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La colonie saxonne du boulonnais


par Claude MASSET
Université Lyon 2 - Diplôme d'Etudes Sup&ecute;rieures 1946
  

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A. Théorie de G. Kurth97.

Cet auteur se base sur les faits suivants :

a) Il est impossible qu'aux Vème et Vlème siècles les Saxons aient essayé d'arracher aux Francs "alors dans le premier feu de leur expansion" une partie du littoral boulonnais.

b) Pourquoi les Saxons auraient-ils divisé leurs forces, la conquête de la grande île étant loin d'être une promenade militaire ?

Ergo, les Saxons étaient déjà en place au Vème siècle. Or précisément, on assiste, durant tout le Bas-Empire, à des incursions incessantes de pirates saxons sur les côtes de la Gaule. La Notitia Dignitatum ne parle-t-elle pas d'un rivage saxon, sur lequel on trouve précisément trois colonies saxonnes attestées, celles de la Loire, de Bayeux et de Boulogne ? Selon notre auteur, il n'est pas difficile de savoir à quelle date ce peuple a occupé le Boulonnais : à l'époque de Carausius. Celui-ci ayant le plus grand intérêt à être maître du rivage continental, il y aurait installé ces barbares devenus ses alliés. N'était-il pas, dès avant sa révolte, accusé de pactiser avec l'ennemi ? Que l'on examine la situation topographique des villages saxons : on les voit, dit-il, disposés en deux rangées concentriques formant une véritable ceinture stratégique autour de Boulogne98 ; ils trahissent une "volonté intelligente".

On voit que Kurth fait un peu flèche de tout bois, sans parvenir à se montrer tout à fait convaincant. Il a peut-être raison... d'autant plus que quelques menus faits, inconnus de lui, viennent à l'appui de sa thèse.

Pour lui, une alliance entre Carausius et les pirates n'est qu'une conjecture, qu'il juge plausible à partir du texte d'Eutrope. Or les panégyriques la dénoncent nettement : Carausius avait des alliés barbares, en particulier des Frisons99. Cela dit, cette amitié ne devait pas aller très loin. Nous avons de lui des monnaies qui le glorifient comme vainqueur des Germains. Elles portent les légendes suivantes :

VICTORIA GERM

GERMANICVS MAX V

VICTOR' CARAUSI

accompagnées d'un trophée entre deux captifsl°°.

On possède par ailleurs quelques textes qui montrent, aux alentours de l'an 400 -

97 G. Kurth, 1895 - La Frontière Linguistique en Belgique et dans le Nord de la France p. 530-537. A cette se rattache celle de I. Taylor : voir plus bas, p. 33.

98 C'est un peu vrai si l'on restreint l'examen aux villages en -thun. L'impression disparaît si on leur ajoute les toponymes en -brique et en -inghem.

99 Panégyrique de Constantin V, ,p. 163 ; Panégyrique de Constance VII, p. 135 et 136. Voir plus haut, p.

4.

100 P. Webb, 1907 - The reign and coinage of Carausius.

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époque de la Notitia Dignitatum - le pays morin occupé par des Barbares. Il s'agit de deux lettres. L'une est de Saint Paulin de Nole qui, écrivant en 399 à Saint Victrice de Rouen, le félicite d'avoir converti la terre des Morins, que seuls peuplaient "des étrangers barbares et des indigènes brigands"i01. L'autre est de Saint Jérôme à une jeune veuve ("de Monogamia", 409) : énumérant des peuples barbares qui occupent la Gaule, il cite les Saxons ; et, quelques lignes plus loin, évoque la Morinie parmi les ci-

tés "devenues gel tuniques"102. On peut imaginer que la décision administrative
ayant un jour démembré la civitas Morinorum, pour en détacher la civitas Bononien-sium (ex pagus bononiensis)103, n'a pas intéressé outre mesure Saint Paulin et Saint Jérôme : quand ils parlent de la Morinie, c'est probablement de la région toute entière. Plus précis, le texte de Saint Jérôme est pourtant le moins informatif. Il se place en effet après le passage du Rhin par la grande invasion du 31 décembre 406: dorénavant, il y avait des Barbares un peu partout en Gaule. Notons toutefois que les Francs n'avaient pas pris part à ladite grande invasion. Ils étaient, en effet, chargés de garder la frontière du Rhin, et c'est à leur corps défendant que les autres tribus germaniques avaient traversé le fleuve. Les Francs, qu'on croit partis des îles zélandaises, occupaient à la fin du IVème siècle la région de l'embouchure du Rhin et le nord-est du cours inférieur de l'Escaut : cela à la suite d'un accord conclu en 358 avec l'empereur Julien. C'est après la grande invasion de 406 qu'on les voit franchir l'Escaut et remonter la Lys jusqu'à Courtrai, pour atteindre Cambrai vers 430. Ils sont arrivés trop tard pour être les Barbares germains que Saint Paulin signale en Morinie. Cela dit, on ne voit pas pourquoi Saint Paulin aurait éprouvé le besoin de faire l'allusion précitée si elle avait été pure imagination. M. de Moreaul0} a développé l'idée que cet écrivain était très au courant des faits et gestes de Saint Victrice, et qu'il avait à ses côtés, lorsqu'il rédigea sa lettre, deux clercs venus de Rouen.

Il y avait sûrement des Germains dans la région dès le IVème siècle : mais lesquels ? Sans parler du "Marcae" évoqué à la fin du siècle par la Notitia Dignitatum, on a signalé à Uzelot (hameau de Leulinghen ; Boulogne, Marquise) un collier d'aspect tout à fait germanique (cf. plus haut, p. 22 "Archéologie funéraire"). Il se compose de 42 perles de verre, 9 d'ambre et 10 pièces de monnaie. Ces dernières, en bronze, sont à l'effigie de Constantin (306 à 337), de Constance II (337 à 361) et de Crispus (César de 317 à 326).

101 Sancti Paulini Nolani episcopi epistola XVIII, colonne 239, t. 61 de la Patrologie : Ita est nunc in terra Morinorum, situ orbis extrema, quam barbaris fluctibus fremens tondit Oceanus... ubi quondam deserta sil-varum ac littorum punter intuta advenue barbari aut latrones incolae frequentabant, nunc venerabiles et angelici sanctorum chori..."

102 Sancti Eusebii Hieronymi epistola CXXIII; Patrologie t. 22, colonnes 1057 et 1058 : "innumerabiles et ferocissimae nationes universas Gallias occuparunt. Quidquid inter Alpes et Pyrenaeum est, quod Oceano et Rheno incl ulitur, Quadus, Vandalus, Sarmata, Halani, Saxones, Burgundiones, Alamani... Vangiones longa ob-sidione deleti.. Remum urbs praepotens, Ambiani, Atrebatae, extremi hominum Morini, Tornacus, Nemetae, Argentoratus, translatae in Germanium".

103 Cf. plus haut, note 16.

104 E. de Moreau, 1926 - Saint Victrice de Rouen, apôtre de la Belgica Secunda.

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Je viens d'indiquer des faits qui viennent à l'appui de la thèse de G. Kurth. D'un autre côtés, on peut-être assuré que si Carausius avaient installé des Barbares saxons dans les environs de Boulogne, les panégyriques n'auraient sans doute pas manqué de les dénoncer, au lieu d'aller chercher ses alliés jusque en Frise. Quant à la répartition des villages en -thun en deux rangées concentriques autour de Boulogne, j'ai indiqué plus haut la raison pour laquelle je crois que c'est une illusion d'optique. Ajoutons que la transformation sémantique qui a affecté le mot thun en vieil-anglais paraît assez tardive, ne pouvant guère être antérieure au VIème siècle (plus bas, p. 33. Les Saxons auraient donc observé pendant près de trois sièdes les emplacements attribués par Carausius ?

B. Théorie de l'étape, ou de T. Hoops.

Défendu par plusieurs auteurslc , elle a été notamment défendue par J. Hoops'°, lequel a découvert les phénomènes philologiques sur lesquels elle repose. Il y a, dit-il, dans l'anglo-saxon d'Angleterre, un certain nombre de mots d'origine latine qui désignent des objets d'usage courant, et dont la phonétique dénonce un emprunt très ancien, antérieur à l'invasion de la grande île. Ce sont, par exemple, biscop, stroet, persoc (pêche), cealc (chaux). De tels mots paraissent nécessiter, pour passer d'une langue dans une autre, plus que de simples relations commerciales, mais une vie côte à côte pendant un certain temps. Ils se retrouvent dans d'autres langues germaniques, ce qui suppose, un temps d'emprunt commun. Pour J. Hoops, ce terrain d'emprunt ne pouvant avoir été le Slesvig, il faut chercher ailleurs. Sur la foi du témoignage de Zo-zime'°', il le place sur le Rhin inférieur. Les auteurs qui ont adopté son point de vue y verraient une bande côtière allant de l'embouchure du Rhin à celle de la Canche, avec un maximum de densité dans le Boulonnais.

F. Lote et J. Mansions' ont montré que ces arguments sont bien moins solides qu'ils n'y paraissent. Les phénomènes phonétiques latins sur lesquels s'appuie Hoopsll° sont mal datés, et peuvent n'être pas antérieurs au Vlème siècle. Il n'y aurait que 4 termes qui aient résisté à cette contre-épreuve philologique. Ce sont walnut (noyer) qui pourrait s'expliquer par des relations commerciales ; soeterdaeg (latin : sabbati dies), assimilation qui peut avoir été faite par un missionnaire érudit aussi bien en Allemagne qu'en Grande-Bretagne ; enfin cleofa ( latin : cubile) et miltestre (mere-trix), qui ne sont d'ailleurs employés que pour rendre des passages de la Bible. Un long contact avec la culture latine ne serait attesté que par les mots signifiant

105 0. Bremer - Ethnographie der germanischen Stiimme; M. Schônfeldt - Historische Grammatika van bet Nederlands

106 J. Hoops - Waldbkume und Kulturpflanzen in germanischen Altertum.

107 Zozime, Histoires III, 5 à 8. Il raconte que les Saxons chassèrent les Francs de l'île des Bataves et furent soumis par Julien. Mais on sait le peu de créance que mérite cet auteur : dans un passage voisin, il confoncd les Saxonx avec les Quades.

108 J. Mansion - Le problème saxon.

109 F. Lot - Les migrations saxonnes en Gaule et en Grande-Bretagne

110 Maintien de la tenue latine intervocale, de l'i bref, du c dur devant voyelle

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"chambre" et "prostituée" ?

On aurait sans doute tort de voir les Saxons se transportant en bloc d'un endroit défini à un autre endroit défini. Il suffit qu'un petit groupe d'émigrants soit venu de régions romanisées ; ou que de jeunes Saxons aient servi dans l'armée romaine11. Parmi les pirates germains qui ont conquis l'Angleterre, il pouvait y avoir des gens venus de régions autres que celles où l'on parlait "englisc" (l'ancêtre du vieil-anglais). On n'a pas le droit, écrit J. Mansion, de conclure d'une unité politique ou ethnographique à une unité de langage'l2.

Cette théorie de l'étape laisse donc à désirer. Rien n'oblige à croire que ceux que les Romains appelaient "Saxons" (l'ensemble de pirates germains, qu'ils soient Angles, Jutes ou " Saxons" sensu stricto) n'étaient pas venus directement en Angleterre en venant d'Allemagne du Nord et du Slesvig. Quant à ceux qui vinrent un jour s'établir en Boulonnais et y fonder des villages en -incthun, on est sûr que la plupart d'entre eux parlaient "l'englisc" : le vieil-anglais.

2. Arrivée tardive.

A la différence des partisans d'une arrivée ancienne, lesquels sont en désaccord sur le lieu d'origine de la migration, ceux qui croient à une arrivée tardive la voient tous venir d'Angleterre : il s'agirait donc d'une très ancienne invasion anglaise en France. Cette théorie a été soutenue principalement par deux auteurs, I. Taylor et H. Ehmer, qui s'appuient sur des arguments très différents.

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