luxe, à la différence des vêtements Balmain qui se trouvent dans la boutique Rue François 1er à Paris. Non seulement à cause du prix, mais aussi par la qualité des matériaux, les finitions et le travail engagé dans les créations. Le luxe réside dans l'art des détails.

Le beau attire, c'est bien connu. Les clients qui achètent de la Haute Couture ne permettent pas forcément à la marque de prospérer économiquement. C'est en effet sur ce segment que les marques margent le moins, car les matières premières et le travail fait main coûtent extrêmement cher. Pourtant, les enjeux de croissance sont devenus essentiels pour la survie d'une marque. Alors elles font en sorte que l'enthousiasme généré par les produits d'exception découle sur d'autres produits, plus accessibles. En effet, même acheter un petit objet signifie l'adhésion du client, une entrée dans l'univers de la marque, puisque sa communication déploie des réseaux d'appartenance à des mondes communs. En effet, la jouissance esthétique rend plus facile le fait d'aimer et de sympathiser. Et la sympathie abolit les distances.

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De plus, l'augmentation de quantités des produits et l'amélioration de la qualité de ces mêmes produits apportent une satisfaction toujours plus complète aux désirs de consommation.

Dès lors que les biens deviennent plus disponibles et plus adaptés à l'époque en question, le bien-être se développe dans les différentes classes sociales. C'est ainsi que des produits qui étaient autrefois réservés à une certaine élite atteignent les classes moins fortunées. Cette vulgarisation des jouissances raffinées entraine forcément la manifestation d'un luxe plus « populaire », loin de celui des gens privilégiés.

Comme à la fin du Moyen-Âge, lors de l'invention de la mode, l'importance de l'innovation et des changements joue un rôle primordial dans nos sociétés. Il y a 500 ans, les nouveaux systèmes bancaires, le goûts pour les grands voyages (rendues possibles par des innovations) et tout ce renouvellement a pris le pas sur les traditions ancestrales : on accorde plus de place au nouveau.

De même, avec l'essor de la consommation des loisirs et du bien-être dans les années 1950-1960, le superflu est non seulement devenu nécessaire, mais il est surtout logiquement devenu une aspiration de masse. Ainsi, le caprice se vit remplacé par la coutume.

Il est aussi intéressant de mettre en lumière un autre phénomène. En 1670, le point central des gravures de mode, que les créateurs français diffusaient dans le monde, était le vêtement en lui-même. Quelques années plus tard, aux alentours de 1690, l'accès était en revanche plutôt mis sur le style de vie que procuraient ces vêtements. Le message que voulaient faire passer ces gravures était que si le client lambda ressemblait aux dames de la Cour, alors il partagerait un petit bout de leur style de vie. Cette évolution fut exactement la même dans la photographie du siècle dernier. En effet, dans les campagnes de publicité des grandes marques, il est plus question de montrer l'univers, l'ambiance de la marque que de flatter les produits en eux-mêmes. Ils sont incorporés à un décor particulier, qui véhicule lui aussi des messages de grandeur. Le message est exactement le même quand les marques

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d'aujourd'hui en choisissant des égéries célèbres. Les gens célèbres ont de tout temps étaient privilégiés. En effet, ils parlent déjà à l'imaginaire des masses.

Comme dans cela s'est déjà produit dans le passé, le luxe emprunte des chemins différents : l'exceptionnel et l'accessible. D'où l'essor d'une nouvelle tendance, celle du mixage des produits d'exceptions avec des produits beaucoup moins coûteux dans les boutiques de luxe.

Compte tenu de tous les éléments évoqués au fil des chapitres, le luxe suit une

continuité historique. Le phénomène de « démocratisation » semble
indéniablement se répéter, au moins depuis la Renaissance. Il n'y a rien de nouveau dans cette causalité des hommes avec la consommation de biens onéreux.

Ce que démontre cette étude, c'est que la passion du luxe ne veut pas forcément dire étaler ses richesses, mais plutôt s'admirer soi-même. De nos jours, la montée de l'individualisme est telle que l'importance du regard des autres est moindre : le public veut être indépendant et différent. En effet, si les motivations d'ostentation et d'étalage de richesse sont devenues modiques, le néo-narcissisme s'accompagne d'une promotion d'une image personnelle plutôt que d'une image de classe. Le client aspire désormais à jouir de moments de volupté, pour se satisfaire lui-même avant tout. L'heure est à la primauté des sensations intimes, à la fête privée des sens plutôt qu'à la théâtralité sociale et à l'exigence de reconnaissance. Ce qui compte dorénavant, c'est l'épanouissement personnel, le frisson de l'aventure, le sentiment d'un soi victorieux, l'intensité des sensations intimes ... Si la réfection se positionne de ce point de vue, tout devient très logique, car même le fait de flamber vient s'inscrire dans le temps. Pourquoi ? Pour faire du présent un moment tellement fort qu'il en deviendra inoubliable.

Cela se confirme par la conservation d'une consommation assez cérémonielle des produits de luxe. Dans l'opinion publique, encore aujourd'hui serait considéré comme un véritable sacrilège de consommer un Grand Cru dans la précipitation dans des gobelets en plastique, sans avoir pris le temps d'admirer la robe et d'humer le bouquet. Pareillement, le chef d'un grand restaurant gastronomique fait office de « maître de cérémonie ». C'est à s'en demander s'il est peut-être là, tout

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le charme du luxe : il est capable de ressusciter une aura de sacré, de fournir une tonalité cérémonielle à l'univers des choses, de réinscrire la ritualité dans le monde désenchanté.55

Si le luxe est question d'adhésion à des valeurs, de style de vie et d'émotions plus que de prix, alors la « démocratisation du luxe » ne veut rien dire. Si le luxe en France est étudié d'un point de vue historique, alors il apparaît clairement que de tous temps, le luxe s'est toujours adressé aux classes montantes aussi bien qu'à la haute société. Il apparaît aussi que ces classes montantes ont toujours aspiré à accéder à une vie sans contraintes, où le raffinement est roi. Le luxe sera toujours le contraire de l'égalité, mais il participe paradoxalement aussi à réduire les distances entre riches et pauvres. Louis Vuitton et Gabrielle Chanel étaient d'origine très modeste, mais leur bon goût les a établis ambassadeurs du luxe et ce statut reste inchangé depuis des générations.

Que la France soit le pays du luxe et des Droits de l'Homme n'est peut-être pas anodin. Elle est peut-être le seul pays qui a assumé ses paradoxes et ses contradictions. Le luxe a probablement réussi à réduire les différences en riches et pauvres, en proposant à toutes les parties de sa population de cultiver un certain art de vivre. Et il s'est aussi imposé comme un formidable ascenseur social pour les talentueux qui ont osé tenter leur chance. Comme disait si bien Victor Hugo : « Le luxe est un besoin des grands états et des grandes civilisations. Cependant il y a des heures où il ne faut pas que le peuple le voie. Mais qu'est-ce qu'un luxe qu'on ne voit pas ? Problème. Une magnificence dans l'ombre, une profusion dans l'obscurité, un faste qui ne se montre pas, une splendeur qui ne fait mal aux yeux à personne. Cela est-il possible ? Il faut y songer pourtant. » 56

55 LIPOVETSKY Gilles, Le Luxe Éternel, Paris, Éditions Gallimard, 2003

56 HUGO Victor, Aux Tuileries dans Choses Vues, Paris, 1847, p.225.

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CHAPITRE 12 : Le luxe français va-t-il réussir à atteindre ses ambitions futures sans pour autant mettre en danger sa culture et son identité ?

Pour conclure cette étude, il convient de présenter quelques recommandations. Plusieurs marques ont tendance à reléguer leur capital patrimonial et culturel au second plan, pour privilégier leur statut de marque mondiale. Alors comment éviter la banalisation de l'image de la France ?

l Valorisation du savoir faire

Le designer est souvent mis en avant, mais il ne faut pas oublier les petites mains qui ont investi leur vie dans leur art. Pourtant, tout était plutôt bien parti. En 1675, à l'aube de l'industrie de la mode, l'autorisation du statut officiel de «couturière» marque un vrai tournant dans la vie des petites mains qui fabriquent les vêtements. Pour la première fois, elles étaient reconnues à leur juste valeur. Ce terme est d'ailleurs le premier du champ lexical de la Haute Couture, preuve irréfutable du rôle crucial qu'ont joué les petites mains dans l'essor de l'industrie de la mode.

La différence entre un artisan lambda et un artisan qui perpétue un savoir-faire depuis des générations réside dans le plaisir qu'il trouve à créer un produit d'exception. Un artisan doit être à l'origine d'une création avec une vision du futur, une ambition, une détermination et un chemin plein d'espoir à tracer. Quand l'artisan lambda aura l'impression de « perdre son temps » à coudre alors que la machine pourrait le faire beaucoup plus rapidement, l'artisan d'un atelier va se surpasser car la passion l'anime. Et aussi car il sait qu'une machine ne pourra jamais mieux faire qu'il ne le peut. Ce sont dans leurs ateliers que souffle l'art vif de la création permettant à des trésors de voir le jour. Les artisans travaillent tous ardemment à la conservation de l'artisanat et du savoir-faire qui participe tant à la grandeur de notre patrimoine. Du dessin jusqu'à la maquette, l'héritage culturel français occupe une place de choix dans la création de produits de luxe. Dans l'ensemble de ses composante, ces techniques ancestrales revêtent des couleurs de rêves, car le

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travail d'artiste est un jeu de patience conçu pour déclencher le régal des sens. Le champ créatif qui se dessine sous leurs doigts est immense.

L'accès de nouveaux consommateurs aux produits de luxe donne aux clients historiques des Grandes Maisons moins d'exclusivité. Or le luxe, le vrai, doit être unique. D'où le retour en force du sur mesure, qui s'impose comme le luxe ultime. De la chemise au costume, en passant par les chaussures, bijoux et parfums, tout se personnalise et se réalise à la commande. La customisation est redevenue une tendance majeure. D'une part parce que le public aspire dorénavant à quelque chose qui offre de l'affectif et de l'artisanal dans ses créations. Un objet personnalisé aura toujours plus de valeur, pour la simple et bonne raison qu'un lien est établi. C'est ce que les marques cherchent à faire : réintroduire l'intimité avec le client. Le service de personnalisation permet de faire sentir aux client qu'aucun de leurs rêves n'est impossible à réaliser. Quand des personnes ont déjà tout, la somme de détails favorise la surprise.

Cette année, la troisième édition des Journées Particulières de LVMH a lieu fin mai. Ces Journées sont l'occasion de découvrir les coulisses des savoir-faire séculaires des grandes marques françaises pour rendre hommage à notre patrimoine. Dans la même dynamique, Chanel fête en 2016 les treize ans de ses défilés « Métiers d'Arts », qui rendent hommage chaque année à une ville et un savoir-faire différent.

Les marques devraient aussi un peu moins se pencher sur le plan financier, et ramener leurs ateliers en France. Il est sincèrement essentiel que le pays soit stimulé par la production de produits de luxe. Mais chacun livré à lui-même et solitaire ne pourra pas accomplir grand-chose. C'est dans l'addition des ambitions individuelles qu'une oeuvre collective devient possible. Les marques doivent mener des actions communes et jouer la même partition. Les puissants du luxe ne manquent ni de projets ni de moyens financiers, et c'est ici que se trouvent les hommes pour réaliser et faire.

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Allier patrimoine et innovation

Même si le produit de luxe accepte une imperfection technologique pour une perfection humaine et identitaire, et si les marques de luxe se complaisent dans leur nostalgie il ne faut pas oublier que l'innovation demeure essentielle pour ne pas tomber dans l'obsolescence. Le luxe français reste prudent, presque mal à l'aise avec la digitalisation. La France est sans aucun doute elle aussi une patrie compétente au regard de la technologie, mais le luxe s'en accommode en général assez mal. Les valeurs de performances techniques ont peu d'affinités avec sa psychologie. Le luxe français n'est pas un luxe d'objets évaluables selon des fonctionnalités objectives, puisqu'il s'inscrit dans une dynamique de la création proche du monde de l'art. L'aura se crée dans la légende et dans l'histoire plutôt que dans l'aptitude vérifiable. Cependant, les marques doivent maintenant continuer d'inscrire leur histoire dans le temps, mais avec une écriture plus moderne.

Le luxe français doit se forcer à toujours plus innover pour rester attrayant, mais sans jamais compromettre son patrimoine créatif. Aujourd'hui, la tendance est à la sophistication de l'économie et de la société. Les désirs sont de plus en plus artificiels. Cela fait suite à l'élévation général du niveau de vie qui fait lui-même écho à l'industrialisation. A ce niveau-là encore, l'innovation est absolument primordiale pour les acteurs du luxe s'ils ne veulent pas prendre le risque de perdre leur statut d'avant gardes. Car de plus en plus de marques (pour ne pas dire quasiment toutes) parient sur la technologie pour charmer. Il est par conséquent impératif que les marques de luxe maintiennent leur excellence, même sur le plan de l'innovation. Encore faut' il savoir l'utiliser à bon escient. Depuis l'essor d'Internet, le consommateur est pour la première fois aux commandes au détriment de la marque. La digitalisation reflète une perte d'autorité et du pouvoir des marques. Il faut donc construire une nouvelle relation à l'autre sans perdre pour autant perdre notre territoire culturel. Il faut alors penser à construire une stratégie basée sur la personnalisation des services.

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En 2015, Hermès est considérée par Forbes57 comme la 22ème marque la plus innovante du monde et comme la marque de luxe la plus innovante. Effectivement, Hermès joue excessivement bien avec ce nouveau défi. Pour elle, le couple tradition et innovation semble être parfaitement intégré. Sa présence sur le Web en est le parfait reflet. D'un côté, son site Web officiel ne propose que les produits d'entrée de gamme, préservant l'exclusivité des produits d'exception à ses magasins. Néanmoins, ses sites miroirs (par exemple pour les carrés de soie) resplendissent de créativité et d'esthétisme et proposent une expérience digitale originale.

Aussi, en Thaïlande, des marques comme Cartier réalisent des spots projetés sur les façades des centres commerciaux de luxe : c'est du 3D Mapping. Ce nouveau système diffuse en géant un film en 3D sur tous types de supports. Cartier a retracé son histoire dans un film, recréant une ambiance parisienne en plein coeur de Bangkok.

l Repenser le tourisme

Les paysages, les marques de luxe, le terroir de la gastronomie, le patrimoine architectural ... Autant d'éléments qui font fleurir le tourisme en France, où l'achat se conjugue à l'expérience privilégiée de consommation. : le rêve par l'excellence de la qualité, du savoir-faire, du service et de l'environnement.

Aujourd'hui, le Georges V est possédé par un prince arabe, la Dorchester Collection est détenue par le Brunei. ... En effet, les puissants du Moyen-Orient commencent à penser à l'après pétrole. Mais surtout, ils sont extrêmement sensibles au prestige qu'il confère de posséder des bijoux si précieux. Ces acquisitions sont nécessaires pour le développement de l'hôtel et la préservation de son patrimoine. Ils permettent par exemple d'engager des travaux de rénovations très coûteux, ou encore de constamment renouveler son portfolio de services originaux. En effet, les Français en général sont de plus en plus portés sur l'appât du gain au détriment de la qualité des services, qui ne sont plus à la hauteur des espérances des touristes. Il semblerait que le problème ne soit pas seulement financier mais aussi culturel : les

57 Source : http://www.forbes.com/innovative-companies/#/tab:rank_page:3

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Français ne font pas vraiment d'efforts pour s'adapter aux nouveaux enjeux du tourisme. En effet, la France se focalise trop sur le retour sur investissement.

La nouvelle donne géopolitique de l'évolution de la répartition des richesses place les Asiatiques et particulièrement les Chinois comme invités de marque. L'arrivée de nouveaux hôtels asiatiques sur le marché français comme le Mandarin Oriental ou le Shangri-La redistribuent les cartes. Ils se sont même vu décerner la prestigieuse distinction « Palace », alors même que certaines institutions comme Le Crillon ne la possède pas. Si les Chinois ne sont pas habitués à descendre dans ce genre d'hôtels, ils se retrouvent cependant dans les chaînes d'hôtels qui sont omniprésentes chez eux. Ces nouveaux modèles ont imité le savoir recevoir français jusqu'à le rendre encore plus excellent.

Il faut savoir que la classe aisée chinoise (40 000 dollars annuels en moyenne) devrait compter 280 millions de personnes d'ici à 2020, contre 120 millions aujourd'hui. Elle assurera 35 % de la consommation mondiale, et 75 % de la croissance des achats de produits de luxe en Chine.58 Les enjeux sont donc de taille. Le défi est de s'adapter à cette nouvelle clientèle chinoise afin de les attirer puis de les fidéliser tout en communiquant sur les valeurs de la France et sa longue tradition d'excellence en matière de tourisme.

58 KAPFERER Jean Noël et BASTIEN Vincent, Luxe Oblige / On Luxury, 2ème Édition, Paris, Éditions Eyrolles, 2012, p. 43

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CONCLUSION

Au regard de la boulangerie artisanale, du bon pain, les artisans boulangers se sont mis au luxe incidemment. Vingt ans qu'ils vendent de l'authenticité, du savoir-faire, du façonné main, de la tradition. Car oui, la baguette tradition, vendue en moyenne 20% plus cher que la baguette classique, est un petit luxe quotidien que s'offrent des Français, sans même y prêter attention. Le luxe chez nous est la définition du savoir-faire à la française et de la recherche de l'exception.

Le nouveau luxe est culturel et immatériel, tout en étant aussi spirituel et physique, car il s'intègre inconsciemment dans une vie remplie de raffinement.

La beauté est l'affaire de tous. La France réussit et continue d'enchanter car elle est le seul pays à proposer le « beau » luxe. Générant des retombées économiques importantes, le luxe à la française représente également une source d'inspiration et de modèles dans le monde grâce à la force de ses enseignes et de sa culture. Le luxe parle français.

Dans un monde où le superflu et le vital se sont toujours côtoyés, tradition et création façonnent ensemble le luxe. Dans le luxe à la française, le changement est prépondérant alors que l'empreinte de l'Histoire est pourtant omniprésente. Le désir sans cesse renouvelé de revivre l'Histoire avec un regard neuf éprouve cette alliance compliquée, impérative et pourtant naturelle entre passé et présent. Le patrimoine est vivant.

A la Cour du Roi Soleil, les plaisirs et les divertissements faisaient le quotidien parce qu'ils participaient à l'art de gouverner. Ce mémoire nous apprend que les Palaces, les défilés de Haute Couture ou les Cuvées Prestige de champagnes n'en sont qu'une mince évocation, mais construisent un lien précieux entre hier et aujourd'hui. Le luxe raconte l'histoire de la France et de sa culture. Toute atteinte à l'image du pays porterait préjudice à son industrie puisque que c'est atout majeur par rapport à l'étranger.

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La machine à remonter le temps existe : elle se trouve dans chaque parcelle du luxe à la française.

Et si le meilleur artisan du luxe, c'était justement d'avoir du temps ? Il faut, certes, un savoir-faire pour réaliser les plus beaux produits des Grandes Maisons. Mais rien ne serait possible sans le temps : celui des fûts qui attendent que les vins atteignent leur meilleur potentiel, celui de former un artisan compétent qui s'initie continuellement comme coudre les précieux cuirs ou monter les centaines de minuscules pièces qui composent les mouvements d'horlogerie les plus précis. Mais compte aussi l'empreinte du temps passé qui bonifie le produit et donne du corps à la marque. Parce que le temps revêt également une dimension historique. Le passé et le patrimoine sont les piliers luxe français. De Dior à Lanvin en passant par Saint Laurent, toutes les marques assoient leur légitimité sur leurs illustres fondateurs et leurs années d'expertise. Dans un monde en recherche constante d'être toujours à la pointe, le luxe reste un domaine où le temps garde toute sa valeur et son importance.

Je souhaite que vous ayez pris tout votre temps pour lire ce mémoire : c'est votre luxe à vous.

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BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages pertinents

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CASTARÈDE Jean, Luxe et civilisations : Histoire Mondiale, Paris, Éditions Eyrolles, 2008

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http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/03/17/chanel-va-baisser-ses-prix-en-
chine45949113234.html

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http://www.dior.com/diormag/frfr

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TABLE DES ANNEXES

Annexe 1 : Interview de Madame Alice CAMUS 77

Annexe 2 : Interview de Madame Carenne ANDRE83

Annexe 3 : Interview de Monsieur Mathieu DA VINHA 87

Annexe 4 : Interview de Madame Gloria RUSSO 92

Annexe 5 : Interview de Monsieur Yves BOREL95

Annexe 6 : Interview de Madame Aurélie FOURTEAU 99

Annexe 7 : Interview de Monsieur Xavier LE PERSON 103

Annexe 8 : Interview de Madame Astrid VANDEWALLE 107

Annexe 9 : Interview de Monsieur Martin GERLIER109

Annexe 10 : La robe Dior inspirée par Claude Monet 112

Annexe 11 : L'importance du Made in France113

Annexe 12 : Reconstitution du Théâtre Dior 114

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ANNEXE 1

Transcription de l'interview de Madame ALICE CAMUS, attachée de recherche au Centre de recherche du Château de Versailles et Présidente de l'Association Louis XIV. Cette interview m'a été accordée le Lundi 25 Avril, dans ses bureaux.

Comment définiriez-vous le luxe ?

Si je devais donner une définition très générale et très subjective en même temps, je dirais que le luxe est la capacité de pouvoir faire ce que l'on veut (en terme de temps, ou d'acheter ce que l'on veut) sans la moindre contrainte, en ayant conscience que ce n'est pas accessible à tout le monde. Si le luxe ne se limite pas à un cercle de personnes, alors ce n'est plus du luxe.

Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.

D'un point de vue plus matériel, je pense tout de suite Haute Couture et aux Parfums. Et puis surtout, aux grandes marques françaises : le luxe ultime, c'est ce qu'on est capable de faire en France.

Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes ? Si oui, pourquoi ?

Oui puisque la vision du luxe est très relative et subjective. Ce qui va apparaître luxueux pour quelqu'un ne le sera pas forcement pour moi. Après, la communication et le marketing autour du luxe nous laissent penser qu'il n'y aurait qu'un modèle de luxe, pour qu'on ait tous envie des mêmes choses. On essaye de nous dicter les choix, mais il ne faut pas être esclave de ça.

Comment voyez-vous le luxe dans 50 ans

Il y aura à mon avis comme une galvaudisation du luxe. Les classes inférieures accéderont à des choses auxquelles elles n'avaient pas accès avant, mais que ça ne sera plus considéré comme du luxe quand elles y accéderont. Si tout le monde peut acheter, cela ne fait plus envie. Ce qui fait envie, c'est toujours ce qu'on ne peut pas avoir. On a l'impression que tout a déjà été fait, alors peut être que le luxe dans 50 ans sera d'avoir du temps ou faire un voyage dans l'espace. Au bout d'un

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moment, le matériel ne suffit plus. Pour l'industrie du luxe, il faudrait songer à repenser cette notion de luxe, car les clients en veulent toujours plus.

Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe français ?

Le raffinement et l'élégance sont vraiment les deux valeurs qui ressortent tout de suite. L'idée également qu'il y a un certain passé historique, que ce n'est pas artificiel. La qualité aussi, car on s'imagine tout le temps que ce qui est fait en France («le Made in France») est ce qu'on fait de mieux au monde, ce qui justifie le prix par conséquent.

On parle souvent de l' « art de vivre à la française » : comment expliquez-vous que les autres nationalités nous voient comme le symbole du raffinement et de l'élégance ?

Cela rejoint ce que je disais. Je pense que c'est parce que ça s'est ancré dans l'histoire, essentiellement depuis Louis XIV, c'est le fruit de l'évolution historique, et cela est ancré dans l'image de la France, car dorénavant on l'associe à cette notion de luxe. Et j'ai surtout l'impression que les Français sont ceux qui en ont le moins conscience : les étrangers d'ailleurs idéalisent la France, j'imagine que certains sont souvent déçus quand ils viennent à Paris (notamment des gens qu'ils peuvent rencontrer). L'art de vivre à la française est le fruit de cette évolution historique. Car il y a 3000-400 ans, la France était au sommet du monde. C'est le modèle de l'excellence, d'un point de vue artistique notamment. C'est à partir de là que s'est forgé ce modèle d'art de vivre, que ce soit dans les bonnes manières avec des gestes qui étaient en vigueur à la cour, avec l'étiquette, qui après évolue sur la politesse, l'art gastronomique qui commence à se développer, et tous les Beaux-arts autour. On a cette micro société de la cour qui éblouit l'Europe, et donc le monde puisqu'à cette époque l'Europe était le monde on peut dire. Puis avec le patrimoine architectural : Versailles a été copié de nombreuses fois. En 1700, chaque souverain voulait son Versailles. La cour était ce modèle que chaque pays a voulu copier. C'est encore une image très idéalisée. Versailles c'est l'art de vivre à la française incarné dans la pierre et dans la richesse des salons, du mobilier, ...

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Diriez-vous que cet art de vivre s'est complètement intégré dans la vie quotidienne des Français à travers les temps ? J'entends par là que certaines notions telles la gastronomie, les cafés chics, les vins, l'hôtellerie... semblent être devenues intrinsèquement françaises.

Je pense la aussi que c'est plus vrai dans la perception que les étrangers en ont. Ils s'imaginent la vie à la française au quotidien pour 80% des Français alors que nous en tant que Français, on en a moins conscience. Alors certes, si on on a moins conscience, c'est aussi parce que l'on a intégré d'un certain coté. Mais je pense que c'est de moins en moins vrai, on a tendance à perdre cette spécificité sans s'en rendre compte, ce qui est bien sûr aussi lié à la mondialisation et aux changements des modes de vie. De plus en plus de familles le soir ne se retrouvent pas forcément autour de la table. En revanche, je pense que la tradition du repas en famille le dimanche est plutôt bien entretenue (d'où le classement par l'UNESCO du repas à la française). Mais je pense que les Français n'ont pas conscience que c'est vraiment une spécificité française et qu'il faut le défendre. Par exemple dans l'hôtellerie, on a notre service à la française. Mais aujourd'hui ces hôtels luxueux reçoivent beaucoup de clients qui voyagent dans le monde et d'autres d'autres palaces : ils comparent et se rendent compte qu'on est mieux accueillis à l'étranger. Je pense qu'il y a remise en cause de l'art de recevoir dans l'hôtellerie. On l'a trop défendu, on est trop restés sur nos acquis mais on ne s'est pas rendus que les autres nous copiaient jusqu'à faire mieux que nous.

Trouvez-vous des similitudes entre la façon d'appréhender les choses sous Louis XIV et à notre époque ?

Louis XIV a presque lancé l'industrie, notamment avec la création d'académies. Ça sera difficile de comparer avec aujourd'hui, car aujourd'hui ce serait une espèce de relance de l'industrie française, mais cette relance ne serait pas forcément en lien avec le luxe, même si d'un point de vue économique ce serait judicieux. Ce qu'on a plus aujourd'hui, c'est cette volonté qui vient d'en haut. Dans le domaine du luxe, les grandes marques sont maintenant autonomes et suivent leur propre règle. Alors qu'avant c'était vraiment une volonté royale de relancer l'économie.

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Diriez-vous que Louis XIV a lancé la première campagne marketing de l'Histoire ?

Il y avait clairement une volonté de relancer l'économie qui est lié à son ministre Colbert et son colbertisme et cette idée qu'il faut éviter que les fonds français partent à l'étranger. Il fallait que la France soit capable de se subvenir à elle-même. Et le Château de Versailles fut la vitrine de tous ces nouveaux savoirs faire que la France avait acquis avec l'aide des espions, ou en débauchant de nouvelles personnes. C'est à cette époque que la notion du «luxe français» naît même si on ne l'appelait pas comme ça à cette époque. Il voulait montrer que la France était capable de réaliser des oeuvres d'art, mais surtout qu'on ne pouvait pas faire mieux à l'étranger. Et il y avait bien sur un intérêt économique très net.

Comment et où étaient diffusées les gravures et autres revues à l'époque de Louis XIV ?

Je pense aux deux revues phares de cette époque : Le Mercure Galant et la Gazette. Je pense que les gravures de mode étaient diffusées dans le Mercure Galant car il visait un public plus féminin et plus mondain. Il décryptait tous les détails des banquets de la Cour, et notamment les toilettes. On trouvait beaucoup d'estampes sous forme d'almanachs. Ces almanachs étaient très répandus auprès du peuple car ils étaient très peu chers, contrairement au Mercure qui s'adressait à une clientèle assez fortunée. L'information descendait jusqu'aux paysans français qui avaient donc connaissance de ce qui se passait à la Cour, et donc de la mode vestimentaire, la mode en terme de mobilier ou de vaisselle ... La diffusion était très large : c'était un monde très restreint en terme de personnes concernées, mais qui descendait sur l'ensemble de la population françaises.

Avez-vous entendu parler des guides touristiques à cette époque ?

Il y en avait même à Versailles. On raconte toujours que n'importe qui pouvait rentrer dans le Château. On pouvait se balader dans les Salons avec des guides expliquaient des tableaux, et même assister au repas du roi. Il y a d'un côté la volonté de communication de la part du pouvoir, mais les guides provenaient aussi d'éditeurs privés. Les deux se font en parallèle, et il y malgré a monarchie absolue une certaine liberté. Il y a une étonnante proximité.

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Quelles leçons pourrions-nous tirer du règne de Louis XIV ?

Je trouve que vu de notre époque, on est envieux de se dire qu'à cette époque-là, la France était un modèle dans le monde entier. C'est d'ailleurs sous le règne du Roi Soleil que le Français devient la langue internationale comme l'anglais aujourd'hui. Ce temps nous parait maintenant très loin. Louis XIV a porté la France sur le plan politique et artistique surtout, au somment. Tout le monde a voulu son Versailles : on voit très clairement les inspirations du Château dans divers pays. A la fin du 19ème siècle Louis II de Bavière était passionnée par Louis XIV : il s'est inspiré du style et il a vraiment copié Versailles dans son château d'Herrenchiemsee. Il y a une Galerie des Glaces et plusieurs pièces sont copiées, et même les tableaux. Cela monte bien quel impact a eu ce règne, qui a duré dans le temps. C'est une époque où tous les artistes qui étaient dans l'entourage du Roi sont devenues des personnages célèbres eux aussi : La Fontaine, Louis Le Vau, Molière, Madame de Sévigné. On a l'impression que c'était une époque un peu «bénie» dans le domaine artistique. L'excellence était à son comble.

Appart Louis XIV, pourriez-vous me citer d'autres personnes qui ont activement travaillé à faire régner la France en maître sur les produits de luxe ? Si oui, pourquoi ?

Je pense que c'est vraiment à partir de Louis XIV que la notion est apparue. Avant son règne, au XVIème, c'était plutôt l'Espagne ou l'Italie qui étaient les modèles. Au XVIIème siècle, c`était la France. Et c'est amusant de remarquer que le phénomène monte, car au XVIIIème, c'était l'Angleterre avec la Révolution Industrielle. Puis ensuite, ça quitte l'Europe pour aller aux États-Unis. Les monarques qui l'ont succédé n'ont pas eu cette envergure, ils n'ont pas été capables de mener des actions semblables. Puis ensuite, les initiatives menées étaient plus personnelles avec les entrepreneurs privés et les industriels. On ne retrouve plus l'impulsion de la part du pouvoir de mener une politique de «luxe», de donner à la France un certain charisme. Dans les mémoires qu'il a laissées, on voit qu'il avait déjà intégré le fait que dans plusieurs siècles on parlerait encore de lui. Cela vient de son caractère à lui, de la période propice, qu'il a su s'entourer de bonnes personnes comme Colbert qui a permis cet essor de l'artisanat puis de l'industrie.

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Pensez-vous que la démocratisation du luxe soit un phénomène si récent que ça ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi ?

Certes le luxe se démocratise mais alors peut -on vraiment parler de luxe ? Si on n'est plus dans un cercle restreint d'acheteurs, alors pour moi ce n'est plus du luxe. Mais les stratégies de communication des grandes marques veulent nous laisser croire que chacun peut acheter sa part de luxe. On nous fait passer pour du luxe, mais je considère que c'en est plus. Il y a toujours des objets qu'on ne peut pas s'offrir à une époque donnée qu'on peut s'offrir par la suite. On se dit que depuis que le luxe a existé, cette démocratisé l'a suivi en décalé. Donc c'est un phénomène qui a toujours existé. Dès lors que le luxe se démocratise, il perd sa notion de luxe. Mais après d'autres choses le remplacent car le public qui est visé par le milieu du luxe ne veut plus de ce que n'importe qui peut s'offrir. C'est comme ça qu'on en vient à s'acheter un yacht de 60 mètres, car pour le moment c'est encore luxueux. Cela entraîne une course effrénée à l'objet toujours plus cher, toujours plus rare, et on se demande si on ne va pas arriver à une certaine limite. Donc la démocratisation existe depuis la création du luxe, et par conséquent, elle est inévitable.

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ANNEXE 2

Transcription de l'interview de Madame Carenne ANDRÉ, responsable du Bureau International des Maîtres Cuisiniers de France. Cette interview m'a été accordée le mercredi 11 mai 2016, dans ses bureaux.

Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.

J'ai plusieurs images qui me viennent en même temps. D'abord il y a l'élégance et la classe. La seconde image qui me vient est un plateau avec service à thé et petits gâteaux dans un hôtel de luxe. La troisième image est celle du gros bouquet de fleurs que vous recevez quand vous descendez dans un palace. Ce sont des petits plaisirs raffinés et perfectionnés, qui sont complétement en résonnance avec la classe. Ce qui est incroyable je trouve dans le luxe, c'est que pour toucher à cette finesse qui passe par la luxuriance, on n'est ni dans l'excès, ni dans l'ostentation ou le clinquant : on est dans la simplicité. La cuillère qui est bien essuyée et qui est toujours placée de la même façon est plus luxueuse qu'une cuillère en or.

Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes ? A mon opinion, le luxe diverge selon les perceptions de la personne (temps, espace, ...)

Ce n'est pas exactement plusieurs luxes, je penserai plutôt à différent thèmes. En réalité, quand on parle du temps, on parle en même temps de l'évolution des classes sociales et de l'histoire. En effet, les produits et les classes sociales ont changé à travers certaines époques. Aussi, à travers l'histoire, le luxe a changé avec les différents produits qu'on a pu découvrir. Aussi, le vrai sens du mot luxe diffère selon les classes sociales. Certaines classes en difficulté vont considérer que partir en vacances est un luxe, alors que pour nous ce n'est pas le cas. Je crois que le véritable luxe est dans la simplicité et dans les vraies valeurs. Donc pour moi, le luxe a différentes thématiques : en fonction de l'histoire, en fonction des classes sociales, et en rapport à la moralité.

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Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe à la française ?

Le luxe à la française, c'est la «luxury attitude». Ce luxe est tellement reconnu à l'international qu'il est devenu des valeurs haut de gamme exportées puis adaptées. Le luxe à la française vient de l'histoire, du service à la française du temps de la royauté. J'ai eu la chance de travailler avec des Mauriciens qui ont ce mélange de culture anglais et hindouiste qui est tout simplement incroyable. Et si je dois le comparer au luxe français, on va y ajouter dans la distance. Pour être dans le luxe, il faut donner la place à chacun d'être et surtout au client d'avoir l'impression d'être quasiment seul au monde et que toutes ses demandes sont exaucées à peine formulées comme par magie. On retrouve ce côté français qui va semer une espèce de sympathie. Là où les anglais vont être très froids et distants, là où les mauriciens vont être à l'écart, le français va oser le regard, l'interpellation, silencieuse toujours, mais quand même. En France, on a l'opportunité d'avoir le sourire de ceux qui nous servent et de sentir cette sympathie française, très classieuse. La sympathie nous rend attendrissant, et c'est ainsi que le client se souviendra de là où il a mangé, et n'oubliera jamais ce repas. L'art culinaire français vient de notre héritage de savoir recevoir. Dans un restaurant, plus il y a d'étoiles, et plus il y a de sous assiettes : c'est là où on comprend vraiment le raffinement de la vaisselle.

On parle souvent de l'« art de vivre à la française » : comment expliquez-vous que les autres nationalités nous voient comme le symbole du raffinement et de l'élégance ?

C'est notre histoire : savoir-être, savoir-faire, savoir recevoir.

Diriez-vous que cet art de vivre s'est complètement intégré dans la vie quotidienne des Français à travers les temps ?

La nuance va dépendre de l'éducation, et donc des moyens financiers qui vont positionner l'éducation. On peut aujourd'hui être très fortuné et le lendemain se retrouver à travailler pour le SMIC et garder cette éducation. Elle n'est pas en relation avec le bien matériel, mais plutôt à l'histoire, à ce qui est porté. Il y a des gens beaucoup plus modestes qui sont tombés amoureux de ce raffinement, en visitant des musées, en découvrant des choses, et du coup l'ont réintégré dans leurs vies alors qu'il ne l'était pas sur les générations précédentes. Il n'est pas obligé d'avoir des origines nobles pour l'avoir dans le sang, ou l'avoir

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reçu dans notre éducation. Par exemple, il y a toute une génération d'immigrés qui ont considéré que venir s'installer en France était une vraie chance et qui ont été vers cette culture qu'on leur offrait. Aujourd'hui, il la transmette, toute une gardant une part de leur exotisme.

En quoi la Haute Cuisine est-elle une ambassadrice de la France ?

Elle représente absolument tous les éléments dont on a parlé : le service, le raffinement, l'élégance, le savoir-faire ... C'est absolument tout réuni dans la qualité du choix des produits, le savoir-faire de la réalisation, le dressage de l'assiette, l'exigence au niveau du gout et même dans l'hygiène. Et une fois de plus, un plat raffiné n'aura pas le même gout s'il est mal servi, que lorsqu'il est présenté avec élégance et discrétion. A cela vous ajoutez le service à table et le vin et je crois qu'on a fait le tour.

Avant le livre de la Varenne, les Français n'étaient pas destinés à briller en cuisine, mais ce guide s'est propagé dans toute la population. Alors certes, on ne mangeait pas les mêmes mets, or il y avait un plaisir de bien manger, qui s'est encore développé avec l'apparition des traiteurs : une bonne ambiance, de jolis décors, et le cuisinier qui officiait comme un maitre de cérémonie. Tout cela a participé à établir notre nation de gourmets.

Tout à fait. Même dans les campagnes, quand on élevait les filles, on devait leur transmettre le savoir recevoir, à faire manger : leur métier pour la vie était à demeure. Il y avait aussi des guides des bonnes manières, qui codifiaient tous les faits et gestes. D'ailleurs dans les années 1980, Madame de Rothschild en a écrit un. Je souhaitais partager avec vous l'éditorial de Monsieur Têtedoie, notre Président dans notre guide 2015 : « Le premier restaurant s'est ouvert après la Révolution lorsque les cuisiniers des aristocrates ayant perdu leurs emplois, ont dû songer à se reconvertir. Ils ont alors imaginé un lieu chaleureux où l'on pourrait servir les clients comme les princes et les rois l'avaient été jusqu'à alors. Le premier restaurant était né et avec lui tant de promesses, toutes plus gourmandes et savoureuses les unes que les autres. »

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Je sais à quel point l'importance de la transmission est grande dans la gastronomie. Les maitres-cuisiniers mettent tout leur coeur à former leurs apprentis et je me demandais, vous, à travers l'Association des Maitres Cuisiniers de France (MCF), vous la préserviez ?

Il est vrai que la transmission est très importante dans la gastronomie, mais cela ne dépend pas que d'un métier. Cela dépend des individus et de leur capacité à développer une valeur. Si l'on sait quelque chose et que l'on est pas capable de le donner, c'est le savoir que pour soi et vivre sur de l'égocentrisme : cela n'a pas de sens. Nous, en tant de l'Association des MCF, avons deux grandes valeurs : le rayonnement à l'international de l'art culinaire français et la transmission. Cette transmission est développée avec la 62ème année du concours national du Meilleur Apprenti de France (MAF). Je pense que sur nos 600 Maitres Cuisiniers dans le monde, peu sont à ne pas avoir formé d'apprentis. Et aujourd'hui, les chefs de cuisine qui nous sollicitent pour rentrer dans l'association nous disent : «Quand j'étais apprenti, mon chef était MCF et pour moi, c'est un aboutissement». L'essence même de l'association, c'est la transmission. C'est un métier très dur, mais grâce à cette humanité, ce savoir-faire de transmission du maitre à l'apprenti, on trouve une force dans laquelle puiser pour aller au bout des épreuves. C'est une reconnaissance, un remerciement.

En plus du concours des MAF, nous présentons aussi le concours Espoir sur le salon du SIAL avec la société Euro Toque et la société Meilleur Ouvrier de France (MOF). On organisait aussi jusqu'en 2009 le concours du Meilleur Apprenti d'Europe, qui s'est arrêté mais que j'ai en grande ferveur de relancer au plus tard dans 2 ans.

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ANNEXE 3

Transcription de l'interview de Monsieur Mathieu DA VINHA, directeur Scientifique au Centre de recherche du Château de Versailles. Cette interview m'a été accordée le mercredi 11 mai 2016, dans ses bureaux.

Comment définiriez-vous le luxe ?

Le côté unique, le côté savoir-faire, le côté fait main, traditionnel.

Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.

Ma première émission de télé portait sur le luxe car j'étais client chez Berluti. Je ne suis plus client chez eux pour plusieurs raisons, notamment parce qu'ils se sont diversifiés dans les vêtements. Il ne devrait pas avoir trop de diversification pour rester dans le luxe puisqu'il est question d'un savoir-faire particulier et d'un côté unique. Chez Berluti, ce côté unique a un peu disparu dans la mesure où il n'existe plus qu'une seule boutique dans le monde. Ils ont été rachetés par le groupe LVMH il y a une vingtaine d'années et il y a désormais des boutiques à Paris, à Londres, au Japon etc. Berluti fait encore rêver mais on s'éloigne de ma notion du luxe. Je distingue le luxe du côté cher. Le luxe existe encore aujourd'hui, mais les grands groupes semblent plus motivés par les résultats financiers et par l'idée de vendre. C'est dommage car Berluti perd de plus en plus sa clientèle traditionnelle, qui aimait se retrouver et discuter dans le Club Swann, au profit de clients uniquement attirés par le côté cher. Mais cela ne semble pas inquiéter les grands groupes : au final ils sont gagnants, ils savent que quoi qu'il arrive, ils continueront de vendre leurs chaussures et leurs vêtements, et ce bien plus qu'avant. Le luxe ne connaitra jamais la crise : il y aura toujours des gens riches, et plus ce sera cher, plus ils achèteront.

Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes ?

Oui bien sur ! La preuve avec ce que je viens de dire sur Berluti, la marque reste du luxe, seulement ce n'est pas le luxe que j'envisage à titre personnel. Il peut y avoir plusieurs perceptions de luxe et il n'y a pas que le luxe matériel.

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Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe français ? Diriez-vous que le luxe français est plus noble que les autres ?

Il y a une tradition depuis Louis XIV. Mais pour le définir concrètement c'est plus compliqué. Il existe une sorte de protectionnisme français qu'a mis en place Colbert avec les systèmes de manufactures, et qu'on retrouve d'ailleurs aujourd'hui, comme avec le Made in France de Montebourg. Par exemple la maroquinerie italienne, la rivalité qui existait ainsi entre Gucci et Hermès n'a plus lieu d'être, car les grandes marques italiennes ont maintenant été rachetées par les grands groupes français. Je dirais qu'il n'y a pas de caractéristiques spéciales, à part peut-être dans certains domaines. Le luxe peut être français, italien, asiatique (pour les soieries pour par exemple) ... Mais il est vrai qu'en France on s'appuie plus sur la tradition, peut-être parce qu'on est nostalgiques de la période du 17ème, où on rayonnait en Europe et dans le monde. Mais quand on regarde de près, chaque pays peut avoir ses propres domaines de prédilection.

Et d'ailleurs pour la France, quels seraient ces secteurs ?

La Gastronomie bien sûr, et puis la Haute Couture. Même si les défilés se font maintenant également à New York ou à Milan, la France reste quand même assez symptomatique dans le milieu. Après il y aussi le vin, même si les spécialistes s'accordent à dire que les vins étrangers sont aussi bons, voire meilleurs que les vins français. Je pense qu'on se repose sur nos traditions, et tout ce qu'elles drainent derrière elles : l'image de la France, le côté traditionnel et romantique, Paris... Les critères ne sont pas forcément objectifs, je parle surtout en termes de goût.

On parle souvent de l' « art de vivre à la française » : comment expliquez-vous que les autres nationalités nous voient comme le symbole du raffinement? Tout est dans l'image. Dans la cuisine, sous prétexte qu'on a beaucoup de restaurants étoilés, les gens s'imaginent que tous les Français mangent des plats gastronomiques tous les jours. Or ce n'est pas le cas, la Grande cuisine qui porte la France vers le haut est quand même réservée à une certaine élite. Il y a encore une tradition pour les repas à laquelle les Français sont très attachés, c'est quelque chose d'assez sacré. Ce sont toujours des petits faits qu'on met en avant, mais la

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majorité des Français ne va pas manger dans des étoilés tous les jours. C'est comme l'image du Français avec sa baguette et son béret, à Montmartre.

Quelles leçons pourrions-nous tirer du règne de Louis XIV ? En quoi a-t-il fait naitre des valeurs fondamentales ?

Il est très facile de tomber dans la glorification de Louis XIV alors qu'il existe aussi des mauvais côtés. En revanche, il y a de la part de Louis XIV, une réelle incarnation de la monarchie française et au-delà de cela, de l'esprit de la France dans son règne. Il voyait au-delà de sa propre gloire, avec la mise en place des frontières françaises et de sécurisation, car la France à cette époque était une sorte d'enclave, avec d'un côté l'Empire et de l'autre l'Espagne. Il y a aussi le côté protectionniste avec la mise en avant des savoir-faire français qu'il est parvenu à diffuser. Avec les manufactures de Colbert, il a importé des savoir-faire, des ouvriers spécialisés d'Hollande par exemple, qui ont formé les Français, qui sont par la suite restés ou repartis, puis c'est ainsi qu'on a lancé Saint-Gobain et qu'on a institutionnalisé les Gobelins. On a aussi imposé les lois somptuaires où on demandait aux nobles de ne porter que des tissus français. Aujourd'hui, on a du mal à comprendre ce protectionnisme avec l'Europe et la mondialisation mais ce qui n'empêche que ce protectionnisme a créé des gens compétents pour la fabrication de biens matériels. Alors aujourd'hui cela ressurgit, avec les organismes institutionnels qui sont nés ou qui sont devenus importants à l'époque de Louis XIV, comme l'Académie des Sciences, l'Académie de la Musique ou encore l'Opéra. Il n'a pas inventé la musique ou la danse, mais il les a portées au statut d'institutions. Il y a toujours cette idée de pérennisation de la part de Louis XIV, qui est encore valable aujourd'hui. Tous ces ouvriers, qu'on perd malheureusement de plus en plus, sont le conservatoire de tous ces savoir-faire. On le voit avec Le Mobilier National ou Saint-Gobain qui sont toujours très attachés à leur histoire et qui ne manque pas de le rappeler.

Diriez-vous que le Château de Versailles est en quelques sortes le luxe achevé de Louis XIV ?

Je pense qu'il l'a conçu comme un showroom : il voulait impressionner ses visiteurs et Versailles a utilisé tous les savoir-faire français qu'il a voulu mettre en avant. D'ailleurs c'était un château européen, il a fait appel des artisans belges et hollandais pour les toitures, aux marbres de Belgique, puis a ensuite utilisé le

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marbre français. Il a utilisé ce qu'il y avait de mieux, c'est la matérialisation de son rêve des savoir-faire français : quand les étrangers arrivent, ils devaient voir immédiatement ce qu'on était capables de faire en France. Le plus bel exemple est la Galerie des Glaces. Il a créé un objet que ses successeurs d'ailleurs savaient moins bien utiliser que lui puisqu'il en était l'architecte. Il a perfectionné le château à son image, et en cinquante ans, il a fait de Versailles ce qu'il représente encore aujourd'hui. Il y aura des aménagements faits par Louis XV et Louis XVI, mais eux héritent de ce château dont ils n'ont pas voulu, qu'ils n'ont pas créé, et dont ils doivent supporter tout le poids à assumer. Louis XIV l'a créé en fonction de son mode de vie, de la façon dont il voulait qu'on voit son pouvoir et de la manière dont il voulait montrer la grandeur de la France. Chez lui il y a une maitrise totale, et c'est aussi pour cela que ses successeurs auront plus de mal et navigueront de châteaux en châteaux. On est dans l'aboutissement de l'image que Louis XIV se fait certainement du luxe.

Sur son lit de mort, Louis XIV avait demandé à son petit-fils d'être plus pacifiste que lui, de faire moins de guerres. J'ai trouvé cela curieux car on dit souvent que le luxe adoucit les moeurs. J'y vois une résonnance.

À l'heure de sa mort, il convoque son arrière-petit-fils, le futur Louis XV qui avait alors 5 ans et il lui fait cette déclaration ; « Mignon, vous allez être un très grand Roi, ne m'imitez pas dans les guerres que j'ai faites et dans les finances ». Ayant passé une quarantaine d'années en guerre, il se remet en questions. D'un autre côté, la gloire passait forcément par les guerres et par la construction de bâtiments au sens large. La construction de Versailles, des Invalides, de places royales à Paris et en province a marqué le territoire de son empreinte. Encore aujourd'hui, les travaux présidentiels initiés par Pompidou ou Mitterrand sont très monarchiques, comme par exemple le Centre Pompidou, le Grand Louvre et la Bibliothèque nationale de France. Louis XIV aimait indéniablement les arts, il y était très sensible, et s'il ne les connaissait pas forcément tous très bien il était très bien conseillé et entouré. Puis il savait très bien qu'en pensionnant des gens en mécénant, les gens étaient obligés de le glorifier. C'est une sorte de « propagande », même si on peut difficilement parler de propagande à cette époque, c'était en tout cas un très bon communicant.

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Pour revenir sur ce que vous avez dit sur Pompidou et Mitterrand, voyez-vous d'autres figures qui ont participé à faire rayonner la France dans le luxe ?

Napoléon III et sa Cour avaient très bien intégré les notions de luxe, de raffinement et de protocole. Je vous en parle facilement car un livre va bientôt paraître sur la Cour et le faste sous Napoléon III. Son règne était une fête permanente. Mais toute la pompe qu'on retrouve dans les gardes républicaines sont mises en place à cette époque. Le propos que défend l'auteur dans son livre est que si on met un Président habillé n'importe comment en plein milieu de nulle part, alors il ne dégage pas grand-chose. Mais si on l'habille bien, qu'on met les gardes républicains à cheval autour de lui, alors ça donne tout de suite de l'allure. La pompe républicaine, l'Élysée, les Expositions Universelles, tout est né sous Napoléon III. Aussi, De Gaulle, quand il reçoit Khrouchtchev, Kennedy ou le roi des Belges à Versailles, profite au faste de la République Française, même si les références à la monarchie sont directes.

Est-ce que vous pensez qu'il existe un lien entre le luxe et l'art ?

Oui. Le luxe est un peu de l'art, on parle de métiers d'art. En latin le terme « artifex » désigne à la fois l'artiste et l'artisan. Aussi, beaucoup des mécènes de Versailles sont des maisons de luxe, elles essayent de trouver des liens.

Comment expliquez-vous que parler de son histoire et de son patrimoine puisse être pertinent, pas seulement pour vendre, mais aussi en terme d'imaginaire, de rêve, de grandeur ?

Dans un premier temps, pour ne pas l'oublier et aussi pour comprendre. La difficulté quand les gens viennent à Versailles, c'est déjà de comprendre pourquoi c'est ici, pourquoi on en est arrivé là. Et je ne sais pas si tout le public le comprend car quand il vient à Versailles, il a envie de voir la chambre du Roi, la Galerie des Glaces. Mais c'est important pour nous, dans un souci d'un discours didactique et pédagogique, de comprendre les traditions qui se perpétuent. Quand les marques de luxe communiquent sur leurs origines et leur histoire, c'est parfois un peu mensonger. Mais je pense que revenir sur son passé ancre les marques dans le temps, et les gens ont besoin de traditions. Je pense que mentionner son ancienneté et son savoir-faire fait penser que c'est toujours fait comme à l'époque

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ANNEXE 4

Interview de Madame Gloria RUSSO, directrice de la rédaction du Guide de l'Avenue Montaigne (en partenariat avec le Comité Montaigne). Cette interview a été réalisée par mail.

Comment définiriez-vous le luxe ?

With one and historic word, which explains everything: luxuria (a Latin word, which Dante described perfectly in his Divina Commedia). And the meaning of luxuria (that is the etymological root of the word luxe), has nothing to do with the modern concept of luxe (high level of consumerism).

Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.

Luxe is an attitude. Luxe can be do not have to take the Metro to go working, and Luxe can be checking a flight to Maui and 2 minutes later have booked that flight to Maui. It is not just concerning Fashion or what we call «Luxury industry'. Luxe is a way of life.

Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes ? Si oui, pourquoi ?

No, I do not. Because Luxe is a specific concept, and as I told you before, a specific attitude. Everything can belong to this concept, but it will always be the one and only.

Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe français ? History and tradition.

On parle souvent de l' « art de vivre à la française » : comment expliquez-vous que les autres nationalités nous voient comme le symbole du raffinement et de l'élégance ?

I live in Paris since two years and I had the big chance to travel a lot in France since I was really young. I do love France. But I think that the expression « art de vivre à la française» is anachronous. We should say «art de vivre à la parisienne «, which is

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completely different. Since years and years, people from others countries had always thought that France is Paris, and it is not.

Paris is the symbol of the elegance all over the world, and people who live here are charmed by its magical atmosphere. Paris makes Parisiens how people see them: «raffinés et élégantes». But France today is a mix of cultures, traditions and attitudes.

Diriez-vous que cet art de vivre s'est complètement intégré dans la vie quotidienne des Français à travers les temps ? J'entends par là que certaines notions telles la gastronomie, les cafés chics, les vins, l'hôtellerie... semblent être devenues intrinsèquement françaises.

Maybe. But for me luxe is a concept that goes beyond consumerism.

Pensez-vous que la démocratisation du luxe soit un phénomène si récent que ça ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi ?

If we talk about the luxe as an attitude, I say no. If we talk about luxe as a way to consume, I say yes. The possibility of having access to the luxe of the few, is the major attraction of the luxury market: today objects and lifestyles became a status symbol of social positions, especially for people who never got them before. And it happens because now it is possible, in the past it wasn't.

Comment voyez-vous le luxe dans 50 ans ? No more as an attitude, but as a way to consume.

Quand les marques communiquent aujourd'hui sur leur passé et leur héritage, trouvez-vous cela pertinent ? Si oui, pourquoi ?

Yes, completely. That is why the choice of an artistic director is so hard for each brand. He or She has to reflect the heritage of the «Maison», in order to update it.

Comment expliquez-vous que parler de son histoire et de ses traditions puisse être un argument de vente ?

Today history and tradition sell. Europe (I say Europe because the 90% of the brands are European) sells. Especially for foreigners. People who love luxury

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market, want to hear about history and tradition because it is cool, because today we are charmed by our roots like never before.

Quelles sont selon vous les principales ambitions des grandes Maisons de luxe pour les années à venir, les nouveaux challenges ?

As they have already changed to concept of models, they will provide to change the concept of «artistic director' (Alber Elbaz left Lanvin, Alessandra Facchinetti left TOD'S, Raf Simons left Dior, etc..). This will be a new era.

Voyez-vous des similitudes entre le luxe et l'art?

Not really, because today luxe (way of consuming) is open to everybody. Art will be forever reserved to certain kind of people.

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ANNEXE 5

Transcription de l'interview de Monsieur Yves BOREL, journaliste et concepteur de la Règle d'Or. Cette interview m'a été accordée le 16 Avril 2016, par téléphone.

Comment définiriez-vous le luxe ?

Pour moi, le luxe, c'est ce qui est rare. C'est très psychologique, car c'est très lié à ce que les personnes tiennent à coeur. Par exemple, j'ai des skis (ce qui ne vaut pas une fortune) mais ils sont d'excellente qualité, la première fois que j'ai skié avec je me suis dit : « Je peux faire ce que je veux avec ses skis ! ». Le skieur m'a répondu que si on donne ses skis à quelqu'un qui ne sais pas skier, il ne saura rien en faire. Pareillement dans le cas des voitures : celui qui est passionné par les voitures va être touché, alors que moi pas du tout.

Donc la notion de luxe est liée à celle de rareté et d'expérience personnelle.

Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.

C'est un peu ce que je viens de dire. Si demain, je peux avoir chez moi un tableau de Chagall, ce sera pour moi le summum du luxe. Pour le commun des mortels, cela peut ne rien vouloir dire, mais pour moi c'est important.

Le luxe c'est quelque chose qui brille dans l'esprit. Il y a une part d'émerveillement. Je trouve que c'est très attaché aux gens.

Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes ? Si oui, pourquoi ?

Cela dépend comment on l'interprète. Du point de vue de l'émerveillement, c'est le même luxe. Les gens peuvent l'interpréter comme ils le veulent, mais le ressenti est le même. Par exemple, je vais descendre au Negresco, ou je vais me payer un costume Hugo Boss. Même s'il ne s'agit pas vraiment de la même chose, je vais satisfaire un grand plaisir dans les deux cas. Le luxe 'est une impression, une émotion. Le luxe pour moi c'est de déjeuner à midi dans un restaurant top dans le Sud-Ouest avec un super foie gras, je finirai avec un armagnac de 1929. Et le lendemain, je serai dans une ferme, je mangerais une garbure avec une omelette. Le luxe c'est que pendant une semaine, je dorme sous une tente et ensuite, la

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semaine d'après, je me paye un hôtel de luxe. C'est pouvoir satisfaire toutes mes envies. Là, je pense avoir la définition la plus juste de ce qu'est le luxe.

Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe français ?

Un mot me vient : le respect. C'est comme s'il y a avait un respect de soi et des autres. Les français, dans leur façon de s'habiller par exemple, se respectent et on un très fort respect des autres. C'est l'élégance, la beauté, la finesse.

Ça a aussi un coté assez exceptionnel. Par exemple, l'Angleterre fait de très belles choses mais on n'a pas ce côté élégant comme on peut le retrouver en France ou en Italie. Finalement, avant Louis XIV, il n'y avait pas vraiment de raffinement ni d'élégance. Louis XI ne s'habillait pas forcément bien pour un roi. On doit beaucoup au Roi Soleil.

On parle souvent de l'« art de vivre à la française » : comment expliquez-vous que les autres nationalités nous voient comme le symbole du raffinement et de l'élégance ?

Parce que je pense qu'il y a au travers de l'Histoire de la France, une grande part de recherche du bien-être, donc de bien profiter des choses, de la vie. Je crois que par exemple, la gastronomie française est vraiment dans la recherche de ce qui va susciter de l'intérêt, de l'attention qui va émerveiller. Un chef qui parle de sa cuisine va donner forcement beaucoup d'envie ; La France est un pays qui donne envie. Il y a aussi quand même quelque chose d'extraordinaire auquel on ne pense pas forcement : la beauté des paysages, la beauté du pays qui génère de l'enthousiasme et du bien-être.

Diriez-vous que cet art de vivre s'est complètement intégré dans la vie quotidienne des Français à travers les temps ? J'entends par la que certaines notions telles la gastronomie, les cafés chics, les vins, l'hôtellerie... semblent être devenues intrinsèquement françaises.

Oui, je te rejoins sur le sujet. Cela rejoint aussi la vocation du Pôle Excellence Tourisme dans lequel je suis impliqué. Il s'agit de promouvoir l'excellence française à l'international. Je pense que l'excellence est bien là, mais on ne se donne pas assez les moyens de le faire valoir à l'international. On est plus dans un langage que dans une action.

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Je suis en contact avec une personne qui a des responsabilités régionales sur le commerce extérieur. Il regrette que ce luxe-là ne soit pas assez mis en valeur. Au niveau de l'état, pour l'instant, rien n'est vraiment fait.

Pensez-vous que la démocratisation du luxe soit un phénomène si récent ? J'aurais tendance à penser que non. Surtout par rapport aux moyens de communication qui font que en effet, on a accès en effet à des choses auxquelles on n'aurait pas eu accès avant. Je crois que la communication et l'élévation du niveau de vie y sont pour beaucoup. L'évolution de la société mord sur le luxe.

Comment vous imaginez-vous le luxe dans 50 ans ?

Je pense qu'il y aura encore une élévation du niveau de vie, le luxe sera donc encore plus important. Si le Pôle Excellence Tourisme va au bout de ses idées, le luxe aura encore plus de place. Ensuite, l'élévation du niveau de conscience va à mon avis vers une finesse, une qualité de vie, une perception de vie.

Quand les marques communiquent aujourd'hui sur leur passé et leur héritage, trouvez-vous cela pertinent ? Si oui, pourquoi ?

Oui évidemment. J'ai vu avec l'exposition de Louis Vuitton le luxe porté à des niveaux très élevés. Il y avait des malles extrêmement belles, mais en même temps rares. Cela m'a changé la vision de la marque. On vit l'histoire de la marque avec elle.

Comment expliquez-vous que parler de son histoire et de ses traditions puisse être un argument de vente ?

La référence aux racines est essentielle ; tout ce qui a été réalisé par la grande marque, tout ce qui est beau et exceptionnel dans la fabrication. On est dans l'unicité et la séduction. Ça donne envie. J'imagine la réaction des gens à l `époque, ça devait être de toute beauté.

Quelles sont selon vous les principales ambitions des grandes Maisons de luxe pour les années à venir, les nouveaux challenges ?

C'est les qualités de la France : avoir des pièces qui sont exceptionnelles car il y a une tradition, une recherche de qualité. La chose qui compte, c'est que ces prouesses sont possibles grâce à de gens remarquables (les artisans ou les

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créateurs). Il faut continuer à faire valoir les artisans. On a en puissance des créateurs, mais cela se conjugue forcément avec nouvelles créations : une recherche de créativité permanente. L'une des qualités de la Règle d'Or, c'est faire en sorte que la création soit reconnue, mise en valeur et développée. S'il y a une élévation du niveau de conscience, les choses se font d'elles-mêmes.

Quelles leçons pourrions-nous tirer du règne de Louis XIV ?

Pour moi, il s'est entouré d'artistes dans tous les domaines et il les a laissé s'exprimer, même s'il n'était pas toujours d`accord (par exemple avec Molière). Ils ont permis de que les artistes s'expriment. C'est ce que permet la Règle d'Or.

Appart Louis XIV, pourriez-vous me citer d'autres personnes qui ont activement travaillé à faire régner la France en maitre sur les produits de luxe ? Si oui, pourquoi ?

François 1er (pendant la Renaissance) avait bien compris les choses. Malraux aussi avait compris la puissance de la culture. Ils ont fait comme Louis XIV, ils se sont entourés d'artistes.

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ANNEXE 6

Transcription de l'interview d'Aurélie FOURTEAU, guide conférencière de Paris et ancienne de chez Louis Vuitton. Cette interview a été réalisée par téléphone le 23 Avril 2016.

Comment définiriez-vous le luxe ?

C'est avant tout un savoir-faire, et cela passe surtout par la qualité du produit. Certaines maisons de luxe font toujours des choses à la main. Cela s'applique aussi aux vins, notamment le champagne qui a une appellation d`origine contrôlée, donc qui ne peut s'élaborer qu'en France, en général dans des familles qui le produisent depuis des dizaines d'années. Les raisins sont toujours récoltés à la main pour les cuvées spéciales. C'est vraiment l'aspect artisanal qui caractérise le luxe.

Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.

Parmi tout ce que propose Louis Vuitton, il y a le service des commandes spéciales qui existe depuis le début de la création de la Maison. On peut demander un type de bois spécifique, une forme particulière, des détails personnalisés, etc. Il faut que l'objet soit beau et maniable, pratique et réutilisable. Quand on le reçoit, l'objet devient alors la personne la plus chère qu'on ait au monde.

Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes ?

Le luxe dépend de chacun : ce n'est plus dans l'élégance du paraître mais dans l'élégance qu'on met dans son quotidien. Ce sont des petits luxes du quotidien qui façonnent l'art de vivre.

Comment voyez-vous le luxe dans 50 ans ?

Je pense que ce sera toujours le luxe comme on l'entend maintenant (avec les grandes marques comme Chanel ou Guerlain). D'ailleurs, on voit bien que de plus en plus de grands hôtels sont en train d'ouvrir à Paris, comme Le Peninsula. Si le luxe était amené à considérablement changer, les grands groupes ne continueraient pas d'investir. Je pense aussi qu'une partie de la population va se rapprocher de ce

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luxe, qu'il va devenir encore plus accessible. Peut-être que s'il devait y avoir un changement dans le luxe, ce sera par rapport à la santé. La santé, malgré les sous, nous ramène à nos conditions d'êtres humains. Ce sera peut-être le luxe de vieillir avec moins de maladies ou pour permettre aux gens de vivre mieux.

Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe français ?

La technicité, le raffinement, le savoir-faire, la modernité, l'avant-garde et l'innovation.

On parle souvent de l' « art de vivre à la française » : comment expliquez-vous que les autres nationalités nous voient comme le symbole du raffinement et de l'élégance ?

D'une part, c'est un aspect historique. Tout au long du 18ème, les Français étaient considérés comme au summum de l'éducation. Cet art de vivre s'est aussi développé à travers la mode : la couturière de Marie-Antoinette faisait des robes non seulement pour elle, mais aussi pour toutes les autres reines d'Europe. Après elle, l'impératrice Joséphine a fait la mode de partout. Aussi, il faut savoir que Napoléon a mis sur les trônes d'Europe tous ses frères et soeurs, et cela a activement participé à la mondialisation de la mode.

Diriez-vous que cet art de vivre s'est complètement intégré dans la vie quotidienne des Français à travers les temps ? J'entends par la que certaines notions telles la gastronomie, les cafés chics, les vins, l'hôtellerie... semblent être devenues intrinsèquement françaises.

Oui. J'ai passé 3 jours avec des américains, et ils m'ont dit que la parisienne ne marche dans la rue comme personne. Le bruit de ses talons fait un bruit qu'aucune autre femme dans le monde ne peut faire. Même s'il y a une différence entre Paris et le reste de la France, la majorité de la population aime bien manger, boire un bon vin (le chiffrage baisse en consommation mais monte en qualité), on mange des produits frais, on retourne à nos fourneaux pour cuisiner. En France, on règle nos journées par rapport aux repas, les repas sont des moments conviviaux, de pause, où on s'arrête pour prendre le temps de partager. Les règles de civilité à table nous viennent tout droit de la courtoisie au Moyen-Âge, et on continue de se soumettre à ces règles.

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Trouvez - vous des similitudes entre la façon d'appréhender les choses sous Louis XIV et à notre époque ?

Le système qu'a créé Louis XIV était surtout pour contrôler la cour, le gouvernement et la famille royale. Les gens se sont pliés pour plaire au roi. Pour nous ce serait trop tyrannique. Inconsciemment, toujours aujourd'hui, on suit les tendances si une mode est lancée Mais on appréhende les choses, on le fait de façon moins inconsciente que sous son règne. Le Roi Soleil est le premier qui a eu un goût en terme d'art, et il a utilisé tous les arts au service de la politique, de son image et de sa gloire. C'est d'ailleurs drôle, car maintenant un système totalitaire refuse toute utilisation de l'art, pour ne pas provoquer de pensées alternatives. Lui l'a utilisé à son service.

Quelles leçons pourrions-nous tirer du règne de Louis XIV ?

Son succès vient principalement du charisme de l'homme. D'ailleurs après Louis XIV, ça été difficile de rester au même niveau de rayonnement. Il s'est astreint à un style de vie qu'il a tenu jusqu'à la fin.

A part Louis XIV, pourriez-vous me citer d'autres personnes qui ont activement travaillé à faire régner la France en maître sur les produits de luxe ? Si oui, pourquoi ?

Je penserai à Coco Chanel et Yves Saint Laurent : c'étaient des précurseurs, des novateurs. Ils ont permis une certaine démocratisation. Ils ont réussi à renouveler une certaine idée du luxe, car ils l'ont modernisé. Les grands couturiers comme Paul Poiret ou Yves Saint Laurent étaient de grand amateurs d'art, et c'est ce qui a fait leur force.

Pensez-vous que la démocratisation du luxe soit phénomène si récent que ça ?

Non, je ne pense pas que ce soit si récent. Par exemple Marie Antoinette donnait ses robes à son personnel. C'était une manière de démocratiser. De plus, la bourgeoisie a toujours aspiré à avoir ce qu'avait la noblesse. Tout ce qui a été démodé est d'abord passé entre les mains de la classe inférieure. De tout temps, le luxe est venu avec l'économie. Lorsque Napoléon est arrivé au pouvoir, dix ans après la Révolution, l'économie allait très mal. Il a alors commandé au soyeux

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lyonnais 80 km de tapisseries pour Versailles (qui n'ont d'ailleurs jamais été au château) : il a voulu relancer le luxe pour relancer l'économie. Et Napoléon III et sa femme Eugénie vont faire exactement la même chose.

Quand les marques communiquent aujourd'hui sur leur passé et leur héritage, trouvez-vous cela pertinent ?

Dans le jargon de la mode, on parle souvent de l'ADN de la marque. Ils essayent d'être fidèle à l'image du luxe qu'ils essayent d'enraciner dans le passé pour asseoir l'image de la marque. Chaque marque à son propre ADN, facilement identifiable.

Comment expliquez-vous que parler de son histoire et de ses traditions puisse être un argument de vente ?

On a besoin de se raccrocher à une valeur sure du passé pour prouver à quel point on est solide et pour rajouter du prestige à l'histoire actuelle.

Quelles sont selon vous les principales ambitions des grandes Maisons de luxe pour les années à venir, les nouveaux challenges ?

Je pense que ce sera la mondialisation dans le sens où la cliente chinoise est différente de la cliente australienne ou de la cliente finlandaise. Il va falloir continuer à plaire au plus grand nombre tout en gardant le prestige et le savoir-faire presque ancestral. Il faut plus ou moins continuer ce qu'ils font déjà : LVMH propose depuis 3 ans Les Journées Particulières pour rendre les marques célèbre accessibles, prouver le savoir-faire du travail manuel, mettre en valeur les hommes et les femmes qui créent ses produits, et que les produits ne sont pas réalisés dans des laboratoires face à des écrans. Il faut valoriser les petites mains. Les marques font de plus en plus visiter leurs ateliers, les gens sont intéressés de savoir comment les produits finis arrivent chez eux : les gens sont curieux comment toutes ses choses sont faites. Les clients s'approprient un peu plus le produit, se sentent plus proches de la marque

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ANNEXE 7

Transcription de l'interview de Monsieur Xavier LE PERSON, maître de

conférence en histoire moderne à l'université Paris IV Sorbonne. Cette interview m'a été accordée le 21 Avril, dans un café.

Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.

Le luxe est quelque chose qui n'est pas accessible à tout le monde, car il y a une question sociale à travers le luxe. Au-delà de la dimension esthétique ou de la facture de l'objet, c'est le privilège de posséder ce que les autres ne possèdent pas.

Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes ? Si oui, pourquoi ?

Je pense qu'il existe plusieurs niveaux de luxe : d'un côté, le luxe commercial qui s'adresse aux bourses fréquentes, et le vrai luxe qui n'est pas accessible à tous. D'une certaine manière, le luxe c'est un peu une image. On rend accessible le luxe pour donner l'impression aux consommateurs qu'ils sont exceptionnels, alors que dans le fond c'est tout simplement une dépense coûteuse. On voit bien cette différence dans les magasins, avec les portefeuilles et autres petits objets qui sont bien mis en avant, alors que les produits plus coûteux sont mis à l'arrière. On remarque aussi que bien souvent, les gens s'arrêtent au niveau des produits d'entrées, car rares sont ceux qui peuvent acheter les vrais produits coûteux.

Il y a la consommation contre l'exception. On sent bien une évolution aujourd'hui. Le luxe, c'est censé être ce qui n'est pas standardisé et l'importance du sur mesure prend tout son sens de nos jours. On revient à une facture adaptée aux désirs du client et non pas une facture standard.

Comment voyez-vous le luxe dans 50 ans ?

Par rapport à la tendance actuelle, on a des sortes de comportements excessifs, des gens qui dépensent sans compter. Avec la mondialisation et l'enrichissement général, je pense que de nouvelles populations vont accéder au luxe. C'est un pas de plus vers le luxe pour tous, le luxe accessible. La démocratisation va s'accentuer puisque le luxe est amené à se vendre de mieux en mieux.

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Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe français ? Comment expliquez-vous que les autres nationalités nous voient comme le symbole du raffinement et de l'élégance ?

Je dirais que c'est le savoir-faire et l'esthétique. Au Japon par exemple, les références françaises et italiennes sont très clairement affichées. Notamment dans les magasins, on voit sur les devantures des phrases en français (souvent pas vraiment fidèles au niveau de la traduction), car c'est tout un art de vivre qui est associé à l'objet. Je pense que l'image culturelle de la France est déterminante dans la vente de ses produits. D'ailleurs, on voit bien les représentations fantasmées qu'ont les asiatiques de la France : ils s'imaginent Paris comme sur des photos de Doisneau.

Diriez-vous que cet art de vivre s'est complètement intégré dans la vie quotidienne des Français à travers les temps ? J'entends par là que certaines notions telles la gastronomie, les cafés chics, les vins, l'hôtellerie... semblent être devenues intrinsèquement françaises.

Quand le reste de la population essayait de copier le mode de vie des élites, c'était une belle tromperie, car au moment où les produits deviennent accessibles au plus grand nombre, les nobles sont déjà passés à autre chose. Tout est toujours plus raffiné chez les élites, les classes sociales inférieures ont l'impression que tout est plus beau sur eux. Les nobles contribuent donc à la magnificence du roi. On joue sur l'image du corps, pour transformer ce qui est commun (un corps) en quelque chose d'extraordinaire. Pour ce qui est de la gastronomie, j'ai une explication. Au XVIIème, on était persuadés qu'il existait un lien entre la nature des produits qu'on ingérait et l'apparence extérieure. Du coup, on mangeait beaucoup de blanc car cela symbolisait la pureté, et donc permettait de fuir le mal. Il y a une très forte logique chrétienne qui se dégage à travers ça. On retrouve aussi chez les nobles la volonté de se procurer des produits d'exception qui coûtent très cher. Et puisque la gastronomie participait à la réputation d'une maison de nobles, il y avait une émulation. Le café vient de marie Thérèse, l'épouse d'origine espagnole de Louis XIV. Les liens culturels très forts qui existent encore aujourd'hui entre La France et certains pays se sont pérennisés à travers la circulation des produits. D'abord réservé à la cour du Roi, le café est ensuite descendu dans la rue avec de nombreux cafés qui émergeaient de part et d'autres. Au 16ème siècle, il était très difficile de

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se procurer des épices, mais elles servaient à tout : rendre le vin moins âpre, pour les cérémonials religieux... En effet, on pensait à l'époque que les épices venaient du paradis. Puis ensuite, le prix a chuté car les Portugais et les Arabes on en ramené plein et il y en avait à profusion. Aussi, les nobles ne portaient qu'une seule fois leurs vêtements ou leurs chaussures : la ruine de la noblesse du 18ème était intimement liée à la recherche permanente du luxe. En Angleterre, Charles II a essayé de lancer une mode anglaise, mais la mode française a pris le dessus.

Trouvez-vous des similitudes entre la façon d'appréhender les choses sous Louis XIV et à notre époque ?

Oui car le luxe c'est toujours posséder des choses que les autres n'ont pas. On associe des objets à des gens en vue et on a envie de les imiter.

Diriez-vous que Louis XIV a lancé la première campagne marketing de l'Histoire ?

Je dirais que c'est involontaire, que ça y a contribué indirectement. Alors oui, on était dans une volonté de susciter l'intérêt mais pas dans une volonté de faire vendre, alors je ne parlerais pas de marketing. Il était plutôt question de gloire : les arts de la table, et même l'ordre des plats déterminent la culture. Le roi veut faire rayonner sa gloire sous toutes ses formes, et l'art de vivre à la française participe à cette gloire.

Pensez-vous que les lois somptuaires étaient dans l'optique de contrer la démocratisation du luxe ?

Les lois somptuaires ont plus un rôle économique. Au XVIIème, il y avait de plus en plus de mariages entre nobles et bourgeois pour des raisons économiques, je ne pense pas que la volonté du Roi était de créer un écart entre les deux. Des liens économiques existent entre les nobles et les bourgeois. Les lois somptuaires ont aussi été mises en place pour empêcher que l'argent ne sortent du pays. C'est la loi des politiques mercantilistes : faire converger vers le royaume des métaux précieux. On voulait tout simplement empêcher que la noblesse ne se ruine. C'est d'ailleurs le paradoxe de la noblesse, qui est si bien décrit dans la pièce de théâtre L'Avare : le noble veut s'enrichir, mais il doit faire des dépenses obligatoires pour justifier son statut, et il se ruine littéralement. Louis XIV a trouvé la parade : quand

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il crée les manufactures des Gobelins, de porcelaines... c'est pour que les nobles achètent en France, et donc créer de la richesse dans le pays. On peut y voir une certaine forme de protectionnisme. Pour finir, il faut aussi savoir que ces lois étaient très liées à des conceptions judéo-chrétiennes de la vanité. Il devait certes y avoir une part de volonté de distinction sociale, mais on ne tolérait pas de transgressions à travers les apparences. La trop grande ostentation est condamnée car sinon, elle en devient vulgaire : et je pense qu'on est encore dans cette logique-là aujourd'hui.

Pourquoi les marques retournent à leurs origines ? Comment expliquez-vous que parler de son histoire et de ses traditions puisse être un argument de vente pour les grandes marques de luxe ?

Je trouve qu'il y a une sorte de nostalgie de la part des grandes marques. Cela donne un coté rétro, qui est aussi original et donc un bon argument de vente. On utilise le regard du passé pour se déconnecter du présent. Dans leur communication en général, je ne trouve pas les marques de luxe utilisent spécialement leurs histoires, après je ne suis pas un grand connaisseur non plus. En revanche, je trouve qu'elles s'inscrivent dans cette logique en créant des fondations artistiques : le mécénat est une façon d'être au coeur de la tendance. Le souverain fait venir à lui ce qui est historique.

Quelles sont selon vous les principales ambitions des grandes Maisons de luxe pour les années à venir, les nouveaux challenges ?

A mon avis, elles cherchent à mette un prix de vente suffisamment élevé pour laisser penser que c'est luxueux tout en vendant au plus grand nombre. Donc le luxe est certainement une question de prix. Les gens achètent pour diffuser une image d'eux-mêmes, tout comme les nobles le faisaient, car nous vivons depuis bien longtemps dans une société fondée sur l'image. J'ai aussi remarqué que dernièrement, les maques font appel à des grands metteurs en scène pour réaliser leurs publicités : une façon d'appuyer encore plus leur story-telling, car on tend vers une recherche d'unicité et de plaisir. Je pense que le luxe se veut de plus en plus émotionnel.

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ANNEXE 8

Interview d'Astrid VANDEWALLE, documentariste Style chez Yves Saint Laurent. Cette interview a été réalisée par mail.

Comment définiriez-vous le luxe ?

Le luxe est un ensemble de prestations, de services et de produits d'excellence destinés à une élite fortunée. Il s'accompagne de la notion de superflu : personne n'a besoin d'un sac à main à 1500 € et c'est un luxe de pouvoir se le permettre.

Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes ?

Le Luxe est pour moi vraiment un mode de vie. Ce n'est pas quelque chose de ponctuel, cela reste une notion assez floue qui peut s'exprimer à travers différentes choses mais qui reste une notion unique.

Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe français ?

Nous avons en France la chance d'avoir une histoire et un savoir-faire ancien et développé dans de nombreux domaines. Les valeurs liées au luxe en France sont vraiment liées à un savoir-faire ancien qui rayonne depuis des siècles.

On parle souvent de l'« art de vivre à la française » : comment expliquez-vous que les autres nationalités nous voient comme le symbole du raffinement ? Tout simplement car la France a une histoire très riche et un rayonnement vif. Encore aujourd'hui, la France présente ce qu'il y a de mieux en matière de gastronomie (vin, produits du terroir), d'artisanat (mobilier, joaillerie) et les Maison de luxe les plus prestigieuses sont Françaises.

Diriez-vous que cet art de vivre s'est complètement intégré dans la vie quotidienne des Français à travers les temps ?

Je suis plutôt d'un avis contraire. Si en effet en France on a plutôt accès facilement à ces services dans le sens où ils sont présents en nombre sur le territoire, je trouve que c'est malgré tout très peu accessible et c'est également une notion très

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parisienne ou du moins très citadine. Cela ne concerne qu'une minorité des Français.

Pensez-vous que la démocratisation du luxe soit un phénomène si récent ? Je ne sais pas si le luxe s'est réellement démocratisé. Il y a des subterfuges qui en donnent l'impression (les cosmétiques de grande marques par exemple quasiment accessibles à tout le monde). Mais si le luxe est un mode de vie, je ne pense pas que beaucoup de gens y aient accès.

Comment voyez-vous le luxe dans 50 ans ?

J'ai du mal à anticiper, mais j'imagine que cela n'aura pas forcément beaucoup évolué, peut-être en termes de services liés aux nouvelles technologies qui peuvent toujours être améliorés, mais le luxe en tant que mode de vie reste le même.

Quand les marques communiquent aujourd'hui sur leur passé et leur héritage, trouvez-vous cela pertinent ?

C'est tout à fait pertinent car l'histoire donne une impression d'héritage de qualité. L'histoire fait sens et amène une cohérence avec le passé et la tradition, des notions importantes dans l'univers du luxe.

Comment expliquez-vous que parler de son histoire et de ses traditions puisse être un argument de vente ?

Dans le milieu de la mode, on prête de plus en plus attention au patrimoine des Maisons ainsi qu'à leur histoire. Cela permet de tempérer et d'argumenter dans le sens où des produits même s'ils sont nouveaux, renvoient à des valeurs du passé et s'inscrivent dans une histoire. Le monde va vite, on a besoin de repères, de s'identifier à des icônes.

Quelles sont selon vous les principales ambitions des grandes Maisons de luxe pour les années à venir, les nouveaux challenges ?

Encore une fois dans la mode, les enjeux à l'heure actuelles sont à la stabilisation de la consommation. On a besoin de revenir à de meilleurs produits consommés de manière plus réfléchie et trouver le juste milieu entre l'héritage et l'innovation.

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ANNEXE 9

Interview de Martin Gerlier, Fondateur de MoonStar Fine Arts et MG Art Design. Cette interview a été réalisée par mail.

Comment définiriez-vous le luxe ?

Je définirais simplement le luxe par l'expérience offerte par un groupe hôtelier à ses clients. Dans mon cas, cela passe bien sûr par l'émotion et l'expérience artistique

Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.

Aujourd'hui dans l'industrie hôtelière, les clients recherchent plus qu'une belle chambre, un bel hôtel ou un bon restaurant. Les clients veulent être surpris, apprendre et vivre de nouvelles choses, c'est une des responsabilités d'un grand groupe. Nous avons ouvert une galerie d'art pour un grand hôtelier français, les retours sont très positif pour l'hôtel d'un point du vue marketing et financier. C'est également très positif pour les Artistes qui sont soutenus par une entreprise international avec la visibilité quotidienne des clients de l'hôtel.

Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe français ? La culture, l'histoire, traditions et les valeurs.

On parle souvent de l' « art de vivre à la française » : comment expliquez-vous que les autres nationalités nous voient comme le symbole du raffinement ? Pareil : L'Histoire, les traditions et les valeurs ! La France est l'une des plus ancienne, riche et intéressante culture et est une inspiration pour beaucoup d'autres.

Diriez-vous que cet art de vivre s'est complètement intégré dans la vie quotidienne des Français à travers les temps ?

L'art de vie est inné pour un français, cela passe par l'éduction reçu de ses parents et de ses grands-parents. Cela se ressent très facilement lorsque l'on voyage et se mélange à d'autres cultures.

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Pensez-vous que la démocratisation du luxe soit si récente que ça ?

Pour moi le luxe restera toujours le luxe. Le luxe est inaccessible : un sac Louis Vuitton, une montre Patek Phillipe, une semaine au Aman Hôtel de Venise, voyager en first etc. Si H&M s'associe avec Madona pour lancer une collection, la collection sera luxe pour ceux qui l'achèteront, pas pour ceux qui s'habillent chez Prada. C'est une question de point de vue. Un coup marketing. Le luxe ne se démocratise pas, seulement le sentiment d'y avoir accès

Comment voyez-vous le luxe dans 50 ans ?

Les moeurs changent et évoluent si vite, pour être transparent je n'en ai aucune idée. Pour moi, le luxe sera toujours l'intimité, la nature, le silence.

Comment analysez-vous les rapports (et leur évolution) qui lient le monde de l'art à celui du luxe ?

Les grandes marques se sont toujours rapprochées de l'art pour rafraichir leurs images et toucher des générations plus jeunes. C'est le cas du groupe LVMH, avec Louis Vuitton et Takashi Murakami qui ont lancé plusieurs collections ensemble. Pour un groupe hôtelier c'est un moyen de se positionner différemment d'autres groupes, d'attirer de nouveaux clients.

Pourquoi les marques de luxe se saisissent de l'espace de l'art pour créer un imaginaire qui semble attirer de plus en plus ?

Je répondrai simplement par une citation de BEN : « l'art c'est la vie !! ». En résumé c'est un moyen pour les marques de luxe de s'humaniser.

Pourquoi selon vous, les grandes maisons créent des fondations ?

Trois raisons : c'est un très bon moyen de défiscalisation, de réputation, et également un devoir pour une marque de rendre service au public par l'éducation et la sensibilisation par la culture.

Paris mérite-t-elle selon vous d'être le centre du Monde de l'art comme elle l'est pour la mode ? Quelle est sa place face à New York ou Londres ?

Paris a été pendant de très nombreuses années le centre mondial de l'art international jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale et l'arrivée des Allemands en

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France. Tous les artistes et collectionneurs ont ensuite fuient pour l'étranger. NYC a ensuite pris le lead, la France est maintenant loin derrière et ne risque pas de revenir sur les devants, pour des raisons économiques et fiscales. Les allusions à l'Art se font de plus en plus récurrentes dans le luxe, y va-t-il un lien entre la possession d'Art et la possession du luxe ? L'art est un luxe. Tout le monde ne peut y avoir accès. C'est un moyen de se positionner socialement mais également d'investir. L'art et le luxe sont indissociables.

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ANNEXE 10

A gauche : Huile sur toile de Claude MONET, Jardin de l'artiste à Giverny, 1900, 81x92cm, Musée d'Orsay (Paris). A droite : Robe en organza blanc brodé de mousseline dégradée façon pointilliste lors du défilé Christian Dior Haute Couture Automne-Hiver 2012/2013 by Raf Simons, Look 47.

Source : https://longlifefashion.net/2014/09/26/dossier-la-mode-et-le-paysage-fashion-landscape/

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ANNEXE 11

Source : http://www.credoc.fr/pdf/Rapp/R315.pdf

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ANNEXE 12

Lors de ma visite à la Maison Dior (Journées Particulières LVMH du 20 au 22 mai 2016) j'ai eu la chance de voir le Théâtre Dior reconstitué. Le Théâtre d'aujourd'hui est un clin d'oeil à l'évènement qui marqua les esprits parisiens en 1945. C'est aussi un hommage au travail de précisions des ateliers de Haute Couture, dont le talent s'expriment pleinement dans ces vêtements miniatures, cousus au millimètre près et semblables aux originaux jusque dans les moindres détails : toute l'essence de l'esprit d'une Maison aux proportions délicates d'un théâtre de poupées.






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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams