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La place des rappeuses dans l'industrie musicale française


par Léa Piacentini
ISCPA - Bachelor de Production de projets artistiques 2022
  

Disponible en mode multipage

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Léa PIACENTINI

Bachelor 3 de Production Artistique Année 2021/2022

 

Mémoire de fin d'études

LA PLACE DES RAPPEUSES DANS

L'INDUSTRIE MUSICALE FRANÇAISE

Tuteur de mémoire :

Monsieur Bertrand HELLIO

REMERCIEMENTS

Je souhaite avant tout remercier toutes les personnes qui ont rendu possible la réalisation de ce mémoire, qui ont pris le temps de témoigner ou de partager leurs travaux.

Merci à mon tuteur Bertrand Hellio, manager, booker, organisateur de festival, auteur et intervenant à l'ISCPA Paris, pour ses conseils qui m'ont aidé à développer ma réflexion.

Merci à Emmanuelle Carinos de m'avoir redirigée vers Karim Hammou, et merci à lui de m'avoir partagé ses travaux, qui ont été très importants pour mes recherches.

Merci à Renaud Durussel, Moïse Bouton, Mekolo Biligui, Gauthier Benoît, l'équipe de Rappeuz, Josué Bananier, Ekloz et Liouba pour leurs précieux témoignages.

Je remercie aussi ma famille pour leur soutien et leur écoute durant la préparation de ce mémoire.

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Illustration 1 : Graphique sondage Écoutes-tu des rappeuses ?......................................................7 Illustration 2 : TOP 10 singles les plus écoutés en France en 2021.....................................9 Illustration 3 : Les communautés de rappeurs en France................................................10 Illustration 4 : Photo d'une publicité pour le tremplin Rappeuse en liberté..........................44 Illustration 5 : Graphique sondage Comment tu découvres de nouveaux artistes ?......................48 Illustration 6 : Schéma, Rap, qui possède quoi ?...........................................................................50

SOMMAIRE

INTRODUCTION 3

CHAPITRE 1 : LES RAPPEUSES SONT SOUS-REPRÉSENTÉES DANS LE RAP FRANÇAIS 5

I. LE PUBLIC RAP EN FRANCE 5

1/ Un public diversifié 5

2/ Un public paritaire 6

II. LA PLACE DES RAPPEUSES DANS LE MARCHÉ MUSICAL FRANÇAIS 7

1/ Les rappeuses existent bel et bien 8

2/ Les rappeuses, grandes absentes des ventes 8

3/ Les rappeuses sont mal intégrées auprès des rappeurs 9

4/ Les rappeuses sont absentes des bases de données 10

CHAPITRE 2 : LES FREINS QUI EMPÊCHENT LES RAPPEUSES DE S'IMPOSER DANS LE RAP

FRANÇAIS 12

I. APPROCHE SCIENTIFIQUE 12

1/ Un sexisme de société 12

a - Tuyau percé ;...12

b - Déni d'antériorité 13

2/ Rap de fille 14

II. LA REPRÉSENTATION DES FEMMES DANS LE RAP 16

1/ Diam's, «l'exception» 16

2/ La représentation des rappeuses dans les oeuvres audiovisuelles récentes 18

a - Validé 18

b - Diana Boss 19

c - Nouvelle École 19

d - Reines 20

2

3/ La représentation des rappeuses dans les médias 21

a - Opposition de genres dans la critique spécialisée 21

b - La représentation des rappeuses dans les médias généralistes 23

III. DÉMONSTRATION D'UN CERCLE VICIEUX, LIANT PUBLIC ET INDUSTRIE 25

1/ Le rap, victime de stéréotypes 25

2/ C'est plus dur pour une femme de se lancer dans le rap 26

3/ Un manque de prise de risque de la part de l'industrie musicale 30

4/ Relation entre le public et les rappeuses 32

a - Les rappeuses américaines ont la côte en France 32

b - Le public est-il prêt à écouter des rappeuses francophones ? 35

c - Un public invisibilisé 37

CHAPITRE 3 : LES SOLUTIONS À METTRE EN PLACE POUR AIDER LES RAPPEUSES À SE

POPULARISER EN FRANCE 40

I. UN CHEMIN VERS LA PARITÉ 40

1/ Plus de femmes dans l'industrie, pour un nouveau point de vue 40

2/ Donner de la visibilité 42

3/ For us, by us 43

II. DES SOLUTIONS CONCRÈTES 44

1/ Créer des safe places 44

2/ Les subventions, clés de la production 46

3/ Le choix stratégique des featurings 47

4/ L'opportunité du digital 48

a - Le pouvoir des plateformes de streaming 48

b - Les services pour artistes indés 50

CONCLUSION 52

BIBLIOGRAPHIE 55

ANNEXES ..57

3

INTRODUCTION

Le rap c'est la nouvelle pop. Aujourd'hui le rap devient le genre musical le plus populaire en France. Jul, Ninho et Orelsan sont les artistes les plus écoutés en 2021. On dit d'ailleurs que nous sommes le 2e pays du rap après les États-Unis. Pourtant, seules trois rappeuses ont obtenu un disque d'or dans l'Histoire du rap français : Diam's, Keny Arkana et plus récemment Shay. Pour un genre aussi populaire, il est légitime de se demander pourquoi il y a si peu de parité dans la riche proposition artistique du rap français.

Depuis les années 1990, le rap n'a pas cessé son ascension dans les charts et dans le coeur des français. Ce style musical a su diversifier son public et prendre une place essentielle dans l'industrie musicale française. Aujourd'hui, la scène rap française est très variée. Pourtant, l'absence des femmes et plus particulièrement des rappeuses sur cette scène est frappante. «Et même si moi je les entends, tu vois beaucoup de femmes dans le rap en France ?» (PAS PRÊT.E.S, Sopycal)1. Après avoir vu le concert de rappeuse en liberté à la Machine du Moulin Rouge en octobre 2021, j'ai commencé à m'interroger sur la place des femmes dans le rap. En parlant du sujet avec mon entourage, j'entendais toujours ces mêmes phrases : «il n'y a pas de rappeuses», «c'est moins bien quand une femme rap» ou «j'adore Diam's, aucune meuf a fait aussi bien depuis». Notre génération semble avoir oublié que les femmes sont présentes depuis le début du rap français, avec des pionnières comme B Love, Saliha ou Sista Cheefa, aux côtés de NTM, IAM et MC Solaar. Elles ont ouvert la voix à d'autres rappeuses comme Keny Arkana, Casey ou Lady Laistee, et posé les bases qui ont permis le succès populaire de Diam's. De même, il y a bien des rappeuses depuis Diam's, aucune d'elle n'a atteint une visibilité équivalente, mais Diam's a eu plus de succès que bien des artistes, pas seulement les autres rappeuses.

L'objectif principal de ce mémoire est d'essayer de comprendre pourquoi il y a si peu de femmes dans le rap et surtout comment aider les rappeuses à se populariser en France dans les années à venir. C'est une problématique ancrée dans l'actualité, qui constitue un enjeu de l'industrie musicale française aujourd'hui. Cet enjeu me concerne et concerne ma génération, car nous

1 Sopycal est une rappeuse française. Extrait de son dernier morceau Pas Prêtes, 2022.

4

pouvons jouer un rôle dans l'évolution de cette industrie. La musique étant représentative de son époque, ce sujet révèle énormément sur la place des femmes dans notre société. J'ai pris le parti d'interroger un maximum de professionnels de l'industrie. Ce mémoire est donc le fruit de nombreux témoignages et de mes observations sur le terrain. J'ai également tenu à me baser sur le plus d'études possibles, pour éviter qu'on me reproche une approche trop subjective, j'apporterais tout au long de ce mémoire beaucoup d'éléments factuels, de chiffres et d'analyses sociologiques.

Le rap se définit, selon le sociologue Karim Hammou, par une technique de voix, une façon de parler en rythme. Cela désigne par la suite un genre musical, avec des techniques musicales et des révolutions technologiques au niveau de la composition musicale. Les rappeuses sont des artistes s'identifiant comme femme et qui définisse leur style musical comme du rap. J'évite le terme «rap féminin» qui met les artistes féminines dans une sous-catégorie. En revanche, je parlerais beaucoup dans ce mémoire de «rap français», en tant que marché français. Ce marché est composé d'artistes francophones, englobant notamment des artistes suisses, belges et luxembourgeoises qui ont une place importante sur le marché musical français. J'ai décidé de me limiter au marché musical du territoire français car la place des rappeuses peut constituer des freins et des enjeux différents dans les autres pays francophones, du fait de leur culture et de leur histoire.

Pour répondre à la problématique : qu'est ce qui freine la visibilité des rappeuses dans l'industrie musicale française et quelles solutions peut-on mettre en place ? Je justifierai dans un premier temps que les rappeuses françaises sont présentes, mais sous-représentées dans le rap français. Ensuite, j'expliquerai pourquoi les rappeuses ont dû mal à se faire une place dans le rap français, et enfin, je présenterai les pistes de solutions possibles et existantes pour aider les rappeuses à se populariser en France dans les années à venir.

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CHAPITRE 1 : LES RAPPEUSES SONT SOUS-REPRÉSENTÉES DANS LE RAP FRANÇAIS

Cette première partie permet de présenter des données prouvant que les rappeuses ont une place pour l'instant limitée dans le rap français, mais aussi qu'elles sont quand même présentes plus que ce que l'on peut le croire. Cela permettra de problématiser la place des rappeuses dans l'industrie musicale française.

I. Le public rap en France

1/ Un public diversifié

Avant de dégager des pistes sur pourquoi les rappeuses sont moins écoutées, on essaye de comprendre quel public consomme du rap. Le rap est considéré comme un milieu masculin. Dans le sondage Google Form2 que j'ai créé dans le cadre de mes recherches, 75% des participants ont répondu «oui» à la question «trouves tu que le rap est un milieu masculin ?«. Je vais reprendre ici une une étude menée en 2017 par Le Patch et SoCo Études en partenariat avec l'ARA et le RAOUL, intitulée «Les jeunes et la musique en Haut de France».

Dans cette étude qui vise à analyser les comportements des jeunes quant à la musique, on apprend que le rap est l'esthétique musicale la plus écoutée dans les Hauts de France. En effet, 65% des adolescent·e·s interrogé·e·s citent le rap parmi les styles musicaux qu'ils·elles aiment, contre 41% qui citent la pop. Ces données s'apparentent à celles que j'ai récolté via mon sondage Google Form, où 47% des participants ont répondu «rap» à la question «Quel style musical écoutes-tu le plus ?», contre 24% la pop. Sachant que 83% des participants appartiennent à la tranche d'âge 18-24 ans. Plus tard en 2020, un complément d'étude est publié par AGI-SON, cette fois sur l'entièreté du territoire français. Il est alors établi que 67,6% des 12-18 ans écoutent de la musique "hip hop". Cette catégorie n'inclut par le RnB qui représente 19,5% à elle seule des écoutes des jeunes de 12-18 ans. Le rap semble aussi être apprécié autant des collégiens (12-15 ans) que des lycéens (15-18 ans).

2 Voir le sondage complet en annexe

6

Les jeunes en général semblent avoir des goûts musicaux plus éclectiques que les tranches d'âges plus élevées. Ceci a été théorisé sous le concept de "goûts omnivores» :

«Les jeunes investissent leurs goûts musicaux pour diverses raisons : tout d'abord parce que dans l'injonction sociale contemporaine à s'inventer soi-même, les objets culturels occupent une place majeure ; ensuite parce que l'adolescence représente la période au cours de laquelle cette injonction est sans doute la plus forte. Ces choix produisent donc à la fois des appartenances collectives et des constructions individuelles générant de l'identité».3

Selon l'étude de Stéphanie Molinero Les Publics du rap, le rap est une musique générationnelle. Il entend par là qu'au début des années 1990, le public rap était surtout composé de personnes de moins de 20 ans. Ces personnes qui ont grandi avec le rap ont continué d'en écouter et à la fin des années 2000, c'était surtout les 30-35 ans qui écoutaient du rap. En 2020, le rap est le genre le plus écouté par les 18-35 ans. Dans les années 1990, l'écoute était socialement mixte, autant écoutée par les enfants de classes ouvrières que de classes supérieures. La capacité du rap à miser sur les évolutions technologiques et de langages lui permet de toujours diversifier son public. Le public rajeunit et se gentrifie, touchant aujourd'hui un large public. Le public rap ne se distingue donc pas des publics des autres styles musicaux par sa classe sociale, mais par son âge. Pourtant, depuis la fin des années 2000, le rap est de plus en plus écouté dans les milieux populaires, contrairement à ce qu'on pourrait penser. Le rap touche donc de plus en plus de monde, et surtout un public de plus en plus diversifié.

2/ Un public paritaire

Les filles présentent un taux d'appréciation de genres différents plus élevé que les garçons. Effectivement, selon l'étude Les Jeunes et la musique en Hauts de France, 53% des filles aiment le rock contre 38% de garçons, 52% aiment la pop contre 30% des garçons, 48% la chanson contre 24%, et 37% des filles aiment les musiques du monde contre 24% des garçons. Les garçons sont, eux, plus nombreux à écouter de l'électro et du métal que les filles. Une donnée a

3 PETERSON Richard and KERN Roger, Changing highbrow Taste: from snob to omnivore, American Sociological Review, 1996.

été déterminante dans mes recherches. La phrase la plus importante de cette étude reste que «les filles aiment autant le rap que les garçons». Il y a donc près d'1 jeune sur 2 qui écoute du rap et ce n'est peut-être pas le public masculin, de classe populaire et zone urbaine que l'on croit. Le public féminin est effectivement présent dans la musique rap. Si vous vous rendez à un concert de Ninho, rappeur français qui cumule plus de 2,5 milliards de vues sur YouTube et qui rassemble aujourd'hui 127 singles d'or, vous n'aurez aucun doute sur la présence du public féminin. Les rappeurs français les plus populaires doivent sûrement rassembler un public qui tend vers le 50% masculin et féminin, alors que le public rap était composé d'un tiers de femmes à la fin des années 1990.

II. La place des rappeuses dans le marché musical français

Si on se doute que 100% de ceux qui écoutent du rap écoutent des rappeurs, 47% des participants à mon sondage Google Form ont répondu non à la question Écoutes-tu des artistes de rap féminines (rappeuses) ?. Ceux qui ont répondu non ont dit à 64% qu'ils sont ouverts à écouter des rappeuses, mais qu'ils n'en connaissent pas. 20% ont dit qu'ils connaissent des rappeuses mais qu'ils n'aiment pas leur musique. L'analyse de ces données me fait dire qu'il y a un souci de visibilité des projets féminins de rap car ils existent bel et bien. De plus, vu le nombre et la richesse des propositions, il est peu probable qu'absolument aucun projet de rappeuse existant ne plaise à un auditeur de rap.

7

Graphique extrait du sondage Google Form, voir en annexe.

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1/ Les rappeuses existent bel et bien

J'ai pu interroger Éloïse Bouton, journaliste et fondatrice de Madame Rap, sur la question.

Le média Madame Rap recense les rappeuses qui s'identifient comme femmes ou LGBTQ+ dans le monde. Au mois de mai 2022, la page compte 413 rappeuses professionnelles, c'est-à-dire ayant sorti au moins un projet, pour 2800 dans le monde entier. Je n'ai pas trouvé de données sur le nombre de rappeurs en France, cependant on peut s'étonner du nombre de rappeuses recensées.

Selon Éloïse Bouton, fondatrice de Madame Rap, sur les 413, il y aurait environ 350 rappeuses actuellement en profession. Pourtant, seuls 3 ou 4 noms reviennent chez le grand public. À la question 3 du sondage Google Form Les artistes de rap français que tu écoutes le + (1 à 3), 152 réponses ont été données, avec seulement deux fois le nom de Chilla apparaissant et une fois celui de Diam's, donc deux rappeuses. À la question 5 Écoutes-tu des rappeuses, si oui qui ? Ce sont également les noms de Chilla et Diam's qui ont été le plus cités, suivis de Shay.

2/ Les rappeuses, grandes absentes des ventes

Selon les bilans annuels de la SNEP, dans le top 20 des ventes d'albums en France en 2021, 12 étaient des albums rap/hiphop. Aucun de ces 12 albums n'était un album de rappeuse. De même, le top 50 compte 29 albums rap/hip hop, et aucun de rappeuse. Pareil pour le top single 2021, 11 singles de rap trouvent leur place dans le TOP 20, avec en tête La Kiffance de Naps. Aucun single de rappeuse, francophone ou autre, ne se place dans ce top 20. Toujours selon les chiffres publiés par la SNEP, le Top 10 des albums de rap les plus vendus en 2021 est composé exclusivement d'hommes : PNL, Booba, Djadja & Dinaz, Naps, Ninho (avec deux albums, Jefe et M.I.L.S 3), Jul, Damso, SCH, et, en tête, Orelsan avec 340 000 exemplaires de son album Civilisation vendus.

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TOP 10 singles les plus écoutés en France en 2021, Spotify Wrapped

Dans l'enquête de Baron & Pineau l'implantation du rap à Fécamp, menée dans deux lycée en 2011, les rappeurs les plus cités sont ceux qui sont les plus diffusés au moment de l'enquête : Soprano, Eminem, La Fouine, et dans une moindre mesure Booba et Mister You. Les rappeurs de la région arrivent derrière, et Zikr's est le plus cité avant Médine.

Seulement trois rappeuses françaises ont obtenu un single d'or, ce qui correspond à 50 000 ventes. Cela correspondait à 75 000 ventes avant 2009, donc l'époque où l'a obtenu Diam's. C'est bien plus tard en 2020 que Shay obtient ses 50 000 ventes pour son album Antidote. Pour Keny Arkana c'est plus long, elle obtient un disque d'or en mars 2021 pour son album Tout Tourne Autour Du Soleil sorti en 2012.

2/ Les rappeuses sont mal intégrées auprès des rappeurs

Par ailleurs, de plus en plus d'albums collectifs voient le jour depuis l'initiative de Bande Organisé en 2020. Sur les 157 artistes de Classico Organisé, qui sort en novembre 2021, seulement deux sont des rappeuses, Doria et Keny Arkana. Je cite un titre d'un article de Mou'v : «Une réussite collective. En réunissant 157 artistes de Marseille et Paris sur le Classico Organisé, Jul peut être fier d'avoir une nouvelle fois marqué l'histoire du rap français, comme personne avant lui». Il est légitime de se demander pourquoi il y a si peu de femmes dans ce projet qui représente une réussite collective. Pourquoi ne pas avoir invité d'autres rappeuses ? «Je pense qu'il n'y a tout simplement pas pensé», m'a répondu Mekolo Biligui, journaliste rap, lors de son interview. Une version féminine de Bande Organisée a vu le jour sur YouTube et comptabilise 2,850 millions de vues. Le morceau réunit les rappeuses Saaphyra, Veemie, Tehila Ora, Lil So, Ladyland, Léna Morgan, Mina West et Mel. De même, Braquage à la Lyonnaise et 93 Empire à l'initiative de Jayel et Sofiane ne comptent aucunes rappeuses. Val de Rap, sorti le 10 juin et représentant les artistes du 94, présente 2 rappeuses sur sa compilation de 50 artistes: Chana et Amy.

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On voit ici que Shay est la seule rappeuse intégrée à une «communauté» de rappeurs sur le marché français, avec des liens avec Booba, Niska, Damso... Beaucoup de rappeuses sont isolées et ne sont pas invitées sur les projets de rappeurs (feats, collectifs...).

4/ Les rappeuses sont absentes des bases de données

Le travail de recensement que réalise Madame Rap est purement manuel, elle les trouve sur les réseaux, plateformes de streaming, par le bouche à oreille... D'autres plateformes qui font offices de base de données à de nombreux chercheurs comme Genius ne font pas le même travail. Genius est une sorte d'encyclopédie numérique qui permet de rassembler les oeuvres musicales. Le concept de Genius est d'expliquer les paroles des chansons. Ça fonctionne sur le crowdsourcing, c'est-à-dire que, comme Wikipédia, il est alimenté par les internautes. Karim Hammou explique que «pour de multiples raisons, ces communautés d'amateurs s'investissent dans le projet en introduisant des biais sexistes»4. De nombreux travaux de sciences humaines et sociales utilisent Genius pour leurs recherches sur la musique et le rap. Les rappeuses sont largement absentes du site, leurs morceaux sont peu détaillés. «Début 2019, toutes les rappeuses françaises bénéficiaient ainsi ensemble d'une attention de la part de la communauté des amateurs moins importante que le rappeur Booba seul».

Que ce soit la nouvelle génération de rappeuses, ou celle présente avant Diam's, le public ne semble pas voir les rappeuses françaises. En effet, si il y en aurait plus de 350 actives en France aujourd'hui, elles sont très peu représentées dans les ventes et les certifications et ont peu de visibilité. Le grand public doit en connaître 3 ou 4. Elles semblent également peu se mélanger aux rappeurs français, qui ne leur donnent pas vraiment de «force».

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4 HAMMOU Karim, Le Genius n'a pas de sexe, Hypothèses, Sur un son rap

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CHAPITRE 2 : QUELS FREINS EMPÊCHENT LES RAPPEUSES DE S'IMPOSER DANS LE RAP FRANÇAIS ?

De plus en plus de projets féminins qualitatifs sortent sur les plateformes. Comment alors expliquer cette absence des femmes dans les artistes de rap les plus écoutés ? J'ai voulu comprendre si le public est réticent à écouter des rappeuses, si les professionnels de l'industrie sont réticents à promouvoir les rappeuses ou si le manque venait plutôt de leur part, si elles sont réticentes à se lancer dans le rap. Je vais ici démontrer que c'est avant tout un problème de société, qui impact l'industrie, le public et les rappeuses.

I. Approche scientifique

Il me semble important d'apporter une vision sociologique à cette recherche. Plusieurs chercheurs comme Karim Hammou, Emmanuelle Carinos, Marie Sonnette, ou Denis Constant Martin, en sociologie et ethnomusicologie, ont commencé des recherches sur le rapport des genres dans le rap. Dans cette partie, je me baserai essentiellement sur leurs travaux, en relevant les points qui sont les plus pertinents pour ce mémoire.

1/ Un sexisme de société

a - Tuyau percé

Dans tous les domaines de la société, les femmes sont bloquées à un certain niveau de la hiérarchie. Leur progression est freinée. Elles sont largement absentes des postes les plus élevés de la hiérarchie. Dans la musique par exemple, 13% de femmes ont été recensées par Karim Hammou à des postes de décision dans les entreprises qui font plus de 10 millions de chiffre d'affaires. Cette notion est théorisée comme «le plafond de verre». Elle est aussi présente dans le métier d'artiste. Peu de rappeuses accèdent à un niveau élevé de notoriété, pouvant être qualifié de mainstream. Bien que ce soit un niveau difficile à atteindre pour tout artiste, on voit bien que dans le rap, à part quelques noms connus du grand public comme Diam's, Chilla, Shay... La

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plupart des artistes rap qui atteignent ce niveau sont des hommes. Seules trois rappeuses francophones ont obtenu un disque d'or, équivalant à 50 000 ventes depuis 2009.

Il existe d'autres termes pour qualifier des phénomènes équivalents. La notion de tuyau percé explicite le fait que les femmes sont éjectées à chaque niveau d'une organisation et sont donc de moins en moins présentes, plus on monte les échelons. La « falaise de verre » montre également que les femmes sont uniquement promues à des postes de pouvoir lorsque l'entreprise est en crise. Selon l'institut belge pour l'égalité des femmes et des hommes, le manque de compétence des femmes peut difficilement être invoqué et le plafond de verre engendre une perte énorme de potentiel. En effet, les entreprises caractérisées par un équilibre de genre au niveau du management obtiennent de meilleurs résultats. Karim Hammou illustre cette notion avec comme exemple, qu'on ne compte que 5% d'album rap publié par des femmes, alors qu'au début des années 2000, 40% des femmes constituaient le public rap. Avec la féminisation des pratiques culturelles, ce chiffre est aujourd'hui plus proche des 50%. Pour Karim Hammou, le rap a toujours été traité dans les médias comme le genre machiste par excellence, mais ça permettrait de reconnaître qu'il y a du sexisme dans le milieu plus facilement que dans d'autres domaines. Le sexisme vient aussi bien d'autres rappeurs, du public, des directeurs de labels, de la critique musicale...

Cet entre soi masculin participe à l'invisibilisation des rappeuses. Cela impact aussi la direction artistique imposée à certaines rappeuses. On les pousse vers la pop et le RnB. Les styles sont associés à des genres, et plus généralement, la douceur et la mélodie au féminin et la violence au masculin. «Une fille qui chante avec une voix douce et une guitare acoustique ça marche très bien, mais si elle veut être lead singer d'un groupe de metal on considère que y' a pas de place pour ça» (Renaud Durussel, interview complète en annexe).

b - Déni d'antériorité

Le déni d'antériorité est le fait de consacrer un caractère exceptionnel et nouveau à un événement, alors qu'il ne l'est pas vraiment. Il est souvent lié à la présence des femmes dans un milieu. Par exemple : "à l'échelle de l'histoire littéraire, une des procédures de disqualification

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des femmes consiste à réitérer le caractère inédit de leur présence : les écrivaines sont toujours nouvelles en littérature»5. C'est ce qui se passe dans le cas des rappeuses. À part Diam's, très peu de gens peuvent citer des rappeuses, pourtant, les femmes sont présentes dans le rap dès ses débuts : B.love, Sté Strauz, Saliha, Melaaz, Casey, Keny Arkana, Princesse Aniès, Lady Laistee. Diam's a été le premier succès commercial, mais pas la première rappeuse. De plus, on a l'impression qu'après elle, il n'y a plus eu de rappeuses. Hors, une nouvelle génération est bien présente, puisqu'on estime le nombre de rappeuses à 350 actuellement6, et c'est probablement plus. Les médias font normalement ce travail de mémoire, c'est eux qui construisent une nostalgie autour de Diam's et oublient trop souvent de mentionner une rappeuse qui sort son album, ou les pionnières du rap en France, qui avait d'ailleurs eu un succès à leur époque. Il faut le rappeler, pour que le public ne pense pas qu'à chaque fois qu'une femme se lance dans le rap, c'est exceptionnel. «Les déclarer novices dans cet espace de la création, les prive collectivement de l'existence d'une filiation légitime. Cette assertion répétée d'une période à l'autre, entrave continûment leur participation à la littérature, leur infligeant un « déni d'antériorité».

2/ Rap de fille

Malgré les 2800 femmes et personnes LGBTQ+ qui sont artistes de rap dans le monde, selon le média Madame Rap, «les artistes masculins sont la norme, et être une femme reste une particularité» (Éloïse Bouton, fondatrice de Madame rap).

Dans notre culture, fille équivaut à moins bien. Une rappeuse est perçue comme inférieure à un rappeur. Martin Winckler, sur un tout autre sujet, a étudié le sexisme dans les études médicales. Il a trouvé que le corps de la femme a été beaucoup moins étudié que le corps de l'homme. Cela veut dire, d'une part, qu'on sait moins bien soigner une femme qu'un homme. D'autre part, que le corps de l'homme est beaucoup plus représenté dans les ouvrages de médecine. Je trouve pertinent de citer son travaille car il s'applique finalement à la vision de la femme de manière générale. Cela prouve aussi l'importance de la représentation et de la visibilité pour façonner l'image collective. «D'ériger le corps masculin en norme a comme conséquence de traiter le

5 NAUDIER Delphine, Genre et activité littéraire : les écrivaines francophones, 2010

6 Chiffres Madame Rap

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corps féminin comme corps différent, comme corps spécifique, comme corps qui dévie de la norme. Pour cette raison, la médecine a depuis l'Antiquité décrit le corps féminin comme inférieur à celui de l'homme, instable, pathologique». Ceci se vérifie dans bien d'autres écrits. Par exemple : «La froideur et l'humidité, associées à un tempérament flegmatique, rendent les femmes naturellement plus faibles parce qu'elles sont physiquement imparfaites, empêchées par un corps constamment malade.»7. Ces idées sont véhiculées depuis la mythologie, et affectent jusqu'à ce qui devrait être un domaine purement objectif et scientifique comme la médecine. Wittig rappelle, lui, que le concept de «différence des sexes» constitue «ontologiquement les femmes en autres différents. Les hommes eux ne sont pas différents. (Les Blancs non plus d'ailleurs ni les maîtres mais les Noirs le sont et les esclaves aussi).» On imagine bien alors, qu'un domaine aussi soumis à la subjectivité que l'art, la musique, est terriblement impacté par ces idées sexistes et patriarcales, comme la femme étant une suite de l'homme, une réplique moins qualitative.

C'est pour cela que du simple fait de leur genre, les rappeuses sont soumises à une pression bien plus élevée que les hommes. La critique est intransigeante. Une rappeuse, pour être considérée comme «forte» devra être excellente. Là où, un rappeur dont le flow est correct, une punchline est sympa ou le concept du son est fun, pourra percer plus facilement. Dès les débuts du rap en France, les femmes abordent ce sujet «Combien de fois j'entends les mecs dire des meufs qu'elles n'avaient pas assez de punch, qu'elles n'assuraient pas au niveau des paroles etc... et tandis qu'elles regroupent à peu près toutes les mêmes qualité que les mecs espéraient chez une rappeuse, maintenant elles ne sont pas assez féminines» (Sista Cheefa, 1995). Saliha, bien que son nom soit rarement connu du grand public, est une pionnière du rap en France. Elle dit en 1997 «Quand tu es une fille sur scène, le public a plus d'idées préconçues, de préjugés (...) Tu as intérêt à te battre deux fois plus».

On voit donc bien que le sexisme présent dans notre société rend l'accès au rap plus difficile pour les artistes féminines que les artistes masculins. Dans la perception générale du public, et parfois dans la leur, une rappeuse serait moins douée qu'un rappeur. Dans la prochaine partie,

7 DORLIN, La matrice de la race : Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, 2006

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j'aborderais la responsabilité des médias et le rôle des oeuvres audiovisuelles dans la perception et l'existence des rappeuses auprès du public.

II. La représentation des femmes dans le rap

1/ Diam's, «l'exception»

Inutile de vous présenter l'interprète de La Boulette ou Confessions Nocturnes. Dans ma Bulle est l'album de rap le plus vendu entre 2000 et 2013, avec presque 850 000 disques vendus. En 2004, elle gagne la Victoire de la musique du meilleur album rap. C'est la première femme a gagner dans cette catégorie créée en 1999. Diam's a marqué l'histoire du rap français, et c'est souvent la seule rappeuse que le grand public, toutes générations confondues, sait citer. Je me suis demandée pourquoi on la considère autant comme une exception et si cela ne participe pas à invisibiliser les rappeuses.

Diam's décide de se retirer du rap game en 2009, elle fait son premier retour médiatique ce mois-ci (juin 2022) pour présenter son biopic Salam.

J'aimerais rappeler dans un premier temps que, si aucune rappeuse n'a atteint son succès en termes de ventes et popularité, pratiquement aucun rappeur n'a atteint son succès non plus. L'image d'exception de Diam's a été associée à un talent inégalable. S'il n'est pas question de remettre en question son talent et sa carrière, on peut se demander pourquoi les rappeuses sont toujours comparées à Diam's et pourquoi c'est toujours la rappeuse française la plus médiatisée alors qu'elle a arrêté sa carrière depuis 2009.

L'immense succès de Diam's s'explique de plusieurs manières. Elle a commencé en prouvant ses talents de kickeuse, mais n'a pas hésité par la suite à se tourner vers des styles plus populaires comme la variété. Elle parlait de la société comme de ses amours, donc les thèmes abordés parlaient à tout le monde. Elle a suivi la technologie (pionnière de l'autotune en France), elle a fait le choix d'apparaître dans des émissions Grand Public (Nouvelle Star). Son label à aussi décider de féminiser son image pour son album Brut de Femme en 2003. Elle était aussi blanche

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et de de classe moyenne, ce qui la rendait plus acceptable en tant que figure médiatisée et grand public, par rapport à d'autres rappeuses de l'époque. «Diam's n'était pas qu'une kickeuse. Son succès, elle le doit aussi au fait qu'elle a fait de la variété. Elle a pu toucher un public plus sensible d'adolescentes. Diam's était un girlband à elle toute seule finalement» (Sylvain Bertot).

À l'époque, Diam's ne faisait pas tant l'unanimité, elle était même parfois vivement critiquée par les autres rappeurs et la presse spécialisée. Aujourd'hui, elle n'est plus là pour sortir un album «décevant», ou déclencher une nouvelle polémique. Les médias construisent et entretiennent depuis son départ une nostalgie autour d'elle, alors même qu'ils l'ont poussé à mettre fin à sa carrière. Elle témoigne de son expérience avec les médias dans son documentaire Salam: «vous avez oublié je crois»; «ils ont brisé l'amour qu'il y avait entre moi et le public»8. Le talent des nouvelles rappeuses ne devrait en aucun cas être comparé à celui de Diam's. Certaines de la nouvelle génération la connaissent à peine, d'autres n'ont jamais mentionné une quelconque influence de sa part ou volonté de l'égaler. On ne dit jamais d'un rappeur émergent qu'il n'est pas aussi doué que Booba. Les styles de rap même n'ont souvent rien à voir. Finalement, on les compare seulement parce que ce sont des femmes dans le rap. «En France on aime bien les exemplaires uniques. Comme s'il n'y avait de la place que pour une personne. Il y a eu une grande rappeuse et on dit aux nouvelles qu'elles n'auront jamais son succès. En plus elle allait très mal durant sa carrière. On pousse les femmes à être en compétition entre elles comme s'il y avait peu de places.» (Éloïse Bouton)9.

Diam's n'est ni la première rappeuse ni la dernière. Des femmes lui ont ouvert le rap avant elle mais n'ont jamais atteint un succès aussi populaire. Pour cette raison, les médias cultivent ce déni d'antériorité. «Ainsi c'est l'industrie qui a écrit l'histoire de Diam's. C'est finalement cette grosse machine qui a le plus profiter de son succès. Donc l'industrie se sert allègrement de cette image de Diam's qu'elle a fabriqué» (Mekolo Biligui)10. Pendant que la presse étale son ancre pour continuer à faire l'éloge de Diam's, elle invisibilise les nouvelles rappeuses qui arrivent derrière. Pourtant, ce sont les rappeur.eu.s de notre génération qui feront le futur du rap français.

8 Témoignage de Mélanie Diam's dans son documentaire Salam, produit par Brut. Vu au cinéma le 2 juillet 2022

9 Voir l'interview complète d'Éloïse Bouton en annexe

10 BILIGUI Mekolo, Le fantôme de Diam's hante les rappeuses françaises, Hiya

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2/ La représentation des rappeuses dans les oeuvres audiovisuelles récentes

Entre 2021 et 2022, plusieurs projets audiovisuels mettant en scène des rappeuses voient le jour. Ces séries, émissions ou documentaires ont la particularité de toucher un public large, pas seulement des fans de rap. Grâce à cela, ils jouent un rôle dans la perception que le grand public a des rappeuses. Si ces projets sont produits dans une tendance de montrer les femmes dans le rap, ils sonnent parfois faux, et peuvent entretenir une image faussée des rappeuses.

a -Validé

La série Validé est créée par Franck Gastambide, Charles Van Tieghem, Xavier Lacaille et Giulio Callegari et diffusée sur Canal +. Elle se déroule dans le paysage du rap français. Sa deuxième saison met en scène une rappeuse. Synopsis : Un an après la mort tragique de Clément, William et Brahim lancent le label Apash Music pour honorer la mémoire de leur ami. Ils misent tout sur Sara, une jeune rappeuse qui, en plus de son combat pour exister en tant que femme dans le rap game, voit son passé trouble ressurgir.11

Dans une interview pour Europe 1, Franck Gastambide dit «le parcours d'une femme dans le rap est forcément, lui aussi, pas ordinaire. D'abord parce qu'elles ne sont pas nombreuses. Et aussi parce qu'elles ont des embûches qui ne sont pas les mêmes.".

«Pour la saison 2 de Validé, j'espérais qu'ils parlent d'une rappeuse justement, mais je trouve que ça n'a pas été bien exploité, le rap est devenu secondaire.» (Mekolo Biligui)12.

Le sujet de la femme dans le milieu du rap est laissé tombé pour une intrigue qui se base sur la vie personnelle du personnage principal. Sara est développée comme mère, comme ex-copine et comme love interest, moins comme rappeuse. Je pense que c'était la meilleure chose à faire de montrer une rappeuse pour cette deuxième saison, mais la série n'a pas fait passer les messages qu'elle aurait pu. Mettre une rappeuse au coeur de cette deuxième saison était la meilleure chose

11 Synopsis de Validé saison 2, Allociné

12 Voir l'nterview complète de Mekolo Biligui en annexe

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à faire pour apporter un nouveau discours à la série. Il faut reconnaître que celle-ci reste singulière dans le paysage des séries françaises, et même si elle romance et fantasme sûrement un peu trop le milieu dans cette saison,

b - Diana Boss

Diana Boss est une série de France TV Slash écrite par Marion Seclin. Elle met en scène Malika, qui essaye de trouver sa place entre son job d'avocate et le rap. Cette série apporte un point de vue différent des autres projets. C'est le seul projet audiovisuel français sorti récemment, qui met en scène une rappeuse et qui a été écrit par une femme. Pour Marion Séclin, le rap est secondaire. D'ailleurs, on lui a imposé «femme» et «rap». C'est avant-tout une série féministe, qui fait évoluer son personnage entre deux monde opposés dans les consciences, et pourtant tous deux bien sexistes. Le personnage de Malika est présenté dans la courte série, à travers son ambition et les freins auxquels elle fait face en tant que femme racisée. Ça fait du bien de ne pas la présenter comme love interest d'une romance qui prendrait trop de place dans la narration. Cette série a été produite par France TV Slash dans un souci de tendance, montrer les femmes dans le rap c'est à la mode. Pourtant, c'est peut-être la plus juste dans la présentation des enjeux de son personnage féminin. Au moins, on ne nous rabâche pas à quel point c'est exceptionnel et dur d'être une rappeuse, mais que ces freins sont présents dans bien des milieux.

c - Nouvelle École

Nouvelle École est une émission produite par Netflix et sortie le 9 juin 2022. C'est la version française de Rythm & Flow aux États-Unis. Les jurés Shay, Niska et SCH cherchent la nouvelle pépite du rap français, entre Bruxelles, Paris et Marseille. Malgré des incohérences dans le show et un montage plutôt expéditif, qui implique pour l'instant peu le spectateur dans l'émission, il faut reconnaître la présence de rappeuses au casting telles que Soumeya, Leys, KT Gorique, Turtle White... On sent la volonté des showrunners de montrer des femmes. C'est une bonne chose car cette émission signée Netflix sera probablement regardée par un public large, qui n'a pas le réflexe d'aller découvrir des rappeuses. On note cependant la représentation ambivalente des rappeuses, d'un côté par Shay qui a un discours féministe, et de l'autre par Niska qui a des

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propos problématiques. Il dit à la rappeuse Leys dès le premier épisode qu'il va falloir qu'elle fasse la différence, car c'est un milieu de requins et très masculin, après avoir ajouté que le rap féminin en France c'est difficile car on ne voit pas beaucoup de femmes qui rap et que, peu de meufs ont le niveau. Je trouve que ça met une pression sur les rappeuses, qui doivent faire leurs preuves plus que leurs concurrents masculins, sous prétexte que c'est un milieu masculin. De plus, il dit que de ce qu'il écoute, peu de rappeuses ont le niveau, plaçant ainsi encore une fois le rap féminin comme catégorie inférieure face à un rap masculin.

d-Reines

Reines, pour l'amour du rap, est un documentaire diffusé sur Canal + en octobre 2021. 5 rappeuses sont réunies pour faire un morceau. Ahoo cumule aujourd'hui plus de 5 millions de vues sur YouTube et réunit les artistes Chilla, Davinhor, LeJuiice, Vicky R et Bianca Costa. Le documentaire s'ouvre sur un titre de Diam's sans que ce soit justifié, pour introduire un faux planète rap et des interventions comme «est-ce qu'il faut être sexy pour réussir ?». On ne comprend pas pourquoi Vicky R et Bianca Costa n'ont pas la parole en 1h15, seules 3 des artistes ont droit à un portrait. Même si Bianca Costa a créée sa Bossa trap, c'est quand même une artiste plus ancrée dans la pop que le rap, on à l'impression qu'elle a été appelé pour apporter une touche latino au morceau. Cependant, certains témoignages sont intéressants. Chilla nous parle des escroqueries et des rencontres malveillantes qu'elle a faites au début de sa carrière, qui est une réalité de beaucoup d'artistes, et encore plus pour les femmes dans la musique. Elle raconte aussi qu'elle a été dérangé d'être considérée comme représentante du combat féministe, et qu'elle ne voulait pas être perçu seulement à travers cette image. Vicky R et Davinhor expliquent aussi plus tard dans une interview qu'on fait croire aux femmes qu'il n'y a de place que pour une seule rappeuse, alors que les propositions sont extrêmement variées. Finalement, le documentaire est une bonne initiative, mais il aurait été judicieux d'impliquer plus de femmes dans sa production. En effet, aucune beatmakeuse n'a été appelée sur le morceau, le documentaire est produit et réalisé par un homme, même le chef opérateur est un homme, la seule intervenante féminine est la directrice artistique Juliette Fivet.

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Si on sent la volonté de ces projets de mettre en avant des rappeuses, ils ont quand même tendance à les présenter à travers leur absence. Hors, on a vu que les rappeuses sont de plus en plus nombreuses en France, on ne peut plus présenter l'exception de la femme qui rap. De plus, la plupart de ces projets sont à l'initiative et réalisés par des hommes. Diana Boss est la série qui souffre le moins du male gaze. Ainsi, les enjeux des rappeuses sont présentés de manière un peu fausse, romancée et fantasmée.

3/ La représentation des rappeuses dans les médias

a - Opposition de genres dans la critique spécialisée

Les médias ont une importance capitale dans la perception qu'à le public d'un artiste. «Les professionnels du jugement, sont responsables de la première attribution publique de sens et de valeur à une oeuvre» (Buch, 2006)13. Ils peuvent transformer l'image d'un artiste en mettant en lumières certains points et en écartant d'autres, ce que Karim Hammou théorise comme des «prises» et des «décrochages». Ils utilisent aussi parfois un lexique associé à un genre, qui contribue à opposer artistes masculins et féminins. On sépare ici les médias en deux catégories, les médias généralistes et les médias spécialisés.

Certains chercheurs ont mis en lumière ce phénomène, en montrant que la presse relaie de nombreux propos sexistes. Karim Hammou a étudié la réception critique de Diam's et Booba dans les années 2000. Ces deux artistes, stars du rap depuis les années 2000, ont fait des choix de carrière similaires et pourtant la presse spécialisée leur a accordé une reconnaissance inégale.

Dans une étude qu'elle a mené, Catherine Rudent explique que les musiciens hommes sont associés à des termes de grandeur et les musiciennes à des termes de petitesse. À cause de ce lexique «genré», les critiques contribuent à transformer la simple différence de sexe en hiérarchie. Karim Hammou confirme cela dans Prises et décrochages de genre : la réception critique de Diam's et Booba dans les années 2000. Il ajoute à cela que «Diam's est bien plus souvent renvoyée à son sexe et à son âge» tandis que «la seule mention de l»âge de Booba

13 BUCH Esteban, le cas Schönberg. Naissance de l'avant-garde musicale, 2006

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relevée dans l'abcdr, est l'occasion de souligner sa maturité.» Si les artistes femmes sont associées à une notion de sensibilité, de vulnérabilité et de faiblesse, l'homme est associé à la force, la violence, la puissance. Les deux rappeur-euse Diam's et Booba sont déjà sexualisés dans leurs oeuvres. Leurs paroles sont explicites, quand, par exemple, Diam's est «une jeune demoiselle qui cherche un mec mortel», Booba rappe «Si t'es une chienne je suis un loup, moi». Ces paroles sont amplifiées par des choix de direction artistique clairs, Booba est presque toujours en gros plan sur ses couvertures d'album, avec un air dominant et sa musculature mise en avant. Diam's n'est pas au premier plan sur les couverture d'albums, elle est cachée, elle a l'air perdue, cherchant de l'aide, elle regarde vers le bas. Brut de Femme est la seule couverture d'album où ne voit qu'elle. Son maquillage et ses bijoux sont mis en avant, hors, ce n'était pas son choix esthétique mais celle de son équipe, dans une optique de la féminiser dès 2003 : « La directrice artistique image de l'époque trouve que Mélanie a un grand nez, alors elle le cache sur la pochette. Et il n'y a pas de hit, alors que la meuf peut faire des hits. Je réinvestis 100 000 euros. Je mets Stéphane Djigui et toute l'équipe dessus, là ils font Incassable, DJ, et trois autres titres. Je mets Nathalie Canguilhem en direction image, qui va lui faire une belle petite coupe et va lui mettre deux anglaises. Tu te souviens de ces boucles d'oreilles ? C'est elle». (Benjamin Chulvanij, 2015)14. Ce qui est intéressant dans l'étude menée par Karim Hammou, c'est qu'on découvre que même si ces artistes choisissent d'eux même (ou bien leur équipe) de se sexualiser, les médias par la suite relèvent systématiquement les mentions sexuelles dans l'oeuvre de Diam's, mais ignorent la plupart du temps, la violence des propos de Booba. Pour l'abcdr, média spécialisé rap, «dans la bulle de Diam's, les filles ne sont visiblement que mamans ou putains». Booba, lui, donne une vision de la femme comme étant simplement une putain, mais aucun média spécialisé ne le relève. C'est plutôt dans la presse généraliste que certains journalistes s'insurgent, mais souvent ils s'en servent pour alimenter cette vision du rap violente, sexiste et homophobe. Plus généralement, la femme artiste est facilement associée au mainstream quand elle vend beaucoup, dans un sens péjoratif, qui sous entend un manque de qualité. L'homme artiste de son côté, n'est pas mainstream mais sa qualité est telle qu'elle est reconnue par le grand public. «Il est parfois difficile de faire le tri entre la sincérité franche et le calcul commercial» (Abcdr à propos de Diam's, Dans ma bulle). Karim Hammou insiste sur le fait que la presse spécialisé consacre à l'époque Booba comme figure maître du rap français, et que ce n'est pas le

14 Entretien avec Benjamin Chulvanij, Abcdrduson, 2015

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cas de Diam's : «La presse spécialisée (...) valorise Booba comme un artiste génial tout au long de la période étudiée, mais ne confère jamais ce statut à Diam's».

Ce n'est pas que dans le rap que les artistes, selon leur genre, reçoivent des critiques différenciées, mais dans tous les styles musicaux.. Si on se tourne vers la pop, Taylor Swift a de nombreuses fois exprimé son mécontentement face aux critiques qui lui donnent l'image de n'écrire que des chansons sur ses exs : «C'est un angle très sexiste. Personne ne dit ça à propos d'Ed Sheeran ou Bruno Mars. Ils écrivent des chansons à propos de leurs exs, leur vie amoureuse, et personne ne dit que c'est un red flag, ou qu»ils sont niais»15.

b - La représentation des rappeuses dans les médias généralistes

La presse non spécialisée dans le rap touche un public large et a une mission plus d'information que d'analyse. Elle ne présente pas le rap et ses artistes de la même manière que la presse spécialisée musique. Je vais ici montrer comment la presse généraliste façonne et entretient l'image du rap comme appartenant aux artistes de banlieue, racisés et véhiculant des valeurs de violence, de sexisme et d'homophobie, et comment cela impacte dans notre cas les rappeuses. Je me base, dans cette partie, sur une étude publiée en 2019 par Marion Dalibert intitulée Les masculinités ethno racialisées des rappeur.euse.s dans la presse.

Dans les médias généralistes, les artistes de rap sont présentés avec leur lieu de naissance et leurs origines : «Casey, une rappeuse d'origine martiniquaise» (Article du Parisien, 2019), «Oxmo Puccino : l'enfant du 19ème arrondissement» (Reportage BFMTV, 2012), Booba a une «mère blanche, et un père noir, d'origine sénégalaise» (Article Libération, 2012). L'enfance, quand elle est associée à la misère, est régulièrement mise en avant : «Kenny Arkana fait ses premières fugues à 9 ans» (Libération, 2007); «Un jour le père disparaît sans laisser d'adresse, et le gamin commence à mal tourner» (Télérama à propos d'Abd El Malik, 2006).

15 Taylor Swift en interview pour 2DayFMSydney, 2014 (citation originale en anglais)

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La presse généraliste n'hésite pas à parler de la masculinité virile des rappeurs et de la façon dont les femmes et les minorités sexuelles sont représentées. Elle associe bien souvent la violence aux rappeurs racisés, en présentant les rappeurs blancs comme des exceptions, les opposant à la violence des «autres» rappeurs. Ici un exemple qui parle d'Orelsan : «de la périphérie Caennaise pour conter (...) cette réalité des jeunes de sa génération, à l'opposé de la désastreuse caricature Booba et consort(...)» (Libération, 2008). Certains rappeurs racisés sont valorisés dans les médias, mais ils sont présentés alors comme des exceptions, les opposants aux autres rappeurs racisés : Abd El Malik «ne se conforme pas aux idées que l'on peut se faire du rap et des rappeurs» (Figaro, 2006). Ils sont présentés comme de bon maris et père de famille : Oxmo Puccino est «en couple depuis très longtemps avec madame» (Libération, 2012), Disiz est «catégorique sur le port du voile : ma femme est un trésor. La préserver, ce n'est pas la cacher» (Libération, 2003).

Les rappeuses ont plus la côte dans la presse généraliste que dans la presse spécialisée : Kenny Arkana est «la sensation rap» de l'année 2007 pour Libération. Elles sont quand même, et de la même façon que les rappeurs blancs et les rappeurs racisés «respectueux», présentées comme des exceptions : Princesse Aniès est «une des trop rares rappeuses de la scène française» (Libération, 2007); «Chilla, une rappeuse pas comme les autres» (France Inter, 2019). Elles sont plus valorisées car elles correspondent au public cible de ces médias, en incarnant des valeurs plus douces que les rappeurs, qui leur sont attribuées malgré elles comme vu dans la partie précédente. Cependant, elles sont fortement rattachées à la masculinité. Casey et Princesse Aniès sont des «garçons manqués» (Libération, 2005); «cette trentenaire cultive l'androgynie, le mauvais caractère et peut se montrer d'aussi mauvais goût que ses collègues masculins (...) Heureusement, elle ne cache pas longtemps sa tendresse». (Casey, rap colérique, Libération, 2007). Cette masculinité est valorisée lorsqu'elle s'oppose à l'image de la femme hypersexualisée : Kenny Arkana a «développé une esthétique allant à l'encontre de l'imagerie bimbo». (Le Monde, 2014).

On voit bien que la presse généraliste construit une image précise du rap et des valeurs qu'il transmet. Là où les médias spécialisés font des prises et des décrochages sur les informations qu'ils mettent en avant, les médias généralistes font des exceptions de tous les profils des

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rappeurs qui ne correspondent pas au profil violent, sexiste et homophobe. Cette notion d'exception empêche les rappeuses de s'imposer dans l'imagerie publique du rap et les garde au rang de minorités du hip-hop. Les médias, en étant un lien direct entre le projet d'un artiste et le public, ont une forte influence sur cette imagerie publique et par conséquent, une responsabilité de ce qu'ils relaient et mettent en avant du rap.

III. Démonstration d'un cercle vicieux, liant public et industrie 1/ Le rap, victime de stéréotypes

Pour indication, dans le sondage que j'ai mené, 75% des participants trouvent que le rap est un milieu masculin et 36% trouvent que les textes de rap sont misogynes.

Le rap subit de nombreux stéréotypes : musique vulgaire, misogyne, violente... Je ne vais pas prétendre que ce n'est pas le cas, mais il est vrai qu'on s'arrête souvent sur cette image sans chercher plus loin, comme si le rap n'était pas un mouvement musical complexe et savant. Pourtant, la musique est un reflet de la société dans laquelle nous vivons. De plus, on a tendance à oublier que la misogynie est présente dans tous les domaines de la société, et dans tous les styles de musique. Ce n'est pas propre au rap. La sociologue Emmanuelle Carinos avait été invitée dans un débat de Public Sénat sur les violences sexistes dans le rap, lors duquel elle avait mis en avant cette phrase de Michel Sardou : «J'ai envie de violer les femmes, de les forcer à m'admirer», tirée de sa chanson Les Villes de Solitudes. J'ajoute à cette réflexion sa chanson Être une femme en 2010, qui avait fait beaucoup de bruit auprès des mouvements féministes, on comprend pourquoi si on se concentre sur les paroles. On peut aussi citer Léo Ferré, artiste à la plume glorifiée jusque dans nos programmes de lycée, qui parle de la misogynie dans une interview de 1971 : «La femme est un objet extraordinaire (...) Il n'y a pas de femme grand génie (...) C'est pas assez intelligent, jamais. L'intelligence des femmes c'est dans les ovaires». On voit davantage le sexisme et la violence dans le rap, perçu comme une musique de classe populaire et de personnes racisées, que dans des musique considérées comme plus savantes, où l'artiste est facilement dissocié de son art. C'est comme si on refusait la capacité de second degré, de narration au rap. Les textes, comportant un langage plus familier et cru, jouent aussi sur

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l'imagerie collective, alors que l'objectivation des femmes est la même et est résolument ancrée dans toutes les générations musicales.

Cette image du rap peut avoir un impact sur les filles qui souhaitent devenir rappeuse. Elles peuvent avoir peur de se lancer, ne pas se sentir légitimes. Certaines subissent une pression de leur entourage qui a en tête une image dévalorisante de la femme dans le rap.

La rappeuse Pumpkin estime que «par manque de modèles, ou pour des raisons d'éducation, elles ne se projettent pas à ces postes et n'envisagent pas se lancer dans ces métiers qu'elles considèrent inconsciemment comme masculins.»

Le rap est en réalité un microcosme de la société, les critiques que subissent les femmes qui se lancent dans ce milieu, sont les mêmes que dans beaucoup d'autres. Artiste est en plus de tout ça un métier où on est exposé, tout est pris en compte, le look et la vie privée souvent autant que la musique. L'art a une particularité, c'est que chacun peut donner son avis, il n'y a pas besoin d'être un média spécialisé ou un expert, d'avoir fait des études sur le sujet pour évaluer la qualité d'une prestation scénique, d'un album ou d'un clip. Tout le monde écoute de la musique, et tout le monde donne son avis. Ce phénomène est encore plus vrai depuis l'arrivée des réseaux sociaux.

2/ C'est plus dur pour une femme de se lancer dans le rap

Je me suis en grande partie basée sur des témoignages pour écrire cette partie.

Les rappeuses subissent la même pression que les femmes dans la société en général, et particulièrement que dans tous les corps de métiers d'expertise, bien souvent considérés comme masculins. La plupart des chefs étoilés sont des hommes, la plupart des stylistes haute couture sont des hommes... De même dans la musique, les femmes sont peu présentes dans l'électro ou le rock par exemple. Combien de grandes DJs ou guitariste est-on capable de citer? «C'est déjà difficile pour un homme de se faire une place, alors une femme c'est pire» (Gauthier Benoit, fondateur de Rappeuz). Ce parcours du combattant inclut souvent de nombreuses réflexions qui n'ont pas de rapport avec la musique des artistes féminines. Trop grosses ou trop maigres, trop jeunes ou trop âgées, trop masculines ou trop vulgaires... Beaucoup ont témoigné avoir connu ce

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genre de discours durant leur carrière, et ont du mal à trouver des professionnels qui les comprennent et les accompagnent.

«Être une femme et a forciori une femme noire dans le milieu de la musique c'est difficile. On doit rentrer dans une case. Les mecs du milieu n'ont pas à répondre à ces limites. La façon dont on s'habille, ce qu'on dit envoie un message selon la société. Si on essaye de répondre à ces limites notre musique sera très bridée» (Maud Elka, rappeuse)16.

«Des paroles chantées par un artiste homme n'auront pas le même effet que les mêmes paroles prononcées par une artiste femme. Idem pour le timbre de voix ou encore la musicalité, dont certaines caractéristiques sont associées au masculin, d'autres au féminin» (Éloïse Bouton)17. En fait, à toute époque et dans tout style musical, on attribue certaines possibilités au masculin, et d'autres, plus réductrices, au féminin. Par exemple, dans la musique romantique du 19e siècle, les compositrices subissent le même genre de réflexions que les rappeuses aujourd'hui. «La composition c'est pour les hommes»; «c'est extraordinaire qu'une femme ait pu composer quelque chose d'aussi solide et sérieux» (le violoniste Joseph Joachim à propos d'une oeuvre de Clara Schumman). Même dans la composition, un concerto de piano pouvait être tolérable pour une femme, mais les compositions à cordes étaient considérées comme masculines, car trop expansives pour les femmes. Pourquoi les compositrices Clara Schumann, Fanny Mendelssohn ou Ethel Smyth ne sont-elles pratiquement jamais programmées en concert, et pourquoi Beethoven, Mozart (qui avait une soeur tout aussi talentueuse), Bach, Berlioz... Font partie de notre culture au point qu'on les connaît tous au moins de nom, même si l'on ne consomme pas de musique dite classique ? On peut parler du même déni d'antériorité et d'invisibilisation que pour les rappeuses, que ce soit à l'époque ou encore aujourd'hui, puisque les médias ne font pas de travail d'archivage et de mémoire. Sakira Ventura a créé une carte du monde où elle recense les compositrices de toutes époques, de la même façon que madame rap pour les rappeurs-euses femmes et LGBTQ+.

16 Maud Elka, interview pour RAPPEUSES, RiffX, 2019

17 BOUTON Éloïse, Rap, Nos oreilles sont-elles sexistes?, 2021

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Le métier d'artiste est un métier d'exposition. Ainsi, les rappeuses subissent des critiques plus dures, voire souvent des insultes uniquement à cause de leur genre. Les réseaux sociaux permettent à chacun d'exprimer son avis. Cela entraîne pour les rappeuses, de s'exposer souvent à beaucoup de haine, sur leur musique mais souvent sur des éléments qui n'ont pas de lien comme leur physique.

«Shay est d'assez loin celle qui obtient le moins de likes et le plus de dislikes sur YouTube, ce que l'on pourrait lier à des dispositions sexistes des publics et aux difficultés d'être une femme dans des métier d'homme à l'heure des réseaux sociaux (...) Le genre semble ainsi jouer sur le type de succès des rappeurs» (Corentin Roquebert, 2020)18.

Les femmes et personnes LGBTQ+ peuvent subir du harcèlement dans le milieu, du fait de leur genre. «Il y a parfois un regard super violent, qui les sexualise, les diminue. J'ai eu des retours de rappeuses qui allaient juste répéter en studio et qui ont été découragées par ce que l'ingé son leur faisait une réflexion, ou des groupes de mecs qui trainent autour.» (Éloïse Bouton).

«Lors d'un casting Buzzbooster, il y a une artiste féminine qui est montée sur scène. Des gamins dans la salle ont crié la fameuse vanne twitter, les femmes c'est à la cuisine. J'ai du prendre le micro pour dire que c'est intolérable dans la culture hip hop. C'était avant même qu'elle puisse commencer sa prestation» (Mekolo Biligui).

Bintily est une artiste candidate au tremplin Rappeuz que j'ai rencontré lors du casting à La Place Hip Hop. Inspirée par Kery James, Diam's, Chilla ou encore ses récents coups de coeur Sopycal et Kalika, elle m'a confié qu'on lui reprochait souvent que son projet était soit trop pop pour le rap, soit trop rap pour la pop. Elle s'est beaucoup demandé si 30 ans ce n'est pas trop tard pour se lancer en tant qu'artiste. C'est sa propre vision et ce qu'on lui a fait ressentir. Les femmes ont plus tendance à ressentir le syndrome de l'imposteur. De plus, il y a une sorte de date de péremption qui plane autour d'elle, un âge où elles ne sont plus «potables» pour la musique.

18 ROQUEBERT Corentin, Le capital social des rappeurs : les featurings entre gains de légitimités et démarche d'authentification professionnelle, 2020

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«Un jour, un homme m'a dit cette phrase: Tu devrais t'activer, dans 4 ans c'est fini pour toi ! Tu sais pour les femmes c'est pas pareil... Cette phrase m'a hantée. Sans vraiment m'en rendre compte, j'ai appréhendé les 30 ans comme si, passé cet âge, je n'aurais qu'une option: mettre mon ambition et mes rêves aux oubliettes. Heureusement, à bientôt 32 ans, tout me prouve le contraire» (Ehla, chanteuse)19.

Pour une femme en général, tout est plus scruté que les hommes, et souvent des choses qui n'ont rien à voir avec leur profession (physique, âge, antécédants...). Il n'y aucun doute qu'à cause des stéréotypes que subit le rap, et des stéréotypes qui pèsent sur les femmes en général, les rappeuses sont exposées à du harcèlement du fait de leur genre. Tout cela met beaucoup plus de pression sur les artistes féminines.

«J'ai déjà été en présence de rappeurs que je trouvais moins fort que moi, mais en général ils sont plus arrogants que les meufs. Enfin, ils ont une confiance disproportionnée quand les meufs vont avoir tendance, de manière générale, à plus se remettre en question et à douter. On va se poser plus de questions parce qu'on sait qu'on est plus scruté par la société. Mais c'est valable dans tous les domaines « (Liouba, rappeuse)20.

Certaines artistes refusent cependant de se placer en victime de leur genre, et apportent un point de vue différent, montrant qu'être en minorité de genre constitue une différence exploitable voire avantageuse. Pour elles, il ne faut pas avoir peur d'un plafond de verre et se concentrer sur son projet.

«On sort du lot, quand on est une fille dans un milieu d'hommes» (Fanny Polly, rappeuse)21.

«Y a des avantages et des inconvénients. C'est pas un sujet que je relève, je fais juste de la musique» (LeJuiice, rappeuse)22.

19 Interview pour le magazine Madmoizelle, 2020

20 Voir interview complète de Liouba en annexe

21 Fanny Polly, interview pour RAPPEUSES, RiffX, 2019

22 LeJuiice, interview pour RAPPEUSES, RiffX, 2020

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«Il y a une espèce de norme sur les rappeuses. Soit t'es le cliché du petit mec, soit t'es la meuf méga sexualisée. Moi je reste moi-même et j'assume autant ma sexualité, j'ai pas peur d'en jouer, que le fait de vraiment rapper» (Ekloz, rappeuse)23.

«Il y a souvent plus de mecs dans les événements rap mais quand y a une meuf qui passe et qui déchire tout le monde s'en rappelle. Je pense que c'est dommage de s'en sentir victime, parce que c'est toi qui décide si tu es victime et ça peut être une force aussi. Je pense que les filles qui veulent rapper doivent simplement rapper et si elles se retrouvent face à un connard soit elles font pas attention soit elles le remettent à sa place. En tout cas j'ai l'impression qu'aujourd'hui le monde est avec nous» (Liouba).

3/ Un manque de prise de risque de la part de l'industrie musicale

Être signé en label est une étape importante dans la carrière d'un artiste. Avoir un label est souvent l'assurance d'un certain revenu et de moyens de productions plus larges pour leurs projets. Le principe d'artiste indépendant a pris beaucoup de place aujourd'hui. Si de plus en plus d'artistes se tournent vers l'autoproduction pour garder un maximum de liberté créative, il ne faut pas oublier qu'un artiste ne réussit jamais seul. Avoir un entourage professionnel et une structuration est essentiel. La plupart signent toujours en label mais des contrats moins contraignants que le mythique contrat d'artiste. Se construire cet entourage professionnel, manager, label, distributeur, bookeur etc... Peut s'avérer être une véritable épreuve. Pour un artiste, il est extrêmement important de s'informer un maximum sur le fonctionnement de l'industrie musicale avant de se lancer pour préserver leurs intérêts, leur liberté créative et ne pas tomber sur des personnes malveillantes. L'accès à l'information et à l'accompagnement étant compliqué, les artistes ne savent souvent pas comment rencontrer des interlocuteurs qui pourront les aider à développer leur projet.

Pour les entreprises, signer des rappeuses représente une «prise de risque». Quand je l'ai interrogé sur la question, Gauthier Benoit, fondateur du tremplin féminin Rappeuz, m'a répondu qu'en France on a tendance à s'enfermer dans un style qui marche. Il y a une vraie peur de la prise de risque. Signer un rappeur constitue moins un risque que signer une rappeuse, car il aura

23 Voir interview complète d'Ekloz en annexe

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plus de potentiel de vente. On sait comment les marketer par coeur, le public est toujours ouvert à de nouveaux rappeurs. Une rappeuse serait moins bien accueillie par le public selon eux. Ces labels misent sur des projets qui rapportent plus. La crise du COVID n'arrange pas les choses, les sociétés de production qui ont beaucoup souffert s'aventurent moins avec de nouveaux profils.

Ce n'est pas un secret qu'on est plus exigeants avec les femmes. «On signe souvent les rappeuses quand elles ont déjà un public ou qu'elles sont vraiment excellentes» (Mekolo Biligui). On peut pointer du doigt les Directeurs artistiques, dont le métier est de chercher de nouveaux talents pour les signer en label. Ces révélateurs de talents sont en première ligne pour repérer les artistes de demain, mais ils semblent passer à côté des centaines de rappeuses qui se lancent.

Parfois, on les pousse à faire des sons plus pop car plus vendables, plus grands publics. On attend d'une femme qu'elle chante, pas qu'elle kicke. Ce problème vient aussi du fait que la plupart des postes à responsabilité dans l'industrie musicale sont occupés par des hommes. En effet, le sociologue Karim Hammou a recensé 13% de directrices et de gérantes dans les sociétés d'enregistrement sonore et d'édition musicale dont le chiffre d'affaires est supérieur à 10 millions d'euros par an. Les projets développés par ces artistes passent donc toujours par une validation masculine avant d'être sortis. «Ça les emmerde parce qu'ils ne s'attendent pas toujours à ce qu'une petite meuf qui rappe connaisse un peu son sujet et les mettent face à leurs propres limites Tu te rends compte qu'on ne te prend pas vraiment au sérieux» (Pumpkine, rappeuse).

Josué Bananier rappelle que c'est avant tout une industrie. Du point de vue d'un chef d'entreprise, les entreprises doivent avant tout assurer leurs rémunérations, elles prennent donc le moins de risques possibles, elles ne se lanceront donc pas si le public ne suit pas. Il ne faut pas attendre un label pour se développer et se construire un public. «Depuis la crise du disque, les rémunérations sont plus compliquées. Les grands labels ne font pas du développement d'artistes comme avant. Le travail est fait par les artistes eux-mêmes ou des labels indés. Si ça marche, les majors arrivent et signent derrière. Je ne peux pas blâmer l'industrie à 100%. Par contre, il faut avoir plus de personnes en interne qui ont l'envie de faire monter la scène des rappeuses.»24

24 Voir l'interview complète de Josué Bananier en annexe

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Pour certains, le public n'est pas prêt à suivre des rappeuses. Pour d'autres, c'est une excuse des labels qui ne veulent pas les produire. Alors le public est-il réticent à écouter des rappeuses ?

4/ Relation entre le public et les rappeuses

a - Les rappeuses américaines ont la côte en France

Si on se tourne du côté des États-Unis, les rappeuses vivent une belle période : Nicky Minaj, Cardi B, Doja Cat, Saweetie, Megan The Stallion... Les projets féminins sont nombreux et n'ont pas de mal à faire du bruit à l'international. Cardi B est la première rappeuse de l'histoire à obtenir un disque de diamant aux États-Unis, soit dix millions de ventes pour son single Bodak Yellow en mars 2021. Elle est également cinq fois disque de platine pour son single WAP en featuring avec Megan Thee Stallion. Il est clair que ces artistes ont leur public en France, et que personne ne remet en question leur carrière ou leur talent de kickeuse. Comment expliquer que l'engouement autour des rappeuses américaines ne suive pas pour les rappeuses françaises ?

Le dernier clip de Shay «DA», sorti le 29 avril 2022 a suscité de vives critiques sur les réseaux sociaux. L'artiste exécute une chorégraphie dans un lieu qui rappelle un laboratoire. Quand on se penche sur ces critiques, on comprend vite leur caractère problématique. Shay s'est vue d'abord reprocher le fait de s'être inspiré de Cardi B. Deuxièmement, elle a reçu beaucoup de critiques sur l'aspect «vulgaire» du clip. Enfin, elle s'est vue dans la plupart des critiques rattachée à d'autres hommes de l'industrie : «Qu'elle laisse le titre DA à PNL seulement», «Booba a donné une carrière à Shay mais elle a préféré dormir pendant 3 ans avant de revenir avec un son guez», «Le Motif, c'est à cause de toi, tu aurais dû aider ta soeur au lieu de devenir youtubeur» (Tweets). On se demande alors en quoi s'être inspiré d'une artiste américaine constitue un problème. Les rappeurs ne se cachent jamais de s'inspirer d'autres rappeurs américains, pour le flow, les textes, les instrumentales ou la direction artistique des clips. Chez PNL par exemple, l'influence de Young Thug se ressent dans leur premier album Le Monde Chico, par le style vestimentaire, l'autotune ou les instrumentales. Nekfeu, de son côté, s'inspire largement de Drake, dans ses projets Cyborgs et Feu. On sent le flow d'Energy de Drake dans les titres Martin Eden et Mal aimé. Sans compter l'influence des projets de Kanye West sur les artistes de rap français. Les

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références directes ne se font même pas rares. L'inspiration est vue dans DA comme quelque chose de négatif, alors que c'est un reproche rarement fait aux artistes masculins. C'est en plus loin de relever du domaine du plagiat, les paroles sont en français et Shay construit un univers bien à elle. N'est-ce pas normal de retrouver des influences de la rappeuse qui vend le plus dans le monde ces dernières années, dans les projets rap ?

À la suite de son clip, elle a reçu des critiques qu'on peut qualifier de «slutshaming», concernant sa danse et sa tenue, jugée vulgaire par certains. Cette chorégraphie n'est pourtant pas vraiment différente dans le clip de Liquide avec Niska, qui n'avait pas eu un accueil aussi violent. Les rappeuses américaines, de leur côté, semblent plus à l'aise avec l'image de leur corps et la sexualisation. Le public américain ne serait probablement pas choqué par le travail de Shay. Pour Mekolo Biligui, «les rappeuses américaines ont une autre façon de considérer le corps, je pense qu'en France on a un souci avec ça. On le met à distance en se disant que c'est une autre culture, mais quand c'est la nôtre ça ne passe pas.» Certains titres où la sexualisation est très poussée sont de gros succès à l'international et la France n'y échappe pas. Par exemple, la danse évocatrice de WAP de Cardi B et Megan Thee Stallion, a été reprise par de nombreux internautes comme un challenge. Autre exemple, le phénomène révélé par Tik Tok, la rappeuse Ashnikko. Cette artiste présente un univers robotique et futuriste, qui tourne autour de la sexualité. Ces textes et ses clips sont très évocateurs, pourtant le public français qui la suit ne s'en formalise pas.

Pour Renaud Durussel, programmateur du festival suisse Transform «Il y a un rapport à la féminité et aux valeurs que la femme est censée incarner en France qui est différent de ce que l'on retrouve dans le mainstream américain. C'est probablement une question de culture qui dépasse le cadre de la musique»25.

La femme, dans l'imaginaire du rap en France, est soit la petite soeur, soit une femme respectable (souvent la mère de famille), soit une salope. Si l'homme peut aborder des sujets sexuelles pour lui ou la femme, ça ne passe pas quand la femme en parle, pour elle ou pour l'homme. Le public est habitué à voir les artistes américaines se sexualiser, c'est plus rare pour les artistes francophones. L'américain constitue un fantasme, un gage de «qualité» dans

25 Voir l'interview complète de Renaud Durussel en annexe

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l'imaginaire du public français, que les artistes francophones ne sont a priori pas capables d'atteindre, quoi qu'ils fassent ce sera une copie.

Enfin, l'artiste féminine est ramenée aux hommes qui l'entourent, toujours en la comparant de manière péjorative. Un artiste masculin aurait fait mieux, son frère aurait dû décider à sa place, elle n'est pas digne d'avoir été signée par un artiste masculin... Comme si la femme seule ne peut pas être talentueuse ou légitime.

Denis-Constant Martin rappelle dans son livre Quand le rap sort de sa bulle26, que les rappeuses américaines ont adopté à la fin des années 2000 des postures particulières pour sortir des rôles auxquels elles étaient cantonnées dans le rap fait par les hommes. Elles ont eu le choix, en réalité, soit de réagir avec la même violence pour les hommes que celle utilisée contre elles, soit en adoptant une posture de «mec», soit de se sexualiser pour devenir un objet de désir. Ces postures leur permettent de récupérer leur pouvoir face à l'objectivation dont elles sont victimes dans les discours des hommes. Elles ont créé la rappeuse «désirable mais dangereuse». «Comme les femmes sont présentes depuis le début de l'histoire du rap aux États-Unis, et ont rapidement pris ces positions, c'est resté dans dans la culture américaine, et l'image que l'on en a. Les rappeuses françaises, elles se distinguent dès leurs débuts des rappeuses américaines.» Ça a forgé notre vision séparée de ce que peuvent et ne peuvent pas faire ces artistes selon leur genre, mais aussi selon leur nationalité.

Les rappeuses américaines ont donc bien la côte en France, elles ne sont pas jugées aussi durement par le public français, sous prétexte que c'est «américain», et les français n'ont pas le droit de les prendre pour exemple. Il y a probablement une recherche culturelle plus approfondie à faire sur le sujet, et ça doit toucher à bien d'autres domaines qu'à la musique. La sexualité, la réussite et la célébrité sont perçues différemment dans ces deux cultures. Ça peut expliquer pourquoi le public français présent pour les rappeuses américaines, ne suit pas les rappeuses francophones. Les paroles en anglais mettent aussi une distance avec l'oeuvre et l'écoute que l'on en fait. Les États-Unis ont peut-être bien toujours dix ans d'avance sur nous comme on l'entend

26 MARTIN Denis-Constant : Quand le rap sort de sa bulle. Sociologie politique d'un succès populaire, 2012

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souvent. Est-ce que pour autant on doit considérer que le public français n'est «pas prêt» à écouter des rappeuses ?.

b - Le public est-il prêt à écouter des rappeuses francophones ?

Dans mon sondage, 65% des participants ont dit qu'ils étaient ouverts à écouter des rappeuses mais qu'il n'en connaissent pas. 20% ont dit qu'ils n'apprécient pas la musique des rappeuses qu'ils connaissent. On m'a aussi déjà dit qu'il n'y a pas assez de choix et de diversité artistique parmi les rappeuses existantes. Au vu de ces réponses, il est clair que l'accès aux rappeuses est bloqué. Comme évoqué dans la première partie de ce mémoire, le grand public pense qu'il y a très peu de rappeuses, hors, nous savons grâce au média Madame Rap qui les recense, qu'il y en a au moins 350 en activité aujourd'hui. Le point de vue féminin apporté au rap dans leur musique constitue en lui-même une proposition qui diffère de ce que l'on a l'habitude d'entendre. J'ai pu assister au casting parisien du tremplin Rappeuz de cette année. La diversité des profils était étonnante. Chaque participante avait un univers bien à elle. Les propositions masculines sont tellement courantes, que beaucoup se ressemblent dans le style musical, les textes, les instrumentales, l'attitude... Il suffit de regarder les propositions drill mises en ligne chaque jour. Peu d'artistes réussissent à apporter un point de vue nouveau et original, ou une sonorité différente. Pour les artistes féminines, visiblement, l'originalité ne suffit pas. Les quelques rappeuses signées en label sont souvent marketée comme «l'exception», «la femme qui rap». Hors, on ne peut plus présenter cela comme un phénomène exceptionnel. Il faut banaliser la femme qui rap pour mettre les artistes masculins et féminins sur un pied d'égalité.

Le marché de la musique est certes lié aux goûts du public, mais le public est dépendant de l'offre qu'on leur présente. L'industrie à un réel pouvoir d'influence sur les goûts du public grâce à un outil qu'on appelle le marketing. Les surprises font partie du métier. Parfois un artiste buzz, parfois il floppe. Ce n'est pas toujours prévu, il y a tout le temps une part de risque. «Surtout après le covid personne ne veut prendre de risque. Dénicher de nouveaux talents c'est pas attendre que le public mette des likes» (Éloïse Bouton). Faut-il attendre que le public réclame des rappeuses, où prendre le risque de leur offrir de la visibilité ? On oublie que le rap a été longtemps mis de côté, alors qu'il avait bel et bien un public, laissé de côté par les médias

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mainstreams et spécialisés en musique. Aujourd'hui, même schéma pour les rappeuses. Elles sont absentes des médias dédiés au rap. Ceux-ci sont «responsables de la première attribution publique de sens et de valeur à une oeuvre» (Buch, 2006). Autrement dit, ces médias donnent de la crédibilité ou non à un artiste et jouent un rôle décisif dans les goûts du public attaché au rap. Chez Booska P, par exemple, média référence du rap français, les rappeuses sont peu nombreuses à avoir droit à des contenus portraits (interview, reportages, freestyles...). Il n'y en a qu'une seule, Doria, pour la sortie de son album Dès le départ en juin 2021.

Il y a encore des idées préconçues sur la crédibilité d'un rappeur, la street credibility. Dans cette vision, la femme n'est pas légitime à rapper. «Les hommes sont meilleurs dans le milieu. Leur voix est plus faite pour ça», «elles reprennent les codes (...) du rap mais ça sonne faux» (extraits du sondage Google Form). Elles ne peuvent pas avoir cette street credibility, associée à la violence, à la vente de drogue, à la misère et à la virilité. On notera que des rappeurs ne correspondant pas à ces critères en ont fait les frais aussi, comme Bigflo & Oli, mais que ça n'a pas empêché l'industrie de miser sur eux. Leur carrière s'est bien développée au final, en touchant un public très jeune et familial dans un premier temps.

«Toi t'es une go donc tu peux pas faire de rap, c'est sûre que t'as jamais côtoyé la misère. Ouais c'est possible, mais toi tu parles bien de vendre de la drogue alors que tu n'as jamais visser» (Tous à table, Leys)27.

Le public peut-il réellement être prêt à accueillir un nouvel artiste ? Bien que certaines époques et contextes sociaux-politiques soient propices au développement de certains artistes, la réussite d'un artiste est avant tout basée sur son talent et son travail. Le marketing peut changer la donne, selon l'image qu'on donne à l'artiste. L'industrie est responsable de l'invisibilisation des rappeuses. Dans une période aussi fructueuse pour le rap en France, qui est devenu la nouvelle pop28, il n'y a pas d'excuses pour aussi peu de parité dans l'offre présentée au public. La prise de risque fait partie du métier, et le public finira par reconnaître la qualité si on la présente comme telle. Aussi, il est possible qu'on cible le mauvais public, car une partie est invisibilisée..

27 Extrait du morceau Tous à table de la rappeuse Leys, 2020

28 Phrase notamment reprise par Chilla ou Franck Gastambide en interview, difficile de savoir qui en est à l'origine

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Peut-être que les rappeuses attirent un public qui a dû mal à se reconnaître dans l'offre rap que l'on a l'habitude d'écouter ?

c - Un public invisibilisé

Paulo Higgins s'intéresse aux difficultés pour les femmes et les personnes queers à se qualifier d'amateur·ice du genre hip-hop dans sa note de recherche Femmes et Queers : des publics subalternes et cachés du rap français ? Pour constituer un public, un groupe doit non seulement savoir qu'il en est un mais aussi pouvoir réaliser des actions et émettre des critiques sur les critères définissant les pratiques d'amateurs du genre. Se définir comme amateur et faire partie d'un public permet d'appartenir et de se distinguer. La musique écoutée ou pratiquée permet de s'identifier à un groupe, à une classe sociale et joue un rôle social chez l'individu. Stéphanie Montero a enquêté sur les publics rap à la fin des années 2000, et mis en avant un phénomène de hiérarchisation des pratiques du public rap, qui illégitime un certain type de public. Le rap est associé depuis les années 1990 à la figure du jeune de banlieue (selon le sociologue Karim Hammou). Dans les années 2000, cette image est amplifiée et transformée par les médias, en associant le jeune de banlieue à une figure sexiste et homophobe, donnant ainsi cette direction à l'image publique du rap. Si l'image public du rap est un milieu masculin, sexiste et homophobe, alors il est logiquement impensable que les personnes s'identifiants comme femme ou queers (toute personne sortant des normes cishétérosexuelle), puissent être amateur·ice de rap. Je parle ici d'amateurisme comme étant plus que de la consommation. La pratique culturelle d'un amateur tient un rôle important dans sa vie. Il y a une certaine forme de connaissances, liée à un intérêt fort pour ce style musical et donc une «légitimité» à émettre des avis et critiques. Ceci peut expliquer la réflexion que m'a faite Mekolo Biligui lors de son interview : «Les femmes sont bien présentes dans l'écoute du rap mais ne s'expriment pas beaucoup. On les voit en concerts mais ce ne sont pas elles qui donnent leur avis sur les réseaux». On a vu dans la première partie que le public rap est autant féminin que masculin. Pourtant, on a l'impression que le public masculin drive les goûts musicaux, surtout dans le rap. En réalité, les femmes et les personnes queers ont plus de mal à se reconnaître comme amatrices de rap. La faible présence de femmes dans l'industrie à des postes de décisions, sur des plateaux radios ou TV pour s'exprimer dans des débats à propos du rap y est pour quelque chose. La présence sur les concerts de rap est

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également plus difficile pour les femmes et personnes queers. En effet, de nombreux témoignages de violence envers des personnes queers et d'agressions sexuelles envers des femmes existent. La sécurité est un critère plus important pour ces personnes que pour les hommes cishétéros pour se rendre à des événements musicaux. Elles se sentent plus à l'aise d'aller dans des événements spécialement féminins ou LBGTQ+, ou encore pour voir des artistes eux-mêmes queers et engagés féministes.

Comme vu dans la première partie, il y a autant de femmes que d'hommes qui consomment du rap, le public féminin est juste invisibilisé car il s'exprime moins aisément. En réalité, les femmes et les queers constituent une part de marché non négligeable pour l'industrie musicale. On a remarqué qu'une rappeuse attire un public plus diversifié, d'homme, de femme et de queers.

Pour cibler le public de l'artiste, énorméments de critères existent (style musical, thèmes abordés, âge, image...). Il y a autant de cas que d'artistes, je ne fais donc pas de généralités. On sait par exemple, que les femmes constituent une cible essentielle de l'industrie musicale, beaucoup d'artistes l'ont compris. Un rappeur comme Hatik cible un public visiblement plus féminin. Une rappeuse comme Soumeya est écoutée par 60% d'hommes29. De plus, les femmes rapportent plus, dans le sens où elles achètent plus facilement des places de concerts ou des albums, et qu'elles viennent plus souvent en groupe sur les événements. «Les femmes sont majoritaires dans la plupart des autres équipements culturels : théâtres, spectacles de danse ou de cirque, concerts de musique classique mais aussi musées et lieux d'exposition» (Olivier Donnat, féminisation des pratiques culturelles)30. Selon une étude du ministère de la culture, en juin 2005, 41% des filles de 15/24 ans se sont rendues en concert contre 28% des garçons. Le problème est que le public féminin est souvent associé au mainstream et à quelque chose de «moins bien». Un rappeur comme Hatik va probablement être «illégitimé» par les amateurs de rap. Au contraire, un artiste de rap qui a un public plus masculin sera considéré par les amateurs comme plus qualitatif. Les public queers, eux, sont simplement dissociés du rap, on ne s'attend pas à les trouver dans les publics rap, ils sont donc parfois oubliés des stratégies marketing. Tout ça est lié à l'association du rap au sexisme, à l'homophobie et à la transphobie, ce qui illégitime et

29 Voir La Récré, Les femmes ont-elles leur place dans le rap ?

30 DONNAT Olivier, Féminisation des pratiques culturelles, 2005

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invisibilise les femmes et les queers des publics rap et à l'inverse donne de la légitimité à la critique émise par les publics masculins.

Quand on parle de public il faut aussi différencier le public mainstream et de niche. Un artiste à succès n'est pas, comme on le pense souvent, un artiste qui touche le grand public. Les rappeuses ont pour l'instant un public dit de «niche», c'est pourquoi on a parfois l'impression qu'elles ne sont pas suivies, ou qu'elles n'ont pas de succès. Celui-ci à l'avantage d'être plus fidèle à l'artiste et de plus acheter (places de concerts, merchandising...), que le public mainstream qui est plus volage. Il peut être attiré grâce à un tube, mais ne pas suivre l'artiste par la suite. "Un marché de niche permet de se concentrer sur un marché très étroit et de cibler une clientèle précise tout en améliorant ses marges grâce à la faible concurrence» (dictionnaire du marketing). Un artiste peut très bien vivre en s'entourant de sa niche, et viser des tubes plus populaires par la suite si c'est ce qu'il souhaite. «On a trop cette image du succès comme étant grand public. Un artiste qui ne passe pas sur des médias mainstream peut très bien vivre et remplir des zéniths.» (Josué Bananier, interview complète en annexe).

Finalement, les enjeux des femmes dans le rap s'intègrent dans un fond de sexisme propre à la société française en général. Les mécanismes d'invisibilisations et de reconnaissance des rappeuses sont les mêmes que dans la plupart des domaines. On peut ajouter à cela la particularité du métier d'artiste qui présente une plus grande exposition, ainsi que des stéréotypes qui touchent la musique rap. Si l'industrie musicale est liée au public et à ses goûts, elle a aussi un pouvoir d'influence sur ce public. Ainsi, une certaine responsabilité des projets qu'elle décide de produire et présenter.

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CHAPITRE 3 : LES SOLUTIONS À METTRE EN PLACE POUR AIDER LES RAPPEUSES À SE POPULARISER EN FRANCE

On a abordé dans le chapitre deux, les freins qui empêchent les rappeuses de s'imposer dans le rap français. Si ces freins sont nombreux et profondément ancrés dans notre société, je pense que nous avons le moyen de faire bouger les choses au sein de notre industrie, en mettant en place des actions simples. De plus, les nouveaux outils digitaux destinés aux artistes indépendants sont un enjeu à saisir pour rendre la proposition musicale plus inclusive. La musique est importante dans une culture, de ce fait l'industrie musicale a une responsabilité sur le public et la visibilité qu'il donne aux femmes.

Tout ce que je vais présenter dans cette partie relève de la préconisation, et est basé sur les témoignages des professionnels du milieu et mes observations sur le terrain.

I. Un chemin vers la parité

Je pense que le plus important est de donner un maximum de visibilité aux rappeuses et de féminiser l'industrie musicale française. Assurer la parité dans l'industrie musicale et dans la programmation, jusqu'à peut-être mettre en place des quotas, pourrait créer un cercle vertueux qui aiderait les rappeuses à se populariser auprès du public et ce, de la manière dont elles le souhaitent.

1/ Plus de femmes dans l'industrie, pour un nouveau point de vue

Les artistes féminines qui veulent réaliser leurs projets musicaux se retrouvent dans une chaîne de production avec bien souvent que des hommes impliqués dans la création et la vente de leur musique. En studio, il y a encore trop peu de femmes ingénieures du son ou beatmakeuses, les directeurs artistiques et producteurs qui opèrent par la suite sont aussi bien souvent des hommes. Si cela peut paraître anodin, la vision qui est portée lors de la création de la musique et lors de la stratégie commerciale est entièrement masculine, en plus de celle de l'artiste, et transforme la vision de celle-ci. C'est un phénomène qu'on appelle le male gaze. «Le procédé n'est

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évidemment pas conscient (...) Le male gaze est l'un des résultats d'une société sexiste dans laquelle les décideurs sont trop souvent des hommes et où les femmes sont avant tout considérées pour leurs attraits physiques» (Clotilde Boudet)31. Avoir plus de femmes qui accompagnent les rappeuses tout au long de la chaîne de production musicale permettrait d'apporter un regard féminin, mais aussi que certaines artistes se sentent plus à l'aise pour construire l'image qu'elles souhaitent réellement projeter. J'insiste sur le fait que ce phénomène reste très inconscient, peu de femmes par exemple, font la demande d'enregistrer en studio avec une ingénieure du son femme. Je pense pourtant, que cela peut être très intéressant artistiquement, et amener les artistes à s'aventurer vers des propositions que l'on n'a pas l'habitude de voir.

«Renouveler les gens qui ont la parole, qui sont chroniqueurs ou animateurs, les producteurs ou réalisateurs, les décideurs ... il faut un renouvellement de génération et de point de vue. Il faut juste arrêter de mettre que des hommes à tous les postes» (Mouv', Être une femme dans le milieu du rap c'est pas gagné).

Ce n'est pas seulement dans la chaîne de production qu'il faut plus de femmes, mais dans l'industrie en général, à la tête de labels mais aussi de médias, invitées sur des plateaux tv, des débats, des critiques musicales... Il faut être intransigeant sur la parité en général, et donner l'occasion aux femmes de s'exprimer, sur n'importe quel sujet, pas que sur la place des femmes. «Les femmes sont surtout invitées pour parler de sujets féminins, de rappeuses»32. Même si c'est important d'en parler, il serait tant que la question «les femmes ont-elles leur place dans le rap ?» devienne has been. Il faut également en finir avec le terme de rap féminin, qui crée une catégorie, qui, dans les esprits est inférieure au masculin (foot féminin, artiste féminine de l'année...). En Angleterre, les Brits Awards ont aboli les catégories genrées pour l'édition 2022, c'est Adèle qui a remporté le prix d'artist of the year et non female solo artist comme en 2016.

Il faut peut-être mettre en place des quotas de parité. On se rend compte que les artistes femmes sont sous-représentées dans les programmations de festivals. Certains programmateurs utilisent

31 BOUDET Clotilde, On vous explique le male gaze, Les Potiches, 2020

32 Radio France, Mouv', Être une femme dans le milieu du rap c'est pas gagné, 2022

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encore comme excuse qu'elles sont peu nombreuses ou n'apportent pas le même public. En Suisse, elles représentent entre 6% et 33% des programmations, selon la taille du festival. «C'est quand même curieux de trouver encore si peu de femmes en 2022. J'estime que la mission d'un directeur de festival est de chercher cette diversité. On doit étendre son champ d'action, faire un effort pour aller les chercher directement dans les labels ou dans les agences, là où elles se trouvent» (Albane Schlechten, directrice de la FCMA). Finalement, on ne leur donne jamais leur chance. De même, on compte seulement 17 % d'auteures-compositrices enregistrées à la SACEM, seules 16 % des Victoires de la Musique du meilleur album ont été décernées à des femmes et les aides accordées à des projets musicaux portés par des femmes s'élèvent à 25 % du montant global des aides (MaMa Festival 2019).

Voir plus de femmes s'exprimer aura un impact sur le public féminin et lui montrera qu'il est légitime pour les femmes en tant que public aussi, d'exprimer leurs critiques, leurs avis, leurs goûts en termes de musique. Voir plus de rappeuses et de femmes à des postes de décision incitera aussi d'autres femmes à se lancer dans le rap, en tant qu'artistes ou productrices, ou tout autre métier considéré comme masculin. Le but en fait, est de créer un cercle vertueux.

2/ Donner de la visibilité

Donner plus de visibilité aux rappeuses est probablement la solution la plus basique et la plus efficace. Plus on montre des rappeuses au public, plus le public en écoutera, et l'industrie suivra. Il faut arrêter de penser que les femmes sont rares dans le rap. La visibilité ça passe par mentionner les projets féminins qui sortent, faire un portrait d'une rappeuse plutôt que d'un rappeur de temps en temps. Il faut leur donner la parole sur des critiques, des masterclass, des débats... La visibilité peut aussi être donnée par exemple, sur des supports de communication, au lieu de choisir un rappeur, on choisit une rappeuse. En clair, présenter une artiste qui rappe comme normal et courant dans le rap pour faire évoluer l'image du rap comme un milieu masculin. Il est important aussi de ne pas parler des rappeuses par rapport à leur genre, ne pas les présenter comme des exceptions et faire plus de sujets où on ne leur demande pas simplement ce que ça fait d'être une femme dans le rap.

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«Les questions c'est soit tu penses quoi de Diam's, ou le féminisme, être une femme dans le rap... Elles ont envie de parler d'art, qu'on leur pose des questions sur leurs textes, leur clip, leur vision du monde...» (Lola Levent, fondatrice de DIVA Management)33

«Si elles n'abordent pas le sujet, je n'en parle pas dans mes articles, sauf si je sens qu'elles ont envie de s'exprimer sur le sujet, alors on en discute» (Lise Lacombe, co-rédactrice en cheffe de Mosaïque)34.

«Plus on mettra des personnes de genres, milieux différents dans des postes à responsabilité, plus on apportera de la diversité dans l'industrie et au public. S'il y a peu de femmes DA dans les majors, ça veut dire que tous les artistes que l'on voit sont choisis par des hommes» (Éloïse Bouton).

Pour contrer le déni d'antériorité, il faut aussi rappeler l'histoire du rap, notamment que les femmes sont là depuis le début, et pas que Diam's. Le média Mosaïque préconise un travail d'archivage, retrouver les enregistrements de rappeuses qui ne sont pas forcément sur les plateformes, les interviews etc... C'est un travail nécessaire pour rappeler que les femmes ont leur place dans le rap, en mettant en lumière les rappeuses d'hier, on donne accès à celles d'aujourd'hui.

3/ For Us, by Us

«Il y a beaucoup de dispositifs de révélation/accompagnement qui existent mais sont montés par des hommes blancs cisgenres. Ça ne veut pas dire que ce n'est pas une bonne chose, mais j'ai peur qu'à terme le business se fasse à leur dépens. Donc plus d'initiatives faites par les femmes, for us by us.» (Éloïse Bouton).

Si avoir plus de femmes à des postes de décision dans les grandes entreprises existantes est important, on peut aussi créer de nouvelles structures, par des femmes et pour des femmes pour

33 Lola Levent pour Aujourd'hui Demain, The Red Bulletin podcast, 2022.

34 Intervention de Lise Lacombe lors de la conférence Rapper au féminin, Upercut festival, 2022

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apporter un regard féminin neuf sur la production et les artistes. De plus, il faut veiller à ce que les artistes se développent de la manière qu'elles le souhaitent et en sécurité tout au long du processus de création, production et promotion. Pour cela, l'entourage professionnel compte énormément. Comme pour tout artiste mais encore plus pour des profils minoritaires qui connaissent plus de risques dans l'industrie, il faut que l'équipe de l'artiste comprennent leurs enjeux, conscients ou inconscients.

C'est ce que fait Lola Levent, une journaliste musicale qui a fondé DIVA Management, pour les artistes qui s'identifient comme femme ou LGBTQIA+. DIVA représente notamment les artistes Angie, Lazuli, Joanna, Neslas, Lou CRL et Yanis. La boite propose aussi des rendez-vous pour accompagner les artistes qui le souhaitent dans leur développement de carrière, avec des conseils en stratégie image, media training ou comment bien choisir ses partenaires business. DIVA défend la diversité dans l'industrie musicale et le soutien entre femmes.

«J'essaye de mettre en valeur la prise de paroles des femmes elles-même». «Les artistes que j'accompagne font la musique que j'ai toujours rêvé d'écouter» (Lola Levent).

II. Des solutions concrètes

1/ Créer des safe places

Ces dernières années, de nouveaux événements rap 100% féminins ont vu le jour. C'est le cas du tremplin Rappeuz créé en 2019 et Rappeuse en liberté créé en 2021. Rappeuz a eu près de 150 candidatures lors de sa première édition, et Rappeuse en liberté plus de 300. Les événements non mixtes constituent des places pour ces artistes féminines. Elles y sont plus à l'aise pour s'exprimer.

«Ça marche à fond. Les rappeuses sont super demandeuses de ça. J'ai fait beaucoup de tests en événements mixtes/non mixtes. Ça en rassure certaines d'être en non mixtes, elles ont tendance à plus se

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lâcher. Devant un public mixte, certaines se censurent, s'habillent différemment et font des textes différents. Le problème c'est surtout pour les artistes émergentes, une fois qu'elles sont confirmées c'est un peu moins compliqué» (Éloïse Bouton).

En 2021, Transform Festival en Suisse a organisé une édition de son tremplin spécialement réservée aux femmes et aux personnes faisant partie des minorités de genre. Cela partait d'un constat, lors de leur deux premières éditions en 2019 et 2020, ils avaient eu 10% de candidatures féminines. L'édition 2021 a eu le même nombre de candidatures que les anciennes, avec uniquement des femmes cette fois. Grâce à l'impact médiatique qu'à eu cette édition, il ont reçu 10 fois plus de candidatures féminines pour l'édition mixte de 2022.

«Ça leur garantit une sorte de safe place pour présenter leurs projets. Elles sont prudentes au début de leur carrière, et osent moins se mélanger aux rappeurs masculins» (Renaud Durussel, programmateur pour Transform Festival).

En plus de ces événements non mixtes, il est important de permettre aux rappeuses de rencontrer les bons interlocuteurs pour leurs projets, et qu'elles puissent bénéficier d'accompagnement pour se structurer et avancer par la suite. Il y a une difficulté à se construire un entourage professionnel et à s'informer chez les artistes indépendants.

J'ai rencontré les rappeuses Nanor et Asfar Shamsi sur le casting de Rappeuz Paris le 10 mai. Je leur ai demandé quels freins elles rencontraient et ce qui leur manquait pour développer leur projet. Ce qui est revenu c'est un besoin d'accompagnement, une aide pour structurer leur projet, le fait que produire sa musique coûte cher aussi, et enfin que la plupart des concours et tremplins n'offrent pas de feedbacks sur les projets non retenus. Dans la mesure du possible, il faut faire un retour aux artistes qui ne sont pas sélectionnés, pour leur permettre d'avancer dans leur carrière.

«À partir du moment où tu candidates tu peux bénéficier de nos conseils. C'est important pour nous de donner un vrai feedback aux rappeuses et surtout de les rencontrer chez elles. On veut leur permettre d'avancer dans leur projet.» (Gauthier Benoît, fondateur du tremplin Rappeuz)

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Le but, en plus de les mettre à l'aise, est de garantir aux rappeuses un gain de visibilité et un accompagnement pour leurs projets, tout ça avec une promesse de bienveillance.

2/ Les subventions, clés de la production

En France, il y a 5 organismes principaux qui distribuent des subventions pour les artistes : la SACEM, la SCPP, la SPPF, l'ADAMI, le CNM. Selon le site monprojetmusique.fr, qui liste toutes les aides existantes, un artiste peut financer jusqu'à 50% de son projet musical (à comprendre EP/album voir single). Les aides existantes comprennent la production phonographique, jusqu'à la promotion/marketing du projet, en passant par la réalisation de clip (aide CNC). Chaque subvention a ses propres critères, il faut donc bien se renseigner.

De nombreux témoignages montrent que les programmateurs d'événements et producteurs ont tendance à miser sur des artistes hommes plutôt que femmes car ils pensent que l'investissement est moins risqué, que ça «marchera mieux» et que le public suivra plus facilement. Si c'est important de changer les mentalités et de garantir la parité, il faut aussi trouver des solutions pour inciter les structures à s'intéresser aux rappeuses.

«Il y a un manque de labels en suisse. Ils vont capitaliser sur des projets de rappeurs, qui ont un plus gros potentiel de vente. Surtout après deux années de covid, il faut remplir les caisses. À cachet égal, il y a de fortes chances qu'on remplisse plus avec un rappeur, qu'une rappeuse» (Renaud Durussel).

«C'est naturel de penser à un mec. On se dit qu'ils sont plus fédérateurs. Un mec, ça peut amener un public de mecs et de meufs (...) soit on se le dit, soit c'est totalement inconscient, et donc ancré dans la tête des gens»35

Une solution pour limiter la prise de risque que l'on a abordé dans le chapitre deux serait de créer des subventions pour les rappeuses et les structures qui en produisent. Il faudrait aussi faciliter l'accès à ces subventions, notamment pour les artistes indépendants. C'est souvent un véritable

35 Article Mouv', Être une femme dans le milieu du rap c'est pas gagné, 2022

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parcours du combattant pour monter et soumettre les dossiers, encore plus pour obtenir les subventions. Des structures comme la Neuvième Muse, créée par Céline Bakond, offrent aux artistes un service d'accompagnement et de conseil, qui prend en charge l'administratif dans le rap. Les subventions et l'administratif sont des étapes clés de la production musicale, beaucoup d'artistes ne sont pas assez informés sur les subventions existantes et les dossiers à monter. Ainsi, ce genre de service permet à l'artiste indépendant de structurer son projet et obtenir des moyens de production. En plus des quotas, garantir des subventions pour les structures qui produisent, programment ou accompagnent des rappeuses pourra rassurer les chefs d'entreprises et permettre aux artistes de se développer plus facilement.

3/ Le choix stratégique des featurings

Les featurings ont une place importante dans le marché du rap français. Ils permettent aux artistes de diversifier leur proposition artistique, de trouver un nouveau public, de visibiliser d'autres artistes, de se légitimer dans le milieu professionnel et auprès du public. Ils peuvent jouer un rôle important dans la visibilisation des rappeuses.

«Le featuring est un lieu d'intégration dans le monde du rap et les artistes invitant font de leur position professionnelle un levier intégrateur» (Corentin Roquebert).

Si un rappeur invite une rappeuse pour un feat, cela lui donne non seulement de la visibilité mais une légitimité auprès du public du rappeur. Il faut casser le traditionnel feat rappeur/chanteuse et inviter des rappeuses sur des couplets où elles kickent pour banaliser le fait qu'une femme puisse kicker «aussi bien» qu'un homme. Ce mouvement d'intégration des rappeuses dans le paysage du rap français doit donc également venir des rappeurs, et de leurs labels.

«Les valeurs du hip hop, c'est l'entraide et faire avec les moyens du bord. Même la soeur, si tu la trouves forte, tu la portes. Même si elle te fera de l'ombre parce qu'elle est plus forte, tu la portes. Il faut faire des feats avec des rappeurs, où elles montrent qu'elles kickent.» (Josué Bananier).

Enfin, les recommandations algorithmiques des plateformes de streaming sont largement influencées par les featurings dans les morceaux. Cela pourrait donc pousser les rappeuses dans les algorithmes et permettre aux auditeurs qui écoutent le morceau en feat de découvrir de nouvelles artistes.

4/ L'opportunité du digital

a - Le pouvoir des plateformes de streaming

Les plateformes de streaming comme Spotify, Deezer, Apple Music, YouTube Music... sont les principaux facteurs de nouvelles découvertes musicales. Dans mon sondage Google Form, 45,5% des participants ont répondu qu'ils découvraient de nouveaux artistes plutôt sur les plateformes de streaming (l'entourage arrivant en deuxième avec 35%). Les plateformes de streaming ont donc un rôle dans la visibilité qu'à un artiste face aux auditeurs.

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Graphique extrait du sondage Google Form, voir en annexe

«Quand j'écoute des rappeurs, on me propose que des rappeurs par la suite. Quand j'écoute des rappeuses, on me propose uniquement des femmes, même si ça n'a rien à voir comme Angèle, Shakira etc...» (Éloïse Bouton).

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Des chercheurs de l'université d'Utrecht ont analysé les pratiques d'écoute de 330 000 utilisateurs sur neuf ans. Ils ont découvert que seulement 25% des artistes écoutés sont des femmes, que la première chanson recommandée est toujours signée par un homme et que les utilisateurs devaient attendre la septième chanson pour que l'algorithme recommande le morceau d'une femme. L'algorithme des plateformes de streaming est fait de telle manière à analyser les écoutes de l'auditeur et l'enferme ensuite petit à petit dans un genre musical, en lui faisant des recommandations qu'il considère comme proches de ses goûts. On peut se demander si c'est une bonne chose que ce soit le facteur numéro un pour le public de découverte de nouveaux artistes, puisque les plateformes de streaming ne poussent pas vraiment l'auditeur à diversifier ses écoutes et ses goûts. Ainsi, les rappeuses ne sont pas avantagées par ces plateformes, car, si l'auditeur ne recherche pas de lui-même des rappeuses, elles ne lui seront probablement pas recommandées.

Les chercheurs de l'université d'Utrecht ont proposé un remaniement de l'algorithme de ces plateformes, qui permettrait de revoir le classement des artistes masculins. il suffirait d'abaisser le rang des morceaux d'artistes masculins d'un nombre de places fixes, pour faire remonter les artistes féminines dans les recommandations.

Entrer en playlists sur les plateformes de streaming est aussi un enjeu important pour un artiste. En effet, deux tiers du temps d'écoute de Spotify sont consacrés aux playlists. Si des playlists algorithmiques sont créées en fonction des écoutes de chaque utilisateurs, les playlists éditoriales sont aussi très importantes. Celles-ci sont créées et gérées par les équipes des plateformes de streaming elles-mêmes. «19 des 20 meilleures playlists en 2020 ont été créées par des éditeurs et éditrices de playlists Spotify, totalisant près de 161,5 millions de followers»36. Elles représentent également un tiers du temps d'écoute sur Spotify. Ainsi, le pouvoir d'exposition qu'elles offrent est énorme, et le fait qu'elles soient créées par l'équipe de la plateforme offre une sorte de garantie de qualité dans la perception de l'auditeur. «Les playlists des sites de streaming remportent un vif succès : 8 jeunes sur 10 les écoutent ; elles ont un rôle de prescripteur puisqu'un jeune sur 2 y a récemment découvert un artiste» (AGI-SON)37. Si les curateurs de ces

36 iMusician, Pourquoi les playlists Spotify sont-elles importantes ?, 2020

37 Comment les 12-18 ans écoutent-ils de la musique ?, SoCo pour AGI-SON, 2019

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playlists pensent à intégrer plus d'artistes féminines et plus de rappeuses dans leurs playlists éditoriales, ce serait un gros coup de pousse. À l'inverse, leur absence de ces playlists les invisibilise. Veiller à la parité dans ces playlists est important et boosterait les écoutes des rappeuses, en plus de faciliter leur découverte par de nouveaux auditeurs. À titre d'exemple, dans la playlist Rapstars de Deezer en juin 2022, il y avait un titre d'une rappeuse (Shay, DA), sur un total de 50 titres. J'ai aussi remarqué que la playlist Rap Chill, toujours sur Deezer, comptait un peu plus de titres de rappeuses, c'est-à-dire 4 sur 50 au total. Cependant, 3 de ces titres de rappeuses étaient en featuring avec des hommes (LeJuiice ft La pépite; Zinée ft Sean; Vicky R ft A2H). Un morceau seulement de rappeuse seule (Eesah Yasuke, Fuck1rsa) figurait donc dans cette playlist.

b - Les services pour artistes indés

On sait qu'aujourd'hui, le marché de la musique en France se construit de plus en plus autour de l'artiste «indépendant», qui reste maître de ses décisions et propriétaire de sa musique. L'industrie du rap se compose de labels indépendants, qui repèrent et développent les artistes et sont reliés aux majors via différents contrats. Des entreprises comme Believe proposent des solutions de distribution et de marketing pour ces labels et artistes «indés».

Depuis plusieurs années, ces services vont plus loin grâce à l'émergence de plateformes qui répondent à des besoins précis de ces artistes indépendants. RekYou pour trouver un studio d'enregistrement, Groover pour contacter des professionnels de la musique, Bridge audio pour stocker les fichiers audios, Base For Music pour créer des campagnes digitales... Sans oublier les agrégateurs qui permettent à n'importe qui de distribuer sa musique sur les plateformes de streaming (Tunecore, Imusician, Distrokid...). Ces plateformes rendent accessibles à tous la production musicale, et, combinées, permettent de réaliser un projet presque en 360. Grâce à ces plateformes, les artistes ont aujourd'hui toutes les clés en main pour produire eux-mêmes leurs projets. Ce sont aussi de vrais leviers de rencontre, RekYou avec son service Musical Project Manager, propose un accompagnement de projet complet de la production à la promotion en s'adaptant aux besoins de chaque artiste; Groover permet aux artistes d'avoir un feedback, et plus si affinités, de professionnels.

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En se servant de ces services pour réaliser leurs projets, les rappeuses n'auront pas à attendre qu'on les repère. Elles gardent le contrôle sur leur création. Ces services sont «neutres», dans le sens où ils n'auront pas de rémunération sur le projet de l'artiste. Cela peut éviter de tomber sur un DA qui les pousse à faire de la pop parce que ça se vend mieux. Ces services sont rarement seulement des plateformes, ils proposent en général un accompagnement et des conseils précieux.

«Les rappeuses doivent exploiter tout le digital. Les réseaux YouTube, TikTok, Insta, et des nouvelles plateformes qui se créent. Ça leur permet de s'exprimer comme elles veulent et de toucher le public qui leur correspond. Les outils comme RekYou, Groover, Base For Music etc... Il faut qu'elles s'en saisissent. La technologie en général, comme les NFTs, pareil.» (Josué Bananier, fondateur de RekYou).

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En clair, construire un projet solide musicalement comme visuellement, et connaître son public est important pour une artiste, si elle veut garder le contrôle sur sa musique et s'entourer d'une équipe qui lui correspond. Les réseaux sociaux et les services qui naissent du digital sont une opportunité pour les rappeuses de pousser leurs projets, sans attendre que l'industrie leur donne leur chance.

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CONCLUSION

Le rap est une musique récente, puisqu'il est apparu avec la culture hip-hop au début des années 80' en France. Ce milieu a depuis ses début une image masculine, «C'était un esprit maschiste de base, genre, j'emmène pas ma meuf au concert de NTM»38. Pourtant, les femmes ont toujours participé à son développement. L'absence des rappeuses dans l'industrie musicale française est plutôt une question de visibilité. Effectivement, nous avons constaté que les rappeuses sont bien présentes, avec plus de 350 actives en France aujourd'hui, et plusieurs centaines d'autres qui postulent à des tremplins ces deux dernières années. Cependant, leur présence ne se ressent pas dans les ventes et dans les featurings des rappeurs plus largement écoutés.

De nombreux freins empêchent les rappeuses d'avoir une forte visibilité. Le rap subit des stéréotypes qui décrédibilisent les femmes qui se lancent dans le milieu, en plus de constituer des dangers pour celles qui y évoluent, du fait de la misogynie, de leur minorité et d'une exposition forte du métier d'artiste (exposition sur les réseaux sociaux, lieux avec beaucoup d'hommes). C'est en réalité un problème bien plus large, puisque les femmes connaissent des freins et des enjeux similaires dans d'autres métiers et styles musicaux. Selon les chiffres du Mama Festival, en 2019, seules 17 % des compositrices sont inscrites à la SACEM, seules 16 % des Victoires de la musique du meilleur album sont décernées à des femmes, et les projets musicaux portés par des femmes représentent 25 % des subventions totales. On se rend compte que l'industrie n'ose pas assez prendre les devants pour promouvoir les rappeuses, alors qu'elles ont le potentiel de diversifier la proposition artistique et attirer un nouveau public vers le rap, tout comme de plaire à celui existant.

Je pense que l'industrie musicale a une responsabilité envers le public, puisque la musique joue un rôle essentiel dans notre culture. Nous avons le devoir de faire du milieu musical une safe place d'une part, et d'offrir une parité et une diversité dans les genres et propositions artistiques des artistes que l'on produit. On sait que les médias jouent un rôle clé dans la construction de l'image des artistes auprès du public, donc dans la manière dont ils représentent les artistes femmes. De leur côté, les rappeuses peuvent exploiter les évolutions technologiques et tous les

38 JOEYSTARR, MANOEUVRE Philippe, Mauvaise réputation, 2022

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outils existants pour se construire d'elles-même et revendiquer leur proposition, si ça plaît au public, l'industrie suivra.

La place des femmes dans le rap semble devenir un sujet à la mode. On voit de plus en plus de débats et conférences sur ce thème. Il ne faut pas oublier cependant, que l'on ne représente pas le grand public quand on est un passionné ou un professionnel de la musique. En effet, les personnes qui assistent à ces conférences constituent un public averti ou concerné non représentatif du marché. Il faut continuer jusqu'à ce que les rappeuses soient démocratisées auprès du public rap. Je suis en tout cas optimiste sur l'évolution de la place des femmes et des rappeuses dans l'industrie musicale française ces prochaines années. De nombreuses femmes abordent ces sujets, des solutions sont mises en place. On voit des rappeuses remporter la 1ère place de tremplins mixtes comme Eesah Yasuke pour Buzzbooster ou YEND pour le concours TracexRekYou. D'autres comme Leys, même si elles ne gagnent pas se sont démarquées lors de concours et on sent un engouement du public. Moona ou Laeti bénéficient aussi d'une exposition dûe à leur rôle dans des séries. Enfin, LeJuiice, Doria, Davinhor et pleins d'autres commencent à faire du bruit auprès du public. Ce qui est sûr, c'est que les prochaines années seront déterminantes et ce sujet concerne pleinement ma génération, les producteurs, journalistes, directeurs artistiques en formation. Je pense donc que c'est important d'en parler et de sensibiliser à ce sujet les jeunes qui souhaitent travailler dans l'industrie musicale. Il est fort possible que dans quelques années, une femme qui rap ça ne choquera plus.

On pourrait aussi étudier le rôle de la communauté LGBTQIA+ dans l'industrie musicale, qui elle aussi est largement oubliée ou mise dans des cases.

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BIBLIOGRAPHIE

LIVRES

- ABCDR DU SON, L'Obsession Rap, Marabout, 256 p, 2019

- MARTIN Denis-Constant, Quand le rap sort de sa bulle, Seteun-Irma, 192 p, 2010 - JOEYSTARR, MANOEUVRE Philippe, Mauvaise réputation, J'ai Lu, 285 p, 2022

ÉTUDES :

- HAMMOU Karim, Prises et «décrochages» de genres : la réception critique de Diam's et Booba dans les années 2000, 2017

- HIGGINS Paulo, Femmes et Queers : des publics subalternes et cachés du rap français, 2020

- ARNOLD Aron, La voix genrée, entre idéologies et pratiques - Une étude sociophonétique, 2017 - DALIBERT Marion, Les masculinités ethno racialisées des rappeur.euse.s dans la presse, 2019

- PRONOVOST Gilles, LAPOINTE Marie-Claude et PRÉVOST Anne-Sophie, Musique et cosmopolitisme culturel chez les jeunes, 2021

- FERRARO Andrés, SERRA Xavier et BAUER Christine, Break the Loop: Gender Imbalance in Music Recommenders, 2021

- ROQUEBERT Corentin, Le capital social des rappeurs : les featurings entre gains de légitimités et démarche d'authentification professionnelle, 2020

- L'impact du rap en France (Tsugi et Super! À l'initiative de Rebull, en partenariat avec la Sacem), 2021

- Comment les 12-18 ans écoutent-ils de la musique ? (SoCo pour AGI-SON), 2019 - SNEP, Chiffres et ressources, Top Albums, Top Singles et certifications

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PODCASTS :

- RAP GRENOUILLE, Consultation Rapologique («Les Femmes dans le rap», «Les Publics du rap», «Industrie et rap»)

- LA RÉCRÉ, Les femmes ont-elles leur place dans le rap? - Madame Talk

ARTICLES

- https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/musique/shay-la-rappeuse-qui-veut-feminiser-le-hip-hop-

01-06-2019-8084118.php

- https://hiya.fr/2021/12/02/le-fantome-de-diams-hante-les-rappeuses-francaises/

https://surunsonrap.hypotheses.org/3869, https://surunsonrap.hypotheses.org/3508

- https://www.booska-p.com/musique/dossiers-musique/quelle-est-la-trace-laissee-par-13-organise/

- https://madamerap.com/2021/06/09/rap-nos-oreilles-sont-elles-sexistes/

- https://www.mouv.fr/musique/les-femmes-et-la-production-rap-part-2-la-france-213953

- https://www.justfocus.fr/more/le-saviez-vous/pourquoi-et-comment-le-rap-est-devenu-la-musique

-la-plus-ecoutee-en-france.html

- https://ancre-magazine.com/rap-francais-femmes-a-quand-un-peu-de-respect/

- https://www.radiofrance.fr/franceculture/pour-faire-emerger-des-rappeuses-il-faut-prendre-des-ris

ques-2106774

- https://ancre-magazine.com/cardi-b-kanye-west-featuring-rappeuses-us/

- https://ancre-magazine.com/rap-francais-femmes-a-quand-un-peu-de-respect/

- http://www.lehall.com/galerie/colloquefemmes/premiere-journee/des-filles-dans-le-rap/

- https://www.la-croix.com/Culture/Musique/Lemergence-femmes-scene-rap-2020-03-16-1201084

296

- https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/rap/le-rap-francais-une-relation-compliquee-avec-ses

-rappeuses_3692877.html?fbclid=IwAR18F0G2oaIbmcmWENEnfstpxX-ILGFAAt8tA7hZJDSe

MIRBf8rAEvqA-bY

- https://www.mouv.fr/musique/rap-fr/etre-une-femme-dans-le-milieu-du-rap-c-est-pas-gagne

- https://www.booska-p.com/musique/actualites/les-femmes-et-le-rap/

- https://imusician.pro/fr/ressources/guides/comprendre-integrer-playlist-spotify#:~:text=Sans%20s

urprise%2C%20ce%20sont%20celles,Top%2050%2C%20g%C3%A9n%C3%A9r%C3%A9e%2

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ANNEXES

Retranscription des interviews

Renaud Durussel, programmateur pour Transform Festival (28/04/2022)

Pourquoi faire une édition du Tremplin réservée aux femmes et aux personnes faisant partie des minorités de genre ?

- Suite à un constat après les éditions 2019 et 2020, où il y avait très peu de candidatures féminines (environ 1 sur 10). L'édition 2021 a eu le même nombre de candidatures que les anciennes, avec uniquement des femmes cette fois.

Pourquoi les rappeuses ont osé candidater à cette édition spéciale et pas les années précédentes ?

- Ça leur garantit une sorte de «safe place» pour présenter leurs projets. Elles sont prudentes au début de leur carrière, et osent moins se mélanger aux rappeurs masculins. Elles se sont apparemment senties plus à l'aise d'être en compétition avec uniquement des femmes. Mais grâce à l'impact médiatique qu'à eu cette édition, on a reçu 10 fois plus de candidatures féminines pour l'édition 2022, qui est mixte, par rapport à celles de 2019 et 2020.

Comment expliquer qu'il y a peu de femmes qui ont le branding de rappeuse ?

- Le rap subit encore beaucoup de stéréotypes. On associe les femmes à quelque chose de plus mélodique, qui peut se réfugier dans la pop. Pourtant il y a des rappeuses comme LeJuiice, Davinor, Darkqueen, Lagale, Doria qui kickent. Ça va aussi avec l'évolution du rap qui devient de plus en plus mélodique.

Pourquoi on considère qu'il n'y a pas de rappeuse après Diam's ?

- Diam's avait une image peu féminine. Ça a aussi marché pour ça. Les rappeuses qui kickent revendiquent une certaine puissance, virilité, qu'elles travaillent à leur sauce. C'est moins accepté pour une femme. J'ai l'impression que ça change petit à petit. Le Juiice par exemple incarne quelque chose de féminin, avec un discours de rapport aux hommes et à la séduction assez «traditionnel», mais avec beaucoup de kick derrière.

Pourtant, aux États-Unis, ça n'a pas l'air d'être un souci d'assumer une image séductrice tout en kickant fort comme Nicky Minaj, Cardi B, Doja Cat... Pourquoi le même schéma marche moins pour les rappeuses françaises ?

- Il y a un rapport à la féminité et aux valeurs que la femme est censée incarner en France qui est différent de ce qu'on retrouve dans le mainstream américain. C'est probablement une question de

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culture qui dépasse le cadre de la musique. Une fille qui chante avec une voix douce et une guitare acoustique ça marche très bien, mais si elle veut être lead singer d'un groupe de metal on considère que y' a pas de place pour ça.

Le rap est misogyne ?

- Oui mais pas plus que Johnny Hallyday. Il faudrait défendre la légitimité des cultures urbaines pour aider les rappeuses.

Quelles solutions pour aider les rappeuses à se populariser ?

- Garantir la parité sur les scènes. Leur offrir de la visibilité. Faire en sorte que les structures s'intéressent aux femmes rappeuses. Il y a un manque de labels en suisse. Les structures qui ne sont pas très solides (ex : assos, petits labels), vont plus capitaliser sur des projets de rappeurs, qui ont un plus gros potentiel de vente. Surtout après deux années de covid, il faut remplir les caisses. À cachet égal, il y a de fortes chances qu'on remplisse plus avec un rappeur, qu'une rappeuse. On pourrait créer des labels pour ça. Avoir plus de femmes dans le reste de l'industrie (productrices, journalistes, dans les jurys...). Augmenter les subventions pour les projets de rappeuses. Il faudrait aussi simplifier les demandes de subvention car pour les artistes qui débutent c'est difficile. Utiliser des images de femmes sur les supports de communication rap peut aussi aider à les visibiliser.

Tu es optimiste quant à la popularité des rappeuses dans les années à venir ? - Carrément, rien que le tremplin de cette année est un méga bon signe ! Des rappeuses suisses à recommander ?

- Badnaiy, VVS Panthere, Dark Queen, Lagale, Naomie Lareine

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Éloïse Bouton, Fondatrice de Madame Rap (04/05/2022)

Pourquoi avoir créé le média Madame Rap ?

- Pour plusieurs raisons. D'abord parce que j'ai toujours écouté du rap et des rappeuses, et je trouvais dommage qu'elles ne soient pas plus mises en avant dans les médias grands publics et spécialisés. Ensuite, j'étais investie dans plusieurs associations féministes et à l'époque, dans certains milieux féministes, c'était mal perçu d'écouter du rap. Les arguments étaient les mêmes qu'aujourd'hui : paroles affreuses, musique sexiste, mise en scène dégradante dans les clips... Je ne comprenais pas pourquoi le rap cristallisait cette idée-là plus que d'autres courants artistiques. Je voulais montrer que ce n'est pas incompatible et que c'est au contraire un bon moyen d'expression. Enfin j'étais pigiste et on refusait souvent mes articles en me disant que c'était un sujet de niche. J'ai voulu créer un espace où je peux écrire librement sur ce sujet, qui ne me paraît pas être de niche.

Comment se fait le travail de recensement chez Madame Rap ?

- C'est moi qui m'occupe du listing, c'est beaucoup de recherche sur les réseaux, sur soundcloud et sur BandCamp, C'est passionnant. Il y a presque 2800 rappeuses que j'ai recensé dans le monde aujourd'hui.

Vous avez eu l'impression que les médias étaient réticents à donner de la visibilité aux rappeuses ?

- Oui, dans les médias rap comme grands publics. Il y a des grands noms du journaliste rap qui ne mettent pas suffisamment les rappeuses en avant. On voit des top de l'année sans aucunes femmes dedans, c'est pénible.

Pourquoi à votre avis ?

- C'est pratiquement que des hommes à la tête de ces structures. Ils reproduisent un entre soi. Plus on mettra des personnes de genres, milieux différents dans des postes à responsabilité, plus on apportera de la diversité dans l'industrie et au public. S'il y a peu de femmes DA dans les majors, ça veut dire que les artistes que l'on voit sont choisis par des hommes. On retrouve le fameux «male gaze».

Le manque de femmes à des postes de décisions dans l'industrie musicale joue-t-il un rôle dans l'invisibilisation des rappeuses ?

- Oui clairement et ça impact aussi la manière dont elles sont marketées, présentées, promues. Elles dépendent d'un regard masculin.

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Vous pensez que le public aussi est réticent à accepter les rappeuses ?

- Pour moi pas du tout. C'est un discours piège véhiculé par les hommes. On sait que ce qui marche c'est la promo. Si les moyens sont mis, le public s'y intéressera forcément.

Est-ce qu'une rappeuse devrait viser un public plutôt féminin ?

- Je pense qu'il ne faut pas s'intéresser au genre. C'est avant tout du rap. C'est évident qu'une Cardi B n'est pas écoutée que par des femmes. Comme on est dans un pays globalement sexiste, «rap de fille» est synonyme de «moins bien». Même les algorithmes des plateformes sont étranges par rapport à ça. Quand j'écoute des rappeurs, on me propose que des rappeurs par la suite. Quand j'écoute des rappeuses, on me propose uniquement des femmes, même si ça n'a rien à voir comme Angèle, Shakira etc... Le public masculin a aussi besoin d'une sorte de validation de leurs goûts par d'autres hommes. Shay par exemple a été validée par Booba. C'est pour ça que les journalistes masculins ont peur de perdre leur public en parlant de rappeuses.

Justement on écoute beaucoup de rappeuses américaines en France, pourquoi le public ne suit pas les rappeuses francophones ?

- Je pense que c'est dû à un manque d'accès à ces artistes. Le décalage est énorme entre les rappeuses qui existent et celles qui sont visibles. C'est plus facile d'être découvert pour un rappeur. Il y a environ 350 rappeuses actives aujourd'hui en France. Le grand public doit en connaître 3 ou 4 maximum.

Les femmes ont peur de se lancer dans le rap ?

- Oui, il y a beaucoup de pression sociale à cause des clichés du rap de la part des proches. Elles se prennent aussi beaucoup de réflexions sexistes. Ça en décourage certaines. J'ai fait beaucoup d'open mics test, mixte et non mixte. Les filles avant tendances à beaucoup plus se lâcher et moins se censurer devant un public non mixte. Les textes et les tenues étaient différents. C'est sûrement moins difficile une fois que c'est une artiste confirmée que pour les artistes émergentes qui doivent faire leurs preuves. Une rappeuse qui assume de se sexualiser, si y a pas d'homme qui l'a couverte derrière, est vite slutshamée. Je pense que c'est difficile pour des artistes comme Davinhor et LeJuiice qui traitent de sujets comme le patriarcat et les hommes, et qui sont féministes même si elles ne se définissent pas comme ça. Quand il y a un manque de féminité ou dans des modèles de genre différents, le public s'y intéresse moins.

Est-ce que c'est gênant pour les rappeuses d'aujourd'hui de toujours leur rappeler le succès de Diam's ?

- Si elles n'ont pas cité Diam's comme une de leur référence, je ne vois pas pourquoi les comparer. On oublie qu'il y a eu des rappeuses avant en plus. Elle n'est même plus présente musicalement. Elle a arrêté sa carrière. Les médias ont créé une nostalgie autour d'elle. En France on aime bien

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les exemplaires uniques. Comme s'il n'y avait de la place que pour une personne. Il y a eu une grande rappeuse et on dit aux nouvelles qu'elles n'auront jamais son succès. En plus elle allait très mal durant sa carrière. Les nouvelles générations de rappeuses de 16/17 ans pour la plupart n'ont même pas grandi avec elle et font de la musique très différente. On pousse les femmes à être en compétition entre elles comme s' il y avait peu de places.

Quelles solutions existent aujourd'hui pour donner de la visibilité aux rappeuses ?

- Il y a pleins de choses. J'essaye d'encourager les artistes à se structurer. Il y a beaucoup de dispositifs de révélation/accompagnement qui existent mais sont montés par des hommes blancs cisgenres. Ça ne veut pas dire que ce n'est pas une bonne chose, mais j'ai peur qu'à terme le business se fasse à leur dépens. Donc plus d'initiatives faites par les femmes. Même si c'est difficile de trouver les ressources, l'argent etc... Les médias grand publics doivent arrêter de parler des rappeuses à travers le genre. Il n'y a pas de rap féminin/masculin. Diversifier l'industrie. Mettre en place des quotas pour les programmations. On sait que ce système fonctionne.

Il y a une réticence à signer des rappeuses, par ce que ça «marche moins» ?

- Le métier de DA c'est un métier de prise de risque. Aujourd'hui on peut signer ou programmer juste au nombre de vues. Surtout après le covid, personne ne veut prendre de risque. Dénicher de nouveaux talents c'est pas attendre que le public mette des likes.

On en attend plus d'une artiste que d'un artiste ?

- Clairement. Après on le sait, comme dans tous les domaines de la société les femmes doivent en faire 25 fois plus. Certains mecs qui rap à peu près correctement ou qui font un son un peu fun, et qui ont quelques vus seront plus facilement signés. Les femmes elles vont se faire insulter plus facilement. Quand un rappeur à souvent besoin d'un seul titre, on va attendre qu'une rappeuse nous convainque avant de dire qu'on aime bien. On connaît les injonctions contradictoires «trop grosse», «trop maigre», «trop vieille», «trop jeune», «vulgaire», «pas assez féminine». Il vaut mieux s'en amuser, et certaines en jouent, sinon on ne s'en sort pas. Je pense encore une fois que ça peut se régler avec plus de diversité dans les instances de décision.

Vous êtes optimistes sur la popularité des rappeuses dans les années à venir ?

- Oui je trouve que les choses évoluent. Je vois via Madame Rap qu'il y a tout le temps des nouvelles artistes. Il y a plus de solidarité, sûrement grâce aux réseaux sociaux. J'espère juste qu'elles resteront libres dans leur succès et que ce ne sera pas approprié par des hommes. On a besoin de sortir de ce male gaze.

C'est important d'apporter un point de vue féminin sur ces artistes ?

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- Oui. Il y a des initiatives pour mettre en lumière les rappeuses qui ont été prises récemment qui sont à côté de la plaque. C'est en partie dû au fait que ce soit des projets portés par des hommes. Par exemple, dans le documentaire Reines de Canal +, il n'y aucune beatmakeuse. Ce n'était pourtant pas compliqué d'en trouver. De plus, Bianca Costa ne se définit même pas comme rappeuse. Sur les centaines existantes, ils n'ont pas fait l'effort de trouver 5 artistes qui se définissent comme rappeuse. Quelle image ça renvoie ? Au lieu de les mettre en lumière, on fait croire qu'il n'y en a quasiment aucune. Même le titre Reines pose un problème. C'est pour ça qu'il faut plus de femmes à la tête de ces projets, sinon ça sonne faux et on le sent. Peut-être que ce n'est pas fini, mais c'est choquant de voir aussi peu de parité sur des compiles à 30 voir 150 rappeurs. C'est agaçant qu'on m'appelle pour ça, sans regarder que je ne parle pratiquement pas d'hommes.

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Mekolo Biligui, journaliste spécialisée rap (10/05/2022)

C'est plus difficile pour une femme de se lancer dans le rap ?

- Oui mais ce n'est pas spécifique au rap. Le rap n'échappe pas à la misogynie, comme les corps de métiers d'expertise aussi. Il y a forcément un ratio plus faibles de personnes qui s'identifient comme féminines. C'est un métier d'exposition donc il y a plus de critiques sur les réseaux. On peut voir sur le dernier clip de Shay beaucoup de commentaires misogynes.

On a reproché à Shay de s'inspirer de Cardi B, pourtant il y a un public français pour les rappeuses américaines qui ne suit pas les rappeuses françaises, qu'est ce que tu en penses ?

- Les rappeuses américaines ont une autre façon de considérer le corps, je pense qu'en France on a un souci avec ça. On le met à distance en se disant que c'est une autre culture, mais quand c'est la nôtre ça ne passe pas. Je pense que les américains ne seraient pas du tout choqués par Shay. Après les rappeuses américaines subissent aussi des critiques, mais ça a l'air de prendre moins d'ampleur qu'en France.

On a du mal à trouver un public pour les rappeuses ?

- Typiquement Shay est très suivie par le public, mais je pense qu'on ne considère pas le bon public. Les femmes sont bien présentes dans l'écoute du rap mais ne s'expriment pas beaucoup. On les voit en concert mais ce ne sont pas elles qui donnent leur avis sur les réseaux. Finalement le «public twitter» n'est pas si représentatif du public des artistes. Les gars parlent beaucoup, donc on a l'impression que le public masculin drive les goûts musicaux. En réalité, beaucoup d'artistes savent très bien que s'ils ramènent un maximum de femmes dans leur public, un public masculin va suivre.

Le public masculin attend-il une validation masculine ?

- Le Juiice où une Zinée, elles sont arrivées avec leur voix, leurs prods et leur univers et je pense que c'est ça qu'on a vu en premier. Après c'est vrai que souvent on attend qu'un journaliste masculin les «valide» avant d'avoir un engouement des médias. Mais je pense aussi qu' une artiste féminine va amener un public plus large et plus représentatif de la jeunesse. Par exemple, dans quelque chose de plus pop, le public d'Aya Nakamura est sûrement plus représentatif de la jeunesse d'aujourd'hui, avec des femmes, des hommes, des personnes queers. Peu de personnes ont compris ça et ont commencé à capitaliser dessus. Il y a des populations qui ont du mal à trouver des artistes qui leur parlent et à qui ils s'identifient, et les artistes féminines ont ce pouvoir d'amener un public plus large.

Les médias sont-ils réticents à donner de la visibilité aux rappeuses ?

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- Forcément j'écris sur moins de filles mais j'essaye d'en mentionner dès qu'on peut. La question aussi c'est la parité dans les journalistes, sur les plateaux etc... Quand il y a des gros médias qui citent les sorties d'album et qu'il y a une femme qui sort un album et qu'on ne la cite pas, c'est un manque d'effort. Il y a moins de rappeuses, on peut se permettre de les mettre en avant quand on peut. On donne un accès difficile à ces rappeuses, donc le public en connaît 3,4 sur les centaines qui existent. Même les journalistes du milieu n'arrivent pas à citer des noms.

Est-ce que c'est embêtant pour les rappeuses de leur rappeler le succès de Diam's ?

- Oui. On ne ramène pas les rappeurs à Booba. On parlera d'inspiration à la limite, mais dans le cas de Diam's on l'oppose aux autres rappeuses.

Est-ce que ça bloque du côté des labels ?

- Ouais, il y a une impression de prendre des risques en signant une rappeuse. Parfois il y a des directions artistiques un peu bizarres, on les pousse peut-être trop vers la pop alors qu'elles n'en ont pas toutes envie. On les signe souvent quand elles ont déjà un public ou qu'elles sont vraiment excellentes. On est plus exigeants envers les femmes, mais ça c'est un problème de société.

Qu'est ce qu'on peut faire pour aider les rappeuses à se visibiliser ?

- Dans notre profession en tant que média, il faudrait qu'on essaye d'être plus équitable dans les propositions qu'on fait. Chaque média à sa communauté, si tout le monde s'y met on aurait vraiment un impact. En fait, il faudrait surtout qu'on vive dans une société moins misogyne. C'est pareil dans pleins d'autres milieux. Regarde, il y a peu de guitaristes femmes, ou de femmes dans l'électro. Si on voit plus de femmes visibles sur les plateaux, dans les labels, ça va amener un public féminin qui va se dire qu' elles aussi elles peuvent avoir et donner un avis sur le rap. La mentalité vient aussi du public, ce sera difficile de la changer si la société reste la même.

Qu'est-ce que tu penses des représentations grand public des rappeuses comme la série Validé, Diana Boss, le documentaire Reines ?

- Pour Validé, j'espérais qu'ils parlent d'une rappeuse dans la saison 2 justement, mais je trouve que ça n'a pas été bien exploité, le rap est devenu secondaire. Je n'ai pas vu la série avec Moona mais ça m'a l'air pas mal. On voit dans le jury de la nouvelle émission de Netflix qu'il y a Shay. De toute façon avec les réseaux on ne peut plus ignorer qu'il y a des femmes qui rappent. Reines il y a beaucoup de trucs qui vont, tout le monde n'a pas un portrait, le planète rap c'est un faux, dès le générique c'est Diam's, ils auraient pu choisir quelqu'un d'autre, ou mettre le son d'une des rappeuses du documentaire.

Qu'est ce que tu penses des initiatives de tremplins 100% féminins ?

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- C'est très bien comme initiatives. Je comprends que les femmes soient plus à l'aise dans ces événements. J'ai eu un cas l'année dernière lors d'un BuzzBooster régional. Il y a une artiste qui est montée sur scène et des jeunes dans le public qui lui ont crié «les femmes c'est à la cuisine». Ça va à l'encontre des valeurs de la culture hip-hop. Les organisations doivent être intransigeantes sur ce genre de comportement. La seule artiste féminine va se prendre des réflexions sexistes avant même de commencer.

Tu es optimiste quant à la popularité des rappeuses dans les années à venir ?

- Oui, il y a des filles qui tracent leur route. À force de travail ça marchera. LeJuiice, par exemple, est hyper forte, ça ira pour elle. Eesah Yasuke aussi, je la suis de près et je pense que ça va marcher pour elle, même si c'est fastidieux. Après il faut revoir la notion de popularité. Certains artistes moins exposés vivent très bien et ont trouvé leur public. J'insiste aussi sur le fait qu'on ignore le public féminin et LGBTQ+ alors qu'il est bien présent.

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Gauthier Benoît, Fondateur de Rappeuz (10/05/2022)

Pourquoi avoir voulu monter un tremplin de rap spécialement féminin ?

- À la base on est une structure qui s'appelle CallMeFemcee, on accompagne des artistes émergentes internationales dans leur développement. On avait des rappeuses anglaises, tunisiennes, italiennes...dans notre collectif. On s'est rendu compte qu'il y a un véritable besoin d'accompagnement, certaines font des rencontres malveillantes.

Comment se passent les candidatures ?

- C'est en ligne. Il y a une présélection. Ensuite elles viennent passer les castings sur les lieux partenaires (Paris, Ivry, Lilles, Marseille). 2 finalistes par villes donc une finale avec une dizaine de candidates. On est très accessibles par les candidates. On est proche d'elles, on fait pas mal d'accompagnement et de rencontres. C'est très humain, à partir du moment où tu candidates tu peux bénéficier de nos conseils. C'est important pour nous de donner un vrai feedback aux rappeuses et surtout de les rencontrer chez elles. On veut leur permettre d'avancer dans leur projet.

En quoi consiste l'accompagnement que vous proposez aux participantes ?

- L'accompagnement s'adapte à leurs besoins. On va discuter avec elle, si elle a besoin de studio ou d'instrus on va les présenter à des pros bienveillants et si c'est de la stratégie ou du développement scénique on va travailler dessus.

Les artistes que vous rencontrez sont-elles déjà structurées ?

- Un des critères de participation est de ne pas avoir plus d'un partenaire pro (exemple: label ou distributeur). Après on a de plus en plus de candidates qui rappent depuis longtemps et qui n'arrivent pas à s'entourer.

Comment le tremplin a évolué au fur et à mesure des éditions ?

- La 1ère édition était en 2019, on a eu plus de 150 candidatures, les castings étaient en live mais pas la finale. La 2e édition était spéciale puisque c'était pendant le COVID, donc 100% en ligne. On a pu reprendre le live l'année dernière, il y avait une énergie de ouf. Cette année, pour la 4e édition, il y a une salle partenaire en plus, le Hangar à Ivry. On a fait Lilles le 5 mai, La Place le 10 mai, Bordeaux le 15 mai au Rock School Barbey et le 19 mai, Marseille. En plus il y a eu une présélection à Brest, et la gagnante est prise en charge pour passer le casting à Paris. On monte en level et on est super contents.

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Quels freins empêchent les rappeuses de se développer ?

- C'est un mélange de plein de choses. C'est déjà difficile pour un artiste homme de se faire une place, alors une femme c'est pire. Surtout de se faire un réseau. Elles peuvent tomber sur beaucoup de gens malveillants, qui font tomber leur projet à l'eau.

Il y a une réticence à leur donner de la visibilité ?

- La réalité c'est qu'en France on s'enferme beaucoup dans un style «qui marche». Sur le tremplin on voit plein de profils et de propositions différentes. Il y a une diversité d'images, de textes... Le rap est une industrie, il y a des codes, et un manque de prise de risque.

Comment les rappeuses peuvent-elles gagner en visibilité ?

- La plupart des artistes qui viennent ne savent pas par exemple que dans beaucoup de villes il y a des structures d'accompagnement comme les SMAC. Il y a aussi cette image du rap qui doit marcher à grande échelle, «je dois faire du buzz». Alors qu'une bonne stratégie est de d'abord s'implanter localement, identifier les pros autour d'elles, fidéliser un premier public... Souvent les projets des rappeuses stagnent dans le processus de professionnalisation. Elles ont dû mal à intégrer un réseau.

On écoute beaucoup de rappeuses américaines en France, pourquoi le public ne suit pas les rappeuses francophones ?

- L'industrie essaye de copier les codes américains. Ducoup, le public préfère écouter les américains. Alors que dans le rap français y a des textes, Il y a plein de choses à mettre en avant. Mais c'est un problème de société. Comme le dernier titre de Shay, les gens ont l'impression que ça fait pareil en moins bien. Le public français a du mal à soutenir. C'est fou ce qui passe à la radio en comparaison de la diversité énorme de profils et de projets qu'on voit ici.

Qu'est ce que vous pensez du fait qu'on ramène souvent les rappeuses à Diam's ?

- C'est chiant. «Alors c'est vous la nouvelle Diam's» ? Des fois tu accompagnes une rappeuse et on te dit «j'aime bien Chilla», le rapport ? Au début, nos partenaires s'inquiétaient du niveau de la finale. Alors qu'attend, on a 150 candidates, des castings avec des pros, le niveau sera forcément là.

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Josué Bananier, manager de Liouba et cofondateur de RekYou (27/05/2022)

Comment en es-tu venu à manager Liouba ?

- Avant Liouba je manageais un autre artiste, c'est là que j'ai fait mes premières armes. J'avais décidé d'arrêter les missions de manager car ça prenait beaucoup de temps. J'ai rencontré Liouba à l'issue d'un Rekord Live où elle performait. Ça a été un coup de coeur musical et humain. Ça m'a donné envie de reprendre cette casquette que j'aime beaucoup. Quand je l'ai vu je me suis dit que c'est une pépite, j'ai envie de l'aider à se polir et devenir l'artiste qu'elle souhaite être. Je ne suis pas fan d'artistes mais de ceux qui les entourent. J'ai passé beaucoup de temps à étudier les stratégies mises en place par les équipes des artistes que je suivais.

Il y a une différence entre l'analyse et la pratique du métier de manager ?

- Carrément. Déjà on avait changé de période, il n'y avait pas YouTube, Twitter, Instagram avant... Les codes ont changé. Je me suis rendu compte que le travail est énorme, surtout qu'il faut prendre en compte la vie perso de l'artiste. Il y a beaucoup d'humain dans ce métier.

Quel est le public de Liouba ?

- Liouba est écoutée par une majorité d'hommes. J'aimerais équilibrer son public. Déjà parce que le public féminin achète plus facilement des places de concert. J'aimerais aussi qu'elle ait une communauté féminine plus forte, qui s'identifie à elle. J'aimerais qu'elle soit un role model. Voir des rappeuses sur scène, ça fait aussi passer le message aux autres femmes que c'est possible, et petit à petit continuer à faire monter la scène féminine rap. Le public masculin est important aussi, pour mettre en place des featurings rappeuse/rappeur, où la rappeuse à l'espace de montrer qu'elle sait kicker, au lieu du traditionnel rappeur/chanteuse.

Les publics masculin/féminins sont attirés par des critères différents ?

- Dans le cas de Liouba, la plupart du public qui la voit en concert ne la connaît pas. Après on a eu des filles qui se sont déplacées de Belgique pour la voir, parce qu'elles ont accroché à son univers. Il y a aussi des hommes qui se reconnaissent dans son discours. Un homme qui va voir Cardi B va venir passer un bon moment parce qu'il kiffe ses sons, mais aussi parce qu'elle joue sur ses attributs et que visuellement ça va leur plaire. S'il va voir un rappeur, le physique il s'en moque, il vient participer à un concert pour la musique. Une femme peut aussi apprécier une rappeuse qui joue sur ses attributs par ce qu'elle s'assume et décomplexe. Pour moi, si tu veux atteindre un public mainstream, tu joues sur l'image et la sexualité,si tu veux toucher ta niche, tu restes toi même. Le public masculin qui viendra voir une rappeuse avec une image plus masculine, viendra pour son flow, sa personnalité, son show. Finalement, on a l'impression qu'elles plaisent moins, alors qu'elles ont un public de niche, et le ce public est bien plus fidèle

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donc ce n'est pas négatif. On a trop cette image du succès comme étant grand public. Un artiste qui ne passe pas sur des médias mainstream peut très bien vivre et remplir des zéniths. Lala&ce par exemple, elle a son public. Elle a su récupérer un public LGBT qui n'avait pas assez de profils auxquels ils s'identifient.

Quelle stratégie tu adoptes pour Liouba ?

- Les sujets qui animent Liouba ne sont pas des sujets qui touchent trop le public mainstream, le vegan, l'humain, le bien être... Ces thèmes-là vont la porter vers son public, de niche. Dans un deuxième temps, elle a des titres qui ont un potentiel mainstream, mais ce n'est pas l'objectif absolu car le public mainstream est de toute façon très instable. Mon but est qu'elle puisse vivre de sa musique.

C'est différent de manager un rappeur et une rappeuse ?

- Un artiste est un artiste. Après, un homme peut aborder tous les sujets, une femme risque plus en parlant de certains sujets. Il faut prendre ça en compte dans le management, voir avec l'artiste si elle est prête et à l'aise de développer une image qui pourrait être sensible auprès du public, et qui pourrait lui apporter de la haine. Aujourd'hui tu n'as plus besoin de venir de cité pour faire du rap. Il y a un plafond de verre pour les filles qui reste dans les esprits. La parade qui a été trouvée, à mon avis, c'est de pousser la sexualisation. Et là les rappeurs veulent des feats avec la go. Les valeurs du hip hop, c'est l'entraide et faire avec les moyens du bord. Même la soeur, si tu la trouves forte, tu la portes. Même si elle te fera de l'ombre parce qu'elle est plus forte, tu la portes. Il y a des schémas qu'il faut qu'on casse. Travailler avec une rappeuse c'est un combat, faut pousser, faut arriver avec toujours plus de créativité. Il faut faire des feats avec des rappeurs, où elles montrent qu'elles kickent. Une rappeuse doit pouvoir s'imposer sans se sexualiser si ce n'est pas ce qu'elle souhaite.

Pourquoi on a pas le même engouement en France pour les rappeuses francophones que pour les rappeuses américaines ?

- Parce que les États-Unis ont réussi à se construire un imaginaire dans le public français. C'est plus acceptable dans la tête des gens parce qu'ils sont habitués à voir des rappeuses américaines. C'est une question de culture aussi. En France on joue avec les mots, on a la chanson française. Dans l'imaginaire français, la femme n'est pas censé avoir des mots crus ou se sexualiser. On les a jamais trop médiatisées les femmes du rap, à part Diam's. Donc le public n'est toujours pas habitué.

Il y a une réticence de la part de l'industrie musicale française à leur donner de la visibilité ?

- Il ne faut pas oublier que c'est une industrie. Les labels n'ont pas d'intérêt à miser sur un projet qui ne rapporte pas. Si tu te positionnes en tant que chef d'entreprise, ton but c'est de faire de l'argent. Depuis la crise du disque, les rémunérations sont plus compliquées. Les grands labels ne

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font pas du développement d'artistes comme avant. Le travail est fait par les artistes eux-mêmes ou des labels indés. Si ça marche, les majors arrivent et signent derrière. Je ne peux pas blâmer l'industrie à 100%. Par contre, il faut avoir plus de personnes en interne qui ont l'envie de faire monter la scène des rappeuses. Malheureusement il y a aussi un problème de compétition pour certains rappeurs ou DA qui n'ont pas envie qu'une femme soit considérée comme «plus forte» qu'eux, par ce qu'ils pourraient vendre moins. Il est temps que des structures et médias s'imposent avec de nouvelles lignes éditoriales et mettent en valeur des rappeuses. Je pense que vu tous les collectifs qui se montent il y a un engouement qui se crée et le public sera au rendez-vous.

Quelles solutions existent pour aider les rappeuses à se visibiliser ?

- Tout le digital. Les réseaux YouTube, TikTok, Insta, et des nouvelles plateformes qui se créent. Ça leur permet de s'exprimer comme elles veulent et de toucher le public qui leur correspond. Le tout est de produire du contenu. Il y a beaucoup de vu et revu chez les rappeurs. Faut amener quelque chose de plus. Plus de violence ? Plus de douceur ? Plus conscient? Il faut être créatif, au niveau du marketing c'est une erreur de se calquer sur le modèle des autres rappeurs. Parle de ce que t'as vécu. J'aimerais bien entendre parler de la cité à travers les yeux d'une fille. Arriver avec un autre regard, quelque chose qu'on a jamais entendu. Liouba par exemple, qui avant elle s'est présenté comme rappeuse vegan. Faut que le projet soit unique niveau image, DA, musique. C'est comme ça qu'elles pourront plaires aux médias mainstream. Les outils comme RekYou, Groover, Base4music etc... faut qu'elles s'en saisissent. Les NFTs pareils.

Tu es optimiste pour la suite ?

- Au début personne ne regardait le foot féminin, maintenant elles remplissent des stades, les médias s'y intéressent parce qu'ils savent que ça va être rentable. C'est pareil pour les rappeuses, ça prend du temps mais ça va venir. Faut s'y intéresser et se battre, et si c'est pas cette génération là ce sera la prochaine qui en bénéficiera. J'y crois fort. Quand je vois Liouba, Lazuli, Lala&ce sur scène c'est juste lourd.

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Ekloz, rappeuse (08/06/2022)

Est-ce que tu peux rapidement me raconter comment t'as décidé de te lancer dans le rap ?

- J'étais en spécialité danse au lycée, mon but était de devenir prof de danse. Le rap m'est tombé dessus comme ça pendant mes années de lycée et je me suis concentrée dessus à fond après le bac.

Quelle place à la scène dans ta carrière ?

- La scène pour moi c'est le centre, c'est de là que tout part. J'avais l'habitude de créer mes morceaux en pensant à la scène, à l'énergie, à la foule. Quand il y a eu le COVID j'ai dû me recentrer, j'ai perdu mon premier centre de motivation. Comme la scène c'était ma plus grosse perspective d'évolution, j'ai eu peur d'avoir loupé le coche. Quand c'est reparti je m'attendais pas à tourner autant. J'ai dû avoir 25 dates depuis le début de l'année sans démarcher. J'ai réussi à être crédible professionnellement, je ne fais plus de dates payées par exemple. En tout cas la scène c'est ça qui me parle et qui me rappelle pourquoi je fais de la musique.

Le texte est important pour toi ?

- Oui je fais du rap, c'est la base. J'ai besoin qu'il y ait du sens partout, dans ma musique, dans mes clips... Je ne vais pas faire des choix purement esthétiques que je n'arrive pas à justifier.

Quels artistes t'ont influencés ?

- J'ai découvert le rap par la scène, les événements donc la scène indé locale. Je trouve qu'aujourd'hui ça se branle beaucoup sur scène. Surtout des gros artistes qui sont décevants. Le rap indé tel que je l'ai connu était beaucoup plus brut, féroce. Celui qui m'a mis une claque en terme scénique et d'écriture c'est Furax Barbarossa. J'ai compris via lui ce que c'était vraiment le rap. Ça m'a parlé. L'avantage du rap par rapport à la danse c'est que tu peux en faire partout, avec n'importe qui, t'as pas besoin de conditions particulières.

C'est qui ton public ?

- J'ai un public hyper hétéroclite. Je pense que j'ai gardé le rap d'où je viens, dans l'écriture, le rap plus à l'ancienne, old school dans le fond de ce que je fais, mais que la forme. J'arrive à toucher un public hyper large. L'énergie tout le monde est capable de la percevoir. De ce que je peux voir, les gens sont limite surpris de kiffer ce que je fais. Il y a un peu une image posée sur les rappeuses. On me dit «d'habitude j'aime pas les rappeuses, j'aime pas le rap féminin mais toi tu amènes quelque chose». J'ai pas mal de personnes qui me disent d'habitude «j'aime pas le rap mais toi». Après je pense que j'arrive à un bon moment, où ça devient la mode de pas rapper sur

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du rap, ce créneau d'esthétique musical est en train de s'ouvrir et je rentre dans la brèche, je ne me limite pas. Je sais que les plus anciens vont kiffer l'écriture, les plus jeunes sont moins attentifs à l'écriture mais il y a des rimes et ils turn up.

Y a des gens qui avaient des préjugés parce que t'es une rappeuse ?

- Ouais ça y en a toujours. Il y a une espèce de norme sur les rappeuses. Soit t'es le cliché du petit mec, soit t'es la meuf méga sexualisée. Moi je reste moi-même et j'assume autant ma sexualité, j'ai pas peur d'en jouer, que le fait de vraiment rapper, c'est la culture qui me parle. Je vois que les gens s'intéressent et c'est trop cool.

On t'as vu sur le Cypher de KT Gorique, tu cherches à t'entourer d'autres rappeuses/femmes dans l'industrie ?

- Ce n'est pas quelque chose que je cherche. Je ne suis pas là pour me faire des copines. Y un truc de pseudo solidarité sur les rappeuses. On a pas besoin de se tenir la main entre meufs. Après m'entourer de femmes dans le business évidemment. J'ai eu besoin à un moment donné de rajouter des femmes dans mon équipe. Niveau rigueur désolée, il y a plus de professionnalisme chez les nanas. Après je vais pas aller copiner avec des artistes femme, si je kiffe je kiffe, comme pour les mecs.

Est-ce que parfois on te rattache à d'autres rappeuses par ce que t'es une femme ?

- Oui tout le temps. Le «ah tu me fais penser à Keny Arkana, Diam's, Lala&ce...» je l'ai eu pas mal de fois. Ça tourne autour des 5 mêmes blazes.

J'ai vu que t'as été sélectionnée à pleins de tremplins, notamment les Inouïs. Qu'est ce que ça t'a apporté ?

- Ça m'a apporté de croire en moi. Je suis une meuf du Sud, j'arrive à Paris et tu sais ça va vite Paris. Tu te permets de rêver un peu plus grand. J'ai des objectifs très précis, toujours dans une optique de progression mais je ne me mets pas trop en danger. Quand j'arrive dans ce genre de dispositif je me dis que j'ai de la chance. Ça me permet de me rendre compte que je ne suis pas larguée et que je suis légitime d'être là. Ça confirme et renforce tout le travail que je faisais déjà en fait.

C'est quoi tes prochains projets ?

- J'ai sorti un EP il y a un mois, c'était un gros projet, on a travaillé longuement dessus. Donc là c'est prendre des vacances.

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Liouba, rappeuse (14/06/2022)

Est-ce que tu peux rapidement me raconter comment t'as décidé de te lancer dans le rap ?

- Au début, j'étais plus intéressée pour travailler avec les chevaux. C'est mes premières histoires de coeur qui m'ont poussé à écrire un rap. J'étais très en colère contre un garçon, et c'était le seul moyen de lui dire d'aller niquer sa mère. Ça m'a trop fait du bien donc j'ai continué à écrire du rap pour le plaisir. L'été suivant mon bac, je ne savais pas trop ce que je voulais faire. C'est ma meilleure amie qui m'a fait comprendre que je voulais faire de la musique. Je suis donc partie à Londres faire des études de songwriting. Je suis revenue à Paris et j'ai rencontré mon manager en 2019 pendant un showcase.

C'était évident pour toi de te tourner vers le rap comme style musical ?

- J'ai une famille qui a une vraie relation avec la musique, donc j'en ai toujours beaucoup consommé mais quand j'étais petite c'était plutôt Mickael Jackson, AC/DC et Missy Elliott. J'ai découvert le rap à 11 ans grâce au copain de ma grande soeur. Disiz, Kendrick Lamar, Kanye West, Kid Cudi et Jay Z. Ça a changé ma vie. J'écoutais ça matin midi et soir. Je connaissais tout Disiz par coeur. Y a pas grand monde qui écoutait du rap dans le milieu où je vivais, classe moyenne, école à la maison. J'ai continué à écouter du rap en grandissant, c'était un peu punk pour moi. Ça me permet d'exprimer des émotions fortes, comme la colère. J'ai aussi toujours aimé l'écriture et la poésie. Je trouve que le rap est un bon format pour l'écriture.

Pourquoi tu choisis de rapper aussi en anglais ?

- Jusqu'à mes 16 ans, à part Disiz et mon père, j'écoutais que des artistes anglophones. C'est aussi une forme de protection, parce que les gens vont faire moins attention à ce que tu dis, et j'ai toujours beaucoup aimé cette langue. Ça m'est venu naturellement, la première chanson que j'ai écrite à 12 ans je l'ai écrite en anglais. C'est plus tard, quand j'étais à Londres que j'ai voulu tester le français, voir comment ça sonnait avec moi. Aujourd'hui je préfère écrire en français, même si je garde les deux. Rien ne pourra remplacer ta langue maternelle.

C'est quoi la Vegan Trap ?

- J'ai toujours aimé le rap et la trap, mais les textes tournent souvent autour de choses violentes et insignifiantes, qui ne me parlent pas trop. Il y avait besoin de ramener autre chose. C'est l'attitude trap avec une intention de partage et de bienveillance, qui sont des valeurs importantes pour moi. Je ne correspond pas à l'archétype du/de la rappeur/rappeuse. Je médite, je fais du cheval, je suis dans la bienveillance. Donc créer mon propre style ça me permet de me sentir légitime de faire de la trap.

74

Tu connais ton public ?

- Pas encore vraiment, mais j'ai l'impression qu'il peut être éclectique. Je me rends compte que je touche un public de mon âge comme un public de 40-50 ans. On me dit souvent «j'aime pas forcément le rap mais toi j'aime bien ce que tu fais, ton énergie».

Tu penses que c'est plus dur pour une femme de se lancer dans le rap ?

- Je pense que c'est surtout au niveau individuel. Un jour j'ai fait une scène et on m'a demandé si ça ne me faisait pas peur d'être la seule fille. Forcément ton genre joue sur ton expérience. Faut savoir quelle place tu veux avoir et t'en tenir à ça. Il y a souvent plus de mecs dans les événements rap mais quand y a une meuf qui passe et qui déchire tout le monde s'en rappelle. Je pense que c'est dommage de s'en sentir victime, parce que c'est toi qui décide si tu es victime et ça peut être une force aussi. Je pense que les filles qui veulent rapper doivent simplement rapper et si elles se retrouvent face à un connard soit elles font pas attention soit elles le remettent à sa place. En tout cas j'ai l'impression qu'aujourd'hui le monde est avec nous.

C'est important de faire des collaborations rappeurs/rappeuses ?

- J'aime autant rapper que chanter même si je présente plutôt du rap. C'est important de faire des collaborations avec des mecs et montrer que t'as pas besoin d'avoir des couilles pour découper une prod. Faut pas se retenir d'être plus forte qu'un mec. J'ai déjà été en présence de rappeurs que je trouvais moins forts que moi, mais en général ils sont plus arrogants que les meufs. Enfin, ils ont une confiance disproportionnée quand les meufs vont avoir tendance, de manière générale, à plus se remettre en question et à douter. On va se poser plus de questions parce qu'on sait qu'on est plus scruté par la société. Mais c'est valable dans tous les domaines. Je pense que c'est notre rôle en tant que femme de prendre notre liberté et et d'être maitres de notre bonheur. Ce ne sont pas les mecs qui vont nous le donner. Par contre, ça ne veut pas dire que all men are trash. Les femmes et les hommes c'est génial, il faut juste que tout le monde se respecte.

C'est quoi tes projets pour la suite ?

- Cet été il y a des Super Liouba Friday, qui sont des freestyles, qui sortiront tous les vendredis. Un vendredi sur trois il y aura un vrai single avec potentiellement un clip. À partir de la rentrée j'aurais des sorties de single une fois par mois. Donc plein de choses qui arrivent, j'ai beaucoup de titres en stock. Faire un max de concerts aussi. J'en ai deux de prévu pour la fête de la musique, un au Cargo l'aprem et un à Vitry le soir. Le 2 juillet j'ai un concert dans le 14e arrondissement. Objectif : plus de live et plus de contenu !

SONDAGE

Mené dans le cadre de recherches pour ce mémoire, sur une population aléatoire (78 participants).

La place des femmes dans le rap français

78 responses Publish analytics Sexe

 

L Copy

77 responses

· Femme

· Homme
Autre

·

 
 
 

Âge L Copy

76 responses

75

Le style musical que tu écoutes le +

77 responses

· -18

· 18-24

· 25-34

· 35-44

· 45-54

· 55-64

· 65ou+

Q Copy

· Pop

· Rap

· Rnt3

· becta

· Rock

· Metal

· Classique

· Jazz

· Autre

E

76

Les artistes de rap français que tu écoutes le + (1 à 3) :

69 responses

Plk, Laylow, nekfeu

Marwa / ninho

Hugo tsr I nekfeu f kenny arkana

Nekfeu

Aucun

Laylow, Alpha Wann, Népal

Nekfeu, orelsan, damso

Booba - Jul - Damso

Nekfeu, Jok'air, Chilla

1) Bigflo et Dli (vos grands mères avec les jugements ils ont des ptn de texte) 2 Diam's / 3 Nekfeu

sch, jul,

Alpha Wann, Josman, Laylow Orelsan

Ninho, Timal, DA Llzy Ninho / Vald / orelsan Nekfeu, Damso, Josman Nekfeu orelsan vald Abd al Malik MC Solar Damso Lomepal Hamza Damso, Nekfeu, 4keus Bigflo et Oli I scylla

PLK ninho laylow

Nekfeu, Jul, Naps

Ninho, laylow, josman

Vald, Luv Resval, Leto

Josman, Laylow, Hamza

Laylow Vald Guizmo

La feve, sopico et kekra

Nekfeu / Damso / vald

Ninho, PLK, Niska

damso, pnl, lomepal

Aucune

Pnl mhd

Alpha wann, sch, ninho

Georgia, Naps et Damso

laylow

Damso

jwles, rx nephew, hook

Green Montana, bakari, Luidji

Pnl, so la lune, django

0

1. Nekfeu 2. Orelsan 3. LauCarré

Damso, Orel San

Laylow - Green Montana - Dinos

Nekfeu Lord Esperanza

laylow niro ninho

slimka, timal, kaza

Laylow, Josman, Hamza

Jul, Kekra, Makala

nekfeu, IAM

Ninho Booba Damso

Sopico, Laylow,

Orelsan, Damso, Lomepal

maitre girns, black m (j'ai honte)

Orelsan

Orelsan. Vald. Damso

Booba, Dinos, Laylow

Nekfeu Dinos alpha wann

Nek le fennek / Makala / Hamza

Lesram, alpha wan, disiz

Laylow ninho pnl

Base 221 / ZKR 1 Dinos

Chilla, shy, riles

1. Georgia 2. Plk 3. Lefa

Mister y tayc leto

Ninho - Booba - Jul

Orelsan, Stupeflip, Alpha Wann

 
 

Lamepal, Orelsan et Nekfeu

Écoutes-tu des artistes de rap féminines (rappeuses) ? Q Copy

77 responses

Aik

· Oui

· Non

 

Si oui qui ? L Copy

39 responses

3

3 (7.7%)

2 (5.1%)

2

1 (2.61t(A.(1.$1':p..: .:p,,,,o,:,:0!. 1.:Gt :1':(1'
·(:1i(1.'(;1 o!{1!(1.'(:1?(:1'o-(1.'(p.Ti!{2!61i(:1.(:1'
·(
·`s1:'f(
·l*..:g(..-t(ep

0

Arnelygram Chilla, candi Diams' Lala &Ce Marwa Shay chilla

Chilla, LeJui... Diam's / Chil... Doria, Baby... Le juiice, sh... Shay le juiice, meryl

Si non pourquoi ?

L Copy

 

39 responses

· Je suis ouvert(e) à en écouter mais je n'en connais pas

·

Lot]

J'en connais quelques une mais je n'aime pas leur musique Je préfère quand elles chantent

· Je n'écoute pas de rap

81

82

 ton avis pourquoi il y a moins de femmes dans le rap ?

55 responses

Peur de se lancer dans ce milieu, ne pense pas avoir la voix adaptée Car c'est un milieu assez jeune, il faut le tps que ça se mette en place

Parce que c'est un milieu qui s'est construit avec des hommes avec des sujets écoutés par les hommes et qu'on a du mal à laisser la place aux femmes et bien qu'il y en ai les gens préfèrent entendre ce genre de musique cru venant d'un homme (pq jsp)

Question de culture je pense,mais elles vont trouver leur place ...... Milieu très misogyne

C'est un milieu très masculin qui peut être intimidant pour une femme. De plus, même si elles ont le talent pour rapper on va plus les pousser à rester sur un style pop/r&b

Cf : Validé saison 2

Parce que c'est un milieu historiquement masculin, et que comme dans de nombreux domaines, malgré leur talent, les femmes doivent se battre 2 fois plus pour être prises au sérieux et se faire une place.

Parce que ce monde a été catégorisé comme un monde masculin de gros connards qui jouent au jeu de "qui a la plus grosse bite" Les femmes étant plus subtiles et valant mieux que ça ne trouve pas leur place. Elles sont mieux que les autres voilà tout. Malheureusement ajd les gens aiment bien les connards. (Et je dis ça en tant qu'homme)

Selon moi, que peu (de rappeuses) réussissent à faire du rap sans emprunter les codes misogyne des rappeurs mais qui, pour moi, sonnent faux chez elles. Je trouve ça dommage que peu arrivent a vraiment recréer de nouveaux codes.

Parce que depuis Diams, elles ont peur de ne pas être à son niveau

Je pense que cela pourrait être du pour la simple et bonne raison que pour la grande majorité de l'univers du rap .. le rap est masculin

Parce qu'on ne leur laisse pas assez de place alors qu'elle valent toutes autant que les hommes sur beaucoup de points

milieu vulgaire machiste Gangsta qui prône le chouf le fric et la frime

Je pense que l'image d'une femme dans le rap français n'est pas assez crédible aux yeux des gens comparé aux US par exemple

Parce qu'elle serait automatiquement jugée masculine. Une femme qui rappe est accompagnée de beaucoup de clichés. Sachant que le rap est souvent misogyne, on est

 

Pas assez de diversité dans les artistes féminines artistiquement parlant Ce n'est pas très valorisé

Je pense que le rap a été perçu dès le début comme un style de musique masculin car c'est un style à l'origine « violent », engagé, revendicateur. Dans la société dans laquelle nous vivons nous sommes malheureusement encré dans des clichés stupide. La femme ne peut être en colère ou avoir des combats sinon elle serait traité d'hystérique ou de folle. Elle doit rester discrète, féminine, gentille. Et le rap est tout l'inverse. C'est bien sûr complètement misogyne de penser comme ça et cela rentre dans une société archaïque et très machiste.

Vu la misogynie de ce monde, ça donne pas trop envie de s'y lancer je pense

Trop masculin centré elles ont peur de karim

Bizarrement, ce serait peut être l'image du rap qui est plus adapté à l'homme. (Je ne suis pas d'accord avec ça)

Sans offence je trouve qu'il y a très peu de femmes qui ont un très bon niveau. Mais aussi trop d'hommes qui ont un niveau moyen et qui percent plus que des femmes du même niveau

parce que c'est un milieu extrêmement misogyne (comme toute l'industrie de la musique d'ailleurs)

Le milieu a l'air très fermé, il faut souvent être bien entouré et le rap vient moins naturellement chez les femmes lorsqu'elle commence à chanter

Aucune idée

Le patriarcat ! Je pense que on considère que c'est un milieu d'hommes et que du coup, les femmes qui veulent faire du rap doivent rencontrer énormément d'obstacles !

Milieu plus masculin

Parce que

Les hommes sont meilleures dans le milieu. Leur voix est plus faite pour ça

Manque de visibilité (dans les feats...)

Manque de reconnaissance

Pas de représentante forte comme à l'époque (Diams)

Beaucoup moins crédible malheureusement au vue de leur sexe (pas mon avis personnel)

La culture rap est plutôt masculin de base même si ça a tendance à s'équilibrer avec le temp l'évolution des moeurs, la place de la femme dans la société de manière globale etc.

 

conditionné à ce que femme et rap ne fonctionnent pas ensemble.

C'est un milieu trop fermé, comme beaucoup de métier en France où la femme n'est pas assez reconnu

Parce que la culture du rap est misogyne et sexiste, et je pense que beaucoup de femmes rappeuses sont découragées et/ou invisibilisées

Secteur majoritairement masculin, difficile de s'y faire une place Le stéréotype que le rap est un milieu masculin

Plus dur à découvrir que Gazo par exemple

Surement due au « milieu » mysogine + «industrie » surement retissante a introduire des femmes dans le rap....

La visibilité est surtout portée sur les hommes

Cela reste un milieu assez machiste mais pas fermé pour autant

A cause des origines même du RAP, musique quartiers populaires souvent associée à des propos violents dans les années B0.

peut-être parce que le rap est une musique issue de milieux populaires dans lesquels les moeurs sont moins progressistes, les femmes sont donc beaucoup moins poussées à créer que les hommes qui ont un quotidien compliqué et qui ont trouvé l'envie de l'exprimer

Leurs textes ne diffusent sur les chansons pas la même sujet que les garçons

C'est un milieu tellement misogyne qui se fonde quasiment (et c'est bien dommage) sur un discours violent et discriminatoire pour les femmes, ce doit être extrêmement difficile, d'abord de se lancer et ensuite de tenir le cap

Je pense que malheureusement dans l'opinion publique et comme beaucoup de domaines, le monde du rap est dominé par une représentation et quasi total d'artistes masculins et qu'on ne donne pas assez de place aux femmes

Je pense que c'est un milieu très masculin et qui est plus écouté par des garçons que par des filles. C'est donc + difficile pour une femme de s'y faire une place, l'audience n'étant pas aussi ouverte

parce que le rap reste un milieu masculin et sexiste, considéré dans la culture populaire comme vulgaire et les femmes ne sont pas autorisés à l'être, elles sont aussi malheureusement considérées comme des personnes qui n'ont rien n'a revendiqué, le but du rap étant à mon avis de revendiquer des idées et aspects sous un angle plus démocratisé

C'est en train de changer tranquillou

Penses-tu que les rappeuses vont se populariser dans les années a venir ?

60 responses

Oui

oui

Oui

Je trouve que plus en plus de femme sont écouter et ça ne peut allez qu'en s'améliorant

Certainement

Je pense que oui mais va falloir charbonner et changer les mindsets

Absolument

Malheureusement non

Je l'espère et j'ai hâte de voir ça!

Graaaave

J'espère

Probablement

Elle le commence déjà avec aya nakamura

Je pense et j'espère sincèrement

Yes

pourquoi pas ?

C'est possible mais ça restera compliqué

J'espère bien

J'espère

je l'espère !!

Totalement!

Oui sûrement mais lentement

Sûrement

Oui, en esperant que sa ne soit pas que marketings et qu'elles puissent si installer durablement !

Oui je pense que beaucoup on du potentiel et que ce n'est qu'une question de temps. Oui si elles trouvent un moyen de renouveler le genre

peut-être avec le temps mais étant donné que ça n'a pas l'air d'être la priorité de la cause féministe je pense qu'il faudra plus de temps

Non

Peut être si elles suivent le chemin de diam's

Je l'espère, on voit des hommes rappeurs tenir de plus en plus un discours relativement éveillé, ils sont encore rares mais ça apparaît par rapport à il y a quelques années ou c'était carrément inexistant, j'espère que ça peut ouvrir l'auditoire à l'idée qu'il n'y a aucune raison de ne pas écouter de rappeuse

Je l'espère oui

Je pense que ça peut arriver car les rappeurs misogynes comme tu l'évoquais sont moins nombreux qu'avant et cela change les codes du milieu et laisse la porte ouverte aux femmes !!

je l'espère et je pense que oui !

Ouep

J'espère.. car de ce fait il yen aura plus qui seront plus talentueuse

Oui, parce que le rap évolue mais surtout parce que les mentalités changent. Avec les mouvements comme Me too ou autre, ils peuvent être moteur de changement. Il y a encore beaucoup à faire et cela reste très bouché mais j'ai de l'espoir.

Je ne sais pas mais je l'espère

Inshallah

Oui ! J'espère !!

Sûrement oui

j'espère !!

Je pense que oui progressivement

 

Le]

88






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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld