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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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II - Postérité à l'époque moderne

a. Tibère et les Lumières

L'époque moderne n'est pas plus indulgente avec Tibère. En France, il apparaît dans les écrits des philosophes des Lumières. Voltaire (1694-1778) présente, dans son Dictionnaire philosophique (1764), un tyran indigne, faisant appel à la cruauté pour assouvir l'exercice de son pouvoir, tout en admettant que le propos repose sur l'interprétation de sources dont la fiabilité est discutable - nous y reviendrons à la fin du quatrième chapitre.

Montesquieu (1689-1755) consacre un chapitre à Tibère dans sa Considération sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734). Le propos est condamnatoire : Tibère a perverti le principat en transformant ce système politique, maladroit mais défendable, en une tyrannie marquée d'asservissement. Ce n'est pas tant l'échec politique que Montesquieu critique, mais l'exercice de la peur. En régnant avec fermeté, Tibère a annihilé la confiance que se portaient

les Romains entre eux. La vie devenait alors terreur87: Il y avoit une loi de majesté contre ceux qui commettoient quelque attentat contre le peuple romain Tibère se saisit de cette loi, et l'appliqua, non pas aux cas pour lesquels elle avoit été faite, mais à tout ce qui put servir sa haine ou ses défiances. Ce n'étoient pas seulement les actions qui lomboient dans le cas de cette loi ; mais des paroles, des signes et des pensées même : car ce qui se dit dans ces épanchements de coeur que la conversation produit entre deux amis, ne peut être regardé que comme des pensées. Il n'y eut donc plus de liberté dans les festins, de confiance dans les parentés, de fidélité dans les esclaves : la dissimulation et la tristesse du prince se communiquant partout, l'amitié fut regardée comme un écueil, l'ingénuité comme une imprudence, la vertu comme une affectation qui pouvoit rappeler, dans l'esprit des peuples le bonheur des temps précédents.88

Par peur, les Romains s'asservissent d'eux-mêmes, ils dénoncent le propos le plus innocent, glorifient leur oppresseur allant jusqu'à « proposer qu'il lui fût permis de jouir de toutes les femmes qu'il lui plairoit.89 » (le propos concerne ici Jules César, mais il pave la voie à ses successeurs et

86. Massie 1983, p. 8 : « When Gilles de Rais, sometime colleague of Joan of Arc, confessed in 1440 to crimes which included the seduction or rape and subsequent murder of some eight hundred children, he accounted for his atrocious conduct in the following way : he had read Suetonius, he said, and had been so impressed by his Life of the Emperor Tiberius that he had succumbed to a desire to emulate him. Such was the mediaeval reputation of the man whom the great German historian Mommsen was himself to call the most capable of emperors. »

87. Dans l'élaboration de ce mémoire, nous avons cherché à retranscrire les textes français anciens à l'identique. Il est possible que certaines retranscriptions aient été corrigées instinctivement, notamment en l'absence de tout accent grave (« Tibère » devient « Tibere »)

88. Laboulaye 1876, p. 229-230

89. Ibid., p. 231

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démontre à quel point la servilité est odieuse). Du moins, Montesquieu ne rejette pas toute la responsabilité de ces actes sur Tibère, qui ne fait que réduire des libertés déjà affaiblies par César et

Auguste. L'intention est, il le reconnaît, républicaine : Il ne paroît pourtant point que Tibère voulût avilir le sénat : il ne se plaignoit de rien tant que du penchant qui entraînoit ce corps à la servitude; toute sa vie est pleine de ses dégoûts là-dessus : mais il étoit comme la plupart des hommes, il vouloit des choses contradictoires ; sa politique générale n'étoit point d'accord avec ses passions particulières. Il auroit désiré un sénat libre, et capable de faire respecter son gouvernement; mais il vouloit aussi un sénat qui satisfît, à tous les moments, ses craintes, ses jalousies, ses haines; enfin, l'homme d'État cédoit continuellement à l'homme.90

Dans un propos ultérieur, Montesquieu compare Tibère au roi Louis XI (roi de France de 1461 à 1483). Leurs caractères lui paraissent semblables : ce sont deux hommes dissimulés, peu aimables voire haineux, haïs par la postérité qui voit en eux le type même du tyran. Mais le Romain est plus

avisé dans ses vices, les faisant moins paraître : Tibère et Louis XI s'exilèrent de leur pays avant de parvenir à la suprême puissance. Ils furent tous deux braves dans les combats et timides dans la vie privée. Ils mirent leur gloire dans l'art de dissimuler. Ils établirent une puissance arbitraire. Ils passèrent leur vie dans le trouble et dans les remords, et la finirent dans le secret, le silence et la haine publique. Mais si l'on examine bien ces deux princes, on sentira d'abord combien l'un était supérieur à l'autre. Tibère cherchait à gouverner les hommes, Louis ne songeait qu'à les tromper. Tibère ne laissa sortir ses vices qu'à mesure qu'il le pouvait faire impunément; l'autre ne fut jamais le maître des siens. Tibère sut paraître vertueux lorsqu'il fallut qu'il se montrât tel ; celui-ci se discrédita dès le premier jour de son règne Enfin Louis avait de la finesse, Tibère de la profondeur ; on pouvoit, avec peu d'esprit, se défendre de Louis; le Romain mettoit des ombres devant tous les esprits, et se déroboit à mesure que l'on commençoit à le voir. Louis, qui n'avoit pour eux que des caresses fausses et de petites flatteries, gagnoit les hommes par leurs propres foiblesses ; le Romain, par la supériorité de son génie et une force invincible qui les entraînoit. Louis réparoit assez heureusement ses imprudences, et le Romain n'en faisoit point. Celui-ci laissoit toujours dans le même état les choses qui pouvoient y rester, l'autre changeoit tout avec91

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery