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La colonie saxonne du boulonnais


par Claude MASSET
Université Lyon 2 - Diplôme d'Etudes Sup&ecute;rieures 1946
  

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C. Les noms de lieux en -ness.

Aux suffixes -thun et -brique on peut ajouter, avec peu de chance d'erreur, un suffixe -ness, avec le sens de "pointe, cap". Le fait qu'il n'existe pas en flamand mo-derne71 n'oblige pas à préjuger du francique ; mais le fait est qu'il est absent de la toponymie flamande, alors qu'il est fréquent de l'autre côté de la Manche. On le trouve de ce côté-ci du détroit dans les noms de lieux suivants :

Toponymes en -ness

1. Cap Blanc-Nez : sur Escalles (Calais, Calais Nord-Ouest) - Hildernesse 1124.

2. Cap Gris-Nez : sur Audinghen (Boulogne, Marquise)- Blacquenès 1546 Blacquenetz 1550. Cf. en Angleterre Blackness.

3. Hernesse (La) : fief à Saint-Orner-Capelle et à Sainte-Marie-Kerque (Saint-Omer, Au-druicq) - pas de forme ancienne

4. Lampernesse : lieu-dit de Tardinghen (Boulogne, Marquise) - pas de forme ancienne

5. Longuenesse : commune, faubourg de Saint-Omer (Saint-Omer, Saint-Omer Sud) - Lo-conesse 877.

6 Le Nez : hameau d'Audinghen (derrière le cap Gris-Nez ; Boulogne, Marquise) - Le Nesse 1312

7. Péternesse : ancien nom de Saint-Pierre-les-Calais, à Calais - La forme hésite longtemps entre Petresse 962, Petressa 1026, Pieterse 1227, et Piternesse 1093, Pitarnesse 1093, Peternessa 1107 ; Seint-Pierre 1253-1270, Sanctus Petrus juxta Calesium 1307.

8 Selnesse : ancien château à Ardres (Saint-Orner, Ardres) - Salunels 1148 ; Selnessa XIIIème siècle.

9. Witternesse (Béthune, Norrent-Fontes) - Witernes 1119, Wautrenès 1365

Quelques noms de lieux contiennent le radical "Ingl-", sans qu'on sache trop ce qu'on peut en tirer. Ce n'est pas le cas de Saint-Inglevert, personnage qui n'a pas existé et encore moins canonisé (Sontingeveld 1148)72. On peut citer :

1. Inglebert : hameau de Quelmes (Saint-Omer, Lumbres) - Ingelberga 1149.

2. In linghem : hameau de Norbécourt (Saint-Omer, Ardres). : Iglighem 1223, Inghelin-ghem 1338.

Il doit exister beaucoup d'autres noms d'origine saxonne dans notre région ; au moins la majorité des noms germaniques du Bas-Boulonnais (eux-mêmes plus nombreux que les noms romans). L'absence de critères sûrs empêche d'y distinguer ce que nous devons aux Francs et aux Saxons.

Il y a pourtant une classe de noms pour lesquels la philologie n'apporte rien, mais dont la répartition est des plus suggestives. Très nombreux, la plupart sinon tous sont, selon toute vraisemblance, d'origine saxonne :

71 Le néerlandais emploie un mot "nes" dans ce sens, mais ce mot est moderne, dérivé du moyen-néerlandais "nasu" (nez). La même évolution sémantique s'est produite à mille ans de distance en anglo-saxon et en néerlandais.

72 "Sontium campus vulgo Sontinghevelt" au XIIIème siècle (en néerlandais, champ se dit veld)... mais "Sanctus Ingelbertus" au XVlIème siècle ! - notre région connaît un autre cas de canonisation abusive : "Saint-Denoeux" (Montreuil, Campagne-lès-Hesdin), lequel était à l'origine Sendenodum (1170) ; il devint Saint-Denoes en 1431 en passant par Saindenoeuf en 1338... et même, sous la Révolution, "Denoeux-l'Inflexible" !

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D. Les noms de lieux en -inghem.

On reconnaît dans cette terminaison la combinaison de deux suffixes : -ing que nous avons déjà rencontré au chapitre des toponymes en -incthun (plus haut p. 12, note 47 ; et -hem, -ham qui désigne un lieu de résidence

Ce dernier vocable existe dans toutes les langues germaniques, avec le sens d'habitation : anglais home, allemand heim. Il est partout utilisé en toponymie, quoique de façon variable selon les régions, le plus souvent en suffixe : le haut-allemand et le francique ripuaire l'emploient souvent (cf. Mannheim) ; le francique salien (celui qui intéresse notre région) en fait un moindre usage, et l'écrit sans h : par exemple, Eerne-gem, Zedelgem près de Bruges. On le rencontre assez fréquemment dans la région boulonnaise (exemples : Audrehem, Dohem, Ostrehem, Westrehem... etc), sans qu'il soit possible de l'attribuer à coup sûr au saxon plutôt qu'au francique).

Si le suffixe -ing est employé un peu partout, il n'en est pas de même du suffixe composé -ingham lequel n'est utilisé strictement qu'en Angleterre (cf Birmingham, Buckingham, etc.) et, de ce côté-ci du détroit, dans la région qui fait face à la grande île. Il apparaît en France sous la forme -inghem, écrit aussi -inghen (carte n° 14 et 17) : à Buckingham correspond chez nous Bouquinghen et, à Birmingham, Barbinghem ("Birminghaem" au Xlème siècle).

Les noms de lieux en -inghem, -inghen, sont presque au nombre de 150 pour le seul département du Pas-de-Calais (on en trouvera la liste en annexe). Ils fourmillent dans les arrondissements de Boulogne et de Saint-Omer ; on en trouve dans ceux de Montreuil et de Béthune, et sporadiquement dans ceux de Saint-Pol et d'Arras, ainsi que dans le département du Nord, avec quelques enfants perdus au delà de la frontière belge. On relève parmi eux plusieurs doublets ou triplets, et même deux quadruplets (Matringhem, ainsi que Vaudringhem auquel s'ajoute peut-être Waudrin-ghem).

Leur ligne de force est dirigée d'ouest en est comme celle des noms en -thun, mais ils débordent assez largement ceux-ci, et sont plus éparpillés. Doit-on penser qu'ils sont tous de fondation anglo-saxonne, les gens qui parlaient cette langue ayant manifesté - à la différence des Francs Saliens - un goût prononcé pour les suffixes composés ? Plausible, voire probable cette hypothèse se heurte à une difficulté des plus sérieuses. Elle donnerait en effet à la colonie saxonne une étendue telle, qu'on comprendrait mal le silence des textes. La colonie saxonne aurait-elle été, à l'époque des toponymes en -inghem, plus étendue qu'à celle des noms en -thun ? Peut-être est-il permis d'envisager un effet de contamination, sociale ou linguistique, dans les régions franciques qui étaient les plus proches de celles occupées par les Saxons ? En effet, bien que séparés, les suffixes -ing et -ham y coexistaient déjà. Peut-être y eut-il jadis des implantations de villages saxons plus ou moins isolés, éparpillés en zone francique ? On ne le saura sans doute jamais. De toutes façons, les toponymes en -in-ghem sont tous évidemment, directement ou indirectement, d'influence anglo-

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saxonne. Quand on les rencontre au voisinage de noms en -thun, on peut être sûr qu'ils sont eux-mêmes saxons. Et peut-être la colonisation saxonne fut-elle plus étendue que la répartition des noms en -thun le ferait supposer.

Puisque ces deux sortes de toponymes pouvaient être voisins les uns des autres, il devait bien y avoir entre eux une distinction sémantique. A l'époque du Haut Moyen-Age anglais, Bède le Vénérable assimile ham au latin civitas, et tun à villa73. Ham paraît donc désigner quelque chose de plus important que thun ; il aurait été ce que nous concevons comme un assez gros village, et thun plutôt comme un assez grand domaine, moindre toutefois que le ham.

De nos jours il en reste quelque chose. En effet, les noms en -inghem du Pas-de-Calais sont un peu plus souvent des communes (50 sur 148, soit un tiers - alors que les noms en -thun sont pour la plupart des écarts ou des hameaux (8 communes seulement sur 48 en tout, en excluant les deux Warneton comme douteux) : soit un sixième au lieu d'un tiers). De surcroît, on peut remarquer qu'après pourtant dix à quinze siècles, les toponymes en -thun et -incthun demeurent, statistiquement, subordonnés à ceux en -inghem. En face de deux hameaux de Baincthun pourvus de noms de la forme en -inghem (Macquinghen et Questinghen), auxquels s'ajoute un hameau de Verlincthun (Mazinghen) on observe en revanche dix hameaux en -thun situés dans l'orbite de communes en -inghem : Audincthun, Todincthun et Warincthun pour Audinghen, Colincthun pour Bazinghen, Pincthun pour Echinghen, Rocthun et Wi-trethun pour Leubringhen, Guiptun, Tardincthun et Wincthun pour Tardinghen.

Ces recherches toponymiques donnent la certitude de l'existence d'anciens établissements anglo-saxons dans cette région assez vaste voisine du détroit, et centrée sur la ville de Boulogne-sur-Mer. En dehors des noms de lieux, y eut-il d'autres traces saxonnes dans la région ? Nous allons les rechercher en interrogeant successivement les textes des vies de saints, puis l'archéologie, l'anthropologie, l'onomastique, et les coutumes.

2. Les Vies de Saints.

Notre région a été christianisée assez tard, malgré les efforts de Saint Victrice de Rouen au IVème siècle.. Au VIIème siècle elle était encore complètement païenne. Il y a donc peu de Saints ayant vécu assez tôt pour avoir connu l'invasion saxonne, et même pour avoir parcouru un pays encore saxon, et leurs vies sont trop récentes. Il y a pourtant un petit groupe de Saints assez anciens : le petit noyau qui a fondé l'abbaye de Saint-Bertin et qui a repris le diocèse de Thérouanne. Des deux premiers évêques de Thérouanne, Saint Antimond (512-549) et Saint Athalbert (549-552) on ne connaît que le nom et la date, cela d'après les tableaux chronologiques de l'abbaye de

73 Cité par Ehmer 1937 p. 15. Bède traduit "inter civitates sive villas" par "betwih his hammum o##e hulule .

74 E. de Moreau 1926 - Saint Victrice de Rouen, apôtre de la Belgica Secunda. Revue Belge de Philologie et d'Histoire V, p. 71-79

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Saint-Bertin. Nous sommes mieux lotis en ce qui concerne Saint Orner, 3ème évêque de Thérouanne (633-668, après une vacance de 80 ans), et Saint Bertin, premier abbé de Sithiu. On n'a pas les vies des compagnons de ce dernier, Saint Mommelin et de Saint Ebertran.

Rien dans la vie de Saint Bertin ne fait penser aux Saxons. Le pays est païen, c'est tout ce qu'on apprend. A la lecture de la Vita Sancti Bertini on a l'impression d'une époque calme. A leur arrivée, dans la première moitié du VIIème siècle, on les voit fonder un monastère, le "vieux-monastère", aujourd'hui Saint-Mommelin près de Saint-Omer, ainsi qu'une église ornée de pierres rares et de plaques d'or,. On les conçoit mal bâtissant avec un tel luxe en période d'invasion (que l'on pense aux déprédations, plus tardives, des pirates normands !).

Dans la Vie de Saint Orner, on a cru trouver une allusion à un territoire saxon sur la côté boulonnaise7b. Le texte est malheureusement moins affirmatif qu'il n'y paraît. C'est le récit d'un miracle. Saint Orner était allé à Boulogne, lorsqu'un enfant de la ville, qui était monté par jeu dans une petite barque utilisée pour la traversée de la Liane, se vit soudain emporté par le vent vers la pleine mer. Terrifié, il implora Dieu "par les mérites de Saint Orner" et fut déposé "sur la terre saxonne"? la situation, pour s'être améliorée, n'était toujours pas enviable, les habitants de la région pouvant être animés de mauvaises intentions ; aussi, dans une confiance parfaite en Dieu et en Saint Omer, il remonta dans son bateau et fut ramené par un vent favorable sur une mer calmée à sa cité natale.

Selon de Loisne, jamais un frêle esquif n'eut traversé le détroit "en l'espace de temps assigné par le récit", dit-il. Donc, selon lui, la terre saxonne ne serait pas l'Angleterre, mais une autre portion de la côte française.

Construire un raisonnement en graduant le vraisemblable et l'invraisemblable dans un miracle me paraît une entreprise bien scabreuse, spécialement quand le miracle est raconté dans une vie de Saint du début du Moyen-Age. Ajoutons qu'il est dit qu'à un certain moment l'enfant ne voyait plus aucune terre : i1 était donc déjà assez loin en mer, et si la violence du vent ne mollissait pas, il pouvait fort bien être entraîné jusqu'à l'Angleterre. Ajoutons que, pour l'avoir ramené en France, il aurait fallu que, par la suite, ce violent vent d'est se transforme en gentil vent d'ouest. Pourquoi

75 Cartulaire de Saint Bertin t. I, chap II, p. 17-18 : "Anno incarnationis domini nostri Jhesu Christi DCXLV, qui est annus XI regis Ludovici, filii Dagoberti" ; un peu plus tôt (626) d'après les Acta Sanctorum, vita Sancti Bertini septembre II, p. 559.

76 A. de Loisne, la colonisation sxonne dans le Boulonnais p. 3 et 4.

77 Vita Sancti Audomari (AA. SS. ord. Sancti Bernardi II p. 561 A.). Quodam vero die Audomarus egre-gius Christi confessor, in Bononia orbe perseverans... Ast ilium (juvenem) in pelagus rapuit vis valida venti. Tunc subito surgens in fonte saeva tempestas, ipsa navicula undis tumescentibus quassata, nec gubernacula nec gubernatorem habens, huc et fluctibus errans natabat in mari, quod magno Britanniam gurgite secernit a Francis, quod saepe fortissimis mersis hic navibus nocet. Ast miser nec propriam cernens, nec alteram terram... tunc ilium per merita Deus Audomari precantem trepidum saxonicam ilico deduxit ad terrain. Turn iterum stupidus ignota cernens arva, raptores tremulus se denudare timebat, si solus diutius illic expectare tentasset... Audoma-rum tremula clamans tunc voce patronum, in Dominum fidens cito recurrit ad navem. Ilico Omnipotens yen-turn illi concedens aptum, mitescere pelago jubens...

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pas ? Il est vrai qu'au cours d'une tempête, le vent peut tourner assez rapidement.

Le raisonnement de de Loisne exige que Boulogne n'ait pas été peuplée de Saxons, alors que ses environs l'auraient été. Cela n'est pas impossibles. Mais alors, comment l'auteur du récit, le sachant, aurait-il dit du Pas-de-Calais qu'il "sépare la Bretagne des Francs" ? ("Britanniam secernit a Francis"). Enfin, n'oublions pas que, si Saint Orner a vécu au Vlème siècle, ce récit qui le concerne doit être daté du début du IXème siècle : pour être assuré d'être compris, il aurait fallu que la colonie saxonne existât encore à cette époque, et fût même relativement importante : nous la connaîtrions sans doute par d'autres textes. Aucun de ces arguments n'est décisif, mais il me paraît vraisemblable que l'auteur, en écrivant terram saxonicam, a voulu signifier tout bonnement l'Angleterre.

Il n'y a rien à trouver dans les textes. C'est une chose fort curieuse que personne n'ait parlé, ni directement, ni par allusion, d'une colonie aussi importante. On doit en accuser le recul de civilisation qu'avait subi le Nord de la Gaule à cette époque. L'archéologie nous réserve une moisson plus intéressante..

3. Autres traces saxonnes éventuelles.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore