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La place de l'ingénieur du son dans le cinéma documentaire

( Télécharger le fichier original )
par Raphaël Roche
Université Aix-Marseille Université, Département SATIS - Spécialité Ingénierie de la création et de la réalisation sonore pour le film, la vidéo, le multimédi 0000
  

Disponible en mode multipage

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Département Sciences, Arts et Techniques de l'Image et du Son

Université Aix-Marseille

Mémoire de Master Professionnel

Raphaël Roche

Travail réalisé sous la direction de : Frédéric Belin

La place de l'ingénieur du son dans le cinéma documentaire

Soutenu en Mars 2018

REMERCIEMENTS

Je souhaite remercier Frédéric Belin pour la motivation et les conseils précieux qu'il a su m'apporter dans cette aventure. Son implication en tant que directeur de mémoire a été très importante pour ma construction professionnelle.

Je ne retiens que des bonnes choses de ces 3 dernières années et ne regrette en rien mon choix d'avoir continué mon cursus scolaire pour intégrer Satis.

Je tiens à remercier par ordre alphabétique tous les professionnels, ingénieurs du son, réalisateurs, producteurs, qui ont acceptés de passer du temps en ma compagnie pour me parler de leur passion. J'ai beaucoup appris lors de nos rencontres:

-Thierry Aguila

-Pierre Armand

-Régis Brun

-Yves Capus

-PhillipeCarrese

-Jean-Pierre Cellard

-Sébastien Crueghe

-Emmanuel Desbouiges

-Jean-Pierre Duret

-David Diouf

-Maxime Gavaudan

-Baptiste Geffroy

-Cédric Genet

-Godefroy Georgetti

-Laurent Lafran

-Vincent Magnier

-Henri Maikoff

-Pierre Alain Mathieu

-Fréderic Salles

Je tiens aussi à remercier le personnel enseignant: Rémi Adjiman, Isabelle Renucci, Florence Tildach, Natacha Cyrulnik, Fred Celly, Antoine Gonot,Fred Devaux, Isabelle Singer, David Goldie, Jean-Pierre Blas, Cédric Bottero, Marie Claude et Richard.

Mon frère Robin, ma mère, ma grand-mère et bien sûr,Pauline qui partage mon quotidien, et qui m'a soutenu pendant ces 3 années chargées et qui a donné de sa personne pour mener à bien ce mémoire.

Ingénieur du son en documentaire: une place vraiment indispensable?

Le documentaire connait actuellement une crise de financement. Les réalisateurs ont toujours l'ardent désir de réaliser leur projet mais ont moins de financement pour le faire dans de bonnes conditions. Ils décident de tourner leurs films coûte que coûte dans une économie précaire, parfois sans place pour une équipe de tournage. Le métier de preneur de son en documentaire est un métier passionnant, complexe et exigent. Cependant il a connu un profond changement, beaucoup de projets le mettent à l'écart pour de multiples raisons.

Mots clés

Documentaire, Preneur de son, Ingénieur du son, Preneur de son-réalisateur,

Dispositif filmique, Relationnel, Collaborateur

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION P.9

I. LE FILM DOCUMENTAIRE ET SON ECONOMIE P.11

1. FINANCEMENT DU DOCUMENTAIRE P.11

1.1. Modes de productions documentaires

1.2. Un âge d'or déchu?

1.3. La rémunération des réalisateurs

2. FINANCEMENT DU DOCUMENTAIRE EN RÉGION PACAP.15

2.1 La centralisation du secteur audiovisuel

2.2 Un problème qualitatif?

2.3 Un système perfectible?

II. LE CHEF OPERATEUR DU SON EN DOCUMENTAIREP.19

1. ÉVOLUTION DU MATÉRIEL DE PRISE DE SON P.20

1.1. Les outils de la prise de son

1.2. Missions et aptitudes du chef opérateur du son

2. L'ÉQUIPE DE TOURNAGE DOCUMENTAIRE P.31

2.1. Le rapport à l'équipe de tournage

2.2 La relation "ingénieur du son-Participant" dans le documentaire

III.L'AVENIR POUR LA PRISE DE SON EN DOCUMENTAIRE

1. VERS UNE ÉVOLUTION DE LA PRATIQUE DOCUMENTAIRE P.39

1.1 Des pratiques mouvantes

1.2Une profession en voie de disparition?

2.LE RÉALISATEUR CHEF D'ORCHESTRE P.46

2.1 Remplacer l'équipe de tournage

2.2 Quel impact sur la qualité des films?

CONCLUSION P.52

SOURCES & RÉFÉRENCES P.53

CONTACTS P.56

RÉSUMÉ/SUMMARY P.57

INTRODUCTION

La littérature, le sport, la géopolitique font depuis toujours parti de mes centres d'intérêt. Le film documentaire est également quelque chose qui compte énormément pour moi, pourtant j'ai du mal à exprimer mes sentiments quand il s'agit d'en donner une définition précise. Les livres de Noam Chomsky et de Howard Zinn sur la manipulation du consentement et sur la désobéissance civile ont eu un grand impact sur ma compréhension du monde, j'éprouve une grande curiosité quant à leur volonté de montrer les mécanismes de notre société, de nous éclairer sur son fonctionnement.

Pour moi, c'est en partie cela le film documentaire, donner à voir une facette du monde, une facette inconnue pour la plupart des gens. Nous vivons dans une société où les informations se déplacent à la vitesse de la lumière, relayées par de trop nombreuses chaines télévisées qui relatent à longueur de temps d'antenne les mêmes informations, ce qui crée les débordements que nous connaissons. Il m'est réellement difficile aujourd'hui de regarder la télévision, les émissions de divertissement Fast Food, les journaux télévisés de 20h qui font plus du contenu de flux que du contenu de stock.

C'est tout le contraire du film documentaire qui centre son propos sur l'humain, qui parle de sujets importants, vastes et enrichissants pour le spectateur. J'aime le documentaire qui s'engage, qui milite, qui se place en tant que dissident, qui n'est pas polarisé par les parts de marché et par les audiences télévisuelles, le documentaire qui n'est pas accessible pour le plus grand nombre, le documentaire qui prend son temps, celui qui fait réfléchir les gens. On peut faire un documentaire pour soi-même mais on le fait avant tout pour un public et cela, je veux toujours le garder à l'esprit.

Le documentaire traite avant tout de la rencontre et du relationnel. C'est la rencontre d'un réalisateur avec des personnages d'où né une complicité, une entente cordiale, le personnage n'étant plus un simple acteur, mais un objet politique qui livre des constations sur sa vie, son oeuvre, ses désirs. Mais pour révéler des choses, certains réalisateurs vont ressentir le besoin d'être entouré d'une équipe de tournage sur qui ils peuvent compter. Ils font très souvent appel à un preneur de son et un chef opérateur image qui les soutiennent dans leurs choix, qui réfléchissent avec eux à leurs envies, qui partagent leurs convictions. Ce sont eux également qui mettent en oeuvre les outils audiovisuels de la captation et lui permette de se concentrer sur l'essentiel : le propos du film. Le métier de chef-opérateur du Son spécialisé dans le tournage de film documentaire est celui que je voudrais exercer dans le futur à ma sortie de l'université et du département S.A.T.I.S.

Je suis donc très attentif à la tournure que prennent les choses au niveau économique depuis une quinzaine d'années. De plus en plus de réalisateurs partent seuls en tournages, non pas par choix, mais contraints et forcés par le manque de moyens dont font preuve les productions qui continuent à soutenir ce genre filmique. Et malheureusement lorsqu'il s'agit d'économie, c'est très souvent le poste de chef-opérateur du son qui est le premier à être écarté. L'évolution des technologies audio et notamment l'apparition de système de microphones sans fils facilement utilisables par un non spécialiste du son y sont certainement pour beaucoup. Notons que le problème se pose également pour le chef-opérateur image qui n'est pas indispensable pour mettre en oeuvre un appareil photo, voir un téléphone portable à l'heure ou certains films sont réalisés avec un Iphone. Mais qu'advient-il alors de l'équipe documentaire ? Celle sur laquelle le réalisateur s'appuyait plus haut... Une seule et même personne peut-elle réaliser, interviewer, cadrer et prendre le son d'un film ? Et s'il est le premier à disparaître lorsque l'on cherche à rogner sur le budget d'un film, on peut légitimement se demander si le preneur de son est VRAIMENT indispensable en documentaire ? C'est à cette problématique intentionnellement polémique que je tacherais de répondre à travers ce mémoire d'initiation à la recherche, en me limitant au statut du film documentaire en France et plus particulièrement à son essor en région Provence Alpes Côte d'azur puisque c'est là que se situe mon futur ancrage professionnel.

I. LE FILM DOCUMENTAIRE ET SON ÉCONOMIE

Chris Marker: "Personne n'aime le mot documentaire. Le problème, c'est que l'on n'a pas trouvé mieux pour désigner un ensemble de films dont on sent qu'ils ne sont pas tout à fait comme les autres."1(*)

I.1. FINANCEMENT DU DOCUMENTAIRE

I.1.1 Modes de productions documentaires

Le dispositif de cofinancement tripartite.

La voie classique en France pour lancer la production d'un documentaire télévisuel passe par l'apport initial en fonds propres d'un producteur. Une convention de co-production est alors signé avec le diffuseur qui préachète les droits de diffusion en fonction du temps d'antenne.Une chaine comme Arte peut injecter 250000 euros dans un projet de film mais en contre partie, d'un point de vue diffusion, le film leur appartient pendant 6 ans.

Les France 3 régions injectent beaucoup moins d'argent ; pour 12000 euros, la diffusion du film est pendant 18 mois.

Le producteur lance alors une demande de subventions au CNC qui amène un complément de financement, en fonction de l'apport initial du producteur et du diffuseur.

Les principales aides proposées par le CNC pour le documentaire sont:

-L'aide sélective et automatique à la préparation de documentaire: cette aide a pour objectif de "favoriser les travaux de préparation et de développement préalables à la mise en production".2(*)

-Le fond d'aide à l'innovation audiovisuelle: cette aide veut accompagner "les auteurs et producteurs de projets cinématographiques et télévisuels les plus créatifs qui nécessitent une écriture élaborée, un important travail de développement et qui proposent une approche innovante au regard des programmes audiovisuels»3(*)

-L'aide au court métrage: ces aides sont sélectives ou automatiques, directes ou par l'intermédiaire d'organismes qui les subventionnent.

Le producteur peut également demander des financements complémentaires (aux collectivités territoriales, à l'Union Européenne), pour bénéficier d'un budget plus conséquent.

Autres financements envisageables.

Les contributions des Fondations peuvent être envisageables si le message du film est cohérent avec le leur. La Fondation de France, la Fondation France Libertés et la Fondation Jean-Luc Lagardère sont les plus connus.

Le financement participatif ou crowfunding, qui a fait son apparition il y a quelques années, est une autre manière de récolter de l'argent.Un grand nombre de personnes sont alors amenées à participer à l'élaboration, en terme économique, d'un projet. Le crowfunding se développe dans un principe d'économie collaborative grâce aux réseaux sociaux et autres plateformes spécialisées.

Le film documentaire Demain de Mélanie Laurent a par exemple récolté près de 444 000 Euros sur la plateforme spécialisée KissKiss Bank Bank.

I.1.2 La fin d'un âge d'or?

Jean-Pierre Carrier: "Existe-il un âge d'or du documentaire? Un âge d'or, c'est à dire une période historique plus ou moins lointaine, où le documentaire aurait eu les faveurs du public et aurait donné naissance à des chefs d'oeuvres devenus des références obligées du genre?

Pour le film documentaire, comme pour tout autre genre cinématographique, parler d'âge d'or implique d'abord une disparition, une perte donc un fort sentiment de nostalgie"5(*)

Jean-Pierre Carrier s'intéresse dans son Dictionnaire du documentaire à questionner les perspectives que peuvent avoir le cinéma documentaire, et il reconnait qu'il est commun d'affirmer aujourd'hui que celui-ci est en crise. Une crise de la diffusion en premier lieu, car rare sont les oeuvres pouvant se vanter d'avoir été diffusée en salle, et les films peu diffusés à la télévision ou en festival, risquent de passer complètement inaperçu. On estime en effet que seuls 1% des spectateurs de cinéma visionnent des documentaires.

Nous pouvons donc nous questionner : Est-ce cette crise de la distribution, et donc de l'absence de public, qui a un impact sur la production des films, ou bien, est-ce le résultat des problèmes de financements rencontrés par les sociétés de production?

Privatisation de la télévision.

Pour Sophie Barrau-Brouste, Docteur en sociologie, dans les années 60, le documentaire représente un programme télévisuel valorisé par l'émergence des techniques de prises de vue et sonore. Mais cependant, la privatisation de la télévision dans les années 80, avec la recherche d'une maximisation de l'audience, a contribué à exclure le documentaire des programmations6(*).

Jean-Pierre Cellard considère que la fin de la SFP (Société Française de Production) a changé le système. La SFP était une propriété de l'état qui contenait 3 chaines de télévision et des unités de fabrication. Elle gérait elle-même les dépenses et les recettes engrangées.

Aujourd'hui, avec un total de 2253 heures aidées, le nombre d'heures de documentaire diminue de 9,1% par rapport à 2015. Cette diminution peut s'expliquer par la baisse des commandes des chaines thématiques payantes et de celles des chaines privées nationales gratuites.

En 2016, le documentaire représente 46,8% des heures totales de programmes audiovisuels aidés par le CNC, contre 52,9% en moyenne depuis 2007.7(*)

Vieillissement de la télévision.

Jean-PierreCellard: "L'Âge d'or du documentaire est terminé car les chaines de télévision n'en ont plus besoin, et pour des raisons éditoriales et/ou économiques. Les documentaires sont pourtant des programmes peu onéreux, au regard d'autres programmes.

Aujourd'hui, des chaines comme France 2 préfèrent faire du plateau télé, etdonc se concentrer sur du contenu de flux plutôt que sur du contenu de stock".8(*)

La télévision a subi un vieillissement de son auditorat, et a également appauvri sa ligne éditorial en terme de qualité, au profit d'émissions populaires, dans le but de conquérir un autre public, guidé par des annonces publicitaires, que l'on doit absolument mettre en avant car elles servent à financer ces même programmations.

En 2016, 2253 heures ont été produites par 503 sociétés de production. L'audience du documentaire à la télévision représente 10% dans la consommation des spectateurs.9(*)

Situation du tournage documentaire.

Thierry Aguila a réalisé des documentaires comme Hôtel de Police Marseille (2013), Judo la voie de la souplesse (2016),Jeans, une planète en Bleue (2010).

Il a vraiment vu une évolution de la conception du documentaire depuis le début de sa carrière. "J'ai réalisé une série documentaire à la fin des années 90. Nous étions cinq à partir en tournage. Les équipes se sont considérablement réduites depuis les années 2000, comme les budgets documentaires en règle général. Je considère, qu'aujourd'hui, être trois en documentaire est un luxe."10(*)

Il y a quelques années, on lui a proposé la réalisation d'une série documentaire pour la télévision sur les pompiers de Marseille. Il a refusé après avoir pris connaissance des conditions: cinq jours de tournage sans techniciens, dix jours de montage et deux jours de mixage pour produire un film de 52minutes.

Il a la sensation que la plupart des réalisateurs de documentaire de nos jours ne sont plus des auteurs mais des journalistes qui n'ont souvent aucune formation au son et à l'image.

Leur travail est essentiellement lié au contenu, au détriment de la mise en formede celui-ci.

"Certain réalisateurs portent leur projet depuis des années. Pour que le film se fasse, ils sont obligés de s'occuper seul de l'image, du son, de la réalisation, et du montage."11(*)

I.1.3 La rémunération des auteurs et techniciens.

Thierry Aguila a décidé de calculer le temps réelqu'il a passé à travailler sur ces deux derniers films documentaires. Temps de préparation, temps d'écriture, temps de rencontre avec les personnages, et temps de tournage : sa rémunération était en dessous du smic.

"L'année dernière, j'ai écrit quatre épisodes pour la série Netflix Marseille, avec un seul épisode en tant que scénariste, et j'ai gagné deux fois plus qu'en réalisant les deux documentaires.

Avant l'argent venait des chaines, mes documentaires passaient dans La case de l'oncle Doc sur France 3 National, et on pouvait générer de l'argent avec la Procirep(Société des producteurs de cinéma et de télévision).

Avant France 3 national diffusait trente-huit documentaires produits en région; aujourd'hui, elle en diffuse seulement 16."12(*)

Lorsque j'ai rencontré Jean-PierreCellard, je lui ai fait part de mes inquiétudes concernant la raréfaction de l'ingénieur du son en documentaire. Il m'a alors proposé un exemple : Un producteurreçoit les 12000 euros de France 3 région comme diffuseur et a l'apport du CNC, à peu égal à 10000 euros. Le producteur et le réalisateur ont donc 22000 euros pour produire le film. Ces 22000 euros vont permettre au producteur de payer le réalisateur les jours de tournage et les jours de post-production (équivalant à 20/30 jours). Le réalisateur touche également des droits d'auteur. Il doit aussi rémunérer les techniciens pendant les jours de tournage, et cela a un coût.Certaines sociétés de production décident alors de se passer d'ingénieurs du son, car en réduisant la masse salariale,elles peuvent se permettre une marge plus importante.

I.2 LE FINANCEMENT DU DOCUMENTAIRE EN REGION PACA

J'ai décidé de m'intéresser à la région Provence Alpes Côtes d'Azur car Marseille est ma ville natale. C'est la ville dans laquelle je veux évoluer professionnellement, ce qui ne m'empêchera bien sur de voyager au gré des projets qui me seront potentiellement proposés dans le futur.

A travers mes rencontres, j'ai eu le sentiment que la région PACA est un endroit sous-estimé, un peu "pris de haut" par les producteurs parisiens.

Pourtant, la ville a accueilli 502 tournages de longs et courts métrages en 2016. Un chiffre qui a été multiplié par cinq en dix ans.

"Favoriser ces tournages est l'un des axes de développement déployé par la municipalité. Il faut dire que l'enjeu économique est important. La Ville estime que les différents tournages ont généré plus 40 millions d'euros de retombées économiques en 2016. Quand un long métrage est tourné, les équipes restent parfois un mois, elles font vivre l'ensemble de la filière techniciens mais aussi l'hôtellerie, la restauration"13(*)(Séréna Zouaghi, dans La Provence).

Jean-PierreCellard m'a fait part d'une étude paru en 2010 qui s'intéresse aux retombées économiques du cinéma :

-1 euro de subvention en long métrage rapporte 6 euros.

-1 euros de subvention en série télé rapporte 15 euros. Plus Belle La vie (la série tournée à Marseille) est un bon exemple: la productionemploie deux cents techniciens toute l'année ; ils vivent à Marseille, achètent des appartements, et payent des impôts locaux.

-1 euros de subvention en documentaire rapporte 2 euros.

Les régions financent le documentaire pour la notoriété, mais savent pertinemment que ces films rapporteront moins que les séries télé.

Comme nous pouvons le voir, Marseille bouge, se dynamise, drague le long métrage, avec des missions de séduction sous forme de "Repère Tour" comme au salon AFCI Locations et Finance Global Show (le Salon international des lieux de tournages) à Los Angeles en avril 2017, où une délégation de professionnels du secteur s'est rendue, pour promouvoir les avantages de la ville et de sa région.

Avant de nous pencher plus précisément sur la viabilité du documentaire en PACA, il est intéressant de s'arrêter sur certains chiffres révélateurs de la situation en France :14(*)

-70% des auteurs de documentaires résident à Paris et en Île-de-France, alors que seulement 18% de la population y est recensé.

-En 2014, les entreprises de production documentaire établies en Île-de-France concentraient ainsi plus de 90% de la masse salariale et des effectifs de la production documentaire.

- L'activité de production documentaire est très concentrée géographiquement: 67% des entreprises de production documentaire sont établies en Île-de-France, Suivi des régions Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie et PACA.

I.2.1 La centralisation du secteur audiovisuel

En 2015, 87% des 209 entreprises ayant produit du documentaire pour les chaînes nationales de France Télévisions et 88% des 116 entreprises ayant produit un documentaire pour ARTE France, étaient établies en Île-de-France.15(*)

"Aucune autre forme d'expression artistique n'a concentré à ce point son mode de financement et de décision : le théâtre, la danse, les musiques classiques ou actuelles, les arts visuels, l'architecture se financent de manière plus équilibrée, sur tous les territoires. Mais pour l'audiovisuel ou le cinéma, une seule région prime et tend à exclure les professionnels implantés hors d'Ile-de-France." 16(*)

Cet article date de 2012, et l'on peut voir que la question de la centralisation faisait déjà débat.La question de la centralisation concerne aussi la diversité de la création culturelle, une seule région ne peut représenter le point de vue, la sensibilité d'un pays entier.

Philippe Carrese est un réalisateur protéiforme arrivé à Marseille à la fin des années 80. Il considérait alors que la région pouvait vraiment être un contre point de qualité à Paris et à l'Île-de-France.

Ce qu'il regrette le plus aujourd'hui, c'est que les choses n'ont pas vraiment évolué: il y a toujours une centralisation extrême en France, concernant l'audiovisuel.

"Toutes les décisions se prennent à Paris par des Parisiens. Si tu n'es pas intégré à ce cercle, tu peux vraiment être vu comme un paysan en 2018"17(*)

Il estime que travailler avec des producteurs ayant une solidité financière est difficile à trouver en région. Pour lui, l'intérêt d'avoir un producteur de qualité, c'est d'éviter de faire tout le temps les mêmes films. Le producteur aura du recul par rapport au projet, et il deviendra alors un collaborateur essentiel.

Un autre problème rencontré en région est l'accès à un nombre de chaines réduites. Dans la région PACA, à part France 3 et Maritima, peu de chaines coproduisent du documentaire.

Il est à noter que l'activité économique des chaînes de télévision est largement concentrée en Île-de-France, où se situaient 76% des effectifs des chaînes généralistes et 82% des effectifs des chaînes thématiques et locales en 2014.18(*)

Toujours est-il que, compte tenu des écarts de financement entre chaînes publiques régionales et nationales, le rôle positif joué par les chaînes régionales ne suffit pas à asseoir une décentralisation du documentaire audiovisuel, pourtant synonyme de développement économique et de structuration des entreprises de production établies hors Île-de-France.

Pour Jean-PierreCellard, pour qu'une société de production puisse être pérenne en région, elle doit par exemple chercher des grosses co-productions. En effet, en multipliant les partenaires de financements, les producteurs multiplient la visibilité du film. C'est ce que font les Tambours de Soie, société de productionbasée à Marseille. Ils produisent quinze documentaires par an en collaborant avec ARTE et France 3 (ce qui leur permet également de mettre en chantier un film pendant qu'un autre est au stade de la diffusion).

I.2.2 Un problème qualitatif?

Depuis quelques années, en plus de son statut de chef opérateur du Son, Maxime Gavaudan s'est lancé dans la production de films en région au travers de sa société Bellavox.Il se dit déçu par la politique des collectivités en région Paca, qui soutenaient par le passé les réalisateurs Marseillais, mais qui aujourd'hui préfèrent soutenir des films ayantplus de visibilité.

Il considère que le manque de production en région n'est pas seulement du à la centralisation, mais aussi à la qualité des films produits. La nouvelle génération filme avant d'écrire le film ; il faudrait plus de formation en région pour promouvoir l'écriture et la production de films documentaires.

Ce manque de qualité se conjugue à un problème de volume de films produits. Selon lui, les sociétés de production devraient baisser leur marge qui tourne actuellement autour de 30%.

I.2.3 Un système parfait existe-t-il?

Lors de ma rencontre avec Jean-Pierre Cellard, j'ai pu échanger sur le système Français. Selon lui, il devrait évoluer, et se diriger vers le même type de système qu'en Angleterre : La BBC détient trois chaines nationale de télévision. Elle réalise et produit ses propres documentaires, sous trois lignes éditoriales différentes, traitant de divers sujets sociétaux (comme la drogue et l'homosexualité). Ses techniciens sont alors des fonctionnaires. Il n'y a pas de publicité, et les chaines sont financées par la redevance audiovisuelle payée par les anglais chaque année (ce qui représente 96% des revenus du groupe).

II. LE CHEF OPÉRATEUR DU SON EN DOCUMENTAIRE

Jean-Pierre Duret: "Quand on décide de faire une prise de son en documentaire, on a envie d'enregistrer le son du monde."19(*)

Nous nous intéresserons dans cette seconde partie aux missions que doit remplir l'ingénieur du son en documentaire. Au cours de cette présentation, nous décrirons l'équipement dont il a besoin pour mener à bien ses missions puis nous aborderons l'évolution de sa pratique et les relations qu'il entretient avec l'équipe de tournage.

Il faut cependant préciser un point important: l'ingénieur du son en documentaire travaille seul dans sa pratique du son, il n'a ni perchman avec lui ni de second assistant. Il se doit de remplir le cahier des charges de deux personnes: percher et mixer. Il est à la fois dans une écoute technique du son et dans une écoute discours-sensible.

Lors des entretiens menés dans le cadre de ce mémoire, un certain nombre de professionnels ne pouvaient détacher le travail de l'ingénieur du son en documentaire de celui de fiction. Ils considèrent en effet que les deux pratiques peuvent différer sur un certains nombres de points mais qu'au final, elles s'enrichissent mutuellement.

Un autre point important, cette partie n'est pas là pour généraliser la pratique du son en documentaire. Tous les ingénieurs du son sont différents, ils possèdent tous des caractéristiques qui leur son propres: techniques, artistiques, esthétiques. Cette partie rend compte de ma vision de la prise de son en documentaire et de celles d'ingénieurs du son qui ont accepté de me rencontrer.

"Il y a une dimension fondamentale dans le documentaire, c'est de se laisser porter par les évènements. On n'a moins les moyens de contrôler l'imprévu qu'en fiction. En fiction, on essaye d'éliminer les bruits parasites, des ambiances dérangeantes. On s'en remet au montage afin de pouvoir inter-changer chaque moment de tournage. On part d'une espèce d'aseptisation du milieu sonore que l'on a à rhabiller par la suite.

En documentaire, on travaille avec une matière sonore que l'on ne contrôle pas. On veut ce raccord entre le bain sonore et le sujet."20(*)(Henri Maikoff)

II.1. ÉVOLUTION DU MATERIEL DE PRISE DE SON

Maxime Gavaudan : "Toute l'astuce du documentaire: c'est d'avoir une légèreté d'équipement, de mobilité, de pouvoir être à la bonne heure, au bon endroit, pour tourner la bonne séquence. J'ai participé comme ingénieur du son à des documentaires ou l'image était plus belle que des films de fiction, pourtant, nous n'avions pas besoin de lumière additionnelle."21(*)

II.1.1 Le Matériel de prise de son

L'ingénieur de son en tournage documentaire est aujourd'hui quelqu'un d'autonome qui bénéficie d'une grande mobilité de mouvement. Comme me l'a dit Vincent Magnier, être preneur de son, c'est « être dans une forme d'artisanat », ce qui en fait « un métier passionnant, manuel et pratique ».22(*)

L'avènement des enregistreurs sur Bande de type Nagra IV-S à la fin des années 60 a permis à l'ingénieur de sortir du studio, de faire de la rue son terrain de jeu, de manière plus autonome et plus simplement. Plus récemment, la miniaturisation des composants électroniques lui a permis d'être encore plus discret et de faire preuve de plus de souplesse dans son travail. Il faut préciser que ces évolutions techniques du matériel Son furent corréléesaux évolutions techniques de la prise de vue.

Enregistreur Multipistes.

Sans rentrer dans de grandes considérations techniques, il y a eu de nombreuses évolutions ces dernières années. En effet, depuis le NAGRA IV-S mentionné un peu plus haut, les enregistreurs audio ont beaucoup évolué jusqu'à aujourd'hui et n'ont que peu à voir avec leurs ancêtres : Enregistrement audionumérique jusqu'à 8 pistes ou plus, grande autonomie, ergonomie améliorée, possibilités de routing et de prémix, etc. L'exigence sonore va souvent de pair avec le prix de certaines machines de dernières générations. Il faut compter entre 5000 et 10 000 euros en moyenne pour un enregistreur multipiste de qualité professionnelle comme on en trouve sur les plateaux de long métrage de fiction.

Contrairement à une caméra qui peut se retrouver obsolète assez rapidement (compte tenu des évolutions techniques en la matière), un enregistreur professionnel de tournage peut être toujours performant 10 ans après son acquisition.

Le marché grand public propose des enregistreurs multi-piste à bas coup. Ces petits enregistreurs semi-professionnels peuvent s'avérer utiles en complément de l'enregistreur principal. Leur utilisation pouvant être préconisée lors de prises de son où la sécurité du matériel ne peut être complètement assurée. Cependant, leur fiabilité est perfectible et ils présentent en général une moins grande tolérance envers la chaleur, le sable, la pluie et les chocs qu'un enregistreur professionnel.

Le chef opérateur en documentaire cherche avant tout un appareil polyvalent et fiable, lui permettant de fournir un travail de qualité, et pouvant répondre à 99.99% des situations de tournage. De nombreux ingénieurs du son se tournent aujourd'hui vers le 633 de Sound Devices qui remplit toutes les caractéristiques citées plus haut, tout en présentant un tarif raisonnable. Cet appareil offre un concept de mixette-enregistreur sur carte CF ou SD. Cette démocratisation du multipiste a permis une nouvelle manière de travailler dans le documentaire, en s'affranchissant du traditionnel enregistrement bi piste sur la caméra.

Comme le rappelle Henri Maikoff, avant le passage au numérique, de nombreux ingénieurs du son enregistraient leur bande sur un Nagra Bi-piste type Nagra IV-S. "Le mélange Perche HF était coulé dans le bronze. Il y a avait des contraintes énormes, la surmodulation de 10dB était fatale, on entendait le souffle. Les mélanges HF sur une piste était définitif."23(*)

La norme est maintenant de livrer un mix sur la caméra et en parallèle, des pistes éclatées, ce qui permettra au monteur image d'avoir une proposition sonore dès le montage. Quand aux Pistes éclatées (ou ISO), elles pourront être récupérées et utilisées si nécessaire, par le monteur son.

L'écoute au casque.

Les conditions de prise de son en tournage imposent l'utilisation d'un casque audio qui isole des bruits extérieurs. Vincent Magnier m'a ainsi précisé que dans sa pratique de la prise de son en documentaire, il "faisait confiance à son casque d'écoute"24(*), pour justement se focaliser sur l'écoute et ne pas trop regarder ses niveaux d'enregistrements. En faisant confiance à ses oreilles, qu'il considère comme son meilleur indicateur de niveau, il peut ainsi percher de manière optimale, à deux mains, tout en regardant la personne concernée pendant son entretien/interview.

C'est ce que Lucien Balibar appelle dans son livre le référentiel constant.25(*)

Contrairement aux enregistreurs, le casque est un élément qui n'a pas particulièrement évolué depuis sa création. Il est là pour permettre à l'ingénieur du son de contrôler la qualité de la bande son qu'il est entrain d'enregistrer. Le SENNHEISER HD 25 est de loin le casque le plus utilisé dans le milieu professionnel de la prise de son à l'image. Son isolation importante, son rendu dans les basses fréquences et son faible poids font de lui le casque idéal pour une utilisation sur le terrain. Par ailleurs, sa faible impédance (70 ohms) permet d'obtenir facilement un bon niveau d'écoute sans vider trop rapidement les batteries de la mixette ou de l'enregistreur portable.

Le microphone.

Lucien Balibar : "Le micro, c'est le pinceau du peintre, c'est l'objectif du photographe, c'est le ciseau du sculpteur. Il est le premier maillon de l'enregistrement sonore, au contact immédiat de la source."26(*)

En documentaire comme en fiction, le microphone est choisi avec une attention particulière par le preneur de son. Sans généralité, un microphone avec une directivité prononcée comme un hyper cardioïde ou semi-canon, sera privilégié par le preneur de son. Ces microphones ont une bonne capacité d'atténuation des fréquences qui n'arrivent pas dans l'axe de la prise de son. Une des contraintes du preneur de son de documentaire est qu'il ne peut pas maitriser l'acoustique d'une pièce ou les fonds sonores bruyants.

Il n'y a souvent pas de repérage en documentaire, pas d'équipe régie pour bloquer une rue ou demander à quelques voisins de faire moins de bruit. Le lieu dans lequel la personne est filmée peut être sa maison, son lieu de travail et non pas un décor factice, modifiable à volonté pour faciliter le tournage, comme en fiction.

Ce micro très directif est alors positionné au bout d'une perche que l'ingénieur du son détend à la taille adéquate pour aller la positionner le plus prêt de la personne filmée.

Evidemment le comportement du microphone sera directement lié à son installation sur la perche et au type de suspension utilisé...

Une perche se doit d'être légère, maniable, rapidement rétractable pour permettre au preneur de son d'être à la bonne distance de la personne filmée et sans que le micro ne rentre dans le champ de l'image. Il existe deux marques de perches particulièrement utilisées en France : VDB et AMBIENT. La première, VDB, est préconisée en documentaire pour sa légèreté, la proximité avec les gens est souvent recherchée dans le documentaire, que cela soit dans des situations de vie ou durant des entretiens. La deuxième, AMBIENT est plus connu pour sa robustesse, qualité nécessaire en fiction où la perche peut être détendu à 5-6 mètres. (Taille L). Pour le documentaire, la taille M sera plus utilisée, elle s'adaptera plus facilement à des lieux de tournages exigus.

La suspension qui relie le micro à la perche est d'une importance capitale, car elle minimise les bruits de manipulation, surtout lorsque le technicien se retrouve à percher à une main. Il faut noter qu'avec une suspension de grande qualité comme une CINELA OSIX, par exemple, c'est la réponse en fréquence du micro qui sera également améliorée, plus linéaire et avec une bande passante étendu dans le grave.

Même si les micros miniatures se sont développés, le micro au bout de la perche reste le système principal de l'ingénieur du son en documentaire. Cet acte transparent permet de rendre "proactif" le preneur de son comme l'explique Pierre Alain Mathieu. "Quand tu décides de tourner certaines séquences d'un film documentaire uniquement à la perche, tu te retrouves dans un engagement de la relation. Les gens comprennent que les choses sont différentes si tu ne leur as pas posé de micros sur le torse. S'ils veulent se taire; ils se taisent, s'ils veulent parler ils parlent.C'est une manière d'être dans l'espace et dans la relation. Le principe même de la prise de son est qu'il n'y a pas de zoom possible. Tu ne peux pas cacher que tu es entrain de filmer, tu es dans un acte transparent, cela influe une dynamique autre."27(*)

Il faut différencier la qualité du son à la perche et sa fonction de présence. J'ai la sensation que les personnes filmées pensent que si le micro n'est pas pointé vers eux, ce qu'ils ont à dire n'est pas enregistré par l'ingénieur du son. Cette position du micro axée sur tels ou tels personnes peut devenir un élément de mise en scène, en donnant ou en ôtant la parole. La perche peut aussi influencer le travail du cadreur, en suggérant des tailles de cadres (plan large, serré, etc..), en fonction du lieu et du bruit ambiant.

Les liaisons Sans Fil (ou systèmes HF).

Tous les preneurs de son que j'ai rencontrés sont d'accord sur le rôle important du micro cravate en fiction comme en documentaire.

Les micros miniatures à électret, positionnés sur le torse de la personne filmée, permettent dans des situations où le micro principal montée sur la perche est trop loin de celle-ci, de conserver l'intelligibilité de la voix et de préserver le discours.

Laurent Lafran reconnaît par exemple, que grâce au HF, il est possible de faire "un travail de prise de son dans des endroits où l'on ne pourrait pas le faire". 28(*) Cela a donc ouvert à de nombreuses nouvelles perspectives de tournage.

Ainsi, les liaisons HF ont mérité une place prépondérante dans le travail des ingénieurs du son, surtout en documentaire où les situations filmées ne sont pas répétées en amont. Comme le précise Yves Capus "Mon rôle en documentaire est un rôle de témoin. Je témoigne d'une situation, d'un moment, d'une géographie, d'un temps. Pour témoigner, je dois amener des éléments sonores plus larges que la situation sonore que décrit le film.

Un documentaire uniquement à la perche, je n'en ai fait qu'un. Au Cambodge, à l'époque, les Hf ne s'étaient pas encore démocratisés. C'est le meilleur documentaire que je n'ai jamais fait."29(*)

Laurent Lafran pointe un fait important sur le placement des micros cravates en documentaire: si l'on décide d'équiper certaines personnes au dépends d'autres, il peut se produire une hiérarchie de la parole. Ne pas en mettre rendra plus ardue la tâche du preneur de son mais respectera l'équité entre les personnages.

L'utilisation du Micro cravate peut malheureusement dans certains cas empêcher l'ingénieur du son de se concentrer pleinement sur le placement de sa perche qui reste son micro principal.

Dans la situation où l'ingénieur du son décide d'équiper deux personnages filmés de micro cravate et de percher en même temps, il est obligé de diviser son écoute au casque: son oreille gauche écoute le son du micro perche et son oreille droite écoute une sommation des deux HF posés sur les personnages filmées. C'est le principe de la double écoute mono.

Ce principe n'est cependant pas toujours efficace et peut même s'avérer frustrant comme me l'a expliqué Vincent Magnier. Il peut arriver qu'en post-production, il se rende compte que l'ingénieur du son a mal posé les deux micros HF, donnant de mauvais résultats comme un son étouffé ou suite à des frottement de la capsule sur les vêtements. "S'il avait pris le risque de ne travailler qu'à la perche avec un microphone à directivitéhypercardioide au bout, j'aurais passé 2 minutes à faire des EQ et j'aurai eu du temps pour chercher une ambiance adéquate. Les HF sont des outils qui peuvent devenir piégeant"30(*)

Cependant, il est important de signaler que l'utilisation des micros cravates a aussi changé notre perception de la place de la voix dans un film. Le spectateur est habitué aujourd'hui à avoir une voix au premier plan, très présente, très intelligible, un peu à l'américaine. Les micros cravates, de par leur placement à proximité de la bouche ont peu à peu aboli la notion de plan sonore.

Comme me l'a expliqué Henri Maikoff "Au début, le micro cravate était un accessoire exotique qui permettait l'intelligibilité dans des milieux extrêmement contraignants ; de rattraper des rapports de voix improbables. Leur utilisation a changé la mise en scène. Le rapport à l'entendu et le vu, le rapport entre largeur du plan et largeur du plan sonore ont profondément été modifiés.

C'est devenu un outil complètement quotidien, une addiction auditive.31(*)

La synchronisation Image-Son.

L'envoie des signaux audio dans la caméra a longtemps été le moyen le plus simple et surtout le plus économique en documentaire.

La synchronisation des rushs en vidéo peut prendre du temps et donc coûter cher.

Loin est le temps du système de synchronisation à partir du quartz, mis en place par Allan Pennebaker et Richard Leacock au milieu des années 60 dans des films comme Don't Look Back ou Monterey Pop.

Aujourd'hui, il existe de nombreux moyens de permettre une synchronisation de l'image et du son de manière rapide. Le Record run, le Free run, effectuer une synchronisation par Time code, etc. Il existe des boitiers externes Type TENTACLES SYNC qui s'adaptent à toutes les caméras, tous les DSLR, ils sont les plus utilisés en documentaire pour leur simplicité et leur taille réduite.

La synchronisation image-son en documentaire a été le gros enjeu des cinq dernières années en Post production.

Cédric Genet affirme ainsi que "le preneur de son peut proposer aujourd'hui quasiment des outils de fiction à un réalisateur de documentaire, chose qui paraissait impossible il y a 10 ans."32(*)

Ces boitiers de synchronisation permettent aussi à l'ingénieur du son de ne plus avoir à claper face caméra. En documentaire, il est parfois essentiel d'être discret, de faire preuve de retenue pour ne pas "casser" une dynamique particulière. Ce geste de "clapper" ramène peut-être à quelque chose de trop fictionnel, de trop rigide. Ce geste laisse moins de place à l'imprévu. Johan Van der Keuken et sa femme preneuse de son avaient pris l'habitude de claper à la fin de la scène pour gêner le moins possible les personnes face caméra.

La sacoche de tournage, "audio bag" à l'épaule.

La "malle" fut la première étape pour l'ingénieur du son dans sa quête de capter le réel en dehors des studios. Elle était encombrante et devait être posé sur une table.

En documentaire, la sacoche de tournage est quelque chose d'indispensable pour le preneur de son. Il doit réussir à être autonome, afin que les mouvements de caméra puissent être suivie de près.

Tout avoir dans la même sacoche, enregistreur, mixeur, casque, batterie, consommables, liaison Hf permet de pouvoir suivre tous les mouvements de caméra. Le technicien son a une grande mobilité qui lui permet de se placer comme il le veut, proche ou loin de la caméra. Le principe de mobilité permet de se placer plus rapidement dans la situation la plus confortable pour travailler.

Pour Frederic Salles, l'ergonomie est quelque chose de fondamental pour le preneur de son. C'est pour lui aussi important de travailler avec son propre matériel, celui que l'on connait et que le technicien n'a pas besoin de regarder, afin de se laisser plus de temps pour se concentrer sur le fond.

Le fait que le preneur de Son ait une forme de mobilité est à rapprocher du principe d'autonomie qui caractérise sa pratique du documentaire. Pour Yves Capus il y a une différence d'autonomie en documentaire et en fiction."En documentaire l'autonomie dépend de la situation dans laquelle tu es, elle dépend de ce que tu vas filmer, du contexte. En fiction, au contraire, elle dépend de l'équipe, de l'organisation du tournage."33(*)

II.1.2 Les missions et aptitudes de l'ingénieur du son

Laurent Lafran : "Le métier de chef opérateur est une question de posture, de positionnement, de relation aux autres. C'est pourquoi je fais ce geste. Au départ, on est dans une forme d'absolu.

Le réalisateur est très occupé pour pouvoir s'intéresser au son, c'est pour cela que l'on a une liberté."34(*)

L'attrapeur de discours.

La responsabilité de l'ingénieur du son en documentaire est d'enregistrer le discours, rendre compte de la voix des personnes filmées. Il recueille leur voix, leur émotion. Il rend compte du fragile, du sensible d'une parole captée.

Vu que les situations ne sont pas répétées, il est dans une improvisation permanente de la captation de la parole.

Quand il perche une ou plusieurs personnes en même temps, il se doit d'observer corporellement le comportement des gens pour anticiper le moment ou ils vont prendre la parole.

Christian Canonville"En choisissant un microphone et en réglant la distance de travail selon l'acoustique ou le bruit ambiant, le preneur de son définit la netteté des contours et cisèle les traits de la source sonore. Avec la souplesse du chat, il lui faut louvoyer silencieusement entre les obstacles, ne pas entrer dans le cadre de l'image, ne pas créer d'ombres portées sur les murs échapper aux reflets, ne pas heurter la perche. Son activité relève à la fois de celle du chasseur de papillon qui doit capter son lépidoptère sans le détruire et celle du calligraphe qui, avec l'intelligence pratique un art stylé du mouvement."35(*)

Le chasseur de son et de sens.

Cédric Genet : "La principale mission d'un ingénieur du son en documentaire est de ramener la totalité des éléments sonores nécessaires au réalisateur, ce qui lui permettra alors de raconter son histoire de la meilleure façon qu'il soit."36(*)

Une des autres missions est d'apporter beaucoup de sons au réalisateur pour qu'il puisse façonner sa bande son au montage. Cela passe par des ambiances, des sons seuls.

Frederick Wiseman a par exemple comme règle de n'utiliser dans ses films que des sons qui ont été enregistrés au moment du tournage.

Evidemment, de nombreux réalisateurs ont compris que cette volonté de "Véracité sonore" pouvait avoir ses limites.

D'autres réalisateurs n'ont pas vraiment d'idée précise des ambiances qu'ils veulent pour leur film documentaire, le preneur de son est là pour être force de proposition.

En fiction, les ambiances sont enregistrées en évitant toute sensation de premier plan, le but de cette pratique est d'obtenir un arrière plan homogène. Au contraire comme nous le précise Laurent Lafran, en documentaire, l'ingénieur du son fournira une ambiance plus construite, ayant moins de temps et de contrôle sur son environnement. Il y aura donc moins de mise en scène.

Henri Maikoff m'a précisé sa démarche sur Le pays des sourds de Nicolas Phillibert"J'ai commencé la prise de son à l'époque de la pellicule. Nicolas Philibert tournait 6 bobines par jour, ce qui correspondait à une heure de rush, c'était considéré comme dément au début des années 90.

On donnait comme apport au montage, beaucoup d'ambiances, beaucoup de son seul.

Aujourd'hui avec une somme de 4-5h de rush par jours, nous n'avons plus le temps de faire des ambiances, ou très peu. On se doit de livrer beaucoup d'éléments déjà présents dans les rushs."37(*)

Pour pallier à ce manque de temps accordé au son seul pendant les rythmes soutenus de tournage, Henri Maikoff a mis en place un système de prise de son spécifique pour la captation d'ambiance. Il a installé sur sa sacoche de prise de son un couple MS miniaturisé. Cela lui permet d'enregistrer en même temps le micro positionné sur la perche et le couple MS stéréo pour les ambiances raccord.

Il n'a pas préconisé le système de prise de son MS qui enferme dans la même cage de protection, le micro très directif et le microphone bidirectionnel, dit "à lobe de directivité en 8". Il considère que son système maison permet de restituer un autre plan sonore que celui de la voix personne filmée.Sur des scènes longues en plan large par exemple, cela lui permet d'avoir la circulation des voitures qui passent en stéréo. Quant à sa perche, elle récupère l'intelligibilité et les détails de la voix.

Il y a quand même un inconvénient à ce système ingénieux selon lui. En effet, le MS étant très proche du corps du technicien, il est assez difficile de ne pas enregistrer ses propres bruits de déplacements par exemple.

Certains ingénieurs du son ne font pas d'ambiances dans d'autres espaces que celui qui correspond à la séquence. C'est important pour des raisons acoustiques et pour des raisons psychologiques. Fréderic Salles appelle cela être dans l'état d'esprit de la scène : "Tu as conscience de ce qui a été filmé dans la journée et si tes ambiances vont être cohérentes avec ce qui a été enregistré. C'est une question de connexion émotionnelle avec le film." 38(*)

Yves Capus a créé son propre système de prise de son l'Ambitionic qui lui permet de témoigner de contextes sonores entier sur 360 degrés. Selon lui, le preneur de son doit témoigner de paysages sonores dans lequel évoluent ses sujets, dans le but d'éclairer ce qui lie les personnages à l'histoire. Son résultat devient alors une trace mémorielle, qui donne un regard exhaustif de la situation.

Dans le but de répondre aux mieux à ces différentes missions, le preneur de son doit posséder certaines qualités et mettre en oeuvre une méthodologie adaptée au contexte de la prise de son en documentaire.

L'anticipation est source de discrétion.

Prévoir ce qui pourrait se passer, c'est déjà une manière d'agir. L'ingénieur du son en documentaire n'a pas souvent l'opportunité de faire des repérages des lieux de tournage. Il devra en fonction des précisions que lui donnera le réalisateur, essayer d'anticiper les difficultés qu'il pourrait rencontrer selon les situation, avoir déjà une vision à peu près claire des micros qu'il pourrait utiliser.

Il faut qu'il se réserve des marges de sécurité afin de mêler efficacité et qualité. Il se doit, par exemple, d'avoir toujours à disposition des micros prêts à être installés rapidement et les poser s'il estime que cela est nécessaire. Il se doit d'être réactif en essayant de répondre aux contraintes techniques qui découlent du documentaire.

Pour Godefroy Georgetti, le preneur de son en documentaire doit être capable de trouver une solution rapidement afin de ne pas louper le moment décisif, moment qui pourrait ne jamais se reproduire.

L'adaptabilité : Savoir répondre à l'imprévu.

L'une des principales qualités de l'ingénieur du Son en documentaire est son adaptabilité. Il doit, entre autre, s'accommoder aux lieux, aux demandes du réalisateur, et aux personnages avec qui il interagit. Comme me l'a fait remarquer Emmanuel Desbouiges, un bon ingénieur du son en documentaire doit avoir le courage d'affronter l'environnement externe dans lequel le tournage du documentaire évolue, comme par exemple, demander aux personnes qui sont externes à celui-ci de faire moins de bruit. L'ingénieur du son doit être également discret, rapide et efficace.

Il y a un sentiment plutôt partagé par les professionnels rencontrés dans le cadre de ce mémoire : l'idée que l'exigence technique et qualitative du son ne doit jamais prendre le pas sur le fond, et qu'elle ne doit pas engendrer des frustrations chez le réalisateur. La démarche du preneur de son en documentaire est à remettre dans une cohérence entière. Il oeuvre pour répondre aux exigences d'un réalisateur, il est un rouage du dispositif technique pensé par l'auteur. Par ses exigences démesurées, il peut brider des moments qui auraient pu fonctionner.

Comme l'explique David Diouf:"Il y a pleins de moments où j'ai accepté de faire un son moyen car je savais que c'était au service du film, être trop exigeant quant à la qualité de ta prise de son peut desservir le film. Le but est de ne pas avoir le césar du meilleur du son. C'est de faire le meilleur film possible." 39(*)

Il n'est jamais facile d'accepter ce qui n'est pas conforme à des prévisions ou un plan préétabli. Cependant, la force d'un film documentaire peut venir de personnages, ou de séquences inespérées.

En acceptant de ne pas pouvoir tout contrôler dans sa prise de son, le preneur de son permet d'accentuer, de renforcer ce qui n'avait pas été pensé au moment de l'écriture du projet et pendant sa mise en chantier : l'imprévu.

Mario Ruspoli donne une définition remarquable de la place que doit avoir l'imprévu dans un tournage de documentaire "Il faut qu'à chaque instant l'imprévu puisse s'amalgamer à la ligne adoptée en tournage. Durant une interview au pied levé, il est possible de tout à coup survienne un autre personnage, qui n'était pas du tout prévu au tournage et qui se révèle d'un intérêt plus grand. Il est impossible de rationaliser la captation du réel, on ne peut rationaliser que la technique et la psychologie de l'approche."40(*)

Documentaire/fiction: une approche différente de la profession?

Lors de mes rencontres avec les professionnels du documentaire, certains d'entre eux faisaient souvent des parallèles avec leur activité de chef opérateur du Son en fiction. Il semble que ces deux fonctions soient d'intensité semblable.

Une des principales différences est, nous l'avons vu, la place laissée à l'imprévu. Le fait que les personnages de documentaire ne soient pas dans un rôle mais jouent leur "propre rôle" change la donne pour certains. D'autres ingénieurs du son au contraire m'affirment qu'ils se comportent de la même manière avec des comédiens ou avec des personnages de documentaire.

Maxime Gavaudan estime qu'il n'y a pas de différence relationnelle à avoir avec un acteur ou avec un personnage de documentaire. Les deux sont là car il existe un enjeu fort à raconter. Si l'équipe de fiction ne met pas en confiance l'acteur, il sera stressé. L'ambiance du plateau déteint sur le jeu des acteurs, sur les choix du réalisateur.

Le chef opérateur du son en fiction travaille avec des assistants. Il les dirige, collabore avec eux. Cela l'oblige à posséder un autre regard sur le plateau, à faire des choix: que prendre en IN, que laisser en OFF. Il est dans le partage du son alors qu'en documentaire, sa direction n'appartient qu'à lui-même.

Pour Pierre Armand, l'ingénieur du son en fiction est un métier très technique. Le documentaire, au contraire, c'est faire preuve d'intuition, c'est laisser une place importante à l'instinct. En documentaire, il y a de la vraie émotion; pas de l'émotion recréée.

II.2. L'ÉQUIPE DE TOURNAGE EN DOCUMENTAIRE

Cédric Genet m'a expliqué que tourner un film documentaire est une affaire de compromis, d'images, et de sons. L'objectif est de réussir à être en accord avec ses propres exigences et les exigences du réalisateur pour que de belles choses puissent se produire.

Dans cette seconde sous partie, nous développerons les relations qu'entretient le preneur de son avec le réalisateur, le cadreur et les participants au film.

II.2.1 Le rapport à l'équipe de tournage

Godefroy Georgetti : "Je pense que la différence entre un bon ingénieur du son et un moyen, c'est la capacité de vivre avec les autres, capacité de s'entendre, de posséder une souplesse dans sa pratique, tout cela devient un des paramètres les plus importants.

Il y a moins de hiérarchies en documentaire, s'il faut que je porte le pied caméra, je le porte."41(*)

Le preneur de son doit faire preuve d'intelligence: une intelligence de l'espace, une intelligence de l'échange, une intelligence de l'instant. Il doit avoir la clairvoyance nécessaire pour être à la fois dans l'instant, dans la captation et dans l'anticipation de l'espace et des défis techniques.

Un partenaire de chemin.

Quelque chose m'a interpellé lors de mon entretien avec Pierre Armand. Il a bien insisté sur le fait que le côté humain est indispensable lors d'un tournage de film. Pour lui, c'est beaucoup d'intuition et de relationnel. D'où l'importance de collaborer avec l'équipe lors d'un tournage. Des choses magnifiques peuvent se produire en documentaire car les chaines de décisions sont resserrées.

Le principal but du preneur de son est donc de collaborer de la meilleure des façons avec le réalisateur, le chef opérateur image et les personnages du documentaire. Son rôle est de fournir la bande son la plus adaptée à la volonté du réalisateur pour lui permettre de faire le meilleur film possible.

L'une des compétences spécifiques en documentaire est une compétence humaine, le preneur de son doit parler le même "langage" que le réalisateur. Il faut avoir la capacité d'entendre et de traduire la démarche du réalisateur pour la mise en scène du son à l'image. Le travail en équipe réduite dans le documentaire, permet à l'ingénieur du son d'avoir un statut privilégié avec le réalisateur. Statut plus difficilement adaptable dans le tournage de fiction.

Frédéric Sallesa bien traduit cette idée en me disant que tout l'enjeu d'un documentaire, c'est que le Son fonctionne, tout en trouvant, en tant que technicien, sa place dans l'équipe du tournage. Il faut donc faire en sorte d'adapter son travail par rapport à son environnement, environnement qui peut changer. Il est donc important d'être polyvalent sur ce point.

Le premier spectateur du film.

Comme en fiction, le réalisateur passe du temps avec l'ingénieur du son à lui faire part de ses envies, de ses intentions. Le travail est différent de la fiction car même si le réalisateur porte son film depuis longtemps, la façon dont il l'a pensé au moment de l'écriture sera indéniablement transformée par l'étape de tournage.

Ce travail de préparation peut permettre à l'ingénieur du son de connaitre les goûts du réalisateur lorsque c'est la première fois qu'il collabore avec lui. C'est une étape importante pour lui car il commence à penser quel matériel est plus adapté pour tel ou tel instant de tournage. Il commence à envisager les difficultés possibles qu'il va rencontrer dans sa pratique du son au tournage.

Cédric Genet me l'a bien illustré en me racontant qu'une fois, un réalisateur lui avait demandé d'organiser un "casting de micro" pour savoir lequel correspondrait le mieux à tel ou tel personnages.

Ces instants de discussions possèdent une dimension supplémentaire lors des moments de dérushage en équipe. C'est une pratique facultative qui n'existait pas en documentaire avant l'avènement des caméras numériques.

Fréderic Salles pointe du doigt un fait important, celui de l'interprétation de la scène tournée. "Ona beau avoir de l'expérience, il y des moments qui nous échappent toujours. L'interprétation de ce que l'on fait de ce qui s'est passé, sous nos yeux et nos oreilles, c'est quand même une interprétation. Il y a des paramètres que l'on ne maitrise pas, on peut avoir une idée de ce qu'était la scène et puis finalement cela ne va pas passer du tout dans les rushs.

On est entrain de regarder, d'entendre une scène qui se joue sous nos yeux, nous n'avons pas le recul nécessaire. C'est à rapprocher de la vie réelle, tu vas parfois analyser de façon assez juste certaines de tes rencontres puis comprendre les choses différemment avec un certain recul."42(*)

Le tournage d'un film documentaire ne se joue pas seulement au moment ou la caméra enregistre. Il se crée lors des moments de discussion entre les séquence, ou l'équipe de tournage prend du recul sur ce qui vient d'être tourné. L'ingénieur du son et le cadreur font part de leur enthousiasme ou de leur crainte sur la tournure que prend le film. L'ingénieur du son devient à ce moment là un confident, un appui de taille pour permettre au réalisateur d'avancer.

Henri Maikoff admet l'importance de ces moments précieux mais considère qu'ils se raréfient de plus en plus, par manque de temps, mais aussi car il n'y a pratiquement plus d'instants de libre entre les changements de lieux de tournage. Pourtant, selon lui, ces moments permettent de voir comment la situation est abordée, de pouvoir discuter autour d'une situation de tournage, et de donner ses impressions. Cela permet d'orienter la suite. Et c'est dans ces moments-là qu'il est précieux pour le réalisateur d'entendre ce qu'a pensé le preneur de son, car c'est réellement le premier spectateur du film.

Il est important de préciser que certains réalisateurs fonctionnent à l'instinct. Comme l'a remarqué Maxime Gavaudan,"Certains cinéastes n'ont aucune certitude ni aucun désir concret. Il faut pas poser trop de questions au risque de les troubler"43(*)

Une Force de propositions.

La force de propositions que l'on demande à tout techniciens de l'audiovisuel peut être pour le preneur de son, de tenter de faire exister le hors champs.

Pour Emmanuel Desbouiges, réalisateur, le plus important dans un documentaire, c'est le son, car l'image ne se déclenche jamais. Quand le réalisateur filme dans un axe en espérant que quelque chose va arriver, et que finalement, la tension attendue arrive hors champ, à droite, un bon preneur de son va alors aller chercher cette tension, sans forcément le dire. En effet, il va prendre le risque de faire une proposition à l'extérieur du cadre. Il va donc, indirectement, amener la séquence, et permettre d'orienter le film vers quelque chose qui se passe hors champs.

Le preneur de son peut aussi être le troisième de la caméra. Par les spécificités même de son métier, entendre et écouter, il peut observer visuellement des choses que le cadreur n'aura pas vues car occupé à gérer la lumière, les mouvements de caméra, le cadre. Nous allons maintenant nous intéresser à sa relation avec le cadreur.

Le cadreur et l'ingénieur du son : la fin d'une liaison physique.

Dans de nombreuses situations de tournage, avant l'avènement des enregistreurs multipistes, la mixette de l'ingénieur du son était reliée aux entrées XLR de la caméra par un câble en spirale. Il n'y avait pas la possibilité d'enregistrements sur Carte SD des pistes ISO.

L'utilisation des liaisons Hf aujourd'hui a désolidarisé le cadreur de l'ingénieur du son. N'est transmis à la caméra, qu'un son témoin qui sera au montage son, resynchronisé avec toutes les pistes séparées.

Cette sensation de liberté n'a cependant pas que des points positifs : une bande passante réduite selon les modèles, des transmissions plus ou moins stables qui peuvent avoir un impact sur la qualité du son.

Mais ce câble, malgré son encombrement, signifiait une collaboration physique voir même une complicité.

Comme l'explique Godefroy Georgetti, le câble jouait un rôle sécuritaire car il permettait d'avoir un retour de ce qui était enregistré sur les pistes son de la caméra. De nos jours, du Son est toujours envoyé dans la caméra, mais en prenant le risque que cela ne fonctionne pas correctement. Le câble spiralé symbolisait en quelque sorte l'équipe, le lien entre les techniciens. Actuellement, selon les situations, le preneur de son peut se retrouver à vingt mètres du cadreur et se demander si la caméra tourne ou non.

La présence de ce câble spiralé amenait une proximité avec le cameraman qui ne pouvait oublier la présence du preneur de son.

Pour Emmanuel Desbouiges, elle favorisait l'entente.Pour lui aussi la liaison filaire jouait un rôle important dans la relation entre le cadreur et l'ingénieur du son, car les preneurs de son qui ont travaillé avec ce câble savent se placer dans un cadre. Aujourd'hui, les liens entre les deux techniciens sont minimes, et de plus, il est nécessaire d'utiliser un système HF supplémentaire pour ramener le son, ce qui peut alors créer des contingences matérielles.

Comme toute évolution technologique, l'ingénieur peut tourner cela à son avantage en donnant à entendre au réalisateur ce qu'il se passe sur le tournage. Le comtek ou système d'écoute IFB permet au réalisateur, s'il le désire, de savoir quel son est enregistré par l'ingénieur du son en plein tournage. Cela peut s'avérer nécessaire lorsqu'on filme dans un lieu très bruyant. Cela permet au réalisateur d'entendre ce que dit la personne filmée.

Cependant, les réalisateurs de documentaire n'en sont pas friands car ce n'est pas nécessaire dans la plupart des cas. C'est à différencier de l'écoute en fiction où la scripte et le réalisateur peuvent être amenées à se retrouver éloigné du plateau. Yves Capus m'a ainsi indiqué qu'il en prévoyait toujours lors d'un tournage, mais qu'en général, les réalisateurs n'en veulent pas, car cela les isole du contexte. Ca les empêche de parler correctement aux personnes présentent sur le tournage et au final, leur écoute n'est plus dirigée par eux, mais par l'ingénieur du son.

II.2.2 La relation "ingénieur du son-Participant" dans le documentaire

Pierre Armand : "Le documentaire, c'est une question d'engagement: personnel, civique, éthique, moral, politique. En tant que technicien, nous avons une responsabilité lorsque la caméra enregistre car par notre présence, nous pouvons influencer la tournure que prennent les choses."44(*)

La déontologie du preneur de son.

Le chef opérateur n'est pas seulement dans un apport technique mais aussi dans un rapport humain avec les personnages du documentaire. Il se doit rapidement de mettre en confiance ses interlocuteurs pour mener à bien les missions que sont les siennes.

Thierry Aguila affirme que le réalisateur ne doit pas être le seul à créer une relation avec les personnages, le preneur de son, le cadreur ont aussi un rôle fort à jouer.

"Dans mon film, Barça/Madrid, plus qu'un match (2008) à force d'aller aux rencontres avec les supporters, de prendre l'avion ensemble, l'équipe technique était identifiée. Ils étaient plus que de simples techniciens de cinéma. Nous faisions tous partie du système"45(*)

Le preneur de son doit aussi poser des micros cravates sous les vêtements des personnes et il faut trouver le juste moment pour cet exercice. Il faut également qu'il arrive à faire oublier la perche avec à son bout, le micro.

Est-ce envisageable de parler de déontologie du preneur de son en documentaire?

Cedric Genet estime que l'ingénieur du son ne doit pas interrompre une discussion pendant le tournage documentaire car c'est prendre le risque de casser ce qui est entrain de se passer. C'est donc à l'ingénieur d'avoir le niveau technique pouraccepter "l'incident" qui se produit, en ce souvenant que ce sont des personnes qui racontent leurs vies, ou bien même, la vive, devant toi ; il n'y a rien de " préparé", pas de script.

"Avant même de juger la qualité du son ou de l'image que ramène le preneur de son, le plus important est de trouver la meilleur manière de se comporter en tournage. Il faut réussir à trouver les bons mots au bon moment"46(*)

Une discrète influence.

Certaines personnes peuvent être gênées par la quantité de matériel dont peut disposer le preneur de son pour mener à bien sa mission.

Que ce soit en intérieur ou en extérieur, elles peuvent éprouver une gêne face au micro.

La plupart des gens ont aujourd'hui un téléphone dans leur poche qui leur permet de mémoriser des moments de leur vie. Ils n'ont plus vraiment de problème avec le fait d'être filmé par une caméra ou même un appareil photo. Cependant, ils n'ont pas le même rapport aux sons. Les premières fois où ils se retrouvent avec un micro au dessus de leur tête, ils peuvent éprouver une forme de timidité.

Il existe des méthodes qui permettent au preneur de son de faire accepter le micro plus facilement. Il peut positionner le micro dans l'axe du front et le micro sort alors du champ de vision de la personne filmée. La qualité sonore sera préservée et dans le même temps cela ne troublera pas la personne concernée.

La bonnette en poil ou « Windshield » en anglais est un autre exemple de désagrément possible. Elle a comme principale qualité de protéger le micro du vent lorsque des séquences sont tournées en extérieur. Sur des micros à haute directivité comme les Canon, Sennheiser 516, SchoepsCmit, cette bonnette peut s'avérer très imposante et gêner, voir bloquer la parole.

Pour David Diouf, afin de recueillir la parole des gens, il faut donc évidemment une perche avec un micro entourée d'une protection anti-vent, qui ressemble à une "moumoute". Pour faire oublier celle-ci, il faudraque la personne filmée"soit plus en présence d'un être humain que d'une moumoute".47(*)

L'acte d'équiper quelqu'un d'un micro cravate peut aider à créer un moment spécial avec les personnes concernées. Il faut essayer d'instaurer une confiance pour que la personne filmée soit libre de dire ce qu'elle a envie de dire. Cet intrusion dans l'intimité de quelqu'un que l'on ne connait pas peut avoir des répercussions sur la suite des évènements. Il faut être efficace tout en mettant en confiance la personne concernée.

Ce n'est pas la même situation en fiction où la plupart du temps les acteurs ont l'habitude d'en être équipé quotidiennement.

Vincent Magnier m'a ainsi fait remarqué qu'il est important pour le preneur de son, qui a un contact physique avec les personnages lors de la pose des micros, d'être dans une relation privilégiée avec eux. Cela compte même énormément dans le cadre du tournage du film documentaire.

Yves Capus nous éclaire également sur cette notion de confiance, l'équipe de tournage devant pour lui aussi, instaurer un climat de confiance avec les personnes filmées. Un contexte positif permettra aux personnages de comprendre que c'est un honneur de partager cela avec eux, et inversement. Si ce contexte est bon, celui du tournage le sera donc inévitablement. Il sera simple et direct.

Une démarche empathique.

A un moment de mes rencontres, j'ai commencé à aborder la question de l'empathie, je ne savais pas comment cela serait accepté par les professionnels rencontrés. Est-ce que l'empathie, la compassion, la bienveillance avait sa place dans un tournage de film documentaire?

Pour Emmanuel Desbouiges, réalisateur de films en Nouvelle Calédonie, l'empathie est primordiale dans son approche de documentariste. Il est important pour lui que l'ingénieur du son qui l'accompagne soit sur la même longueur d'ondes.

Jean-Pierre Duret pointe un fait important qui différencie la fiction du documentaire: le travail de l'acteur est un travail de répétition, il peut recevoir des indications du metteur en scène. En documentaire, il est très rare de refaire les choses, la personne filmée se donne à voir bien plus qu'un acteur qui est dans un rôle de composition. Celui qui est filmé en documentaire, c'est sa propre existence qu'il met entre les mains du réalisateur.

Au contraire, Yves Capus considère que l'empathie empêche la distance, ce qui pourrait amener le preneur de son dans de mauvaises situations. "C'est un moment que je partage de la meilleure manière possible mais c'est un moment qui va s'arrêter. Je ne pourrais pas grand chose pour eux, pas grand chose de plus que de faire très bien mon travail."48(*)

L'après-Tournage.

Souvent, des relations intimes peuvent se créer pendant le tournage, mais sont-elle pérennes, dépassent-ellesla réalisation du documentaire?

Il m'est arrivé lors de certains projets sur lesquels j'ai participé, de passer beaucoup de temps avec des gens. J'ai réalisé qu'ils me touchaient, que j'aimais leur vision du monde. Je me souviens en particulier d'un conducteur de calèche qui avait choisi une vie de nomade, en compagnie de ses chevaux et de son chien. Sa conception du voyage était différente de la mienne. C'est par le documentaire que ce genre de rencontres est possible.

J'ai la sensation que quand je suis sur un projet documentaire qui me tient à coeur, le moment du tournage est un chemin qui me rend différent à la fin.

"C'est parfois dans les contextes les plus simples, dans les situations les plus inattendus que tu rentres dans une humanité, que tu as l'impression de dévoiler un toboggan."49(*)(Yves Capus).

Godefroy Georgetti m'a fait part d'une rencontre qui l'a marqué "Un jour, nous étions avec un réalisateur chez un instituteur dans la Drôme ; nous nous sommes jurés de revenir le voir et nous ne l'avons jamais fait. Cela te fais te poser des questions... Tu te rends compte avec l'expérience que des liens forts se crééent le temps du film, mais que ces liens n'existent qu'à un moment donnée, et qu'ils disparaissent avec le temps. Nous ne sommes que de passage."50(*)

III. QUEL AVENIR POUR LA PRISE DE SON EN DOCUMENTAIRE?

Nous nous intéresserons dans un premier temps à certaines missions bien spécifiques auxquelles peut être confrontées l'ingénieur du son aujourd'hui.

Nous nous pencherons également sur l'avenir de cette profession.

III.1. VERS UNE ÉVOLUTION DE LA PRATIQUE DOCUMENTAIRE

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III.1.1. Des pratiques mouvantes

La double posture: réalisateur-cadreur.

Il arrive de plus en plussouvent que l'équipe de tournage se réduise au chef opérateur Son et à un réalisateur faisant office de cadreur.

Dans ce cas spécifique, qu'est-ce qui change dans la relation et dans le travail quand le triangle, chef opérateur image/chef opérateur Son/réalisateur, disparait?

David Diouf m'a expliqué qu'un réalisateur dans une posture de cadreur aura sûrement peut-être moins de recul sur ce qu'il est entrain de filmer et sur le futur montage de son film. Cependant, de par sa double posture, il y aura sûrement un renforcement des liens avec le preneur de son, la création d'une certaine forme de complicité, dont résultera une approche plus concrète des difficultés techniques.

Cependant, certains regrettent ce genre de situation. Pour Frédéric Salles que j'ai également rencontré, le dialogue à trois reste nécessaire pour animer la discussion. Quand le réalisateur et le cadreur ne font qu'un, il y a une perte de la communication non verbale, car le réalisateur aura toujours l'oeil sur son image.

Cette situation peut amener l'ingénieur du son à remplir des fonctions qui ne sont pas les siennes dans un tournage classique.

Godefroy Georgetti parle d'un appui moral avec une fonction plus large : l'ingénieur étant là, le réalisateur pourra se reposer sur lui, et son aide deviendra donc indispensable. Il pourra ainsi, par exemple, remplir la fonction de cadreur le temps d'une séquence, si cela s'avère nécessaire.

Comme nous venons de le voir, le cadre de travail en documentaire est mouvant. Les fonctions peuvent s'élargir, au grès des situations que vit l'équipe de tournage.

Ingénieur du son sur un premier film.

Un des cas spécifique auxquels peut être confronté le preneur de son en documentaire est la collaboration avec des réalisateurs débutants.

Les ingénieurs du son rencontrés sontunanimes pour dire que ce n'est pas chose simple pour un jeune réalisateur de collaborer avec un preneur de son.

Ce réalisateur néophyte sait que le preneur de son est là pour servir son film, cependant, parler le langage du son n'est pas aussi évident que parler d'image.

Pour Yves Capus, cela peut-être très intimidant et difficile à appréhender pour un jeune réalisateur, car pour capter du bruit, il n'a en soit, pas besoin d'ingénieur de son, les caméras pouvant remplir cette mission avec leurs micros intégrés. La communication avec l'image est alors immédiate, consubstantielle. Mais, si celui-ci désire donner à son image plus de sens, de la perspective et des détails, alors il a besoin du technicien son.

Henri Maikoff: "Notre travail, dans ces moments là, est d'assumer une partie technique pour quelqu'un qui a des désirs. Nous devons l'accompagner pour lui permettre de faire le film qu'il a imaginé.Imaginons que nous avons prévu de tourner une séquence particulière, malheureusement le sujet dérape, notre rôle est de dire à ce jeune réalisateur de ne pas couper, de ne pas fermer le hors-champs, d'accepter les dérapages, l'imprévu."51(*)

Il peut aussi se produire que le jeune réalisateur essaye de compenser son manque d'expérience par une fermeté disproportionnée envers l'équipe de documentaire.

Frédéric Salles remarque qu'il faut apprendre à déconstruire cette situation en l'accompagnant dans son projet, en l'aidant le mieux possible à mettre en place ce qu'il a envie de faire.

Le tournage multi-caméra.

Un des changements majeurs de ces dernières années est la démocratisation du tournage multi caméra. Dans ces dispositifs, le micro cravate devient vital, le preneur de son ne pouvant anticiper les mouvements de deux, voir de trois caméras. Ils ne peuvent alors plus être considérés comme des éléments de sécurité, mais deviennent les micros principaux du technicien. Ils permettront de fournir la matière nécessaire au montage.

Pour Cédric Genet, tourner à deux voir trois caméras rend possible plusieurs valeurs de cadres disponibles pour le monteur-image. Ce confort permet au réalisateur de ne plus user du plan d'illustration qui ne fonctionnait pas toujours.Le fait de tourner dans une résolution de 4K lui permet aussi de zoomer dans l'image et d'avoir des valeurs de plan plus serrée s'il estime cela nécessaire.

La double posture: Réalisateur-Ingénieur du son.

Le réalisateur peut envisager, dans le cas d'un budget réduit, de ne pas prendre la place du caméraman, mais de devenir lui même ingénieur du son. Pour d'autres, être dans cette double posture est une vraie stratégie de tournage.

Laurent Lafran m'a raconté lors de notre entrevue, que le réalisateur israélien AviMograbi est l'ingénieur de son de ses propres documentaires. Il s'est en effet rendu compte qu'en tournage, l'équipe technique avait plus de sympathie et de bienveillance pour le preneur de son que pour le cadreur, de part sa position de « faiblesse », car il ne peut pas, par exemple, avoir totalement le contrôle sur le hors champs et n'est pas toujours dans une situation confortable avec tout son matériel. Le réalisateur/ingénieur du son n'est donc plus dans la peau du réalisateur maître. Et cela peut très bien fonctionner, car dans ce cas là, c'est plus à un technicien que l'on parle qu'à un réalisateur.

Comment expliquer que cette double casquette preneur de Son/réalisateur puisse mieux fonctionner que celle de cadreur/réalisateur ? Est-ce une histoire d'écoute? Est-ceunrapport différent à la parole?

Godefroy Georgetti a quant à lui eu l'opportunité de réaliser ses projets tout en étant ingénieur du son; pour lui, cela a bien fonctionné car il a l'habitude de travailler avec le même chef opérateur image, qui comprend les problématiques qu'il peut rencontrer en tournage. Avec les années, il a réussi à se concentrer sur deux formes d'écoute : l'écoute technique et l'écoute affective.

III.1.2 Une profession en voie de disparition?

Une démocratisation du matériel de tournage.

Depuis le début des années 2000, le développement des caméras numériques a permis aux réalisateurs de tournerleurs films à moindre coût.

Les journées de tournage ont également évolué. Yves Capus m'a expliqué que quand des films étaient tournés en pellicule, la limite était fixée par la quantité de pellicule disponible. Maintenant, la limite dépend de ce que l'équipe peut enregistrer durant la journée de tournage.

Dans La gueule de l'emploi, documentaire réalisé en 2011 par Didier Cros, le réalisateur s'intéresse à une session de recrutement organisée par le Cabinet RST Conseil pour le groupe GAN. L'ingénieur de son Vincent Magnier m'a raconté que le réalisateur lui a demandé de poser 24 micros-cravates. ; Le multipistes permettant aujourd'hui de travailler comme sur des émissions de téléréalité, tout le monde est alors équipé d'un micro-cravate (dissimulé sous les vêtements) et la perche est relayée au second plan. Le réalisateur n'a alors qu'à réécouter toutes les pistes pour monter son film.

Ces dernières années, l'appareil photo ou DSLR comme le Panasonic GH ou le Sony Alpha 7, ont largement changé les codes, de par leur faible encombrement et leur qualité d'image, pour des appareils ne dépassant pas les quelques milliers d'euros. Tout est au rendez-vous: viseur électronique, zébra, peaking, zoom numérique et des formats d'enregistrement à ne plus en finir.

Certaines marques ont même mis au point des systèmes son qui viennent directement s'intégrer sous le boitier.

La marque américaine Tascam propose le DR-701D, enregistreur audio de quatre canaux, avec déclinaisons d'échantillonnages. La machine est capable d'enregistrer simultanément deux fichiers avec des niveaux de modulation différents, sécurité intéressante pour éviter l'écrêtage numérique. Il propose aussi une entrée time code et un générateur SMPTE. La fonction HDMI permet d'activer automatiquement l'enregistrement audio sur le Tascam en appuyant sur le bouton Rec de l'appareil photo. Le prix de ce boitier son est de 499euros.

Nous sommes loin d'un enregistreur X2 de chez CANTAR ou du R4+ de chez SONOSAX, qui peut coûter vingt fois plus cher, pour les raisons évoquées dans la partie II de mon mémoire.

Ce système image-son est peut être une bonne alternative pour un réalisateur qui part faire des repérages tout seul, et qui veut garder une trace.

Une marque spécialisée dans les micro haut de gamme, DPA, a décidé de diversifier son offre en produisant une nouvelle interface audio numérique le D:VICE MMA-A. Cette Interface se branche sur un Iphone et se contrôle avec une application gratuite. Ce Système a été conçu pour les journalistes mobiles étant à la recherche d'une solution performante et simple d'utilisation en situation d'interview ou lors d'une session d'enregistrement d'ambiances stéréo.

La liste est longue...Sound Devices, basé dans l'état du Wisconsin a également sortie le MIX PRE qui se décline sous plusieurs formes (MixPre 10T, MixPre 10M). Pour des tarifs plus que compétitifs, l'utilisateur sera en mesure d'enregistrer des ambiances multicanal, avec un enregistreur très compact.

Nous pouvons donc en conclure que d'une certaine manière, la démocratisation de ces machines performantes à moindre coût, permet de donner au Son une visibilité, voir même un intérêt nouveau. Cependant, elles ne pourront tout de même pas totalement remplacer l'ingénieur du son et son travail.

Une évolution de la post-production.

La post-production a elle aussi connu un tournant ces derniers années, avec des plugins qui ont considérablement fait bouger les choses.

IzotopeRx est un brillant exemple d'application destinée à la télévision, journal télévisé, documentaire, reportage et cinéma.

Pour Pierre Alain Mathieu, Izotope a permis de changer le rapport au fond sonore, de nettoyer la voix des personnes filmées. Cela rend le travail moins compliqué, surtout en fiction, car il est maintenant possible de faire des prises de sons dans différents types environnements. Par exemple, les chefs opérateurs se ne préoccupent plus des sifflantes des HMI (Lampes Aux Halogénures métalliques)

Aujourd'hui, les différents modules présents sur la suite RX de la marque américaine Izotope permettent, par exemple, d'atténuer les bruits produits par le vent sur la capsule du micro.

Une autre innovation appelée "Dé-rustle", permet d'amoindrir des frottements du micro-cravate sur les vêtements.

L'option la plus connue, appelée le "De-noiser",  permet de creuser la dynamique utile entre la voix et les ambiances, pour permettre au monteur son de monter ses "directs" de la façon la plus pertinente qu'il soit.

Il faut cependant reconnaitre que ce genre d'action a un impact sur les fréquences utiles qui composent la voix.

Quant au plugin Unveil de la marque Zynaptiq, il permet de retravailler une voix enregistrée dans un milieu très réverbérant.

La pertinence de ce genre de plugin de dernière génération n'est pas à remettre en question, car ils permettent aux monteurs et aux mixeurs d'avoir plus de souplesse dans leurs pratiques. Néanmoins, elles ont causé du mal à la profession de l'ingénieur du son, car beaucoup de boites de productions y ont vu une opportunité de se passer des ingénieurs du son, avec comme objectif de baisser les coûts du tournage.

L'ingénieur du son "Casse Gueule».

Comme nous venons de le voir, l'apport technique de certaines solutions de post-production n'a pas rendu service au preneur de son, que ce soit en documentaire ou en reportage.

Le fait que la place de l'ingénieur du son se soit raréfiée ces dernières années a eu pour conséquence qu'ils peuvent être aujourd'hui embauchés pour des séquences plus "casse gueule".

Le preneur de Son est appelé par la production pour intervenir dans des situations très spécifiques comme sur une séquence où, dans un contexte très bruyant, un micro canon posé sur la caméra ne suffira plus ; son expertise en prise de Son peut être également nécessaire sur une séquence de réunion à plusieurs personnages.

Cependant, son implication est tout de même réduite sur le film. Il est dans une sorte de sauvetage du propos et du discours. Il arrive en plein tournage et repart avant la fin. Disons qu'il est appelé à la rescousse pour son expertise sonore.

Cédric Genet avoue que passer cinq jours sur un projet au lieu de dix-neuf va certainement faire baisser le degré d'investissement. L'implication émotionnelle n'est pas la même non plus, un sentiment de frustration dans la manière de travailler pouvant apparaître, mais il faut tout de même réussir à donner entière satisfaction au réalisateur, pour lui permettre de faire son film dans les meilleures conditions.

Vincent Magnier reconnait que dans son cas, s'il est appelé en renfort pour quelques jours sur un documentaire, il délivrera moins d'ambiances et de son seuls au réalisateur.

"J'ai une moins bonne connaissance du sujet donc je vais avoir tendance à être un peu moins impliqué. J'ai par le passé participé à de nombreux films historiques où il nous arrivait de partir en tournage trois semaines d'affilée. Dans ces conditions, tu as le temps d'enregistrer des ambiances qui serviront le propos du film"52(*)

Est-il important pour le preneur du son de montrer qu'il est une plus-value sur le projet ? Que sa présence est pertinente et indispensable ? Selon Yves Capus, vu le financement du documentaire de nos jours, si un réalisateur a exigé la présence d'un technicien son, c'est indéniablement qu'il a des envies passant par le son. Dans ce cas là, il faudra bien mettre en avant ses compétences, et démontrer que le rôle de l'ingénieur du son est essentiel (dans une situation délicate à tourner par exemple).

Yves Capus s'est déjà senti comme un commercial du son que l'on appelle soit pour des raisons pratiques soit pour des raisons de "prestige".

La place de l'ingénieur du son en documentaire est toujours à remettre en question, les projets changent, les dispositifs de réalisation évoluent au gré des films, ainsi que les enjeux. Pour Pierre Alain Mathieu "Le preneur de son doit réfléchir à la place qu'il veut avoir dans une équipe de tournage, mais il doit aussi réfléchir à la place que l'on veut bien lui accorder. C'est un processus à réinventer tous les jours"53(*),les choses n'étant pas figées.

La nécessité de polyvalence pour l'ingénieur du son?

Le tournage documentaire se raréfiant, l'ingénieur du Son peut se tourner vers d'autres activités toujours dans le Son, son domaine d'application.

Dans la post-production par exemple. En effet, celle-ci va lui permettre d'apprendre une plus grande compréhension des limites de sa prise de Son en tournage.

En y participant, cela peut lui donner un autre regard sur le tournage. En connaissant le travail du monteur et du mixeur Son, cela va renforcer ses connaissances, notamment les limites à ne pas franchir en tournage.

Connaitre la post-production permet aussi une interaction plus pertinente avec le monteur image: back-up, arborescence, classement, gestion des métadonnées.

Cette connaissance de la post-production permet à Yves Capus de ne pas se créer d'enjeux insignifiants et de ne se focaliser que sur ce qui est essentiel. Il a par exemple décidé de ne plus faire d'ambiance raccord connaissant les possibilités de Pro Tools. Cependant, en fiction, il se bat toujours pour avoir trente secondes de silence avant le clap.

III.2. LE RÉALISATEURCHEF D'ORCHESTRE.

Guy Gauthier :"Pour les documentaristes qui partent seuls aujourd'hui avec une caméra numérique légère, capable d'enregistrer les images et les sons dans des circonstances peu favorables, tout en disposant d'une économie appréciable, l'évocation de l'équipe dite "groupe synchrone léger" telle qu'elle commençait à fonctionner il y a quarante ans, apparaitra comme relevant de la préhistoire d'un cinéma qu'on a pris l'habitude d'appeler direct parce qu'il s'efforce de supprimer toute médiation entre le cinéaste et le sujet filmé."54(*)

De nombreux films se tournent aujourd'hui avec un réalisateur qui part tout seul sur le terrain, tel un JRI. Il compose son cadre, pose les micros cravates lui-même, gère les problèmes techniques, pensent à sa mise en scène et est dans le relationnel avec ses personnages.

Cela paraît compliqué de gérer autant de paramètre tout seul, pourtant, le réalisateur peut décider de partir coûte que coûte en tournage et de remplacer à lui seul, une équipe de terrain.

III.2.1Remplacer l'équipe de tournage

Raisons Financières.

LaurentLafran suppose qu'une des choses les plus difficile à faire comprendre à une boite de production, c'est qu'il est difficile d'écouter et de regarder en même temps.

Cependant, certains réalisateurs s'en sortent bien seul. Dennis Gheerbrant est un bon exemple: avant de devenir réalisateur de documentaire, il était opérateur de prise de vue. De part son expérience de terrain, on peut s'imaginer qu'il aura moins besoin de regarder, qu'il va cadrer naturellement, et donc avoir plus de place à laisser à l'écoute.

Comme il le précise, "Quand je filme seul, ce qui m'intéresse, c'est de casser le flux du vécu : on est dans une relation, on interrompt la relation, et on entre dans un film. Mon regard ne soutient plus la relation. C'est le fait de filmer qui est la relation. C'est violent, c'est beau et c'est fort, et là on fait un film pour les autres qui n'est jamais l'enregistrement d'une relation."55(*)

Il a donc réussi à tourner à son avantage le fait d'être le seul lors de la réalisation de son film.

Cependant, le fait de tourner seul peut clairement contraindre la mise en scène.

Pour Pierre Alain Mathieu, le fait de ne pas avoir d'équipe a pour conséquence des contraintes du point de vue cinématographique, dans le sens où on ne peut plus répondre correctement à différentes formes d'imprévue, n'ayant pas de soutient derrière.

Raisons relationnelles.

Certains réalisateurs de documentaire partent seul pour des raisons de relationnel avec les gens, leur but étant de créer une certaine complicité avec les personnages de leurs films.

Jean-Pierre Duret est un chef opérateur du son spécialisé dans la fiction, récompensé au césar pour sa prise de son sur Michael Kohlhaas (2013) de Arnaud Des Pallières.

En parallèle de sa carrière de preneur de son, il réalise des films documentaires. Se battre est sorti en 2014.

Pour lui, le plaisir de faire du documentaire se trouve dans l'acte d'écouter, mais surtout, de filmer soi-même. Il cadre à l'oeilleton, faisant corps avec la caméra, et trouve la forme que va prendre son film au fur et à mesure du tournage.

"On ressent d'une manière beaucoup plus importante quand on filme soi-même la justesse de ce que nous sommes entrain de filmer ou non. On le ressent physiquement. Je suis le premier spectateur, si j'étais à côté, cela ne serait pas la même chose. Il me faut cette liberté de pouvoir moi-même décider de mes mouvements de caméra; cela me permet de me laisser emporter par mes intuitions."56(*)

Etant lui-même technicien, il a conscience des problématiques que celui-ci peut rencontrer: l'impatience, parfois le découragement, la peur du vide, l'envie de s'occuper.

"Je connais cette peur du vide en tant que technicien et je veux être seul à l'éprouver au moment du tournage. Dieu sait qu'elle existe souvent en documentaire, c'est assez dur à vivre.Il nous arrive en tant que réalisateur de parfois tourner pour rien, pour nous rassurer. C'est aussi une raison d'être peu nombreux, pour pouvoir accéder à quelque chose de différent. On se fond plus facilement."57(*)

Lors de mes entretiens, il m'est arrivé de demander aux professionnels s'ils comprenaient qu'un réalisateur puisse se passer d'un preneur de son.

La réponse que j'ai obtenue de Pierre Alain Mathieu est intéressante: il considère que l'acte de filmer n'est pas une relation binaire, du réalisateur au personnage. Faire un documentaire, c'estcréer dans des relations triangulaires qui rendent le film possible.

Il reconnait également les côtés négatifs inhérents à chaque équipe de tournage: moins de place, plus de temps de préparation et les tensions possibles. Dans le milieu du documentaire, on peut être vexé, blessé, mais le fait de ne pas avoir d'équipe de tournage ne résout pas ces éventuels problèmes rencontrés.

Frederic Salles pense qu'il n'y a pas de règle, ce n'est qu'une question d'habitude. "L'enjeu de mon travail en documentaire, c'est précisément de faire en sorte que la personne filmée m'accepte. Une fois que ma place est assumée et approuvée, le micro trouve sa place tout seul. C'est exceptionnel quand tu réalises que les personnages sont proches de ce qu'ils sont vraiment."58(*)

Godefroy Georgetti m'a aussi expliqué que pour les boites de productions, tourner sans ingénieur du Son permet de faire de grosses économies. En ce mettant à la place du producteur, il comprend que celui-ci puisse offrir plus de temps au réalisateur afin de tourner des séquences en plus grand nombre.

III.2.2.Quel impact sur la qualité des films?

Comme nous l'avons vu, des solutions techniques existent pour que le réalisateur puisse partir tout seul en tournage. Certains réalisateurs ont conscience des difficultés que cela représente de tourner en solo.

Des solutions techniques pour le tournage.

Emmanuel Desbouiges m'a dit que, la première chose qu'il faisait lorsqu'il devait tourner sans ingénieur du son, c'était de rencontrer en amont un technicien et de lui demander de l'aide et des conseils sur le matériel et les différentes techniques à utiliser lors de son tournage. Cédric Genet me l'a d'ailleurs confirmé, en m'expliquant que, sachant qu'il n'y pas besoin d'avoir un ingénieur du son sur tous les films (d'un point de vue esthétique ou économique), il lui arrive d'avoir la visite de réalisateurs devant travailler seuls sur un tournage. Il essai alors de leur trouver un système de prise de son multipistes, avec une synchronisation Image/Son facilitant leur travail.

Il utilisera alors ces conseils autour de ce qu'il va filmer et selon les moyens qu'il aura en sa possession. En général, Emmanuel Desbouiges pose sur sa caméra un micro très directif comme le Sennheiser MKH80-50, et il s'est équipé au préalable d'une bonne suspension et d'une bonnette anti-vent. Il admet cependant, que même en ayant appris à équiper les personnages de micro-cravate, le preneur de son est difficile à remplacer. Mais on en revient toujours au fait que pour les productions et les diffuseurs, c'est quelque chose de sensible, et que le budget n'est pas forcément présent.

Cédric Genet: "Je ne suis pas dogmatique, il n'y a pas besoin d'avoir d'ingénieur du son sur tous les films.Cette volonté de travailler seul est soit esthétique soit est purement économique. Dans ces moments-là, je peux me poser des questions sur le travail de pré-production"59(*)

Sur Se Battre (2014) Jean-Pierre duret a expérimenté un couple MS de taille miniature qu'il pose sur le devant de sa caméra.

Il considère qu'en tournage documentaire, c'est la situation qui dicte la manière de se comporter, et ce qui prime c'est l'efficacité.

"Le couple MS est un micro mono couplé à un micro en 8. Cela me permet de préserver la parole. Quand je suis entrain de filmer quelqu'un qui parle et que je décide à un moment donné d'aller filmer son interlocuteur entrain de l'écouter, la parole de celui qui parle est préservé, la bidirectionnalité du micro prend la relève.Plus on est simple en documentaire, plus on est focalisé sur l'unique intérêt qui est le sujet du film et la manière dont on va essayer de filmer ceux que l'on va rencontrer."60(*)

Le travail de post production.

Durant mes rencontres avec les professionnels, j'ai noté qu'il était également important de parler du rôle des monteurs Son/mixeur, qui se doivent de travailler sur des films où souvent, le son a été délaissé. Je me suis donc interrogé sur le travail de post-production sur un film documentaire sans ingénieur du son.

Ce qui est souvent revenu, c'est le travail nécessaire de restauration du discours, dans le but de rattraper les erreurs, pour que la parole soit intelligible. Cela constitue d'ailleurs la majeure partie du travail du monteur Son, avant d'ajouter des ambiances ou des sons seuls.

Pour Sébastien Crueghe, le fait d'avoir un ingénieur du Son en tournage, permet lors du travail en post-production de s'occuper d'ajouter de la valeurs au support, plutôt qued'être dans un sauvetage du discours. Il détaille ce qui lui est déjà arrivé: "Je passe un certains temps sur Izotopeà "de-noiser" la voix en préservant son intégrité. Il m'est arrivé qu'après cette étape, je fasse marche arrière. En réécoutant la voix avant "de-noise", j'ai constaté que cela sonnait creux, sans matière. Il se passe un peu la même chose quand il m'ait demandé de casser des réverbérations. Dans ces moments de sauvetage, je conseille au réalisateur de ne pas venir les deux premiers jours."61(*)

Cédric Genet concède qu'il a déjà du discuter avec des réalisateurs de l'éventualité de sous-titrer certains passages de leur film.Cela peut être rédhibitoire par rapport aux diffuseurs et par rapport aux personnages présents dans le film.

Pousser trop loin le travail de "De-noise" peut avoir comme répercussion la perte des ambiances. Le monteur son est alors obligé de rajouter des ambiances pour que le spectateur ne sente pas l'artifice.

Il faut bien sûr ne pas généraliser le documentaire, certains films de témoignage au dispositif fixe tournée en studio peuvent éventuellement se passer de preneur de son.

Endiguer la situation?

A France 3 Marseille, les mixeurs et monteurs envisageraient de stopper leur collaboration avec les films produits sans techniciens. Pour Cédric Genet; le fait de diffuser des films moyens techniquement dessert complètement le film et le travail des techniciens. Quelle image peut avoir le spectateur d'un documentaire diffusé en province dans lequel la moitié des voix est inaudible?

"Le producteur a rédigé un budget prévisionnel pour percevoir des subventions, dans son calcul, le poste de l'ingénieur du son a été budgétisé. Puis plus tard, le réalisateur t'informe qu'il a tourné son film tout seul. Est-ce que l'aide à l'industrie est pertinente pour des projets ou l'argent a été utilisé d'une autre manière que celle prévu? le propos est peut-être noble mais il faut quand même que le réalisateur et le producteur aient un minimum d'exigence technique.62(*)(Cédric Genet)

Jean-PierreCellard estime qu'il vaut mieux ne pas faire de films si les conditions ne sont pas réunies pour produire une oeuvre de qualité. "Je suis persuadé qu'à France 3 par exemple, à un moment, ils vont dire au producteur qui n'emploie pas d'ingénieur du son, que ce n'est plus possible de livrer ce genre de films.Si le producteur pense plus à l'argent qu'il va économiser en se passant de techniciens qu'à la qualité du film, on ne viendra pas le chercher pour le prochain. Ne pas avoir un minimum d'exigence de qualité, c'est se cantonner à un registre qui ne peut que s'appauvrir, ce n'est pas une bonne idée entrepreneuriale.Peut-être que ce ras le bol pourrait venir des techniciens, rassemblés en association. Des réalisateurs se sont bien révoltés contre le salaire des premiers rôles dans le cinéma il y a deux ans."63(*)

CONCLUSION

Le film documentaire est un genre cinématographique et télévisuel existant depuis la fin du XIXème siècle. Il intéresse toujours autant de nos jours, de part sa diversité et ses formes hybrides, et est accessibleà un public assez éclectique.

Bien que le documentaire peine à trouver des financements, la télévision n'investissant plus autant qu'avant dans la production de films par exemple, les réalisateurs se risquent à tourner seuls, ce qui conduit à des films forts, mais où la qualité technique n'est pas toujours au rendez-vous, les équipes de tournage étant réduites.

Nous avons aussi vu qu'une centralisation trop rigide de l'audiovisuel français empêche les régions au fort potentiel technique et artistique de pérenniser leurs offres d'emploi et de collaborations. Paris et plus généralement l'Ile-de-France, semblent être le "Hub" du milieu documentaire (et plus généralement cinématographique), mais d'autres régions de France n'auraient-elles pas tout autant à offrir?

Nous nous intéressions plus précisément à la place de l'Ingénieur du Son dans le documentaire, et nous avons pour constater qu'il être un collaborateur essentiel dans la réalisation d'un film.

Ses compétences techniques et relationnelles sont nécessaires durant toutes les étapes du tournage; nous pouvons penser qu'il sera un réel partenaire de chemin, que ça soit pour le réalisateur, l'équipe technique, ou encore les personnages du film.

Son matériel de prise de Son a également évolué au cours des années, lui permettant d'être plus performant dans son travail, de proposer et de fournir au réalisateur des ambiances précises et des suggestions pour le montage.

Pourtant, durant mes recherches, j'ai pu constater que son statut n'était pas toujours acquis. Les difficultés économiques rencontrées par les sociétés de production en région lui permettent seulement d'intervenir occasionnellement sur des tournages, voir d'être remplacé par des nouveaux systèmes techniques.

Pour continuer à vivre de sa passion, l'ingénieur du Son se voit dans la nécessité d'acquérir de nouvelles compétences et d'être polyvalent. Sa place sur le tournage n'étant plus forcément acquise, il en trouvera peut-être une en post-production.

SOURCES ET RÉFÉRENCES

Ouvrages, Thèses, Mémoires & Rapports

GAUTHIER Guy, Le documentaire un autre cinéma, Brochet, Paris, 2011, 315p

LIOULT Jean Luc, À l'enseigne du réel. Penser le documentaire, Aix-en-Provence, Presses de l'Université de Provence, 2004, 175p

NINEY François, Le documentaire et ses faux-semblants, Paris, Editions Klincksieck, 2010, 207p,

NINEY François, L'épreuve du réel à l'écran, Paris,Deboeck, 2002, 347p

NOUGARET Claudine, Le son direct au cinéma,?Paris, Institut de formation pour les métiers de l'image et du son, 1997, 223p

MAURY Corinne, Habiter le monde Eloge du poétique dans le cinéma du réel, Paris, YellowNow, 2011. 190p

MAGNIER Vincent, Guide de la prise de son pour l'image, Paris, Dunod, 2011, 256p

THOUARD Sylvie, Le son documenté, Paris, Association La Revue Documentaires, 2007, 190p

CAILLET Aline, Dispositifs critiques : le documentaire, du cinéma aux arts visuelsRennes : Presses universitaires de Rennes, 2014, 146p

GAUTHIER Guy Le documentairepasse au direct, Montréal, VLB, 2003, 210p

RAFFARD Jean Philippe, Profession producteur, Paris, Dixit, 2004, 232p

MAURO Didier, Praxis du cinémadocumentaire, Paris, Publibook, 2013, 692p

MAGNIER Vincent, Pratique des liaisons HF pour la prise de son et la sonorisation, Paris, Dunod 2014, 224p

CAPLAIN Robert, Techniques de prise de son, Paris, Dunod, 2017, 208p

BALIBAR Lucien, La chaine du son au cinémaet à la télévision, Paris, Dunod, 2015, 320p

CARRIERJEAN-PIERRE, Le dictionnaire du cinémadocumentaire, Paris, Vendemiaire, 2016, 566p

Articles de presses & Blogs

Article de HELIE Roland, "Le Documentaire dans la tourmente", Auteurs-aquitaine.fr, 24/08/2015, En ligne: http://www.auteurs-aquitaine.fr/le-documentaire-dans-la-tourmente-entretien-avec-anna-feillou-dans-les-fiches-du-cinema/

Article de INCONNU Marc, "9 solutions pour financer un film (dont 3 radicales), cineaste-indépendant.fr, 01/06/2016, En ligne: https://cineaste-independant.fr/9-solutions-pour-financer-un-film-dont-3-radicales/

Article de COLLAS Gérald, "Le financement d'un genre en mal de définition", ina-expert.com, 01/09/2013, En ligne: https://www.ina-expert.com/e-dossier-le-documentaire-un-genre-multiforme/le-financement-d-un-genre-en-mal-de-definition.html

Article de Groupes de professionnels de l'audiovisuel et du cinéma, "L'audiovisuel, territoire oublié de la décentralisation", next-libération.fr, 19/09/2012, En ligne: http://next.liberation.fr/culture/2012/09/19/l-audiovisuel-territoire-oublie-de-la-decentralisation_847448

Article de BACHMANN Sophie, "Les réformes de l'audiovisuel depuis 1974", persee.fr, 01/01/1990, En ligne: http://www.persee.fr/doc/quad_0987-1381_1990_num_10_1_1312

Article de REPITON Isabelle, "Le documentaire cherche sa voie dans un paysage télévisuel mutant", ina-expert, 01/08/2013, En ligne: https://www.ina-expert.com/ina-expert/site-fr/ina-expert-ac/publications/e-dossiers-de-l/e-dossier-le/le-documentaire-cherche-sa-voie-dans-un-paysage-televisuel-mutant

Article de BARREAU-BROUSTE, "Le documentaire télévisé : les enjeux d'une définition controversée",ina-expert, 01/07/2013, En ligne https://www.ina-expert.com/e-dossier-le-documentaire-un-genre-multiforme/le-documentaire-televise-les-enjeux-d-une-definition-controversee.html

Article de LATOUR Karen, "Marseille, l'effet cinéma", La Provence, 30/08/2017, En ligne: http://www.laprovence.com/article/edition-marseille/4597253/marseille-leffet-cinema.html

Dossier de Association, Films en Bretagne, union des professionnels, "Production documentaire; un regard hexagonal", 2017, En Ligne: http://filmsenbretagne.org/publication/

Dossier du CNC "le marché du documentaire en 2016" CNC, 2017, En ligne: http://www.cnc.fr/web/fr/publications/-/ressources/12165425

PROFESSIONNELS RENCONTRÉS

Par ordre alphabétique: Thierry Aguila, Pierre Armand, Yves Capus, PhillipeCarrese, Jean-PierreCellard, Sébastien Crueghe, Emmanuel Desbouiges, Jean-Pierre Duret, David Diouf, Maxime Gavaudan, Baptiste Geffroy, Cédric Genet, Godefroy Georgetti, Laurent Lafran, Vincent Magnier, Henri Maikoff, Pierre Alain Mathieu, Fréderic Salles.

RÉSUMÉ

Ingénieur du son en documentaire: une place vraiment indispensable?

Le documentaire connait actuellement une crise de financement. Les réalisateurs ont toujours l'ardent désir de réaliser leur projet mais ont moins de financement pour le faire dans de bonnes conditions. Ils décident de tourner leurs films coûte que coûte dans une économie précaire, parfois sans place pour une équipe de tournage. Le métier de preneur de son en documentaire est un métier passionnant, complexe et exigent. Cependant il a connu un profond changement, beaucoup de projets le mettent à l'écart pour de multiples raisons.

Mots clés

Documentaire, Preneur de son, Ingénieur du son, Preneur de son-réalisateur,

Dispositif filmique, Relationnel, Collaborateur

SUMMARY

Sound engineer in Documentary: an essential element?

The documentary movie industry actually knows a financial crisis. Even if filmmaker want to carry out their project, it's really hard for them to find financing sources, and inevitably, it will be difficult to achieve their projects it in good condition.

If they finally decided to do it, they won't necessarily have finances to pay for a correct filming team, and have to do sacrifice.

The sound engineer in the documentary is a fascinating profession, complex and challenging. However, it's also a moving profession, which known a lot of change, good ones, like the evolution of their equipment and their position in the team for example, but also bad one, because a lot of project put them apart for different reason, like a financial problem and the budget cut for directors.

Key words

Documentary, Economy, Sound engineer, Director, Movie plan, Relational, Collaborate.

* 1CARRIER JEAN-PIERRE, Le dictionnaire du cinémadocumentaire, Paris, Vendemiaire, 2016, 566p, p7

* 2MAURO Didier, Praxis du cinémadocumentaire, Paris, Publibook, 2013, p312

* 34MAURO Didier, Praxis du cinémadocumentaire, Paris, Publibook, 2013, p313

* 5CARRIER JEAN-PIERRE, Le dictionnaire du cinémadocumentaire, Paris, Vendemiaire, 2016, 566p, p14

* 6Article: Le documentaire télévisé : les enjeux d'une définition controversée",ina-expert, 01/07/2013,

* 7 Le Marché du documentaire en 2016, CNC, 2017

* 8 Entretient avec Jean-Pierre Cellard le 28/01/2018

* 9Le Marché du documentaire en 2016, CNC, 2017

* 10 Entretient avec Thierry Aguila 17/01/2018

* 11Ibid

* 12Ibid

* 13 Article "Marseille, l'effet cinéma", La Provence, 30/08/2017

* 14 Association, Films en Bretagne, union des professionnels, 2017

* 15Ibid

* 16 Article de Groupes de professionnels de l'audiovisuel et du cinéma, "L'audiovisuel, territoire oublié de la décentralisation", next-libération.fr, 19/09/2012

* 17 Entretient avec PhillipeCarrese le 07/02/2018

* 18 Association, Films en Bretagne, union des professionnels, 2017

* 19 Entretient avec Jean-Pierre Duret le 16/01/2018

* 20 Entretient avec Henri Maikoff le 14/02/2018

* 21 Entretient avec Maxime Gavaudan le 02/02/2018

* 22 Entretient avec Vincent Magnier le 24/01/2018

* 23 Entretient avec Henri Maikoff le 14/02/2018

* 24 Entretient avec Vincent Magnier le 24/01/2018

* 25BALIBAR Lucien, La chaine du son au cinéma et à la télévision, Paris, Dunod, 2015, 320p, p126

* 26BALIBAR Lucien, La chaine du son au cinéma et à la télévision, Paris, Dunod, 2015, 320p, p54

* 27 Entretient avec Pierre Alain Mathieu le 29/01/2018

* 28 Entretient avec Laurent Lafran le 19/02/2018

* 29 Entretient avec Yves Capus le 22/01/2018

* 30 Entretient avec Vincent Magnier le 24/01/2018

* 31 Entretient avec Henri Maikoff le 14/02/2018

* 32 Entretient avec Cédric Genet le 16/01/2018

* 33 Entretient avec Yves Capus le 22/01/2018

* 34 Entretient avec Laurent Lafran le 19/02/2018

* 35 THOUARD Sylvie, Le son documenté, Paris, Association La Revue Documentaires, 2007, 190p, p13

* 36 Entretient avec Cédric Genet le 16/01/2018

* 37 Entretient avec Henri Maikoff le 14/02/2018

* 38 Entretient avec Frédéric Salles le 08/12/2017

* 39 Entretient avec David Diouf le 13/12/2017

* 40GAUTHIER Guy Le documentairepasse au direct, Montréal, VLB, 2003, 210p, p63

* 41 Entretient avec Godefroy Georgetti le 22/12/2018

* 42 Entretient avec Frédéric Salles le 08/12/2017

* 43 Entretient avec Maxime Gavaudan le 05/02/2018

* 44 Entretient avec Pierre Armand le 09/01/2018

* 45 Entretient avec Thierry Aguilla le 17/01/2018

* 46 Entretient avec Cédric Genet le 16/01/2018

* 47 Entretient avec David Diouf le 13/12/2018

* 48 Entretient avec Yves Capus le 22/01/2018

* 49 Entretient avec Yves Capus le 22/01/2018

* 50 Entretient avec Godefroy Georgetti le 12/12/2017

* 51 Entretient avec Henri Maikoff le 14/02/2018

* 52 Entretient avec Vincent Magnier le 24/01/2018

* 53 Entretient avec Pierre Alain Mathieu le 19/01/2018

* 54GAUTHIER Guy Le documentairepasse au direct, Montréal, VLB, 2003, 210p, p7

* 55Les stratégies de réalisation documentaire (Leçon7) https://www.canalu.tv/video/tcp_universite_de_provence/les_strategies_de_realisation_documentaire_penser_le_cinema_documentaire_lecon_7.6972

* 56 Entretient avec Jean-Pierre Duret le 08/02/2018

* 57Ibid

* 58 Rencontre avec Fréderic Salles le 08/12/2017

* 59 Entretient avec Cédric Genet le 16/01/2018

* 60 Entretient avec Jean-Pierre Duret le 08/02/2018

* 61 Entretient avec Sébastien Crueghe le 14/02/2018

* 62 Entretient avec Cédric Genet le 16/01/2018

* 63 Entretient avec Jean-PierreCellard le 28/01/2018






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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon