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« Made in China » de Jean-Philippe Toussaint -- une oeuvre hybride à  la recherche de nouvelles formes littéraires


par Romain Pinoteau
Université Paris III Sorbonne nouvelle - Master 2 - Lettres modernes recherche 2018
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITE PARIS III - SORBONNE NOUVELLE

UFR LLD - Département de littérature et linguistique françaises et latines

« Made in China » de Jean-Philippe Toussaint

-- une oeuvre hybride à la recherche de nouvelles formes littéraires

Mémoire de Master 2 Recherche Lettres Modernes - Langue et littérature française préparé sous la direction de M. Michel Bernard

Par

Romain Pinoteau

Année universitaire 2017-2018

N étudiant : 20862750

Jokisuunpolku 2 A 6, 00560, Helsinki, Finlande romain.pinoteau@laposte.net

II

TABLE DE MATIÈRES

Introduction 1

I Présentation de l'auteur, son éditeur et le projet de Made in China 3

A. Le parcours d'un écrivain de recherche au sein des Éditions de Minuits 3

a) Sa vie et ses influences 4

b) L'écrivain et son éditeur, une longue collaboration empreinte d'amitiés 6

c) Un artiste éclectique 9

B. Le projet insolite de Made in China aux prestigieuses Éditions de Minuit 13

a) Thèmes relevant du vécu de Jean-Philippe Toussaint en Chine 13

b) Un récit d'une grande complexité 16

c) L'essai d'un livre numérique dans une maison d'édition de renom 19

C. La vie de Made in China depuis sa sortie : chiffres clés, promotion et réactions 22

a) Chiffres clés de Made in China depuis sa première publication 23

b) La promotion du livre par Jean-Philippe Toussaint ainsi que des regards

d'écrivains sur son oeuvre 24

c) Expositions et critiques dans les médias ainsi que répercussions sur les réseaux

sociaux 26

II Une oeuvre multimédia - comment faire sortir le lecteur des limites du livre ? 32

A. Les effets du multimédia sur la lecture 32

a) Définition du multimédia 33

b) La vidéo The Honey Dress rompt avec un certain silence que l'on associe à la

littérature 37

c) Une interdépendance entre le récit et le film 41

B. Récit métafictif qui traite de la création d'une oeuvre multimédia 44

a) Procédés métafictifs dans Made in China 45

b) Narration entre parenthèses et tirets 51

c) La vidéo comme métalepse dans Made in China 57

C. Diffusion multi-support - problèmes techniques liés au format 61

a) Diffusion multi-support - définition et pratiques dans le paysage littéraire 61

b) Solutions techniques pour la diffusion multi-support 63

c) Adoption du format EPUB pour Made in China 67

III Spécificité numérique de Made in China ? 71

A. Esthétique évoluant selon le support 71

a) Un plus grand confort de lecture par rapport au livre papier 72

b)

III

La mise en page s'en voit bouleversée laissant place au jugement du lecteur . 78

c) Icône - une fenêtre renvoyant vers le monde numérique 82

B. La présence d'une vidéo - expérience de lecture différente ? 85

a) L'effet de surprise 86

b) L'interdiscursivité du récit avec le film 88

c) The Honey Dress - une oeuvre qui prolonge le récit 93

C. Vers de nouvelles formes littéraires ? 96

a) Made in China repose sur la conception « classique » du livre papier 97

b) Une oeuvre hybride 100

c) Toussaint utilise avec parcimonie les possibilités du numérique 102

Conclusion 106

BIBLIOGRAPHIE 108

ANNEXES 127

iv

« La littérature, c'est souvent du cinéma. » Jean-Luc Godard

1

Introduction

L'une des dernières oeuvres littéraires de Jean-Philippe Toussaint, Made in China, paru en 2017, se distingue de ses précédents livres par sa dimension numérique. En effet, il fait bien plus que concrétiser le désir de pouvoir faire surgir de la musique dans l'un de ses livres, un fantasme qu'il a eu lors de l'écriture de Fuir (2005). En fait, ce projet est donc un accomplissement personnel pour Toussaint puisqu'il réussit à mettre une de ses oeuvres cinématographique, The Honey Dress, au sein même de la version numérique de ce livre. Il y a encore quelques années cela n'était pas techniquement possible. La question est de savoir pourquoi fondamentalement Toussaint s'est intéressé à mener ce projet. En fait, tout s'explique si nous reprenons une de ses déclarations lors d'un entretien concernant Faire l'Amour (2009) : « --- j'ai envie d'être un auteur contemporain et de marquer mes livres dans l'époque qui est la mienne. »1. En fait, nous constatons que les usages de la lecture numérique évoluent, comme le montre une dernière étude de 2018 du Syndicat national de l'édition2. En effet, ce public habitué au numérique est de plus en plus technophile, il évolue donc dans un espace où le texte, le son et l'image sont naturellement présents. Le numérique fait donc partie de notre quotidien. Toussaint devait donc inscrire, d'un point de vue technologique, au moins un de ses livres dans notre époque qui se situe encore entre le texte et l'image, c'est en cela que Made in China est un cas à part dans le monde de l'édition française. Pourtant, ce qu'il y a de tout à fait intéressant chez-lui, c'est qu'il ne se place pas comme un technicien mais bel et bien comme un écrivain à part entière. Il utilise donc ces moyens mis à sa disposition avec une vision purement littéraire. Cela nous amène à nous interroger sur la version numérique de Made in China, afin de savoir en quoi elle apporte une réelle plus-value d'un point de vue littéraire en parvenant à faire sortir le lecteur hors des frontières classiques du livre.

1 Arnaud Moulhiac, « Rencontre entre Jean-Philippe Toussaint et Arnaud Moulhiac », La Page, en date du 2 Septembre 2008, p. 23.

2 8ème Baromètre sur les usages du livre numérique, Étude conduite par la Société Française des Intérêts des Auteurs de l'écrit (La Sofia), le Syndicat national de l'édition (SNE) et La Société des Gens de Lettres (SGDL), France, 2018, consulté [en ligne] le 5 avril 2018, https://www.sne.fr/app/uploads/2018/03/barometre-2018_HD2-imprimeur.pdf

2

Dans la première partie de notre travail, nous retracerons la vie mais aussi le parcours littéraire de Jean-Philippe Toussaint, ce qui est indispensable pour comprendre comment il est arrivé à cette forme de publication hybride. Nous montrerons aussi pour quelles raisons Les Éditions de Minuit ont accepté la proposition de cet auteur en faisant l'historique de cette maison d'édition mais aussi en mettant en évidence ce qui la lie à Jean-Philippe Toussaint. Nous retracerons les premiers mois de la sortie de Made in China afin de mieux voir quel retentissement l'oeuvre de Toussaint a eu sur le public et les critiques surtout par rapport à son aspect numérique. Dans la deuxième partie, nous verrons de quelle manière Made in China est une oeuvre multimédia à part entière. Nous analyserons comment Jean-Philippe Toussaint, avec son propre style, arrive à faire sortir le lecteur du livre en se situant dans la lignée des Nouveaux romanciers, mais aussi grâce au film The Honey Dress qui figure au coeur de la version numérique. Pour finir, nous montrerons en détail les spécificités de Made in China concernant son esthétique qui peut selon l'envie du lecteur changer en apparence, mais aussi voir si la présence d'une vidéo conduit à une expérience de lecture différente et si Toussaint réussit, avec Made in China, à créer de nouvelles formes littéraires.

3

I Présentation de l'auteur, son éditeur et le projet de Made in China

L'année 2017 a marqué la parution de Made in China par Jean-Philippe Toussaint aux Éditions de Minuit. Pour mieux comprendre la place que cette oeuvre hybride occupe dans la production littéraire de Jean-Philippe Toussaint, nous brosserons donc le parcours de cet auteur ainsi que l'histoire et la relation particulière qu'il entretient avec cette maison d'édition, depuis maintenant plus de trente ans. Cela nous amènera bien sûr à parler du récit de ce roman et à voir de quelle manière ce livre a été reçu par la presse mais aussi par le public.

A. Le parcours d'un écrivain de recherche au sein des Éditions de Minuits

Jean-Philippe Toussaint, comme nous allons le voir plus précisément, a connu le succès au milieu des années 80. Sa vie et ses multiples influences littéraires ont formé un écrivain tout à fait original dans le monde littéraire d'aujourd'hui, dans le cadre des Éditions de Minuit, une véritable institution dans le paysage littéraire français. D'ailleurs, Toussaint se définit comme un écrivain de recherche faisant partie de la même famille que Robbe-Grillet, Samuel Beckett, ou bien encore Claude Simon, ses illustres prédécesseurs3. En effet, Toussaint est écrivain, cinéaste et photographe ; sa curiosité l'amène donc à explorer de nombreux univers à la fois complémentaires et différents. De plus, il a créé un site Internet, jptoussaint.com, accessible gratuitement pour la promotion et la diffusion de ses oeuvres. En effet, grâce à ce média en ligne, le lecteur peut se plonger dans son univers4 où l'on retrouve son actualité et la présentation de l'ensemble de ses oeuvres.

3 Jean-François Cadet, « Jean-Philippe Toussaint, made in China », Vous m'en direz des nouvelles!, RFI, du 23 octobre 2017, consulté [en ligne] le 30 décembre 2017, http://www.rfi.fr/emission/20171023-jean-philippe-toussaint?ref=fb

4 JPTOUSSAINT.COM, Site Internet de Jean-Philippe Toussaint, consulté [en ligne] le 29 septembre 2017, http://www.jptoussaint.com/

4

a) Sa vie et ses influences

Jean-Philippe Toussaint, écrivain belge, connaît un succès fulgurant avec La Salle de Bain publié, en 1985, ce qui marque un tournant dans sa vie car il devient, à peine à l'âge de 28 ans, un auteur de renom. Pourtant, comme le concède Toussaint, son envie d'écrire n'est intervenue qu'à l'âge adulte, n'ayant eu, durant son enfance, aucun goût pour la littérature. En fait, ce n'est qu'à vingt ou vingt-et-un ans, sans doute en 1979, il n'en n'est plus sûr, qu'il prend brusquement cette décision lors d'un déplacement en bus dans le XIème arrondissement de Paris, une sorte de révélation. En fait, comme l'explique Toussaint, ce déclic s'est produit durant une période où il n'avait lu que deux livres Les Films de ma vie (1975) de François Truffaut et Crimes et châtiments (1866) de Dostoïevski qui l'influencèrent d'une manière déterminante. D'ailleurs, Toussaint affirme qu'un mois après avoir lu le livre de Dostoïevski, il se lança réellement dans la littérature5. Ses multiples influences littéraires se retrouvent dans ses oeuvres, aussi dans Made in China, et c'est pourquoi il est indispensable de les analyser.

Jean Philippe Toussaint s'est nourri de l'oeuvre littéraire de Gustave Flaubert tout au long de sa carrière. D'ailleurs, il dit volontiers que toute l'expérience de Flaubert sur la manière dont lui-même a vécu le fait d'écrire, l'ont bien plus porté que ses livres à proprement parler. De plus, il y a cette idée novatrice chez l'auteur de Madame Bovary (1857) d'écrire un livre sur rien, comme le mentionne une lettre destinée à Louise Collet, qui s'approche de la propre vision de la littérature de Toussaint : « Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l'air, un livre qui n'aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut. »6. Toussaint voit donc Gustave Flaubert comme un véritable

5 Jean-Philippe Toussaint, « Le jour où j'ai commencé à écrire », Bon-a-tirer.com, trimestriel, vol.1, en date du 15 février 2001, consulté [en ligne] le 1er décembre 2017. http://www.bon-a-tirer.com/volume1/jpt.html

6 Gustave Flaubert, Correspondance : année 1852, Lettre de Flaubert à Louise Collet, en date du 16 janvier 1958, Édition Louis Conard, consulté [en ligne] le 2 novembre 2017 sur le site du Centre Flaubert de l'Université de Rouen Normandie. http://flaubert.univ-rouen.fr/correspondance/conard/outils/1852.htm

5

précurseur et s'inscrit, d'ailleurs, tout à fait dans cette filiation. De plus, il a, tout comme Flaubert, la même conception de la littérature, c'est-à-dire que le fait d'écrire est sacré7. Toussaint, comme le souligne Agnès Mannooretonil, se situe aussi dans une tradition française du style, dont Flaubert incarne le parfait modèle, qui s'attachait autant sinon plus à la façon d'élaborer son récit d'une manière particulièrement aboutie du point de vue stylistique qu'à l'histoire elle-même.8 En fait, Toussaint se sent tout à fait solidaire de cet auteur qui a vraiment souffert lors de la rédaction de ses oeuvres9. Il affectionne aussi Proust, car pour lui les personnages doivent être pleins de vie et occuper une place essentielle dans les livres, comme il le dit dans un entretien avec William : « Pensons à Proust par exemple, un écrivain que j'aime beaucoup. Chez lui, les personnages de fiction ont une réalité plus grande que leur modèle. »10. Toussaint s'intéresse également à certains aspects de la philosophie comme Les Pensées (1670) de Blaise Pascal, et plus précisément à la théorie des deux infinis, l'infiniment grand et l'infiniment petit, comme nous le verrons plus tard. De plus, il s'est penché sur la science, notamment avec la mécanique quantique de Werner Heisenberg ; ce qui le fascine sans doute, c'est que dans ce domaine aucune erreur n'est permise. Il faut donc avoir énormément de rigueur afin d'aboutir sur des certitudes. Chez Toussaint, il y a cette similitude notamment dans le souci du détail. Tout doit être parfaitement dosé, chaque mot, mais aussi chaque espace a été parfaitement pensé afin de faire de l'ensemble de ses récits comme un tout, où le hasard, dans la forme, n'a pas sa place.

7 Thierry Roger, « Entretien avec Jean Philippe Toussaint, Flaubert vu par les écrivains contemporains », vidéo [en ligne] en date du 18 avril 2015, consulté [en ligne] le 2 novembre 2017 sur le site de l'Université de Rouen Normandie, https://webtv.univ-rouen.fr/videos/entretien-avec-jean-philippe-toussaint/

8 Agnès Mannooretonil, « Jean-Philippe Toussaint. Ou l'art délicat de l'infinitésimal », Études, 2014, pp. 73-82, consulté [en ligne] le 03 novembre 2017, https://www-cairn-info.ezproxy.univ-paris3.fr/revue-etudes-2014-9-page-73.htm

9 Thierry Roger, « Entretien avec Jean Philippe Toussaint, Flaubert vu par les écrivains contemporains », vidéo [en ligne] en date du 18 avril 2015, consulté [en ligne] le 2 novembre 2017 sur le site de l'Université de Rouen Normandie, https://webtv.univ-rouen.fr/videos/entretien-avec-jean-philippe-toussaint/

10 William Irigoyen, « Jean-Philippe Toussaint dans le bain de l'imprévu », L'Orient littéraire, supplément mensuel de L'Orient LE JOUR, publié [en ligne] en octobre 2017, consulté [en ligne] le 1er janvier 2018, http://www.lorientlitteraire.com/article_details.php?cid=6&nid=7004

6

Nous ne pouvons brosser les influences littéraires de Toussaint sans évoquer Samuel Beckett, car comme nul autre écrivain, il a influé d'une manière prépondérante sur sa carrière littéraire. D'ailleurs, il l'a tellement subjugué que lorsque Toussaint commence à écrire, deux ou trois de ses oeuvres se révèlent être quasiment des copies conformes de celles de son mentor de l'époque. En fait, Toussaint ne s'en rend même pas compte sur le coup, tellement il est envoûté par Samuel Beckett. En effet, il lui faut écrire La Salle de bain (1985) pour que cette emprise disparaisse et qu'il arrive à maîtriser ces multiples influences11. Toussaint ne tarit pas d'éloge vis-à-vis de Beckett, il en parle même durant son discours d'entrée à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique en 2015. Toussaint parle de lui-même comme un descendant spirituel de Beckett. Il ajoute qu'il y a dans l'Urgence et la Patience (2012) un texte d'hommage intitulé « Pour Samuel Beckett ». D'ailleurs, Toussaint en cite un extrait qui résume l'estime qu'il éprouve pour lui : « C'est la lecture la plus importante que j'ai faite dans ma vie. Mon seul modèle. »12. En fait, il s'identifie particulièrement à Beckett, parce qu'il éprouve le même amour des mots que ce dernier évoque dans Têtes-Mortes (1972) en écrivant : « J'ai l'amour du mot, les mots ont été mes seuls amours, quelques-uns. »13.

b) L'écrivain et son éditeur, une longue collaboration empreinte d'amitiés

Jean-Philippe Toussaint s'inscrit pleinement dans l'histoire des Éditions de Minuit. En effet, elle a été sa seule maison d'édition, de 1985 jusqu'à aujourd'hui. Cette collaboration de plus de trente ans débute par une rencontre extraordinaire pour Toussaint, car celui qui lui donne sa chance n'est autre que l'emblématique Jérôme Lindon, le patron, à l'époque,

11 Michèle Ammouche-Kremers et Henk Hillenaar Eds, Jeunes auteurs de Minuit, Éditions de Minuit, Paris, 1994, p. 30, consulté [en ligne] le 3 novembre 2017, https://books.google.fr/books?hl=fi&lr=&id=TabI5S_qUDgC&oi=fnd&pg=PA27&dq=jean-philippe+toussaint+beckett&ots=VzxOZXmKmC&sig=t9bxzzrukjJ7zZYNa1wKi2FKgsE#v=o nepage&q=jean-philippe%20toussaint%20beckett&f=false

12 Jean-Philippe Toussaint, « Réception de Jean-Philippe Toussaint. Séance publique du 16 mai 2015 », Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, Bruxelles, 2015, p.5, consulté [en ligne] le 4 décembre 2017, www.arllfb.be/ebibliotheque/discoursreception/toussaint16052015.pdf

13 Samuel Beckett, « D'un ouvrage abandonné », in Têtes-Mortes, Éditions de Minuit, Paris, 1972, p. 17.

7

de cette prestigieuse maison qui a fait publier pour la toute première fois Samuel Beckett14. Cet évènement marque un tournant dans sa vie, car il commence à côtoyer un homme qui se révèle être pour lui d'une influence aussi prépondérante que celle de Beckett : « Ces deux figures, Jérôme Lindon et Samuel Beckett, ont été les plus importantes de ma vie littéraire. »15. D'ailleurs, Toussaint les réunit dans un passage autobiographique de L'Urgence et la Patience (2012) ce qui prouve son admiration pour ces deux hommes : « Jérôme Lindon est mort en avril 2001, et un jour de 2002 que je passais au cimetière Montparnasse à la recherche de sa tombe, je suis tombé par hasard sur la tombe de Beckett, qui est enterré non loin de lui. Il faisait très beau. [...] j'ai regardé longtemps la surface lisse du marbre mouillé de la tombe de Beckett qui brillait au soleil. »16. Toussaint lui consacre aussi un texte intitulé « Le jour où j'ai rencontré Jérôme Lindon » où il dépeint cette première rencontre en des termes tout à fait élogieux. D'ailleurs, en 2005, lors d'une réédition de La Salle de bain (1985), ce texte figure à la fin de l'ouvrage. De cette manière, Toussaint lui rend un hommage appuyé. En fait, une des raisons de cet attachement si singulier réside dans l'une des facettes de Lindon. En effet, Toussaint avait l'image d'un homme à la tête d'une maison d'édition trop intellectuelle, qui devait se prendre trop au sérieux alors qu'il s'est retrouvé face à une personne qui adorait l'humour, tout comme lui17.

Le rôle de Jérôme Lindon a été aussi déterminant dans les questionnements de Toussaint au sujet de la littérature. L'Appareil-photo (1989) provoque des critiques dithyrambiques, et Lindon en profite pour lui demander de quelle manière on pourrait appeler ce nouveau

14 Éditions de Minuit, Historique, consulté [en ligne] le 14 janvier 2018, http://www.leseditionsdeminuit.fr/unepage-historique-historique-1-1-0-1.html

15 Jean-Philippe Toussaint, « Réception de Jean-Philippe Toussaint. Séance publique du 16 mai 2015 », Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, Bruxelles, 2015, p.5, consulté [en ligne] le 4 décembre 2017, www.arllfb.be/ebibliotheque/discoursreception/toussaint16052015.pdf

16 Jean-Philippe Toussaint, L'Urgence et la Patience, Éditions de Minuit, Paris, 2012, p. 30.

17 Michèle Ammouche-Kremers et Henk Hillenaar Eds, Jeunes auteurs de Minuit, Éditions Minuit, Paris, 1994, p. 28, consulté [en ligne] le 3 novembre 2017, https://books.google.fr/books?hl=fi&lr=&id=TabI5S_qUDgC&oi=fnd&pg=PA27&dq=jean-philippe+toussaint+beckett&ots=VzxOZXmKmC&sig=t9bxzzrukjJ7zZYNa1wKi2FKgsE#v=o nepage&q=jean-philippe%20toussaint%20beckett&f=false

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courant littéraire. Pourtant, Toussaint, en bottant en touche, ne répond pas à cette question, puisqu'à cette époque lui-même n'a aucune conscience des enjeux que suscite son implication dans la littérature. Il faudra attendre près de 20 ans avant que Toussaint arrive, finalement, à définir ses livres par le biais d'un nouveau terme : « le roman infinitésimaliste » qui renvoie à l'idée que l'infiniment petit et l'infiniment grand ont la même importance. En effet, Toussaint trouve que ce terme est bien plus approprié que celui de roman minimaliste, dont la portée, selon lui, est trop réductrice, car elle ne fait référence qu'à l'infiniment petit18. En fait, Toussaint, dont le style littéraire très épuré s'apparente à celui du Nouveau roman, s'en distingue pourtant par son ton narquois et désinvolte, dans lequel l'histoire ou la non-histoire est toujours marquée par le contemporain. De plus, bien que Toussaint adhère à toutes les théories de Robbe-Grillet, comme celle sur l'importance de ce qui manque dans un roman, il ne partage pas l'idée que ce dernier se fait de la nature du personnage en général. En effet, Robbe-Grillet, écrivain publié aux Éditions de Minuit, considéré comme chef de file du Nouveau roman, crée des êtres déshumanisés, alors que Toussaint ne partage pas ce point de vue, car cela fait perdre un certain rapport émotif, mais aussi de l'ordre de la sensualité, entre l'écrivain et le lecteur19. Toussaint s'oppose à cette vision, parce que pour lui, l'émotion est au coeur de son oeuvre : « Je conçois mon métier comme quelque chose de vivant et d'amusant. »20. Il se distingue aussi de ses prédécesseurs par le fait qu'il ne revendique aucun projet sociologique ou ethnologique car, selon lui, cette bataille a déjà eu lieu avec succès. Il se dégage donc de toute idée d'être un écrivain engagé à part entière. Ce qui compte pour lui, c'est la littérature plus que tout autre chose.

18 Laurent Demoulin, « Pour un roman infinitésimaliste », Entretien réalisé à Bruxelles, le 13 mars 2007, consulté en ligne le 18 décembre 2017,

http://www.jptoussaint.com/documents/e/ec/Entretien sur L'Appareil-photo (2007).pdf

19 Nelly Kaprélian, « Le plus fort dans un roman, c'est ce qui manque », Les Inrockuptibles, no 721, publié [en ligne] le 22 septembre 2009, consulté [en ligne] le 4 novembre 2017, http://www.jptoussaint.com/documents/4/4b/LaVerite-revue-de-presse-2009.pdf

20 Michèle Ammouche-Kremers et Henk Hillenaar Eds, Jeunes auteurs de Minuit, Éditions Minuit, Paris, 1994, p. 27, consulté [en ligne] le 3 novembre 2017, https://books.google.fr/books?hl=fi&lr=&id=TabI5S_qUDgC&oi=fnd&pg=PA27&dq=jean-philippe+toussaint+beckett&ots=VzxOZXmKmC&sig=t9bxzzrukjJ7zZYNa1wKi2FKgsE#v=o nepage&q=jean-philippe%20toussaint%20beckett&f=false

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Jean-Philippe Toussaint, les Éditions de Minuit et le milieu littéraire subissent un véritable drame en 2001 avec la disparition de Jérôme Lindon. La perte de cet ami, aurait pu remettre tout en cause. Pourtant, Toussaint se montre fidèle à cette maison d'édition et plus particulièrement envers Irène Lindon, qui occupe le poste de son père. Depuis son entrée en 1985 aux Éditions de Minuit, il a publié les 15 oeuvres suivantes : La Salle de bain (1985), Monsieur (1986), L'Appareil-photo (1989), La Réticence (1991), La Télévision (1997), Autoportrait (à l'étranger) (2000), Faire l'amour (2002), Fuir (2005), La Mélancolie de Zidane (2006), La Vérité sur Marie (2009), L'Urgence et la Patience (2012), Nue (2013), Football (2015), Made in China (2017) et M.M.M.M. (2017). Toussaint remporte le prix littéraire de la Vocation, en 1986 pour La Salle de bain, le prix Victor-Rossel, en 1997 pour La Télévision, le prix Médicis pour Fuir en 2005, mais aussi le prix Décembre, en 2009, pour La Vérité sur Marie et pour finir le prix triennal du roman de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en 2013, pour La Vérité sur Marie.

c) Un artiste éclectique

Jean-Philippe Toussaint ne se limite pas à la littérature, il explore bien d'autres univers comme la photographie, le cinéma ou bien encore le monde numérique. En effet, c'est pour lui une nécessité de pouvoir s'échapper, de temps à autre, du travail d'écrivain : « Ne faire qu'écrire doit être lassant. Je ne pourrais d'ailleurs pas m'imaginer ne produire que des livres. »21. Il écrit des articles dans la presse quotidienne, monte des expositions, notamment en France, en Belgique et en Asie. D'ailleurs, il s'est beaucoup rendu sur ce continent au fil des années. En fait, ces multiples facettes font de Toussaint un artiste qui s'évertue à s'approcher, le plus possible, de la réalité de notre société contemporaine. D'ailleurs, c'est ce qui l'a amené à écrire une oeuvre comme Made in China car nous y retrouvons l'ensemble de ces aspects. Il commence, vers la fin des années 70, par faire un court métrage amateur intitulé « Les dents de l'affaire », une parodie de film d'horreur22 et par la suite, il fait d'autres réalisations non professionnelles. Toussaint

21 Jean-Louis Tallon, « Entretien avec Jean-Philippe Toussaint », HorsPress Webzine culturel, Bruxelles, 2002, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, http://erato.pagesperso-orange.fr/horspress/toussaint.htm

22 Jean-Philippe Toussaint, « Le jour où j'ai commencé à filmer », Bon-a-tirer.com, trimestriel, vol.4, en date du 15 février 2002, consulté [en ligne] le 30 décembre 2017, http://www.bon-a-tirer.com/volume4/jpt.html

10

débute dans le cinéma professionnel en coadaptant avec John Lvoff, La Salle de bain en 1987 pour le grand écran. En 1994, il collabore aussi dans Berlin 10 heures 46, un film de Torsten Fischer et passe à la réalisation à partir de 1989 avec Monsieur, La Sévillane (1992) et La Patinoire (1999). En parallèle, il se lance dans la photographie, à l'âge de 39 ans, avec un premier cliché où son ombre paraît sur l'une des parois du temple Nanzenji de Kyoto au Japon23. Sa première exposition photographique, en 2000, eut lieu au Chapitre XII, la librairie de sa mère, puis au Japon (2000), à Bruxelles (2002), à Toulouse (2006), à Pau (2006), à Patrimonio en Corse (2008) et à Canton en Chine (2009). L'année 2002 marque aussi une exposition différente, Tokyo la nuit, qui se déroule à Bruxelles24, avec une troisième et dernière, en 2009 au Japon, toujours exclusivement sur la photographie, au CASO d'Osaka.

Toussaint organise aussi en 2012 une exposition exceptionnelle autour de ses oeuvres. En effet, le Louvre l'accueille en lui donnant carte blanche. Il présente donc toute une production visuelle « Livre/Louvre » où il se pose comme un artiste associant la parole à l'écrit mais aussi la photographie, l'ensemble forme aussi une réflexion sur l'activité même de l'écrivain inspiré par son temps lorsqu'il écrit25. En 2016, il s'aventure dans un autre monde, celui de la scène. M.M.M.M. (Marie Madeleine Marguerite de Montalte) est un spectacle qui a eu lieu en France et en Belgique où se mêlaient la lecture de morceaux choisis, la musique, la vidéo et l'art contemporain. Toussaint raconte, sur les planches, l'histoire de Marie, l'héroïne de Faire l'amour (2002), Fuir (2005), La Vérité sur Marie (2009) et pour finir de Nue (2013)26. Tout cela nous amène à voir un autre aspect de Toussaint car les voyages ont été importants dans sa vie. Il fait de nombreux

23 Jean-Philippe Toussaint, « Le jour où j'ai fait ma première photo », Bon-a-tirer.com, trimestriel, vol.2, en date du 15 mai 2001, consulté [en ligne] le 30 décembre 2017, http://www.bon-a-tirer.com/volume2/jpt.html

24 Jean-Philippe Toussaint, Curriculum Vitae, site Internet : jptoussaint.com. Consulté [en ligne] le 22 décembre 2017, http://www.jptoussaint.com/jean-philippe-toussaint.html

25 Donatien Grau, « Les jeux de l'art et de la littérature », LeMonde.fr, publié [en ligne] le 27 avril 2012, consulté [en ligne] le 3 décembre 2017, http://www.jptoussaint.com/documents/5/5b/Presse-Mainetregard-Lemonde-2012.pdf

26 Jean-Marie Wynants, « Un voyage envoûtant entre musique et littérature », Le Soir, publié le 19 avril 2016, consulté [en ligne] le 23 novembre 2017, http://www.jptoussaint.com/documents/1/11/Le_Soir.pdf

séjours en Europe, au Japon et plus particulièrement en Chine où il découvre une culture qui le fascine : « La Chine est pour moi un pays emblématique du monde contemporain; actuellement c'est peut-être en Chine que le monde se transforme le plus. »27. En fait, ce pays a été pour Toussaint une source d'inspiration prépondérante lors de l'écriture de Made in China.

Le numérique occupe également une place centrale dans sa vie : Internet le passionne, ce qui le différencie d'un certain nombre d'écrivains encore très réticents à l'idée de cette évolution des pratiques dans le domaine de la littérature. En effet, l'exemple le plus parlant est celui de Frédéric Beigbeder, un écrivain qui s'insurge contre le numérique qu'il assimile à une vrai drogue et milite pour le livre papier28. Toussaint, contrairement à ce dernier, s'intéresse véritablement aux rapports entre la littérature et Internet. En 1997, il fait une expérience en filmant la patinoire de Franconville 24 heures sur 24 à l'aide d'une Webcam. Avec cette technique, n'importe qui a pu voir en direct comment le tournage se déroulait. À partir des années 2000, Toussaint participe à un séminaire virtuel avec l'Université de Rhodes Island (Etats-Unis d'Amérique). Il lui est arrivé aussi d'utiliser Skype bien qu'il trouve que ces systèmes peuvent encore être améliorés29. En fait, Toussaint a l'envie d'être un acteur actif par rapport à Internet, c'est pourquoi il crée en 2009 son propre site : www.jptoussaint.com. À l'origine, il met en ligne ses brouillons en accès libre dans le but précis de montrer le plus possible son travail et d'en faire un espace unique : « ---je dirais que mon site est une création à part entière autour du corpus d'un écrivain. »30. Cet espace sur Internet regroupe énormément de matériel concernant

27 Margaret Alwan, « Jean-Philippe Toussaint: "La Chine, emblématique du monde contemporain" », l'Express, publié le 8 mai 2012, consulté [en ligne] le 1er novembre 2017, https://www.lexpress.fr/culture/livre/jean-philippe-toussaint-la-chine-emblematique-du-monde-contemporain 1112101.html

28 Caroline Parlanti, « Frédéric Beigbeder contre la dictature d'internet et du numérique : je dis bravo ! », l'Ohs, publié [en ligne] le 24 août 2012, consulté [en ligne] le 6 juin 2018, http://leplus.nouvelobs.com/contribution/614234-frederic-beigbeder-contre-la-dictature-d-internet-et-du-numerique-je-dis-bravo.html

29 Jean-Philippe Toussaint, « Mettre en ligne ses brouillons », Littérature, n° 178, 2015, pp. 117-126, DOI : 10.3917/litt.178.0117, consulté [en ligne] le 1er janvier 2018, https://www-cairn-info.ezproxy.univ-paris3.fr/revue-litterature-2015-2-page-117.htm

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30 Ibid.

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cet écrivain. Un planisphère apparaît lorsque l'utilisateur y accède, comme nous le montre la figure 1. C'est le monde virtuel de Toussaint avec des manuscrits, des vidéos, sa bibliographie, des articles de journaux et de revues sur ses oeuvres, des projets en ligne, un espace dédié à ses traductions dans 37 pays dans le monde, des études universitaires mais aussi des livres critiques. De plus, il utilise Facebook, où il diffuse des informations sur son actualité presqu'en temps réel, durant la promotion de son livre, Made in China. Toussaint s'inscrit donc dans son époque car en mettant gratuitement sur son site et sur Facebook du matériel mais aussi des informations sur sa carrière artistique, il arrive à toucher son public qui peut le suivre plus facilement qu'un écrivain qui ne s'intéresse pas à ce moyen de diffusion. En fait, il a assimilé ces outils numériques d'une manière totalement naturelle dans son oeuvre littéraire.

Figure 1. La page d'accueil de jptoussaint.com, le site Internet de Jean-Philippe Toussaint, Source : http://www.jptoussaint.com/.

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B. Le projet insolite de Made in China aux prestigieuses Éditions de Minuit

Les Éditions de Minuit publient Made in China, le 14 septembre 2017, en version papier et numérique. L'oeuvre est qualifiée d'ovni littéraire dans la presse du fait de sa réalisation atypique et multiforme31. Ce récit se déroule en Chine, où le narrateur, qui n'est autre que Toussaint lui-même, compte réaliser un film intitulé The Honey Dress. Ce court métrage consiste à faire défiler un mannequin habillé d'une robe de miel. Pour mener à bien ce projet, Toussaint fait appel à Chen Tong, son ami et éditeur chinois. En fait, Made in China est une oeuvre dense dans tous les sens du terme, autant par son volume de 188 pages que par la diversité qu'il recèle du point de vue de l'histoire du tournage du film, de la vision qu'il a de son ami et d'une réflexion sur la création d'un film mais aussi d'un livre. Il est divisé en deux grandes parties : « Chen Tong » et « The Honey Dress » qui forment un tout, le regard d'un écrivain occidental sur la Chine d'aujourd'hui.

a) Thèmes relevant du vécu de Jean-Philippe Toussaint en Chine

Le personnage de Chen Tong occupe une place essentielle dans Made in China. D'ailleurs, Jean-Philippe Toussaint le fait apparaître dans la première phrase de son livre : « Cher Jean-Philippe, est-ce que tu peux me transférer l'horaire de ton vol ? Il faut que je m'organise »32. D'ailleurs, c'est Chen Tong qui l'accueille dès sa sortie d'avion, c'est donc une vision personnelle que l'auteur donne au lecteur de la Chine. Toussaint en profite pour faire une description soignée, sur une quinzaine de lignes, de la manière dont se comporte Chen Tong lors de ses retrouvailles. Il montre aussi au lecteur un personnage qui inspire une sensation de maîtrise entière de soi : « --- il se dégageait de sa personnalité un sentiment d'assurance et de calme. »33. Par la suite, Toussaint utilise un procédé appelé « flashback » où il raconte sa première rencontre avec Chen Tong. Là, s'instaure entre Toussaint et lui une compréhension mutuelle malgré la barrière de la langue. C'est à cette

31 Serge Bresson, « "Made in China" : un Ovni littéraire épatant », Atlantico, publié [en ligne] le 30 octobre 2017, consulté [en ligne] le 10 février 2018, http://www.atlantico.fr/decryptage/made-china-ovni-litteraire-epatant-3209873.html

32 Jean-Philippe Toussaint, Made in China, Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 9.

33 Ibid.

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occasion que le lecteur apprend que cet homme est son éditeur pour la Chine, tout comme pour Robbe-Grillet et qu'il est libraire, artiste, commissaire d'exposition et professeur aux Beaux-Arts. En fait, Jean-Philippe Toussaint livre une information importante pour comprendre Chen Tong, à l'aide d'une anecdote. Il raconte que son éditeur a fait un cadeau à l'ami d'un policier afin de pouvoir tourner le film de Fuir dans une salle de la police : « --- il avait graissé la patte à l'ami d'un commissaire de police, en lui offrant une peinture traditionnelle chinoise de sa composition. »34. En effet, son ami est un homme d'une rare complexité : c'est un artiste reconnu dans son domaine, ce qui est tout à fait singulier pour quelqu'un qui publie en exclusivité pour son pays Alain Robbe-Grillet, un écrivain reconnu des Éditions de Minuit. Ce paradoxe est encore plus étonnant lorsque nous savons qu'en fait Chen Tong peint des toiles du Grand Timonier, Mao Tse Tong, comme le révèle François Bon.35 Toussaint raconte aussi comment Chen Tong lui apprend la mort d'Alain Robbe-Grillet le 18 février 2008, créant un rapprochement entre eux qui relève de l'intime : « --- c'était une bonne chose et belle chose que ce soit Chen Tong qui m'apprenne la mort de Robbe-Grillet, il nous connaissait tous les deux et il aurait sans doute aimé cette scène étrange. »36. Un autre passage de Made in China reflète leur respect réciproque : « Le discours de Chen Tong me touchait profondément, qui me faisait sentir, au-delà des cultures et des langues, ce que pouvait être la réussite d'une collaboration professionnelle, ce que pouvait être l'amitié. »37. L'auteur ne cesse de montrer son éditeur chinois toujours à ses côtés. D'ailleurs, au fil de l'histoire, ponctuée de certaines mésaventures que Chen Tong parvient toujours à régler, le lecteur se rend compte, qu'il est indispensable pour que The Honey Dress voit le jour.

Made in China renferme aussi la chronique du tournage de The Honey Dress. En fait, ce film est déjà mentionné dans Nue (2013), le dernier livre fermant le cycle de Marie. Cette tétralogie romanesque, composée de Faire l'amour (2002), Fuir (2005) et la Vérité sur

34 Ibid. p. 57.

35 François Bon, « Anti-rentrée littéraire #5 | Jean-Philippe Toussaint, comment trouver un cheval en chine », vidéo critique littéraire sur YouTube en ligne depuis le 17 septembre 2017, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, https://www.youtube.com/watch?v=m9BHVGpN_B8

36 Jean-Philippe Toussaint, Made in China, Éditions de Minuit, Paris, 2017, pp. 24-25.

37 Jean-Philippe Toussaint, Made in China, Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 179.

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Marie (2009), est une passionnante histoire d'amour entre une créatrice de mode et le narrateur souvent cantonné dans l'ombre de celle-ci38. L'idée de faire une robe de miel ne date donc pas d'aujourd'hui. En fait, il éprouvait le fantasme de créer une collection de haute couture par le biais de la littérature. Pour lui, une robe, composée en grande partie de miel, donne une image frappante qui interpelle et il en profite pour se pencher tout particulièrement sur ce processus de création39. C'est une des raisons de la publication de Made in China, car l'un des objets du livre est de montrer le déroulement de ce projet dès sa venue en Chine. D'ailleurs, parlant de Chen Tong, Toussaint montre au début de la deuxième partie l'intérêt que son éditeur a du projet : « --- je m'aperçus avec plaisir qu'il était en train de lire le scénario de The Honey Dress. »40.

Ce livre montre également la vision qu'a Toussaint, un écrivain occidental, de la Chine. Tout d'abord, il relate ses premières impressions à la sortie de l'aéroport : « ---- aussitôt je fus assailli par l'odeur de la Chine, cette odeur d'humidité et de poussière, de légumes bouillis et de légère transpiration qui imprègne l'air chaud de la nuit. »41. Le narrateur se remémore aussi des souvenirs de son premier film intitulé Fuir, tourné en Chine, en 2008, comme dans les passages où il décrit un voyage de nuit : « J'ai encore en tête des images d'autoroutes chinoises désertes --- regardant défiler à côté de moi des paysages endormis, qui flottaient dans les vapeurs des lumières jaune orangé des lampadaires --- »42. Toussaint nous parle aussi de ses premiers souvenirs de Guangzhou qui datent de 2001 quand la ville avait encore de nombreux attraits d'une Chine aujourd'hui disparue : « --Guangzhou n'était pas encore une de ces grandes mégalopoles internationales --- mais

38 Jérôme Garcin, « Jean-Philippe Toussaint : "Je suis très connu, mais personne ne le sait..." », l'Obs, mis [en ligne] le 30 août 2013, consulté [en ligne] le 1er janvier 2018, https://bibliobs.nouvelobs.com/rentree-litteraire-2013/20130829.OBS4927/jean-philippe-toussaint-je-suis-tres-connu-mais-personne-ne-le-sait.html

39 Alain Veinstein, « Du jour au lendemain », France Culture, [en ligne] du 21 septembre 2013, consulté [en ligne] le 1er janvier 2018, https://www.franceculture.fr/player/export-reecouter?content=4690060

40 Jean-Philippe Toussaint, Made in China, Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 91.

41 Ibid. p. 10.

42 Ibid. p. 21.

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gardait au contraire un côté encore presque rural --- »43. Toussaint nous renseigne aussi sur la mentalité chinoise, qui diffère radicalement de celle de l'Occident, car dans ce pays, il n'y a pas de but clairement établi lorsqu'il s'agit d'un projet. En effet, Toussaint assimile une nouvelle attitude, expliquée dans Nourrir sa vie (2005) de François Jullien qu'il reprend dans Made in China : « --- le général ne se fixe pas d'objectif particulier, et même à proprement parler n'a pas de visée, mais évolue en exploitant continûment à son profit le « potentiel de situation ». 44. Il se réfère également au livre Les Rouages du Vi Jing (2011) de Cyrille Javary pour expliquer que, pour les Chinois, la chance n'est pas le fruit du hasard, mais le résultat de l'observation perspicace d'une situation donnée afin de pouvoir intervenir d'une manière des plus profitables qui soient45. En fait, Toussaint a comme projet de montrer la Chine contemporaine dans toute sa réalité : « --- ces journées insignifiantes, et pourtant riches d'imprévus, de joies éphémères, d'échecs mineurs, de difficultés dérisoires et d'émotions fugaces. La vie, quoi. »46.

b) Un récit d'une grande complexité

Jean-Philippe Toussaint, lorsqu'il écrit, procède d'une manière particulièrement intéressante. En effet, sous l'aspect d'une apparente simplicité, le processus de création et l'écriture forment un travail de création complexe. Toussaint47 commence par prendre des notes manuscrites sur un carnet qu'il utilise pour la première rédaction sur son ordinateur. Par la suite, il imprime ce texte pour faire encore des modifications à la main sur ces feuilles, et ainsi de suite, pour aboutir à ce qu'il veut. En fait, il y a une similitude avec ce procédé et le contenu de Made In China. Toussaint part d'une idée toute simple, son expérience en Chine, comparable à la simplicité du carnet qu'il a utilisé pour créer

43 Ibid. p. 34.

44 Ibid. p. 22.

45 Ibid. p. 49.

46 Ibid. p. 123.

47 Catherine De Poortere, « La première chose que je n'ai pas voulu faire, c'est écrire. », pointculture, Belgique, publié [en ligne] le 19 décembre 2017, consulté [en ligne] le 2 mai 2018, https://www.pointculture.be/article/focus/la-premiere-chose-que-je-nai-pas-voulu-faire-cest-ecrire/

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une oeuvre complexe. Pour donner une image de ce qu'il fait, d'un simple fil, il arrive à tisser un véritable rhizome, constitué de multiples dimensions, qui interpellent de bien des manières le lecteur. D'ailleurs, ce récit est tellement dense que Toussaint, comme il le dit dans l'émission de Jean-François Cadet48, ne prend pas immédiatement conscience du véritable sujet de son livre. En fait, la littérature et la vie sont au coeur de Made in China comme il le résume au début de son livre : « Le sujet de mon livre, c'est le pouvoir qu'a la littérature d'aimanter du vivant. »49.

Made in China est un livre difficile à définir d'un seul mot, car il regroupe plusieurs genres littéraires et l'auteur y mélange la fiction à la réalité, comme il l'avoue : « --- si on veut que la réalité chatoie, il faut bien la romancer un peu. »50. En effet, Toussaint ne se contente pas de décrire la réalité, il y puise son inspiration pour donner à son livre toute une dimension romanesque. De plus, comme le souligne l'auteur, trois axes principaux s'y dégagent. Le premier est une chronique du tournage d'un film qui est aussi le prologue de Nue (2013). Le deuxième est un portrait de son éditeur et producteur en Chine, Chen Tong, son ami. D'ailleurs, cet homme, véritable caméléon, comme nous l'avons déjà montré, est aussi le fondateur de la librairie Borges à Canton. Le troisième de ces axes est une réflexion plus théorique sur la création d'un livre mais aussi d'un film. Toussaint se penche donc plus sur la question du hasard, et plus exactement, sur sa place lors du processus de création d'une oeuvre qu'elle soit littéraire ou cinématographique. Il acquiert un état d'esprit différent de la culture occidentale, en s'inspirant d'une certaine pensée chinoise, qui est fondée sur l'idée de savoir prendre des décisions au bon moment, sans avoir planifié au préalable tous les tenants et aboutissants d'un projet. En fait, Toussaint

48 Jean-François Cadet, « Jean-Philippe Toussaint, made in China », Vous m'en direz des nouvelles!, RFI, du 23 octobre 2017, consulté [en ligne] le 30 décembre 2017, http://www.rfi.fr/emission/20171023-jean-philippe-toussaint?ref=fb

49 Jean-Philippe Toussaint, Made in China, Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 76.

50 Jean-Philippe Toussaint, Made in China, Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 10.

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en conclut que la somme des hasards qui ont eu lieu lors de la création d'une oeuvre est marquée par une fatalité supérieure qui a permis l'achèvement de ce projet51.

Toussaint s'appuie notamment sur un certain nombre de « flashback » pour constituer un temps romanesque et donner de cette manière plus d'épaisseur au personnage de Chen Tong. Le récit de Toussaint contient un paradoxe insolite, digne d'un personnage de Flaubert. Chen Tong, peintre chinois des plus classiques selon les critères de la Chine communiste, est dans le même temps l'éditeur de Robbe-Grillet et du maître de l'absurde, Samuel Beckett. En fait, Toussaint prend des personnes bien réelles pour en faire des personnages à portée romanesque sous l'apparente réalité d'un narrateur qui n'est autre que Toussaint lui-même, dans le cadre d'une sorte d'autobiographie. Son but est que le lecteur s'approprie les personnages, car de cette manière, il peut continuer à compléter l'histoire dans son imaginaire. D'ailleurs, selon lui, Flaubert était déjà, d'une certaine manière, dans cette voie52.

Jean-Philippe Toussaint utilise aussi différents moyens de narration pour donner un aspect encore plus véridique à son livre et crée une relation de l'ordre de l'intimité entre lui et le lecteur. En fait, il mêle, dans certains passages, le temps de narration et le temps d'écriture, ce qui provoque, chez le lecteur, l'illusion d'être présent lors d'un instant de la création du livre. En effet, l'auteur recourt à la métalepse, qui est un procédé métafictif, pour faire passer le lecteur de l'univers de l'histoire du livre qui se déroule en Chine à celui d'un écrivain, gêné par des bruits extérieurs, lorsqu'il est en train d'écrire Made in China en Corse : « Et soudain j'entendis un bruit de motos derrière moi dans la salle à manger du Peach Blossom, c'était le son d'au moins une dizaine de Harley-Davidson, qui faisaient trembler sur elles-mêmes les vitres du restaurant, au point de jeter un trouble sur la réalité que j'avais sous les yeux. À mesure que je continuais d'entendre ces bruits de

51 Laure Adler, « Vagabondages avec Jean-Philippe Toussaint », Émission radio de France Inter du 8 décembre 2017, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, https://www.franceinter.fr/emissions/l-heure-bleue/l-heure-bleue-08-decembre-2017

52 Thierry Roger, « Entretien avec Jean Philippe Toussaint, Flaubert vu par les écrivains contemporains », vidéo [en ligne] en date du 18 avril 2015, consulté [en ligne] le 2 novembre 2017 sur le site de l'Université de Rouen Normandie, https://webtv.univ-rouen.fr/videos/entretien-avec-jean-philippe-toussaint/

moteur, avec ratés et succession de pétarades qui n'avaient rien à faire ici, je sentais l'ordre du réel vaciller autour de moi. Plus encore que mon oreille, c'était l'intérieur même de mon cerveau que ces bruits atteignaient, comme s'ils étaient parvenus à s'introduire dans mon imagination, là-même où s'élabore le fragile processus de création à l'oeuvre dans l'écriture, quand, quel que soit l'endroit on se trouve physiquement, en Corse ou à Ostende, --- »53. En fait, Toussaint montre par ce biais les coulisses de la création de son livre, où il laisse une grande place au hasard en l'incorporant directement dans le récit, car il n'avait pas prévu à l'origine la scène de la pétarade des Harley-Davidson. L'auteur introduit donc un véritable vertige du présent où le lecteur est propulsé du passé, c'est-à-dire des souvenirs de Toussaint, à l'instant présent, où le lecteur se rend compte qu'il est sorti du récit originel pour se retrouver au moment de son écriture. Toussaint analyse ce procédé narratif dans un entretien avec Laure Adler en donnant l'exemple d'une scène d'un des films de Woody Allen, La Rose pourpre du Caire (1985), où un personnage d'un film en noir et blanc sort de l'écran pour rejoindre, dans la salle de projection, une femme amoureuse de lui.54

c) L'essai d'un livre numérique dans une maison d'édition de renom

Made in China est tout à fait hors norme dans le paysage de l'édition littéraire française destinée au grand public. En effet, c'est la première fois dans toute l'histoire des Éditions de Minuit qu'il y a, dans son catalogue, un livre numérique augmenté, dans le cas du récit de Toussaint, une oeuvre multimédia. Pourtant, nous pouvons constater que sur le site Internet des Éditions de Minuit55 où se trouve Made in China, il n'y aucune information concernant le film The Honey Dress que l'on voit dans livre numérique. L'utilisateur a la possibilité de lire un résumé de l'histoire et de feuilleter des extraits, mais pas la dernière page du livre où il y a cette vidéo. D'ailleurs, ce livre est tellement particulier, que cette maison d'édition a créé, pour l'occasion, une nouvelle catégorie intitulée « Récits » au

53 Jean-Philippe Toussaint, Made in China, Éditions de Minuit, Paris, 2017, pp. 70-71.

54 Jean-François Cadet, « Jean-Philippe Toussaint, made in China », Vous m'en direz des nouvelles !, RFI, du 23 octobre 2017, consulté [en ligne] le 30 décembre 2017, http://www.rfi.fr/emission/20171023-jean-philippe-toussaint?ref=fb

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55 Site Internet des Éditions de Minuit, http://www.leseditionsdeminuit.fr/index.php

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pluriel, alors qu'elle ne comporte qu'un seul titre pour l'instant, celui de Made in China, comme nous pouvons le voir dans la figure 2 :

Figure 2. La catégorie « Récits » sur le site Internet des Éditions de Minuit où figure

Made in China. Source : http://www.leseditionsdeminuit.fr/collection-
R%C3%A9cits-69-titre-DESC-x-1.html

Les Éditions de Minuit renvoient les personnes voulant acheter la version numérique de ce livre, vers Eden Livres56, un autre site Internet. En fait, cette plateforme de distribution de livres numériques a été créée en 2009 par trois groupes d'édition français. En effet, Actes Sud, La Martinière Groupe et Madrigail détiennent cet espace qui a distribué 2 millions de livres numériques pour l'année 2015 et 82 000 autres jusqu'au 31 mai 2016. Eden Livres regroupe 18 diffuseurs, 422 marques éditoriales et plus de 400 libraires connectés aux services de distribution de ce site Internet. Made in China y apparaît dans une catégorie « Romans et nouvelles » où la spécificité numérique du livre de Toussaint n'est signalée d'aucune manière. Tout comme sur le site des Éditions de Minuit, Eden Livres offre aux utilisateurs un résumé et des extraits, sans pour autant indiquer qu'il y a une vidéo. Par contre, il y a la possibilité de consulter une table des matières du livre. Made in China se trouve dans cette rubrique qui compte 20 629 livres achetables en ligne.

56 Éden Livres, Site d'une plateforme de distribution de livres numériques et la page sur les nouveautés littéraires, consulté [en ligne] le 3 novembre 2017, https://vitrine.edenlivres.fr/home

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D'ailleurs, le lecteur n'est jamais informé si, dans les livres numériques mis en vente sur ce site, il y a des particularités numériques comme de la musique, des liens ou bien encore des vidéos. Cela montre que pour les éditeurs, notamment Les Éditions de Minuit, l'aspect purement numérique d'un livre n'est pas ce qui importe le plus. En effet, ils sont toujours dans une conception classique du livre, comme dans le cas de Made in China. D'ailleurs, il suffit de voir la fin de la mise en page de Made in China pour constater qu'il y a une sorte de frontière entre le texte et la vidéo. Jean-Philippe Toussaint nous livre sa pensée par rapport à la structure de Made in China dans une vidéo réalisée par La Coudée Revue57 où il fait remarquer qu'il n'a pas conduit ce projet dans le but de former un tout. En fait, il affirme que son film The Honey Dress prolonge le récit de Made in China, tout en précisant qu'il s'agit de deux oeuvres distinctes. La séparation des deux oeuvres est mise en avant avec la dernière phrase du livre : « C'est le début du film, et c'est la fin du livre. », comme le montre la figure 3 :

Figure 3. La fin de la version numérique de Made in China sur Readium.

Cette idée de créer une oeuvre hybride reposant sur le fantasme de mettre dans un livre de la musique prouve, en définitive, que Toussaint a encore l'envie d'explorer de nouveaux univers. En fait, grâce à la fin ouverte de The Honey Dress, Toussaint crée un

57 La Coudée Revue, « Discussion accoudée #03 avec Jean-Philippe Toussaint pour Made in China », vidéo de la revue « La coudée », disponible sur YouTube, publié [en ligne] le 24 novembre 2017, consulté [en ligne] le 18 janvier 2018, https://www.youtube.com/watch?v=G8dq_gCW2Sk

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prolongement à la fois dans et hors de Made in China, qui pose la question de la place de la musique dans un livre58, mais toujours dans une démarche littéraire, comme il le souligne dans un entretien avec Giovanna di Rosario59. D'ailleurs, Toussaint révèle dans Made in China à quel moment de sa vie, il a voulu, pour la première fois, mettre de la musique dans un roman. Malheureusement à l'époque, cela n'était pas possible pour des raisons techniques : « Je me souviens que j'avais voulu introduire un jour de la musique dans un de mes livres, lorsque le narrateur et Marie, dans Fuir, se retrouvent dans une petite crique isolée de l'île d'Elbe et qu'ils se mettent à danser lentement. J'aurais voulu que de la musique surgisse à ce moment-là entre les pages du livre, doucement, en arrière-plan, qu'elle s'exhale de la page et qu'elle remonte, qu'elle enrobe l'atmosphère, sans que l'on sache très bien d'où elle venait --- me souviens alors d'avoir regretté le cadre limité auquel le livre est toujours contraint, muré en lui-même, comme une boîte hermétiquement close, dont il est impossible de s'extraire, malgré la tentation que j'ai toujours eue de franchir les frontières du livre et de sortir physiquement de ses limites. »60.

C. La vie de Made in China depuis sa sortie : chiffres clés, promotion et réactions

La sortie de Made in China fait partie de la rentrée littéraire 2017 et figure parmi les 581 romans qui paraissent entre la mi-août et la fin octobre de la même année61. Le public a pu découvrir le livre de Toussaint à partir du 14 septembre 2017 en librairie, mais aussi en l'achetant en ligne, dans sa version numérique. Depuis lors, comme nous allons le voir,

58 Les rencontres de la Galerne librairie, « Jean-Philippe Toussaint », Librairie La Galerne - Le Havre, Vidéo sur YouTube mise [en ligne] le 26 septembre 2017, consulté [en ligne] le 3 janvier 2018, https://www.youtube.com/watch?time_continue=4&v=gxPnGRrTCQI

59 Jean-Claude Vantroyen, « La Littérature numérique doit créer de nouvelles formes », Le Soir, Bruxelles, publié le 31 octobre et 1er novembre 2017, consulté [en ligne] le 30 janvier 2018, https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir_LectureNumerique02.pdf https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir LectureNumerique01.pdf

60 Jean-Philippe Toussaint, Made in China, Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 186.

61 Laurence Houot, « Rentrée littéraire 2017, s'y retrouver dans les 581 romans programmés », France info, publié [en ligne] le 30 juin 2017, consulté [en ligne] le 3 janvier 2018, https://culturebox.francetvinfo.fr/livres/romans/rentree-litteraire-2017-s-y-retrouver-dans-les-581-romans-programmes-258691

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son histoire à proprement dite regroupe plusieurs aspects, c'est-à-dire ses ventes, sa promotion et l'avis d'un certain nombre de critiques.

a) Chiffres clés de Made in China depuis sa première publication

L'histoire de Made in China, à de nombreux égards, commence par un pli que Jean-Philippe Toussaint a adressé aux Éditions de Minuit. D'ailleurs, l'auteur a fourni une photographie de son manuscrit sous enveloppe prêt à être envoyé dans sa maison d'édition, qui immortalise ce moment. De plus, grâce au journal numérique de Made in China, publié sur Facebook du 14 septembre jusqu'au 7 octobre 2017, nous avons pu voir la photographie des premiers exemplaires imprimés par la société Normandie Impression à Alençon pour le compte des Éditions de Minuit. D'ailleurs, la figure 4 montre ces deux photographies :

Figure 4. À gauche, une photographie du manuscrit de Made in China déjà sous enveloppe adressé à Irène Lindon et à droite, les tous premiers exemplaires de Made in China Source : Jean-Philippe Toussaint a envoyé ces deux documents, en pièces jointes par Courriel le 20 mars 2018.

Le nombre de livres imprimés au format papier de Made in China, de sa sortie jusqu'au 14 janvier 2018, s'élève à 10 350 exemplaires pour la première édition et à 5 229 exemplaires pour sa réimpression, selon Emmanuel Barthélemy (voir annexe 6), responsable aux Éditions de Minuit du numérique. Cela a été un succès pour Les Éditions de Minuit, puisque celle-ci a pris la décision de procéder à une réimpression. Selon toute

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vraisemblance, la première édition a dû être complètement vendue. En fait, en l'espace de cinq mois, Made in China a été imprimé, au total en 15 579 exemplaires. Ces chiffres montrent que le livre de Jean-Philippe Toussaint a connu un certain succès, comme le rapport sur les chiffres clés du secteur du livre en 2016 et 2017 de l'Observatoire de l'économie du livre le montre. En fait, la production du livre dans le marché éditorial français était en 2016 de 77 986 titres et, en 2017, de 81 263 titres, le tirage moyen d'un livre, tous secteurs confondus étant en 2016 de 5 341 exemplaires62. D'ailleurs, selon Barthélemy, Les Éditions de Minuit avaient déjà facturé à ses clients au mois de janvier 2018, pour plus de 10 295 exemplaires ce qui prouve que par rapport à la moyenne nationale, les chiffres de Made in China étaient plus que satisfaisants, tout en sachant que sa sortie ne remontait qu'à quelques mois. De plus, il est à noter que le coût d'impression pour un seul exemplaire de Made in China représente, en fait, autour de 2 euros et qu'il est vendu, par Les Éditions de Minuit, au prix de 15 euros pour sa version papier et à 10,99 euros pour sa version numérique (voir annexe 6).

b) La promotion du livre par Jean-Philippe Toussaint ainsi que des regards d'écrivains sur son oeuvre

Jean-Philippe Toussaint a présenté Made in China dans divers lieux qui concernent avant tout des librairies de par la France lors de sa sortie le 14 septembre 2017. C'est en fait un parti pris, car chez lui la littérature prédomine par rapport au numérique. Il a commencé la promotion le 20 septembre 2017 à 18h30 par la librairie de Paris, qui se situe Place de Clichy. La Galerne, une librairie du Havre, l'accueille le 26 septembre de la même année. Jean-Philippe Toussaint s'y prête à une interview d'environ 13 minutes63. La liste complète des librairies où il s'est rendu figure en annexe 1. Il a reçu des messages d'écrivains qui sont consultables sur son site Internet, www.jptoussaint.com. En effet,

62 Observatoire de l'économie du livre, Économie du livre - Secteur du livre : chiffres 2016- 2017, Synthèse établie par l'Observatoire de l'économie du livre, Direction générale des médias et des industries culturelles, mis [en ligne] en mars 2018, consulté [en ligne] le 4 avril 2018, http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/68055-chiffres-cles-du-secteur-du-livre-2016-2017.pdf

63 Les rencontres de la Galerne librairie, « Jean-Philippe Toussaint », Librairie La Galerne - Le Havre, Vidéo sur YouTube mise [en ligne] le 26 septembre 2017, consulté [en ligne] le 3 janvier 2018, https://www.youtube.com/watch?time_continue=4&v=gxPnGRrTCQI

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neuf confrères le complimentent au sujet de Made in China. La plupart n'ont fait aucune allusion à la portée numérique de l'oeuvre comme le montre l'annexe 2. En fait, un courrier, celui de William Marx se distingue des autres critiques, car il fait part à Toussaint d'une mésaventure survenue lors de la lecture sur une tablette de Made in China, qu'il qualifie de « délice labyrinthique ». En fait, la vidéo ne s'est pas déclenchée et pour y remédier, il a dû utiliser son ordinateur64. Christine Montalbetti, une femme de lettres, donne aussi une note nouvelle dans sa critique du livre de Toussaint, car elle a une approche plus cinématographique en se référant à la scène des bruits des Harley Davidson, qu'elle compare à un trucage de cinéma65. Patrick Varetz se penche sur Made in China dans une critique qu'il a publiée dans la presse, où il reprend le rapprochement entre ce livre et le poème de Mallarmé « Un coup de dés jamais n'abolira le hasard » déjà mentionné par Pierre Michon dans un courrier électronique adressé à Jean-Philippe Toussaint, où il écrit qu'il avait carrément « avalé Made in China avec bonheur »66. François Bon intervient d'une manière différente pour exprimer son avis sur le livre de Toussaint. Il diffuse par le biais de YouTube une vidéo de 22 minutes et 30 secondes où il aborde l'ensemble des facettes de Made in China. D'ailleurs, il nous donne un complément d'informations sur Chen Tong que Toussaint avait omis, sans doute en toute conscience, dans son livre. En effet, il nous apprend que cet éditeur chinois peint des portraits de Mao Zedong67. Il parle aussi de la dimension numérique et multimédia de Made in China, en se référant à la vidéo qui se déclenche automatiquement. Par contre, il pense que d'utiliser ce moyen de diffusion n'est plus d'actualité. Il affirme aussi que cette version numérique prend énormément de place dans l'espace de stockage d'un ordinateur

64 William Marx, Made in China, courrier électronique envoyé le 30 juin 2017, publié sur le site www.jptoussaint.com. Consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, http://www.jptoussaint.com/documents/a/af/William Marx.pdf

65 Christine Montalbetti, Made in China, courrier électronique envoyé le 9 décembre 2017, publié sur le site www.jptoussaint.com. Consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, http://www.jptoussaint.com/documents/0/0b/Christine Montalbetti.pdf

66 Patrick Varetz, « Jean-Philippe Toussaint par Patrick Varetz: Un coup de dés jamais n'abolira le Yi Jing (Made in China) », Diacritik -- Le magazine qui met l'accent sur la culture, publié [en ligne] le 3 octobre 2017, consulté [en ligne] le 2 novembre 2017, https://diacritik.com/2017/10/03/jean-philippe-toussaint-par-patrick-varetz-un-coup-de-des-jamais-nabolira-le-yi-jing-made-in-china/

67 François Bon, Jean-Philippe Toussaint, comment trouver un cheval en chine, anti-rentrée littéraire #5, YouTube, publié [en ligne] le 19 septembre 2017. Consulté [en ligne] le 21 janvier 2018, https://www.youtube.com/watch?v=m9BHVGpN_B8

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ou d'une tablette. De plus, Bon déclare qu'il ne comprend pas « l'emploi de cette solution mitigée »68. Il soumet l'idée qu'il aurait fallu plutôt mettre un QR-code dans le livre papier. En effet, de cette manière, le lecteur aurait pu, en utilisant ce code, regarder le film à l'aide d'une tablette, d'un Smartphone ou bien encore d'un ordinateur. Il pense aussi que le lecteur n'attendra pas d'avoir lu complètement Made in China pour voir le film, s'il sait qu'il existe.69 D'ailleurs, cette vidéo de François Bon a été vue à la date du 19 mai 2018 par 649 personnes, dont 20 ont actionné l'icône « aimer » qui permet de laisser son impression sur la vidéo alors que personne n'a actionné l'icône « pas aimé ». De plus, il y a huit commentaires positifs qui figurent dans YouTube sur cette vidéo. Une autre booktubeuse se distingue par son point de vue puisque cette vidéo, consultable sur YouTube, conseille de découvrir Made in China avec sa version numérique, qui donne, selon Elsa, une dimension supplémentaire au texte.70

c) Expositions et critiques dans les médias ainsi que répercussions sur les réseaux sociaux

Made in China a bénéficié d'une couverture promotionnelle en France et hors de ses frontières dans divers médias comme la presse écrite mais aussi des émissions radiophoniques qui ont pour la grande majorité très bien accueilli Made in China. Pourtant, elles ne portent la plupart part du temps que sur des critiques littéraires en ne faisant aucune allusion à sa portée numérique comme le montrent les annexes 3 et 4. Malgré tout, dans quelques rares articles comme dans le mensuel d'information In Corsica, un journal local, le numérique est traité dans un texte suivi d'un entretien avec l'auteur : « C'est là, sans doute, que réside la spécificité numérique de Made in China: moins dans l'expérience de lecture qui embraye sur un visionnage de film, que dans la façon dont nous assistons, nous lecteurs, à la révolution numérique qui est en train de

68 Ibid.

69 Ibid.

70 Elsa, 33. « Made in China - Jean-Philippe Toussaint », Elsa et Fred à la page, critique publié [en ligne] sur YouTube le 15 octobre 2017, consultée [en ligne] le 1er mai 2018, https://www.youtube.com/watch?time_continue=5&v=ZHsewA3pmZQ

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s'opérer dans la tête des écrivains - du moins quelques-uns. »71. De plus, le 19 décembre 2017 paru un article et un entretien de Toussaint sur le site Internet de Pointculture, l'ex Médiathèque et l'ex Discothèque Nationale de Belgique. Il y aborde le sujet du livre augmenté, en l'occurrence, enrichi de musique. En effet, Toussaint explique qu'il a une position d'observateur et que son but n'est pas de révolutionner la littérature mais faire une réflexion littéraire autour de l'ajout d'une vidéo dans le corps même d'un livre. D'ailleurs, il rappelle qu'il y a plus d'une dizaine d'années, les gens imaginaient que l'arrivée du numérique révolutionnerait le monde littéraire alors que pour l'instant en tout cas, cela relève de l'expérimentation dans un cadre tout à fait marginal72. ». Le quotidien La Libre Belgique publie un entretien de Jean-Philippe Toussaint pour son nouveau livre, suivi d'un texte, « Le bonus numérique », où le journaliste explique que si le lecteur acquiert la version numérique de Made in China, il y découvrira une première technologique, c'est-à-dire une vidéo et du son qui font partie intégrante du livre73. De plus, le journal Le Soir consacre une double page à un débat entre Jean-Philippe Toussaint et Giovanna di Rosario, une chercheuse spécialisée dans les humanités numériques, la littérature et la rhétorique numérique. Toussaint parle de la particularité de Made in China, qui réside dans l'ajout d'une vidéo dont l'effet voulu est de se déclencher automatiquement lors de la lecture du livre à l'aide d'une tablette ou d'un écran d'ordinateur. Le débat éclaire le point de vue de Toussaint sur l'impact du numérique dans la littérature. En effet, il pense que les écrivains ne s'y intéressent pas et qu'il faut attendre encore une ou deux générations. D'ailleurs, selon lui, le livre papier a encore de

71 Isabelle Dominati-Muller, « Made in China », In Corsica, numéro 29, octobre 2017, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,

http://www.jptoussaint.com/documents/8/81/In Corsica Toussaint .pdf

72 Catherine De Poortere, « La première chose que je n'ai pas voulu faire, c'est écrire. », pointculture, Belgique, publié [en ligne] le 19 décembre 2017, consulté [en ligne] le 2 mai 2018, https://www.pointculture.be/article/focus/la-premiere-chose-que-je-nai-pas-voulu-faire-cest-ecrire/

73 Guy Duplat, « Jean-Philippe Toussaint : le roman, la fatalité et le fortuit », La Libre Belgique, Bruxelles, publié le 14 septembre 2017, consulté [en ligne] le 4 janvier 2018, http://www.jptoussaint.com/documents/e/eb/MadeinChina-LibreBelgique.pdf

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beaux jours74. Un autre article sur ce livre apparaît aussi dans le journal Le Soir, qui reprend le thème du hasard, comme nous l'avons déjà vu75. Jean-Philippe Toussaint rencontre aussi, à Paris, William Irigoyen, un journaliste de L'Orient littéraire, un mensuel libanais en langue française, qui le questionne sur son livre. D'ailleurs, l'auteur en profite pour parler d'une des singularités de Made in China qui le fait sortir littéralement des frontières habituelles d'un livre avec les nouvelles pratiques numériques : « Faire entrer de l'air mais aussi de l'eau et tant d'autres choses. Ce mélange entre les deux mondes m'intéresse. Lui seul peut donner de la respiration à un livre. »76.

Jean-Philippe Toussaint utilise Facebook, et aussi en partie Twitter, pour publier son journal de la sortie de Made in China, qui couvre la période du 14 septembre jusqu'au 7 octobre 2017. On y trouve des informations supplémentaires sur son univers et Made in China. Ce journal comprend 25 publications, à titre d'exemple la figure 5 d'un tableau où apparaît Chen Tong, comme prise à l'aide d'un appareil photo dans une position d'attente au beau milieu d'une couleur bleue particulièrement vivace.

74 Jean-Claude Vantroyen, « La Littérature numérique doit créer de nouvelles formes », Le Soir, Bruxelles, publié le 31 octobre et 1er novembre 2017, consulté [en ligne] le 30 janvier 2018, https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir_LectureNumerique02.pdf https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir LectureNumerique01.pdf

75 Jean-Claude Vantroyen, « Le hasard et la fatalité », Le Soir, Bruxelles, publié le 25 septembre 2017, consulté [en ligne] le 5 janvier 2018.

http://www.jptoussaint.com/documents/2/21/MadeinCHina-Presse-Le Soir .pdf

76 William Irigoyen, « Jean-Philippe Toussaint dans le bain de l'imprévu », L'Orient littéraire, supplément mensuel de L'Orient LE JOUR, publié [en ligne] en octobre 2017, consulté [en ligne] le 1er janvier 2018.

http://www.lorientlitteraire.com/article_details.php?cid=6&nid=7004

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Figure 5. 16ème publication du journal de la sortie de Made in China "Chen Tong guettant l'émergence de la littérature française contemporaine" (c) J-P Toussaint, 2001 provenant de Twitter, source : https://twitter.com/wwwjptoussaint/status/913671375986012160

Il est à noter que nous avons trouvé très peu de critiques négatives sur Made in China. Il y a un article sur le site Internet de l'Express, en date du 1er octobre 2017, qui a retenu toute notre attention, car il oppose deux critiques qui n'ont pas le même avis. En effet, Baptiste Liger a trouvé beaucoup de plaisir dans la lecture de Made in China et il y voit aussi une réflexion intéressante sur la littérature, alors que pour son confrère Eric Libiot, Made in China est beaucoup trop brouillon et vire à la théorie simpliste : « Tout ça pour ça... Ce n'est pas du Lelouch, mais presque. »77. Par ailleurs, nous avons trouvé une critique particulièrement négative écrite par Astrid de Larminat du Figaroscope, qui affirme que Toussaint ne réussit vraiment pas à écrire un livre sur rien comme le rêvait Flaubert. Elle ajoute que son style ne parvient pas à créer une certaine magie qui pourrait transporter le lecteur78. Il y a aussi sur Shangols, un blog d'un amateur de littérature qui

77 Baptiste Liger et Eric Libiot, « "Made in China", par Jean-Philippe Toussaint: le pour et le contre de la rédaction », L'Express, France, publié [en ligne] le 1er octobre 2017, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, https://www.lexpress.fr/culture/livre/made-in-china-par-jean-philippe-toussaint-le-pour-et-le-contre-de-la-redaction_1947575.html

78 Astrid de Larminat, « La critique de la rédaction », Figaroscope, France, consulté [en ligne] le 3 janvier 2018, http://evene.lefigaro.fr/livres/livre/jean-philippe-toussaint-made-in-china-5094219.php

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donne un avis assez critique sur Made in China. En effet, celui-ci pense que Toussaint ne parvient pas à toucher le lecteur et que le livre manque « un peu de saveur tant au niveau du style que de la profondeur de l'analyse. »79. Pour finir, sur un autre blog amateur, Cannibales Lecteurs, quelques lignes intitulées Contrefaçon présentent le livre en montrant peu d'entrain pour le récit : « ---pas le résumé le plus excitant du monde--- »80. Il y a aussi des librairies indépendantes qui publient des avis sur Made in China, comme la Librairie Au Temps Lire située dans la métropole de Lille et qui, sur son site Internet, parle d'un livre « étonnant » dans sa rubrique Je veux un conseil...81. Ombres Blanches, une librairie de Toulouse, va dans le même sens dans un article critique sur son site Internet en constatant que Jean-Philippe Toussaint montre tous les possibles, tous les potentiels dans un récit qui se déroule en Chine et s'inscrit dans la même veine que ses précédents livres82. La Fnac propose sur son site Internet Made in China et donne également aux utilisateurs la possibilité de partager son opinion sur le livre. On y trouve deux avis de particuliers et une note globale de deux étoiles sur cinq83. Quant à Amazon, on y trouve aussi deux avis de particuliers qui attribuent deux étoiles sur cinq, avec des

79 Shangols, « Livre : Made in China de Jean-Philippe Toussaint - 2017 », Shangols, publié [en ligne] le 3 octobre 2017, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, http://shangols.canalblog.com/archives/2017/10/03/35734474.html

80 Clarice Darling (Pseudonyme) et Bookfalo Kill (Pseudonyme), « A première vue : la rentrée Minuit 2017 », Cannibales Lecteurs, publié [en ligne] le 15 juillet 2017, consulté [en ligne] le 3 janvier 2018, https://cannibaleslecteurs.com/2017/07/15/a-premiere-vue-la-rentree-minuit-2017/

81 Rémy, Made in China de Jean-Philippe Toussaint aux Editions de Minuit, Article sur le site Internet de Au Temps Lire Libraires de caractère, publié [en ligne] le 13 septembre 2017. Consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, https://autempslire.com/2017/09/made-in-china-de-jean-philippe-toussaint-aux-editions-de-minuit/

82 Thomas, « Continuum. », Ombres Blanches, publié [en ligne] au mois de septembre 2017, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, https://www.ombres-blanches.fr/les-rencontres/rencontre/event/jean-philippe-toussaint/made-in-china/9782707343796////livre///9782707343796.html

83 FNAC, Site d'une une chaîne de magasins française spécialisée dans la distribution de produits culturels et la page où figure Made in China, mis [en ligne] le 14 septembre 2017, consulté [en ligne] le 27 septembre 2017, https://livre.fnac.com/a10637668/Jean-Philippe-Toussaint-Made-in-China?omnsearchpos=1

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titres évocateurs pour leurs commentaires : « MADE IN ENNUI » et « Décevant... »84. Un site Internet, Babelio, regroupant une communauté de lecteurs85, affiche une note de 3.24 sur 5. Six lecteurs y ont laissé un commentaire sur le livre. En fait, leurs avis divergent considérablement, car l'on y trouve des admirateurs du style de Jean-Philippe Toussaint et d'autres qui l'apprécient moins. D'une façon générale, les commentateurs ont pris soin d'écrire des analyses assez détaillées en motivant leurs points de vue. Il semble que Made in China continue à susciter l'intérêt, même huit mois après sa parution, car Alexandre Hertich, un professeur adjoint de l'université américaine de Bradley contribue à cette discussion, cette fois scientifique, en donnant une présentation sur Made in China dans un colloque international le 17 mai 2018. Cet événement est organisé par le Laboratoire interdisciplinaire de recherches en sciences de l'action (Lirsa) et les équipes pédagogiques nationales Stratégies et Innovation en Belgique et son thème est « La réalité de la fiction, ou des relations entre fiction, narration, discours et récit ».86

84 Amazon, Site d'une entreprise de commerce électronique et la page où l'on peut acter [en ligne] Made in China, mis [en ligne] le 14 septembre 2017, consulté [en ligne] le 15 septembre 2017, https://www.amazon.fr/MADE-CHINA-Jean-Philippe-Toussaint/dp/270734379X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1517071935&sr=8-1&keywords=%22Made+in+China%22

85 Babelio, Site communautaire de lecteurs et la chaîne de discussion sur Made In China, mis [en ligne] le 17 octobre 2017, consulté [en ligne] le 2 mai 2018, https://www.babelio.com/livres/Toussaint-Made-in-China/965790/critiques

86 Colloque international : « La réalité de la fiction, ou des relations entre fiction, narration, discours et récit », organisé par le Laboratoire interdisciplinaire de recherches en sciences de l'action (Lirsa) et les équipes pédagogiques nationales Stratégies et Innovation, le 17 mai 2018 en Belgique, consulté [en ligne] le 19 mai 2018, http://culture.cnam.fr/mai/la-realite-de-la-fiction-ou-des-relations-entre-fiction-narration-discours-et-recit-990072.kjsp

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II Une oeuvre multimédia - comment faire sortir le lecteur des limites du livre ?

Jean-Philippe Toussaint a depuis de nombreuses années eu envie de mettre de la musique dans un livre. Avec Made in China, il a accompli son rêve, voir même plus, puisqu'il a réussi à y mettre carrément un de ses films. C'est pourquoi nous sommes amenés à voir les effets que cette vidéo induit sur la lecture. En effet, l'ajout du multimédia au coeur même du livre apporte une toute autre vision que la simple lecture d'un codex, comme nous allons le voir. L'un des thèmes principaux de Made in China est de montrer tout le cheminement de la création artistique d'un film jusqu'au moment où le lecteur est amené à le visionner à la fin du texte, ce qui nous conduira à montrer que ce procédé, d'un point de vue théorique, n'est pas nouveau en littérature et de voir qu'il relève donc d'une certaine filiation. Enfin, le choix offert des supports dont disposent les lecteurs pour découvrir Made in China, c'est-à-dire, la tablette, l'ordinateur ou bien encore le livre papier, pose aussi la question de sa réalisation et de certains problèmes d'ordre technique qui s'y sont liés.

A. Les effets du multimédia sur la lecture

Le film The Honey Dress fait partie intégrante de Made in China, car il figure dans l'oeuvre littéraire de Jean-Philippe Toussaint. C'est pourquoi avant d'aller plus en avant, il faut définir, d'un point de vue théorique, ce qu'est la notion de multimédia en général, et plus particulièrement dans la littérature à l'heure actuelle. Made in China de Toussaint est aussi novateur pour un livre publié aux Éditions de Minuit. En effet, malgré ce cadre éditorial d'une maison d'édition des plus reconnues dans le monde littéraire, Jean-Philippe Toussaint a réussi à imposer ce modèle. D'ailleurs, il met de la musique dans son film ce qui rompt aussi avec l'idée que le silence est indissociable d'un livre. De plus, nous verrons de quelle manière ce film entretient un certain paradoxe avec Made in China.

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a) Définition du multimédia

Si nous nous référons à un dictionnaire pour grand public, comme Le Nouveau Petit Robert de l'édition de 2008, le terme multimédia est défini de la façon suivante. Comme nous pouvons le constater, la deuxième définition correspond, dans les grandes lignes, à l'oeuvre multimédia qu'est Made in China :

MULTIMÉDIA [myltimedja] adj. et n.m. - 1980 de multi- et média
·1 Qui concerne plusieurs médias ; diffusé par plusieurs médias. Campagne publicitaire multimédia.
·2 n. m. Technologie intégrant sur un même support des données numérisées de différentes natures [son, texte, images fixes et animées] consultables de manière interactive. - adj. Des encyclopédies multimédias. Message multimédia : recomm. Offic. pour remplacer l'anglic. MMS87.

En fait, la notion de multimédia est très diversifiée et fluctuante d'un point de vue à l'autre, lorsque nous nous attardons sur les diverses définitions possibles. Pourtant, l'une d'entre elles est particulièrement intéressante, bien quelle date du milieu des années 60. En effet, Dick Higgins, qui produit un certain nombre d'oeuvres visuelles en associant des projections de diapositives, films, sons, musiques, textes, etc. et la présence humaine avec des performances diverses, publie en 1966 un essai qui fait date, intitulé Statement on Intermedia. Il y distingue deux notions fondamentales appartenant au multimédia appelé à l'époque « multi médias », qu'il nomme « intermedia » et « mixed media ». C'est ce dernier terme qui a retenu toute notre attention, car il le définit comme un travail, une création où il y a des éléments musicaux et textuels que l'on peut facilement distinguer l'un de l'autre. D'ailleurs, il précise que la même distinction s'applique à des éléments visuels et textuels88. Cela veut donc dire qu'une oeuvre « mixed media » est forcément composée d'éléments relevant de plusieurs médias différents dont chacun peut être identifié comme tel. À notre avis, l'oeuvre de Jean-Philippe Toussaint s'inscrit parfaitement dans la définition que donne Higgins par rapport à ce qu'il nomme « mixed media ». En effet, Made in China, dans sa version numérique, nécessite toujours un écran où il y a côte à côte le récit sous une forme textuelle et le film The Honey Dress sous un

87 Le Nouveau Petit Robert de la langue française, Paris, 2008.

88 Dick Higgins, « Statement on Intermedia », Dé-Collage, no. 6, édition Wolf Vostell, 1966, consulté [en ligne] le 4 avril 2018, http://walkerart.org/collections/publications/art-expanded/crux-of-fluxus/

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format vidéo avec une musique, le tout dans l'espace de cette création que Toussaint nomme Made in China. Du point de vue de la notion de multimédia, Toussaint semble partager le concept de Higgins, tout en ayant recours à de nombreuses formes différentes dans ses créations en générale comme la littérature, le cinéma, les arts plastiques mais aussi la photographie. D'ailleurs, durant les mois allant de mars jusqu'à juin 2012, Toussaint a organisé au Louvre une exposition d'art contemporain, autour d'une réflexion sur la lecture et la littérature à l'aide de photographies, vidéos, installations et diverses performances89.

Jean-Philippe Toussaint utilise aussi l'hypermédia dans Made in China, un procédé bien connu de la littérature numérique. Ce concept central repose sur la même idée que l'hypertexte, qui est à l'origine un document ou un ensemble de documents, de nature uniquement textuelle, liés entre eux par des hyperliens. Contrairement à l'hypertexte, l'hypermédia peut contenir d'autres médias, comme le lien entre le récit textuel et le film The Honey Dress qui font partie du corps de Made in China. Cette idée apparaît aux États-Unis d'Amérique en 1945 dans un article intitulé « As We May Think », écrit par Vanevar Bush90. Il développe la théorie selon laquelle l'information doit pouvoir être diffusée dans un cadre à la fois souple et collectif. Il faut attendre 1965, avec Ted Nelson, pour que « hypermédia » soit cité pour la première fois. En fait, selon Philippe Bootz, un hypermédia, dans la littérature numérique, est un réseau de blocs d'informations, qui sont reliés les uns aux autres, par des liens que l'utilisateur peut décider d'activer ou non. Ces informations évoluent donc d'une manière non-linéaire comme le montre la figure 6 :

89 Site Internet du Louvre - Descriptif de l'exposition « évoquer le livre sans passer par l'écrit », Paris, 2012, https://www.louvre.fr/expositions/art-contemporain-jean-philippe-toussaint-livre-louvre

90 Vanevar Bush, « As We Way Think », The Atlantic Monthly, Boston (U.S.A.), 1945, consulté [en ligne] le 5 mars 2018, https://issuu.com/edavo/docs/bush-as-we-may-think

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Figure 6. Exemple de graphe hypertextuel, source :

https://www.olats.org/livresetudes/basiques/litteraturenumerique/8 basiquesLN.php

De ce point de vue, Made in China est particulièrement intéressant, car les divers médias de cette oeuvre ne s'inscrivent pas dans ce principe de non-linéarité. En effet, le seul lien existant passe de l'écrit, donc du texte, au film qui comporte tout d'abord de la musique, puis le déroulement du film en image comme le montre le schéma linéaire présenté dans la figure 7 :

 
 

Déroulé du film
(format vidéo)

Récit
(texte)

Musique au début
du film

(format vidéo)

Figure 7. Schéma linéaire de Made in China.

D'ailleurs, la définition habituellement établie dans le monde numérique concernant l'hypermédia ne peut pas être entièrement retenue dans le cas de Made in China, car ce livre ne forme pas un réseau d'information, qui se développe d'une manière non-linéaire. C'est pourquoi il est aussi possible de parler d'un simple lien comme dans l'une des définition du mot « lien » que l'on trouve sur le site Internet du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : « Élément qui réunit, rattache deux E...] choses entre

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elles, assure leur relation, les met en rapport; le rapport lui-même tel qu'il est perçu par l'esprit.»91.

Ce lien possède aussi une autre caractéristique, qui relève de la découverte entre le récit et le film. D'ailleurs, Bertrand Gervais l'a théorisée en affirmant que : « L'hyperlien, du fait de ne jamais pouvoir varier, de ne jamais connaître d'erreur, nous place en ce sens dans une logique de la révélation, de l'apparition de vérités, surgies non pas à la suite d'une quête ou d'une recherche, mais d'un don. Le don du lien révélé, de la surprise et de la nouveauté.92 ». En effet, cette définition correspond au lien qui existe dans l'oeuvre de Jean-Philippe Toussaint. Gervais ajoute que l'hyperlien, qui est dans notre situation un hypermédia, place de facto le lecteur « dans une logique de la révélation, de l'apparition de vérités ». De plus, Gervais rappelle que le lien est par définition synonyme de vrai. Il peut se rompre, et dans ce cas, il ne sert à rien, mais il ne peut pas être lié à autre chose de ce qui a été voulu93. Il est évident que l'aspect technique dans ce projet numérique a été important, mais il ne faut pas oublier que l'implication de l'auteur a été essentielle, car c'est lui à l'origine qui a voulu créer cette structure hybride, ce qui en fait le véritable architecte de Made in China, comme nous pouvons le voir à l'aide de la figure 8 :

Livre intitulé « Made in China »

Récit (Texte) de Made in

Musique au début de The

Film: The Honey Dress

China

Honey Dress

Prolongement du récit

 

Prolongement du récit

 

Figure 8. Schéma représentant dans sa globalité l'oeuvre de Jean-Philippe Toussaint.

91 Centre National De Ressources Textuelles Et Lexicales, Site de l'organisation et la page où le terme lien est défini, consulté [en ligne] le 2 mars 2018, http://www.cnrtl.fr/definition/lien

92 Bertrand Gervais, « Richard Powers et les technologies de la représentation », Alliage, n°57- 58, Juillet 2006, pp. 226-237, mis [en ligne] le 02 août 2012, consulté [en ligne] le 2 février 2018, http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3571.

93 Ibid.

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b) La vidéo The Honey Dress rompt avec un certain silence que l'on associe à la littérature

Made in China crée une rupture avec le silence que l'on associe à la littérature, en provoquant un basculement entre le récit et la musique qui se fait entendre dès les premières minutes du film The Honey Dress, lorsque le lecteur active, intentionnellement ou non cette vidéo. Un rappel de l'histoire de la littérature est donc nécessaire afin de mieux comprendre, pourquoi notre société assimile le livre naturellement à un espace silencieux, et de voir que Jean-Philippe Toussaint, par le biais de la musique de son film, renoue avec une certaine mystique des origines.

En fait, comme le soulignent Guglielmo Cavallo et Roger Chartier94, la littérature n'a pas toujours été assimilée au silence. Au contraire, selon eux, la lecture à voix haute est la plus employée pendant l'Antiquité. Durant cette période, elle a le plus souvent lieu dans des espaces publics, comme dans les jardins. Un profond changement dans les habitudes s'opère en Occident durant le haut Moyen Âge avec le déplacement de la pratique de la lecture dans des bâtiments ou des lieux clos comme des églises, des réfectoires, ou bien encore des cloîtres. En fait, cette lecture ne s'exerce plus que par rapport aux saintes écritures ou à des textes à portée spirituelle. À partir du XIIIème siècle après J.-C., la lecture silencieuse supplante définitivement la lecture oralisée, car la page se structure de plus en plus avec l'emploi de la couleur et de la multiplication des blancs et des espaces ; ce changement est marqué par la disparition de la « voix des pages ». Un autre changement est intervenu à la même époque : il s'agit du passage de la lecture à voix haute à la lecture murmurée ou silencieuse. En effet, les livres servent à connaître Dieu ou sauver l'âme des croyants. Pour cela, ils doivent être lus et relus afin de les connaître par coeur. Le codex est organisé de telle manière qu'il facilite la lecture de méditation. De plus, la vie religieuse est construite sur des règles nécessitant de parler à voix basse, c'est dans ce

94 Guglielmo Cavallo et Roger Chartier, « Choses lues choses vues », articles [en ligne] provenant d'une exposition sur l'histoire du livre et de la lecture, Bibliothèque Nationale de France, Paris, 2010, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, http://expositions.bnf.fr/lecture/arret/01_1.htm

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cadre que se déroule le plus souvent la lecture. Le livre devient donc un objet de l'ordre du sacré95.

L'invention de l'imprimerie en soi, au XVème siècle après J.-C., a peu d'importance sur ce processus qui passe de l'oralité vers le silence avec la diffusion beaucoup plus importante des livres dans la société occidentale.96 En fait, la lecture silencieuse facilite une lecture plus rapide et donne au lecteur plus de liberté. D'une certaine manière, elle offre aussi une plus grande sociabilité, car les lecteurs peuvent lire sans être dérangés dans des endroits communs, comme les bibliothèques. Il faut attendre la seconde moitié du XVIIIème siècle pour voir se dérouler en Europe, « une rage de lire », un phénomène lié au fait que les livres deviennent des objets de plus en plus nombreux qui sont lus rapidement. Un tournant eut lieu avec Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Goethe ou bien encore Richardson. En effet, une lecture « plus intensive » se déploie en reprenant des pratiques anciennes, telles que la relecture et la connaissance par coeur, qui étaient réservées auparavant à des textes sacrés. La Nouvelle Héloïse (1761) et Paul et Virginie (1788) en sont de parfaits exemples, car ces romans ne s'inscrivent pas dans la dimension sacrée de la religion catholique97.

En mettant de la musique dans la version numérique de Made in China, Jean-Philippe Toussaint établit des contrastes puissants entre des univers et des formes de narration différentes. En fait, il joue avec plusieurs oppositions entre le texte et le film : la langue écrite existe dans l'espace visuel du lecteur, tandis que le film avec sa musique occupe aussi son espace auditif. Par ailleurs, Susan Sontag98 fait remarquer que le silence ne peut exister que par opposition à quelque chose, puisqu'il n'y a pas de silence absolu. Selon elle, la narration à la première personne et les constructions répétitives apportent l'oralité dans un texte écrit, comme nous pouvons le voir par exemple dans la prose de Joyce ou

95 Ibid.

96 Ibid.

97 Ibid.

98 Susan Sontag, « The Aesthetics of Silence », Essai, Collection Styles of Radical Will, public library, Picador USA, 1966, pp. 1-35, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, https://sciami.com/scm-content/uploads/sites/9/2016/11/s-sontag-the-aesthetics-of-silence.pdf

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Beckett.99 Grâce à cette musique, Toussaint plonge donc le lecteur dans un univers d'une sonorité rythmée, tout d'abord par une voix féminine lancinante et répétitive, puis par des instruments de musique, notamment le piano, qui créent une certaine exaltation. En fait, comme le rappelle Xanthoula Dakovanou100, la voix humaine est l'instrument mélodique primordial de l'homme. C'est grâce à la voix que la mélodie a pu apparaître. De plus, dans l'histoire de la musique, il a été établi que l'homme a d'abord chanté et par la suite inventé des instruments pour imiter son chant. Dans The Honey Dress, le pianiste joue de telle manière que des marteaux frappent les cordes du piano avec un rythme dynamique et répétitif. En fait, cette musique capte l'attention du lecteur qui devient spectateur et n'a plus qu'à se laisser porter par la musique pour mieux découvrir les premières images de The Honey Dress qui apparaissent à ses yeux en même temps que cette musique laisse place à des sons, et plus précisément aux bruits de la ville.

Paradoxalement, la sonorité sans paroles ressemble à une sorte de silence, car il donne de l'espace au libre flux de pensées et renvoie donc le lecteur vers un retour aux origines. Knud Togeby101 prétend, depuis la thèse de Saussure sur l'arbitraire du signe qui est universellement admise et repose sur l'idée qu'il n'y a pas de rapport entre la langue et la réalité, que la langue provoque une barrière entre l'homme et la réalité, car on peut l'interpréter de mille et une manières. Dans The Honey Dress, le lecteur est donc, pendant quelques moments, spectateur d'une réalité qu'il ne peut plus interpréter par des signes relevant de la sonorité. Cette interprétation devient possible lorsque le spectateur a l'occasion d'entendre une voix féminine parlant chinois juste avant que le mannequin arrive sur scène, mais aussi quelques instants plus tard avec les applaudissements et le cri du public.

99 Ibid.

100 Xanthoula Dakovanou, « Quand l'âme chante. La voix mélodique et son pouvoir affectif », Topique, 2012/3 (n° 120), pp. 21-37, consulté [en ligne] le 7 janvier 2018, https://www.cairn.info/revue-topique-2012-3-page-21.htm

101 Knud Togelby, « Langue, science, littérature et réalité », Revue Romane, Bind 8, (1-2), 1973, consulté [en ligne] le 1er mars 2018,

https://tidsskrift.dk/revue_romane/article/view/29024/25661?acceptCookies=1

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Saint Augustin, en son temps, pensait que la jubilation, produit par une chanson sans parole, est le moyen le plus approprié pour glorifier Dieu102. Il faut relativiser cette affirmation puisque pour Toussaint, il s'agit de créer une jubilation par rapport à la création d'une oeuvre artistique, qui ne relève aucunement d'une religion. Cette exaltation est aussi symbolisée par le seul son que l'on entend dans l'extrait sonore, en l'occurrence le phonème [a]. Ce phonème est la première lettre de notre alphabet et selon John Crothers, celui-ci existe dans toutes les langues103. Cette musique a donc une portée qui dépasse les frontières et renforce, par la même, l'idée que la création de Jean-Philippe Toussaint relève d'une dimension universelle. D'ailleurs, c'est une toute autre langue par rapport au récit de Made in China. Jean-Philippe Toussaint104 affirme dans un entretien, lors d'une conférence sur Flaubert, que la création littéraire est quasi-sacrée. Susan Sontag partage cette idée en disant que dans les temps modernes, c'est « l'art qui est l'une des métaphores les plus actives pour un projet spirituel. »105

Alexandre Rochon, le compositeur de cette musique nous a donné plusieurs informations capitales afin de mieux comprendre ce projet musical (voir annexe 5). En effet, Rochon est intervenu à la demande de Jean-Philippe Toussaint pour illustrer musicalement The Honey Dress. Cela n'était pas la première fois puisque Toussaint avait déjà utilisé une autre de ses compositions intitulées « MVAT / The Delano », pour le film Zahir (2013). De plus, Rochon avait eu comme idée en 2012 de créer un spectacle musical en s'inspirant de la tétralogie M.M.M.M. (2017) de Toussaint. D'ailleurs, il existe une conversation

102 Saint Augustin, Enarrationes in Psalmos, Ps. 32.8, dans A.R McGlashan, « La musique en tant que processus symbolique », Cahiers jungiens de psychanalyse, n° 113, 2005, pp. 37-52, DOI : 10.3917/cjung.113.0037, consulté [en ligne] le 3 avril 2018, https://www.cairn.info/revue-cahiers-jungiens-de-psychanalyse-2005-1-page-37.htm

103 John Crothers, « Typology and universals of vowel systems », dans Universal of Human language, Vol. 2, Phonology, 93 -152. Stanford: Stanford University Press, consulté [en ligne] le 2 avril 2018, http://ai.vub.ac.be/~bart/papers/deBoerEvoComm99.pdf

104 Thierry Roger, « Entretien avec Jean Philippe Toussaint, Flaubert vu par les écrivains contemporains », vidéo [en ligne] en date du 18 avril 2015, consulté [en ligne] le 18 avril 2018 sur le site de l'Université de Rouen Normandie, https://webtv.univ-rouen.fr/videos/entretien-avec-jean-philippe-toussaint/

105 Susan Sontag, « The Aesthetics of Silence », Essai, Collection Styles of Radical Will, public library, Picador USA, 1966, pp. 1-35, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, https://sciami.com/scm-content/uploads/sites/9/2016/11/s-sontag-the-aesthetics-of-silence.pdf

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entre Jean-Philippe Toussaint et Rochon106 qui montre certaines étapes de la construction de ce projet dans Nue (2013). En fait, pour revenir plus précisément à la musique de The Honey Dress, Alexandre Rochon affirme que la création de la musique lui est venue spontanément et qu'il ne peut pas vraiment l'expliquer. Les interprètes de la musique sont Émilie Fernandez (voix), Morgane Imbaud (voix), Guillaume Bongiraud (violoncelle), Julien Quinet (trompette) et Christophe Pie (Batterie). Selon Rochon, les voix féminines font références aux abeilles et au miel, une sorte de bourdonnement tout en douceur. La musique semble contemporaine pour correspondre le mieux possible au film, mais a aussi une portée universelle, un univers liant l'Europe et l'Asie. La seconde partie de la bande son, plus électronique et dramatique, intervient lors de la chute du mannequin (voir annexe 5).

c) Une interdépendance entre le récit et le film

Les effets du multimédia marquent chez le lecteur le passage entre deux mondes forts différents, celui du récit textuel de Made in China et du film The Honey Dress. Pourtant ces deux univers forment aussi un tout, comme le film est, en fait, de bien des manières le prolongement du récit, tout d'abord du point de vue chronologique. Quelques instants après avoir lu « --- je vis entrer l'actrice dans le champ ---»107, le lecteur a l'occasion de voir la suite se réaliser sous ses yeux en regardant la vidéo. D'autre part, comme nous le verrons dans la troisième partie de ce travail, l'interdépendance entre le récit et le film est plus complexe qu'un simple prolongement linéaire, car le récit peut aussi être considéré comme une sorte de « making of » de la vidéo. De toute façon, Made in China n'aurait pas la même portée, si cette vidéo n'existait pas. En mettant le film dans le corps même de son livre sous forme numérique ou bien dans le livre papier sous forme iconique, Toussaint se place, d'une certaine manière, dans les traces de Claude Simon ou bien encore de Robbe-Grillet108 qui parle d'une « école du regard » dans Pour un nouveau

106 Jean-Philippe Toussaint, Nue, Éditions de Minuit, Paris, 2013, pp. 224-239.

107 Jean-Philippe Toussaint, Made in China, Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 185.

108 Alain Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, Éditions de Minuit, Paris, 1963, p. 9, consulté [en ligne] le 6 mars 2018,

https://www.decitre.fr/media/pdf/feuilletage/9/7/8/2/7/0/7/3/9782707322852.pdf

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roman (1963). En effet, à l'aide d'une écriture qui accorde une grande importance aux moindres petits détails, ces auteurs ont voulu s'approcher le plus possible de la réalité, avec leur esthétisme recherché. Selon Gerald Ackerman et Henri Mitterand, lorsque l'on se penche sur l'histoire du courant réaliste, un tout premier regard sur le réel est souvent visible dans des carnets qui sont de véritables matrices dans le processus d'écriture, comme avec Zola ou bien encore Gustave Flaubert109. Toussaint a adopté la même démarche, car lorsqu'il commence le projet de son film, il note toutes ses impressions dans un journal : « Je notais, au jour le jour, de manière brute et sans commentaire, comme un simple pense-bête, les principaux évènements de la journée. »110. Toussaint fonde donc aussi son oeuvre en se référant au réel qu'il perçoit. D'ailleurs, il ne faut pas oublier que Jean-Philippe Toussaint est un véritable passionné de cinéma, comme Robbe-Grillet qui était réalisateur111, et de photographie à l'instar de Claude Simon qui était aussi photographe amateur112.

La littérature et le cinéma entretiennent des liens particuliers, du fait de leurs propres histoires, que nous allons tenter de saisir pour mieux voir que le projet de Jean-Philippe Toussaint de mettre un film dans un livre, est tout à fait original. Selon Jean Cléder113, le cinéma s'est imposé comme un véritable Art après la Seconde Guerre mondiale, en opposition à la littérature. Malgré cette vérité historique, Made in China se situe dans une logique où le cinéma et le texte forment un tout. Toussaint réussit donc à faire coexister deux mondes qui sont apparemment bien différents. En effet, il passe d'un récit, qui est écrit au passé, à une vidéo qui se déroule, en apparence, dans un présent qui relève de

109 Gerald M. Ackerman, Henri Mitterand, « Réalisme, art et littérature », Encyclopædia Universalis, consulté [en ligne] le 10 mars 2018, http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/realisme-art-et-litterature/

110 Jean-Philippe Toussaint, Made in China, Éditions de Minuit, Paris, 2017, p.120.

111 Allociné, Site Internet sur le cinéma, Biographie et informations complémentaires portant sur Alain Robbe-Grillet, consulté [en ligne] le 10 mars 2018, http://www.allocine.fr/personne/fichepersonne-526/biographie/

112 Claude Simon, « Claude Simon et la photo », Émission Cinéastes de notre temps du 3 février 1966, site Internet de l'INA, consulté [en ligne] le 10 mars 2018, http://www.ina.fr/video/I00018212

113 Jean Cléder, « Ce que le cinéma fait de la littérature », Fabula-LhT, n° 2, publié [en ligne] décembre 2006, consulté [en ligne] le 10 mars 2018, http://www.fabula.org/lht/2/cleder.html

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l'instantanéité. Ce qui est intéressant, c'est que tout à la fin du récit écrit, le narrateur adopte le temps présent. Le transfert entre les deux médias est donc signalé par un changement de temps. Pour revenir à Claude Simon114, il rappelle que la photographie, par nature, n'est pas objective et illustre son argument en disant que si Cartier Bresson et une autre personne prennent une photo de lui en même temps, ils transmettent deux visions différentes. C'est pourquoi nous devons nous interroger sur le rapport de ce film à la réalité. En effet, comme toute oeuvre, il a nécessité une pensée structurée. D'ailleurs, comme le souligne Gerald M. Ackerman, « la question du réalisme est donc inévitablement relativisée par celle de la composition. »115.

En intégrant une vidéo dans le livre, Jean-Philippe Toussaint apporte la preuve en apparence que son film est bien réel. En effet, Jean Marie Schaeffer116 explique que la spécificité de la photographie réside dans le fait qu'elle produit une « empreinte digitale » du réel. En fait, tout comme la photographie, le cinéma crée la même trace qui marque d'une manière indélébile les images dans l'instant de leur projection. De plus, l'emploi de ce moyen de diffusion contribue à faire de Made in China un témoignage de notre époque, c'est-à-dire d'un monde encore à la croisée entre l'écrit et l'image. En cela, l'oeuvre de Toussaint rejoint la conception de la mimésis d'Erich Auerbach développée dans Mimésis : la représentation de la réalité dans la littérature occidentale publié en 1946. En effet, selon François Trémolières, Auerbach affirme qu'en fait le roman moderne dit toujours quelque chose de son époque117. Cela s'applique aussi à Made in China, mais le livre numérique apporte une vision supplémentaire, car elle montre notre époque en images. De plus, l'icône symbolisant le lien pour The Honey Dress dans la version papier a été soigneusement choisie par Toussaint, car dès que le lecteur l'aperçoit,

114 Claude Simon, « Claude Simon et la photo », Émission Cinéastes de notre temps du 3 février 1966, site Internet de l'INA, consulté [en ligne] le 10 mars 2018, http://www.ina.fr/video/I00018212

115 Gerald M. Ackerman, Henri Mitterand, « Réalisme, art et littérature », Encyclopædia Universalis, consulté [en ligne] le 10 mars 2018, http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/realisme-art-et-litterature/

116 Jean-Marie Schaeffer, L'image précaire, Du dispositif photographique, Seuil, Paris, 1987.

117 François Trémolières, « Mimésis, Erich Auerbach - Fiche de lecture », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté [en ligne] le 10 mars 2018, http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/mimesis-erich-auerbach/

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il l'associe de manière tout à fait naturelle à Internet. Cela veut dire que le prolongement du récit de Made in China fait disparaître le texte et le remplace par ce film. Il marque donc une certaine réalité que nous connaissons actuellement en Occident, car la diffusion des informations se fait essentiellement par le biais de nos écrans. The Honey Dress montre aussi la vision d'une réalité qui n'en n'est pas tout à fait une. En effet, la réalité réside dans le fait que c'est le tournage d'un film qui existe bien, pourtant ce réel a été entièrement construit par Jean-Philippe Toussaint, comme il l'a scénarisé. De ce point de vue, nous pouvons dire que son film est avant tout une déformation de la réalité et rejoint donc la notion de mimésis d'Aristote. En effet, selon Valérie Stiénon118, dans la Poétique d'Aristote, rédigée au IVème siècle avant J.-C, la mimésis n'est pas une simple copie du réel, elle est une représentation qui nécessite une stylisation de l'ordre de l'esthétique. C'est en cela que Made in China et The Honey Dress sont en définitive d'une grande cohérence puisqu'ils sont le reflet de l'univers unique de Jean-Philippe Toussaint.

B. Récit métafictif qui traite de la création d'une oeuvre multimédia

Un des thèmes centraux de Made in China porte sur l'écriture même du livre et le tournage du film The Honey Dress, comme nous l'avons déjà vu, ce qui le fait entrer dans la catégorie de la métafiction. Patricia Waugh119 définit la métafiction comme une écriture fictive qui attire l'attention, d'une manière systématique et volontaire, sur sa qualité représentative et artificielle et pose la question sur la relation entre la fiction et la réalité. Linda Hutcheon120 ajoute que la métafiction est de la fiction sur la fiction qui fait elle-même des commentaires sur sa narration ou son identité linguistique. Selon István Miskolczi121, il existe toute une tradition d'utilisation de techniques autoréflexives dans

118 Valérie Stiénon, « Mimèsis », dans Anthony Glinoer et Denis Saint-Amand (dir.), Le lexique socius, Consulté [en ligne] le 10 mars 2018, http://ressources-socius.info/index.php/lexique/21-lexique/66-mimesis.

119 Patricia Waugh, Metafiction: The theory and practice of self-conscious fiction (Repr. 1990.). London: Methuen, 1984, p. 2.

120 Linda Hutcheon, Narcissistic Narrative : The Metafictional Paradox, Waterloo, Ont: Wilfrid Laurier University Press, 2013, p. 1.

121 István Miskolczi, « Les OEuvres de la non-Écriture. La métafiction vide dans les romans contemporains », Revue d'Études Françaises, numéro 14, pp. 165-172, 2009, consulté [en ligne] le 17 novembre 2017, http://cief.elte.hu/sites/default/files/article_miskolczi_istvan.pdf

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l'histoire du roman français. D'ailleurs, certains auteurs s'y sont opposés, parmi eux Jean-Paul Sartre, qui parlait de l'autodestruction de la littérature en se référant aux oeuvres qui mettaient en scène leur propre production. En fait, le Nouveau roman et les postmodernistes américains ont exploité la métafiction à tel point que les auteurs de la fin du XXème siècle ont répondu à cet usage en créant la « métafiction vide », une forme d'auto-négation, qui traduit une réflexion sur la création de l'oeuvre pour finir par montrer son apparente absence. Miskolczi constate que son utilisation est tout à fait caractéristique des écrivains de la génération des années 80 qui publient chez Minuit.122 Quant à Linda Hutcheon, elle fait remarquer que dans la littérature contemporaine, il est tout à fait acceptable que les qualités formelles de la fiction deviennent le sujet d'un livre, car elles sont aussi réelles ou irréelles que d'autres matières premières empiriques.123 Il n'est donc pas étonnant de trouver dans Made in China plusieurs niveaux métafictifs que nous analyserons afin de montrer l'étendue de ces procédés dans cette oeuvre. De plus, nous verrons que le récit et le film ont une relation métafictive particulièrement intéressante qui mérite d'être étudiée plus en détail.

a) Procédés métafictifs dans Made in China

Made in China ne contient pas de préface qui préparerait le lecteur au récit, mais il y a un texte liminaire signé par Jean-Philippe Toussaint qui commente l'oeuvre. En fait, la dernière phrase de la quatrième de couverture recèle un commentaire métafictif direct et explicite : « Mais, même si c'est le réel que je romance, il est indéniable que je romance. » Avec cette phrase, Toussaint souligne clairement la nature fictive de Made in China et rend visible l'acte d'écriture. Il introduit ainsi le thème sur le rapport de l'oeuvre à la réalité et attire l'attention sur la nature artificielle du récit et du film. D'ailleurs, cette discussion sur le rapport entre la fiction et la réalité dans le processus de création continue tout au long du récit, à titre d'exemple à la page 42 où Toussaint tend à décrire les influences, conscientes et inconscientes, qui entrent en jeu lors de l'écriture:

« Mais, à ces souvenirs qui me revenaient par bouffées et qui faisaient constamment interagir le présent et le passé, s'ajoutait parfois une autre

122 Ibid.

123 Linda Hutcheon, Narcissistic Narrative : The Metafictional Paradox, Waterloo, Ont: Wilfrid Laurier University Press, 2013, p. 18.

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interaction, plus étrange, plus vertigineuse aussi, celle que certains événements que j'étais en train de vivre appartenaient, non pas au passé, mais à la fiction---. » (p. 42.)

En fait, Toussaint conteste même la valeur de la véridicité dans la littérature en écrivant :

« Quand j'écris, je voudrais pouvoir m'abstraire du monde réel pour me fondre dans la fiction. » (p. 74).

Une autre métaréférence, présente dès le commencement de l'oeuvre, est le titre même du livre. Made in China peut être considéré comme un commentaire auto-conscient de l'auteur sur la production du film, mais aussi du livre. Aux yeux d'un occidental, la première connotation liée à ce titre est une production de masse rapide, impersonnelle et de mauvaise qualité, mais le récit révèle un processus de création très soigneusement planifié et exécuté, un vrai travail d'artisan, ce qui rend ce commentaire comique, voire même ironique. De plus, il est évident que le titre peut être interprété au pied de la lettre, comme le film et le livre, au moins en partie, ont été réalisés en Chine. Après avoir lu le roman, le titre prend aussi un autre sens, car pour Toussaint, Made in China signifie que tout devient possible lorsque l'on est en Chine. Pourtant, il est aussi possible d'y déceler une certaine ironie, sans doute non voulu par Toussaint, surtout si le lecteur s'est renseigné sur la situation préoccupante des abeilles en Chine. En effet, l'on apprend dans un documentaire124, produit par National Geographic, que dans certaines régions de ce pays, celles-ci ont carrément disparues et que les Chinois doivent recourir eux-mêmes à la pollinisation, une preuve que tout y est vraiment possible.

Linda Hutcheon emploie le terme de « narration narcissique » pour décrire le style et les procédés d'écriture métafictifs qui, depuis les années 60, ont été choisi comme thème la fiction elle-même. Elle insiste sur le fait que l'adjectif « narcissique » n'est pas employé dans un sens péjoratif, mais pour désigner leur autosuffisance textuelle. Avec ce choix terminologique, elle a également voulu faire allusion au mythe de Narcisse qui, tout comme la métafiction, a cette volonté d'autoréflexion. Hutcheon rappelle aussi que la

124 Doug Shultz, « Le silence des abeilles », documentaire diffusé sur National Geographic en 2008, disponible [en ligne] sur Dailymotion depuis 2012, consulté [en ligne] le 3 juin 2018, https://www.dailymotion.com/video/xoal10

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métafiction est devenue un courant littéraire légitime qui n'a plus besoin de se justifier.125 En cela, ses pensées rejoignent les idées de Toussaint qui s'intéresse dans ses oeuvres aussi bien à l'infiniment petit qu'à l'infiniment grand, comme nous l'avons déjà vu dans la première partie. Cela se reflète également dans les thèmes de Made in China, dont la première partie intitulée Chen Tong se concentre, essentiellement, sur la description du processus d'écriture ainsi que son analyse en général. Selon Toussaint126, Made in China est à la fois le résultat de l'interaction entre le passé et le présent mais aussi la réalité et la fiction ainsi que l'interpénétration imprévue du monde extérieur dans le livre. Pourtant, il exprime sa volonté d'exclure tous les facteurs perturbateurs dans son écriture en disant « Je voudrais, quand j'écris, que mon cerveau soit une pièce étanche, hermétiquement fermée, coupée du monde---127. » L'auteur se charge aussi de définir le sujet et les thèmes principaux au lieu de laisser le lecteur les interpréter lui-même :

« Longtemps, j'ai cru que le sujet de mon livre, c'était l'évocation du tournage de The Honey Dress, ou, plus largement, que c'était Chen Tong lui-même, et, à travers lui, à travers notre amitié et sa personnalité particulière, une façon pour moi de rendre compte, de façon subjective, de mon expérience de la Chine au début du XXIe siècle. Je me trompais. Le sujet de mon livre, c'est le pouvoir qu'a la littérature d'aimanter du vivant. Le sujet de mon livre, c'est le hasard dans l'écriture---. » (p. 76).

Nous trouvons aussi des passages où Toussaint décrit le processus d'écriture et la genèse de Made in China, à titre d'exemple au passage où il constate que :

« Il n'y a pas un seul et unique instant de l'écriture, on n'écrit pas un livre d'une seule haleine de la première à la dernière page. Loin de là. J'ai écrit ce livre par sessions successives (mars 2014, juin 2014, septembre 2015, janvier-février 2016, septembre 2016, janvier 2017), et, à chaque fois, à chaque nouvelle session, je relis intégralement le manuscrit en cours, je le corrige et je l'amende, je le reprends, je le transforme---. » (p. 77).

De plus, Hutcheon examine le rôle attribué au lecteur dans la métafiction et constate qu'il est exigeant et, jusqu'à un certain degré, contradictoire, parce que les romans

125 Linda Hutcheon, Narcissistic Narrative : The Metafictional Paradox, Waterloo, Ont: Wilfrid Laurier University Press, 2013, p. 8.

126 Jean-Philippe Toussaint, Made in China, Éditions de Minuit, Paris, 2017, pp. 72-73.

127 Ibid. p. 75.

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contemporains autoréflexifs requièrent que le lecteur participe au processus fictionnel comme une sorte de co-créateur alors qu'en même temps, cette réflexion introspective risque de l'éloigner de l'auteur.128 Pour que le lecteur puisse comprendre le langage de la fiction, il doit partager avec l'auteur certains codes reconnaissables - soit sociaux, littéraires ou linguistique. Selon Hutcheon, les écrivains de la métafiction adoptent souvent des procédés pour atteindre ce but en faisant du lecteur une sorte de complice.129 Nous pouvons en distinguer plusieurs dans Made in China. Tout d'abord, Jean-Philippe Toussaint évoque le lecteur à plusieurs reprises et s'adresse même directement à lui. Dans divers passages, Toussaint établit une certaine intimité avec le lecteur en avouant qu'il rompt le pacte de la fiction en partageant avec lui des observations qui en apparence sortent du champ du récit :

« Mais si, d'ordinaire, on évite d'évoquer cette interaction entre le livre qu'on écrit et le monde extérieur, n'interrompant pas son roman à tout bout de champ pour se plaindre auprès du lecteur chaque fois que, du monde extérieur, nous parvient une menace, une contrariété, un obstacle ou un désagrément, pour préserver le pacte tacite de la fiction, qui, s'il venait à être rompu, briserait l'effet de réel qu'on s'évertue à construire, et ferait vaciller la perception du lecteur, il ne me gêne nullement, aujourd'hui, de faire état de ces interférences--- ». (pp. 75-76).

En fait, il décrit le rôle du lecteur et sa relation avec l'auteur, avec beaucoup d'humour, comme celui qui subit son destin tout en voulant s'en affranchir :

« --- je crois précisément que les livres peuvent et doivent être capables d'accueillir les émotions qui nous traversent, et pourquoi pas au moment même où elles nous traversent, qu'ils s'en trouvent alors stimulés, et sortent un instant le lecteur assoupi du ronronnement de la lecture, avec un saisissement d'autant plus fort que l'aveu donnera l'impression d'avoir échappé à l'auteur. » (p. 83).

Toussaint s'adresse au lecteur aussi d'une manière directe, notamment avec les parenthèses, comme nous allons le voir dans la partie suivante de ce travail. En fait, l'auteur se sert de celles-ci et d'autres moyens de ponctuation souvent pour communiquer plus intiment avec le lecteur. D'autre part, la place du lecteur ne semble pas être sa

128 Linda Hutcheon, Narcissistic Narrative : The Metafictional Paradox, Waterloo, Ont: Wilfrid Laurier University Press, 2013, pp. 30-151.

129 Ibid.

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première préoccupation puisqu'il exprime clairement sa volonté d'avoir la maîtrise totale de son oeuvre à la fin de la première partie du livre :

« Que signifie avoir le contrôle absolu de son oeuvre ? Cela semble une évidence pour un livre. C'est l'écrivain qui imagine toutes les scènes et choisit tous les mots qui entrent dans sa composition. D'une certaine façon, même si c'est la vie qui l'inspire et le monde qui le nourrit, un livre est un corps étanche, dans lequel n'entrent pas d'éléments exogènes, sans l'aval de l'auteur. » (p. 83).

Pour Toussaint, le tournage du film en Chine signifie donc l'abandon de ce pouvoir absolu. Cela s'applique également à la réalisation du livre numérique, comme nous allons le voir dans la troisième partie. D'ailleurs, la première partie est clôturée par une scène où l'auteur apprend que son producteur n'a même pas lu le scénario de son film. Cela symbolise le fait que Toussaint doit se laisser porter par le hasard.

En outre, Toussaint emploie d'autres moyens pour créer une réalité commune avec le lecteur. À titre d'exemple, il lui explique les temps de son récit afin de pouvoir être sûr que celui-ci se rend compte de la nature fictionnelle de Made in China :

« Lorsque j'écris « dans les prochains jours », comme je viens de le faire à l'instant, je sous-entends un présent de référence, qui ne peut être en l'occurrence que celui du soir de mon arrivée à Guangzhou pour tourner The Honey Dress (c'est le temps romanesque de « ce soir », ce soir où je me trouve en compagnie de Chen Tong dans la salle à manger du Peach Blossom quelques heures après mon arrivée en Chine), mais j'ai bien conscience qu'il y a d'autres « présent » dans ce livre---. » (p. 77).

L'intertextualité est une des caractéristiques de la métafiction ce qui signifie, selon Linda Hutcheon, qu'aucune oeuvre littéraire n'est complètement originale, car elle s'inscrit toujours dans une certaine continuité en reprenant bon nombre d'éléments existant dans d'autres oeuvres et en se référant à des significations partagées. En effet, un texte tout à fait unique serait incompréhensible pour le lecteur.130 Made in China fait aussi partie de tout un réseau de textes, notamment ceux qui ont été publiés chez les Éditions de Minuit, mais ce qui est plus frappant encore, c'est l'intertextualité de Made in China avec les oeuvres précédentes de Jean-Philippe Toussaint. En fait, ces oeuvres sont interconnectées

130 Linda Hutcheon, Historiographic Metafiction Parody and the Intertextuality of History, Johns Hopkins University, 1989, pp. 3-32, consulté [en ligne] le 4 avril 2018, sur le site de l'Université de Toronto, https://tspace.library.utoronto.ca/bitstream/1807/10252/1/TSpace0167.pdf

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d'une telle manière qu'il est presque nécessaire de toutes les connaître afin de pouvoir cerner l'univers de l'auteur :

« Lorsque j'ai imaginé la mort du père de Marie dans Faire l'amour, je n'avais pas encore connu l'expérience de la mort d'un parent proche. » (p. 81).

Même les idées continuent à vivre et se développer d'une oeuvre à l'autre :

« J'étais à la fois excité, exalté par la tâche qui m'attendait, mais j'avais bien conscience de la difficulté, voire de l'impossibilité, de vouloir mener à bien ce projet de film qui consistait à adapter en images l'épisode de la robe en miel du prologue de Nue. » (p. 47).

En fait, Linda Hutcheon131 préfère utiliser le terme d'interdiscursivité au lieu de l'intertextualité, parce que dans les oeuvres contemporaines, les références ne se limitent pas à des textes mais se nourrissent aussi d'autres formes d'art tels que les arts visuels ou des domaines scientifiques. En fait, cette définition est aussi plus appropriée dans le cadre de Made in China, parce que Toussaint s'inspire aussi de ses films :

« Si d'aventure je devais en faire un livre un jour, il me semblait que je ne devais pas me limiter à la préparation de ce tournage, mais englober également les tournages de Fuir et de Zahir, et même élargir le sujet à tous les voyages que j'avais faits en Chine depuis 2001. » (p. 121).

Le narcissisme linguistique, d'après Linda Hutcheon, peut se manifester par le biais d'une insistance de l'auteur sur le fait que le roman existe sous la forme de langage écrit ou imprimé. Le texte peut aussi souligner la nature de son médium. De plus, le langage et surtout les problèmes de communication et l'insuffisance au niveau de la langue sont souvent soulevés comme thèmes centraux de la métafiction.132 Nous pouvons trouvé tous ces procédés métafictifs aussi dans Made in China, comme dans le passage suivant :

« Maintenant mon père est mort, et je pense à lui, aujourd'hui, à Ostende, où j'écris ces lignes, --- et je ne peux m'empêcher de penser qu'il aurait été heureux d'aller déjeuner aujourd'hui dans ce restaurant d'Ostende en ces premiers jours

131 Ibid.

132 Linda Hutcheon, Narcissistic Narrative : The Metafictional Paradox, Waterloo, Ont: Wilfrid Laurier University Press, 2013, pp. 105-117.

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ensoleillés de mars 2014 (je ne corrige pas la date, déjà lointaine, qui témoigne de la première rédaction de ce texte, de la première ébauche de ce qui deviendrait ce livre). » (pp. 81-82).

Les problèmes de communication sont également un thème qui se trouve tout du long du livre, comme l'auteur ne maîtrise que les rudiments du chinois, quasiment toute la communication se passe à l'aide d'interprètes dans une langue étrangère qui est l'anglais :

« --- je prenais le petit déjeuner avec Chen Tong [...] je lui expliquais en chinois que j'avais deux enfants, utilisant avec beaucoup d'à-propos le mot haizi (enfant), il hochait la tête en disant qu'il le savait (Jean et Anna), et il me répondait que, lui, il en avait un (Lele), [...] dont je n'arrivais pas très bien à déterminer le rôle, je lui demandai, m'impatientant, mais qui ? qui était cette personne ? il m'a répondu en français, et j'en suis resté pantois, sujet à de longues méditations rêveuses : « Mon mari » (bon, il voulait dire sa femme, le genre, en chinois, n'a pas la même importance qu'en français). C'était la première fois que j'entendais parler de madame Chen Tong. » (pp. 33-34).

Parfois le caractère textuel et le moyen de communication peuvent être mis en avant en agissant contre ses conventions comme à la page 41 où Toussaint écrit : « Je suis écrivain, ajoutais-je (wo shi zuodjia), et LOL des trois filles qui s'esclaffaient de plus belle. » L'emploi de l'abréviation LOL pour exprimer des éclats de rire est une sorte d'infraction dans ce cadre littéraire, parce qu'elle appartient à un autre monde, celui des forums de discussion en ligne. Hutcheon rappelle aussi qu'il existe des variétés du narcissisme linguistique plus dynamiques que celles que nous avons traitées auparavant telles que l'emploi des notes de bas de pages ou de commentaires dans les marges.133 Quant au style de Toussaint, ce sont les parenthèses ou les tirets qui lui permettent de commenter le texte.

b) Narration entre parenthèses et tirets

Jean-Philippe Toussaint utilise de nombreuses parenthèses dans Made in China, nous en avons dénombré 187 qui figurent tout du long de l'histoire. D'ailleurs, Toussaint en parle

133 Ibid.

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dans une émission radiophonique présentée par Jean-François Cadet 134. Il les emploie lorsqu'il veut faire des ruptures de ton dans la narration. D'après Toussaint, il est plus simple de marquer le texte par ces signes de ponctuation qui créent un espace propre où l'auteur peut ajouter une toute autre dimension au récit. Toute comme les métaréférences, la ponctuation est pour l'auteur un moyen de nuancer la narration et de faire sortir le lecteur du cadre du récit tout en respectant le même style. Alain Richir135 fait remarquer que le premier recueil d'articles critiques concernant Toussaint, écrit par Mirko Schmidt et publié en 2003, n'a pas été intitulé par hasard Entre Parenthèses. De plus, il rappelle qu'aucune critique ne peut s'abstenir de signaler que Toussaint use fréquemment de cette figure d'insertion dans ces livres. En ce sens, Made in China marque une continuité stylistique dans le parcours littéraire de son auteur. Selon Alain Richir, les parenthèses ne sont pas utilisées par Toussaint dans le but principal d'apporter une précision ou un exemple particulier par rapport à l'énoncé principal. Elles visent plus à produire un double récit dans l'optique de brouiller l'homogénéité de la voix narrative. En fait, les parenthèses servent à Toussaint pour mieux faire surgir dans le récit des fragments d'une pensée qui relève de l'intime. D'ailleurs, comme Toussaint l'indique dans une vidéo intitulée « Parenthèses et tirets », cette idée ne vient pas de lui, il s'est, en fait, inspiré de Vladimir Nabokov136. Richir fait aussi remarquer qu'il est impossible de lire plus d'une dizaine de pages dans les romans de Toussaint sans que figure « un commentaire souterrain de l'énoncé » comme l'appelle Catherine Fromilhague137.

134 Jean-François Cadet, « Jean-Philippe Toussaint, made in China », Vous m'en direz des nouvelles !, RFI, du 23 octobre 2017, consulté [en ligne] le 30 décembre 2017, http://www.rfi.fr/emission/20171023-jean-philippe-toussaint?ref=fb

135 Alice Richir, « L'intime entre parenthèses. Fonction du commentaire décroché dans l'oeuvre de Jean-Philippe Toussaint », Poétique, n° 172, 2012, pp. 469-479, DOI : 10.3917/poeti.172.0469, consulté [en ligne] le 3 octobre 2017, https://www.cairn.info/revue-poetique-2012-4-page-469.htm

136 Jean-Philippe Toussaint, « Parenthèses et tirets », Session de travail de Jean-Philippe Toussaint avec ses traducteurs, Seneffe, août 2014, Vidéo [en ligne] sur YouTube depuis le 14 août 2014, consultée [en ligne] le 12 mars 2018, https://www.youtube.com/watch?v=0EXHylKYR7M

137 Catherine Fromilhague, « Les figures de construction », dans Poétique, 2012/4 (n° 172), pp. 469-479, DOI : 10.3917/poeti.172.0469, consulté [en ligne] le 4 mars 2018, https://www.cairn.info/revue-poetique-2012-4-page-469.htm

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De surcroît, Richir ajoute que ces figures d'insertion reposent souvent sur une même similitude, c'est-à-dire qu'elles ne donnent, la plupart du temps, aucun renseignement primordial sur les évènements racontés138, comme dans la première insertion avec des parenthèses dans Made in China. On peut y constater qu'il s'agit d'un commentaire intérieur qui n'est pas indispensable pour la compréhension du récit. Par contre, en évoquant sa femme, il réussit à lier une certaine intimité avec le lecteur :

« Il m'avait informé quelques semaines auparavant de sa présence en Europe, et je l'avais invité à passer à la maison. Je les ai donc reçus, Chen Tong et Bénédicte Petibon, dans le salon de mon appartement de Bruxelles (Madeleine, dans mon souvenir, était absente ce jour-là). » (p. 10).

De plus, Toussaint adopte souvent la parenthèse pour provoquer un décrochage dans le récit qui introduit un effet comique139. D'ailleurs, nous en avons trouvé plusieurs dans Made in China, comme dans le passage où Chen Tong n'arrive pas à trouver de simple uniforme de pompier alors qu'il avait réussi l'exploit de dénicher un avion pour le tournage de son film Zahir. C'est donc, selon Toussaint, un paradoxe particulièrement comique de la Chine d'aujourd'hui :

« --- je m'étais heurté à un mur, comme il en surgit parfois en Chine, on ne sait pourquoi (il avait pu me trouver un Boeing, mais pas d'uniforme de pompier), auquel il est inutile de vouloir se mesurer, qu'il est préférable de contourner, en trouvant une solution de remplacement. » (pp. 155-156).

Ces incises dans le récit de Made in China montrent, souvent par le biais de ces effets comiques, une certaine ironie que Toussaint emploie au fil de l'histoire. C'est une certaine manière de se moquer de situations incongrues qui y apparaissent, comme au restaurant lorsque la compagne de Chen Tong paye le repas et prend un temps infini à bien vérifier l'addition :

138 Alice Richir, « L'intime entre parenthèses. Fonction du commentaire décroché dans l'oeuvre de Jean-Philippe Toussaint », Poétique, n° 172, 2012, pp. 469-479, DOI : 10.3917/poeti.172.0469, consulté [en ligne] le 3 octobre 2017, https://www.cairn.info/revue-poetique-2012-4-page-469.htm

139 Patricia Frech, « Entretien avec Jean-Philippe Toussaint », Paris, 2002, p. 10, consulté [en ligne] le 4 novembre 2017, http://www.jptoussaint.com/documents/f/f7/ANNEXE.pdf

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« --- c'était elle, à la fin du dîner, qui prenait la responsabilité de payer l'addition, après avoir épluché longuement les comptes derrière ses lunettes d'un air à la fois méfiant et boudeur (coutume chinoise récurrente, d'étudier ainsi soigneusement chaque ligne de l'addition, pour contester l'éventuelle présence sur la liste de quelque plat facturé mais jamais parvenu) ---» (p. 31).

En fait, cet aspect ironique ne s'arrête pas à un comique de situation. Parfois, Jean-Philippe Toussaint se moque de lui-même et montre ainsi une certaine autodérision. La scène où Toussaint rencontre une actrice pour son film est particulièrement révélatrice de cette volonté de vouloir rire sur lui-même. En effet, Il en profite pour faire un commentaire très ironique sur sa capacité à troubler cette jeune femme :

« Je m'apprêtais à la saluer, quand elle s'esquiva précipitamment, disparut aux toilettes (l'émotion de me rencontrer, à coup sûr). Elle revint au bout de dix minutes, Chen Tong et moi l'attendions dans un canapé du grand hall désert. » (p. 147).

Il faut ajouter qu'en examinant l'ensemble du récit de Made in China, la linéarité de la phrase se trouve mise à mal. En effet, selon Richir140, les parenthèses ont souvent tendances à surgir par surprise. Cela suggère donc que leur objectif principal n'est pas de fournir des informations, mais plutôt de créer un décalage par rapport au déroulement principal du récit. De plus, il y a une distinction temporelle qui se forme entre le « je » du narrateur homodiégétique, c'est-à-dire celui relevant du récit sans les parenthèses, et du narrateur extradiégétique faisant des commentaires entre parenthèses qui appartient à un temps pouvant être postérieur aux évènements qu'il a vécus. Bien sûr, cette différence est poreuse dans Made in China, mais c'est notamment cela qui montre la complexité du dispositif narratif de Jean-Philippe Toussaint. En fait, comme le souligne Alice Richir141, ces commentaires entre parenthèses font tout d'abord penser à la métalepse narrative définie par Gérard Genette142 comme « toute intrusion du narrateur ou du narrataire extradiégétique dans l'univers diégétique (ou de personnages diégétiques dans un univers métadiégétique, etc.), ou inversement ». Pourtant, cette définition ne correspond pas tout

140 Alice Richir, « L'intime entre parenthèses. Fonction du commentaire décroché dans l'oeuvre de Jean-Philippe Toussaint », Poétique, n° 172, 2012, pp. 469-479, DOI : 10.3917/poeti.172.0469, consulté [en ligne] le 3 octobre 2017, https://www.cairn.info/revue-poetique-2012-4-page-469.htm

141 Ibid.

142 Gérard Genette, Figures III, « Poétique », Édition du Seuil, Paris, 1972, p. 244.

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à fait à l'emploi des parenthèses par Toussaint, car il les utilise aussi souvent pour surprendre le lecteur. En effet, la voix extradiégétique du narrateur intervient au beau milieu de l'univers diégétique, au fil de la lecture, sans que le lecteur s'y attende. Cette transgression de la distinction entre le niveau de la narration et le niveau des événements narrés, bouleverse donc la notion de la métalepse narrative établie par Genette. De plus, parfois cette irruption dans le récit donne l'impression que le narrateur extradiégétique s'adresse soudainement au lecteur :

« Des chevaux mangeaient dans leurs box, secouaient leur crinière (enfin, vous connaissez les chevaux). » (p. 60).

Il est à noter que Toussaint ne recourt pas aux parenthèses dans un but de transgression comme certains de ses prédécesseurs du Nouveau roman, mais plutôt pour mieux s'en jouer. Il cultive donc un espace énonciatif perpétuellement ambigu, incertain143. Il y a aussi une dimension ayant rapport avec l'affect qui peut ressortir de certaines de ces parenthèses et qui permet au lecteur d'entrevoir un étonnement amusé, voir ironique :

« Mais, finalement, bon an mal an, la plupart de mes amis chinois, qui s'éclipsaient ainsi momentanément de ma vie comme s'ils s'étaient volatilisés dans le grand vide sidéral, réapparaissaient comme ils avaient disparu, à l'improviste, sans crier gare, et, aussitôt, la relation que nous entretenions dans le passé reprenait, comme une conversation interrompue, à l'endroit exact où nous l'avions laissée (à croire que mes amis chinois n'existaient plus dès que j'avais le dos tourné). » (p. 30).

Les parenthèses permettent aussi à Toussaint de faire des commentaires qui rendent évident l'acte d'écriture ou la nature fictive et artificielle du récit :

« Mais je n'ai pas envie de quitter Bénédicte Petibon de sitôt (qui, je le crains, ne fera qu'une très courte apparition dans ce récit). » (p. 16).

« Il me semblait qu'elles pourraient peut-être donner matière à un livre, non pas en raison de l'intérêt en soi que les événements rapportés pouvaient présenter (encore qu'ils illustraient, à plat, sans intrigue romanesque, le quotidien

143 Alice Richir, « L'intime entre parenthèses. Fonction du commentaire décroché dans l'oeuvre de Jean-Philippe Toussaint », Poétique, n° 172, 2012, pp. 469-479, DOI : 10.3917/poeti.172.0469, consulté [en ligne] le 3 octobre 2017, https://www.cairn.info/revue-poetique-2012-4-page-469.htm

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réel que je vivais ces jours-ci), mais comme un témoignage de ce qu'avaient été mes expériences de tournage en Chine. » (p. 120-121).

Une autre forme de ponctuation figure dans Made in China pour nuancer la narration à l'instar des parenthèses. En effet, Jean-Philippe Toussaint recourt à de longs tirets dans le récit ce qui montre aussi la complexité de la structure de son écriture. Pour appuyer notre propos, il suffit de se référer à Albert Doppagne144 qui affirme que cette ponctuation est sans doute le signe le plus difficile à analyser à cause du grand nombre de fonctions possibles dans le texte par rapport à ce qu'a voulu entreprendre l'auteur. D'ailleurs, d'après Doppagne, sa valeur est supérieure à celle de la virgule. Des fois, Toussaint s'en sert pour introduire des raccords ou des rappels dans son récit. De plus, les tirets peuvent annoncer une conclusion, comme lorsque le narrateur parle de son film :

« J'étais prêt, de nouveau, à réunir toutes mes forces pour réussir ce film, comme si c'était le dernier, comme si c'était la dernière fois que je faisais un film, comme si c'était la dernière fois que j'avais l'occasion de créer une oeuvre -- Et qu'ensuite, me disais-je avec grandiloquence, je mourrais. » (p. 48).

L'emploi de cette forme de ponctuation est aussi pour Toussaint un moyen de laisser transparaître sa vision tout à fait sérieuse de la littérature. En effet, il révèle dans un article de L'Orient littéraire145 qu' il fait ce qu'il veut : il est bien sûr influencé par le quotidien et certains auteurs qui lui sont proches, comme nous l'avons auparavant indiqué, mais il ne se place en aucune manière comme prisonnier de convention déjà établie. Il se sent libre et donc maître de sa propre création. Il emploie aussi les tirets pour introduire dans le texte des métaréférences qui décrivent l'acte d'écriture rendant visible ses choix et rompent ainsi l'illusion du récit :

« Je pourrais très bien, si je voulais, la faire arriver à l'instant même, cette voiture -- j'ai ce pouvoir magique, c'est le pouvoir de la littérature --, la faire apparaître maintenant et la laisser se garer en douceur devant nous en double file ---. » (p. 16).

144 Albert Doppagne, « VI. Le tiret », dans La bonne ponctuation. Clarté, efficacité et précision de l'écrit, sous la direction de Doppagne Albert. Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2006, p. 22, consulté [en ligne] le 14 mars 2018, https://www.cairn.info/la-bonne-ponctuation--9782801113882-page-90.htm

145 William Irigoyen, « Jean-Philippe Toussaint dans le bain de l'imprévu », L'Orient littéraire, supplément mensuel de L'Orient LE JOUR, publié [en ligne] en octobre 2017, consulté [en ligne] le 1er janvier 2018, http://www.lorientlitteraire.com/article_details.php?cid=6&nid=7004

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De plus, il réussit, à l'aide de longs tirets, à provoquer un véritable abîme entre deux temps, celui du récit et de l'écriture même du livre. Dans de nombreux exemples, les tirets servent aussi à insérer une métalepse qui produit un effet comique et marque la frontière entre la fiction et la réalité :

« Je voudrais, quand j'écris, que mon cerveau soit une pièce étanche, hermétiquement fermée, coupée du monde, mais je sais qu'au plafond de cette pièce, parfois, le revêtement se lézarde, l'humidité s'accumule et la peinture gonfle -- et soudain, au beau milieu d'une phrase, je reçois une goutte sur le nez. Il y a une fuite au plafond, le monde extérieur s'invite dans mon esprit. » (p. 75).

En fait, nous trouvons même un passage où Toussaint fait un commentaire concernant l'emploi des temps superposés dans la narration. Ce commentaire se trouve entre les tirets ce qui apporte plusieurs niveaux temporels dans la narration :

« Et je songeai alors que je pourrais la faire surgir maintenant, cette musique, aussi bien dans le film que j'étais en train de tourner que dans le livre que j'étais en train d'écrire -- car, à deux niveaux de temps superposés, c'était autant un film que j'étais en train de tourner qu'un livre que j'étais en train d'écrire « en ce moment » --, et, si cela avait été impossible il y a quinze ans de faire surgir de la musique d'un livre, c'était sans doute possible maintenant, c'était devenu techniquement possible de faire surgir de la musique d'un livre numérique. » (p. 187).

« Elle pourrait donc très bien partir de cet endroit, la musique -- ici, à quelques lignes de la fin --, je la ferais partir en off, c'est d'ailleurs également en off qu'elle commence dans le film, quand on entend une voix féminine qui tient toujours la même note, un Ah-Ah-AhAhAh lancinant et répétitif, qui accompagne le titre, THE HONEY DRESS, puis vient un deuxième carton, a film by Jean-Philippe Toussaint, et enfin le dernier carton, produced by Chen Tong, et c'est alors la première image du film qui apparaît sous nos yeux, et c'est maintenant. C'est le début du film, et c'est la fin du livre. » (pp. 187-188).

En somme, la ponctuation est pour Toussaint un moyen d'expression parmi d'autres, qui permet, toute comme la vidéo, d'introduire d'autres points de vue dans la narration.

c) La vidéo comme métalepse dans Made in China

Traditionnellement, la métalepse fait référence à une figure rhétorique et, d'une façon générale, à un procédé narratif qui a été défini par Gérard Genette comme l'intrusion dans

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un texte d'un discours métatextuel ou métadiégétique.146 Benoît Delaune147 apporte un point de vue et un élargissement intéressant par rapport à cette définition en affirmant qu'un procédé similaire est apparu aussi dans les arts plastiques au début du XXème siècle. Il donne comme exemple les travaux de Braque et Picasso où nous trouvons des papiers collés et même de vrais objets comme un clou ou un bout de corde sur les toiles. Selon Benoît Delaune, l'intrusion de ces éléments a comme fonction de rendre visibles les limites et la planéité de ces oeuvres. De la même manière que dans une métalepse littéraire, il s'agit d'une figure utilisée par l'artiste qui met à nu le procédé de la peinture et ses limites. Elle révèle également la fonction représentative du médium employé en créant une sorte de rupture interne dans l'oeuvre qui marque les bornes de l'univers représenté et démontre l'illusion référentielle. En fait, dans les arts plastiques, l'effet donné est souvent ironique ou comique. Delaune fait aussi remarquer que l'emploi de la métalepse extérieure montre toujours la volonté de l'auteur d'inscrire son oeuvre dans la modernité. D'autre part, la métalepse extérieure est de bien des manières une figure de style paradoxale : Même si elle fait entrer l'art dans la modernité, il s'agit, tout de même, d'un procédé très ancien, déjà présent dans le théâtre antique où le Coryphée s'adressait directement au public. De plus, Delaune distingue deux fonctions de la métalepse extérieure, qui sont aussi paradoxales, car elles servent à la fois à déstabiliser et rassurer le lecteur.148

À notre avis, la vidéo, qui figure à la fin de Made in China, s'apparente beaucoup au procédé décrit auparavant où un vrai objet apparaît sur la toile, et peut être donc considérée comme une métalepse extérieure. Même si dans la fiction digitale, une vidéo ou un autre élément non-textuel fait partie intégrante de l'oeuvre, dans le contexte de Made in China, la vidéo est une sorte d'élément extérieur et une figure de création qui marque la fin de l'acte d'écriture en démontrant ses limites. Le fait que The Honey Dress est la seule vidéo, et qu'en général, le seul lien vers extérieur voulu par l'auteur dans l'oeuvre, accentue l'effet qu'il s'agit d'un élément hors du livre. De la même façon qu'un vrai objet

146 Gérard Genette, Figures III, « Poétique », Édition du Seuil, Paris, 1972, p. 244.

147 Benoît Delaune, « La métalepse filmique. De la transgression narrative à l'effet comique », Poétique, n° 154, 2008, pp. 147-160, DOI 10.3917/poeti.154.0147, consulté [en ligne] le 17 novembre 2017, https://www.cairn.info/revue-poetique-2008-2-page-147.htm

148 Ibid.

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sur une toile la rend tridimensionnelle, la vidéo dans le livre change son caractère, car il y a une différence entre lire un texte dans le sujet porte sur un film et de le voir. De plus, la vidéo fait l'appel à la vue et à l'ouïe de l'utilisateur. D'une certaine manière, la vidéo réussit donc aussi à montrer les limites de l'écriture, car, à titre d'exemple, il est tout à fait différent de lire à la page 187 « ---on entend une voix féminine qui tient toujours la même note, un Ah-Ah-AhAhAh lancinant et répétitif---. » que l'entendre dans le film.

En fait, tout le récit, jusqu'à l'apparition de ce film, met en scène le processus de production et le tournage de The Honey Dress. Les 180 pages environ, qui précédent le visionnage du film, décrivent des évènements qui ont conduit à sa réalisation. La première partie intitulée « Chen Tong » est consacrée à la présentation de l'éditeur et le producteur de Toussaint sans qui, selon une citation provenant de la quatrième de couverture, « rien n'aurait été possible » tandis que la deuxième partie appelée « The Honey Dress » montre les personnes que l'on voit dans le film et comment les protagonistes et le décor du tournage ont été choisis. Nous apprenons, entre autres, que le diadème que le mannequin porte sur ses cheveux dans le film est composé de LED et d'un schéma électrique complexe (p. 150). Très souvent, les préparations faites pour ce film sont décrites d'une telle manière que cela sert à démontrer son artificialité et, à son tour, ces limites comme médium. À la page 159, le lecteur apprend que les abeilles qui sont sur le corps de l'actrice dans la scène où elle est tombée sur le podium, sont en fait des huîtres séchées achetées dans un grand marché couvert à Guangzhou. Le récit prouve également que l'essaim en vol a été filmé à l'aide d'un montage séparé, parce qu'il n'était pas techniquement possible d'avoir ces abeilles avec le mannequin sur les mêmes images (p. 140). De la même manière, les uniformes de pompiers doivent être changés en costumes de vigiles, car il est impossible d'en acheter en Chine (p. 155). Les deux fonctions de la métalepse distinguées par Benoît Delaune149, voire la déstabilisation et la rassurance, sont reconnaissables aussi par rapport au film The Honey Dress. D'une part, le procédé fonctionne sur la rupture entre le récit et la vidéo et la surprise. La rupture est même annoncée verbalement où le narrateur explique ce qui suivra et constate à la dernière page du livre que « --- c'est alors la première image du film qui apparaît sous nos yeux, et c'est maintenant. C'est le début du film, et c'est la fin du livre. » (p. 188.) Même si l'effet de surprise, est quelque peu atténué par cette verbalisation, il est assez étonnant de voir dans

149 Ibid.

la vidéo tout ce qui a été écrit précédemment dans le texte. D'autre part et peut-être un peu paradoxalement, la vidéo remplit aussi en même temps la fonction de rassurance, car elle rend visuel et réel ce qui a été, jusque-là, décrit verbalement. Les limites de l'écriture, mais aussi celles de la lecture et même de l'imagination du lecteur, sont donc démontrées d'une manière très explicite. En fait, nous trouvons même un commentaire lié au caractère limité du codex dans le passage où le narrateur dit : « ---je me souviens alors d'avoir regretté le cadre limité auquel le livre est toujours contraint, muré en lui-même, comme une boîte hermétiquement close, dont il est impossible de s'extraire---. » (p. 186). Evidemment, le film souligne l'acte représentationnel du récit et son contraste fait même paraître certains passages du texte très restreints comme celui où le déroulement du début du film est expliqué dans le texte : « ---puis vient un deuxième carton, a film by Jean-Philippe Toussaint, et enfin le dernier carton, produced by Chen Tong---. » (pp. 187- 188). Nous avons déjà vu qu'un des effets visés de la métalepse est souvent d'ordre comique ou même ironique. Ce n'est pas vrai pour Made in China, car la vidéo met en avant une dimension magique mais aussi véridique du récit en prouvant que malgré son aspect représentationnel, le film existe.

Gérard Genette décrit également un cas particulier de métalepse dont il donne comme exemple des tableaux dans les tableaux ou encore des tableaux où il y a des personnages reflétés par exemple par un miroir.150 Ces tableaux « font l'image sortir du cadre », ce qui est, selon Genette, une des définitions possible de la métalepse.151 Il est également possible de trouver des points en commun entre cette définition et Made in China, car nous trouvons une oeuvre dans l'oeuvre et le film peut être donc vue comme une sorte de réflexion du récit.

60

150 Gérard Genette, Métalepse, Éditions du Seuil, Paris, 2004, pp. 79-80.

151 Ibid.

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C. Diffusion multi-support - problèmes techniques liés au format

Les possibilités offertes au public pour découvrir Made in China ne se limitent pas au livre papier. En effet, comme l'indique Jean-Philippe Toussaint152, il est même préférable de le découvrir en format numérique, car il inclut son film The Honey Dress que le lecteur peut visionner à l'aide d'un écran d'ordinateur ou d'une tablette. En fait, pour mieux rendre compte de ce projet, nous devons définir ce qu'est une diffusion multi-support et la mettre en perspective par rapport au paysage littéraire d'aujourd'hui. De plus, diverses solutions d'ordres techniques existent concernant les livres numériques dont nous analyserons leurs différences pour mieux montrer ce qui a conduit à l'adoption définitive de la norme EPUB pour ce livre.

a) Diffusion multi-support - définition et pratiques dans le paysage littéraire

Made in China bénéficie d'une diffusion multi-support, comme d'ailleurs toutes les oeuvres figurant au catalogue des Éditions de Minuit consultable sur son site Internet, puisqu'une version numérique est toujours associée aux livres papiers de tous les auteurs faisant partie de cette maison d'édition153. En fait, la version numérique d'une oeuvre littéraire offre l'avantage qu'elle peut se lire sur divers supports numériques comme un écran d'ordinateur, une tablette, une liseuse, voire même un Smartphone, c'est pourquoi on la nomme « multi-support » compte tenu de toutes ces possibilités154.

Il est aussi à noter que la parution de Made in China coïncide avec une pratique de la lecture numérique qui s'intensifie et se diversifie. En effet, comme le révèle le huitième

152 D.R, « La spécificité numérique de Made in China », Prière d'Insérer, propos de Jean-Philippe Toussaint recueillis par.D.R., Éditions de Minuit, Paris 2017.

153 Éditions de Minuit, Catalogue en ligne, consulté [en ligne] le 18 mars 2018, http://www.leseditionsdeminuit.fr/index.php

154 Dominique Boullier et Maxime Crépel, Pratiques de lecture et d'achat de livres numériques, Étude réalisée pour le MOTif, février 2013, pp. 47-48, consultée [en ligne] le 18 mars 2018, http://www.lemotif.fr/fichier/motif_fichier/488/fichier_fichier_etude.pratiques.lecture.et.achat.d e.livres.numa.riques.pdf

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baromètre sur les usages du livre numérique en France de 2018155 conduit par la Société Française des Intérêts des Auteurs de l'écrit (La Sofia), le Syndicat national de l'édition (SNE) et La Société des Gens de Lettres (SGDL), les lecteurs de livres numériques utilisent de plus en plus d'équipements différents lorsqu'ils lisent. En effet, selon cette étude, la moitié des lecteurs passent d'une machine électronique à l'autre. De plus, nous constatons que le support numérique le plus utilisé est la tablette avec 35 % d'utilisateurs, le Smartphone avec 34 %, l'ordinateur portable avec 33 %, la liseuse avec 23 % et pour finir l'ordinateur fixe avec 22 %, comme nous montre la figure 9 :

Figure 9. 8ème baromètre sur les usages du livre numérique de 2018. Source https://www.sne.fr/app/uploads/2018/03/barometre-2018 HD2-imprimeur.pdf

Il est particulièrement intéressant de constater que la liseuse n'arrive qu'en 4ème position avec 23 % d'utilisateurs. En fait, selon Dominique Nora156, le coût d'une liseuse est encore estimé entre 70 et 250 euros ce qui est sans doute un des freins par rapport aux autres équipements pour lire des livres numériques. En effet, la liseuse est uniquement

155 8ème Baromètre sur les usages du livre numérique, Étude conduite par la Société Française des Intérêts des Auteurs de l'écrit (La Sofia), le Syndicat national de l'édition (SNE) et La Société des Gens de Lettres (SGDL), France, 2018, consulté [en ligne] le 5 avril 2018, https://www.sne.fr/app/uploads/2018/03/barometre-2018 HD2-imprimeur.pdf

156 Dominique Nora, « Pourquoi l'ebook n'a pas encore révolutionné le marché du livre », l'Ohs, publié [en ligne] le 26 novembre 2017, consulté [en ligne] le 18 mars 2018, https://www.nouvelobs.com/economie/20171124.OBS7817/pourquoi-l-ebook-n-a-pas-encore-revolutionne-le-marche-du-livre.html

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dédiée à cette activité alors que pour les tablettes, Smartphones, ordinateurs portables ou fixes les usages sont multiples. Nous pouvons voir aussi certains changements dans la pratique de la lecture numérique par rapport au baromètre du Syndicat national de l'édition (SNE) montrant l'évolution de ces pratiques sur 5 ans de 2012 à 2017157. En effet, encore en 2017, la liseuse occupait la première place avec 83 % contre 67 % pour la tablette, alors qu'en 2018, cette dernière occupe dorénavant la première place. Une autre évolution est tout à fait remarquable, car il y a une forte hausse de lecteurs de livres numériques qui disent utiliser différents supports numériques lorsqu'ils lisent. En effet, en 2017, ils étaient 30 % tandis que dans le baromètre de 2018, ils sont presque 50 %, voir la figure 10 ci-dessous :

Figure 10. Baromètre du Syndicat national de l'édition (SNE) montrant l'évolution des pratiques sur 5 ans de 2012 à 2017. Source : https://www.sne.fr/app/uploads/2017/11/Barometre-SOFIA-Evolution-5-ans-Opinionway.pdf

b) Solutions techniques pour la diffusion multi-support

Lorsque Jean-Philippe Toussaint et les Éditions de Minuit commencent à planifier de quelle manière le film The Honey Dress est inséré dans la version numérique, il a fallu choisir le format permettant que le plus grand nombre de lecteurs puisse découvrir le livre sans qu'il y ait de problèmes techniques. Nous allons donc voir les avantages et les

157 Baromètre des usages du livre numérique : l'évolution des pratiques sur 5 ans, étude conduite par le Syndicat national de l'édition (SNE), France, 2017, consulté [en ligne] le 12 mars 2018, https://www.sne.fr/app/uploads/2017/11/Barometre-SOFIA-Evolution-5-ans-Opinionway.pdf

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inconvénients des divers formats, les plus utilisés actuellement pour mieux cerner les difficultés qu'ont rencontrées Jean-Philippe Toussaint et les Éditions de Minuit pour mener à bien ce projet.

Tout d'abord, il y a le format PDF de la société Adobe158, lancé en 1991 par John Warnock, qui a été une véritable révolution numérique. Ce format a permis pour la première fois de collecter des documents à partir de n'importe quelle application, d'envoyer des versions électroniques de ces documents et de pouvoir imprimer ou visualiser le contenu sur tous types d'ordinateur. Un des avantages du PDF est également le fait qu'il permet de garder l'apparence de la page, même sous un format protégé. Pourtant, malgré le succès planétaire du format PDF, il n'était pas complètement adapté à ce que voulait faire Jean-Philippe Toussaint. En effet, il n'est pas très commode pour un lecteur de découvrir un livre au format PDF avec des liseuses ou avec un Smartphone, du fait qu'il est impossible de changer la taille des caractères et difficile d'agrandir la page.159 160La lecture à l'aide de ce format est donc particulièrement désagréable à cause du manque de confort visuel, ce qui conduit le lecteur à ne pas pouvoir découvrir un livre dans des conditions optimales.

Kindle est un support très important dans le paysage des livres numériques, tant la société qui l'a créé est un acteur clé dans ce secteur. En effet, l'entreprise américaine Amazon fondée en 1994, spécialisée dans le commerce en ligne avec un chiffre d'affaire estimé à 130 milliard de dollars en 2016 et employant plus de 130 000 personnes dans le monde, commence à commercialiser le Kindle, son propre lecteur de livres numériques161. Ces

158 Adobe, Site d'une société d'édition de logiciels graphiques où se trouve des informations sur le format EPUB, consulté [en ligne] le 17 mars 2018, https://acrobat.adobe.com/fr/fr/acrobat/about-adobe-pdf.html

159 Franck, « Le livre numérique (eBook) : on vous dit tout ! », FNAC, France, publié [en ligne] le 6 mars 2015, consulté [en ligne] le 18 mars 2018, https://www.fnac.com/Le-livre-numerique-eBook-on-vous-dit-tout/cp25857/w-4

160 Frania Hall, The Business of Digital Publishing: An Introduction to the Digital Book and Journal Industries, London: Routledge, 2013. p. 31.

161 Numerama, Site d'actualité sur l'informatique et le numérique, consulté [en ligne] le 25 février 2018, https://www.numerama.com/startup/amazon

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différentes liseuses d'Amazon sont arrivées en France en octobre 2011 et donnent accès à un catalogue de plus de 4,5 millions d'e-books mais aussi de journaux et de magazines162. En fait, l'un des avantages de ce support de lecture réside dans le fait que son écran ne diffuse pas de lumière bleue qui peut être dangereuse pour l'oeil163. Amazon recourt à une autre technologie développée par Joseph M. Jacobson et Barrett Comiskey en 1997, à savoir l'écran à encre électronique qui empêche la fatigue oculaire grâce au reflet de la lumière ambiante164. En fait, le principal défaut des différentes versions du Kindle, c'est qu'elles enferment le lecteur mais aussi l'auteur dans le propre univers d'Amazon. En effet, Kindle est très contraignant et ne permet pas de lire des livres qui ne viennent pas de cet environnement, ce qui réduirait les possibilités offertes aux lecteurs pour découvrir Made in China.

Il nous reste à voir le format EPUB qui est actuellement le plus populaire. En fait, selon Fabrice Marcoux165, ce format est détenu par l'International Digital Publishing Forum (IDPF), qui a comme mandat d'en faire le format de référence dans le domaine de l'édition du livre numérique. L'EPUB est une norme ouverte qui rend notamment possible la création de versions enrichies de livres papier pour les liseuses électroniques mais aussi pour le web. L'ancêtre de l'EPUB est le format Open eBook, lancé en 1998 par la société SoftBook Press. À partir des années 1998-1999, un problème se pose avec la prolifération de nombreux formats. En effet, les différents formats de livres numériques

162 Amazon, Site d'une entreprise de commerce électronique et la page où l'on peut acter [en ligne] Made in China, mis [en ligne] le 14 septembre 2017, consulté [en ligne] le 15 septembre 2017,

https://www.amazon.fr/MADE-CHINA-Jean-Philippe-

Toussaint/dp/270734379X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1517071935&sr=8-1&keywords=%22Made+in+China%22

163 Anne-Sophie Glover-Bondeau, « Lumière bleue : comment protéger ses yeux? », Doctissimo, France, publié [en ligne] le 24 février 2017, consulté [en ligne] le 19 mars 2018, http://www.doctissimo.fr/sante/maux-quotidiens/ordinateur-sans-douleur/lumiere-bleue-danger-prevention#la-lumiere-bleue-dangereuse-pour-les-yeux

164 Site Internet de l'Office Européen des Brevets, « Une encre électronique pour la révolution de l'édition numérique », consulté [en ligne] le 19 mars 2018, https://www.epo.org/learning-events/european-inventor/finalists/2013/jacobson/feature fr.html

165 Fabrice Marcoux, «Le livrel et le format ePub», in E. Sinatra Michael, Vitali-Rosati Marcello (édité par), Pratiques de l'édition numérique, collection « Parcours Numériques », Les Presses de l'Université de Montréal, Montréal, 2014, pp. 177-189, http://www.parcoursnumeriques-pum.ca/le-livrel-et-le-format-epub

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ne sont compatibles qu'avec un seul modèle de liseuse. Il devint donc nécessaire de créer une norme ouverte et commune afin de rendre la lecture numérique bien plus pratique. Dès 1998, le National Institute of Standards and Technology (NIST) commence tout un processus, avec l'Open eBook Initiative, se basant sur un format de livres numériques avec le langage XML qui est destiné à normaliser le contenu, la structure et la présentation des livres numériques. L'année 2005 marque un changement crucial, puisque l'International Digital Publishing Forum (IDPF) est créé et prend la relève afin d'établir une norme globale, interopérable et accessible pour l'ensemble des livres électroniques. De plus, l'une des autres raisons d'être de cette structure est aussi de s'occuper de publications pour contribuer à la croissance de l'industrie de l'édition numérique. Le format EPUB apparaît en juillet 2005 pour devenir en 2007 une norme de l'IDPF. Malgré les nombreux avantages de l'EPUB, le format avait des défauts qui étaient notamment liés à des illustrations qui pouvaient être insérées qu'en noir et blanc. De plus, il était difficile de les placer dans l'endroit voulu, au moins dans les versions qui précédaient l'EPUB 3166. L'EPUB 3 est lancé en 2011 et s'appuie sur les règles du HTML5 en terme de structuration du contenu et sur le style CSS3 pour la mise en forme. Un cap est franchi en mars 2013 quand l'Union internationale des éditeurs (IPA) déclare officiellement l'EPUB3 comme norme internationale.

En fait, selon Fabrice Marcoux167, les particularités techniques du format EPUB qui sont des fichiers au format HTML, reposent sur les mêmes langages de balisage que ceux destinés dans la réalisation de sites web. Il s'agit donc d'un format qui permet de faire des livres numériques ayant les caractéristiques du livre papier mais aussi celles d'un site web. Il est donc possible avec le format EPUB d'utiliser tous les éléments typiques d'un document web, comme du texte, des images, des vidéos, mais aussi des liens. De plus, les hyperliens s'y intègrent bien, et l'EPUB permet aussi d'avoir l'ensemble des éléments paratextuels propre au livre, comme une table des matières, un index ou bien encore une page de couverture. Il y aussi un élément qui est tout à fait similaire par rapport au livre

166 Frania Hall, The Business of Digital Publishing: An Introduction to the Digital Book and Journal Industries, London: Routledge, 2013, ISBN: 9780415507288. p. 32.

167 Fabrice Marcoux, «Le livrel et le format ePub», in E. Sinatra Michael, Vitali-Rosati Marcello (édité par), Pratiques de l'édition numérique, collection « Parcours Numériques », Les Presses de l'Université de Montréal, Montréal, 2014, pp. 177-189, http://www.parcoursnumeriques-pum.ca/le-livrel-et-le-format-epub

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papier du fait du principe de répartition du contenu : un chapitre par fichier. La création possible d'hyperliens permet d'aller aussi au-delà d'une simple structuration linéaire du livre papier.

Actuellement, selon le Syndicat national du livre, l'EPUB 3, la dernière version développée par l'IDPF et la fondation Readium qui date de 2011, permet une avancée importante concernant le livre numérique. En effet, la collaboration entre l'IDPF et la fondation Readium créée en 2013 au salon du livre de Paris réunissant des groupes de travail oeuvrant aux développement d'outils pour la diffusion du format EPUB, a donné l'occasion d'élaborer un format lisible sur tous les supports électroniques : liseuses, tablettes, Smartphones, ordinateurs mais aussi les appareils en braille ou de retransmission vocale pour les non-voyants ou malvoyants. En fait, avec l'EPUB 3, il est possible d'y intégrer des vidéos, des animations mais aussi du son, c'est ce qui rend son emploi particulièrement intéressant dans le cas de Made in China. En fait, mis à part Kindle, le format propre d'Amazon, l'EPUB 3 s'adapte à tous les terminaux de lecture et s'impose de ce fait comme le format standard interopérable de référence dans l'édition numérique. Frania Hall rappelle que du point de vue des éditeurs, tous ces problèmes techniques et la production de divers formats pour ces différents supports entraînent des coûts, tout en sachant que les éditeurs ont réussi à accommoder leur système de gestion de production en fonction de ces contraintes. Il faut ajouter qu'en pratique, il est nécessaire de revoir et tester le fonctionnement de tous les fichiers.168

c) Adoption du format EPUB pour Made in China

Le processus de numérisation de Made in China a commencé réellement avec un courriel envoyé par Emmanuel Barthélemy169, qui est responsable du numérique aux Éditions de Minuit. En effet, ce message électronique daté du 24 avril 2017 montre que tout d'abord, il a besoin du fichier vidéo de The Honey Dress. Ensuite, il confie à Jean-Philippe

168 Frania Hall, The Business of Digital Publishing: An Introduction to the Digital Book and Journal Industries, London: Routledge, 2013. p. 32.

169 Annexe, Extraits de la correspondance entre Jean-Philippe Toussaint et Emmanuel Barthélemy, responsable des livres numériques aux Éditions de Minuit.

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Toussaint qu'il vaut mieux éviter d'avoir un fichier audio dissocié du film. Selon lui, l'effet désiré est possible à partir du moment où, dès l'affichage du dernier écran de lecture, le film commencera automatiquement. D'ailleurs, il précise qu'il a fait des essais en lisant la version numérique de Made in China à vitesse normale et que cela marche, car le film se déclenche au moment où il lit « je la ferais partir en off... »170. Barthélemy donne pourtant, quelques précisions sur certains points qui posent encore des questions sur la réalisation de ce projet171. Premièrement, seulement un nombre restreint d'appareils de lecture, évoluant sous format EPUB 3, peuvent prendre en charge la vidéo intégrée à un livre numérique et que malheureusement les liseuses n'ont pas la capacité de lire un livre avec un fichier vidéo. Deuxièmement, si le livre numérique est lu sur un terminal qui ne dispose pas de ce format, il passera sous le format antérieur l'EPUB 2, ce qui signifie que l'effet de surprise sera perdu, puisque le lecteur verra simplement, à la fin du récit, un lien web le dirigeant vers le film qu'il devra actionner pour le visualiser. Pour finir, Barthélemy demande à Toussaint, s'il est judicieux de prévenir le lecteur, avec une note dans le livre, de régler son appareil électronique de telle manière que le son soit audible, même si lui n'y est pas favorable, car il n'y aurait plus d'effet de surprise.

Un premier rebondissement pour trouver une solution technique a lieu lorsque Barthélemy envoie un nouveau courriel à Jean-Philippe Toussaint le 19 mai 2017. En fait, il s'est rendu compte d'un problème avec l'autoplay, c'est-à-dire la fonction qui déclenche automatiquement le film. En fait, il ne fonctionne pas avec iPad lorsque la vidéo est sonore. L'autoplay fonctionne, à priori, simplement sur iPad, avec un autre format EPUB appelé « fixed layout » qui est figé à peu près comme un PDF. Barthélemy suggère donc de créer deux versions distinctes : l'une en « fixed layout » destinée pour iPad, dont le déclenchement de la vidéo sera automatique, et l'autre en EPUB 3 avec une vidéo intégrée à la fin du récit. Il précise donc que, dans la majorité des cas sur les tablettes iPad, il est possible d'avoir la vidéo, mais elle ne peut pas fonctionner automatiquement. De plus, concernant les liseuses et les applications de lecture EPUB 2, ils ne peuvent supporter des vidéos, mais simplement un lien vers Internet.

170 Jean-Philippe Toussaint, Made in China, Éditions de Minuit, Paris, 2017, p. 187.

171 Ibid.

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Un autre courriel de Barthélemy du 19 juin 2017172 adressé à Jean-Philippe Toussaint mais aussi à Patrick Soquet, un informaticien et ami de l'auteur qui s'occupe notamment du site Internet www.jptoussaint.com, nous livre l'avancée des travaux. Nous apprenons que Soquet est intervenu dans le projet numérique de Made in China. D'ailleurs, Barthélemy s'est rendu compte que le script, c'est-à-dire le programme informatique, de Patrick Soquet est parfait. Par contre, Barthélemy affirme que le bon fonctionnement du déclenchement de la vidéo est aléatoire d'un iPad à l'autre et aussi sur une même machine. En fait, selon lui, les applications de lecture marchent avec des « caches » comme les navigateurs Internet dont on ne maîtrise pas encore complètement le fonctionnement et qui rendent donc particulièrement incertain le dispositif voulu à l'origine du projet. Barthélemy constate qu'il n'y a pas eu de disfonctionnement total lors de ses essais sur diverses machines et liseuses. Il pense aussi que la situation ne peut pas mieux évoluer sauf si Apple, malgré ses doutes, parvient à résoudre ce problème. Il conclut en demandant à Toussaint s'il faut prendre le risque que la vidéo, dans certains cas, ne se déclenche pas et s'il est judicieux d'avoir une multiplication des versions, sauf si Soquet parvient encore à faire fonctionner le script dans tous les cas de figure.

Deux jours plus tard, c'est-à-dire le 21 juin 2017173, Jean-Philippe Toussaint fait part de son avis sur la situation à Emmanuel Barthélemy et Patrick Soquet. En effet, il axe sa réflexion en trois points : en premier lieu, il pense que la version « fixed layout » est un prototype. Elle ne peut donc être diffusée que de façon privée, comme un exemple du rendu idéal de Made in China. En ce qui concerne la version commercialisable, Toussaint pense que le but est de faire une version en EPUB 3 qui se rapprochera le plus possible de l'idée d'origine. Il ajoute qu'il est impératif d'apporter des améliorations au fichier script, tout en continuant à faire des essais. Toussaint lance un appel en écrivant que : « Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues ». Emmanuel Barthélemy lui répond le 29 juin 2017 en affirmant qu'il faudrait supprimer le script du fichier, car il est bien trop aléatoire et laisser simplement l'autoplay. En fait, la norme EPUB n'est pas remise en cause. Le livre numérique avec le film fonctionnera sur ordinateur avec ADE et Readium,

172 Ibid.

173 Ibid.

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si le fichier script est à la norme EPUB 3. La version numérique consultable via une tablette ne déclenchera donc pas le film automatiquement mais le lecteur devra lui-même l'activer. Il ajoute que la décision finale doit être prise dans l'idéale à la mi-juillet. Toussaint envoie une réponse quatre jours plus tard, en lui proposant une réunion sur Skype avec Patrick Soquet. Le 13 juillet 2017, un message électronique est envoyé par Jean-Philippe Toussaint à Barthélemy et Soquet intitulé « Conclusions » où il résume les décisions qui ont été prises. Il faudra proposer à l'achat le fichier EPUB 3, donc Made in China en version numérique, sans script et sans autoplay. Le lecteur devra donc activer le film par ses propres soins. De plus, l'acheteur de la version numérique aura la possibilité de découvrir en bonus, seulement avec l'iPad, le prototype, sous format fixed layout, où le film se déclenche automatiquement.

Nous pourrions penser que l'affaire est close, c'est sans compter sur le hasard, En effet, Toussaint et Soquet apprennent par un courriel de Barthélemy du 19 juillet 2017174 qu'un autre informaticien Sébastien a résolu le problème. En fait, il s'est rendu compte, par accident, puisqu'aucune documentation existante ne le mentionnait, que l'autoplay fonctionnait lorsque le film n'était pas placé tout à la fin du chapitre. Les deux informaticiens sont arrivés, en faisant quelques essais supplémentaires, à faire un EPUB 3 reflow fonctionnant parfaitement pour iOS 9 et 10 d'Apple. La vidéo se déclenche donc automatiquement sur ces systèmes d'exploitation, de manière tout à fait constante et fiable, mais aussi sur le logiciel Adobe Digital Edition (ADE) et Readium concernant la lecture sur écran d'ordinateur. De plus, la version faite par Patrick Soquet pour les liseuses a aussi été testé avec succès. En fait, Sébastien a découvert « une faille informatique » qui n'a sans doute pas été voulue par les développeurs de l'EPUB. Ce véritable coup de théâtre est tout à fait symbolique, car Toussaint écrit dans son livre que le hasard fait partie intégrante d'une oeuvre.

174 Ibid.

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III Spécificité numérique de Made in China ?

Jean-Philippe Toussaint est aussi un plasticien, c'est sans doute l'une des raisons pourquoi il attache autant d'importance à l'aspect visuel de ses livres. Cela n'est donc pas un hasard, si Toussaint a porté une attention particulière à la version numérique de Made in China. En effet, cette version a été pour lui l'occasion de réaliser pour la première fois une de ses envies d'écrivain : de mettre de la musique dans un de ses livres. D'ailleurs, il est même allé encore plus loin dans ce projet, puisqu'il a incorporé au coeur même de Made in China, un véritable film. Cette oeuvre peut être lue sous la forme d'un livre papier dont nous sommes tous coutumiers, car le codex a marqué et marque encore de nos jours sa prédominance dans le monde des livres. Pourtant, Isabelle Dominati-Muller175, dans un article suivi d'un entretien avec Jean-Philippe Toussaint, indique que la découverte de Made in China est conseillée sous format numérique, à l'aide d'une tablette ou bien encore d'un ordinateur, afin de pouvoir se rendre pleinement compte de ce qu'a voulu faire l'auteur. En effet, ce livre est tout à fait singulier dans le paysage littéraire d'aujourd'hui, pour peu de le découvrir sous forme numérique.

A. Esthétique évoluant selon le support

La version numérique de Made in China passe par l'écran à la différence du livre papier. De ce fait, l'esthétique de l'oeuvre s'en voit changée, car, tout d'abord, la taille des écrans d'ordinateur ou des tablettes n'est pas nécessairement identique et peut différer d'un modèle à l'autre. Cela induit donc une particularité qui relève d'une certaine plastique. De plus, le lecteur d'un livre numérique dispose de certains outils dont il peut utiliser afin d'avoir un meilleur confort visuel. De cette manière, l'aspect premier de la page voulue par Jean-Philippe Toussaint peut être complètement bouleversé par les possibilités qu'offre le numérique. Made in China est aussi intéressant du point de vue de l'iconographie, ce que nous étudierons plus en détail.

175 Isabelle Dominati-Muller, « Made in China », In Corsica, numéro 29, octobre 2017, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,

http://www.jptoussaint.com/documents/8/81/In_Corsica_Toussaint_.pdf

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a) Un plus grand confort de lecture par rapport au livre papier

Made in China, en version papier, s'inscrit pleinement dans l'identité visuelle des Éditions de Minuit. Un lecteur averti sait déjà au premier coup d'oeil que ce livre vient de cette maison d'édition. En effet, comme le rappelle Camille Zammit 176, la couverture des livres des Éditions de Minuit est de suite reconnaissable grâce à son extrême blancheur et à son logo, une étoile surplombant un « m » minuscule, dessiné par Jean Bruller. Nous y trouvons aussi une typographie à empattements et un liseré bleu nuit. De plus, l'organisation spatiale des informations figurant en couverture est toujours ordonnée de la même manière : en partie supérieure, le nom de l'auteur précède le titre alors que dans la partie inférieure, le logo est particulièrement visible. On parle souvent du « bleu Minuit » comme la couleur caractéristique de cette maison d'édition177. Pourtant, à part cette couleur, comme le souligne François Vignale178, les Éditions de Minuit se sont inspirées de Gallimard et de sa Nouvelle Revue française, fondée en 1909, qui a été l'un des exemples du renouveau littéraire en France. En fait, les Éditions de Minuit veulent encore, à l'heure actuelle, être une des grandes références de l'édition française. C'est pourquoi, il est tout à fait intéressant de voir que l'apparence de la couverture de ses livres, entre autres Made in China, est identique d'un format à l'autre, c'est-à-dire en version numérique ou bien sous format papier. Quant au livre papier, selon Claire Bertrand, technicienne aux Éditions de Minuit, il a été imprimé chez Normandie Impression à Alençon sur une rotative Timson92 en brochage avec une couture par cahiers de 32 pages. La couverture a été imprimée sur un offset blanc Z.R.C. de 250° et le papier utilisé pour les pages est de l'Alizé or (bouffant sans trace de bois) des Papeteries de Vizille, 80° (voir annexe 9). La typographie utilisée pour les pages est le Garamond Simoncini, une police dont tous les livres des Éditions de Minuit sont reconnaissables. Il s'agit d'une police de caractère serif qui fait partie des polices de la famille Garamond qui sont très lisibles sur

176 Camille Zammit, L'apparence du livre : l'art de l'identité visuelle dans l'édition littéraire française, Mémoire de Master 2 « Édition imprimée et électronique », Sous la direction de Jérôme Dupeyrat, Année 2013-2014, consulté [en ligne] le 10 mars 2018, p. 21, http://dante.univ-tlse2.fr/431/1/camille zammit 2014.pdf

177 Ibid.

178 Charlotte Pudlowski, « Pourquoi en France les couvertures de livres sont-elles si sobres ? », Slatefr, publié [en ligne] le 24 mars 2013, consulté [en ligne] le 5 mars 2018, http://www.slate.fr/story/69737/pourquoi-france-couvertures-livres-sobres

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papier. Par contre, les caractères sans serif ne sont pas des choix optimaux pour la lecture sur écran179, ce qui montre que les Éditions de Minuit ont privilégié cette police dans les versions numériques afin de garder ce qui fait leur identité visuelle au détriment d'une lisibilité adaptée aux supports numériques.

La découverte de la version numérique de Made in China sur l'écran d'un ordinateur à l'aide de Readium offre des fonctionnalités permettant au lecteur de pouvoir appréhender l'oeuvre aussi d'une tout autre manière. En effet, il suffit pour cela que le lecteur recourt à une barre d'icônes qui figure en haut de page à droite et que l'on peut utiliser à l'aide de la souris ou du clavier. Ces icônes sont de l'ordre de quatre, comme nous pouvons le voir dans la figure 11 :

Figure 11. Capture d'écran de la barre d'outils provenant de Made in China sous Readium.

 

La première icône à partir de la gauche permet d'accéder à la librairie de Readium.

La seconde, si le lecteur l'active, fait apparaître à gauche de l'écran la table des matières de Made in China où il peut cliquer sur des liens qui le renvoient par exemple vers la deuxième grande partie du livre intitulée The Honey Dress, comme le montre la figure 12, tout en sachant que dans le cas de Made in China, cette fonctionnalité n'est pas très utile, puisque nous ne trouvons que deux parties :

179 Jakob Nielsen, « Serif vs. Sans-Serif Fonts for RD Screens », Nielsen Norman Group, publié [en ligne] le 2 juillet 2012, consulté [en ligne] le 1er avril 2018, https://www.nngroup.com/articles/serif-vs-sans-serif-fonts-hd-screens/

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Figure 12. Capture d'écran de la Table des matières de Made in China sous Readium.

La troisième icône est particulièrement intéressante, car elle offre la possibilité de changer de nombreux paramètres ayant comme but d'améliorer le confort de lecture en fonction des besoins du lecteur. En effet, il suffit de cliquer sur celle-ci pour voir apparaître au milieu de l'écran l'encadré présentée dans la figure 13 :

Figure 13. Capture d'écran des fonctionnalités « Settings » de Made in China sous Readium.

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En fait, il est possible de changer la police de caractère de Garamond Simoncini, qui a été paramétrée par défaut. Comme nous pouvons le voir sur la figure 13, il y a la fonction « Font Face » qui offre au choix quatre polices différentes : celle par défaut que nous avons déjà cité, « l'Open Dyslexic » qui s'adapte à un public atteint de dyslexie, « l'Open sans » qui est appropriée pour la lecture sur écran et enfin « Noto Serif » qui est une police sans serif comme cette dernière et dont la différence principale réside dans le fait qu'elle ambitionne de couvrir un maximum de langages180, comme nous le voyons à l'aide de la figure 14 :

Polices de caractère au choix pour la lecture de Made in China avec Readium

 

Par défaut : Garamond
Simoncini

 

Open Dyslexic

 

Open sans

 

Noto Serif

Figure 14. Quatre captures d'écran provenant d'une phrase de la version numérique de Made in China qui reprend à chaque fois les quatre polices de caractère offertes sous Readium.

La figure 15 montre aussi une autre fonction, qui se trouve dans le menu « Settings », permettant de modifier l'apparence de la page en ajustant la couleur du fond de page et le contraste du texte avec celle-ci. En effet, il suffit de choisir une des six possibilités qui y figurent, pour voir l'apparence de l'oeuvre changée par rapport à sa version papier. En partant du haut vers le bas, il y a tout d'abord la version par défaut, qui est celle de l'auteur, puis une version « Black and White », où le fond de page est en blanc alors que la police figure en noir. Dans « Arabian Nights », le fond de page change en noir tandis que le texte est en blanc. « Sands of Dune » offre la possibilité de lire le texte en marron clair avec un fond de page couleur sable. Quant à l'option « Ballard Blues », elle permet

180 Stéphane, « Noto Sans », Une liseuse & des polices, publié [en ligne] le 4 septembre 2016, consulté [en ligne] le 2 avril 2018, https://poliseuse.wordpress.com/2016/09/04/noto-sans/

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de lire le texte avec une couleur bleue très clair, alors que le fond de page est d'un bleu bien plus foncé. « Vancouver Mist » offre l'inverse, c'est-à-dire un texte bleu foncé sur un fond bleu clair, comme nous pouvons le constater à l'aide du la figure 15. En fait, toutes ces possibilités proposées aux lecteurs dans la version numérique de Made in China sous Readium, bouleversent d'une certaine manière l'esthétique voulue par Jean-Philippe Toussaint et les Éditions de Minuit. De plus, en réglant la taille de la police avec l'option « Font Size », le lecteur change aussi la mise en page du texte.

Fonds de page et couleur du texte au choix pour la lecture de Made in China avec

Readium

 

Par défaut : version de l'auteur

 

Black and White

 

Arabian Nights

 

Sands of Dune

 

Ballard Blues

 

Vancouver Mist

Figure 15. Six captures d'écran provenant d'une phrase de la version numérique de Made in China qui reprend à chaque fois les six fonds de page et couleurs du texte offerts sous Readium.

Nous retrouvons, fondamentalement, les mêmes fonctionnalités sur l'iPad, la tablette d'Apple, sous le système d'exploitation iOS 10. En fait, des icônes sont placées dans un bandeau en haut de l'écran, dont la première, de gauche à droite, renvoie à la bibliothèque, la seconde au contenu, la troisième donne l'opportunité de modifier l'apparence du livre, la quatrième d'y faire une recherche et la cinquième permet d'ajouter des signets, comme le montre la figure 16 :

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Figure 16. Capture d'écran du menu en haut de page de Made in China en version numérique. Source : Site Internet d'Apple.fr http://help.apple.com/ipad/11/?lang=fr#/iPadd3c9dc47

En fait, l'iPad contient plus d'options que Readium pour modifier l'apparence du livre. En effet, cette tablette dispose de neuf polices de caractères différentes : celle d'origine, Athelas, Charter, Georgia, Iowan, Palatino, San Francisco, Seravek et Times New Roman. Quant aux couleurs des fonds de pages, elles sont au nombre de quatre : en blanc et couleur sable avec les caractères du texte en noir, mais aussi en gris et noir avec le texte qui apparait en blanc, comme nous pouvons le voir à l'aide de la figure 17 :

Figure 17. Capture d'écran du menu en haut de page de Made in China en version numérique. Source : Site Internet d'Apple.fr http://help.apple.com/ipad/11/?lang=fr#/iPadd3c9dc47

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L'iPad se distingue de Readium par rapport à trois fonctionnalités qui peuvent amener le lecteur à se comporter plus encore comme un utilisateur d'un contenu numérique. En

effet, lorsque le lecteur touche l'icône loupe, il lui est possible de chercher un ou

plusieurs mots dans le texte. De plus, la fonction marque page permet de créer

ou de supprimer des signets que l'on peut consulter pour par exemple reprendre une lecture interrompue. Cela nous amène à voir la dernière option qui donne une dimension toute particulière à la version d'Apple, car si le lecteur laisse son doigt appuyer durant quelques secondes sur un ou plusieurs mots, il voit à l'écran une nouvelle barre d'outils. Il peut ensuite activer, selon son envie, la commande « définition », qui renvoie à des informations disponibles sur Internet, par exemple sa définition dans un dictionnaire en ligne. Une commande permet aussi de surligner les parties choisies du texte et une autre de prendre des notes. Enfin, une dernière commande est conçue pour activer une recherche dans le livre, mais aussi sur le Web et Wikipédia. En fait, cela montre que la version de Made in China disponible sur iPad permet une lecture tout à fait comparable à celle de Readium, tout en apportant des fonctionnalités supplémentaires qui font du lecteur un utilisateur connecté, à condition que la tablette ait accès à Internet. D'une certaine manière, il peut donc s'échapper du cadre voulu par Jean-Philippe Toussaint, avec tout d'abord son livre papier, puis la version Readium, car avec l'iPad, il peut, à chaque mot du texte, naviguer sur la toile. En définitive, chaque mot est donc une fenêtre possible vers un monde qui échappe à l'univers de Toussaint.

b) La mise en page s'en voit bouleversée laissant place au jugement du lecteur

Jean-Philippe Toussaint accorde beaucoup d'importance à l'esthétique de la page dans ses oeuvres, comme il nous le révèle dans une vidéo intitulée « Le point-virgule »181. En effet, selon lui, la littérature recèle en elle-même une véritable dimension graphique. Il signale que lorsqu'il ouvre un de ses livres, il aime voir ses doubles pages où le texte prend la forme de rectangles. La version papier de Made in China n'échappe pas à cette règle. De plus, Toussaint se réfère à Samuel Beckett, qu'il admire tant, comme nous

181 Jean-Philippe Toussaint, « Le point-virgule », Session de travail de Jean-Philippe Toussaint avec ses traducteurs, Seneffe, août 2014, vidéo disponible sur YouTube, mise [en ligne] le 13 août 2014, consultée [en ligne] le 2 avril 2018, https://www.youtube.com/watch?v=JypCWK2Ezmk

l'avons vu dans la première partie, par rapport à cet aspect de la page en générale. En fait, il suffit de prendre deux doubles pages, l'une de Mallone meurt (1951) de Samuel Beckett et l'autre de Made in China pour voir l'influence qu'a ce dernier sur Toussaint, d'un point de vue graphique. Les pages de ces deux auteurs sont tout à fait similaires du point de vue de la dimension graphique dans l'espace de la page, comme le montre la figure 18 :

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Figure 18. Extraits pour les pages 13 e 14 de Made in China de Jean-Philippe Toussaint et pour les pages 8 et 9 de Mallone meurt (1951) de Samuel Beckett. Source

provenant du site Internet des Éditions de Minuit :

http://www.leseditionsdeminuit.fr/images/extrait_1500.pdf et
http://www.leseditionsdeminuit.fr/images/extrait livre 525.pdf

Jean-Philippe Toussaint évolue donc dans une certaine filiation concernant l'apparence de la page en générale. Étymologiquement, le mot « page », comme l'indique la Bibliothèque de nationale de France182, dérive de « pagina ». D'ailleurs, dans un article, Bianca Tangaro183 reprend les propos d'Anthony Grafton, selon lesquels, le terme « page » dérive du latin et plus précisément du verbe « pangere » qui signifie littéralement « planter ». Il indique que plus tard le terme « pagina » signifiait la colonne d'écriture

182 Site Internet de la Bibliothèque nationale de France, Exposition : L'aventure des écritures - La page, 2002, http://classes.bnf.fr/page/de/index.htm

183 Anthony Grafton, La page de l'Antiquité à l'ère du numérique - Histoire, usages, esthétiques, Éditeur Hazan, Paris, 2015 dans : Bianca Tangaro, De la page au flux: la conception du livre numérique, Article de DLIS Digital Libraries & Information Sciences, carnet de recherche collaboratif publié avec le soutien de l'Enssib, publié [en ligne] le 13 juin 2017, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, https://dlis.hypotheses.org/1255

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dans laquelle le texte est « planté ». De plus, ce dernier terme était porteur d'un autre sens qui désignait en latin les rangées de pieds de vignes. Par la suite, « pagina » aurait encore évolué métaphoriquement afin d'indiquer les colonnes des livres où le flux désorganisé de la parole trouve un cadre structurant sur le papier. En fait, ces colonnes étaient tout d'abord celles du volumen, qui par la suite, ont subsisté dans le codex. D'ailleurs, ce terme est rentré dans les moeurs et les habitudes de lecture. Par contre, le même mot « pagina » a évolué dans sa signification jusqu'à aujourd'hui. Grafton indique que celui-ci désigne « le côté d'une feuille, et l'espace sur lequel on peut écrire ». Entre le IIème et le Vème siècle après J.-C., les auteurs de codex font de nouvelles expériences. Ils commencent à mettre le texte sur la page, non plus en colonnes mais en « blocs de texte ». Durant cette période, l'auteur est littéralement maître de la page d'un point de vue graphique et donc esthétique. Il est à noter que ce sont eux qui commencent à embellir leurs textes et à les modeler selon leurs envies. L'arrivée de l'impression en Europe à partir du XVème siècle après J.-C. intensifie plus encore cette volonté des auteurs de faire de la page l'espace privilégié de leur création du point de vue esthétique.184 Nous pouvons donc constater que Jean-Philippe Toussaint fait partie intégrante de toute une lignée d'auteurs qui ont voulu être maître de la page sans que le lecteur puisse avoir une quelconque influence en la matière.185

Pourtant comme nous allons le voir, les deux versions numériques de Made in China, à savoir celle disponible sur Readium à l'aide d'un ordinateur et l'autre sur une tablette iPad, d'Apple sous environnement iOs 10, changent d'une certaine manière la pratique de la lecture. En effet, ces deux supports numériques permettent aux lecteurs de découvrir, s'ils le veulent, le livre d'une façon différente par rapport à la version papier. En effet, les lecteurs peuvent choisir différents modes de pagination. Tout d'abord, avec Readium, il y a la pagination d'origine, identique à celle du livre papier sur deux colonnes, donc ce qu'a voulu l'auteur sur une double page. La deuxième option consiste à avoir le texte qui apparaît à l'écran d'un seul bloc, il n'y a plus de ligne de blanc verticale au milieu de

184 Ibid.

185 Jean-Philippe Toussaint, « Parenthèses et tirets », Session de travail de Jean-Philippe Toussaint avec ses traducteurs, Seneffe, août 2014, Vidéo [en ligne] sur YouTube depuis le 14 août 2014, consultée [en ligne] le 30 mars 2018, https://www.youtube.com/watch?v=0EXHylKYR7M

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l'écran. Une autre option est disponible dans le mode « Scroll mode » et donne la possibilité d'actionner la fonction « continuous » qui permet de découvrir le texte toujours de haut en bas revenant au même système qu'un livre sous forme de rouleau. D'ailleurs, la figure 19 montre les différentes options offertes par le logiciel de lecture Readium :

Figure 19. Menu sous Readium permettant au lecteur de changer la pagination de Made in China grâce à plusieurs options au choix.

La version numérique de Made in China disponible sur iPad apporte aussi à la dernière page de l'ouvrage de nouvelles fonctionnalités qui diffèrent complètement de celles de Readium. En effet, le lecteur est invité à donner son avis sur le livre en pouvant choisir le nombre d'étoiles qu'il lui confère allant d'un à cinq. De plus, à l'aide de l'option « Write a Review », il a l'opportunité de rédiger un avis, avec l'option « Share » et aussi partager son opinion à l'aide de courriel à ses amis, mettre ses impressions dans les fonctions « Rappels » et « Notes » de la tablette. Pour finir, il peut diffuser sur sa page Facebook des textes et des messages par rapport à Made in China. Sous ces fonctionnalités, le lecteur peut aussi découvrir notamment d'autres oeuvres de Jean-Philippe Toussaint. En fait, ces fonctionnalités changent la nature même de la lecture. Le lecteur de la version papier ou numérique sur Readium se laisse guider au fil du récit, tandis que le lecteur utilisant l'iPad a l'occasion d'être un utilisateur actif qui peut diffuser en quelques instants

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des avis sur Internet. Il devient donc un utilisateur qui peut se détacher du carcan naturel d'un livre et de son auteur.

c) Icône - une fenêtre renvoyant vers le monde numérique

Jean-Philippe Toussaint utilise, à la toute dernière page de la version papier de Made in China, une image ressemblant à un bouton de lecture, qui invite le lecteur à sortir du livre. En effet, nous y trouvons un rectangle noir arrondi par ses angles au milieu duquel il y a un triangle blanc indiquant la droite. Au-dessous de cette image, figure une adresse Internet honey.jptoussaint.com. Selon Jean-Philippe Toussaint, il a, tout d'abord, soumis à son éditeur, deux esquisses d'icônes « Play », dont il avait dessiné la première lui-même à l'encre de Chine et qu'il pensait plutôt utiliser, tandis que l'autre, plus classique, avait été réalisée par sa fille Anna. En fait, sa maison d'édition a retenu cette dernière dans les premières épreuves du livre et, après mûre réflexion, l'auteur a donc décidé d'opter pour celle faite par sa fille, notamment à cause de sa meilleure lisibilité (voir annexe 10). D'ailleurs, la figure 20 montre ces trois icônes qui ont fait partie du projet de Made in China à différentes étapes du processus de création jusqu'à l'aspect final de l'icône dans la version papier.

Figure 20. Les trois icônes « Play » pour Made in China. La première est faite par Jean-Philippe Toussaint et celle au milieu par la fille de l'auteur Anna. La dernière figure dans les versions papier du livre.

L'emploi des icônes est courant dans le monde numérique et les symboles repris par l'icône de Made in China contiennent des éléments familiers d'Internet. Par contre, il est plus surprenant de voir cette icône dans le contexte d'un codex, surtout quand les 187

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pages, qui précèdent l'icône, ont un aspect visuel très dépouillé, composé de rectangles de textes, comme nous l'avons précédemment vu. Cela rend donc le message de l'image très efficace. Selon Aurora Harley186, le but d'une icône est, avant tout, de transmettre une certaine signification tout en valorisant la marque de l'entreprise par le choix des couleurs et la conception graphique. Dans l'environnement numérique, les icônes représentent visuellement un objet, une action ou une idée. En fait, les utilisateurs interprètent leur signification sur la base de leurs expériences antérieures et, si la signification de l'icône n'est pas immédiatement claire pour les utilisateurs, elle devient inutile, voire même frustrante. Harley rappelle également qu'il y a très peu d'icônes universelles et leur emploi est rarement standardisé. C'est pourquoi il est conseillé de toujours attacher un texte alternatif à celles-ci dans le contexte digital.187 Quant à la version papier de Made in China, l'icône est associée à une adresse Internet qui indique que le lecteur est invité à visiter cette adresse. Dans l'environnement digital, il serait naturel de la présenter comme la balise alt, c'est-à-dire un texte alternatif qui apparaît lorsque la souris est pointée sur l'image. De plus, la dernière phrase du livre informe le lecteur du commencement du film.

Si nous analysons l'image présentée sur la dernière page du codex en termes peirciens, nous avons affaire à une sorte d'indice. En fait, dans sa théorie des signes, Charles S. Peirce188 explique que chaque signe est composé d'un representamen, donc d'un signe matériel qui renvoie à un objet et c'est grâce à un interprétant, une représentation mentale que la relation entre le representamen et l'objet s'effectue. Pour Peirce, penser et signifier sont deux aspects du même processus.189 Il distingue aussi trois manières différentes selon lesquelles le representamen peut renvoyer à son objet. En fait, celui-ci peut être une

186 Aurora Harley, « Icon Usability », Nielsen Norman Group, mis [en ligne] le 27 juillet 2014, consulté [en ligne] le 12 avril 2018, https://www.nngroup.com/articles/icon-usability/

187 Ibid.

188 Albert Atkin, « Peirce's Theory of Signs », The Stanford Encyclopedia of Philosophy, Édition Edward N. Zalta, 2013, consulté [en ligne] le 20 avril 2018, https://plato.stanford.edu/archives/sum2013/entries/peirce-semiotics/

189 Ibid.

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icône190 qui ressemble à son objet ou a un rapport d'analogie avec celui-ci. À titre d'exemple, une photo d'un objet est une icône, car elle est identique avec celui-ci. Si le representamen est un indice191, il a une relation cause-conséquence avec son objet, car il indique ou montre une partie de ce dernier. Un exemple typique pour décrire l'indice est celui de la fumée qui indique le feu. Il s'agit d'un élément qui en est une partie essentielle. Par contre, la relation du symbole à son objet est complètement arbitraire, car il n'a aucune ressemblance ou contiguïté avec l'objet qu'il représente. Comme son interprétant se base sur une convention, sa compréhension nécessite l'apprentissage de codes et de conventions. D'ailleurs, selon Roland Barthes, le dessin est un message codé. Il peut être visuellement très simple mais porter un message fort. Barthes se réfère aussi à Ferdinand de Saussure qui accordait beaucoup d'importance à ce fait sémiologique192. En, fait, dans l'image de Made in China, le rectangle noir peut être considéré comme un indice d'un film, car il ressemble à un grand ou petit écran sur lequel on peut en visionner. Quant au triangle blanc, il fait référence au bouton « Lecture » ou « Play » qu'on peut trouver dans toutes sortes d'appareils électroniques tels que les lecteurs vidéos ou CD. Au départ, ce signe a une relation symbolique avec l'objet auquel il renvoie, car il a été choisi arbitrairement, mais il a tellement été répandu dans notre société qui se veut de plus en plus technologique, surtout dans le contexte numérique, que nous avons appris à l'interpréter facilement. D'ailleurs, la société américaine YouTube, qui a dépassé le milliard d'heures de vidéos vues par jour sur Internet193, a utilisé ces mêmes signes dans son logo, ce qui prouve qu'il s'agit de signes universaux, au moins dans le monde

190 M. Bergman et S. Paavola, « «Icon». The Commens Dictionary: Peirce's Terms in His Own Words », New Edition, consulté [en ligne] le 20 avril 2018, http://www.commens.org/dictionary/term/icon

191 M. Bergman et S. Paavola, « «Index», The Commens Dictionary: Peirce's Terms in His Own Words », New Edition, consulté [en ligne] le 20 avril 2018, http://www.commens.org/dictionary/term/index

192 Roland Barthes, « Rhétorique de l'image », Communications, 4, Recherches sémiologiques, 1964, consulté [en ligne] le 4 mars 2018, www.persee.fr/doc/comm_0588-8018 1964 num 4 1 1027

193 Roch Arène, « YouTube : plus d'un milliard d'heures de vidéos vues quotidiennement », CNET, mis [en ligne] le 28 février 2017, consulté [en ligne] le 22 avril 2018, http://www.cnetfrance.fr/news/youtube-plus-d-un-milliard-d-heures-de-videos-vues-quotidiennement-39849142.htm

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occidental. En effet, cette société a de nouveau modifié son logo en 2017194 de telle manière qu'il puisse être consultable sur l'ordinateur, la tablette ou bien encore le Smartphone. Le nouveau logo de cette entreprise américaine ressemble énormément à l'image qui a été insérée dans Made in China, comme le montre la figure 21. Pourtant selon Emmanuel Barthélemy des Éditions de Minuit, cette ressemblance est une coïncidence (voir annexe 8). Il est pourtant intéressant de savoir que depuis le 13 juin 2017, il est possible de voir ce film aussi sur YouTube.

Figure 21. Capture d'écran d'un des nouveaux logos monochromes de YouTube provenant du site Internet de cette société américaine. https://www.youtube.com/intl/fr/yt/about/brand-resources/#logos-icons-colors

En fait, il est à noter que cette image qui fait référence à un film se trouvant sur Internet n'est pas visible dans les versions numériques de Made in China disponibles sur Readium et l'iPad. Cela peut être vu comme un paradoxe : pourtant ce choix a été fait délibérément, comme nous allons le voir. En effet, mettre une icône « Play » aurait nécessité une certaine action du lecteur pour découvrir The Honey Dress et aurait gâché tout ce que voulait faire Jean-Philippe Toussaint.

B. La présence d'une vidéo - expérience de lecture différente ?

L'originalité de Made in China, comme nous l'avons déjà vu, repose en grande partie sur le film The Honey Dress qui réside au coeur même de l'ouvrage, à la condition de

194 Etienne Froment, « Voici le nouveau logo de Youtube », Le Soir.be, mis [en ligne] le 30 août 2017, consulté [en ligne] le 20 avril 2018, http://geeko.lesoir.be/2017/08/30/voici-le-nouveau-logo-de-youtube/

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découvrir ce livre à l'aide d'un support numérique comme l'ordinateur avec Readium ou bien encore une tablette iPad. En fait, Jean-Philippe Toussaint crée une vraie surprise pour le lecteur à la fin du récit. Au lieu de décrire l'histoire de The Honey Dress sous forme de texte, surgit du livre de la musique, puis après le film que le lecteur est amené à découvrir. Le livre passe donc du texte à une oeuvre filmographique plongeant le lecteur dans une autre oeuvre tout en s'intégrant naturellement dans la continuité du récit de Made in China, puisque le livre et le film cultivent intrinsèquement la fibre esthétique propre à Jean-Philippe Toussaint. L'auteur arrive donc à associer des univers en apparence bien différents pour rendre la version numérique de Made in China insolite dans le paysage littéraire actuel, destiné au grand public. Cela nous amène donc à nous interroger, si la présence de la vidéo affecte l'expérience de lecture.

a) L'effet de surprise

Lors de la lecture pour la première fois de Made in China sur Readium ou sur iPad, le lecteur est pris par surprise quand il arrive aux deux dernières pages du livre. En effet, alors qu'il lit à la page 187 « Elle pourrait donc très bien partir de cet endroit, la musique-- » (p. 187), il entend la musique du film qui se déclenche automatiquement ce qui est exceptionnel dans un livre numérique, même si les vidéos sont très présentes sur Internet. En fait, si nous nous basons dans un contexte numérique, surtout sur Internet, le trafic vidéo représente 75 % des données qui y circulent195, quoiqu'elles se font plus rares dans les livres numériques. Leur rôle peut être aussi bien de divertir ou d'informer l'utilisateur. Si nous nous appuyons sur la bonne pratique concernant l'emploi des vidéos dans le contexte numérique, il y a quelques règles de base à respecter. D'après Amy Schade196, le principe est de toujours laisser les utilisateurs contrôler le contenu, car ils n'aiment pas être surpris par une vidéo ou un audio qui se met en marche sans leur consentement. De plus, il est toujours conseillé de former les liens d'une telle façon qu'ils indiquent le type de contenu auquel ils mènent. En règle générale, les utilisateurs devraient également

195 Cisco, The Zettabyte Era: Trends and Analysis, White Paper, juin 2017, consulté [en ligne] le 3 mars 2018, https://www.cisco.com/c/en/us/solutions/collateral/service-provider/visual-networking-index-vni/vni-hyperconnectivity-wp.pdf

196 Amy Schade, « Video Usability », Nielsen Norman Group, mis [en ligne] le 16 novembre 2014, consulté [en ligne] le 12 avril 2018, https://www.nngroup.com/articles/video-usability/

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pouvoir choisir de quel type de contenu ils veulent voir ou écouter. Amy Schade rappelle que dans le cas d'une vidéo qui se met en marche automatiquement, beaucoup d'utilisateurs ont tendance à l'arrêter (pause) ou la mettre en mode silencieux. De plus, l'administrateur d'un site Internet devrait aussi veiller que dans le cas où la vidéo se trouve sur un site hébergé par une tierce partie par exemple sur YouTube, on ne propose pas aux utilisateurs des contenus inappropriés. Tout cela étant dit, il faut constater que ces règles ne s'appliquent pas à une oeuvre d'art, comme un roman, mais c'est justement l'infraction de ces pratiques qui renforce l'effet de surprise de la vidéo dans Made in China.

De plus, le stratagème employé par Toussaint pour créer cet effet est à souligner, car il n'a pas recours à un hypermédia que l'on peut voir. En effet, ce lien, que l'on nomme « AutoPlay », n'est pas visible et n'apparaît pas à l'écran. En fait, c'est le lecteur qui le déclenche sans le savoir puisqu'il ne s'attend pas à voir ni à entendre quoi que ce soit à la fin de Made in China. De ce fait, l'auteur est toujours maître de sa propre oeuvre puisqu'il dirige le lecteur dans le sens où il veut que ce dernier aille. De cette manière, ce lien ne donne donc pas de choix au lecteur de continuer à naviguer sur Internet après le visionnage du film, car d'autres liens n'existent pas. Dans un premier temps, le lecteur voit donc le générique du début du film associé à de la musique. Durant plusieurs secondes, alors qu'il continue de lire les dernières phrases du récit décrivant la voix féminine de la musique (p. 187), le lecteur l'entend lui-même et la découvre donc à la fois en lisant et l'écoutant dans le même temps. Cette musique est donc tout d'abord, une sorte de transition entre le texte et le film que le lecteur voit quelques instants plus tard. Cette intermède dure 16 secondes pendant laquelle cette voix féminine se fait entendre d'une manière tout à fait répétitive pour mieux préparer le lecteur à ce qu'il verra. D'ailleurs, dans ce laps de temps, celui-ci passe de lecteur à spectateur. Il est particulièrement intéressant de voir les deux dernières pages à l'écran en mode « auto » sous Readium, car c'est la mise en page voulue par Toussaint. Nous voyons dans la figure 22 que le dernier paragraphe du livre est à gauche de l'écran tandis qu'à sa droite apparait le film The Honey Dress. Cela marque donc une continuité entre ces deux oeuvres puisqu'elles figurent côte à côte.

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Figure 22. Capture d'écran de la fin de Made in China sous Readium.

Durant ces 16 premières secondes de la vidéo, le lecteur est incité à porter son regard à la droite de l'écran où il voit défiler le titre du film en lettres blanches sur un fond noir en chinois et en anglais, ensuite « a film by Jean-Philippe Toussaint » et « produced by Chen Tong ». Cette transition marque donc le passage entre le récit textuel et le film. Jean-Philippe Toussaint passe donc d'un statut d'écrivain à celui de réalisateur, qui est aussi un véritable plasticien comme nous allons le voir.

b) L'interdiscursivité du récit avec le film

The Honey Dress apparaît sous les yeux du lecteur, ce qui entraîne chez lui une nouvelle expérience. Il peut donc voir que ce qu'a écrit Toussaint dans Made in China existe réellement dans ce film. En fait, il s'agit d'une interdiscursivité par rapport au récit, car la vidéo montre au lecteur certains événements mais aussi des personnages qu'il n'avait pu auparavant que s'imager. Cela contribue à donner au film The Honey Dress la fonction de renforcer l'effet réel du récit ou de l'infirmer. D'ailleurs, selon Jacques Aumont, l'image photographique, donc par voie de conséquence aussi le cinéma, est

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ontologiquement objective, à cause de l'automatisme de l'indicialité qu'elle produit, elle induit ce bénéfice psychologique appréciable d'être absolument crédible.197

Dans certaines scènes du film, Toussaint recourt à un procédé qui ressemble à une sorte de mise en abyme, car le film reproduit certains passages du récit sans les modifier.198 À titre d'exemple, les premières images du film montrent qu'il a été tourné de nuit dans une salle où l'on distingue la ville de Canton et rappelle pour le lecteur ce passage figurant dans le texte puisque c'est exactement la même ambiance qui se dégage du film :

« Je continuais de regarder la ville derrière la baie vitrée, voyant se composer et se décomposer de gigantesques enseignes lumineuses multicolores [...] qui semblaient s'effondrer sur elles-mêmes, avant de se reconstruire, par étapes, les couleurs, rouge, jaune, orange, rose, violet s'étageant, grimpant le long des bâtiments, pour former à nouveau des dessins stylisés et des idéogrammes dans la nuit » (pp. 92-93).

De plus, il y a trois personnages : un homme et deux femmes dont l'une est placée au centre de la pièce. En fait, nous comprenons de suite qu'il s'agit du mannequin, car elle répond parfaitement à la description qu'il fait d'elle dans le livre : « C'était une jeune femme blonde et élancée » (page 320). On la voit dans le film avec un chignon ce qui est aussi décrit dans le récit, cela est donc une preuve, dans ce cas, que le film est le reflet du récit, car dans le livre, Toussaint demande à l'actrice son avis sur la coiffure a adopté lors du film :

« Je me dis que je pourrais la mettre à contribution pour la coiffure, et je lui demandai ce qu'elle pensait de, je ne sais pas -- je levai la tête un instant vers le plafond pour réfléchir -- un chignon ---- » (page 321).

197 Jacques Aumont, « La puissance mimétique réalisme et vérité », dans De l'esthétique au présent, « Arts & Cinéma », De Boeck Supérieur, Louvain-la-Neuve, 1998, pp. 107-128, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, https://www.cairn.info/de-l-esthetique-au-present--9782804128012-page-107.htm

198 Deborah Walker-Morrison, Le style cinématographique d'Alain Resnais, de Hiroshima mon amour (1959) aux Herbes folles (2009) : The film style of Alain Resnais, Hiroshima mon amour (1959) to Wild grass (2009), Lewiston: Edwin Mellen Press, 2012, pp. 92-95.

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Toussaint veut donc montrer la réalité qu'il a décrit avec beaucoup de précision dans Made in China. D'ailleurs, c'est ce qui se passe au début du film, car durant de longues minutes, la caméra, donc l'oeil de Toussaint, scrute à la fois la scène du film mais aussi en arrière-plan les lumières de la ville dans la nuit. Lors de la lecture du livre, il y a un passage où Jean-Philippe Toussaint décrit comment il voulait que soit la première image du film :

« Juste après le générique, on découvrirait en plan large l'actrice nue dans le décor, les bras levés, une maquilleuse à ses côtés, qui serait en train de lui poudrer le corps » (p. 404).

Pourtant, la première image de The Honey Dress ne correspond pas tout à fait à cette description. En effet, l'actrice n'a pas les bras levés mais le bras droit le long du corps tandis que le gauche est poudré par la maquilleuse, ce détail a son importance, car cela montre que The Honey Dress n'est pas nécessairement le reflet exact des intentions évoquées par l'auteur dans son livre. Nous constatons aussi que la caméra est fixe durant un peu moins d'une minute pour, en un instant, montrer l'actrice en plan rapproché jusqu'à l'épaule. En fait, le spectateur voit donc pour la première fois le visage de près d'une personne qui n'existait que dans son imaginaire. Toussaint par cette technique donne une dimension qui ne relève plus d'un simple témoignage sur l'apparence réelle de cette personne, il lui confère aussi, comme sur l'ensemble du film, une esthétique différente qui a rapport avec notre psychologie dont Toussaint n'a pas réellement d'emprise car le lecteur éprouve par nature les sentiments qu'il veut. En effet, selon Jacques Aumont la conception dominante du XXème siècle concernant l'art, c'est sa capacité d'avoir suscité des sentiments de tout ordre en nous. Cette vérité a donc une dimension où l'art parle véridiquement de nous-mêmes à l'aide des sentiments, des émotions, des goûts et des plaisirs.199 De plus, comme le révèle Toussaint, il montre que l'équipe, qui prépare le mannequin avec la structure lumineuse et le miel, est vêtue de blouse blanche, car il veut infuser une certaine esthétique très épurée. D'ailleurs, ceux qui font partie de cette équipe n'appliquent pas le miel à mains nues sur le corps de l'actrice. En fait, ils utilisent des pinceaux, peignant donc d'une manière à la fois bien réelle et

199 Jacques Aumont, « La puissance mimétique réalisme et vérité », dans De l'esthétique au présent, « Arts & Cinéma », De Boeck Supérieur, Louvain-la-Neuve, 1998, pp. 107-128, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, https://www.cairn.info/de-l-esthetique-au-present--9782804128012-page-107.htm

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métaphorique la robe à même la peau. De plus, pour provoquer chez le spectateur un rapprochement quasi-physique avec le mannequin, la caméra tourne autour de cette femme qui passe en quelques minutes d'un être presque entièrement nue à une véritable oeuvre d'art. En fait, cette scène dégage une certaine distance, car le visage de l'actrice est parfaitement stoïque, comme si nous étions devant une statue grecque. Il s'y dégage une atmosphère intemporelle au beau milieu d'une grande ville chinoise d'aujourd'hui.

Il y a aussi un élément particulièrement important que nous pouvons voir dans le film de Jean-Philippe Toussaint qu'il a omis de nous informer dans le récit de Made in China. Il nous y indique simplement qu'il a distribué les derniers rôles pour son film sans plus de précision. En fait, lors de la projection de The Honey Dress, le lecteur ne peut pas savoir que l'un de ces acteurs occupe une place primordiale dans Made in China, s'il ne l'a jamais vu auparavant. En effet, l'un des acteurs vêtu d'une blouse blanche, qui prépare durant de longues minutes le miel, n'est autre que Chen Tong lui-même. Il s'agit d'un procédé métaleptique couramment utilisé dans les films selon lequel une personne bien réelle apparaît dans un monde fictionnel ou incarne son propre rôle comme Julia Roberts qui joue le rôle de Julia Roberts dans le film The Player (1991) de Robert Altmann.200 Cet « oubli » de Jean-Philippe Toussaint, qui n'en n'est sans doute pas vraiment un, montre toute la finesse de cet auteur, qui en s'attachant à mettre dans sa création filmographique une personne qui compte tant dans son livre, fait que ceci renforce plus encore les liens qui unissent le récit de Made in China et son oeuvre filmographique. Sans le savoir, le lecteur est donc amené à découvrir, même inconsciemment, Chen Tong, tel qu'il est dans la vie réelle. Bien sûr, Jean-Philippe Toussaint l'a décrit dans son livre, notamment quand il parle de son apparence physique, lorsque l'auteur arrive en Chine et que Chen Tong l'accueille à l'aéroport :

« Il se tenait immobile, les mains derrière le dos, le regard attentif, il se dégageait de sa personnalité un sentiment d'assurance et de calme. [...] son visage était resté impassible, grave, placide » (p. 9).

200 Gérard Genette, Figures III, « Poétique », Édition du Seuil, Paris, 1972, pp. 71-80.

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En fait, c'est tout à fait la même impression que Chen Tong donne dans le film : il semble particulièrement appliqué et se montre très concentré sur ce qu'il fait. D'ailleurs, lorsque nous le regardons attentivement, sa personne dégage une grande sérénité comme s'il était un vrai scientifique. De plus, Jean-Philippe Toussaint ne fait pas de Chen Tong un personnage principal à première vue dans le film, puisque ce dernier est filmé de côté, comme si l'auteur avait voulu le laisser, d'une certaine manière à sa place, c'est-à-dire une personne qui n'est jamais au-devant de la scène mais dont le rôle est très important dans la création artistique. Si le lecteur a lu par exemple l'un des articles sur la promotion de Made in China, comme celui d'Isabelle Dominati-Muller201, il a vu une photographie avec plusieurs personnes asiatiques sans pour autant savoir qui ils sont, puisque dans cet article, il n'y a aucune légende par rapport à ce cliché. Pourtant, au beau milieu de cette photographie, il y a bel et bien Chen Tong. En effet, lorsque nous y regardons de plus près, c'est la même personne qui est, comme nous l'avons déjà souligné avec la figure 5, dans le journal de Made in China que Jean-Philippe Toussaint a publié dans Twitter et Facebook. Lors du visionnage de The Honey Dress, le lecteur qui est devenu spectateur est confronté donc à une révélation puisqu'il se rend compte qu'il a sous les yeux un des personnages phares du roman de Toussaint. Chen Tong, qui n'est fait que de mots dans le récit de Made in China, prend donc une dimension réelle dans l'esprit du lecteur. De ce fait, le lecteur a l'occasion d'observer une personne qui était jusqu'alors un être en partie imaginaire. Voici la figure 23 montrant Chen Tong de trois manières différentes :

201 Isabelle Dominati-Muller, « Made in China », In Corsica, numéro 29, octobre 2017, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018,

http://www.jptoussaint.com/documents/8/81/In_Corsica_Toussaint_.pdf

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Figure 23. De gauche à droite, une image artistique de Chen Tong provenant du journal de Made in China publié sur Twitter et Facebook, suivie de la photographie de l'article d'Isabelle Dominati-Muller du Magazine mensuel In Corsica et une capture d'écran où l'on voit Chen Tong, tel qu'il apparaît dans le film.

De cette manière, il a créé deux oeuvres qui sont similaires, non pas du point de vue du format, mais de l'esthétique, de cette atmosphère commune qui se dégage à la lecture de Made in China et lorsque l'on regarde The Honey Dress. On y distingue donc l'approche de Toussaint qui se veut infinitésimal, comme il l'affirme dans un entretien de 2007 réalisé par Laurent Demoulin202 : l'art du détail pour mieux révéler une narration commune entre le livre et le film. L'intertextualité entre deux oeuvres en soi n'est pas exceptionnelle, car nous trouvons beaucoup de métaréférences dans des films et mêmes des oeuvres entières qui ont été adaptées au cinéma. Ce qui est pourtant exceptionnel dans Made in China, c'est que les deux oeuvres forment un tout, il est donc particulièrement facile de les comparer.

c) The Honey Dress - une oeuvre qui prolonge le récit

L'intrusion du cinéma est donc flagrante dans Made in China, comme nous l'avons déjà signalé. Cela est l'occasion pour Toussaint de montrer une certaine égalité entre son

202 Laurent Demoulin, « Pour un roman infinitésimaliste », Entretien réalisé à Bruxelles, le 13 mars 2007, consulté [en ligne] le 18 décembre 2017, http://www.jptoussaint.com/documents/e/ec/Entretien_sur_L'Appareil-photo_(2007).pdf

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travail d'écrivain et de réalisateur de film. D'ailleurs, Toussaint exprime son avis dans un entretien en 2002 avec Jean-Louis Tallon203 en disant que ses films sont en marge du cinéma francophone. Il déplore que son travail de cinéaste ne soit pas aussi reconnu que celui d'écrivain. Dans un autre entretien en 2005 réalisé par Alain (Georges) Leduc 204, Toussaint dit qu'il est plus intéressé dans le domaine de la photographie par le numérique que l'argentique, il est donc, par conséquent, plus attiré par la couleur. En fait, la dernière phrase de Made in China se termine par une transition qui s'apparente aussi à une conclusion, comme nous l'avons déjà vu. Pourtant, nous constatons que cet ensemble forme un tout, une oeuvre donc à la fois littéraire et cinématographique. Tout d'abord, il est à noter que Toussaint affirme dans Made in China que la création d'un film en studio ou d'un livre est similaire : « Il s'agit de nouveau de tout créer à partir de rien, les quatre murs vides du studio sont la page blanche qui nous attend » (p. 178). Nous nous apercevons donc que l'auteur conçoit de la même manière le processus de création d'une oeuvre littéraire et celui d'un film. Il ajoute que filmer en Chine est unique puisqu'il est possible que l'effervescence du monde extérieur s'invite en plein tournage. D'ailleurs, cela rejoint l'analyse de Gianfranco Rubino, concernant Jean-Philippe Toussaint et le cinéma, en affirmant que son cinéma relève de la même technique et de la même vision du monde qui caractérisent ses romans.205

À partir du moment où Toussaint décrit la scène où Chen Tong lit le scénario de The Honey Dress dans son livre (p. 91) jusqu'à ce qu'il évoque le moment où l'actrice est dans les coulisses, concentrée juste avant que le tournage commence (pp. 184-185), il y a diverses situations qui montrent le processus de création et la mise en place avant le tournage du film. En fait, le film commence alors que le mannequin et toute une équipe sont en plein préparatif avant le défilé. Toussaint y montre trois étapes primordiales, c'est-à-dire les préparatifs du mannequin, l'application du miel sur son corps, et pour finir, le

203 Jean-Louis Tallon, « Entretien avec Jean-Philippe Toussaint », HorsPress Webzine culturel, Bruxelles, 2002, consulté [en ligne] le 2 janvier 2018, http://erato.pagesperso-orange.fr/horspress/toussaint.htm

204 Alain (Georges) Leduc, « Entretien avec Jean-Philippe Toussaint », Midi-Pyrénées patrimoine, n° 5, Toulouse, 2005, pp. 10-13, consulté [en ligne] le 2 novembre 2017, http://www.fabula.org/actualites/entretien-avec-jean-philippe-toussaint 13425.php

205 Gianfranco RUBINO, « Le cinéma de Toussaint », Roman, n° 42, 2006, pp. 161-169, DOI 10.3917/r2050.042.016

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défilé à proprement dit. Le défilé commence avec le mannequin qui porte la robe de miel brillante de toute part dans le noir. En fait, au moment où le mannequin commence à se placer, l'on entend brièvement une voix féminine qui parle en chinois. C'est, d'ailleurs, une des seules scènes où l'on peut distinguer des voix, puisque le reste du temps, il n'y a que des bruits et de la musique par intermittence. En fait, pour revenir à cette première voix, nous comprenons instinctivement que cette femme vient juste de prévenir le public que le défilé commencera. Ensuite, un apiculteur se dirige vers elle avec en gros plan des centaines d'abeilles faisant énormément de bruit. L'apiculteur disparaît du champ de la caméra, tandis que le mannequin continue à marcher dans un long couloir obscur pour déboucher sur une salle où apparaît un public enthousiaste. Pourtant, dès que l'actrice commence à se retourner sur elle-même tout en continuant de marcher sur le même chemin, un drame se produit. En effet, elle tombe à terre brusquement et deux vigiles surgissent sans que l'on sache ce qu'elle a. En fait, dès que ces deux hommes retirent leurs chapeaux pour l'aider et que l'on voit sur le corps de l'actrice des abeilles, on comprend que celles-ci sont en train de l'attaquer. Le côté dramatique de la scène est amplifié par une musique qui se mélange avec le bruit du public et des abeilles, avec une caméra qui redevient mouvante et rend cet instant plus chaotique encore.

Tout à coup, un homme en tenu d'apiculteur arrive à la rescousse s'aidant d'un enfumoir. Malgré cela, nous voyons ces trois hommes qui se démènent autour du mannequin qui ne bouge presque plus et les abeilles qui se font toujours entendre. À partir des toutes dernières secondes du film, ce son disparaît et on n'entend plus que celui de l'enfumoir pour de nouveau distinguer la musique de The Honey Dress. Au même instant, l'image se fait de plus en plus floue à cause de la fumée, c'est de cette manière que se termine le film avec le générique de fin qui apparaît. D'ailleurs, celui qui est à la fois lecteur et spectateur avec l'oeuvre numérique de Made in China, peut y lire le nom bel et bien réel de l'actrice, Olga Leelo et mettre par la même un nom sur ce personnage que Toussaint parle dans son livre sans jamais la nommer, comme s'il voulait que cette personne relève d'une sorte de mannequin universel. En cela, son film donne une information prépondérante pour le lecteur puisqu'il sait maintenant que cette personne vient d'Ukraine ou tout du moins qu'elle est originaire d'un pays slave compte tenu de son physique et de son nom. Il ne peut donc plus s'imaginer que celle-ci aurait tel ou tel nom selon sa fantaisie, c'est en cela que The Honey Dress a valeur de vérité.

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The Honey Dress a été réalisé par Jean-Philippe Toussaint à Canton en 2015, comme nous le signale Sylvie Bourmeau dans un de ses article206. De plus, nous y apprenons que pour Toussaint dès l'instant où le mot « tournage » a retenti, les choses se sont mis en place dans son esprit bien qu'il a fallu auparavant beaucoup de préparations. En fait, nous pouvons voir que son film respecte un scénario très bien établi, car il y a un début avec les préparatifs du mannequin, suivi d'un milieu, c'est-à-dire le défilé, un moment de gloire qui bascule dans un final particulièrement dramatique avec l'attaque des abeilles. Ce fantasme de Toussaint, afin de créer réellement une robe en miel ne s'est donc pas limité à celle-ci, il l'a parfaitement scénarisé. Bien sûr, il laisse en apparence le hasard surgir comme lorsque le bruit de la ville se fait entendre, mais il contrôle en fait complètement son oeuvre jusqu'à sa fin où le spectateur est de nouveau comme dans le livre confronté à lui-même. En effet, Toussaint ne montre pas ce qu'est devenu le mannequin : est-elle morte ou en vie ?, que deviennent les abeilles ? En fait, Toussaint laisse une fin tout à fait ouverte où le film se fait opaque sur une fumée de plus en plus présente comme métaphoriquement les blancs que Toussaint laisse dans Made in China qui sont des espaces où l'imaginaire du lecteur est libre. De plus, il y a une grande différence lorsque nous analysons ce film avec le livre, car dans l'oeuvre cinématographique, le spectateur semble voir sous ses yeux une histoire qui se déroule dans l'instant de son visionnage, alors qu'en fait, le film a été créé en 2015, deux ans avant la publication de Made in China au format livre et numérique. C'est encore l'un des nombreux paradoxes de Toussaint d'être arrivé à former Made in China au format numérique, tout d'abord avec un texte qui n'a vu le jour pour le grand public que l'année dernière, alors qu'il met à la fin de ce récit un film qui est le prolongement du livre tandis même que celui-ci est plus ancien dans sa réalisation.

C. Vers de nouvelles formes littéraires ?

Jean-Philippe Toussaint est un auteur qui se revendique comme un écrivain voulant apporter sa propre réflexion sur la littérature. Made in China en est le parfait exemple,

206 Sylvie Bourmeau, « La Robe de Marie », Grazia, publié le 24 juillet 2015, consulté [en ligne] le 3 janvier 2018, http://www.jptoussaint.com/documents/9/9e/GRAZIA.pdf

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puisque nous y trouvons une oeuvre difficilement classable. Dans un cadre purement littéraire, l'auteur arrive à mélanger réalité et fiction avec une grande cohérence. C'est en cela que ce livre est dans la même lignée que les Nouveaux romanciers. Pourtant, Toussaint parvient à créer une oeuvre qui ne se limite pas au seul champ littéraire. Il y montre aussi une certaine évolution entre la littérature et le numérique qui rend donc possible de faire un objet littéraire insolite.

a) Made in China repose sur la conception « classique » du livre papier

Jean-Philippe Toussaint continue avec Made in China sa carrière littéraire, de par son style, dans la même veine que ses précédents livres. En effet, selon Éric Allard207, depuis la Salle de Bain (1985), Toussaint a su créer une tonalité unique dans le paysage de la littérature francophone, notamment dans la manière d'arriver à faire que le lecteur s'identifie au narrateur. Sa façon de laisser paraître une certaine part de hasard et de porter une grande attention jusqu'aux plus petits détails, une vision presque clinique, contribuent à construire tout un univers propre à Toussaint. De plus, le caractère hybride de son texte renforce cette idée de singularité, car Made in China est à la fois un roman, un essai mais aussi un journal. Pourtant, il n'est pas étonnant que la version numérique de Made in China, mis à part la dernière page, est une copie à l'identique de sa version papier. Selon Nolwenn Tréhondart208, la plupart des livres numériques en 2014 étaient en fait des livres « homothétiques », c'est-à-dire des copies conformes à leurs alter-égos nommés « codex ». En fait, si nous regardons la politique de fabrication de la majorité des éditeurs, nous constatons qu'ils sont particulièrement frileux sur le sujet, préférant ne rien remettre en cause, afin de ne pas prendre le risque de perdre leurs identités. Pourtant, cela a une

207 Éric Allard, « Made in China de Jean-Philippe Toussaint », Blog littéraire d'Éric Allard, publié [en ligne] le 4 février 2018, consulté [en ligne] le 2 avril 2018, http://lesbellesphrases.skynetblogs.be/archive/2018/02/04/made-in-china-de-jean-philippe-toussaint-8801195.html

208 Nolwenn Tréhondart, « Le livre numérique « augmenté » au regard du livre imprimé : positions d'acteurs et modélisations de pratiques », Les Enjeux de l'information et de la communication, 2014/2 (n° 15/2), p. 23, consulté [en ligne] le 2 décembre 2017. https://www.cairn.info/revue-les-enjeux-de-l-information-et-de-la-communication-2014-2-page-23.htm

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incidence certaine par rapport aux livres numériques. Dès 2000, Jean Clément209 donnait un avis particulièrement tranché par rapport au livre homothétique. D'après lui, en voulant mimer le livre, un livre numérique qui dans son ensemble est détaché du réseau, n'offre en définitive que peu d'avantages par rapport au livre traditionnel, il le dégrade même. En fait, cela montre que le livre numérique est, la plupart du temps, considéré comme une simple version digitale d'un livre sous format codex, comme le suggérait Loan Reitz210 en 2004. D'ailleurs, un travail de recherche important pour comprendre cette phase de tiraillement entre l'héritage du codex et la recherche de nouvelles formes sémiotiques a été publié en 2008 par Magda Vassiliou et Jennifer Rowley211. En fait, elles ont élaboré une taxonomie des termes et des concepts clés les plus couramment employés pour définir l'e-book. Sur un corpus de 37 définitions, elles montrent que l'analogie avec le livre imprimé revient régulièrement avec 31 mentions. Il est à noter que cette vision du livre numérique semble être toujours la dominante en 2018, puisqu'un acteur important de l'édition littéraire en France a fait sensation lors d'une de ses déclarations dans les médias. En effet, selon Arnaud Nourry212, le président directeur général de la maison d'édition Hachette Livres, qui regroupe 150 filiales de par le monde avec plus de 17 000 titres et qui est parmi les cinq plus grands acteurs anglophones et domine le marché francophone, l'e-book est un produit complètement stupide. En effet, il a constaté que l'e-book n'est que l'impression numérique d'un livre, n'ayant aucune valeur ajoutée par rapport au codex. Cette déclaration est particulièrement révélatrice de notre époque, car pour l'un des hommes les plus influents dans le monde de l'édition, le livre numérique représente, pour l'instant, un échec dans la mesure où les acteurs du secteur se contentent de l'utiliser comme une simple copie du livre traditionnel. À cet égard, le récit de Made

209 Jean Clément, « Le ebook est-il le futur du livre ? », Les savoirs déroutés, Lyon, janvier 2000, coédité par l'association Doc Forum et les Presses de l'Enssib, p. 17, consulté [en ligne] le 2 avril 2018, http://www2.cndp.fr/archivage/valid/14336/14336-2425-2553.pdf

210 Loan Reitz, Dictionary for Library and Information Science, Westport CT : Libraries Unlimited, 2004, consulté [en ligne] le 12 février 2018, http://www.abc-clio.com/ODLIS/odlis e.aspx#electronicbook

211 Magda Vassiliou & Jennifer Rowley, « Progressing the Definition of E-Book », Library Hi Tech, vol. 26, n° 3, 2008, pp. 355-368.

212 Raphaël Dahl, « Selon Arnaud Nourry, PDG d'Hachette, « l'ebook est un produit stupide » », Lettres numériques, publié [en ligne] le 2 mars 2018, consulté [en ligne] le 17 mars 2018, http://www.lettresnumeriques.be/2018/03/02/selon-arnaud-nourry-pdg-dhachette-lebook-est-un-produit-stupide/

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in China en version numérique n'a rien de révolutionnaire allant de sa page de garde jusqu'à son avant dernière page.

Bien sûr, les Éditions de Minuit ne sont pas seules responsables d'avoir produit une simple copie numérisée du récit de Made in China, Jean-Philippe Toussaint l'a aussi voulu. En effet, il affirme, à l'aide d'une anecdote que lui aurait raconté Chen Tong lors d'un entretien dans Le Soir213 avec Giovanna di Rosario, chercheuse sur la littérature et la rhétorique numérique, que les arts plastiques changent très rapidement de forme, de matière, de taille et de couleur, tandis que dans l'évolution de la littérature, les changements possibles sont beaucoup plus limités. Il ajoute qu'il est très curieux de nature, sans pour autant agir dans la précipitation. Il ne faut pas oublier que Jean-Philippe Toussaint se définit comme un écrivain de recherche qui ne s'inscrit pas dans une rupture profonde par rapport à ses prédécesseurs des Éditions de Minuit, comme Alain Robbe-Grillet pour n'en citer qu'un. D'ailleurs, pour Toussaint sa démarche se situe toujours dans le cadre littéraire. De plus, il souligne qu'à l'origine, il avait voulu mettre une image, celle du mannequin, avec l'icône au centre, à la fin de la version papier de Made in China. Pourtant, après réflexion, il ne laissa que l'icône, car selon lui, le fait d'y mettre cette photo aurait fait sortir son livre du champ purement littéraire. À son avis, la grande force de la littérature réside dans le fait que le lecteur est contraint de se créer une image mentale lors de la découverte d'un texte. En fait, pour mieux comprendre la situation actuelle du livre numérique, il faut s'interroger sur les attentes et les désirs des écrivains. Jean-Philippe Toussaint donne son avis sur la question, en faisant remarquer que les éditeurs reconnus et les écrivains de la rentrée littéraire en 2017, sont très peu curieux par rapport au numérique. Il ajoute qu'il est tout à fait symptomatique que les deux prix Nobel français de littérature, Le Clézio et Modiano, ne s'intéressent pas du tout à cet aspect, en précisant que la tendance dominante est encore, pour longtemps, le livre papier.214

213 Jean-Claude Vantroyen, « La Littérature numérique doit créer de nouvelles formes », Le Soir, Bruxelles, publié le 31 octobre et 1er novembre 2017, consulté [en ligne] le 30 janvier 2018, https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir_LectureNumerique02.pdf https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir LectureNumerique01.pdf

214 Ibid.

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b) Une oeuvre hybride

La version numérique de Made in China se distingue par rapport à l'ensemble du catalogue disponible en ligne des Éditions de Minuit. En effet, nous pouvons constater que sur leur site Internet, les versions numériques disponibles sont des livres homothétiques, à une seule exception, celle de Made in China. Selon Emmanuel Barthélemy, responsable du numérique dans cette maison d'édition, la décision de publier des livres numériques remonte à 2010 comme chez la plupart des éditeurs en générale. Les Éditions de Minuit publient les premiers titres en version numérique à partir des nouveautés de septembre 2011. Dès lors, tous leurs nouveaux livres paraissent à la fois en version papier et numérique, à l'exception de deux ou trois titres en sciences humaines pour des raisons de droits sur des éléments se trouvant dans ces ouvrages (voir annexe 7). D'ailleurs, cette maison d'édition s'efforce aujourd'hui encore de numériser les titres qui ne le sont toujours pas. Nous pouvons donc constater que cette volonté d'avoir des oeuvres numériques que le lecteur peut acheter en ligne s'inscrit dans une évolution générale des maisons d'éditions littéraires reconnues.

En fait, la genèse, comme nous l'avons déjà indiqué, de mettre de la musique dans un livre qui a conduit à insérer carrément un film, revient entièrement à Jean-Philippe Toussaint. D'ailleurs, Toussaint215 explique que la dernière page de Made in China a été, pour lui, un long cheminement. Il ne faut pas oublier aussi qu'à partir du moment où il a pris cette décision, Toussaint a dû composer avec des impératifs techniques dont il ne maîtrisait pas tous les tenants et aboutissants. De ce fait, il s'en est remis à des spécialistes du numérique qui ont été confrontés à des problèmes inattendus. De plus, Toussaint216 rappelle que la difficulté majeure dans la conception d'un livre numérique, c'est-à-dire un livre avec une réelle ampleur littéraire associé à des films et de la musique, est qu'il nécessite un certain budget, car sa production est tout à fait similaire au cinéma.

215 Ibid.

216 Ibid.

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Il faut aussi voir Jean-Philippe Toussaint dans toute sa dimension artistique afin de mieux appréhender Made in China. En effet, le côté hybride de cette oeuvre, comme nous l'avons déjà vu, montre que Toussaint est bien un écrivain de notre temps, mais aussi un artiste qui aime explorer d'autres domaines. D'ailleurs, selon Emmanuel Molinet217, la question de l'hybride est tout à fait centrale dans l'art contemporain par des contributions et des approches qui englobent d'autres disciplines comme la littérature, la musique et le cinéma expérimental. En fait, ce qui caractérise l'oeuvre hybride est cette volonté de vouloir décloisonner les genres en intégrant en partie des notions comme le multimédia et le mixed média. En fait, ces nouveaux outils qui s'ajoutent à l'aspect littéraire d'un livre apparaissent comme des présupposés d'une nouvelle esthétique. Emmanuel Molinet ajoute qu'à partir des années 1990, cette culture hybride s'est faite de plus en plus présente grâce à l'hypertechnologie et au numérique. Du point de vue artistique, de nouvelles préoccupations s'imposent à cette époque, induisant une approche qui se joue sur d'autres perspectives qui relèvent du quotidien, de l'infime mais aussi de l'errance. Tout cela rejoint parfaitement l'une des grandes forces de Jean-Philippe Toussaint, c'est-à-dire être un écrivain en phase avec son temps. En effet, il n'entrevoit les possibilités du numérique que par rapport à une conception de la littérature classique mais pour autant, il n'hésite pas à casser les codes de cette même littérature en créant une oeuvre à la frontière de la littérature, de la musique et du film expérimental. De plus, Toussaint publie Made in China dans une maison d'édition reconnue après avoir convaincu Irène Lindon. De cette manière, il parvient aussi à prouver qu'il est un véritable artiste d'art contemporain, tout en montrant le sérieux mais aussi la réussite de sa démarche dans le domaine de la littérature. De plus, nous remarquons qu'une seule vision se dégage du récit de Made in China et du film, c'est celle de Toussaint. Le changement du média employé donc par l'auteur, c'est-à-dire le passage entre la forme textuelle du récit et le prolongement de celui sous un format vidéo apporte une perspective différente à l'histoire. Selon José Angel Carcía Landa 218, la narration de ce qui a été déjà narré par un autre narrateur peut s'apparenter à un effet de style qui repose sur la technique de la répétition. L'ajout de The

217 MOLINET Emmanuel, « La problématique de l'hybride dans l'art actuel, une identité complexe », Le Portique, 2013, mis [en ligne] le 1er juillet 2015, consulté [en ligne] le 6 mai 2018, http://journals.openedition.org/leportique/2647

218 José Angel García Landa and John Pier De Gruyter, Theorizing Narrativity, Inc., ProQuest Ebook Central, 2011, consulté [en ligne] le 5 janvier 2018. https://ebookcentral-proquest-com.libproxy.helsinki.fi/lib/helsinki-ebooks/detail.action?docID=3040979

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Honey Dress au coeur même du livre numérique de Made in China introduit la possibilité d'une rupture dans la narration linéaire de l'histoire de Toussaint reposant sur les préparatifs du film et de sa projection. En principe, il est donc tout à fait réaliste de pouvoir imaginer qu'une personne qui achète le livre papier, puisse commencer la lecture de Made in China en regardant en premier lieu la vidéo disponible en ligne, ce qui donnerait tout un autre aspect au texte. En effet, le lecteur passerait à celui d'être surpris (volonté originelle de l'auteur) à une personne qui vérifie que ce qu'il a auparavant vu ressort bien du récit. De plus, le visionnage de la vidéo peut donner envie de relire quelques parties de texte ce qui donne une certaine forme elliptique et non-linéaire au récit. Même si une personne découvre ce livre en version numérique comme voulu par l'auteur, le lecteur sera sans doute amené à le relire afin de mieux encore comprendre les différentes dimensions de Made in China et en cela de faire de ce livre, une sorte de cercle narratif où le début du récit et la fin du film peuvent se joindre dans son imaginaire.

c) Toussaint utilise avec parcimonie les possibilités du numérique

Bien que Made in China soit un livre numérique unique dans son genre, il n'en demeure pas moins que Toussaint a utilisé une infime partie des possibilités offertes par les divers types de livre numérique existants. En effet, leur gamme est variée, il y a, les livres « homothétiques », de simple copie du livre papier, dont nous avons déjà parlé mais aussi, selon Arnaud Laborderie219 une autre catégorie de livre numérique qui est apparue aux États-Unis en 2011 appelée livre numérique « enrichi » ou « augmenté ». C'est une évolution considérable dans l'univers du livre numérique puisqu'avec ce nouveau type de format, il est dorénavant possible d'ajouter des contenus et médias autres que du texte. Un livre paru en 2011 fait figure de pionnier en la matière pour le marché français de l'édition. En effet, l'éditeur Albin Michel publie De Gaulle et les Français libres d'Eric Branca, disponible sur tablette iPad et ordinateur, dans lequel nous trouvons des modules vidéos qui sont des enrichissements exceptionnels par rapport à la version papier en

219 Arnaud Laborderie, « Le livre numérique enrichi : enjeux et pratiques de remédiatisation. », HAL, Lille, 2015, consulté [en ligne] le 5 avril 2018, https://hal-bnf.archives-ouvertes.fr/hal-01185820/document

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général.220 D'ailleurs, une définition du livre numérique enrichi, donnée par Bernard Prost221 en 2013, correspond parfaitement à la version numérique de Made in China. En effet, Prost définit le livre enrichi (ou augmenté) comme étant une prolongation naturelle du livre homothétique. Ce type de livre numérique permet de profiter des possibilités mises à disposition par le monde numérique et de découvrir de nouvelles voies de création grâce à la dématérialisation, le multimédia ainsi que l'Internet. Il ajoute que ce qui semble la ligne la plus intuitive afin d'enrichir le livre est d'introduire un ou des contenus qui s'additionnent ou s'ajoutent par rapport au livre papier. En fait, le numérique permet aussi à l'auteur de ne plus se voir limiter par un volume de pages prédéfini, il peut ainsi en mettre à sa guise autant qu'il veut sans être contraint par des aspects techniques. De plus, et c'est là le point primordial, l'auteur peut incorporer dans son oeuvre des médias temporels comme la vidéo ou le son au sein même du texte alors que dans l'univers du papier, il n'y a qu'une seule possibilité de mettre à disposition des supports optiques comme le CD ou le DVD ou bien encore l'indication de liens Internet à l'intérieur du texte. C'est, d'ailleurs, l'option qu'a choisie Jean-Philippe Toussaint pour Made in China dans sa version papier.

Nous nous rendons compte que Made in China en version numérique n'a rien de révolutionnaire lorsque nous voyons les possibilités offertes en ligne par des livres électroniques comme sur les trois sites Electronic Literature Collection222, mis à disposition gratuitement par l'association Electronic Literature Organization. Jean-Philippe Toussaint a utilisé d'une manière prudente et timide divers moyens, comme le recours à un hypermédia et à un lien. En effet, il existe des auteurs qui exploitent bien plus le numérique comme le prouvent les oeuvres disponibles gratuitement sur les trois sites précédemment cités. Ils sont tenus par cette association Electronic Literature

220 Éric Branca, vidéo de présentation de De Gaulle et les Français libres, Albin Michel, 2011. Vidéo disponible [en ligne] sur YouTube depuis le 17 juin 2011, consultée [en ligne] le 2 juin 2018, https://www.youtube.com/watch?v=aakelPx-ldc&NR=1

221 Bernard Prost; Le livre numérique, Electre-Editions du Cercle de la Librairie, Paris, 2013, dans Arnaud Laborderie. Le livre numérique enrichi : enjeux et pratiques de remédiatisation, HAL, Lille, 2015, consulté [en ligne] le 3 novembre 2017, https://hal-bnf.archives-ouvertes.fr/hal-01185820/document

222 Electronic Literature Collection, Site de l'organisation de la littérature électronique, consulté [en ligne] le 29 avril 2018, http://collection.eliterature.org/

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Organization qui a pour but de promouvoir la littérature numérique. En fait, elle permet de faire découvrir aux utilisateurs d'Internet des créations multimédias et offre notamment au lecteur la possibilité d'être un véritable acteur actif, puisque celui-ci a le choix de se diriger comme il l'entend dans les bibliothèques numériques gratuites qu'il découvre. En fait, ce site réunit des oeuvres qui révolutionnent la perception qu'a le lecteur vis-à-vis du livre mais aussi de l'auteur. Nous y trouvons Toucher (2009) une des créations de Serge Bouchardon223, professeur des Universités en sciences de l'information et de la communication à l'Université de Technologie de Compiègne, qui offre la possibilité aux lecteurs d'accéder à cinq tableaux (mouvoir, caresser, taper, étaler, souffler), plus un sixième (frôler) dissimulé dans l'interface du menu, lui permettant de vivre une expérience unique. Un autre aspect intervient aussi par rapport à cette nouvelle pratique de la lecture du livre numérique, disponible gratuitement en ligne, car la propriété intellectuelle de l'oeuvre est tout à fait remise en cause. En effet, puisque l'auteur accepte de diffuser sa création sans aucun retour financier, le métier de l'édition disparaît carrément de l'univers du livre. D'ailleurs, cette lecture numérique est tellement à part dans le paysage littéraire pour grand public que Jean-Philippe Toussaint224 la qualifie d'expérimentale.

En fait, les éditeurs reconnus ont le plus grand mal à concevoir des livres numériques enrichis pour grand public qui connaissent le succès. D'ailleurs Arnaud Nourry225, le président directeur général de la maison d'édition Hachette Livres, considère que les éditeurs n'ont pas fait du bon travail avec le numérique, puisqu'ils n'ont connu le succès qu'une ou deux fois avec des livres augmentés ou enrichis pour des centaines d'échecs. Les éditeurs doivent donc offrir différentes expériences à leurs clients en dépassant le modèle de l'e-book actuel. Certains projets vont dans ce sens, comme celui d'une jeune

223 Serge Bouchardon, Kevin Carpentier et Stéphanie Spenlé, Toucher, livre numérique, 2009. Disponible [en ligne], http://www.utc.fr/~bouchard/TOUCHER/

224 Jean-Claude Vantroyen, « La Littérature numérique doit créer de nouvelles formes », Le Soir, Bruxelles, publié le 31 octobre et 1er novembre 2017, consulté [en ligne] le 30 janvier 2018, https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir LectureNumerique01.pdf

225 Nicolas Gary, « Arnaud Nourry : «Le livre numérique est un produit stupide» », Actualitte.com, Les univers du livre, publié [en ligne] le 19 février 2018, consultée [en ligne] le 17 mars 2018, https://www.actualitte.com/article/lecture-numerique/arnaud-nourry-le-livre-numerique-est-un-produit-stupide/87393

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société d'édition, ACCI Entertainment spécialisée dans le transmédia et qui a vu le jour grâce au système de crowdfunding. Elle publie InCarnatis, Le Retour d'Ethelior226, le tome I d'une trilogie relevant d'un univers de science-fiction fantastique. En fait, l'originalité de ce projet réside dans le fait que dans la version papier de ce livre, il y a des QR codes au fil des pages. Il suffit que le lecteur les scanne à l'aide d'une tablette ou d'un Smartphone pour accéder à des récits audio, de la musique, des illustrations mais aussi des artefacts à l'aide d'une application dédiée. Ce projet associe donc le livre papier à des médias qui s'y additionnent et s'adresse donc à un public maîtrisant parfaitement les supports informatiques actuels. Il n'est donc pas étonnant que cette maison d'édition soit spécialisée dans le roman de science-fiction pour les jeunes. La littérature jeunesse développe aussi des projets liés à la réalité augmentée comme Christine Lumineau qui a cofondé sa propre maison d'édition Laplikili afin de pouvoir publier notamment Ulysse et le grimoire de l'univers (2017). Selon Gaëlle Belda227, ce livre est tout à fait singulier car grâce à une application téléchargeable sur tablette ou Smartphone, le jeune lecteur se retrouve, entre autres, devant des images qui se mettent à bouger ou voit des objets apparaître, si celui-ci met face à l'une des pages du livre l'un de ces supports numériques. Il est donc amené à encore plus découvrir l'univers du livre, car tout naturellement, l'enfant pose son doigt sur l'écran et de ce fait il participe activement à l'aventure. Nous pouvons donc constater que Made in China ne révolutionne pas la littérature numérique du point de vue de la technique qui a été employée lors de sa création pour ce format, lorsque nous le comparons à ces exemples. En effet, le but de Jean-Philippe Toussaint n'a jamais été d'explorer et d'utiliser les possibilités les plus récentes du numérique, puisqu'il ne se situe pas dans des démarches qu'il juge « expérimentales » ou destinées à un public bien ciblé228.

226 Incarnatis, Site de la lecture augmentée, consulté [en ligne] le 5 avril 2018, http://incarnatis.com/le-roman-transmedia/

227 Gaëlle Belda, « Laplikili fait entrer la réalité augmentée dans les livres pour enfants », Nice-Matin, publié [en ligne] le 19 avril 2017, consulté [en ligne] le 2 mai 2018, http://www.nicematin.com/vie-locale/laplikili-fait-entrer-la-realite-augmentee-dans-les-livres-pour-enfants-131013

228 Jean-Claude Vantroyen, « La Littérature numérique doit créer de nouvelles formes », Le Soir, Bruxelles, publié le 31 octobre et 1er novembre 2017, consulté [en ligne] le 30 janvier 2018, https://cdn.uclouvain.be/groups/cms-editors-arec/actus-internes/LeSoir_LectureNumerique01.pdf

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Conclusion

Le livre numérique de Made in China ne marque pas une révolution dans la conception que nous avons du livre puisque Jean-Philippe Toussaint utilise peu les possibilités offertes par le numérique. En effet, son livre accessible à l'aide d'un écran à toutes les apparences d'un livre papier et l'ajout d'un film n'ont rien de très innovant comme nous l'avons déjà vu. Il n'en demeure pas moins que ce projet littéraire est tout à fait exceptionnel dans le paysage littéraire actuel pour plusieurs raisons. Jean-Philippe Toussaint est dans le monde de la littérature francophone l'un des seuls écrivains de renom à avoir mener à bien une telle aventure dans une maison d'édition qui se veut être l'endroit par excellence d'une littérature prestigieuse. De plus, son livre a été couronné de succès tant par la presse que par le public puisqu'il s'est assez bien vendu. Made in China marque aussi un tournant pour les Éditions de Minuit car ils ont mis pour la première fois de leur histoire un livre en ligne qui n'est pas une simple copie de son exemplaire papier. En effet, c'est une oeuvre hybride à la frontière entre la littérature et le multimédia, ce qui montre une véritable évolution de cette maison d'édition.

Jean-Philippe Toussaint se définit comme un écrivain de recherche qui évolue dans un cadre purement littéraire puisque pour lui, il n'y a rien de plus important que la littérature, même s'il lui arrive d'aller vers d'autres univers artistiques. Nous avons vu que Made in China est une suite logique dans la carrière de Toussaint qui est aussi passionné de cinéma et présent sur Internet. Pourtant, dans Made in China, il emploie la vidéo dans un but bien défini et dans un sens purement littéraire, parmi d'autres moyens métafictifs qui font sortir le lecteur du livre. En fait, Toussaint réussit un véritable tour de force en créant une oeuvre qui met côte à côte la littérature et le cinéma tout en arrivant à former dans l'esprit du lecteur une sorte de symbiose intemporelle entre le récit et le film. Toussaint recrée sous la forme d'images et de son ce qu'il fait habituellement à l'aide de mots en mettant The Honey Dress à la fin du récit de Made in China. Pourtant, en employant cette technique, il oriente de bien des manières l'imaginaire du lecteur puisque celui voit de ses propres yeux des personnages qu'il s'est déjà forgé dans son esprit lors de la lecture du livre. En effet, The Honey Dress donne l'occasion à Jean-Philippe Toussaint de montrer son univers grâce à l'image, en donnant l'apparence d'une certaine vérité voulue par l'auteur.

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Cette oeuvre regroupe bien des paradoxes, à tel point qu'il est même quasiment impossible de la définir car c'est à la fois un roman, un essai et un récit avec des aspects autobiographiques. Elle interroge aussi sur la question même de la place du hasard dans la création. De plus, Toussaint donne la vision qu'il a de la Chine d'aujourd'hui, tout en campant certains personnages dignes de ceux de Flaubert, en y mêlant à la fois fiction et réalité. Pourtant, Toussaint qui d'habitude maîtrise de bout en bout ses productions littéraires s'est retrouvé dans la peau d'un spectateur impuissant lorsqu'il a fallu d'un point de vue technique mettre son film dans le livre tout en ayant l'effet de surprise voulu. Il a donc fallu qu'il compte sur d'autres personnes pour régler ce problème. C'est sans doute pourquoi, il y a très peu d'écrivains qui s'intéressent à cette question dans la littérature car ils n'en maîtrisent pas toutes les dimensions. D'ailleurs, Toussaint a utilisé le numérique, comme un simple moyen dans le cadre d'une certaine continuité littéraire qui est dans la lignée de celle des Nouveaux romanciers. Pourtant, il n'en demeure pas moins qu'il a accompli une oeuvre remarquable par rapport à sa façon singulière de voir la littérature. En effet, il a toujours eu comme idée de vouloir être un écrivain de son temps. C'est pourquoi en publiant Made in China, il a réussi à montrer notre société actuelle où cohabitent l'écrit, l'image mais aussi le numérique. En fait, cette oeuvre marque peut-être les prémices d'un livre numérique qui ne sera plus une simple copie du livre papier comme la plupart de ceux aujourd'hui. Pour cela, faut-il encore que nos écrivains de talent s'emparent du numérique avec la vision que celui-ci peut ouvrir vers d'autres horizons littéraires. C'est sans doute l'histoire d'une génération ou plus, l'avenir nous le dira.

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125

BRANCA Éric, vidéo de présentation de De Gaulle et les Français libres, Albin Michel, 2011. Vidéo disponible [en ligne] sur YouTube depuis le 17 juin 2011, consultée [en ligne] le 2 juin 2018. https://www.youtube.com/watch?v=aakelPx-ldc&NR=1

· COLLOQUE INTERNATIONAL : « La réalité de la fiction, ou des relations entre fiction, narration, discours et récit », organisé par le Laboratoire interdisciplinaire de recherches en sciences de l'action (Lirsa) et les équipes pédagogiques nationales Stratégies et Innovation, le 17 mai 2018 en Belgique, consulté [en ligne] le 19 mai 2018. http://culture.cnam.fr/mai/la-realite-de-la-fiction-ou-des-relations-entre-fiction-narration-discours-et-recit-990072.kjsp

· ELSA, 33. « Made in China - Jean-Philippe Toussaint », Elsa et Fred à la page, critique publié [en ligne] sur YouTube le 15 octobre 2017, consultée [en ligne] le 1er mai 2018.

https://www.youtube.com/watch?time continue=5&v=ZHsewA3pmZQ

· IRIGOYEN William, « Destins Croisés Jean-Philippe Toussaint, Lecture de « Nue » », vidéo de l'Institut Pierre Werner Luxembourg, mise [en ligne] le 31 mars 2014 sur YouTube, consulté [en ligne] le 29 novembre 2017. https://www.youtube.com/watch?v=S1IUf06eWAk

· LA COUDÉE REVUE, « Discussion accoudée #03 avec Jean-Philippe Toussaint pour Made in China », vidéo de la revue « La coudée », disponible sur YouTube, publié [en ligne] le 24 novembre 2017, consulté [en ligne] le 18 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=G8dq gCW2Sk

· LES RENCONTRES DE LA GALERNE LIBRAIRIE, « Jean-Philippe Toussaint », Librairie La Galerne - Le Havre, Vidéo sur YouTube mise [en ligne] le 26 septembre 2017, consulté [en ligne] le 3 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?time continue=4&v=gxPnGRrTCQI

· ROGER Thierry, « Entretien avec Jean Philippe Toussaint, Flaubert vu par les écrivains contemporains », vidéo [en ligne] en date du 18 avril 2015, consulté [en ligne] le 2 novembre 2017 sur le site de l'Université de Rouen Normandie. https://webtv.univ-rouen.fr/videos/entretien-avec-jean-philippe-toussaint/

· SHULTZ Doug, « Le silence des abeilles », documentaire diffusé sur National Geographic en 2008, disponible [en ligne] sur Dailymotion depuis 2012, consultée [en ligne] le 3 juin 2018.

https://www.dailymotion.com/video/xoal10

126

? SIMON Claude, « Claude Simon et la photo », Émission Cinéastes de notre temps du 3 février 1966, site Internet de l'INA, consulté [en ligne] le 10 mars 2018. http://www.ina.fr/video/I00018212

? TOUSSAINT Jean-Philippe, « Parenthèses et tirets », Session de travail de Jean-Philippe Toussaint avec ses traducteurs, Seneffe, août 2014, Vidéo [en ligne] sur YouTube depuis le 14 août 2014, consulté [en ligne] le 12 mars 2018. https://www.youtube.com/watch?v=0EXHylKYR7M

? TOUSSAINT Jean-Philippe, « Le point-virgule », session de travail de Jean-Philippe Toussaint avec ses traducteurs, Seneffe, août 2014, vidéo disponible sur YouTube, mise [en ligne] le 13 août 2014, consulté [en ligne] le 2 avril 2018. https://www.youtube.com/watch?v=JypCWK2Ezmk

127

ANNEXES

128

Annexe 1 - Tableau des lieux où Toussaint s'est rendu pour la promotion de Made in China

Poitiers

21 septembre 2017 Librairie Gibert

Pau

28 septembre 2017 Librairie Parvis 3

Un entretien de Jean-Philippe Toussaint sur Made in China est disponible sur YouTube d'une durée de 2 minutes 48 secondes avec 655 vues à la date 19 mai 2018 sans commentaires https://www.youtube.com/watch?v=rq0USu4ZsgQ

 

Toulouse

29 septembre 2017

Librairie Ombres blanches

Paris (5ème Arr.)

4 octobre 2017 - 18.30 Librairie Compagnie

Paris (6ème Arr.)

5 octobre 2017

Librairie L'Escalier

Paris (4ème Arr.)

6 octobre 2017 - à partir de 18 heures Librairie Les Cahiers de Colette

Paris (8ème Arr.)

20 et 21 octobre 2017 - à 22 h après le spectacle Librairie du Rond Point/Actes Sud

Paris (4ème Arr.)

22 octobre 2017 - 16 heures

Librairie Flammarion du Centre Georges Pompidou

Liège (Belgique)

14 novembre 2017 Librairie Pax

Bruxelles (Belgique)

15 novembre 2017 - à 19h avec David Courier - Librairie Tropismes

Lyon

21 novembre 2017 Librairie Passages

Grenoble

22 novembre 2017 Librairie Le Square

Bordeaux

29 novembre 2017 Librairie Mollat

Paris (3ème Arr.)

6 décembre 2017 Galerie HG Design

129

Annexe 2 - Critiques littéraires de confrères que Toussaint a reçues par Courriel

Date

Ecrivains

24 mai 2017

Vincent Almendros le remercie pour cette expérience de lecture et d'émotion. De plus, il met l'accent sur le rire, car pour lui, c'est très rare en littérature de rire comme cela.

Source : www.jptoussaint.com

 

8 juin 2017

Yves Ravey lui écrit tout le bien qu'il pense du livre de Toussaint en

utilisant notamment les mots « emporté », « hypnotisé » et
« émerveillement ».

Source : www.jptoussaint.com

 

9 juillet 2017

Benoît Peeters voit dans Made in China, une magnifique réussite littéraire, car Toussaint réussit à montrer, grâce à tout son talent que « Nue » se change en « Honey » pour mieux par la suite se métamorphoser de nouveau en texte.

Source : www.jptoussaint.com

 

23 août 2017

Pierre Bayard envoie un courrier élogieux où il parle carrément de grand art.

Source : www.jptoussaint.com

 

3 septembre

2017

Clément Bénech lui livre ses premières impressions de Made in China, qui selon lui, ne déroge pas à la règle des livres de Toussaint, c'est-à-dire, qu'il est un provocateur de réalité.

Source : www.jptoussaint.com

 

13 septembre

2017

Pierre Michon parle aussi d'un livre merveilleux auquel il a ressenti un merveilleux plaisir à sa lecture.

Source : www.jptoussaint.com

 

29 septembre

2017

Emmanuel Villin écrit à Toussaint que la première chose qu'il a eu envie de faire une fois la lecture de Made in China terminée, a été d'écrire dans l'instant.

Source : www.jptoussaint.com

 

130

Annexe 3 - Tableau des critiques littéraires de la presse francophone

29 août 2017

Valérie Rodrigue de Marie France fait du livre de Toussaint l'un de ses cinq coups de coeur.

Source : http://www.mariefrance.fr/culture/livres/rentree-litteraire-5-

coups-de-coeur-370896.html#item=4

1er septembre 2017

La presse spécialisée couvre aussi l'événement avec Véronique Rossignol, qui signe un article dans Livreshebdo, un magazine ainsi qu'un site consultable en ligne destinés, en premier lieu, aux professionnels du livre. À son avis, ce livre est assez inclassable : il « - -- illustre la difficulté de faire coïncider les idées-visions du cinéaste avec les moyens du bord, dans un pays largement indéchiffrable. » Source : http://www.livreshebdo.fr/article/lediteur-

chinois?rand=8170

 

14 septembre 2017

Jérôme Garcin, il évoque dans la rubrique « humeur » du journal L'Obs en date du 14 septembre 2017, ce qui lui plaît chez Toussaint : « J'ai toujours aimé la manière, imperturbable et raisonnée, avec

laquelle l'écrivain-cinéaste [...] racontait des histoires
abracadabrantes. ».

Source :

http://www.jptoussaint.com/documents/6/63/Nouvel_Obs.pdf

14 septembre 2017

Un article sur Made in China est publié dans OEuvres Ouvertes, un magazine de chroniques littéraires en ligne qui passe en revue seulement les livres qui sortent en version numérique. En effet, les premières pages du livre sont reprises sur ce site avec, en prime une photo d'un téléphone portable où l'on voit la couverture du livre. Source : https://oeuvresouvertes.net/spip.php?mot1752

15 septembre 2017

Philippe Lançon avec Libération n'est pas en reste car le journal montre la facette joyeuse de l'oeuvre en parlant d'un « Rire en cascade » mais aussi de l' « Humour courtois » de Toussaint.

Source : http://next.liberation.fr/livres/2017/09/15/minuit-de-

chine 1596679

15 septembre 2017

Le journal japonais Nikkan Berita publie une interview de Jean-Philippe Toussaint qui traite des thèmes centraux de son livre sans aborder non plus la question relative au numérique.

Source :

http://www.nikkanberita.com/read.cgi?id=201709152259415

131

20 septembre 2017

 

Lelitteraire.com, un site Internet spécialisé dans la littérature, fait écho à la précédente critique dans un article publié par Jean-Paul Gavard-Perret. Le journaliste voit dans l'oeuvre de Toussaint une manière d'explorer la raison de l'être et de la création.

Source : http://www.lelitteraire.com/?p=34097

21 septembre 2017

Éric Loret, publie dans Le Monde, un article intitulé « Jean-Philippe Toussaint : mis en abîmes », où il tente de montrer les tenants et les

aboutissants de ce nouvel essai en expliquant ses différentes
dimensions : « Décryptage d'un système où le vécu et l'écrit sont si parfaitement intriqués »

Source :

http://www.jptoussaint.com/documents/d/d3/Le_Monde_du_Jeudi_2

1_Septembre_2017.pdf

21 septembre 2017

Jean-Claude Lebrun, journaliste à L'Humanité, écrit que Made in China marque la rentrée littéraire de 2017.

Source : https://www.humanite.fr/avec-toussaint-cest-trois-en-un-

642402

3 octobre

2017

Un site français consacré à la culture, géré par l'association Addict-Culture, présente un article d'Adrien Meignan sur Made in China, selon lequel, le livre montre la force de la littérature pour créer une superposition du réel et de la fiction.

Source : https://addict-culture.com/made-in-china-jean-philippe-

toussaint/

5 octobre

2017

Un site en ligne, ayant vocation à faire connaître des auteurs chinois, fait également allusion à Made in China dans un article consacré à Chen Tong, où la journaliste déplore que cet éditeur chinois ne soit qu'esquissé dans le récit.

Source : http://www.chinese-

shortstories.com/Traducteurs_interpretes_et_editeurs_Chen_Tong.ht

m

15 octobre

2017

L'auteur bénéficie aussi d'une critique, qui reprend les thèmes décrits auparavant, dans En attendant Nadeau, un journal spécialisé dans la critique littéraire, destiné donc lui aussi à un public averti.

Source : https://www.en-attendant-nadeau.fr/2017/10/15/etincelle-

toussaint/

132

21

2017

octobre

Eleonore Sulser, du journal Le Temps, un quotidien de la Suisse Romande et francophone publie un article qui se concentre sur des aspects purement littéraires.

Source : https://www.letemps.ch/culture/2017/10/21/joyeux-

labyrinthe-chinois-jeanphilippe-toussaint

30

2017

octobre

Un autre site à but non lucratif de l'association Culture-Tops livre sa vision du roman de Toussaint dans un article intitulé « Un Ovni littéraire épatant ». En effet, Serge Bressan y pèse le pour et le contre en concluant qu'il faudrait être de mauvaise foi pour affirmer que ce livre recèle ne serait-ce qu'un seul un point faible.

Source : http://www.culture-tops.fr/critique-evenement/livres/made-

china#.WmdyQa5l-po

18 novembre 2018

Christian Desmeules du Le Devoir, un journal du Québec (Canada) publie un article en faisant une critique littéraire positive par rapport à Made in China.

Source : http://www.ledevoir.com/culture/livres/513228/critique-

jean-philippe-toussaint-entre-tribulations-chinoises-et-reedition-du-

cycle-de-marie

 

133

Annexe 4 - Tableau des émissions radiophoniques francophones où Toussaint a eu l'occasion de parler de Made in China.

29 septembre 2017

La Radio Télévision Belge Francophone (RTBF) l'accueille dans L'info culturelle 7h30, une émission radiophonique, pour parler de son récit, l'entretien dure à peu près 7 minutes. Source : https://www.podchaser.com/podcasts/musiq3-

486528/episodes/linfo-culturelle-7h30-made-in-21553837

7 octobre 2017

Toussaint est dans l'émission La Librairie Francophone de France Inter.

Source : https://www.franceinter.fr/emissions/la-librairie-

francophone/la-librairie-francophone-07-octobre-2017

 

13 octobre 2017

Toussaint se rend à la Foire du livre de Francfort où il participe à une émission radiophonique de France Culture avec Marie Ndiaye, une écrivaine ayant remporté le prix Goncourt 2009, où ils échangent leurs points de vue sur le roman français à l'étranger. Toussaint a aussi l'occasion de parler brièvement de Made in China.

Source : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-

table-1ere-partie/le-roman-made-france

23 octobre 2017

Toussaint est dans les locaux de Radio France Internationale (RFI), il répond aux questions, durant 46 minutes, du journaliste Jean-François Cadet dans l'émission Vous m'en direz des nouvelles !

Source : http://www.rfi.fr/emission/20171023-jean-philippe-

toussaint?ref=fb

30 octobre 2017

France Culture l'invite à faire partie de la dixième émission d'Une vie d'artiste avec deux autres artistes pour débattre autour d'un thème cher à Toussaint : la passion du réel. Comme l'écrit Aurélie Charon dans son résumé de ce programme : Il fait briller la réalité, ne lâche jamais le monde en train de se transformer, le réel en train de bouger l'ordre des phrases.

Source : https://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-

dartiste/numero-10-la-passion-du-reel

 

134

Mois d'octobre 2017

 

Il est aussi sur les ondes de France Inter en octobre 2017 dans l'émission de Laure Adler pendant 47 minutes où il continue la promotion de Made in China.

Source : https://www.franceinter.fr/emissions/l-heure-

bleue/l-heure-bleue-08-decembre-2017

13 novembre 2017

Toussaint est aussi présent sur les ondes de l'émission radiophonique belge Entrez sans frapper, qui dure 26 minutes le 13 novembre 2017.

Source : http://rtbf-

pod.l3.freecaster.net/pod/rtbf/geo/open/N/NqNlw18VnD.mp3

135

Annexe 5 - Capture d'écran du courriel d'Alexandre Rochon, compositeur de la musique de The Honey Dress en date du 30 mai 2018.

136

Annexe 6 - Captures d'écrans d'un courriel d'Emmanuel Barthélemy, responsable du numérique aux Éditions de Minuit du 19 janvier 2018.

137

138

Annexe 7 - Capture d'écran d'un courriel d'Emmanuel Barthélemy, responsable du numérique aux Éditions de Minuit du 22 mars 2018.

139

Annexe 8 - Capture d'écran d'un courriel d'Emmanuel Barthélemy, responsable du numérique aux Éditions de Minuit du 20 avril 2018.

140

Annexe 9 - Capture d'écran d'un courriel de Claire Bertrand, technicienne aux Éditions de Minuit du 30 mars 2018.

141

Annexe 10 - Capture d'écran d'un courriel de Jean-Philippe Toussaint du 20 avril 2018.






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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo