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La marque de l'impermanence dans les expositions du palais de Tokyo

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par Thomas Bizien
Université Paris III - Sorbonne Nouvelle - Master de médiation culturelle 2010
  

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I.3. La disparition sculpturale : de la fuite vers l'invisibilité

Sonnant la fin du monumental puisque la simple présence sculptural n'est plus même supportée, les oeuvres présentées dans cette partie émanent principalement des cycles d'expositions de l'année 2009. Consacrant la « dissolution de l'apparence50 », vers un au-delà du visible, au derrière du tangible, le Palais de Tokyo expérimentait ici « des formes d'art qui échappent à toutes velléités d'interprétations figées.51 »

I.3.a À Se soustraire du réel

Du latin fugare, la racine étymologique du verbe fuir permet de faire un rapprochement sémantique avec l'idée de brièveté, d'impermanence. Est fugace ce qui dure peu, disparaît promptement. Des coupures temporelles se font ainsi jour, resituant ce flux et ses fractures. Largement présente dans l'exposition Chasing Napoleon, l'idée de fuite conglomérait les oeuvres présentées. En proposant des voies de sorties, cette exposition appelait le spectateur à sortir de sa condition. Créant l'illusion d'espaces annexes, ces installations agissaient comme en trompe l'oeil. Pris dans le trouble, le spectateur en venait à considérer l'espace palpable comme l'antichambre d'un parterre plus réel. Et Marc-Olivier Wahler de préciser :

« [L'exposition] réunit des oeuvres agissant comme autant d'instructions pour se soustraire au regard et se réfugier dans les marges du visible.52 »

Présenté au sein de cette exposition, également présente sous une de ces adaptations lors de la session The Third Mind, Drain53, installation minimale de

 
 

2009

50 Marc-Oliver Wahler, Palais /

08,

51 Marc-Oliver Wahler, Palais /

09,

2009

52 Marc-Oliver Wahler, Palais /

10,

2009

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l'artiste américain Robert Gober, activait ce genre de processus. Produisant à la main la réplique exacte de minuscules réservoirs d'éviers, l'artiste les mettait en place sur le mur de la travée principale. Si simples et si petits, ces apparents ready made entretenaient l'illusion d'un monde clandestin qui serait à conquérir derrière le mur. Se présentant comme une sortie de secours, la bonde créait chez le spectateur l'impression d'un espace autre, suscitant chez lui la tentation de se dérober du visible, de rentrer dans l'invisible. Drain jouait sur les motifs du passage, donc du fugitif et du transitoire.

Dans un espace concomitant de l'exposition, l'artiste anglais Ryan Gander construisait une chambre noire. Dans une pièce plongée dans l'obscurité, il creusait un trou de souris au ras du sol. Laissant filtrer la lumière du jour, cette ouverture apparaissait comme un lien vers un monde extérieur. Car de cette fêlure du mur, se dégageait derrière la cloison un extérieur fleuri, un jardin clandestin. Intitulé Nathaniel Knows54, la pièce jouait sur les processus d'apparition et de disparition, extrapolant un récit au-delà de l'espace d'exposition. Elle laissait le visiteur inventer son histoire et résoudre l'énigme posée par l'artiste : que se cache t'il derrière ce mur qui confine les apparences ? En proposant des voies de sortie au réel, ces trappes interrogeaient dans des processus auto réfléchie la présence du spectateur dans ce qui semble dès lors, qu'une parodie du réel. Et toujours lors de la session Chasing Napoleon, deux « Jeudis » - événement hebdomadaire en lien avec la programmation À étaient proposé sur le thème de la disparition, de la fuite volontaire. Judicieusement nommé « Instructions pour disparaître », une séance de projection était consacré aux films expérimentaux interrogeant notre propre présence au monde. Un autre soir, Erik Bullot proposait une conférence intitulée « Éloge du camouflage ». Donnant à voir des stratégies de fuite, cette session était l'occasion de fournir des modes d'emplois, d'incitation à la soustraction du monde, à éliminer la permanence de sa présence.

À la fois trompe l'oeil et réplique parfaite d'un trou, l'oeuvre que présentait Etienne Bossut dans le cadre de l'exposition au Château de Fontainebleau perturbait la perfection géométrique des jardins à la française. Creusé à même la pelouse, le

53 Fig. #16

54 Fig. #17

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spectateur pouvait apercevoir l'idée d'une échappatoire, mais n'avait pas suffisamment de recul pour vérifier le subterfuge. Comme une entrée ou sortie inaboutie Jardinage réinterprétait les passages secrets des châteaux royaux. Une pelle accompagnait la mégarde, comme si des ouvriers étaient toujours attelés à creuser cette voie de sortie vers un autre monde. Proposant une issue, l'oeuvre reléguait la fable au rang de construction théorique pour insérer dans l'espace la possibilité de fuite. Connu pour ses sculptures de gaz, immatériels voire invisibles, l'artiste autrichien Werner Reiterer présentait également au Château de Fontainebleau Entrance to the Center of the World. Une entrée parallèle, une connexion utopique avec l'univers romanesque de Jules Verne, la pièce proposait une voie pour pénétrer au centre du monde. Une mise en chantier qui interrogeait la consistance du réel, cette pièce était aussi l'occasion de proposer l'illusion d'espace parallèle, rendant quasi contingent le normal qui est donné à voir. Proposant une narration, ces deux oeuvres utilisaient le récit en tant que rôle médiateur dans l'expérience de la temporalité.

Présentée lors de l'exposition Cinq milliards d'années, la pièce de l'artiste français Vincent Lamouroux est une gigantesque sculpture en acier inoxydable qui traversait la verrière et les alcôves du Palais de Tokyo. Intitulé Scape55, jeu de mot entre le verbe s'enfuir, escape et l'espace space, la pièce ouvrait des brèches sur les fondations de l'institution, amputant des fragments de murs pour donner l'illusion d'espaces autres. Comme les rails d'un train fantôme qui emmènerait vers un ailleurs, cette installation in situ perturbait les points de référence du visiteur. La forme de l'installation, reflétant de manière sinueuse le symbole de l'infini, suscitait en réaction chez le regardant, le sentiment d'un espace clos où une temporalité figée régnerait. Malgré la taille imposante de l'installation, émanait de ce travail, une constante chez cet artiste, une fragilité, une relation au déséquilibre. Marqué par la mobilité, le regard glissait sur cette structure dynamique, évoquant la fluidité et la vitesse par le biais d'une installation fixe.

Tous ces exemples d'espaces annexes peuvent être rapprochés de ce que Michel Foucault nomme hétérotopie. Pour le philosophe, cette notion correspond à un

55 Fig. #18, Fig #48

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espace autre, à un contre emplacement qui conteste tous les autres lieux du monde, les efface, les compense, les neutralise. Dans ces lieux parallèles suscités par les artistes précédemment cités s'inscrit toujours un devenir incertain, rejoignant en cela l'idée d'impermanence.

I.3.b À Sculptures invisibles

La dématérialisation de l'oeuvre d'art est un enjeu fondamental du )()(e siècle : on fait disparaître toutes les marques de « grand art56 », à commencer par le monument. Carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malevich est une tentative pour révéler le rien, le vide, la sensation pure. Marcel Duchamp développe au milieu des années 1930 le concept esthétique de l'infra-mince qui caractérise une différence infime entre deux choses, une distance qui ne peut tout à fait être perçu, seulement imaginée. Lié à la notion de temps, l'infra-mince ouvre la voie à l'imperceptible. Trente ans plus tard, la fameuse exposition d'Yves Klein à la galerie Iris Clert exprime ce propos. Sur le carton d'invitation de l'exposition Pierre Restany peut écrire : « voici l'avènement lucide et positif d'un certain règne du sensible (...) une émotion extatique immédiatement communicable.57 » Dans sa conférence donnée en Sorbonne en juin 1959, « L'évolution vers l'immatériel », l'artiste construit les prémisses d'une architecture de l'air. Enfin en 1962, il réalise une « Vente cession d'une zone de sensibilité picturale immatérielle ». En d'autres termes il vend du vide, du spirituel, une simple croyance. La programmation du Palais de Tokyo a repris ces problématiques pour proposer lors de ses expositions, l'aboutissement contemporain de ces recherches.

Lors de l'exposition Chasing Napoleon dont la thématique était la disparition du visible, l'artiste américain Tom Friedman présentait Untitled (A Curse)58. L'oeuvre ne donnait à voir qu'un socle solitaire, un piédestal qui soutenait le vide. Comme un objet sensible, l'artiste s'était adjoint les services d'une sorcière qui y avait jeté un sort. Prenant sa hauteur sur 28 cm, ce sort avait la largeur exacte du socle.

56 Anne Cauquelin, « L'art dématérialisé » in Fréquenter les incorporels, PUF, 2006

57 Pierre Restany, Le nouveau réalisme, Decitre, 1960

58 Fig. #51

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Confronté à une oeuvre qui n'offre rien à voir, le spectateur était contraint de dépasser les limites communément admises de la représentation. Non physiquement observable, l'oeuvre se basait sur la capacité du spectateur à croire au tour ésotérique.59 La dématérialisation de l'objet qui se concrétise dans l'invisible donne accès à l'univers de la sensibilité pure. Car invisible ne signifie pas nécessairement l'absence de présence. Les capacités de réception des sens étant limitées, certaines formes peuvent échapper à l'humain mais exister entièrement par ailleurs. C'est sur cette idée qui reposait l'oeuvre de l'artiste suédois Dave Allen, également présentée lors de Chasing Napoleon. For the Dogs. Satie's «Véritables Préludes Flasques (pour un chien)» 1912, rendered at tone frequencies above 18 kHz, son titre, montrait une chaîne Hi Fi qui ne provoquait en apparence aucun bruit. Jouant un morceau d'Eric Satie, le son restait cependant audible pour les chiens. Rappelant les morceaux silence de John Cage, seuls les signaux visibles sur l'écran de l'appareil hi fi permettaient de témoigner de la présence d'un son, même si celui-ci échappait précisément à notre perception. Ici l'important n'était pas le plein mais le vide, le son mais le silence, la présence mais l'absence. Donnant à voir l'imperceptible, cette oeuvre réussissait à rendre sensible l'invisible en montrant les liens que celui-ci entretient avec les modalités de l'intelligible.

Les sens mentent donc sur la réelle nature de l'apparence. Intéressé par cette idée, le Palais de Tokyo donnait dès 2006 - avec l'exposition d'ouverture du mandat de Marc-Olivier Wahler, Cinq milliards d'années - à voir des oeuvres inspirés par cet état de fait. Proposant un espace révélateur d'invisible, l'installation de Christian Andersson jouait sur les apparences. Blind Spot60 fonctionnait comme un « piège à perception61 » : Un projecteur de lumière illuminait d'un cercle le mur qui lui faisait face. Le spectateur qui venait à se placer devant ce rayon lumineux avait la surprise de constater que son ombre n'apparaissait pas sur le cercle de lumière. Lui donnant l'impression subite d'être fait d'une matière translucide, comme un cache-cache avec son propre corps l'installation faisait disparaître sa présence, conduisait le visiteur à reconsidérer sa propre existence.

59 Thomas Huff, Daily Impermanence, Visiting with the Conceptual Artist Tom Friedman, ArtsEditor, 2003

60 Fig. #17

61 Cinq milliards d'années, Dossier de presse, 2006

« Dans l'esthétique de la disparition, les choses sont d'autant plus présentes qu'elles nous échappent.62 »

Dans la même exposition, Marc-Olivier Wahler continuait d'explorer l'idée de disparition en y insérant une pièce de Ceal Floyer. Jouant sur le processus de transition du focus à l'out of focus, de l'apparition à l'évanescence, Autofocus est aussi un projecteur de lumière, qui se réglait puis se déréglait de manière aléatoire dans la travée centrale du Palais de Tokyo. L'image du spectateur passait d'une qualité nette à un flou total, intrigant par intermittente saccadée, les lois du voir. Et si le monumentale peut être conçu comme une structure fixe, incarnant pour l'éternité une figure forte, exaltante, ces deux installations répondaient d'objectifs inverses. Elles menaient au doute de la présence, interrogant par les rapports d'ombres et de lumières qu'elles instauraient l'ancrage de l'homme sur cette Terre. En cela, elles visaient plus à instaurer le doute, la relativité, développant des discours à l'opposé des figures d'autorité, de la sculpture comme monument.

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62 Paul Virilio, Esthétique de la disparition, Galilée, 1989

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