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La cour royale du Danxomè: un vecteur d'éclosion des arts

( Télécharger le fichier original )
par Hyppolite Togo
Université d'Abomey-Calavi - Licence en histoire de l'art 2016
  

Disponible en mode multipage

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République du Bénin

Ministère de l'Enseignement Supérieur et de
la Recherche Scientifique

Université d'Abomey-Calavi Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines Département d'Histoire et d'Archéologie Mémoire de Licence en Histoire de l'Art Thème :

La cour royale du Danxomè : un

vecteur d'éclosion des arts

Soutenu par : Sous la direction de :

Hyppolite TOGO M. Didier HOUÉNOUDÉ,

Maître-assistant du CAMES

Le 29 juillet 2016

Membres du jury :
Président : M. Didier N'DAH
Examinateur : M. Romuald TCHIBOZO
Rapporteur : M. Didier HOUÉNOUDÉ

DÉDICACE

En mémoire du professeur Cheikh Anta DIOP que je prends pour repère sur le chemin de la recherche scientifique.

REMERCIEMENTS

Plusieurs personnes ont oeuvré à la réalisation de ce travail, et méritent de ce fait toute ma gratitude. Certes, elles sont trop nombreuses pour être toutes citées ici, mais il sied que je notifie mes sincères remerciements à celles dont les apports ont été inévitables, à savoir :

Ma famille, notamment ma maman, Monique AZOMBAKIN, pour tous les efforts fournis.

Mes compagnons d'études Éric AVIMADJÈNON et Philbert HOUNWANOU qui ont réussi à me trouver une famille d'accueil à Bohicon pour mes recherches sur Abomey.

La famille VÉDOGBÉTON qui m'a hébergé à Bohicon durant mes recherches sur le terrain, principalement Hubert, Wenceslas, Toffodji et Cyrille pour leur sens d'hospitalité.

Mon directeur de mémoire, M. Didier HOUÉNOUDÉ, qui a donné du sien pour l'accomplissement de ce travail.

L'historien traditionnaliste Bachalou NONDICHAO pour sa disponibilité malgré son âge avancé.

Tous les artisans du village artisanal du musée historique d'Abomey pour leur collaboration.

M. Gabin DJIMASSÈ, Directeur de l'Office du Tourisme d'Abomey et Région, qui a consacré de son temps pour m'informer.

Mon aimée Bidémi Bilikissou ADJIBADJI pour sa contribution.

Mes amis Dagbégnon Achille AYIZAN et Olatundé Darius FAYOMI pour leur soutien.

1

PLAN

Introduction 3

Première partie : LES ARTISTES AU SERVICE DE LA ROYAUTÉ, DE HOUÉGBADJA À AGOLI-

AGBO 9

Chapitre Ier- Intégration des artistes dans les arcanes du pouvoir royal 10

A- Origines sociogéographiques des artistes 10

B- Le recrutement et l'insertion des artistes dans le paysage royal 11

Chapitre II- Rapports entre le pouvoir royal et les artistes 12

A- Les contraintes du métier d'artiste de cour 12

B- Le génie artistique au service de l'impérialisme 13

Chapitre III- Les prémisses d'une école d'art à Agbomè 15

A- La spécialisation dans les arts 15

B- La pérennisation du savoir-faire 17

Deuxième partie : QUELQUES PRODUCTIONS DE PORTÉE INTERNATIONALE DES ARTS DE COUR

DU DANXOMÈ 18

Chapitre IV- Les trônes et les figurines de jumeaux 19

A- Les trônes 19

B- Les figurines de jumeaux 22

Chapitre V- Les récades, les gou et les assen 24

A- Les récades 24

B- Les gou et les assen 26

Chapitre VI- Les tentures et les bas-reliefs 29

A- Les tentures 29

B- Les bas-reliefs 31

Troisième partie : VUE PANORAMIQUE DES ARTS DE COUR DU DANXOMÈ 34

2

Chapitre VII- Les arts plastiques 35

A- La place du vodoun dans la création artistique 35

B- Des artistes du Danxomè aujourd'hui célèbres à titre posthume 37

Chapitre VIII- La musique 39

A- Les codes de la musique fon 39

B- Les chants 42

Chapitre IX- L'art oratoire 43

A- Le kpanligan ou l'historien-poète 43

B- Le manahen ou le comédien 45

Conclusion 46

Bibliographie 48

Index des images 50

3

Introduction

Le manque de documents écrits retraçant l'histoire des peuples africains a été longtemps synonyme pour certains d'absence d'histoire relative à ceux-là. Ils ont été qualifiés de sociétés sans histoire par des têtes pensantes de l'Occident comme Hegel, Gobineau, Voltaire, Kant, Hume, etc. pour qui l'histoire des hommes n'est nullement possible sans l'écriture. Mais après la parution de nombreux ouvrages écrits par des historiens africains chevronnés, et celle des huit volumes d'Histoire générale de l'Afrique, parus entre 1980 et 1999, l'unanimité se fait aujourd'hui autour de l'existence de l'histoire africaine en général, et de celle de chaque peuple en particulier.

Ainsi, le Danxomè est reconnu comme l'un des grands royaumes qui aient existé dans le golfe de Guinée. La puissance de son armée avec ses célèbres amazones s'est révélée à travers les diverses conquêtes menées successivement par presque tous les rois qui ont accédé au trône du milieu du XVIIe siècle à la fin du XIXe et la résistance face à l'impérialisme européen dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les combattants de ce royaume ont causé d'énormes difficultés à l'armée coloniale française avant de courber finalement l'échine.

Beaucoup d'études sont faites et continuent d'être menées sur cet ancien royaume de l'espace qu'occupe aujourd'hui le Bénin. Mais la remarque fondamentale qui s'impose par rapport aux écrits sur ce royaume est que ceux-ci occultent généralement ses « faits d'arts » et ne s'occupent que de ses faits d'armes ou de son organisation sociopolitique, économique, etc. C'est donc à juste titre que j'ai décidé, à travers ce mémoire qui a pour thème « La cour royale du Danxomè : un vecteur d'éclosion des arts », de lever le voile sur un autre aspect du Danxomè.

Le cadre géographique de cette étude est la capitale du royaume, Agbomè, qui a abrité la quasi-totalité des palais royaux. Ces derniers sont tous concentrés sur une aire déterminée, appelée aujourd'hui « site des palais royaux d'Abomey », et sont au nombre de dix. La présente étude couvre toute la durée d'existence du Danxomè, à savoir d'environ 1645 à 1900. Le Danxomè a connu selon la version de la lignée royale dix rois, mais l'histoire nous apprend qu'il en a plutôt connu douze, à compter du règne de Houégbadja, le fondateur. Les deux exclus sont la reine Hangbé et le roi Adandozan. Hangbé est la soeur jumelle d'Akaba qui, contrairement à la tradition patriarcale de la royauté, a régné bien qu'étant une femme, de 1708 à 1711. L'alibi avancé pour justifier sa déchéance est qu'elle était une femme de moeurs légères, et constitue de ce fait un déshonneur pour sa lignée et pour le royaume entier. Mais il est heureux de constater que cet argument qui a longtemps

4

régné s'éclipse progressivement dans la mémoire collective. Et on espère que cette reine sera bientôt réhabilitée au panthéon des rois du Danxomè, tout comme le roi Adandozan taxé de sanguinaire. Celui-ci a subi un coup d'État en 1818 après vingt-et-un ans de règne, soit de 1797 à 1818. Sa vie, son règne et son oeuvre ont d'ailleurs fait l'objet d'un colloque organisé en mars 2014 par le Département d'Histoire et d'Archéologie de l'Université d'Abomey-Calavi et dont les conclusions vont systématiquement à l'encontre des idées véhiculées autour de ce roi par la tradition royale.

Ainsi se présente la succession des rois du Danxomè :

Souverain

Règne

1

Houégbadja

1645-1685

2

Akaba

1685-1708

3

Hangbé

1708-1711

4

Agadja

1711-1732

5

Tégbéssou

1732-1774

6

Kpengla

1774-1789

7

Agonglo

1789-1797

8

Adandozan

1797-1818

9

Ghézo

1818-1858

10

Glèlè

1858-1889

11

Gbèhanzin

1889-1894

12

Agoli-Agbo

1894-1900

Source : Tableau réalisé à partir des connaissances acquises.

Tous les palais des rois se situent dans le même environnement. Le palais de Hangbé se confond à celui de son frère jumeau Akaba. Le palais d'Adandozan n'y figure pas parce qu'une fois déchu, il est dès lors considéré comme « dada gbololo min ton »1, c'est-à-dire « le roi du vide », ce qui signifie paradoxalement que ce roi n'est lié à aucun royaume.

Les arts dont il s'agit ici sont ceux qui ont été exercés au profit de la cour royale. En effet, la cour royale du Danxomè, souvent présentée à tort ou à raison comme un harem et un camp militaire, ne se résumait pas qu'à ça ; il était aussi un lieu exceptionnel qui a joué un rôle déterminant pour le rayonnement artistique. À voir les productions issues

1 QUENUM M., Au pays des Fons : us et coutumes du Dahomey, Paris, Maisonneuve et Larose, 1983, édition revue, 170 p.

5

aujourd'hui du village artisanal du musée d'Abomey, on pourrait les confondre à l'art de cour d'antan, étant donné que la distinction entre artisan et artiste ne se fait pas toujours.

Cependant, à Abomey, l'artiste est appelé anahounnoto, dérivé de anahoun (l'art), signifiant littéralement «celui qui a l'art» et l'artisan, alonouzowato (celui qui effectue un travail manuel) dérivant de alonouzo (travail manuel). Pour les Fon, anahoun (l'art) est un don divin qui permet à celui qui en est gratifié de réaliser des objets qui séduisent le commun des mortels2. Il faut remarquer que l'artiste, même s'il travaille avec les mains, n'est pas appelé travailleur manuel, parce que les Fon ont compris que les mains ne sont pour lui qu'un moyen qui lui permet de manifester le génie qui est en lui. Sont appelés artisans à Abomey, ceux qui réalisent des objets standards qui sont juste appréciés pour leur utilité.

Longtemps qualifié de primitif, on reconnait aujourd'hui à l'art africain traditionnel une certaine notoriété, notoriété à laquelle a participé l'art du Danxomè. Paul Mercier ne disait pas le contraire quand il écrivait en 1951 : « La richesse et la variété de l'art dahoméen sont désormais assez connues. La variété de cet art se manifeste à la fois dans les techniques et dans les thèmes traités. »3.

De nombreuses conférences telles que celle organisée en septembre 1997 à Abomey avec pour thème « Passé, présent et futur des palais et sites royaux d'Abomey » par la Getty Foundation des États-Unis d'Amérique et des expositions comme celle intitulée « Artistes d'Abomey », tenue en 2009, au musée du quai Branly à Paris ont largement confirmé cette opinion de Paul Mercier. Cependant, s'il est vrai que les personnes versées dans le domaine de l'art savent ce qu'est l'art du Danxomè, il faut reconnaitre que bon nombre de béninois l'ignorent encore, étant donné qu'il n'a bénéficié jusque là d'aucune politique de mise en valeur. Ce vide mérite d'être comblé ; c'est justement ce à quoi s'attèle le présent travail.

Malgré les préjugés des Occidentaux sur l'art traditionnel africain en général, les objets de l'art fon en particulier occupent une place importante dans les musées français. Ce fait ne trahit-il pas leur reconnaissance de la qualité plastique de ces oeuvres ? Cette question mérite qu'on s'y penche afin de traiter de l'esthétique de ces objets. Il s'avère donc impérieux de mettre la lumière sur les oeuvres qui sont les plus représentatives en

2 Explication fournie par le directeur de l'Office du Tourisme d'Abomey et Région, Gabin DJIMASSÈ, interviewé le 22-12-2015 à Abomey.

3 MERCIER P., Civilisations du Bénin, Paris, quai des Grands-Augustins, 1962.

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Occident de cet art de cour. Et qu'en est-il des artistes qui les ont produites ? Leurs noms se sont-ils effacés devant la grandeur de ceux des rois qu'ils ont servis ? L'art de cour au Danxomè, comme on peut bien s'en douter, n'est pas que matériel. Nul n'ignore la richesse de la culture immatérielle qui s'est développée dans ce royaume. On ne peut donc parler des arts du Danxomè sans évoquer les chants et danses, les récits versifiés du kpanligan, et autres, qui auront été d'un grand apport pour la connaissance du passé des Fon. Mais en quoi la cour royale a-t-elle été un vecteur de développement des arts dans ce royaume ? Telle est la principale question à laquelle j'ai donné des réponses dans chacune des parties et sous-parties de ce travail.

Pour rédiger ce mémoire, je suis parti des documents écrits aux sources orales en passant par la consultation des sites internet pouvant m'être utiles. Certes, il y a une bibliographie assez fournie sur le royaume de Danxomè, mais très peu d'ouvrages sont consacrés à l'art proprement dit. J'ai visité des bibliothèques de Cotonou. J'ai été également dans des centres culturels privés comme le Musée d'Art et de la Vie Active (MAVA)4 de Meschack Gaba, le Centre des Arts et Cultures5 dirigé par Dominique Zinkpè, deux artistes béninois qui oeuvrent pour l'instruction artistique et culturelle. Il faut aussi dire que nombre de documents qui traitent du sujet sont en support numérique, et j'ai dû aller sur Internet pour les avoir. Puisqu'il est question ici des arts, notamment plastiques en grande partie, il est nécessaire de prendre contact avec les objets ou à défaut de visualiser leurs images. Dans ce cas précis, le contact physique avec les oeuvres authentiques s'est avéré impossible du fait que celles-ci sont dans les musées européens au détriment des musées béninois. Ne pouvant donc effectuer des voyages en Europe pour la cause, je me suis rendu au musée d'Abomey où sont présentés quelques objets restaurés et réalisés sur copie. Internet a été incontournable dans l'élaboration de mon corpus d'oeuvres. Ainsi, j'ai pu avoir, virtuellement bien sûr, des oeuvres qui m'ont permis de mener à bien le travail.

Mes enquêtes sur le terrain ont été d'un grand intérêt pour la documentation. En effet, j'ai visité le musée historique d'Abomey qui m'a permis d'avoir des compléments de connaissances. Ensuite, j'ai eu des entretiens enrichissants avec d'une part des descendants d'artistes de cour, aujourd'hui installés en tant qu'artisans au village artisanal du musée.

4 Sis à Fidjrossè, un quartier de Cotonou.

5 Situé au quartier Atrokpocodji dans l'arrondissement de Godomey, à Abomey-Calavi.

7

D'autre part, j'ai rencontré Gabin Djimassè, Directeur de l'Office du Tourisme d'Abomey et Région, et Bachalou Nondichao, historien traditionnaliste et guide du musée historique d'Abomey à la retraite.

L'ossature de ce travail est constituée de trois parties subdivisées chacune en trois chapitres. La première partie s'intitule : Les artistes au service de la royauté, de Houégbadja à Agoli-Agbo ; la deuxième partie traite des oeuvres d'art de cour jouissant d'une reconnaissance au plan international. Enfin, la troisième partie met en lumière les arts de cour du Danxomè dans leur ensemble.

Mais avant toute chose, il convient de rappeler brièvement les origines du royaume fon et de ses palais.

Les débuts du Danxomè sont retracés par différentes versions ; l'une d'elle se présente comme suit :

Agassou, ancêtre dont se réclament les Danxomènou, est issu, selon la légende, de l'union entre sa mère, Adowi, et une panthère mâle, alors que celle-là était l'épouse du roi de Tado. Cependant, Alexandre Adandé soutient que cette union qui apparait monstrueuse signifiait en réalité la violation d'un interdit matrimonial par le roi de Tado représenté par la panthère mâle (A. Adandé, 1962 : 10). En fait, Adowi avait fui son village, Yakaki, pour Tado avec son fils aîné qu'elle avait eu avec un homme dudit village. Adowi n'ayant pas divorcé officiellement, toute relation intime entre elle et un autre homme, fût-il un roi, relevait de la violation de l'interdit d'adultère.

Agassou grandit, et devint fort, beaucoup trop fort, dit-on, au point où on le désignait comme étant un être mi-homme mi-panthère. Il parvint, grâce à sa mère, à marier l'une de ses tantes maternelles, et ils eurent de nombreux enfants. Agassou étant considéré comme un enfant illégitime, ses descendants ne pouvaient qu'être traités eux aussi comme tels. Mais il arriva que ces derniers, une fois grands, eussent caressé le voeu d'exercer le pouvoir royal à l'occasion d'une nouvelle intronisation. Cela n'était pas du goût de la dynastie régnante. Une violente dispute éclata alors entre les deux camps. La lutte fut sanctionnée par le meurtre de l'héritier présomptif perpétré par les Agassouvi (descendants d'Agassou).

Une fois le crime de lèse-majesté commis, les dissidents se sauvèrent en prenant le chemin du Sud-est. Ils finiront leur échappée dans la région des Aïda, Ardres selon la graphie employée par des voyageurs européens du XVIe siècle, actuelle Allada. Plusieurs

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générations s'écoulèrent. Ils réussirent au fil du temps à imposer leur diktat aux autochtones, et parvinrent à régner sur Alada6. Mais au début du XVIIe siècle, une querelle de succession éclata entre les trois princes à la mort de leur père, le roi Kokpon. Après d'âpres affrontements, le cadet sortit vainqueur et pris le pouvoir. Ainsi, l'aîné, Tè-Agbanlin migra, avec ses compagnons, vers le pays de sa mère, au Sud, et fonda Hogbonou, tandis que Dogbagri, le plus jeune, se dirigea vers le Nord et s'installera sur le plateau. C'est sur ce site que sera fondée plus tard par Houégbadja, un descendant de Dogbagri, le royaume de Danxomè, après avoir tué le « chef de terre », Dan, dont la dépouille aurait servi de fondation pour le palais, d'où : Dan xomè (dans le ventre de Dan).

À sa création, le royaume était limité au Nord par les peuples mahi, au Sud par les marais de la Lama ; l'Ouémé et le Koufo (cours d'eaux) le cernent respectivement à l'Ouest et à l'Est. Mais très vite, suite aux différentes conquêtes de ses souverains, le Danxomè s'étendit considérablement, incorporant désormais les pays mahi et cana, le royaume de Juda ou Whydah (Ouidah), ceux d'Ardres (Alada) et de Djèkin (devenu Godomey). L'essence même de son expansion se trouve dans la devise de ses monarques : « Le Danxomè toujours plus grand », et donc chacun d'eux se voyait en devoir de faire mieux que son prédécesseur7.

6 Alada, en tant que royaume qui a existé entre le début XVIIe siècle et le XIXe au Sud de l'actuel Bénin est écrit avec un « l » tandis que Allada, qui est désormais une ville du département de l'Atlantique, est écrit avec deux « l ».

7 ADANDÉ Alexandre, Les Récades des rois du Dahomey, Dakar, IFAN, 1962.

9

Première partie :

LES ARTISTES AU SERVICE DE LA

ROYAUTÉ, DE HOUÉGBADJA À

AGOLI-AGBO

10

Première partie :

LES ARTISTES AU SERVICE DE LA ROYAUTÉ, DE HOUÉGBADJA À AGOLI-AGBO

Chapitre Ier- Intégration des artistes dans les arcanes du pouvoir royal

A- Origines sociogéographiques des artistes

L'intérêt des souverains qui se sont succédé sur le trône du Danxomè pour l'art les a amenés à faire recours aux services des artistes indépendamment de leurs origines sociales et géographiques. Ils plaçaient le génie artistique au-dessus de toute considération sociopolitique. Cependant, il faut reconnaitre qu'avant l'agrandissement considérable du royaume, les artistes étaient choisis parmi l'élite sociale. Ainsi, ne pouvaient travailler aux alentours du palais que les artistes issus de lignées royales ou de familles liées aux vodoun. Ce privilège leur était accordé parce qu'on les trouvait plus dignes d'être proches du monarque, et plus à même de traduire en langage artistique la suprématie aladaxonou (fon)8.

Mais après de grandes conquêtes notamment celles d'Alada, de Savi et de Djèkin dont Agadja fut l'instigateur entre 1724 et 1732, occasionnant la déportation sur le plateau d'Agbomè de nombreux captifs parmi lesquels se trouvaient des artistes de grand talent, les rigides principes d'antan finiront par s'assouplir. Ainsi, les artistes provenaient désormais de toutes les couches sociales ; ils pouvaient être princes, maîtres de culte, hommes libres, esclaves et même captifs de guerre. Ironie du sort, nombre de ces derniers finiront par hisser haut la renommée du Danxomè dans le domaine des arts.

Un grand forgeron-sculpteur du nom d'Ékplékendo Akati, était originaire d'Anago-Doumè, une région située à environ 100 km d'Agbomè, à la frontière entre le Bénin et le Togo actuels. La première version de la tradition orale sur les origines de cet artiste dit qu'il était yoruba et que la qualité de ses oeuvres avait atteint une telle ampleur dans sa région d'origine que le roi Glèlè en fut informé9. Par un concours de circonstances, celui-ci fit la guerre à Anago-Doumè, dont les habitants, les Djaloku ou Fennu l'auraient nargué alors qu'il venait de perdre sa mère, bafouant ainsi le pacte de l'amitié jurée scellé par leur

8 BALLT T. (dir.) et alï, Passé, présent et futur des palais et sites royaux d'Abomey, Actes de conférence, 1999, 167 p.

9 Cette information m'a été fournie à Abomey, le 23-12-2015, par Bachalou NONDICHAO, historien traditionnaliste et guide du musée d'Abomey à la retraite.

11

ancêtre Nukumoké et Houégbadja. On se demande si la vraie raison de cette guerre n'était pas l'enlèvement de l'artiste avec ses oeuvres, quand on sait que le Danxomè faisait également des conquêtes d'ordres religieux et culturel. Quant à la seconde version10, il aurait été emmené comme captif de guerre, à l'issue d'une bataille que le roi Ghézo, père de Glèlè, livra contre les habitants d'Anago-Doumè. Et c'est bien après que le roi se rendra compte que les talents de cet artiste surpassaient ceux des autres forgerons. Il lui confiait tous ses travaux liés à la forge et le nomma Gounon11.

Quoi qu'il en fût, le fait essentiel à retenir de ces deux versions est que Ékplékendo Akati était d'Anago-Doumè, et était venu à Agbomè comme captif de guerre, mais a très tôt, grâce à son art, intégré le cercle fermé des privilégiés du royaume. Et aujourd'hui encore, ses oeuvres continuent de faire la fierté des Aboméens et de tous les béninois par extension.

B- Le recrutement et l'insertion des artistes dans le paysage royal

Dans un système de royauté, il est difficile que ceux qui n'appartiennent pas à l'élite sociale aient des prérogatives. Et donc pour être recruté comme artiste de cour, il fallait avoir des aptitudes supérieures à celles des autres, qu'on peut considérer comme des artisans. Ce privilège n'était ainsi offert qu'aux excellents dans leurs domaines respectifs. Lorsque parmi les prisonniers de guerre, il y avait quelque artisan dont le métier était inconnu dans le royaume et dont les oeuvres eussent pu fasciner le roi, ce dernier le faisait quitter son statut de captif et le traitait dès lors comme son protégé. On l'installait non loin du palais, et on lui offrait tout ce dont il avait besoin pour s'épanouir dans son travail. On lui trouvait une femme qu'on dotait à sa place, lui déléguait des personnes commises à ses services, et on s'assurait qu'il ne manque jamais de matière première. Son atelier se situait dans l'arrière-cour de la maison à lui donnée.

En revanche, si le captif de guerre pratiquait un métier qui existait déjà à la cour, alors on le mettait sous la coupe de la personne la plus douée dans le métier. Il pouvait ainsi user de ses connaissances pour améliorer la qualité des oeuvres. Cette personne dont on parle était le responsable de tous les artisans exerçant le même métier. Ainsi, il est le

10 Cette version est dite par Dodji ABIALA et Marcelin HOUNTONDJI, deux artisans, membres de familles d'artistes.

11 Prêtre du culte de Gou.

12

seul qu'on peut qualifier d'artiste, celui à qui Aziza12 accorde des révélations sur l'art qu'il pratique ; et les autres n'étaient que de simples artisans, car ne faisant que reproduire l'ouvrage de leur maître en employant sa technique.

Il est à noter des mariages particuliers qui se faisaient entre le roi et les artistes très cotés. En exemple, le roi Agonglo (1789-1797), ayant été informé de la renommée du tenturier Yèmandjè, fit tout le nécessaire pour bénéficier de sa compétence. Il le « dota et l'épousa » donc, faisant de lui une Ahossi (reine, femme du roi). Ce pseudo-mariage n'était qu'un acte symbolique, et est une preuve flagrante de la présence permanente du symbolisme dans les faits et récits au Danxomè. Yèmandjè bénéficiera ainsi d'énormes avantages. Il avait accès à toutes les parties de la cour, y compris celle réservée au roi et à ses épouses. Il devint très tôt l'exécuteur des grands travaux de tenture et l'habilleur spécial du roi, puisqu'il était très proche de lui. D'autres artistes ont été aussi approchés et installés comme ce dernier, même s'ils n'ont pas été tous « dotés et épousés ».

Chapitre II- Rapports entre la royauté et les artistes

A- Les contraintes du métier d'artiste de cour

Comme nous l'avons vu plus haut, les souverains du Danxomè accordaient assez de prérogatives aux artistes. Mais en contrepartie, l'artiste devait faire preuve de sagesse et de reconnaissance en mettant toute son intelligence et son génie au service du pouvoir royal.

Il devait travailler en toute discrétion ; son atelier était tenu secret. Il devait faire en sorte que personne ne découvre avant le roi la finalité de son oeuvre. Lorsqu'il finissait de réaliser les objets, il les gardait dans sa chambre privée qui n'était pas accessible à tout le monde. Ces objets étaient emballés avant d'être acheminés au palais, afin de n'attirer aucune curiosité. L'une des raisons pour lesquelles les artistes étaient installés à quelques lieues du palais était la quête de confidentialité dont il fallait entourer les oeuvres. On se rend ainsi compte que ceci pouvait susciter la peur chez l'artiste, celle de perdre tous privilèges suite à une absence de discrétion.

12 C'est le génie de l'art, selon une croyance fon. Il a le pouvoir de délivrer aux personnes qu'il choisit le don de produire de magnifiques oeuvres. Ainsi, est-il courant d'entendre dire en fon d'un artiste qui se fait admirer à travers son ouvrage : « Aziza wè nin » signifiant littéralement : « C'est un don d'Aziza ».

13

En outre, l'artiste se devait de réaliser minutieusement la commande du roi. Les oeuvres produites ne devaient souffrir d'aucune faille. Lorsque les objets étaient apportés au palais, le souverain les examinait attentivement, puis donnait son verdict : il les acceptait ou les rejetait. La salle de trésor était réservée aux objets qui avaient reçu l'approbation du roi, tandis que les objets rejetés étaient remis aux artistes qui devaient les travailler à nouveau ; mais ces derniers perdaient de leur crédibilité.

Par ailleurs, le titre de Djèhossu (roi des perles) attribué au roi indique clairement qu'il ne peut accepter des artistes que ce qui est beau, luxueux, reflétant toute sa grandeur. Les oeuvres réalisées pour le roi étaient en modèle unique. Il n'était donc pas possible de retrouver chez quelqu'un d'autre, quel que soit son rang social, une oeuvre ressemblant à celle du roi. Ainsi, à chaque commande, l'artiste avait l'obligation de s'appliquer un peu plus afin de contenter le roi. Il était tout le temps dans la création de nouvelles choses.

Les artistes devaient travailler durement et avec soin pour mériter d'être proches du roi. Ce dernier ne faisait entrer dans son environnement immédiat que l'artiste dont le talent supplante de loin celui des autres. En fait, installés dans la salle de trésor après avoir reçu le satisfécit du roi, les objets étaient sortis et exposés dans les espaces publics du palais, lors des festivités royales. Les hôtes de marque du roi étaient amenés dans cette salle pour admirer les richesses artistiques du royaume. Ainsi, pouvait aussi devenir protégé du roi, l'artiste dont les oeuvres avaient été admirées par des étrangers.

B- Le génie artistique au service de l'impérialisme

La devise du royaume était : « Le Danxomè toujours plus grand » ; et plus qu'un simple voeu, elle était un devoir qui s'imposait à tout souverain qui accédait au trône. Celui-ci se sentait dans l'obligation morale de repousser les limites de son royaume, de faire quelque chose de plus grand que ses prédécesseurs. Ainsi, il mettait tout en oeuvre pour y arriver. L'art était d'un grand intérêt dans cette entreprise.

C'étaient en effet les artistes qui, à travers leur savoir-faire, faisaient transparaître la puissance et la grandeur du royaume, notamment du roi. Exclusivement adaptée à ce dernier, la production artistique le célèbre, le magnifie, et valorise son règne. Les artistes ont également participé indirectement aux conquêtes en jouant sur l'esthétique, la

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psychologie et l'histoire . Le kpanligan 13 par exemple présente le roi comme étant le détenteur de tous les trésors, le Djèhossu, le Dokunnon, l' Ayihihonnon 14... Ainsi jouait-il sur la psychologie des sujets et surtout des peuples voisins. De même, l'iconologie des bas - reliefs, a permis de retracer, outre les sources orales et les écrits d'administrateurs coloniaux, l a terreur que voulaient imposer les souverains du Danxomè à leurs ennemis. D'autres artistes comme les tenturiers ne faisaient pas le contraire quand ils laissaient transparaître dans leurs toiles le sort affreux réservé aux ennemis du royaume comme l'illustre l'image 1 ci-dessous.

Image 1- Fragment d'une toile appliquée.

13 Il est employé à la cour à réciter la généalogie du roi, son panégyrique et à faire son éloge.

14 Ce sont trois des nombreux surnoms donnés aux rois du Danxomè. Le premier signifie « Le Roi des perles », le deuxième « Le Richard » et le troisième « L'incarnation du Soleil».

Dans ce fragment de tenture par exemple, on aperçoit une récade et un buffle de couleur rouge ; ce sont les armoiries de Ghézo. Entre autres scènes, nous avons : un homme qui pile la tête d'une victime dans un mortier avec pour pilon une jambe humaine ; une personne est portée, bien qu'étant armée, vers un arbre ; un autre homme est décapité et sa tête est plantée sur une pique ; une femme a sur la tête un panier empli de têtes humaines. Ces scènes laissent voir que des soldats des royaumes rivaux à celui de Danxomè sont décapités sans état d'âme. Elles présentent les Danxomènou à travers leurs soldats comme des conquérants attitrés, et qui éliminent tous ceux qui tentent de s'opposer à l'impérialisme fon. Ainsi, le roi Ghézo se voit glorifié par cette tenture pour sa politique d'expansion. Mais au-delà de leur rôle dans l'impérialisme du Danxomè, ce sont aussi des oeuvres qui ont permis de sauvegarder l'histoire de ce royaume.

Chapitre III- Les prémisses d'une école d'art à Agbomè

A- La spécialisation dans les arts

Il y avait à Agbomè, la capitale du royaume, une spécialisation nette dans les métiers d'art. Il existait des quartiers de la capitale et des villages qui formaient des corporations spécialisées, dont le chef recevait une dignité : il était « maître d'un siège »15 (P. Mercier, 1962 : 198). C'est ainsi qu'on constate aujourd'hui à Abomey des quartiers dont la toponymie est liée aux noms de familles d'artistes ; par exemple les quartiers Hountondji, Yèmandjè,... En effet, afin de concéder des avantages à des alliés et aux populations du plateau nouvellement soumises, le roi Houégbadja, fondateur du royaume, fit spécialiser chaque famille d'artiste dans un métier.

Ainsi, installés à proximité du palais par Houégbadja au début de son règne, les Hountondji étaient forgerons avant de se spécialiser dans la technique de la cire perdue sous le règne de Ghézo notamment, devenant ainsi bijoutiers. Parlant de forge, nous avons entre autres les Adjalian et les Zounon, invités par Agadja, et qui étaient spécialistes du travail du fer essentiellement, avec la fabrication des armes, des outils agraires et des objets de culte. Doté et «épousé» par le roi Kpengla, un talentueux forgeron du nom de

15

15 C'est-à-dire que le chef de la corporation d'artistes du même métier était élevé au rang de dignitaire.

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Déguénon Mongbo sera installé auprès des Hountondji, et devint très tôt le premier spécialiste de la fabrication du Gou. Il existait de nombreuses autres familles spécialistes de la forge telles que celle Akati, réputée dans la production du Gou, des récades, des sabres ; la famille Agbo qui avait le monopole de la fabrication du gong jumelé (Kpan) ; les Assogbakpé, grands producteurs d'assen.

Le domaine de la tenture ne manquait pas non plus de spécialistes. Ce métier a pris son envol sous le règne d'Agadja. En effet, lors d'une prise de guerre à Agbozounmey, dans la région d'Avrankou, au Sud-est du Bénin actuel, les tenturiers et tisserands Hantan et Zinflou ont été capturés par les soldats fon. Il est important de préciser que les appliqués sur tissu réalisés par ces deux artistes l'étaient sur fond de raphia et non de coton, comme il fut de mise après avec l'apparition des toiles issues du commerce des esclaves. Ils sont les premiers spécialistes de la tenture au Danxomè. Cette corporation connaîtra un grand essor avec Yèmandjè, « doté et épousé » par Agonglo pour s'attacher ses services. La famille Yèmandjè finit par supplanter celles Zinflou et Hantan, et son chef devait porter avant le roi tout vêtement produit en appliqué. Il était le « miroir » du roi, dit-on16.

La sculpture sur bois est une autre spécialité des arts fon. D'origine yoruba, elle existait sur le plateau avant l'arrivée des Agassouvi. Elle sera ensuite adoptée par des habitants de Gbanamè dans la région d'Agonli, au Sud-est du Bénin actuel. Le roi Agonglo a beaucoup oeuvré pour le rayonnement de cet art, en se faisant sculpter des trônes de luxe (Gandémè) en lieu et place des traditionnels kataklè17. Les sculptures en bois consacrées aux cultes vodoun étaient l'apanage de la famille Sossa Dèdè. Quant aux Djotohou, ils étaient spécialistes de la fabrication des chaussures, amulettes et autres objets en cuir du roi, tandis que les Danhoungbé se chargeaient de la composition de chapeaux et d'amulettes en perles.

La production des bas-reliefs qui constituent l'une des caractéristiques fondamentales de l'art du Danxomè, a connu des perfectionnements au fil des règnes. Elle nécessite plusieurs aptitudes de la part de ses spécialistes : la forge, l'architecture, la poterie, la décoration et la peinture. Sur le plan de la musique et de la danse, des orchestres étaient bien établis. Chaque orchestre était spécialiste d'un rythme précis.

16 Ainsi parla Fidèle YÈMANDJÈ, tenturier et tisserand.

17 Tabourets à trois pieds qui servirent de trônes pendant longtemps avant d'être utilisés comme sièges d'intronisation avec la création des trônes de luxe.

17

B- La pérennisation du savoir-faire

Les artistes de cour n'étaient pas qu'investis de produire des oeuvres pour le roi et son entourage immédiat, ils étaient aussi charger de perpétuer leur savoir-faire en formant d'autres personnes. C'est alors que des apprentis étaient engagés pour être formés afin d'assurer la relève. Ceux-ci étaient des enfants d'artistes ou d'hommes de confiance ne pouvant trahir le secret de la discrétion. Cette forme de transmission a occasionné la floraison de familles d'artistes ; ce qui a permis la conservation de certains métiers et techniques artistiques. Placé dans un atelier familial dirigé par le chef de la famille ou l'artiste le plus doué, chaque apprenti reproduisait suivant son talent des objets créés par son maître. Apprenant le métier depuis sa toute jeune enfance, l'apprenti ne finissait sa formation qu'à un âge relativement mûr et après avoir prouvé tout son talent.

Le roi-mécène ne se contentait pas uniquement d'offrir de bonnes conditions de vie et de travail aux artistes. Il s'occupait également de la formation de la relève. Des enfants de ministres et des princes héritiers étaient aussi placés sous la coupole des chefs des corporations d'artistes. C'est ainsi que des rois arrivaient à séduire par leurs connaissances artistiques18.

Une preuve de la pérennisation du savoir-faire est la subsistance des familles d'artistes. Des membres de ces dernières sont aujourd'hui installés au centre artisanal du musée historique d'Abomey où ils tentent tant bien que mal de perpétuer la tradition familiale. Un peu partout dans la ville d'Abomey nous pouvons observer l'héritage de ces arts de cour à travers des ateliers de tenture, de tissage, de bijouterie, de sculpture, etc.

Cependant, un membre de la famille Hountondji, interrogé au centre artisanal, affirme qu'il est aujourd'hui très difficile voire impossible de pratiquer certaines techniques qu'il a apprises du fait de la pénurie de métaux nécessaires. À cela s'ajoute le manque d'intégration des arts dans les politiques de développement.

18 La plupart de mes informateurs ont affirmé que le roi Agonglo avait sculpté lui-même un trône, alors que le roi Ghézo a composé de nombreuses chansons qu'il a laissées à la postérité. Quant à Gbèhanzin, il excellait dans la danse.

18

Deuxième partie :

QUELQUES PRODUCTIONS DE

PORTÉE INTERNATIONALE DES ARTS

DE COUR DU DANXOMÈ

19

Deuxième partie :

QUELQUES PRODUCTIONS DE PORTÉE INTERNATIONALE DES ARTS DE

COUR DU DANXOMÈ

Chapitre IV- Les trônes et les figurines de jumeaux

A- Les trônes

L'une des formes les plus marquantes des arts fon, c'est la sculpture sur bois dont quelques-unes des réalisations sont les trônes des rois. Deux types de sièges royaux existaient dans le royaume ; il s'agit du tripode de forme circulaire appelé kataklè et du gandémè19, plus complexe du point de vue de la structure. Le premier, selon la tradition orale, servait à introniser les rois, et est aussi appelé Alada zinkpo (siège d'Alada) ; ce qui évoque les relations ancestrales entre les deux royaumes20. Les gandémè sont aussi appelés djandémè, et ceux des rois Ghézo et Glèlè se dénomment nukpewu zinkpo, signifiant littéralement « siège du pouvoir ».

Les kataklè, même s'ils présentent un aspect simple étaient monoxyle, c'est-à-dire qu'ils étaient soigneusement sculptés dans un seul tronc d'arbre. Ceci nécessitait une bonne maîtrise du travail du bois, ce qui fait qu'il n'y avait pas assez de familles de sculpteurs de trônes. Quant aux gandémè, leur élégance a fait parler d'eux dans le paysage artistique mondial. Ils présentent généralement une base rectangulaire supportant quatre piliers massifs ou un cube évidé surmontés d'une surface concave où s'assied le roi. Ceux de Ghézo et de Glèlè sont faits de panneaux manufacturés et assemblés. Un autre de Ghézo est plus frappant, car gigantesque et surmontant quatre crânes humains21.

Les sièges de type gandémè existent également au Togo et sont appelés Togbé zinkpui ou Efio zinkpui, c'est-à-dire « sièges des ancêtres » ou « sièges royaux », termes faisant référence à son rôle sacré. Certains chercheurs, à l'instar de l'historien d'art Joseph

19 ADANDÉ J. C. E., Les sièges des rois d'Agbomè et le siège akan : analyse d'un contexte de civilisation à partir de la culture matérielle et artistique (1625-1890), Université de Paris I, Thèse de doctorat, 1984.

20 Confère Introduction, p. 5.

21 BEAUJEAN-BALTZER G. et alï, Artistes d'Abomey, Catalogue d'exposition, Fondation Zinsou, 2010, pp.

237-239.

Adandé, ayant travaillé sur ces trônes s'accordent sur le fait qu'ils auraient pour origine le

20

pays akan de la confédération ashanti, et les dénomment

« sièges de type

akan »22.

Image 2 : Schéma du trône kataklè par H. Togo

Image 3 : Trône gandémè

ou nukpewu zinkpo de Ghézo, posé sur quatre crânes humains,

capture

d'une page du catalogue «

Artistes d'Abomey » du musée du quai Branly

22 BEAUJEAN- BALTZER G. et alï, Artistes d'Abomey , Catalogue d'exposition, Fondation Zinsou, 2010, pp 237-243.

21

 
 
 

Image 4 : Trône nukpewu zinkpo

de Glèlè, capture d'une page du catalogue « Artistes d'Abomey du quai Branly

» du musée

Image 5 : Trône nukpewu zinkpo de Ghézo, Photo Musée du quai Branly

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B- Les figurines de jumeaux

Les statuettes de jumeaux des artistes du Danxomè connaissent une grande renommée dans le paysage artistique international. Elles sont de petites sculptures en bois représentant en miniature des êtres humains, en l'occurrence les jumeaux décédés. En fon, on les appelle hoho du même nom que les jumeaux et jumelles réels. Ces statuettes jouent des rôles très importants lors des rituels des cultes dédiés aux jumeaux. Appelés ibeji dans l'aire culturelle yoruba, ces statuettes sont une composante essentielle des religions endogènes dans toute la baie du Bénin.

Il faut signaler que dans l'aire culturelle aja-tado, on ne dit pas ouvertement qu'un

jumeau ou une jumelle est décédé(e), on dit qu'il ou elle est allé(e) dans les bois.

est donc traité avec soin, il est respecté comme une personne physique ; il est même appelé

second », c'est-à-dire le jumeau encore en vie,

Le hoho

par le nom de celui qu'il symbolise. Son « le porte sur lui et le protège de tous ceux qui pourraient tenter de le profaner. Il est «nourri», «habillé» ; certains le parent de perle s. Incarnant le jumeau défunt, on le fait passer par toutes les étapes des cérémonies effectuées lors du culte des jumeaux, et certaines personnes le vénèrent pour implorer sa bénédiction.

Image 6 : Hoho, Photo P. Gries, V. Torre, Collection musée du quai Branly

 

Image 7 : Le voyage, exposition d'une pirogue réalisée avec des ibeji par D. Zinkpè, 350 cm x 300 x 300, capture d'une page de Temps Modernes : La mémoire de l'esclavage

23

L'image 6 ci-dessus présente deux des objets d'art fon pillés et exportés en hexagone par les administrateurs coloniaux, et aujourd'hui catalogué sous l'appellation « Trésor de Béhanzin » au musée du quai Branly. Elle nous fait voir deux hoho, une femme et un homme portant des bracelets, des colliers, des perles à la hanche et des pendentifs d'oreilles pour la femme. Lorsque tous les jumeaux sont décédés, la garde des figurines qui les représentent est assurée par leur maman ou à défaut par leur père ou un parent proche.

Au-delà du caractère sacré du hoho, il est d'une finesse et d'une esthétique avérée. Sculpté dans un seul bois, il est généralement de taille réduite, d'environ quinze à vingt centimètres de long, et surmonte un socle qui lui permet de tenir debout. La représentation féminine et celle masculine se différencient à vu d'oeil par la présence d'une poitrine saillante chez l'une et le phallus chez l'autre. On perce parfois les oreilles au hoho féminin afin d'y accrocher des bouclettes. Celui masculin reçoit dans certains cas, une raie dans ce qu'on peut appeler ses cheveux. Les hoho sont polis et vernis au besoin ; c'est le cas de ceux que nous montre l'image 6.

Aujourd'hui, dans une logique purement artistique, l'artiste plasticien béninois Dominique Zinkpè sculpte des hoho dont il part pour réaliser de gigantesques oeuvres de diverses formes. De culture fon, cet artiste qui a acquis une renommée internationale a su sortir ces statuettes de leur cadre religieux pour leur donner un autre espace d'installation outre les couvents et les chambres. Ainsi les débarrasse-t-il peu à peu de s idées négatives construites autour d'eux par le discours colonial d'antan perpétué par les religions exogènes. Loin d'être une sorte de désacralisation de l'objet, cet élan de l'artiste est une preuve que les objets de culte africains ne manquent pas d'esthétique contrairement à ce qui était dit d'eux.

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Chapitre V- Les récades, les gou et les assen

A- Les récades

Le mot « récade » vient du portugais recados qui veut dire « messager » ; en terme plus clair, c'est un bâton de pouvoir, qui joue le rôle de signature, attestant de l'authenticité du message royal. En fon, elle s'appelle mankpo qui signifie « bâton de fureur ». Ces deux définitions trouvent bien leur place dans le contexte du royaume de Danxomè.

Avant de devenir un « bâton messager » dans ce royaume, il était uniquement un « bâton de fureur ». En effet, les guerriers du fondateur Houégbadja n'avaient pour arme qu'un bâton légèrement recourbé à l'un des bouts rebondi et doté d'un anneau de fer. De plus, sous ce même roi, des cultivateurs furent surpris par des ennemis alors qu'ils travaillaient. Ils durent se défendre avec les manches de houe, et parvinrent à les chasser. C'est depuis cette prouesse que le manche de la houe est perçu comme le bâton de la rage. Très vite, les rois l'ont récupéré pour en faire un insigne de la force et du commandement. Ils se faisaient alors sculpter à l'image de cette arme improvisée, des bâtons, mais ceux-ci sont garnis d'armoiries ou de petites sculptures allégoriques. Il existait au Danxomè, plusieurs sortes de récades (récades militaires, récades de Xêvioso, le dieu de la Foudre, etc.), mais les plus célèbres sont ceux des rois.

La récade était généralement sculptée dans du bois dur et une fois cette phase achevée, elle était remise aux forgerons et/ou aux bijoutiers qui s'occupaient de l'incrustation des symboles en métaux. Enveloppé, le produit final était apporté au Mewu, ministre chargé de la sécurité du royaume, qui ordonnait à l'artiste de se l'accrocher au cou et à l'épaule afin de s'assurer que son ouvrage n'était pas empoisonné. Le roi recevait la récade après que son ministre l'admette. À cette occasion, le peuple était rapidement appelé à se rendre à la place du palais à lui réservé par le gandoto ou l'informateur public muni d'un gong pour rythmer son message. Devant ses sujets attentionnés, le roi se levait, prenait la récade de la main droite, la brandissait en signe de détenteur. Il expliquait ensuite chacun des symboles présents sur l'oeuvre. Le peuple s'inclinait alors devant la récade qui devenait du coup un objet de vénération exclusivement réservé au roi23. Comme le montre l'image 8 ci-dessous, certaines récades étaient réalisées en ivoire et garnies de décorations diverses.

23 ADANDÉ Alexandre, Les Récades des rois du Dahomey, Dakar, IFAN, 1962.

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Image 8 : Récade en ivoire de Glèlè, longueur : 54 cm, capture de la page 45 du Catalogue Art

d'Afrique, d'Océanie er d'Amérique du Nord

Les rois du Danxomè possédaient plusieurs récades afin d'avoir la possibilité d'envoyer plusieurs commissions à différents endroits à la fois. Pour porter un message à

26

un personnage important du royaume ou à un étranger, le roi remettait une de ses récades au messager qui l'enveloppait dans un tissu. Arrivé à destination, celui-ci devait s'accroupir et sortir le bâton royal de son enveloppe devant le récepteur du message qui reconnaissait le commanditaire à travers son emblème.

B- Les gou et les assen

Les gou et les assen sont des sculptures en métaux qui font partie des oeuvres représentatives de l'art de cour d'Agbomè. Elles figurent dans les grandes collections européennes. Parmi les gou réalisés par les artistes fon, il y en a un qui force l'admiration des professionnels et amateurs d'art au plan international : c'est celui d'Ékplékendo Akati. Cette sculpture entièrement en fer est représentée en marche avec dans la main droite le goubassa24 et dans l'autre, une cloche. La tunique et le visage sont faits de feuilles métalliques, et la tête est coiffée d'un plateau auquel est accrochée une chaîne et dans lequel on peut observer divers symboles du panthéon vodoun. La statue tient debout grâce à ses pieds en fer fondu. Donnant son appréciation sur cette oeuvre, l'historienne d'art Marlène Biton (2010 : 92) affirme : « Son originalité consiste dans les matériaux, les dimensions et le travail du sculpteur. Elle a une taille humaine, avec environ 165 cm. » (Image 9).

24 C'est le sabre de gou (dieu des métaux et de la guerre) dont il se sert pour exécuter ceux qui enfreignent à ses règles.

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Image 9 : Gou d'Akati, Photo musée du quai Branly

La pièce originale de cette sculpture appartient au musée du quai Branly, mais est actuellement exposée au pavillon des sessions du musée du Louvre ; une copie est aujourd'hui installée au musée historique d'Abomey.

Comme les gou, les assen sont aussi célèbres. L'assen ci-dessous est offert au musée d'ethnographie du Trocadéro, en 1895, par le général Dodds comme butin de la guerre coloniale franco-dahoméenne.

Image 10 : Assen aux emblèmes de Gbèhanzin, Argent et alliage cuivreux riveté et martelé, Capture de la page 256 du Catalogue Artistes d'Ahomey

Les assen des souverain s du Danxomè étaient normalement réalisé

Mais celui-ci, représentant

s après leur mort.

les symboles du roi Gbèhanzin ( deux mains entourant un oeuf),

aujourd'hui pour

. La

est fabriqué avant le décès de ce dernier, car l'année de donation de l'objet (1895) est antérieure à celle du décès du roi (1906). Deux hypothèses se confrontent l'explication de ce fait nouveau intervenu dans l'histoire du célèbre roi du Danxomè première est que le roi aurait commandé cet objet réservé aux défunts, après que son devin

lui aurait annoncé qu'il ne lui restait plus assez de temps à passer sur la terre de ses aïeux. La seconde hypothèse s'appuie sur les couteaux suspendus tout autour du plateau réservé

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aux libations. En effet, Gbèhanzin aurait utilisé cet objet important de sa culture pour

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déclarer la guerre aux colons français ; les couteaux étant les armes les plus utilisées par son armée ont été représentés.

Les assen, objets essentiels de la culture fon en ce sens qu'étant des autels mobiles, ils permettent de rendre des cultes aux défunts n'importe où, font aujourd'hui la fierté de l'art du Danxomè dans le monde.

Chapitre VI- Les tentures et les bas-reliefs A- Les tentures

« Une manifestation curieuse des arts graphiques a atteint aussi son plus grand développement au Dahomey. C'est la décoration d'étoffes par application de motifs d'étoffes d'une autre couleur cousus sur celles qui servent de fond. »25 ; Paul Mercier (1962 :198) écrivait ainsi des tentures encore appelées toiles appliquées du Danxomè. La technique de l'appliqué sur tissu est une invention attribuée au roi Agadja (1711-1732), qui en aurait été inspiré après avoir vu dans une région étrangère des adeptes d'un culte vodoun danser avec des accoutrements multicolores. Il amena plus tard dans son royaume les tenturiers et tisserands Hantan et Zinflou. Présent également dans le pays ashanti (dans le Ghana actuel), l'art de la toile appliquée aurait migré du pays fon à celui-là26.

L'appliqué sur tissu fut pratiqué pour la première fois à la cour d'Agbomè par Hantan et Zinflou sur des tissus de raphia. Elle a été plus tard la spécialité de la famille Yèmandjè. Avec les échanges issus de la traite négrière, les toiles de coton remplaceront celles de raphia. Comme me l'a confié M. Fidèle Yèmandjè, un artisan installé au centre artisanal du musée d'Abomey, les artistes « dessinaient les noms des souverains sur les tissus, les bonnets, les hamacs, etc. ». Le «dessin des noms des souverains» dont a parlé mon informateur est en réalité la représentation imagée des armoiries et allégories des

25 MERCIER P., Civilisations du Bénin, Paris, quai des Grands-Augustins, 1962, p. 198.

26 ADANDÉ J. C. E., Les grandes tentures et les Bas-reliefs du musée d'Abomey, Mémoire de maîtrise, Abomey-Calavi, Université Nationale du Bénin, 1977.

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souverains. En effet, l'usage des toiles appliquées était réservé au roi, à certains ministres et aux grands dignitaires religieux quand celui-là leur en donne l'autorisation. Les toiles appliquées servaient à décorer les palais, et à travers elles, la grandeur du Danxomè était affichée. Les parasols royaux passaient également chez les tenturiers qui les marquaient d'images diverses. Des tissus appliqués apparaissaient aussi lors des cérémonies et fêtes publiques.

La toile appliquée présente un fond uni sur lequel se détachent, autres que les symboles des rois, des images provenant d'allégories et de proverbes. Ces images sont présentées comme étant dans un décor et non sur terre, car celle-ci n'est aucunement matérialisée. Les personnages se trouvent, en quelque sorte, flottants dans l'espace.

Image 11 : Tissu appliqué dédié à Ghézo

Image 12 : Portion de toile appliquée, Capture de la page 30 du livre Restauration du palais de Gbèhanzin

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Les images 11 et 12 sont des exemples de tissus appliqués aux effigies des rois Ghézo et Gbèhanzin. Dans le deuxième cas, le requin, symbole de Gbèhanzin, est placé au haut de la toile, survolant deux personnages, l'un humain et l'autre mi-homme mi-bête. Le personnage mi-homme mi-bête n'est personne d'autre que Gbèhanzin, représenté en tenue de guerre avec son fusil et un bâton sous forme de récade qui pourrait aussi être perçu comme une arme. Il est suivi par un homme tenant deux bâtons en mains dont l'un est surmonté de tête humaine : c'est le butin de guerre. Le requin représenté a la gueule grandement ouverte, ce qui évoque le désir de conquête de ce roi. Cette toile célèbre ainsi Gbèhanzin en racontant de façon imagée ses prouesses guerrières. L'appliqué sur tissu est donc une forme d'art qui nous présente aujourd'hui en tissus coloriés le passé de ce royaume qui aura marqué l'histoire du golfe de Guinée.

B- Les bas-reliefs

Les bas-reliefs du Danxomè, pictogrammes et idéogrammes fixés sur les murs des palais royaux, de certains temples et de quelques maisons d'artistes, jouissent eux aussi d'une grande renommée. Ils sont modelés avec de la terre sur une surface de mur un peu creusée, et reprennent les images de symboles royaux, de diverses scènes retraçant les hauts faits du royaume. Les débuts de cet art sont mal connus, néanmoins la tradition orale les place sous le règne du roi Agadja, celui-là même à qui est attribuée la paternité de l'art de la tenture.

Dans les palais, ils étaient fixés dans la partie centrale de l'adjalala27. Lors des couronnements de ministres et de hauts dignitaires, le roi s'assied de manière à ce que les bas-reliefs l'encadrent. De même, pour assister au déroulement des rites en mémoire de son père défunt, il trônait devant les bas-reliefs. Ces derniers objets sont ainsi, avec les tentures bien sûr, les premières expressions du pouvoir visibles dans le palais. Ils sont des signes ostentatoires, communiquent avec qui les voit, et content l'histoire à qui peut les discerner. Sous le roi Ghézo, les arts architectural et décoratif ont connu des évolutions significatives. En effet, ce roi, après avoir évincé Adandozan par une révolution de palais en 1818, engagea des actions d'envergure pour l'éclosion des arts. Il transgressa les habitudes royales en se faisant construire un nouveau palais au Sud de l'ancienne enceinte

27 Étymologiquement, désigne « objet à plusieurs ouvertures ». C'est la salle de réunion du palais ; elle est sans porte et a plusieurs ouvertures.

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du palais, alors qu'au cours des règnes précédents, seule l'ouverture d'une nouvelle porte semble avoir été pratiquée28.

Par ailleurs, les bas-reliefs qui figurent sur les murs du palais royal de Gbèhanzin prouvent une maîtrise évidente des artistes qui les ont réalisés.

Image 13

Image 14

Images 13 et14 : Bandes de bas-reliefs de l'adjalala de Gbèhanzin, Captures des pages 5 et 18 du livre Restauration du palais de Gbèhanzin

Ces deux séries de bas-reliefs nous montrent différentes scènes et différents emblèmes royaux. On aperçoit entre autres des scènes de guerres avec une amazone qui décapite un ennemi, un corps-à-corps entre deux individus (un soldat fon et un ennemi) ; le lion, symbolisant Glèlè, est bien visible et est entouré de deux volailles évoquant chacun Kpengla et Agonglo. Le Fa29, occupant une place très importante dans la gouvernance royale, le dernier bas-relief de l'image 14 évoquerait le couple Mawu-Lisa de la cosmogonie fon. Mawu est l'élément féminin du couple et est l'être suprême ; il est représenté par la lune. Lisa, quant à lui est l'élément masculin, incarné par le soleil.

Derrière un bas-relief du Danxomè, se cache toute une histoire. C'est fort de cela que de nombreuses actions ont été menées en vue de les sortir des ruines dans lesquelles ils semblaient disparaître totalement depuis la fin de la royauté. Rappelons entre autres qu'en 1997, le Ministère de la Culture et de la Communication du Bénin, en collaboration avec

28 BALL T. (dir.) et alï, Passé, présent et futur des palais et sites royaux d'Abomey, Actes de conférence, 1999, 167 p.

29 Moyen divinatoire permettant de comprendre le passé, de prendre des précautions pour mieux vivre le présent et de prévoir le futur. Le roi le consultait auprès de son devin tous les matins avant de mettre pied dehors, et avant la prise de toute décision importante.

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l'Institut Getty Conservation des États-Unis d'Amérique, a oeuvré à la restauration des bas-reliefs de l'adjalala de Glèlè qui, heureusement, pouvaient encore être sauvés. En 2006, la restauration du palais royal de Gbèhanzin a permis de redonner vie aux bas-reliefs de ce palais qui témoignent de la vigueur de celui qui fut propriétaire de ces lieux.

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Troisième partie :

VUE PANORAMIQUE DES ARTS DE

COUR DU DANXOMÈ

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Troisième partie :

VUE PANORAMIQUE DES ARTS DE COUR DU DANXOMÈ

Chapitre VII- Les arts plastiques

A- La place du vodoun dans la création artistique

Vincent Guézodjè avança en 1997 une définition du vodoun dans les Actes de la conférence internationale intitulée « Passé, présent et futur des palais et sites royaux d'Abomey » organisée par l'Institut Getty Conservation : « Le vodoun désigne à la fois la grande divinité, l'esprit des anciens rois, l'esprit des ancêtres, des forces naturelles habitant les eaux, les plantes, certains endroits sacrés et enfin des objets ». Je me garde ici de la commenter. Le vodoun est le socle sur lequel s'est bâti et s'est développé le pouvoir au Danxomè. De nombreux vodoun qui étaient inconnus au Danxomè, notamment dans la capitale, Agbomè, y ont été importés de force à l'initiative des rois. Ce qui fait qu'aujourd'hui la ville d'Abomey concentre un nombre considérable de vodoun.

Le vodoun a été d'un grand intérêt pour le développement des arts de cour au Danxomè. En effet, les chefs de corporations d'artistes étaient souvent des chefs de culte ; c'est le cas par exemple du forgeron Ékplékendo Akati, qui était un Gounon (prêtre du culte de Gou). Ce statut de chef de ce culte lui a permis de produire des oeuvres d'une grande qualité, car il savait mieux comment matérialiser son vodoun. À en croire certains adeptes vodoun, les divinités peuvent être vues dans leur aspect physique lorsqu'on a atteint un certain niveau d'initiation et de connaissances. Ce Gounon-sculpteur aurait-il atteint ce niveau ?

Les bas-reliefs, représentatifs de l'art fon, sont liés au vodoun Sakpata (incarnation de la Terre) et à la forge. Les forgerons étaient les seuls chargés de les produire. C'est ainsi que le roi Glèlè confia la réalisation des bas-reliefs de son palais à Assogbakpé, un forgeron qui travaillait avec la famille Hountondji30. Bien que n'ayant apparemment aucun rapport avec la forge, la réalisation des bas-reliefs était confiée aux professionnels de la

30 - BEAUJEAN-BALTZER G. et alï, Artistes d'Abomey, Catalogue d'exposition, Fondation Zinsou, 2010,

pp. 80-85.

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forge parce que ce métier est présenté comme celui de grandes connaissances, et est entouré de mythes. La technique de la « cire perdue » pratiquée dans le travail du fer implique, selon les Fon, une certaine maîtrise du travail de la terre. La Terre ou Sakpata est un vodoun très craint, elle doit donc être domptée et préparée selon certaines procédures qu'on considère que seuls les forgerons sont en mesure de maîtriser.

Il faut d'ailleurs rappeler que pour la sécurisation du Danxomè, chaque roi établissait des temples et des couvents des vodoun protecteurs dans les environs de son palais. Selon Gabin Djimassè : « Les meilleures productions en matière d'art se retrouvent dans le culte (vodoun), parce que l'adepte a été éduqué pour ne offrir à son vodoun que ce qui est beau et bon »31. Cette affirmation n'est pas gratuite, car même aujourd'hui on se rend bien à l'évidence de la qualité de l'art vodoun en observant les accoutrements des kouvito ou égoungoun (revenants du pays des morts portants des masques), des sakpatasi (adeptes du vodoun Sakpata), etc., en voyant la finesse des sculptures à but cultuel et autres.

De ce point de vue, on se demande si cela n'a pas permis le transfert des artistes des couvents à la cour royale. Et Jacob Agossou semble bien nous répondre quand il écrivait en 1971 : « L'art, sous ses différentes formes, prit d'abord naissance dans les couvents et les bosquets vodoun avant de se réfugier par la suite dans les palais des rois et princes ». Les responsables des corporations d'artistes étaient pour la plupart de hauts dignitaires. Ceci leur permettait de mettre leur double connaissance religieuse et artistique au service du roi. Ce choix qui appartenait à celui-ci semble montrer que dans son entendement les meilleurs artistes sont les plus proches du vodoun.

Le vodoun était donc au centre de la création artistique de cour au Danxomè, et la présence des aspects du vodoun dans les oeuvres en témoignent. La plupart des héritiers de l'art de cour du Danxomè admettent encore aujourd'hui qu'il existe un être divin, appelé généralement Gou par les travailleurs de métaux et Aziza par les autres artistes, qui détient le don de la création artistique.

31 Entrevue eue avec Gabin Djimassè, Directeur de l'Office du Tourisme d'Abomey et Région, le 22 décembre 2015, au siège de l'institution.

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B- Des artistes du Danxomè aujourd'hui célèbres à titre posthume

Ici, nous parlerons de deux artistes qui sont aujourd'hui reconnus comme les auteurs de chefs-d'oeuvre présents dans les musées occidentaux, et dont la qualité esthétique a été étudiée ; il s'agit d'Ékplékendo Akati et de Sossa Dèdè. L'oeuvre étant immédiatement et uniquement liée au roi, le nom de l'artiste avait tendance du coup à disparaître devant celui de son mécène. Les rares noms d'artistes qui sont restés collés à leurs productions sont pour la plupart ceux qui étaient déjà, du temps des souverains-mêmes, des célébrités. Néanmoins, la pérennisation de la tradition artistique dans les familles et la mémoire historique des Houégbadjavi32 permettent aujourd'hui de reconnaître les familles qui ont réalisé telles ou telles oeuvres.

L'une des oeuvres d'art africain traditionnel qui ont fait l'objet d'assez d'étude est la sculpture Gou d'Akati. En août 1894 déjà, Maurice Delafosse écrivit dans la revue scientifique La Nature, un article intitulé « Une statue dahoméenne en fonte » consacré à cette statue impressionnante. À sa suite, de nombreux autres chercheurs, notamment historiens d'art, ont étudié l'objet ; nous pouvons citer entre autres, Marlène Biton. Ceci pour montrer l'intérêt qu'une telle oeuvre a suscité et continue d'éveiller dans le rang des amateurs d'art. L'auteur de cette célèbre statue en fer que nous avons présentée plus haut (Image 9) est Ékplékendo Akati.

Ce dernier est un forgeron yoruba qui fut amené à Agbomè comme prisonnier de guerre par les soldats du Danxomè, suite à une guerre ayant opposé ce dernier royaume à Anago-Doumè, sa région d'origine. C'était un homme très grand qui fabriquait des armes, des Gou, des goubassa, des récades des vodoun comme Xêvioso, Sakpata, etc. Il était également Gounon (chef du culte de Gou). Il faut souligner qu'il était déjà bien célèbre à son époque, et c'est peut-être ce qui a déterminé sa captivité.

Sculpteur, mais non pas sur fer comme Akati, mais sur bois, Sossa Dèdè est lui aussi admiré jusqu'à ce jour grâce à ses oeuvres dont la qualité esthétique n'est point à démontrer. Des statues des rois aux portes de palais royaux, il aura sculpté dans le bois la grandeur et la puissance des monarques et, à travers eux, de tout le royaume. Sont illustrées par les images 15, 16 et 17, trois de ses réalisations.

32 Au sens littéral du terme, signifie : «Les enfants de Houégbadja». Ce sont les Agbomènou (natifs d'Agbomè) ou Fon qui se nomment ainsi pour revendiquer la descendance du fondateur du pays fon.

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Image 15 : Représentation sur bois de Gbèhanzin sous forme d'un être mi-requin mi-homme, oeuvre de Sossa
Dèdè, Photo tirée du catalogue de l'exposition « Artistes d'Abomey
»

Image 16 : Sculpture de Glèlè par Sossa Dèdè , musée du quai Branly

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Image 17 : Porte de palais royal, décor attribué à Sossa Dèdè, Photo tirée du catalogue de l'exposition
« Artistes d'Abomey »

Ce décor nous offre une palette d'objets et d'animaux. On peut y voir entre autres un sabre de Migan (le ministre de la justice), une récade, une arme à feu, des éléments fondamentaux dans le Danxomè.

Chapitre VIII- La musique

A- Les codes de la musique fon

La pratique de la musique était quotidienne au Danxomè allant des simples amateurs aux professionnels. Ainsi, parmi les artistes mandatés au service du roi, figurent des professionnels de la musique. Ceux-ci, comme les autres, étaient recrutés sur la base de leurs talents, et se regroupaient en différents orchestres. La musique était au coeur des manifestations culturelles et cultuelles dans le royaume. Des célébrations de victoires

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guerrières aux fêtes coutumières, en passant par de nombreuses autres occasions, le roi assistait à de véritables spectacles de musique. Les orchestres jouaient des heures durant en se succédant. Par ailleurs si dans les arts plastiques, les femmes ne jouaient pas des rôles de premier plan, elles étaient très en vue dans le domaine de la musique. Ce sont elles qui formaient les choeurs et dirigeaient parfois les orchestres.

Les instruments de musique étaient variés. Les tambours, principaux instruments, étaient accompagnés de cloches jumelles en fer, de castagnettes (sous forme de calebasses entourées de cordes sur lesquelles sont fixés des cauris), de flûtes, de gota (grosses calebasses dont on frappe l'embouchure avec un éventail de cuir), etc. pour l'exécution de nombreux chants. Il y avait différentes sortes de tam-tams adaptés à des occasions spécifiques. Nous avons entre autres : le zinli qui était incontournable pour les funérailles ; le dogba pour annoncer la sortie du roi ainsi que sa mort ; l'agbadja pour célébrer les victoires guerrières du royaume et les hauts faits des dynasties régnantes ; le houngan, joué pour accueillir un étranger de marque, lors de la visite du roi à un chef ami, au retour d'une guerre victorieuse. Rappelons que le tam-tam et le rythme qu'il exécute sont appelés du même nom.

Le zinli est uniquement sorti et battu quand un décès survient dans la maison royale. Il est une jarre de grès dont on tambourine l'embouchure avec un éventail en cuir, et est accompagné du din, qui est un monocorde réalisé avec une fibre de bambou détachée par le milieu et tendue par deux chevalets en fragments de calebasse. L'orchestre était souvent dirigé par une femme avec des hommes comme batteurs et des jeunes filles forment la chorale. Se mettant au milieu de la scène, la chef d'orchestre tient un bâton dont l'extrémité recourbé est cerclée de boucles en métal et bandée d'un mouchoir blanc. Ce bâton est transmis à chaque chanteuse au moment où elle se lève pour entonner son couplet de chant qui sera repris en choeur (A. S. Adandé, 1962).

Tout ceci était accompagné des jérémiades des pleureuses professionnelles. Celles-ci parvenaient à inciter des pleurs chez la foule. Le zinli donnait ainsi lieu à une véritable partie de lamentations. Aujourd'hui, le zinli se joue également lors des manifestations festives et sur les places publiques, grâce notamment à l'artiste chanteur de culture aboméenne Alèkpéhanwou qui a su révolutionner ce rythme.

Le dogba, quant à lui, en bois et couvert de peau d'animaux, est un tam-tam particulier ; il était entouré de culte. De façon périodique, on organisait des cérémonies en son honneur. On le posait sur des crânes humains quand on voulait le battre. C'était le roi lui-même qui choisissait son chef d'orchestre. Des tam-tams plus petits et des cris de

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jeunes filles l'accompagnaient. Lorsque le roi voulait paraître en public, un coup de feu se faisait retentir depuis la première cour du palais, après quoi les batteurs du dogba se mettaient à l'oeuvre, accompagnés par les cris des jeunes filles. Peu de temps après, le roi s'avançait lentement, avec toute sa suite. À la vue du roi, en signe de vénération, les sujets se jetaient face contre terre, se couvraient la tête de sable. Le roi agitait sa récade en direction de ceux-ci comme pour les bénir avant de les inviter à se relever.

Le dogba a le langage que voici : Kpo zon go dé mè (bis), signifiant : La Panthère marche élégamment (bis). À la mort du roi, le dogba se faisait résonner, mais cette fois-ci, il ne fera pas sortir l'illustre panthère. Et alors, le peuple réuni comprenait, avant l'annonce officielle du décès, que leur monarque était parti à Alada33.

En ce qui concerne le tam-tam Agbadja, il était réservé à l'affirmation de la puissance du royaume. Il est fait de tronc d'arbre travaillé et couvert de peau de boeuf. Les chants rendaient hommage aux rois et aux intrépides soldats qui ont remporté pour le Danxomè des victoires. Ainsi, les amazones chantaient en choeur tout en dansant de toute leur fermeté. Le Kpanligan entrait également en scène pour retracer la généalogie des souverains, et invitait celui sur le trône à perpétuer la grandeur du royaume des Aladaxonou afin de rendre fiers ses prédécesseurs. L'agbadja donnait lieu à une ambiance de gaieté. Les instruments nécessaires pour l'exécution de l'agbadja étaient deux autres tam-tams plus petits, un gan (gong à une ou deux notes) et une paire d'assan (hochets). Les sons qu'ils produisent sont accompagnés par des battements de mains d'hommes.

Le houngan (chef des tam-tams), comme son nom l'indique, est un grand tam-tam qui pouvait atteindre 1,7 m de hauteur. Il était accompagné d'une vingtaine de petits tam-tams. L'exécution de ce rythme nécessitait un apprentissage de longue haleine au préalable. En effet, chaque chef d'orchestre recevait plusieurs apprenants, sur ordonnance du roi. Après la formation, ils étaient examinés par un envoyé du roi. Ceux dont les connaissances s'étaient avérées intégraient les orchestres, et commençaient par faire leurs preuves. Le houngan peut se jouer en déplacement. En fait, un homme le porte horizontalement sur la tête de manière à permettre au batteur de le jouer en étant derrière le porteur. Ce tam-tam ne résonnait que lors d'événements heureux, à savoir : annoncer la présence d'un invité prestigieux du roi ainsi que le départ de ce dernier chez un

33 Alada étant la terre d'où est parti Dogbagri, aïeul de Houégbadja, fondateur du Danxomè, à la mort d'un roi de ce dernier royaume, on ne dit jamais qu'il est décédé, mais qu'il est parti à Alada ; un peu comme pour dire qu'il est retourné aux sources.

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homologue. Accompagné de chants à la gloire du royaume, il recevait les soldats au retour d'une guerre victorieuse.

La musique était empreinte de codes à la cour royale. La résonnance de tel ou tel tam-tam véhiculait des messages clairs qui étaient compris de tous, ou du moins de tous ceux qui sont de culture fon. Ceci répond parfaitement à la spécificité des cultures africaines dans lesquelles tout ne se dit pas ouvertement.

B- Les chants

Les chants varient selon le rythme de la musique, allant de ceux destinés aux funérailles à ceux glorifiant les rois, en passant par les chants religieux. Toutes les chanteuses professionnelles avaient également des talents de danseuses. Il y avait des chansons qui invitaient implicitement le roi à esquisser des pas de danse. À l'entonnement des chants guerriers, les amazones se mettaient en scène.

Ce sont les chants de victoire qui donnaient lieu à de véritables liesses populaires dans la cour royale. En effet, à la suite d'une bataille militaire, le peuple était appelé à se réunir sur la place publique du palais. Le roi, du retour du front avec son armée, raconte sa victoire à ses sujets en insistant sur la bravoure et la force dont il a fait preuve. Même s'il avait perdu la bataille, il ne le disait jamais. Il levait ensuite sa récade, et le directeur de l'orchestre du houngan comprenait qu'il fallait commencer le spectacle. Ainsi, tout le peuple reprenait en choeur les chants entonnés. Le monarque entrait alors en scène, et effectuait des pas de danse avec la récade tenue de la main droite. Il était fortement ovationné. Pour permettre au roi de se retirer de la scène, le directeur de l'orchestre changeait de gamme.

De même, l'exécution du rythme agbadja pour célébrer les hauts faits du royaume mettait en branle les amazones. Elles préparaient en amont leur ballet, et donnaient l'occasion à tout le peuple de voir ce à quoi elles ressemblaient sur les champs de bataille. Pour cela, elles se munissaient de leurs armes à quoi elles ajoutaient des récades. Elles accouraient pour attaquer dans un mouvement d'ensemble, des ennemis fictifs. Chacune brandissait sa récade, l'agitait fortement, et faisait des gestes comme si elle égorgeait un adversaire. Les amazones montraient assez de fougue dans leurs danses. Elles arrivaient même à prendre leurs coutelas ou encore leurs fusils. Toutes les scènes de guerres étaient ainsi démontrées par ces femmes devenues célèbres par leur bravoure. Le peuple,

enthousiasmé, les encourageait par des applaudissements répétés. Voici le refrain d'une des chansons des amazones, relevé par Alexandre Adandé : « Nous sommes créées pour défendre le Danxomè, ce pot de miel, objet de convoitise. Le pays où fleuri tant de courage peut-il abandonner ses richesses aux étrangers ? Nous vivantes, bien fou le peuple qui essaierait de lui imposer sa loi »34. De nombreux chants étaient ainsi composés pour affirmer la force militaire du Danxomè, comme celui devenu populaire rappelant les victoires des soldats et anticipant sur une prise prochaine d'Abeokuta en pays yoruba. En voici une séquence : « Nous avons défait Kétou et Cana, il n'y a plus de pays qui puisse nous résister. Il ne nous reste qu'Abeokuta à détruire ».

Les chants religieux et autres donnaient lieu à des improvisations, des interférences de slogans, mais ceux célébrant les souverains étaient exécutés avec grand soin par des choeurs de femmes. Les chansons constituent une importante source orale de l'historiographie de ce royaume.

Chapitre IX- L'art oratoire

A- Le kpanligan ou l'historien-poète

Ayant une culture basée sur l'oralité, les monarques du Danxomè ont fait tout ce qu'ils pensaient nécessaire pour ne pas laisser tomber dans l'oubli les hauts faits du royaume. À cet effet, un homme était investi du devoir de retracer la généalogie du roi, de relever ses hauts faits ainsi que ceux de ses prédécesseurs, et lui rappelait l'obligation de faire mieux que ceux-ci : c'est le kpanligan.

Muni d'un kpan (gong jumelé) d'où son titre, le kpanligan était un homme qui récitait des vers pour célébrer les souverains du Danxomè en battant le gong à l'aide d'un bâtonnet en bois. Vivant non loin du palais comme les autres artistes, il venait chaque matin dans la cour royale réaliser sa prestation, de même que lors des différents rassemblements. La fonction de kpanligan était transmissible de père en fils. Ce dernier y était préparé depuis son jeune âge ; son père prenait sur lui la responsabilité de lui enseigner l'histoire de son royaume.

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34 ADANDÉ Alexandre, Les Récades des rois du Dahomey, Dakar, IFAN, 1962, p. 26.

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Les récits du kpanligan, rythmés par le son du gong, commençaient par la présentation du monarque régnant. Il disait son nom fort avec les allégories qui l'accompagnent. Il égrenait ensuite sa généalogie. Il rappelait en détails les victoires que chacun de ses prédécesseurs avait remportées pour le royaume. Présent à tous les rendezvous entre le roi et ses sujets, le kpanligan se faisait écouter attentivement par sa technique de diction. Entre deux chants de glorification royale, le kpanligan entrait sur scène, et tout le monde se taisait un instant pour l'écouter. Sa voix dominait toute l'assemblée. Le kpanligan était très choyé par le roi qui le comblait de cadeaux, et lui accordait même des distinctions honorifiques. Considéré comme la mémoire vivante du royaume, il était traité au rang de prince. L'image 18 ci-dessous nous en donne l'exemple.

Image 18 : Bas-relief de l'adjalala de Glèlè (après la restauration de 1997), présentant un kpanligan à

l'oeuvre, Photo Susan Middleton

Quand on sait l'importance que revêtent les bas-reliefs aux yeux des monarques, et qu'on en voit un qui illustre un kpanligan, un artiste comme tous les autres, on se rend compte de la place de choix qu'occupait celui-ci dans le royaume. Glèlè, conscient du rôle de conservateur du passé que jouait son kpanligan, aurait fait réaliser ce bas-relief pour rendre hommage aux pratiquants de ce métier qui allie histoire et art.

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B- Le manahen ou le comédien

Le manahen est une autre figure de l'art oratoire à la cour du Danxomè. C'est un comédien qui participait aussi à toutes les manifestations publiques qu'organisait le roi. Ce dernier l'invitait pour l'amuser ainsi que la foule. Seul sur la scène, il s'appliquait à faire rire le roi et toute l'assemblée. Il s'amusait à imiter la démarche, la voix et les gestes du roi, car à ce moment précis, tout lui était permis. Il pouvait même critiquer le roi, à l'instar du fou du roi connu dans les sociétés occidentales. Devant tout un peuple, il jouait momentanément le rôle du roi. Il donnait des ordres qu'il exécutait lui-même, jouant ainsi plusieurs rôles à la fois. Tantôt il était soldat, tantôt il était esclave. Il changeait le ton de sa voix selon le personnage qu'il incarnait. Il est l'exemple type de ce que les anglo-saxons appellent one man show.

Présent même lors des funérailles, le manahen apportait un brin d'humour dans cette ambiance mortifère qui règne dans un contexte pareil. Il dédramatisait la mort, amenait les gens à oublier un instant le malheur. Il était imprévisible ; on s'attendait à tout avec lui. Il pouvait par exemple rigoler quand il traite d'un sujet triste, et vice-versa. Ainsi prenait-il ceux qui l'écoutaient au dépourvu.

L'existence de comédien à la cour du Danxomè donne une autre image de ce royaume connu pour la dureté des règles établis. Comme l'écrivait Joseph Adandé (2012 : 17) : « On peut s'étonner que dans une société aussi militarisée, dans une cour où l'étiquette est si rigoureuse, il y ait de la place pour le rire construit autour de la personne même du souverain, institutionnalisé au point de faire partie du protocole ». Au-delà donc de la rigueur voire du rigorisme dont faisaient preuve les rois fon, ils ont pu rendre professionnel l'humour, car le manahen vivait de son art. Cette valeur qu'ils ont accordée aux comédiens fait qu'aujourd'hui parmi les comédiens béninois, beaucoup sont de culture fon, car fiers de faire rire les autres.

Seul à pouvoir critiquer le roi et à le faire sourire en public, le manahen était admiré pour son élocution et son audace. Il était un bon parleur qu'on aimait à écouter, même si ses propos manquaient de logique et frisaient l'hérésie. Comme quoi, l'art a presque tous les droits, et les monarques du Danxomè le savaient plus que quiconque.

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Conclusion

Ce travail m'a permis de mettre en exergue le rôle qu'a joué le pouvoir royal du Danxomè dans le développement des arts. Les faits politico-militaires de ce royaume sont si grandioses qu'ils font de l'ombre à ses arts. Et pourtant, ces derniers ont connu une grande ampleur, et sans eux, l'histoire du Danxomè ne pourrait être écrite efficacement. Le Danxomè qui a existé d'environ 1645 à 1900 au Sud du Bénin actuel, fait partie des royaumes africains dans lesquels l'art a occupé, à côté de la royauté et de la religion, une place très importante. Ayant très vite compris le rôle que peut jouer l'art dans l'aboutissement de son mot d'ordre qu'est : « Le Danxomè toujours plus grand », le roi fondateur Houégbadja a tôt fait de poser les jalons de la relation entre la royauté, la religion et l'art.

Ainsi, pendant près de trois siècles, tous ses successeurs lui ont emboîté les pas en s'appuyant sur la religion et l'art pour accroître l'ampleur de leur royaume. Ils ont pu importer de nombreux vodoun, de différentes formes d'art, ils ont même fait venir de gré ou de force des artistes d'autres régions. Leur intérêt pour l'art était si fort qu'ils ont ouvert au fil des règnes ce domaine d'activité à toutes les couches sociales. Pouvaient donc être artistes les esclaves, les captifs de guerre pour peu qu'ils aient du talent. Ils s'occupaient eux-mêmes du recrutement des artistes qu'ils mettaient dans les meilleures conditions de vie et de travail. Ceux-ci devaient en contrepartie produire les oeuvres telles que demandées par le souverain. Cette intervention directe des rois dans la production artistique a permis la subsistance jusqu'à nous de certaines familles d'artistes, parce qu'ils veillaient à la transmission du savoir-faire.

Suite à la prise du Danxomè après une résistance farouche de Gbèhanzin, et la fin officielle de la royauté en 1900 avec l'exil au Gabon d'Agoli-Agbo, l'art de cour a cessé d'exister. Les destructions aussi bien humaines qu'environnementales ajoutées aux pillages subis par les palais d'Agbomè depuis 1900 ont effacé les traces de beaucoup d'oeuvres plastiques. Mais les différentes restaurations des palais, notamment ceux de Ghézo, de Glèlè et de Gbèhanzin, qui ont été réalisées, ont permis de révéler des bas-reliefs qui prouvent un tant soit peu la maîtrise et le goût pour l'esthétique de leurs exécutants ainsi que de leurs commanditaires. Des objets présentés aujourd'hui au musée historique d'Abomey, très peu sont authentiques. C'est un musée assez pauvre quand on s'imagine toute la production d'objets d'art qu'a connu cette capitale royale.

En revanche, une foultitude d'oeuvres d'artistes de cour du Danxomè garnit les musées français et collections privées. Des trônes aux récades en passant par des tentures

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et des sculptures en bois et en métal, il y a toute une variété d'objets de l'art du Danxomè qui sont aujourd'hui présentés lors de grandes expositions à travers le monde. La qualité esthétique de ces objets n'est donc point à démontrer, ce qui vient confirmer le talent des artistes du Danxomè. Ces oeuvres sont désormais de renommée internationale, et nul ne pourra plus les confondre à des objets artisanaux comme cela a été le cas pendant longtemps.

Cette qualité des oeuvres d'art du Danxomè qui est aujourd'hui établie n'aura été possible sans le vodoun. En effet, le vodoun a été une grande source d'inspiration pour les artistes qui, dans l'optique de lui rendre grâce, fabriquaient des merveilles d'oeuvres de cultes. C'est à partir de ces objets-ci que le roi faisait parfois sa commande tout en tenant à les adapter à sa personnalité propre. Ainsi perçoit-on clairement l'étroite relation entre la royauté, la religion et l'art. Au-delà des arts visuels, s'est développé également au Danxomè un art de cour immatériel qui garde encore jusqu'à nos jours le souvenir des rois et de leurs hauts faits. Les chants, les danses, les récits du kpanligan et autres étaient mis à contribution pour rendre gloire aux rois.

Les rois du Danxomè en mettant l'art au service du pouvoir, lui ont impulsé un essor prodigieux. Les artistes avaient tous les moyens nécessaires pour produire les meilleures oeuvres qu'ils pussent réaliser. Amenés d'un peu partout, et installés non loin du palais dans de bonnes conditions, les artistes n'avaient que leurs instruments d'art pour remercier leur seigneur pour sa bienfaisance. Ils s'appliquaient donc pour être à la hauteur afin de ne jamais perdre la confiance et les faveurs du roi. Ce dernier étant tout le temps à la quête de nouvelles et belles choses, incitait à la création de nouvelles techniques d'art.

En clair, la cour royale, en tant qu'ensemble des personnes directement liées au pouvoir, a permis le rayonnement des arts, et on peut le constater encore aujourd'hui avec cette floraison d'activités artistiques qu'on observe à Abomey. De Houégbadja à Agoli-Agbo, tous les monarques qui se sont succédé sur le trône du Danxomè ont oeuvré à l'épanouissement des arts, parce qu'ils savaient que l'agrandissement de leur royaume passait par là. Pendant près de trois siècles donc, la cour royale a fait de l'art un levier important de grandeur du Danxomè, ce qui a permis un développement réciproque des arts. Malheureusement jusqu'à maintenant au Bénin, l'art n'a jamais été une préoccupation importante dans les politiques des différents gouvernements qui se sont succédé depuis l'indépendance en 1960. Il est temps de changer la donne si tant est que le développement est le but visé.

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Bibliographie

? Documents écrits

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? Sources orales

N° d'ordre

Identité

Âge

Profession

Date et lieu

Sujets abordés

1

ABIALA Dodji

31 ans

Forgeron

21-12-2015

au centre
artisanal du musée d'Abomey

Évolution des techniques de forge

2

DJIMASSÈ Gabin

56 ans

Directeur de

l'Office du

Tourisme

d'Abomey et
Région

22-12-2015 au siège de l'institution à Abomey

Rapport entre

vodoun et
arts

50

3

 

HOUNTONDJI Marcelin

62 ans

Bijoutier

21-12-2015

au centre
artisanal du musée d'Abomey

Histoire de

la bijouterie

à la cour
royale

4

NONDICHAO Bachalou

79 ans

Historien traditionnaliste

23-12-2015

à son

domicile à

Abomey

Débuts et

évolution de l'art de cour

5

YÈMANDJÈ Fidèle

47 ans

Tenturier

21-12-2015

au centre
artisanal du musée d'Abomey

Venue et

notoriété de

la famille
Yèmandjè

dans le
paysage royal

? Sites internet consultés

www.fondationzinsou.org www.unessco.bj www.quaibranly.fr www.muséelouvre.bj

Index des images

Image 1 : Fragment d'une toile appliquée 14

Image 2 : Schéma du trône kataklè 20

Image 3 : Trône gandémè ou nukpewu zinkpo de Ghézo 20

Image 4 : Trône nukpewu zinkpo de Glèlè 21

Image 5 : Trône nukpewu zinkpo de Ghézo 21

Image 6 : Hoho 22

Image 7 : Le voyage 23

Image 8 : Récade en ivoire de Ghézo 25

Image 9 : Gou d'Akati 27

Image 10 : Assen aux emblèmes de Gbèhanzin 28

Image 11 : Tissu appliquée dédié à Ghézo 30

Image 12 : Portion de toile appliquée 30

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Image 13 : Bande de bas-reliefs 32

Image 14 : Série de bas-reliefs de l'adjalala de Gbèhanzin 32

Image 15 : Représentation sur bois de Gbèhanzin 38

Image 16 : Sculpture de Glèlè par Sossa Dèdè 38

Image 17 : Porte de palais royal 39

Image 18 : Bas-relief de l'adjalala de Glèlè 44






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