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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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II - Le personnage maléfique

a. La mort de Drusus

Les relations de Séjan et Drusus semblent avoir été notoirement malaisées. Le chevalier jalousait le prince, qui avait par l'hérédité un pouvoir supérieur au sien propre, malgré ses efforts sans cesse répétés, tandis que son rival avait percé à jour les ambitions de cet arriviste et reprochait à son père de lui préférer cet homme475. Porté à la colère, Drusus aurait un jour frappé Séjan au visage alors qu'il lui avait manqué de respect. La teneur du propos est inconnue, mais l'on suppose qu'il l'ait moqué (la série The Caesars en fait la réponse à des persécutions de prétoriens sur Claude, que Séjan approuve). De ce jour, Séjan aurait haï Drusus et se promit de le faire mourir476. Pourtant, l'héritier du prince était, selon Lidia Storoni Mazzolani, un personnage essentiel à la promotion politique de Séjan : quand, en l'an 22, des pièces furent frappées à son honneur, on associait son image à celle de Marcus Agrippa, son grand-père maternel, ce même homme qui, de Romain dissocié des classes supérieures, avait su se faire respecter par sa volonté et sa ténacité, passant ses dernières années dans l'honneur et la reconnaissance populaire. Par cet hommage, les Romains étaient rappelés au fait qu'un ministre de naissance obscure pouvait devenir un collaborateur, voire un membre de la famille impériale en récompense de ses efforts. Séjan avait donc un intérêt à ce que Drusus reste l'héritier de la famille, du moins le temps que sa propre expérience soit reconnue477.

474. Zeller 1863, p. 56-57

475. Massie 1983, p. 108-109 : Le propos est jugé infondé par l'auteur, Tibère ayant confié le consulat à son fils en l'an 21 et la puissance tribunitienne l'année suivante, preuve qu'il le préparait à la succession.

476. Kornemann 1962, p. 140

477. Storoni Mazzolani 1986, p. 254-255

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Toutefois, la haine et l'ambition de Séjan prirent le dessus sur cette idée. S'attachant à Livilla, la femme de Drusus, qui devint son amante, il décida d'empoisonner l'héritier au trône afin de précipiter sa promotion vers le principat. Pour Lenain de Tillemont, l'assassinat fut précipité par la peur que ses ambitions, percées à jour par son rival, soient révélées à l'empereur et qu'il perde sa position de favori. En se débarrassant de lui, plus personne - si ce n'est Agrippine et ses fils, dont l'inimitié avec Tibère rend la promotion difficile - ne peut se mettre sur son chemin. Séjan n'a donc plus à se contenir et peut étaler ses prétentions, tandis que la peine du père inconsolable, et la disparition de la dissimulation dont il faisait preuve pour ménager son fils, pervertit le principat478. Mais le geste n'était-il pas une réaction de défense ? Si Tibère venait à mourir, son fils lui succéderait : Séjan savait combien Drusus le haïssait et son arrivée au pouvoir pouvait coïncider avec sa propre déchéance. Il devait donc éliminer ce futur danger tant qu'il en avait encore la possibilité479. La mort de Drusus fut, pendant près de dix ans, vue comme le résultat d'une maladie, car on ne lui soupçonnait pas d'ennemis profitant du crime (aussi haïssable que soit Tibère, il semblait curieux que le père se résolve à supprimer son propre fils, qui plus est le dernier lien restant de son mariage heureux). Le prince lui-même semble avoir cru à cette hypothèse pensant que « la maladie dont il estoit mort estoit venue de ses debauches »480. De la part d'un homme aussi paranoïaque que Tibère, le propos semble ironiquement tragique. Ainsi s'exclame Jules-Sylvain

Zeller : Étrange aveuglement I Qui a permis quelquefois de douter de ces criminelles intrigues dévoilées plus tard par la délation. Tibère, le défiant, le soupçonneux Tibère ne vit rien I Il s'agissait de son fils. Son premier ministre, sa bru complotaient. Il n'eut aucun soupçon. Clairvoyant sur tout le reste, dans l'oeuvre de justicier qu'il se réservait encore, il laissa échapper ce qui l'intéressait le plus.481

Huit ans plus tard, en l'an 31, alors que Séjan vient d'être exécuté pour trahison, la femme dont il avait autrefois divorcé, Apicata, envoie une lettre destinée au prince avant de se suicider. Dans ses aveux, elle confesse savoir la vérité sur la mort de Drusus : c'est Livilla, appuyée par Séjan, qui a éliminé le fils de l'empereur. C'est tout le propos du Tibère à Caprée de Bernard Campan, où la femme rejetée, renommée ici Émilie, veut dénoncer de son vivant les « regrets superflus » de celle dont les pleurs « ont à peine mouillé (le) visage », sans que Tibère y accorde foi482. Après avoir compris qu'elle lui a révélé la vérité, il révèle sa fureur en éliminant immédiatement Séjan et ses enfants, et condamne Livilla (ici Livie483), à recevoir sa condamnation de vive voix. Il renie celle

478. Lenain de Tillemont 1732, p. 33

479. Levick 1999, p. 61

480. Lenain de Tillemont 1732, p. 33

481. Zeller 1863, p. 57

482. Campan 1847, p. 53

483. On distingue « Livie » de « Livilla » par un suffixe approximativement traduisible par « la petite ». Dans les faits, elles avaient le même nom. De la même manière, si le surnom est plus rarement retranscrit, on retrouve parfois le nom « Agripinilla » pour nommer la fille d'Agrippine.

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qui fut sa fille, désormais « un objet dégagé des liens qui (l'unissaient) à lui484» et condamne la honte qu'elle a apporté à sa famille485.

Par sa tromperie et son irrespect des valeurs familiales, Livilla est passée à la postérité comme un personnage infâme, déshonorant ses ancêtres et ses descendants en sacrifiant son honneur à ses ambitions486. La condamnation est parfois rude, on pensera notamment à celle de Linguet, parlant de

sa perversité et de ses bas-instincts : Quand une femme intrigante et voluptueuse en est venue là, elle n'a plus rien à refuser à un homme qui peut satisfaire tous ses goûts. Aussi Séjan ne craignit point de faire part à sa nouvelle maîtresse de ses projets. Elle ne se contenta pas de les adopter. Elle voulut en devenir complice. C'étoit souiller son nom et sa naissance. C'étoit hasarder des droits inconstestables, contre des espérances aussi éloignées que criminelles. Son mari étant héritier présomptif de l'Empire, lui en assuroit légitimement la possession. Séjan ne pouvoit encore lui faire partager que ses crimes, et il étoit fort douteux qu'il pût jamais faire davantage pour elle. Mais il y a des coeurs qui ne goûtent les plaisirs que quand il se font déshonorans. Pour eux l'infamie même devient un besoin. Tel étoit celui de la Princesse, et en peu de tems Drusus mourut empoisonné.487

Pourtant, la culpabilité de Livilla fut remise en question par les Modernes. Il semble peu probable qu'elle ait été impliquée dans ce crime qui ne lui profitait en rien. C'est la thèse de Gregorio Maranon : Drusus II était le fils de l'empereur et son héritier d'évidence, alors pourquoi Livilla se serait séparée de lui, si l'ambition était le motif de ce crime, pour s'allier à ce ministre dont les prétentions n'avaient aucune garantie ? Il lui suffisait d'attendre la mort de Tibère pour devenir l'impératrice, femme du prince Drusus et mère du prince héritier Gemellus. S'il y eut implication, ça ne pouvait être que par amour, bien que l'auteur comprenne mal l'attrait que cet homme mûr pouvait avoir pour la femme d'un « viril garçon fringuant »488. Ainsi, pour la réhabiliter, les auteurs lui attribuent un attachement particulier à Séjan et un désamour pour un mari avec qui les différences de caractère rendaient le contact difficile. Dans Poison et Volupté, elle aime encore Drusus, mais confie à sa mère qu'elle entretient une liaison extra-maritale pour avoir un homme à qui parler, qui comprendrait ses problèmes, tandis que son mari ne pense qu'aux jeux du cirque et à la boisson489. Même image dans la série The Caesars, où Drusus humilie sa femme en convolant auprès de femmes de peu de vertu durant la réception organisée à la gloire de Germanicus, attisant sa colère et renforçant l'antipathie du spectateur pour ce mufle. Peut-être aussi Livilla cherchait en Séjan un appui pour protéger et promouvoir Gemellus, Drusus étant trop inactif et trop impopulaire pour

484. Ibid., p. 60

485. Voir ANNEXE 3

486. Laurentie 1862 I, p. 420-421

487. Linguet 1777, p. 115-116

488. Maranon 1956, p. 119

489. Franceschini 2001, p. 31-32

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permettre à son fils de s'affirmer face aux descendants de Germanicus. La série sus-citée suit ce postulat, Drusus ayant avoué à sa femme la volonté de Tibère : faire de lui un « prince régent » s'il venait à mourir avant que Néron ait la maturité nécessaire. Un homme influent comme Séjan ne pouvait que protéger le jeune garçon des ambitions de la dangereuse Agrippine490.

Il est une dernière façon de réhabiliter Livilla, et de diminuer le nombre des crimes commis par Séjan : et si Drusus était mort de maladie ? Trois faits semblent supporter ce propos. Tout d'abord, sa mort ne suscita pas de rumeurs quand à sa cause. Ensuite, quand les accusations furent prononcées, on mit sous la torture les esclaves soupçonnés du meurtre : s'ils étaient coupables, pourquoi n'avaient-ils pas été éliminés plus tôt pour conserver le silence491? Enfin, la dernière cause relève de la psychologie : l'accusatrice, Apicata, venait de voir mourir ses trois enfants et son ancien mari, ce par la faute de Tibère. N'y avait-il pas de meilleure manière de se venger que de raviver une peine enfouie dans le coeur du prince, le renvoyant à son aveuglement face à un prétendu meurtre qu'il n'aurait pas su déceler sur le moment ? C'était alors l'accusation d'une femme dont la famille avait été détruite et qui ne voulait pas mourir sans tenter un dernier acte de vengeance492.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault