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L’administration de la coercition légitime en république. Les institutions de l’état face à  l’anarchisme dans les années 1880.


par Amélie Gaillat
Institut des études politiques de Paris - Master de recherche en Histoire 2019
  

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6.2 - Quel modèle pour l'avenir ?

La propagande par le fait anarchiste, culminant avec les actes de Ravachol puis l'attentat de Vaillant en 1893, vient rappeler que le mouvement libertaire reste l'adversaire le plus résolu de « l'ordre social bourgeois ». Si la tendance individualiste du mouvement réduit de fait son impact politique, l'anarchisme participe activement au désordre social61. Le cycle d'attentats qui caractérise le début des années 1890 en France entraine logiquement un cycle répressif actionné par la machine d'État. Le régime républicain en vient à promulguer un « véritable code de répression de l'anarchisme »62 remettant définitivement en cause les principes libéraux défendus par les opportunistes à leur arrivée au pouvoir en 1879.

A) Nouvel attentat, nouvelles réponses

La bombe qui explose à la Chambre des députés le 9 décembre 1893 et qui fait la une de la presse le lendemain est l'attentat anarchiste de trop pour le gouvernement opportuniste. Le militant Auguste Vaillant souhaite venger la mort de Ravachol et protester contre la répression du gouvernement en commettant cet acte au coeur même des institutions républicaines. Ceci entraine une réponse législative avec la promulgation des premières lois dites « scélérates » dans les jours qui suivent l'événement ainsi qu'une action administrative pour tenter d'enfin enrayer la menace anarchiste.

Jean Maitron pour sa part estime que l'attaque de Vaillant aurait largement pu être évitée, et accuse la négligence de la police plutôt que le manque de moyens63. L'historien indique que dès le 11 décembre, soit un an avant l'attentat, un rapport du commissaire spécial de la police des chemins de fer indique que les anarchistes étudient le projet d'une explosion

61Jean-Pierre Machelon, La République contre les liberté ?..., op.cit., p.402.

62 Ibid., p.406.

63 Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit. p.237.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 165

au palais Bourbon64. Puis un autre document retrouvé aux archives de la PP enjoint les forces de police à surveiller plusieurs lieux susceptibles d'être visés par les anarchistes, notamment les galeries de la Bourse et les tribunes de la Chambre des députés65. L'auteur du rapport précise que « cela ne veut pas dire qu'il s'y produira des tentatives, mais réellement, dans l'état actuel des choses, les anarchistes s'attendent à des arrestations en masse ; on peut donc craindre qu'il y en ait parmi eux qui ne voudraient pas être arrêtés »66. Ainsi, selon Jean Maitron, la police a été avisée par la Sûreté Générale deux jours avant l'attentat « qu'il y a lieu de se borner à prendre les mesures de police pour prévenir toute tentative de ce genre »67. Enfin, l'historien précise que Vaillant est connu des services de police depuis plusieurs années et soumis à une importante surveillance68. Son nom apparaît en effet dans une liste, non datée, retrouvée dans le carton BA 1499, l'associant au comité révolutionnaire central à tendance blanquiste69. Selon la notice biographique du militant, il a en effet fait partie de ce groupe dans les années 188070. De plus, l'explosion de la Chambre de décembre 1893, aussi impressionnante soit-elle, n'a fait que quelques blessés71. De l'aveu de Vaillant lui même lors de son interrogatoire, il a préféré blesser plutôt que de tuer.. Dans cette optique,, explique-t-il, il aurait utilisé des balles et non des clous72. Malgré cela, il est condamné à mort - une première depuis le début du siècle pour quelqu'un qui n'a pas tué73 - et malgré la mobilisation de plusieurs députés en faveur de sa grâce, Vaillant est exécuté le 5 février 189474. La rapidité de la procédure concernant le militant anarchiste, la sévérité de sa peine et la promulgation en parallèle des lois dites « scélérates » tend à favoriser la « théorie

64 Rapport du 11 décembre 1892, AN, F7 12516, cité dans Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.237.

65 APP, BA 78, rapport de « Nemo », 15 novembre 1893, cité en partie dans Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.237.

66 APP, BA 78, rapport « Nemo », 15 novembre 1893.

67 AN, F7 12517, cité dans Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.237. 68Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.238.

69 APP, BA 1499. Listes et état des menées anarchistes jusqu'en 1893. « Etat des principaux groupes des diverses écoles socialistes de Paris ».

70 http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article86167, notice VAILLANT Auguste [anarchiste] par Jean Maitron, version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 18 mars 2011.

71Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.233. 72 Gazette des Tribunaux, n°69, Jeudi 11 janvier 1894.

73Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.233. 74Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome 1, op.cit., p.234-235.

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 166

du complot gouvernemental » affirmant que l'explosion ait été le fait d'agents provocateurs75. Dans Ses souvenirs de police, le commissaire Ernest Raynaud rappelle le contexte dans lequel s'est produit l'attentat et la promulgation des législations visant à réprimer les menées anarchistes76. L'anarchiste Jacot affirme en effet que l'explosion du Palais Bourbon n'est rien d'autre qu'un complot fomenté par le gouvernement avec la complicité de Charles Dupuy, alors président de la Chambre : « Ah ! la bravoure de Dupuy !... Elle ne lui coûtait pas cher !... Il savait mieux que personne que l'engin était inoffensif.77 » Le commissaire pour sa part, n'approuvant ni ne contredisant les propos du militant, note que « jamais bombe plus anodine n'était intervenue plus à propos ».78 Le 12 décembre 1893, la première loi dite « scélérate » est votée dans le but de répondre à cette attaque de l'anarchisme visant le coeur du pouvoir républicain. Le texte réforme celui du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, punissant dorénavant les provocations indirectes. La seconde promulguée au Journal Officiel le 19 décembre 1893 concerne les associations de malfaiteurs et permet de réprimer les personnes affiliées à ces organisations même si elles n'ont pas commis de crime79. Nous ne souhaitons pas nous appesantir sur le contenu de ces législations liberticides visant à limiter la menace anarchiste, mais de nous pencher sur la réaction de la machine d'État à la suite de l'explosion à la Chambre des députés.

Cet attentat marque un nouveau tournant dans les méthodes de répressions adoptées par l'administration de la coercition légitime pour lutter contre les anarchistes. Alors que la loi Municipale de 1884 renforce le contrôle qu'exerce le Ministère de l'Intérieur sur les forces de police locale, les politiques du maintien de l'ordre restent la responsabilité d'un réseau large mais inefficace. L'attentat d'Auguste Vaillant entraine une réaction inédite de l'appareil policier puisque David Raynal récemment nommé, émet une circulaire ordonnant à tous les préfets des renseignements sur les organisations anarchistes de leur département80. L'objectif est de déterminer s'il existe sur le territoire français une organisation anarchiste organisée et en capacité de renverser le régime. Les agents de la Sûreté ont ensuite consigné ces réponses

75 Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, tome1, op.cit., p.236-237.

76 Ernest raynaud, La vie intime des commissariats: souvenirs de police, op.cit., p.37-46.

77 Jacot cité dans Ernest raynaud, La vie intime des commissariats: souvenirs de police, op.cit.p.42.

78 Ibid. p.44.

79 Les textes des lois sont reproduits en annexe.

80 AN, F7 12504. « Organisation anarchiste - Réponses à la Circulaire du 13 décembre 1893 ».

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 167

dans un tableau81 que nous reproduisons en annexe et permet de dresser une cartographie des pôles les plus actifs et de constater la perception qu'ont les autorités locales de la menace. Dans les Basses-Alpes, le Calvados, le Cantal, la Corrèze, les Côte-du-Nord, la Creuse, la Dordogne, l'Eure, l'Eure-et-Loir, le Gers, l'Ille-et-Vilaine, les Landes, le Lot, la Lozère, la Mayenne, l'Orne, la Haute-Saône, la Savoie, les Deux-Sèvres, la Vendée et l'Yonne, les préfets rapportent qu'il n'y a pas d'anarchistes. Celui du Morbihan indique la présence d'un seul anarchiste, quand celui de l'Oise indique qu'il y a « 4 anarchistes isolés », quand ceux de la Vienne, des Vosges et de Savoie estiment qu'il n'y a pas de groupes anarchistes dans leur département. Ce que constatent avant tout les administrations locales c'est l'absence d'organisation structurée du mouvement, indiquant la présence de militants se réunissant et correspondant parfois avec l'étranger, mais ne représentant pas de « groupement sérieux ». Ce sont les préfets des Bouches-du-Rhône, de la Loire et de Paris qui donnent les chiffres les plus importants de militants mais réfutent l'existence de toute organisation, estimant qu'une seule partie d'entre eux est réellement active - et potentiellement dangereuse - liant cela aux politiques répressives des années précédentes. Par exemple, à Marseille le préfet indique qu'il y a :

« de 100 à 110 anarchistes ; plus de la moitié sont étrangers. Ils étaient constitués jadis en 3 groupes distincts (...) A la suite des perquisitions successives et des expulsions auxquelles il a été procédé ces dernières années, tous ces groupes ont disparu. Il ne reste plus que des individualités d'autant plus redoutables que la disparition des groupes a rendu la surveillance plus difficile82

Un certain nombre de préfets font aussi état de correspondances entre les militants, notamment à l'étranger, démontrant des relations entre différents groupes mais pas d'organisation au sens premier du terme. Ainsi, le groupe d'anarchiste de Toulouse est en « relation avec les anarchistes des autres villes, notamment de Paris » selon le préfet de Haute-Garonne quand celui de Gironde note l'existence de « correspondances individuelles » entre les anarchistes de Bordeaux et ceux d'autres départements et que le secrétaire du groupe de Sainte-Florine en Haute-Loire « correspond avec les groupes étrangers ». Le préfet de l'Ain se veut plus précis sur la nature de ces relations avec l'étranger, indiquant que « deux d'entre eux [anarchistes de l'Ain] vont souvent à Genève, où ils sont en rapport avec les anarchistes de Suisse. On suppose qu'ils servent d'intermédiaires entre ces derniers et les

81 Ibid. « Organisation anarchiste - Réponses à la Circulaire du 13 décembre 1893 ».

82 Ibid. « Organisation anarchiste - Réponses à la Circulaire du 13 décembre 1893 ».

Prénom Nom - « Titre de la thèse » - Thèse IEP de Paris - Année 168

compagnons de Lyon pour l'introduction en France des publications révolutionnaires »83. Néanmoins, la majorité des réponses relativise la présence de nombreux militants et de groupes organisés remettant en cause l'hypothèse de l'existence d'une organisation anarchiste en France. Ceci interroge alors sur les méthodes de répressions envisagées par le Ministère de l'Intérieur à la suite du bilan de cette circulaire. Cependant, ce qui nous intéresse avant tout est de constater si les politiques de maintien de l'ordre mises en place depuis l'explosion de Bellecour en 1882 ont eu l'effet escompté. Si Lyon est toujours apparu comme le chef lieu du mouvement anarchiste, les militants ont subi de nombreux revers depuis le procès des 66 et ont eu du mal à maintenir une communauté influente. Le préfet du Rhône semble dresser ce constat dans sa réponse à la circulaire de décembre 1893 : « pas d'organisation proprement dite, pas de relation avec les anarchistes lyonnais en tant que collectivité, avec les groupes des autres villes et de l'étranger, mais des relations individuelles fréquentes entre les compagnons lyonnais et ceux de l'étranger »84. La région souffre en effet de la désorganisation de la Fédération révolutionnaire et l'éparpillement des groupes depuis la fin des années 1880, liés aux efforts déployés par l'institution policière lyonnaise depuis le procès des 6685. On l'a en effet constaté, les commissaires spéciaux s'appuient sur des réseaux d'indicateurs financés par les fonds secrets pour mener à bien leur lutte contre le mouvement anarchiste86.

Ce compte-rendu des préfets réalisés en 1893 fait état d'une réalité résultant de mesures répressives instaurées depuis la fin des années 1880 pour lutter contre la menace anarchiste. Le document révèle d'une part que, malgré ses difficultés remarquées durant « l'ère des attentats », les forces de police disposent de moyens pour enrayer le mouvement se révélant efficaces. De plus, si une organisation anarchiste a existé au début de la Troisième République, les réponses à la circulaire de décembre 1893 indiquent qu'elle a largement disparu à ce moment-là.

83 Ibid. « Organisation anarchiste - Réponses à la Circulaire du 13 décembre 1893 ».

84 AN, F7 12504. « Organisation anarchiste - Réponses à la Circulaire du 13 décembre 1893 ».

85 Marcel Massard, Histoire du mouvement anarchiste à Lyon..., op.cit., p 137.

86 cf. Chapitre 5 ; ADR 4M74.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand