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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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d. Le viol

Malgré leur horreur, aucun de ses crimes ne peut égaler l'ignominie de l'acte commis dans les geôles de Rome au lendemain de la mort de Séjan. Alors que le ministre était mis en pièces, que ses partisans étaient pourchassés, une fillette était violée par son bourreau avant d'être étranglée, ce pour satisfaire autant la cruauté (in)humaine que la loi romaine543.

Légalement, il était interdit d'exécuter une femme vierge, quand bien même on l'eut condamnée pour un crime d'ordre majeur - du moins n'y avait-il pas de précédents. Dans le cas de la fille de Séjan, alors enfant544, le bourreau se voyait interdit d'exécuter une vierge. Junilla aurait alors été violée avant d'être exécutée. Ce crime semble trop horrible pour que les auteurs s'y attardent, ne s'attachant qu'à l'évoquer lors du récit des purges et à commenter l'horreur qu'ils éprouvent en parlant de cet acte. Ainsi, Villemain, qui ne ménage habituellement pas Tibère dans la description de ses crimes, se contente de dire qu'on « n'épargna pas même sa fille à peine sortie de l'enfance ; et, comme la loi défendait le supplice d'une vierge, elle fut violée par le bourreau avant d'être mise à mort. Cette infamie, renouvelée pour d'autres victimes, était commandée par Tibère.545». Sur le même modèle, l'anti-tibérien Jean de Strada, qui se plaît à démontrer des horreurs pratiquées par les Romains, évoque davantage le spectacle des corps sanglants que le viol de la jeune fille :

TIBERE
Ses fils ?
MACRON
Pris, comme on voit les feuilles dans le vent.
Mais aux vierges la loi fait grâce de la vie,
Sa fille est une enfant ; qu'à Diane asservie...
TIBERE
Qu'on viole et qu'on tue ! Assez de ce Séjan.
Que fait Rome, dis-moi, pendant cet ouragan ?546

542. Ibid., p. 224

543. Maranon 1956, p. 196-197

544. Elle fut fiancée en 20 ap. J.-C., on suppose donc qu'elle n'avait pas plus de quatorze ans à sa mort

545. Villemain 1849, p. 92

546. Strada 1866, p. 170

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Le fait d'éliminer de jeunes enfants est horrible, mais la décision de Tibère peut être défendue jusqu'à un certain point. Si la victime est innocente et incapable de faire le moindre mal dans son état actuel, elle est marquée à vie par le préjudice porté envers sa famille et peut chercher à la venger dans l'avenir. La fermeté et la prudence auraient dicté l'étranglement seul, un geste déjà indigne aux yeux de la postérité. Aussi horribles que soient les scènes de purges, le voyeurisme lubrique ou les assassinats lâchement perpétrés, il n'est rien de plus infamant pour l'image de Tibère que d'avoir donné l'ordre de ce viol.

En était-il coupable ? Le propos est contestable. Au milieu des purges, où chacun mêlait la colère et l'envie de contenter le prince vengeur, il n'est pas impossible que cet acte ait eu pour objectif de dégrader l'image de la famille de Séjan et de satisfaire le sadisme de tous. Peut-être l'ordre fut-il prononcé par le Sénat lui-même - c'est l'hypothèse d'Allan Massie, qui fait émettre des regrets à l'empereur à la vue de telles scènes, une vengeance justifiée envers un traître qui devient une débauche de crimes indignes :

Je m'étais borné à ordonner l'arrestation de Séjan. Les sénateurs n'eurent besoin d'aucun encouragement pour
s'embarquer dans une orgie de vengeance. (...) Ni sa famille ni ses proches ne furent épargnés. Même ses enfants furent
mis à mort sur l'ordre du Sénat. Après débat, il fut décidé que sa fille, âgée de treize ans, serait d'abord violée par le
bourreau, car la loi interdisait l'exécution des vierges nées libres. Et un sénateur (...) souligna que transgresser cette loi
risquerait d'attirer le malheur sur sa cité. Comme si l'on n'avait déjà nagé dans le malheur !547

Voltaire est tout aussi perplexe quant à la véracité de l'information. Dans son Dictionnaire Philosophique, il fait allusion à l'affaire dans son article « Défloration ». Il cherche à contester l'article du même nom dans le Dictionnaire encyclopédique, réfutant la nécessité légale de dépuceler une condamnée à mort. Pour lui, « si une fille de vingt ans, vierge ou non, avait commis un crime capital, elle aurait été punie comme une vieille mariée », et l'interprétation de cette loi devait être liée à l'image de l'enfance plus qu'à celle de la pureté548. Ainsi, le crime n'avait pas de fondement juridique et n'était qu'un acte de barbarie, « outrageant la nature ». Toutefois, Voltaire ne veut pas se servir de cette constatation pour condamner la mémoire de Tibère : Tacite rapporte le récit de l'événement, non sa véracité. En conclusion, sa critique vise plus à contester les ragots populaires qu'à s'attaquer aux criminels présumés : « quel livre immense on composerait de tous les faits qu'on a crus, et dont il fallait douter !549»

547. Massie 1998, p. 304-305

548. Dans son article, Voltaire fait de Junilla une fillette de huit ans

549. Voltaire1879, p. 83-84

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Nous reviendrons en détail sur la Voluptueuse Agonie dans le chapitre consacré au roman décadent. Dans cette nouvelle, l'auteur, Gaston Derys, a cherché à faire du récit du viol de Junilla un propos érotique et malsain, où la jeune fille trouve le plaisir dans les derniers instants que lui impose son bourreau, une brute germanique hésitante au moment de la mettre à mort.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams