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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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II - La cruauté

a. Un caractère cruel

Mais la conduite de Postumus Agrippa n'excuse en rien la prétendue cruauté du règne de Tibère. Peu avant sa mort, Auguste se serait écrié :« malheur au peuple romain, qui va devenir la proie

145. Maranon 1956, p. 44-45

146. Ibid., p. 76-77

147. Massie 1998, p. 257

148. Beulé 1868, p. 122

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d'aussi lentes mâchoires149 ». C'est en les renfermant sur Rome, à commencer par la haute société, que Tibère devient le mauvais empereur violent si décrié par la postérité. Ce prince fut « semblable à un oiseau de proie150», cherchant à éliminer tout ce qui se dressait contre lui, par des ambitions contraires ou des propos injurieux. Délation, condamnations, jalousies,... rien ne peut s'opposer à lui.

Le personnage de Tibère, du moins en dehors des ouvrages de réhabilitation, est un modèle de cruauté. Caricature des vices du tyran, chaque empereur représente un tort moral : Caligula est le fou criminel, Claude le maladroit ridicule, Néron l'artiste infantile, quant à Tibère, il est l'image même de la violence aveugle. Dans le drame de Francis Adams, en 1894, alors même que l'auteur est compatissant à l'égard du second prince de Rome, le personnage de Chaerea dénonce les vices de son prince. Si on sait que l'accusateur est indigne de toute sympathie, de par les répliques d'autres personnages (il est un tueur mandaté par la famille impériale pour éliminer ceux qui se dressent contre leurs intérêts), le lecteur doit prendre pour argent comptant les propos de l'orateur :

Il aimait sa femme Vipsania, si cela importe. Mais il en a divorcé et, par jalousie et surtout par méchanceté, il a détruit
le mari qu'elle avait pris. Pour confirmer sa répulsion, la laissant mourir désolée. Ensuite sa seconde femme dont il
devait être le gardien des fils, les héritiers d'Auguste, qu'en a-t-il fait ? Son misérable exil est une réponse ! Ensuite, ces
garçons, Gaius et Lucius, comment sont-ils morts ? N'étaient-ils pas des marches pour qu'il atteigne le sommet ?
Auguste, se reposant sur le fils de Tibère, le dissolu Drusus, choisit Germanicus, le fils aîné de Drusus. Et qu'arriva t-

il ? Bien qu'il ait sauvé l'empire et servi comme aucun homme ne l'avait fait, le souffle d'un lourd déshonneur
l'enveloppa avec une telle influence pestilentielle qu'il en mourut empoisonné en Syrie, et que Drusus prit sa place. Sa
mère, la mère de ce monstre, qui lui a tout donné, il l'a utilisée et rejetée. Même son titre, Augusta, laissé par le

testament de l'empereur, son fils lui a contesté : et il l'a ensuite accusée d'avoir commandité le meurtre de Germanicus avec Pison. Oui, il a disgracié sa mère, Augusta, la main qui l'a façonné à partir de la boue dans le moule de l'idole du monde. (...) Ô vertueux, philosophe, saint stoïque ! Ô boucher des plus nobles, des plus braves, des meilleurs de Rome

accumulant des centaines de douleurs et attirant les maladies, haïssant la vie et gémissait pour mourir ! Ô répugnante bête lubrique de Capri !151

La violence amuse Tibère, mais cette cruauté admet des limites. Ainsi, Gregorio Maranon reprend à son compte l'image de la gladiature, dont Drusus II était notoirement friand pour montrer que

certains vices dégoûtent encore celui qu'on veut condamner : Tibère s'amusait des plaisanteries et des aventures de son fils. Pourtant, il le réprimandait souvent, parfois pour des raisons futiles, tel son désamour pour les légumes de la table de l'empereur, parfois pour de plus sérieuses raisons, comme sa cruauté, qui le poussait à prendre un grand plaisir dans les spectacles sanglants de la gladiature. Ici, je noterai que, parmi ses autres grandes qualités, Tibère était unique parmi les empereurs romains. Les spectacles de gladiateurs le dégoûtaient, et en de nombreuses

149. Suétone, Tibère, XXI.

150. Dezobry 1847, p. 272

151. Adams 1894, p. 140-144

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occasions il voulut réduire leur nombre. Cela, pas la peine de le dire, nuisait à sa popularité - mais cette fois pour son crédit152.

Dans ses vieux jours, Tibère serait devenu incapable de porter la responsabilité de ses crimes. Il n'aspire plus qu'au repos et ne peut supporter la culpabilité qui le hante. Ainsi le dépeint Lucien Arnault dans Le dernier jour de Tibère, une tragédie où le prince est incapable de trouver le repos, entouré de lâches :

Venez vous asseoir près de moi.
Je souffre... Vous savez quel invincible effroi
Dans mes sévérités me reprochant des crimes ,
Des enfers sous mes pas entr'ouvre les abîmes.
Le mal réel n'est rien , mais tant d'émotions ,
Que produisent en moi d'horribles visions ,
De mes vils détracteurs adoptant les mensonges,
Torturent mon réveil, épouvantent mes songes :
Pison , Gernanicus , l'un sur l'autre appuyés ,
M'apparaissent sanglans et réconciliés;
Posthumus , Séjan même , et leur suite fatale,
M'appellent à grands cris sur la rive infernale
Enfin, dès qu'il fait nuit, seul avec ma douleur,
Je ne suis plus César, je suis homme... j'ai peur !153

Même motif chez Jean de Strada dans La mort des dieux. L'infâme ennemi de Dieu est transi par la peur en sentant la vie s'échapper et la damnation inéluctable :

J'ai tout tué, tout : bru, neveux, et petits-fils,
Ceux qui, petit enfant m'avaient aimé jadis ;
Sur les cadavres chauds, tombez, froides victimes. -
O le rouge horizon ! C'est l'océan des crimes. -
Partout le sang brûlant me barre le chemin. -
Toute ma race morte, et morte de ma main !
Nerva, Germanicus, Drusus, noble Agrippine,
Dans le hâle du sang mon remords vous devine.
Aïeux et descendants, vous êtes là, debout,
Votre sang dans mes yeux et dans ma tête bout.
Je ne vous connais pas. - Mais quel est donc leur nombre ?
Les visages affreux, ils vont, ils vont dans l'ombre ! -
Ai-je donc tant tué ? - J'ai tué ! J'ai tué ! -

152. Maranon 1956, p. 117

153. Arnault 1828, p. 30

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Eh bien, oui, j'ai tué ! - Qu'importe ? J'ai tué ! 154

Mais à l'image d'un Tibère empli de cruauté, les auteurs mettent parfois en lien celle d'Auguste dont la postérité a atténué les crimes, pourtant tout autant ignobles. Ainsi, Roger Caratini évoque les « autels macabres » élevés par Octave autour de Pérouse, où se terrent les partisans de Brutus et Cassius, sur lesquels il sacrifie les captifs à son père adoptif155. Chez Charles Dezobry, c'est l'historien Timagène qui s'insurge contre les hommages élogieux prononcés à la mort d'Auguste, dénués de toute vérité et niant une sombre réalité :

Oh ! Que vous avez raison de vanter sa clémence, quand il eut teint de sang romain la mer d'Actium, quand il eut
égorgé tous ses ennemis ! Je n'appelle pas clémence une cruauté assouvie. (...)
Qui ne se souvient des atroces vengeances qui suivirent la victoire d'Actium ? Un des vaincus demandant qu'au moins
on assurât sa sépulture : Les corbeaux y pourvoiront, répond le farouche vainqueur. Enfin, prêtant sa passion de
vengeance à un homme qui fut au moins clément, il fit apporter à Rome la tête de l'infortuné Brutus, et en souilla la
pied de la statue de César !
Attribuez-vous ces atrocités à l'emportement qui accompagne et suit quelquefois le combat ? Voyez-le dans un moment
de calme, à sa salutation même, faire saisir le préteur Q. Gallius sur le simple soupçon qu'il portait une épée cachée
sous sa toge, le jeter à la torture parce qu'au lieu d'épée on ne trouva sur lui que des tablettes doubles. Les tourments
n'arrachant point au malheureux l'aveu de projets criminels qu'il n'avait point médités, Octave, furieux, lui creva les
yeux de sa propre main, puis le fit massacrer par ses centurions et soldats.156

Dans cette même volonté de discuter des valeurs d'Auguste, Francis Adams présente un père odieux s'adressant à sa fille exilée, qui n'a plus raison d'exister à ses yeux et n'est plus digne que d'insultes :

Elle me provoque, donc ?
Tu es l'exécrable honte de ma gloire et de ma lignée !
Un cancer pire que deux cancers.
Dehors, dehors ! Sache que, sache que :
Tes rejetons doivent mourir, ces deux crapauds incestueux,
Ta Julie, ton Postumus. N'ouvre pas ta bouche !
Vas-tu partir ?
Infâme, exécrable sorcière, harpie, cancer
Honte à mon nom, exécrable incestueuse...157

154. Strada 1866, p. 254

155. Caratini 2002, p. 17

156. Dezobry 1847, p. 238-239

157. Adams 1894, p. 126-127 :

« She dares me, then ?

Thou execrable shame of my fame and line ! Cancer that didst eject two cancers fouler. Even than thyself, out, out ! Know this, know this : Thy spawn shall die, those two incestuous toads, Thy Julia and Postumus. Open not thy mouth ! Wilt thou begone ?

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Si Tibère fut cruel, il n'a rien à envier à son prédécesseur, si ce n'est la capacité à se faire pardonner. Auguste avait pu être aimé par son peuple et faire oublier ses torts. Tibère en fut incapable.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon