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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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c. Réhabiliter Séjan, une mission impossible ?

Tout au long de ce mémoire, nous revenons sur la difficulté de réhabiliter Tibère qui, pourtant, fait l'objet de tentatives multiples, parfois avec succès. Pour Séjan, le problème est tout autre : rien ne semble permettre de revenir sur l'image ignoble passée à la postérité.

Aux crimes de sang, Charles Beulé revient sur les crimes moraux. N'épargnant rien à ce ministre indigne, il en fait un arriviste ayant obtenu ses premières promotions par la dégradation sexuelle. Ainsi, il aurait vendu fait trafic de sa beauté - « à la façon antique » - avec le riche Apicius, une débauche qui rend les « reins souples » et apprend à ne plus rougir aux intrigants les plus détestables503. La seule postérité digne de cet homme serait celle de la traîtrise, de sa fortune, ses crimes et de sa chute méritée504. En conclusion du chapitre qu'il lui consacre, et il reconnaît lui-même se dégoûter d'avoir à parler d'une telle « ordure humaine », il rapporte sa propre vision de

Séjan : Ne me demandez donc point ma compassion pour ce coupable ministre, qui a perverti son bienfaiteur, qui s'est fait l'excitateur de ses mauvais instincts et le plus complaisant des bourreaux. Il a été puni justement, car il a créé des maux temporaires en arrachant à ses concitoyens leur fortune, leur liberté, leur vie, et consacré un mal durable par l'établissement du camp prétorien. En campant des ennemis perpétuels dans Rome, en tournant contre sa patrie les

500. Ibid., p. 308

501. Massie 1983, p. 114

502. Levick 1999, p. 136

503. Beulé 1868, p. 266

504. Ibid., p. 309

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forces destinées à la défendre, en préparant à l'empire un sanctuaire néfaste, en donnant aux races futures cet exemple funeste d'oppression, Séjan a mérité l'horreur de la postérité.505

Le propos de Charles Beulé atteint les extrêmes de la condamnation. Il est plus édulcoré chez Gregorio Maranon, qui décrit l'image retenue par la postérité, défendue par la plupart des historiens : celle d'un ministre perfide, responsable en partie de l'image de Tibère et déshonoré par ses ambitions506. Semblable à Agrippa, mais dépourvu de ses vertus, il a tenté de l'imiter sans succès. L'ami d'Auguste était parvenu à des distinctions inimaginables pour un homme de sa naissance et avait su modérer ses ambitions, mourant en héros pleuré du peuple après une vie exemplaire. Séjan fut moins diplomate et, tel Icare, il a voulu monter trop haut - s'offrant à la chute507.

Pourtant, on peut nuancer l'image entièrement assombrie que la postérité a offert à Séjan. Peut-être était-il un imprudent qui, s'élevant dans un environnement de corruption sociale, devint le bouc émissaire de son époque. Sa conspiration contre Tibère n'était pas obligatoirement motivée par sa seule ambition, peut-être l'était-elle pour des motifs qu'il était le seul à connaître - ou que personne ne voulut lui reconnaître. Aussi horrible que fut Séjan, on doit être amené, pour Maranon, à plus plaindre le conspirateur payant son crime de sa vie que l'empereur cruel mort âgé dans son lit508.

C'est un fait, on ne connaît que peu les années du « règne » de Séjan, si ce n'est pas le témoignage de son ennemi Tacite. A la suite de sa condamnation, toutes ses images ont disparu : les médailles furent fondues, les statues détruites, les inscriptions grattées509. Comme bien des perdants de l'Histoire, il n'eut aucune descendance naturelle ou politique pour le défendre et les rares propos nous rapportant sa mémoire sont des condamnations morales prononcées par ses vainqueurs510. De son « règne », on ne sait guère plus qu'il n'a pas laissé un bon souvenir, et ce point même peut être un témoignage ultérieur destiné à condamner sa mémoire. Si Séjan pouvait être réhabilité, les sources le permettant ont disparu avec lui511.

Toutefois, il nous faut citer deux propos de fiction réhabilitant, ou du moins expliquant les

505. Ibid., p. 311-312

506. Maranon 1956, p. 127

507. Ibid., p. 131

508. Ibid., p. 142-143

509. Beulé 1868, p. 309 : dans la citation, Charles Beulé rapporte que le souvenir de Séjan est désormais dans les casseroles et poêles à frire composées des métaux obtenus en fondant les pièces à l'effigie du ministre

510. Lyasse 2011, p. 135-136

511. Ibid., p. 164

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motivations de Séjan dans l'exercice de ses actes. Dans les Mémoires de Tibère, il vit dans la peur constante d'un complot contre sa vie, et va en référer à Tibère :

Je me doute, dit-il, que c'est pour toi une tentation que de croire que, dans cette île paradisiaque, tu as échappé au
monde. Moi, je ne suis pas hors du monde. Je suis en plein milieu de ce sanglant gâchis. Tu as sauvé ce jeune Germain
des arènes, mais tu m'as laissé livrer tes combats là-bas. Eh bien, j'ai un aveu à te faire. J'ai peur. Voilà. Tu n'aurais
jamais que tu m'entendrais un jour reconnaître une telle chose, mais j'ai aussi peur que ce petit Germain au moment où
il gisait dans le sable et voyait le monde s'éloigner de lui, le laissant face à face avec la mort. (...) Mais la peur que je
connais est différente. C'est la terreur qui te traque sans cesse, à tout moment. Quand quelqu'un s'approche pour
présenter une requête, je me demande s'il n'est pas le meurtrier qu'on ma dépêché. Je tente de me rassurer en me disant
qu'il a été fouillé par les gardes, qu'il ne peut vraiment pas avoir d'arme sur lui. Puis je me dis que mes gardes ont
peut-être été subornés. C'est à cela que m'a condamné ma dévotion à ta personne et à tes intérêts.512

Enfin, dans la pièce de Francis Adams, alors qu'il se sait condamné, il fait le résumé de sa vie à sa fille : il a vécu dans le dégoût d'être honoré en meurtrier, éliminant les rivaux de Tibère sur ordre de Livie, empoisonnant Germanicus, Agrippine (sans succès) puis Pison, ce dernier meurtre entraînant la disgrâce de la vielle femme. Servi par Livilla pour poursuivre ses actes, Séjan dut lui sacrifier Drusus, Agrippine et Néron, tandis que Tibère lui faisait tuer Gallus. Chaerea est devenu plus utile et moins scrupuleux que lui, Séjan devient un fardeau qu'on élimine alors que son successeur prépare le « malin, fou, môme, animal et bouffon » Gaius513.

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