WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

II - Tibère, l'anti-dieu

a. L'ennemi des chrétiens

Dans le film La Tunique (1953), le personnage principal est un tribun romain, envoyé en Judée - à titre de punition pour avoir mécontenté l'héritier présomptif au trône, Caligula. Durant sa mission, il

271. Maranon 1956, p. 187

272. Strada 1866, p. 1

273. Ibid, p. 125

274. Ibid, p. 216

97

est chargé d'exécuter un prêcheur juif, une crucifixion qui lui ôtera le sommeil : car celui qu'il a fait mourir n'était pas un illuminé, mais le fils du Dieu unique.

En l'an 33 du calendrier chrétien meurt le prophète d'une religion nouvelle, crucifié par l'occupant romain, la plus grande puissance militaire de l'époque avec, à sa tête, un prince qui devient responsable de ce crime odieux. Ce prince, c'est Tibère. Dans un monde où la religion du condamnée est devenue la plus répandue, la postérité refuse le pardon à celui qui a mené les assassins du Seigneur, celui qui représentait l'archétype même de la bonté. Pendant des siècles, Tibère devint un monstre, l'empereur déicide qui, par une seule exécution, s'est rendu plus odieux au monde que tous ses successeurs réunis, Néron le tueur de chrétiens compris.

Pourtant, il semble que les premiers chrétiens n'aient pas haï Tibère pour cet acte. John Tarver, dans Tiberius the tyrant, réfute cette image, révélant que non seulement aucun gospel ou acte d'apôtre ne condamne l'attitude du prince mais qu'au contraire les contemporains du Christ prônaient le respect de l'Empire. La critique ne serait née qu'à partir de la Réforme275.

b. L'agneau contre le bouc

Ce titre est inspiré d'une réflexion suscitée par Marie-France David-de Palacio. S'intéressant à la littérature décadente du XIXe siècle, où le christianisme est souvent présenté, elle oppose deux personnages, mi-hommes, mi-animaux : le « Bouc de Capri », le surnom bestial que les détracteurs de Tibère utilisaient pour décrire sa puanteur présumée, et « l'Agneau Christique », le symbole de la pureté. Quelle que soit l'image utilisée, le fait est clair : l'on dissocie en tout points le Christ, messager du dieu d'amour, et Tibère, représentant la haine, la solitude et l'aigreur. Les auteurs de fiction se plaisent à confronter les pensées de ces deux « frères ennemis » - ou plutôt les pensées du « frère de haine », éprouvant un mélange de colère et de jalousie envers l'autre. Ainsi parle Tibère chez Wilhelm Walloth, haïssant à l'avance cette nouvelle religion qui prône les sentiments que sa haine a refoulé :

Aime ton prochain comme toi-même I Et cela devrait être un nouvel enseignement, une nouvelle religion ? C'est cela
que les hommes devraient pouvoir mettre en pratique ? C'est cela que ton nouveau dieu exige des hommes ? (...) Si
c'est cela qui doit devenir l'empire du nouveau dieu, alors son empire sera celui de la fausseté, de l'hypocrisie, du
mensonge : un empire digne de l'empereur Tibère I Son empire éternel I Les partisans de ce dieu de l'amour du
prochain s'appelleront fils de dieu, comme se nomme ce Jésus ; et ils mentiront à leurs prochains, qu'ils ont pour devoir
d'aimer comme eux-mêmes, ils les tromperont, et les haïront, ils les fouleront aux pieds, leur cracheront au visage, les

275. Tarver 1902, p. 430

98

mettront en croix et trouveront mille façons de les torturer à mort.276

Même colère chez Richard Voss, où le tyran s'offusque de se voir rappelé à de bons sentiments alors qu'ils sont la cause même de sa destruction :

La pitié ? Ton fils de dieu éprouve de la pitié ? De la pitié pour ce monde, pour cette humanité ? Et cela tu me le dis à moi, l'empereur, en qui toute pitié est morte ; qui ne veux pas qu'il puisse exister de pitié en ce monde ?277

La Mort des dieux de Jean de Strada témoigne de cette haine du prince envers les gens heureux. Tibère ne supporte pas la morale religieuse, s'y opposant volontairement par rage et voulant éliminant jusqu'au dernier les chrétiens qui, selon lui, se complaisent dans un monde de malheur, celui-là même qui l'a détruit. Il encourage alors Rome à la haine, laissant les augures répandre des rumeurs infâmes sur le culte chrétien, les débauchés à outrager les moeurs et les plus cruels à tuer sans discernement. Fidèle à ce propos, un chevalier ruiné, représentant du mal romain, se propose à « vêtir de poix » les chrétiens, à les allumer comme de « vivantes torches », à contempler les « tigresses repues » au cirque et à « dévorer de baisers » leurs femmes, tels des « lions

apprivoisés »278.

Dans cette optique d'opposition des deux personnages, Tibère devient, aux yeux d'auteurs chrétiens, un envoyé de Dieu qui, au contraire du Fils, fait office de punition envers le monde impie. Laurentie présente comme une évidence que « c'était lui [le Père] qui faisait régner cette (sic) homme hypocrite pour punir les péchés des hommes279 ».

Propos identique chez Lenain de Tillemont : Il a marqué visiblement que c'étoit lui qui faisoit regner cet homme hypocrite pour punir les pechez des peuples. Il le sauva dans son enfance de toutes sortes de perils, des ennemis, de la mer, d'un feu qui s'alluma tout d'un coup dans une forest lors qu'il y passoit, et qui brula même les habits et les cheveux de sa mere.280

Dans ce besoin de punir l'humanité, Dieu fait régner un tel homme, afin que les Romains comprennent les valeurs chrétiennes, celles qui leur permettent d'éviter les « princes cruels et infâmes, ou bestes » et de vivre dans l'harmonie. Ils apprennent que les « grandeurs humaines sont vaines et peu assurees », « les dignitez et les richesses plus propres à exposer à la mort qu'à

276. Walloth W., Tiberius, Leipzig : Hesse und Becker Verlag, 1889, p. 124-125

277. Voss R., Wenn Götter lieben. Erzählung aus der Zeit des Tiberius, Leipzig : Weber, 1913, in David-de Palacio 2006, p. 142

278. Strada 1866, p. 75

279. Laurentie 1862 II, p. 38

280. Lenain de Tillemont 1732, p. 22

99

conserver la vie » et qu'il faut « se jetter entre les bras de celuy qui nous a creez281».

Face à ce monstre se dresse le Christ, chargé de délivrer l'humanité des barbaries païennes. En mourant « comme un esclave pour racheter l'homme esclave », il prouve à l'humanité qu'elle n'a plus à douter de la divinité, à se réfugier dans la « rêverie découragée des philosophes282». A sa mort, « tout va revivre », et le sacrifice de « L'HOMME-DIEU » en ce temps où l'humanité est au point de déchéance le plus critique révolutionne la vie terrestre et met fin à des siècles - voire des millénaires - d'obscurantisme et de barbarie283. Tibère est l'ultime incarnation de la perversion, le maître sur Terre qui, malgré sa haine et sa puissance, ne peut pas briser l'humanité naissante portée par le martyr.

Une anecdote rapportée par Tacite, auteur qui ne témoignait d'une aucune sympathie pour le christianisme, a été relue par les auteurs de cette nouvelle religion pour appuyer ce propos. Cette histoire, c'est celle du phénix, un oiseau légendaire qui serait apparu en Égypte parallèlement à la mort du Christ. Chez l'auteur de l'Antiquité, le propos devait dénoter d'un caractère insolite, mais sans implications véritable sur l'Histoire. Pour les chrétiens, c'est une fable démontrant de l'imagination humaine et de son besoin de croire en des chimères pour échapper à une réalité douloureuse284, voire d'un signe de cette conscience de crise, dénotant de la réussite de la mission que Dieu avait confié aux « frères ennemis ». Sans doute les Romains ne le réalisaient pas, mais « le Phénix était mort à jamais, mais la Croix de Judée était immortelle.285»

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand