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L’administration de la coercition légitime en république. Les institutions de l’état face à  l’anarchisme dans les années 1880.


par Amélie Gaillat
Institut des études politiques de Paris - Master de recherche en Histoire 2019
  

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4.2 - La magistrature, autre acteur de la répression politique

Nous constatons que les discussions à la Chambre des députés au moment du procès des 66 s'inscrivent toujours dans un débat plus large concernant la réforme de la justice. Par conséquent, pour saisir tous les enjeux liés à la répression du mouvement anarchiste au début des années 1880, il nous faut nous intéresser de plus près à l'institution judiciaire. Celle-ci permet d'étendre l'analyse de la technostructure du maintien de l'ordre en interrogeant la place des magistrats dans l'appareil d'État républicain. Si la notion d'indépendance de la justice fait partie intégrante de l'idéologie libérale, ce principe fondamental est mis à l'épreuve par l'administration judiciaire D'une part, les travaux de Royer et Machelon révèlent la limite de l'épuration des cadres juridiques à l'instar de ceux de la haute police et

50Pierre Waldeck-Rousseau à la Chambre des députés le 19 mars 1883, Journal Officiel de la République Française, 20 mars 1883, p.665.

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présentent la magistrature comme un corps relativement conservateur51. D'autre part, les dossiers des magistrats conservés aux AN retracent le parcours d'hommes souvent en fonction sous le second empire récompensés pour avoir traduit en justice les anarchistes de Lyon52. Ces éléments nous permettent alors d'étudier la dimension politique de la justice sous la Troisième République.

A) Encore un héritage du régime impérial ?

« La notion de justice politique a toujours suscité une grande répugnance chez les esprits libéraux » écrit le juriste Jean-Pierre Machelon dans son ouvrage La République contre les libertés ?53. Partant de ce postulat, il est logique de trouver dans la tradition républicaine une opposition de principe à ce concept. Or, en 1883, seuls les députés les plus radicaux semblent encore attacher de la valeur à un pouvoir judiciaire indépendant, les opportunistes trouvant un intérêt politique à faire de la justice une autre composante de la machine d'État.

Comme pour l'administration policière, il est nécessaire de s'interroger sur une possible épuration des institutions judiciaires par les républicains en 1879 et plus particulièrement sur le corps de la magistrature dont les « compromissions avec l'ordre impérial » n'ont pas été oubliées par les plus libéraux54. Le débat sur la réforme de l'organisation judicaire qui se tient à la Chambre tout au long de l'année 1883 fait écho aux positions des députés les plus radicaux. Ainsi, Camille Pelletan argumentant en faveur d'un changement en profondeur de la magistrature en profite pour évoquer les liens de ses membres avec le Second Empire :

« Et alors, messieurs, je me rappelais ces longues protestations contre la magistrature inamovible qui remplissent les programmes politiques depuis le commencement de ce siècle. Je me rappelais le rôle politique de la magistrature depuis le jour où elle a bien un peu traîné sa robe dans la boue

51 Jean-Pierre Royer et al. Histoire de la justice en France: du XVIIIe siècle à nos jours. Puf, 2016. et Jean-Pierre Machelon, « L'épuration Républicaine. La loi du 30 août 1883 » dans L'épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération: 150 ans d'histoire judiciaire, Éd. Loysel, 1994, p.87-100.

52 AN, BB 6 (II). Dossiers de carrière des magistrats.

53 Jean-Pierre Machelon, La République contre les libertés ?..., op.cit., p.130.

54 Jean-Pierre Royer et al., Histoire de la justice en France..., op.cit., p.689.

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de décembre, jusqu'à celui où elle a dépassé, par son concours exubérant, les espérances et peut-être même les désirs des chefs du gouvernement de l'ordre moral55. »

Néanmoins, la question de l'épuration de la magistrature, à l'instar de celle de la police, se pose à chaque changement de régime. Ainsi, dès le début de l'année 1871 le ministre de la justice de la Défense Nationale, Adolphe Crémieux, fait passer deux décrets écartant les magistrats ayant participé aux commissions mixtes de 185256. A la suite de la victoire de Thiers à l'Assemblée fin février 1871, Jules Dufaure est nommé garde des Sceaux et fait voter un texte le 25 mars de la même année pour annuler les décrets Crémieux57. Par ailleurs, l'inamovibilité des magistrats n'est pas remise en cause durant cette période, et lorsque Dufaure est nommé président du conseil en 1877 il s'attaque aux réformes mises en place à la chute de l'Empire pour préserver une magistrature à tendance conservatrice en accord avec l'opinion de la société française de cette période58. Nous pouvons ici faire un parallèle avec les épurations et les contres épurations qui ont touché la direction de la Sûreté Générale en 1870 directement liées au changement de majorité59. En 1873, lors du retour du gouvernement de l'ordre moral, la magistrature se ferme aux candidats républicains60. Les tensions politiques qui marquent l'année 1877 voient l'institution judiciaire se faire instrumentaliser par le pouvoir conservateur promouvant des avocats à tendance Bonapartiste61. La victoire des Républicains par la suite permet à Jules Dufaure de reprendre son poste de ministre de la justice mais sa réforme reste modérée - il écarte seulement les magistrats les plus notoirement antirépublicains - et ne remet pas en cause la question de l'inamovibilité de ce corps de

55 Camille Pelletan à la Chambre des députés le 28 mai 1883, Journal Officiel de la République Française, 29 mai 1883, p.1089.

56 Association française pour l'histoire de la justice, L'épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération: 150 ans d'histoire judiciaire, ed. Loysel, 1994, p.70-71.

57 Ibid., p.75.

58 Ibid., p.77.

59 cf. Chapitre 2.

60 Association française pour l'histoire de la justice, L'épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération..., op.cit. p.78-79.

61 Ibid., p.79-80.

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justice62. La similarité avec l'appareil policier est flagrante : les opportunistes s'attaquent à la réforme du personnel qui a une dimension publique mais ne contestent pas les fondements de l'institution. La machine d'État se constitue largement des institutions instaurées par les régimes précédents.

Cependant, en comparaison avec les mandats de Jules Dufaure, cette question de la réforme de la magistrature semble être au centre des réflexions républicaines dès la fin des années 1870, puisque Jules Grévy déclare dès 1878 : « Je ne connais qu'une réforme à réaliser dans la magistrature, c'est sa suppression » 63. Par la suite, ce débat va se cristalliser autour de la contradiction qui existe entre la République et l'inamovibilité de certains corps judiciaires64. Ainsi, la loi du 30 août 1883 révèle que les républicains au pouvoir ne prennent pas de décisions définitives concernant cette réforme, puisqu'ils se prononcent seulement pour la suspension d'une durée de trois mois des magistrats65, continuant à entretenir une relation ambiguë avec cette institution dépendante du pouvoir exécutif. Jules Ferry, alors président du conseil, assure la même année que lui et les opportunistes demandent « des magistrats respectueux des institutions républicaines, non des magistrats de combat »66. La question d'une épuration de la magistrature à défaut de sa suppression apparaît comme la stratégie privilégiée par le nouveau gouvernement. C'est dans cette logique que s'inscrit le remplacement d'une grande partie du personnel du parquet peu de temps après la nomination d'Henry Waddington à la présidence du conseil en 187967. Selon, Jean-Pierre Royer et ses coauteurs, malgré les débats qu'elle a pu susciter, la loi du 30 août 1883 à entraîné l'éviction de plus de 900 magistrats68. Remettant en cause les propos de Ferry, Machelon considère que la loi est un « texte de combat qui ne dit pas son nom »69 et s'apparente à une épuration brutale

62 Ibid., p.81.

63 Cité par Jean-Pierre Royer et al., Histoire de la justice en France : du XVIIIe siècle à nos jours, op.cit., p.691. 64Ibid., p.696.

65 Ibid., p.698-699.

66Ibid., p.700.

67 Ibid., p.706.

68 Ibid., p.710.

69Association française pour l'histoire de la justice, L'épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération..., op.cit., p.89.

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pour les 600 magistrats dont les postes ont été supprimés à la suite de la suspension de l'inamovibilité70. Néanmoins, les protestions des radicaux peuvent être considérées comme légitimes puisque la réforme des opportunistes ne rompt pas avec le système de « patronage politique » cher aux régimes précédents, car la nomination des candidats reste l'apanage du gouvernement71. De plus, Jean-Pierre Machelon relativise largement l'impact qu'a la législation sur « l'amélioration du statut des magistrats »72. Le juriste reproche notamment aux opportunistes leur manque d'ambition réformatrice en 1883, conservant à leur avantage la servilité du juge au gouvernement qui l'emploie73. Ceci transparaît directement dans le refus de l'élection de la magistrature, confirmant de la même façon des pratiques de nominations héritées de gouvernements autoritaires. Jean-Pierre Machelon souligne enfin les contradictions de la loi du 30 août 1883 qui permettent aux opportunistes de maintenir la magistrature dans leur giron en se contentant de l'épuration74. De la même façon, la suppression des postes permet l'élimination des magistrats les plus conservateurs75. Jules Simon reproche donc au gouvernement de faire cette « réforme pour faire sortir de la magistrature les magistrats dont les opinions ne sont pas conformes aux nôtres »76. Le lendemain, le garde des Sceaux Felix Martin-Feuillé réplique que la loi permet d'écarter les magistrats les plus hostiles à la République tout en conservant leur indépendance et que le rapporteur du projet affirme qu'un gouvernement ne peut pas « conserver dans des fonctions publiques ses adversaires »77. Machelon conclut pour sa part que la loi du 30 août s'est

70 Ibid., p.94.

71 Ibid., p.723.

72 Jean-Pierre Machelon, La République contre les libertés?..., op.cit., p.77.

73 Ibid., p.80.

74Association française pour l'histoire de la justice, L'épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération..., op.cit., p.90.

75 Ibid., p.94.

76 Jules Simon au Sénat le 19 juillet 1883, Journal Officiel de la République Française, 20 juillet 1883, p.938.

77 Felix Martin-Feuillé au Sénat le 20 juillet 1883, Journal Officiel. Débats parlementaires. Sénat, 21 juillet 1883, p.937-953.

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appliquée « dans des conditions désastreuses pour l'indépendance de la magistrature »78 en reprenant les mots de Théodore Zeldin affirmant que la Troisième République a fait des magistrats « plutôt des fonctionnaires que des arbitres indépendants »79.

Si les plus remarquables collaborateurs de l'Empire ont bien été écartés par cette législation de reforme de la justice, les républicains ne remettent pas en cause l'inamovibilité des magistrats. Ce corps judiciaire reste donc attaché à l'État et le procès des 66 révèle alors l'intérêt pour les « fonctionnaires » de justice de se conformer à la volonté du gouvernement républicain.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote