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Structure administrative et gestion de la population dans le département du Mbéré de 1983 à  2018


par Léandre TASSONA
Université de Ngaoundéré - Master 2 Histoire 2019
  

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Chapitre II : Déficit d'encadrement des localitésisolées dans les unités territoriales hôtes depuis 1983

L'État n'a de sens, et sa construction politique n'est durable que si son « utilité sociale » est établie104(*). Dans ce concert, le développement de services publics répondant aux besoins et aspirations des populations est à la fois un impératif et un sacerdoce pour la puissance publique105(*). La délivrance de services publics doit être perçue comme une mission régalienne de l'État qui seul, est en mesure de garantir l'équité et la justice dans l'accès des populations au bienêtre social. C'est donc à l'aune de sa capacité à prendre en charge les besoins incompressibles des citoyens, à travers le service public, que se mesurent la crédibilité et la viabilité d'un État. De la même manière, l'accès des populations aux services socio-économiques de base est une exigence morale, un droit, et une nécessité pour les populations qui aspirent naturellement à un développement harmonieux. Il constitue une question vitale pour les sociétés elles-mêmes, tant il est vrai que le « vivre ensemble » repose largement sur les avantages qui y sont attachés pour toute la communauté, et pour chaque citoyen. La satisfaction des besoins sociaux participe naturellement de la cohésion et de la stabilité des nations, de l'épanouissement individuel et de la prospérité collective des sociétés humaines. Dans ce sens, le service public est un élément fondamental de régulation sociopolitique, surtout dans un contexte de grande pauvreté.

Cependant, dans le Département du Mbéré le rapport administration/administrés semble ignorer l'importance capitale de la proximité entre l'État et le citoyen. Par conséquent, le fonctionnement de l'administration dans ce grand ensemble départemental s'accompagne des « grincements de dents » du côté des administrés que des administrateurs.

I- Accès limité des administrés isolés aux services administratifs

La digestion de cette partie passera par la convocation du concept d'isolement, qui en géographie, s'entend donc comme la description d'une situation dans laquelle un territoire et/ou une population est séparée du reste de son environnement par un ensemble de facteurs géographiques, économiques, politiques ou sociaux106(*). Au regard des critères définis, certaines zones des subdivisions du Département du Mbéré apparaissent comme un territoire isolé en raison de sa situation géographique, et de ses caractéristiques politico-administratives.

Une partie des territoires ruraux cumule différents handicaps qui se sont cristallisés au fil du temps. Il est possible de parler à leur endroit de véritables territoires de relégation107(*). En effet, la plupart de sa population est isolée, que cet isolement soit physique ou qu'il relève de blocages à la mobilité d'ordre administratif108(*). Il s'agit de mettre en évidence l'accès au service administratif. Une approche transversale est en effet nécessaire au niveau local, les espaces ruraux souffrent de l'attention limitée portée aux effets sociaux des politiques d'investissements notables109(*). Il est significatif que les données statistiques sur ces domaines, pourtant existantes, fassent rarement l'objet d'une présentation selon la variable spatiale. Cette attention insuffisante prêtée aux difficultés rurales, en s'accumulant et en se combinant avec des crises affectant l'épanouissement de ces espaces, finit par cristalliser des problèmes graves sur des « territoires de relégation » dans ces circonscriptions.

En effet, l'administration offre en général dans sa mission régalienne à la population, un cadre d'épanouissement qui se décline en deux : d'un côté, les services accessibles à tout citoyen quel que soit son appartenance administrative ; et de l'autre côté les services exclusivement réservés aux citoyens sous l'autorité de l'administration territorialement compétente. Ce dernier concerne les services comme l'établissement des actes de naissances, l'autorisation de manifestation publique, l'établissement du titre foncier etc. De ce fait, pour avoir accès à ces services, il faut se référer à l'administration territorialement compétente110(*). Ainsi, ce dernier aspect entrave énormément la communion entre l'administration et son sujetdans le Département du Mbéré.

A- Éloignement des centres d'état civil

Les communes de Meiganga, Djohong et Ngaoui comptent des milliers d'habitants. Selon un sondage récemment mené dans les centres de santé, les chefferies et les Services départementaux de l'éducation de base et secondaire, environ 25% des populations de ces communes ne disposent pas d'acte de naissance111(*), ce qui constitue une situation préoccupante pour les maires. Selon l'étude diagnostic par la suite menée, ce déficit est dû à l'insuffisance de moyens financiers, des techniques opérationnelles et à l'enclavement de nombre de villages112(*).

1- Coût du déplacement des populations des villages isolés vers les centres d'état civil

L'établissement d'actes de naissance au Cameroun est régi par l'ordonnance 81/02 du 29 juin 1981. Cette ordonnance précise que la mère, le père de l'enfant ou toute autre personne ayant assisté à la naissance peut déclarer la naissance de l'enfant, dans la mairie territorialement compétente. La déclaration doit se faire dans les 30 jours suivant la naissance. L'enregistrement des naissances obéit aux conditions suivantes : l'existence d'un centre d'état civil ; la présence d'un officier ou d'un agent d'état civil ; le bulletin de naissance établi par un personnel de santé du centre hospitalier où est né l'enfant113(*). De ce fait, les populations victimes de l'isolement administratif sont contraintes de parcourir une bonne dose de distance pour déclarer la naissance. Rappelons que quoiqu'un acte de naissance soit gratuit pour un enfant de moins de 3 mois, l'enclavement des villages occasionne des coûts de déplacement pour les parents qui doivent se rendre dans un centre d'état civil territorialement compétent pour l'établissement de ces actes de naissance. D'autre part, pour les enfants de 3 à 6 mois, les coûts s'élèvent à environ 2500 francs voire au-delà, à travers la procédure de jugement supplétif ; coûts de composition du dossier, déplacements, certification des papiers auprès des autorités, prise en charge des témoins aux audiences, etc., s'élèvent à au moins 30 000 francs CFA.

Seulement, selon Aboubakar Adamou chef de service de l'état civil à la Commune de Ngaoui, les déclarations se font après les délais et les actes s'établissent hors délais. Car sur 100 actes de naissance établis par cette Commune, plus de 85 le sont en marge des délais. « Il y a des parents qui arrivent lorsque l'enfant a atteint l'âge de l'école. Or, conformément à la loi, la mairie n'est plus compétente pour ce type de déclaration »114(*), affirme Aboubakar Adamou. Il fait observer que ces parents le font non seulement par ignorance mais aussi par le coût de la distance par rapport au centre d'état civil, puisque, poursuit-il, « lorsque nous leur demandons d'aller au tribunal pour obtenir un jugement supplétif pour leur enfant, ils considèrent que nous les envoyons en enfer, nous sommes obligés de les satisfaire et de les sensibiliser pour les prochaines naissances »115(*). Le secrétaire d'état civil le fait, pense-t-il, pour donner aux enfants relevant du territoire de la mairie de Ngaoui la chance d'avoir un acte de naissance. Car l'enregistrement des enfants à l'état civil leur permet de bénéficier d'un certain nombre de droits. La possession d'un acte de naissance offre à l'enfant la protection de la loi contre toutes formes d'abus et d'exploitation. Ainsi, le fait qu'un acte d'état civil ne soit transcrit dans les registres (non-enregistrement des naissances, des mariages et des décès) pose de nombreux problèmes116(*). Les enfants non-déclarés sont exclus du système institutionnel, ont un accès limité à l'éducation puisqu'il est nécessaire de posséder un acte de naissance pour s'inscrire à l'école ou pour passer l'examen du premier niveau. La possession d'un acte de naissance est aussi nécessaire pour officialiser une union à la mairie, trouver un emploi, prouver sa nationalité, son âge, faire valoir ses droits de succession, participer à la vie politique et exercer ses droits de citoyens (voter, se présenter aux élections)117(*). Au niveau étatique, les enfants non déclarés et sans acte de naissance n'ont pas une existence légale au regard de la loi. Ils ne jouissent pas d'une protection juridique et sont vulnérables à toutes formes d'injustice, d'abus et d'exploitation, trafic, exploitation sexuelle, etc.118(*) Ne pas déclarer un enfant à sa naissance ne permet pas aux autorités de déterminer le nombre exact des habitants vivant sur le territoire, et d'établir des politiques efficaces en matière de développement économique, de planification familiale, de politique sanitaire et éducative, d'urbanisation, etc.119(*)

Par ailleurs, des délais qu'on souhaite respecter scrupuleusement, relève Aboubakar Adamou, que les parents, malgré les efforts de certains centres de santés, ne se présentent pas à temps pour la déclaration de naissance. Oumarou Bouba qui a déclaré la naissance de son enfant quatre ans plus tard, accuse les méthodes du découpage administratif qui refuse de prendre en compte la proximité entre centres administratifs et périphériques. Ce qui rend complexe la délivrance de certains papiers. « Il m'a été demandé de parcourir 50 km pour faire établir l'acte de naissance de mon fils alors qu'il y a un centre d'état civil à moins de 3 km de mon village »120(*), affirme-t-il.

Au bout de cette aventure, ces populations isolées se heurtent inéluctablement aux difficultés de déclaration de naissance.

* 104R. Stéphane, 2003, Géographie politique et géopolitique,Une grammaire de l'espace politique. Paris, Ellipses, p.29.

* 105 Ibid.

* 106Ibid.

* 107R.Brunet, 2005. Les Mots de la géographie, Paris, La documentation française, coll. « Dynamiques », p.518.

* 108Entretien avec M Sylliac,Meiganga, le 14 août 2018.

* 109 Entretien avec Aba Emmanuel, Gari, le 16 août 2018.

* 110 Entretien avec Djidéré Gilbert, Ngaoui, le 20 août 2018.

* 111 Entretien avec Djidéré Gilbert, Ngaoui, le 20 août 2018.

* 112 Entretien avec Oumarou Issama, Djohong,le 22 août 2018.

* 113 M. Honoré 2009, Analyse du processus d'enregistrement des naissances, Yaoundé, IFORD, p.18.

* 114Entretien avec Aboubakar Adamou, Ngaoui, le20 août 2018.

* 115Entretien avec Aboubakar Adamou, Ngaoui, le20 août 2018.

* 116M. Aziz, 2008, Le système d'État civil en Afrique Subsaharienne, Paris, Réseau européen des villes Numérique, p.11.

* 117 Ibid.

* 118 Ibid.

* 119 K. Samuel, 2007, Comment améliorer les déclarations des faits d'état civil en milieu rural Camerounais : stratégies innovatrices pour l'enseignement des naissances, 5e conférence de l'UAPS, Arusha, p.15.

* 120Entretien avec Oumarou Bouba,Ngolo,le 16 août 2018.

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