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La marque de l'impermanence dans les expositions du palais de Tokyo

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par Thomas Bizien
Université Paris III - Sorbonne Nouvelle - Master de médiation culturelle 2010
  

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CONCLUSION

Pour répondre d'une manière synthétique à la problématique qui anime le mémoire À Quelles sont les modalités de représentation des différents aspects de l'impermanence au sein de la programmation du Palais de Tokyo ? À rassemblons en guise de conclusion les trois aspects principaux que recouvre cette notion au sein de l'institution.

Première modalité, des oeuvres statiques qui proposent dans le récit qu'elles mettent en place, un déplacement temporel, une incarnation du transitoire. Pour plus de précision, scindons en deux parties cette catégorie, division prenant compte des visées sur lesquelles la rhétorique de ces oeuvres repose.

Pourrait être considéré comme lyrique la capacité d'entrevoir la vie sur ce qui la menace et en rétrécie la portée, la mort. Regrettant de ne pouvoir « jamais sur l'océan des âges, jeter l'ancre un seul jour168 », ces artistes usent de leur sensibilité devant l'impermanence du temps. Comme vu dans la première partie, les ruines de Michael Elmgreen & Ingar Draset, de Kay Kassan, les sculptures fragiles de Vincent Ganivet, Karsten Födinger, Sébastien Vonier, Yuhsin U. Chang, sont autant d'oeuvres qui anticipent l'usure à venir. Dans la même logique les vanités contemporaines d'Adel Abdessemed, Laurent Le Deunff, Bruno Peinado, Nicolas Juillard, Yoshihiro Suda, Tony Matelli, Gianni Motti, Urs Fischer, font prendre conscience au spectateur, par effet de rétroaction, de la fuite du temps, de la fin certaine.

À côté de cette contemplation lyrique de l'impermanence du temps, d'autres oeuvres usent de l'expression de l'éphémère comme critique des gages d'éternelles jouvences qu'accompagnent souvent les discours commerciaux, politiques et sociétaux. Ces oeuvres, certes statiques dans leurs présences, incarnent aussi le passage d'un état à un autre, montrent l'éreintement de la matière pour signifier le caractère transitoire des possessions matérielles. Analysés dans le troisième chapitre À la critique de l'éternel À les travaux de

168 Alphonse de Lamartine, « Le lac » in Méditation poétique, 1820

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Christoph Büchel, Chen Zhen, Guillaume Paris, Wang Du, rappellent l'impermanence des biens, les mensonges des discours publicitaires et médiatiques. Mettant en doute l'idée de progrès technologique, son obsolescence à venir, les oeuvres de Daniel Dewar & Grégory Gicquel, Raphael Zarka, Eric Tabuchi, Luc Kheradmand, montrent comme des ruines, les restes hypothétiques qu'un archéologue du futur pourrait trouver en dépoussiérant les vestiges de notre temps. Et en rendant perceptible l'emprise de l'homme sur la nature, son dérèglement programmé et sa fragilité, Henrik Hâkansson et Tetsumi Kudo rendaient compte au Palais de Tokyo de l'impermanence dangereuse résultante du déséquilibre écologique.

Seconde modalité de l'expression de l'impermanence du temps, la première partie du mémoire revenait sur l'idée de processus. En usant de matériaux pauvres, flexibles et périssables, les sculptures organiques de Michel Blazy proposent d'indexer à la matière, les fluctuations vitales correspondantes à la durée d'existence des médiums employés. Jamais tout à fait pareilles, ses oeuvres évoluent dans un déplacement interne aux surfaces. Pour montrer le transitoire, le fugitif, les environnements d'Arthur Barrio et de Mathieu Briand utilisent des matériaux légers et éphémères : poussière, sang, talc, café... Autant de matières qui rendent compte de l'impermanence, font perdre la conscience des référents temporels. L'imminence de la perte semble tout à côté, sa menace constante. Alors que Loris Gréaud, Tobias Rehberger figurent la marche du temps par des procédés lumineux, les travaux de Roman Signer, Arcangelo Sassolino, Zelvinas Kempinas usent de la mécanique pour figurer le mouvement. Donnant le sentiment que tout est transitoire, leurs oeuvres se meuvent dans l'espace par intermittences programmées, par succession de phases de réalité fragmentée, quitte comme chez Floriant Pugnaire & David Raffini, Kris Vleeschouwer, à s'autodétruire, ne laissant à terme que des résidus inertes de matière. Présentés au sein du mémoire, ces travaux évolutifs ont en commun de questionner la relation entre l'art et son immutabilité.

La troisième et dernière modalité de l'expression de l'impermanence dans la programmation du Palais de Tokyo correspond au passage historique À au tournant des années 1970 À de la question « Qu'est ce que l'art ? » à la question « Quand y a-t-il art ? ». Ainsi, la quatrième partie du mémoire présentait l'imbrication

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progressive dans l'oeuvre du temps de la vie de l'artiste, notamment avec l'exemple de Robert Malaval, de Bas Jan Ader et celui de Charlotte Posenenske, dont le retrait de la scène artistique est paradoxalement reconnu comme acte créatif. Reliés avec les performances de Marina Abramovich et d'Ana Mendieta, ces travaux prennent place dans une temporalité brève, donnée comme non-reproductible. Seule une documentation photographique, sonore ou filmique peut en rendre compte. Au côté d'un « art de l'attitude » - pour reprendre l'expression de Nicolas Bourriaud À d'un art de la performance, le temps de l'oeuvre joue aussi un rôle crucial dans l'art in situ. Présentant des vidéos de Robert Smithson, accordant une rétrospective au travail de Daniel Buren, le Palais de Tokyo mettait à l'honneur ces pratiques. Il en montrait aussi l'intégration muséale, notamment avec le travail de Katharina Grosse. Dans ce cas, l'exposition devient l'oeuvre et l'oeuvre l'exposition, brève de par nature. La quatrième partie du mémoire À de l'éphémère de l'objet à la fugacité de l'action À montrait aussi les aboutissants contemporains des pratiques juste énoncées. Présentant l'art in socius (esthétique relationnelle), notamment par les travaux de Matthieu Laurette, Alain Bublex, Robert Milin, Surasi Kusolwong, Tsuneko Taniuchi les interventions en prise avec le réel n'envisagent la production d'aucune oeuvre arrêtée. Vécu en fonction des aléas du temps, l'art vise ici l'enclenchement d'un processus intégré aux fluctuations de la vie.

Phases sérielles séquencées qui impriment sur l'art la marque de l'impermanence, le temps est une matière qui offre de multiples prises, de nombreuses déclinaisons plastiques sur lesquelles l'artiste d'aujourd'hui greffe la rhétorique de son travail. Au travers du corpus d'oeuvre présenté, le mémoire a montré À par le prisme de la programmation du Palais de Tokyo À les enjeux et aboutissants contemporains des recherches portant sur la temporalité de l'oeuvre. Répondant à des visées différentes, ces recherches trouvent leur unité dans leur capacité à interroger le devenir de l'oeuvre, l'avenir de l'homme. Et en traitant du temps, ces travaux permettent un déplacement du rapport traditionnel que l'on peut entretenir avec lui, dans le but, bien souvent, de créer une complication, une gêne dans la manière dont nous le vivons d'ordinaire. En dépréciant l'idée de permanence statique À si ancrée dans l'esprit occidental À la figuration de la limite temporelle revient à contrecarrer les conceptions sur lesquelles reposent les leurs qui font fonctionner la société. Montrant toujours le passage d'un état à un autre, les oeuvres présentées démontrent le

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mouvement permanent, le leur de stabilité. Et incitant à la prise de conscience du changeant comme donnée fondamentale du vivre, ces oeuvres montrent la friabilité de ce qui peut sembler si ancrer, donner l'occasion de constater la malléabilité de ce qui apparaît figé. En cela, le pessimisme qui au premier abord, a pu transparaître du corpus d'oeuvre présentée, reste à être relativisé.

Notre époque voit chaque société humaine, qui avait confié aux religieux la tâche de construire la représentation de l'au-delà, peu à peu réfracter son discours sur la mort. Cachée, cette donnée fondamentale de la vie reste absente des débats, comme si elle était trop évidente pour devoir être exprimé. Affichant le transitoire comme partie constituante de la vie, le corpus présenté comblait le déficit de discours sur ce thème et affirmait l'existence comme belle car précaire, au sens où Nietzsche parle d'un « éphémère de l'impermanence acceptée.169 » Tel le danseur de la fin de Zarathoustra qui accélère ses pas après s'être rendu compte de l'inconsistance de l'existence, les oeuvres présentées tendent à prouver l'inadéquation des discours qui prennent appui sur la permanence, afin peut être, de montrer le chemin d'accès à un bonheur plus véritable. En montrant la fragilité, la caducité, la fin certaine, ces oeuvres nous réapprennent à parler de la mort, non pas dans une rengaine accablante mais dans une finitude acceptée qui pousse à vivre chaque instant plus intensément. Les installations de Christoph Büchel peuvent par exemple être perçues comme vecteurs d'idéaux au sens où elles appellent à un renversement des pratiques consuméristes, à une remise en question des gages de satisfactions colportés par le matérialisme. En montrant pêle-mêle le vieillissement à venir, son travail montre que le point d'ancrage de l'humain dans la vie doit nécessairement se trouver dans une autre optique.

Comme le dégoût profond du langage incite le poète à hausser la qualité de son verbe, user de l'impermanence du temps est pour l'artiste, l'occasion de mettre en exergue son dédain pour l'oeuvre gageuse d'éternité. C'est une beauté toute éphémère qui s'y affirme, un gage d'honnêteté calqué sur les données du vivre.

169 Cité dans Christine Buci-Glucksmann, Esthétique de l'éphémère, Op. cit.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams