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Pourquoi le storytelling marketing réussit à  engager une aussi grande partie des consommateurs ?


par Agathe Girod
Cesacom Lille - Manager des stratégies des communications 2022
  

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MÉMOIRE - CESACOM LILLE
CERTIFICATION PROFESSIONNELLE DE NIVEAU 6
MANAGER EN STRATÉGIES DES COMMUNICATIONS

Pourquoi le storytelling marketing réussit à engager une aussi grande partie des consommateurs ?

1

Agathe GIROD

Sous la direction de Anne-Sophie BARIETY
et la codirection de Sophie HIMPE

2

« Les événements vécus

sont la clé des événements observés. » Germaine Tillon

3

REMERCIEMENTS

Je voudrais d'abord remercier toutes les personnes qui ont contribué au bon déroulement de la rédaction de ce mémoire, et celles qui m'ont aidée lors de la rédaction de celui-ci.

De prime abord, je remercie Madame Anne-Sophie Bariety, pour les précieux conseils qu'elle m'a apportée tout au long de mes recherches, et lors de la rédaction de ce mémoire.

Je la remercie également chaleureusement pour sa sympathie et pour l'écoute dont elle a fait preuve lorsque le besoin se ressentait.

Je tiens également à remercier Madame Sophie Himpe pour ses conseils.

Plus personnellement, je tiens à remercier mes anciens collègues Camille Ribeaucourt et Paul Bala, qui m'ont toujours soutenue, que ce soit quotidiennement ou dans la logique de ce mémoire. Ma compagne Romie Demarez, qui m'a permis de garder le moral lorsque la motivation était au plus bas.

Un grand merci à mes amies Margot Franck pour son soutient lors de ce mémoire qui je cite, « on ne doit pas prononcer le nom » et ses identifiants Cairn, qui m'ont été d'une grande aide, ainsi que Camille Fournet pour toutes les fois où elle m'a rassuré et aidé au long de cette année.

Je tiens encore à remercier chaleureusement Madame Magali Bigey pour l'aide qu'elle m'a apportée lors des prémices de ce mémoire, pour mes deux années d'études de DUT d'Information-Communication à Besançon, que ce soit d'un point de vue personnel ou professionnel. Pour l'inspiration qu'elle m'a donnée sans le savoir depuis ces quatre ans, et pour ces heures de cours à ses côtés, toutes les plus passionnantes les unes que les autres.

Et enfin, un remerciement tout particulier pour ma mère, sans qui je ne serais pas à Lille cette année, qui croit en moi quoi que je fasse et qui a corrigé ce mémoire.

4

Table des matières

INTRODUCTION AU SUJET 5

Première partie 8

I - Le concept de l'engagement 8

A - Un fort sentiment d'appartenance 8

1. Une quête d'identité avant tout 8

2) Les marques, une alternative pour nos jours ? 10

B - Les différentes dimensions de l'engagement 12

1) La dimension affective 12

2) L'engagement lors des conduites sociales 14

3) La dimension psychologique et sociologique 16

Deuxième partie II - Le storytelling dans le temps 22

A - Le storytelling a-t-il toujours la même place au fil des années ? 23

1) Est-ce que tout n'est que storytelling ? 23

2) Le storytelling fait-il tourner le monde ? 26

B - La construction du récit 30

1) L'art de narrer 30

Troisième partie III - Le storytelling des marques et l'engagement des consommateurs 35

A - Comment les marques s'approprient-elles le storytelling 36

1) Les marques, ces grands orateurs 36

2) Mythes, contes et légendes, sont-ils (re)vus ? 41

B - Le crowdfunding et la co-création de marque : de nouveaux modes d'engagement

participatifs 50

1) Le crowdfunding, un engagement solidaire 50

2) Mieux comprendre ses consommateurs : la co-création de marque 52

5

INTRODUCTION AU SUJET

L'Amour. Si 500 personnes donnent la définition de l'Amour, aucune d'entre elle ne donnera la même. Alors que par exemple, le mot « pneu ». Si ces 500 mêmes personnes donnent la définition du mot pneu, elles donneront la même réponse, ou presque. Pour Frédéric Beigbeder, célèbre concepteur-rédacteur, « Être amoureux, c'est être étonné. Quand l'étonnement disparaît, c'est la fin. 1»

Mais, pourquoi le tout premier paragraphe de ce mémoire parle d'Amour, avec un grand A, lorsque la problématique de celui-ci parle de storytelling de marque et d'engagement ? La réponse est simple : il n'y a pas d'engagement envers une marque sans Amour. Et pour une marque, rien n'est plus important que des consommateurs qui s'engagent à la suivre, à l'acheter, à l'aimer et à la chérir, que ce soit pour ses produits ou son écosystème. C'est pourquoi la notion d'engagement est la première chose qui sera abordée lors de ce mémoire.

Mais pour qu'il y ait de l'Amour, et donc de l'engagement, les marques doivent faire appel à quelque chose de moins en moins apprécié : la publicité. Dans la société actuelle, la publicité est pourtant partout. Dans les bouches de métro, sur les arrêts de bus, à la télé, sur les portables, les ordinateurs, au cinéma, partout ! Il semble que nous nous dirigeons, pourtant, vers un monde sans publicité. Entre la disparition de la publicité papier traditionnelle, l'avènement des AdBlockers, la montée de l'activisme Anti-Pub, et la baisse des audiences TV, les chiffres parlent d'eux-mêmes. Une enquête réalisée sur 700 personnes a démontré que 64% d'entre elles trouve la publicité banale, 61% la trouve stressante, et 79% envahissante.

La publicité est donc partout autour, et même si personne ne semble l'aimer, chacun y porte, tout de même, une attention particulière en s'y intéressant et en en parlant.

Ce constat est réel. C'est là qu'intervient la vision de Frédéric Beigbeder. « Être amoureux, c'est être étonné. Quand l'étonnement disparaît, c'est la fin. »2 Pour la publicité, et

1 Frédéric Beigbeder, 99F, Italie, Éditions Grasset & Fasquelle, 2020, p. 127.

2 Idem.

6

pour la communication, c'est exactement la même chose. Il y a même des films et des séries qui ont pour thème la publicité, comme Trust Me, ou, beaucoup plus connu, Mad Men, qui raconte le début des métiers publicitaires. Ces métiers-là sont même très répandus dans le milieu littéraire, comme dans la saga Les Chroniques de San Francisco d'Armistead Maupin, où un des personnages travaille dans une agence publicitaire.

Mais alors comment expliquer que les consommateurs de marques restent aussi fidèles à celles-ci alors que la publicité déplaît autant, et semble très intrusive par sa constante présence dans notre quotidien, dans nos films, séries, lectures, etc. ? Et compte-tenu du rôle de la publicité autour d'un produit, pourquoi avoir besoin « d'étonner » le consommateur comme dit Frédéric Beigbeder ? Y a-t-il des moyens qui fonctionnent plus que d'autres ?

Partons d'une définition pure et dure. La communication commerciale découle du marketing mix : Produit, Prix, Distribution et Communication. Elle a pour but de séduire et d'inciter à l'achat, au-delà d'informer la sortie d'un produit. Et si les objectifs d'une campagne publicitaire sont d'ordre cognitif, affectif et conatif, ils sont avant tout marketing. Car le but c'est de vendre, vendre, et vendre. Et pour cela, on va aller toucher nos consommateurs par tous les moyens possibles.

Pour le célèbre publicitaire Jean-Marie Dru, la publicité est « une loupe qui nous permet de voir de plus près ce qui conditionne la vie des entreprises et parfois même, la vie tout court »3. Pour aller plus loin, la vision d'Ervin Goffman, sociologue et linguiste marche également. Pour lui, la publicité est une hyper-ritualisation du quotidien, un art qui renvoie, donc, aux mêmes procédés que ceux déployés en société. Quant à Valérie Sacriste, également sociologue, elle raconte dans son ouvrage Sociologie de la communication publicitaire, que « la publicité peut être appréhendée comme un laboratoire, voire un miroir de l'imaginaire social »4.

Les objectifs sont donnés, les définitions aussi. Bien qu'elle ne soit que subjective, la publicité doit réussir à séduire, l'ensemble des consommateurs (actuels ou potentiels), en passant par les moyens les plus créatifs possibles. Elle passe alors par différents registres,

3 Jean-Marie Dru, Jet-lag, France, Grasset, 2011, p.14.

4 Valérie Sacriste, « Sociologie de la communication publicitaire », L'Année sociologique, vol. 51, no. 2, 2001, p. 491.

comme l'humour, l'information, l'humain, le beau, les pleurs, ou même parfois la mort, et bien plus encore.

Mais pour toucher un public, il faut savoir aller plus loin que seulement jouer sur ces registres. C'est pourquoi la publicité a récupéré la méthode du storytelling afin de bercer les consommateurs avec de belles histoires. Le storytelling, ou bien l'art commercial consistant à raconter de belles histoires en ajoutant un caractère fictif à l'argumentaire de vente.

Jean-Marie Dru, Ervin Goffman et Valérie Sacriste ont démontré que la publicité était seulement un reflet de la réalité. Selon Valérie Sacriste, c'est même un « prothésiste identifiable »5. Elle va également jusqu'à citer un socialiste allemand, Serge Tchakhotine, parlant de la publicité comme étant « le viol des foules ». C'est pourquoi le storytelling a pris une ampleur si grande dans le monde de la publicité, et de la communication. Raconter des histoires est devenu le meilleur moyen de rappeler des souvenirs aux consommateurs. Qui n'a jamais regardé un de ses proches en lui disant « tu te souviens quand É ? ». Et bien pour le storytelling, c'est pareil. Son but est de se calquer sur la réalité, comme le fait déjà la publicité. Ainsi, ce procédé sera la deuxième grande partie que nous aborderons ensemble.

Cependant, l'utilisation de storytelling dans la publicité suscite d'autres interrogations : d'où vient ce sentiment d'appartenance envers les marques, est-ce que le storytelling ne se trouve que dans l'univers des marques, y a-t-il un autre mode de fonctionnement ?

Ces questions m'ont aidée à construire mon plan qui me permettra de répondre à ma problématique globale, qui est la suivante :

Pourquoi le storytelling marketing réussit à engager une aussi grande partie des
consommateurs ?

7

5 Valérie Sacriste, « Sociologie de la communication publicitaire », art. cit. p. 491.

8

Première partie

I - Le concept de l'engagement

Des chiffres et statistiques existent pouvant mesurer l'engagement contemporain, mais il n'est pas sûr qu'ils suffisent à trancher le début. Par exemple, la baisse ou la hausse des jours de grève, des adhésions aux partis politiques, etc. Mais peut-on vraiment réserver la baisse et la montée des engagements dans les espaces publics ? Qu'appelle-t-on être engagé ? Faut-il apprécier l'engagement en fonction du lieu où il s'opère et ne pas retenir comme un véritable engagement celui qui se fait par exemple dans une salle de sport ? L'engagement doit-il être constant, ou les adhésions passagères comptent aussi ? La place des réseaux sociaux est de plus en plus importante avec les appels aux dons pour des associations, est-ce un réel engagement ? Chacun est en mesure de dire si oui ou non, sa propre expérience est un engagement ou non, pour telle ou telle pratique. C'est pourquoi la définition de l'engagement fait autant débat.6 « On a déjà montré combien les modalités d'engagement sont aujourd'hui multiples et donc différemment appréciées. {É} Bref, l'engagement n'est pas objectivement définissable et donc ce n'est pas mesurable. »7 La seule solution possible pour définir l'engagement : s'en rapprocher le plus possible.

A - Un fort sentiment d'appartenance

1. Une quête d'identité avant tout

Depuis toujours, les Hommes ont ce besoin fort d'appartenir à quelque chose. Que ce soit la politique, la religion, ou un pacte en général, le sentiment d'appartenance est là. Cela, Paul Audi, philosophe français, l'explique dans Remarques sur le sentiment d'appartenance8. Les individus se questionnent constamment sur leur identité. C'est leur façon à eux de se décrire. Il est vrai que rien n'est aussi peu fixé et identique à soi que son identité. Jacques Derrida, philosophe également, a d'ailleurs dit que l'identité « n'est jamais donnée, reçue et atteinte car seul s'endure le processus interminable, indéfiniment phantasmatique, de l'identification »9.

6 Jacques Ion, S'engager dans une société d'individu, Armand Colin, 2012, p. 21.

7 Ibid, p. 22.

8 Paul Audi, « Remarques sur le sentiment d'appartenance », Les Temps Modernes, vol. 661, no. 5, 2010, p. 146.

9 Jacques Derrida, Le monolinguisme de l'autre, Paris, Galilée, 1966, p. 53.

9

Une identité s'indique toujours par des signes. Par exemple, si un individu appartient à une certaine origine, il peut posséder un accent. Il possède donc un marqueur d'identité. Ces marqueurs sont nombreux, ils peuvent être, comme énoncé ci-dessus, politiques, religieux, ou encore familiaux, sexuels, etc. Ces signes marqueurs d'identité pourraient également être appelés des marqueurs d'appartenance. Ceux-ci peuvent être choisis, voire subis. On peut choisir sa religion, ou non. Cependant, on ne peut pas choisir son accent. C'est cette assignation qui est au fondement du phénomène de l'appartenance.

Pour faire un point étymologique, le verbe appartenir vient du latin ad-pertinere, voulant dire « dépendre de ». Et pour ce qui est de l'appartenance, l'identité est définie à l'origine. C'est avant tout un sentiment, parce qu'elle s'éprouve seulement. Elle peut également être une visée, et c'est à ce moment-là que Paul Audi explique que « c'est alors une identité à proprement parler que l'on a affaire, une identité au sens de ce vers quoi se dirige le processus d'identification »10.

Il explique également que :

Une façon de faire comprendre cette distinction consisterait en ceci : à une identité a quo (à une identité reçue, donc, c'est-à-dire une appartenance) l'on ne peut que se montrer fidèle ou infidèle. Tandis qu'à une identité ad quem (autant dire à une identité choisie) l'on ne peut que se montrer plus ou moins conforme. On est fidèle ou infidèle à quelque chose que l'on a reçu en partage, mais on se révèle plus ou moins conforme à une identité que l'on a élue comme sienne.11

De nos jours, les appartenances qu'un individu peut avoir, comparé à d'autres époques ne sont plus les mêmes. Elles sont moins durables, sont plus flexibles, sont plus individuelles, et sont plus libres au niveau des choix. Les familles divorcent plus, il est plus facile de changer plusieurs fois de métier d'un point de vue professionnel, déménager est plus simple, et les orientations sexuelles sont plus libres publiquement.12

Plusieurs auteurs et philosophes ont mis en avant à quel point le sentiment d'appartenance était important. Dont Asma Chaieb Achour. Elle citera Simone Weil, pour qui l'enracinement est important pour l'Homme : « Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle. {É} Chaque être humain a besoin d'avoir de multiples racines. Il a besoin de

10 Paul Audi, « Remarques sur le sentiment d'appartenance », art. cit. p. 148.

11 Idem.

12 Jacques Ion, S'engager dans une société d'individu, opt. cit., 2012, p.22.

10

recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle par l'intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie ».13

2) Les marques, une alternative pour nos jours ?

Au fur et à mesure du temps, les religions, la politique, les pactes, et ainsi de suite, ont laissé place à une nouvelle entité. Quelque chose de plus fort, plus grand a pris le relai afin que le sentiment d'appartenance se déplace, que pour trouver son identité, on aille ailleurs. Et cette entité, ce sont les marques. Effectivement, un sentiment d'appartenance très fort est né.

Le concept de la recherche identitaire n'a jamais autant été évoqué que depuis l'avènement de la mondialisation. On parle de « crispes identitaires »14, de « crispations identitaires »15, ou même de « quête identitaire »16.

Que ce soit la politique, la psychologie, la sociologie, la communication, et bien d'autres, aucun domaine n'échappe à cette mondialisation et à cette recherche d'identification. Comme énoncé ci-dessus, les sphères dans lesquelles il était facile de se retrouver éclatent plus facilement. Famille, religion, etc. Par cette perte de repère, les consommateurs se tournent alors vers les expériences individuelles, en accord avec leurs croyances personnelles, et placent leur quête identitaire vers les marques.

Claudine Batazzi et Anne Parizot citent par ailleurs Gilles Lipovetsky : « La consommation provoquant des émotions et des sensations qui loin de répondre seulement à des besoins, sont toucher à la quête identitaire du consommateur {É} est une quête dans la mesure où les traditions, la religion, le politique sont moins productrices d'identité sociale »17. Cet auteur parle également de « consommation intimisée »18 lorsque le consommateur vit une expérience de consommation, et qu'il met à jour son individualisation.

L'expérience de la part du consommateur vient d'un réel marketing tribal, où l'émotion est extrêmement présente. On parle ici de « marketing indiciel identitaire ». La société est un

13 Asma Chaieb Achour, « L'impact du sentiment d'appartenance sur l'achat du produit partage et du produit national », Recherches en Sciences de Gestion, vol. 91, no. 4, 2012, p. 63.

14 Idem.

15 Idem.

16 Idem.

17 Claudine Batazzi, Anne Parizot, « Identités de Marques et marqueurs d'identité. Vers une construction identitaire et sociale des individus par et dans la consommation ? », Question(s) de management, vol. 14, no. 3, 2016, p. 93.

18 Idem.

11

« réservoir d'expériences à vivre et à créer, de sens à extraire permettant aux individus de construire et d'ajuster leur identité »19, affirme Olivier Badot.

Grâce à ses choix, le consommateur crée une extension de lui-même. La marque lui produit un récit, il devient le personnage principal, et choisit qui il devient. Il devient la communication de la marque, les objets qu'il consomme lui apportent une appartenance culturelle, il rejoint une communauté.

Les marques ont envahi le marché, et certains leur vouent un véritable culte. Le niveau d'appartenance peut être très élevé, et je reviendrais sur ce point un plus tard.

Le sociologue Ervin Goffman indique qu'il y a trois façons de caractériser un individu dans ses interactions20. Le soi perçu, le soi vitrine, et le soi idéal. Autrement dit, comment l'individu se perçoit, comment il pense être perçu par les autres, et comment il aimerait être perçu. Pour la marque, c'est la même chose. Le rapprochement peut se faire ici. Elle se met en scène également tout en passant par un jeu d'interactions mais reste propre à son identité de par ses valeurs et ce qui en découle.

À partir du moment où identité et marque sont réunies, le prisme de Kapferer (outil de communication) peut entrer en jeu, afin de mettre en avant la relation marque-consommateur.

Exemple du prisme de Kapferer avec la marque Coca-Cola :

19 Olivier Badot, Les défis du sensemaking en marketing, France, IAE Caen Basse-Normandie, 2005, p. 7.

20 Erving Goffman, Rites d'interactions, Minuit, 1974, p. 171.

12

Le niveau de culte que l'on peut vouer à une marque est donc, comme dit précédemment, très élevé. Il peut également être appelé le lovemarks.

Nous pouvons prendre l'exemple d'Apple, marque de référence en terme d'idolation. On la voit partout, la marque est pensée pour que la fameuse pomme soit vue quoi que l'on fasse.

La marque est allée tellement loin, qu'à la mort de son créateur, Steve Jobs, des personnes se sont recueillies en allumant des cierges dans les rues. C'est là que l'on se rend compte que la marque a réussie : le fondateur est presque vu comme un Dieu.

Au fur et à mesure du temps, et au fur et à mesure des spots d'Apple, le storytelling de marque s'élabore. Il divise des valeurs (avec la célèbre signature « Think different »), il divise par l'argent, et il divise par l'engagement. Apple se trouve entre l'art et l'entreprenariat (d'après Steve Jobs)21.

Apple a créé un storytelling très fort. Si fort, que l'on est soit pour Steve Jobs, soit contre Steve Jobs. Les anti Apple critiquent les Apple addict et inversement. Apple est devenue un mode de vie pour eux, tellement, qu'ils en veulent toujours plus, et les anti Apple ne comprennent pas cela. Donc même ces anti Apple sont nécessaires à la stratégie de la marque. En conclusion, même un storytelling basé sur la division reste efficace. Steve Jobs révolutionne un nouveau genre de storytelling.

B - Les différentes dimensions de l'engagement

1) La dimension affective

L'engagement. Étymologiquement, « to commit » (s'engager en anglais) signifie « commettre » (mettre avec), confier quelque chose à quelqu'un, lui apporter quelque chose. L'idée d'offrir une garantie en échange d'une promesse. Par exemple, le consommateur confie sa confiance à une marque en échange d'une promesse : le satisfaire.22

L'engagement suppose que celui qui met en gage reçoit des responsabilités ainsi que des obligations envers celui qui reçoit, et inversement.

Le concept de l'engagement a pris différentes formes au cours des années, et différentes contributions ont vu le jour, selon les chercheurs.

21 Un créatif, L'élitisme d'Apple, contenu à but éduquant, YouTube, diffusé le 1er novembre 2021, 16min35.

22 Jean-Marie de Ketel, « Engagement professionnel », dans Anne Jorro édition, Dictionnaire des concepts de la professionnalisation, De Boeck Supérieur, 2013, p. 102.

13

De prime abord, nous verrons une des trois déclinaisons de Meyer et Allen, de 199123. La dimension affective, touchant la sphère du désir.

L'approche affective de l'engagement, et plus exactement l'approche affective, continu et normative, sera ici approchée de l'engagement professionnel.

Le modèle tridimensionnel d'engagement (Meyer et Allen), est devenu la norme à la fin des années 1990.

Il correspond à un attachement émotionnel faisant appel aux émotions acquis sur le long terme entre une entreprise et un individu. Cet engagement se fait donc par désir, et par choix, selon les valeurs de cette entreprise. Il pourra aller jusqu'à parler de cette entreprise lors de sa vie personnelle ou encore faire des heures supplémentaires de bon coeur. Il investira du temps et de l'énergie avec joie.

Pour Meyer et Allen, plus l'employé avait un fort engagement continu, plus il restait dans l'organisation par nécessité. C'est la conscience qui entre en jeu. L'individu s'engagera par besoin ou par manque d'alternatives, et c'est pourquoi l'engagement continu s'appelle également l'engagement « calculé »24.

Quant à l'engagement normatif, il repose avant tout sur un sentiment d'obligation morale ou sociale, mais cette fois-ci, du point de vue des autres personnes de l'entreprise.

L'engagement affectif a donc, pour rappel, comme fondement le désir, mais également l'identification à ce dernier. Le sentiment d'appartenance envers une entreprise peut être si fort, qu'il créera un attachement porté par le désir d'en rester membre. Ce sentiment se rapprochera de la quête d'identité énoncée lors de la partie « Une quête d'identité avant tout ».

Pour ce qui est de l'engagement continu, il s'appuiera sur la perception du salarié quant aux calculs coûts-risques associés au fait de rester oui ou non dans l'entreprise où il se trouve. C'est pourquoi Meyer et Allen voyaient une certaine relation entre l'engagement calculé dans le métier, et l'intention de rester dans ce dernier. Cette forme d'engagement prend en compte toutes les alternatives possibles que l'individu en question peut avoir.

23 Jean-Marie de Ketel, « Engagement professionnel », art. cit., p. 102.

24 Patrick Valéau, « Les effets de l'engagement affectif, continu et normatif sur l'intention de rester dans le métier d'entrepreneur », Revue de l'Entrepreneuriat, vol. 16, no. 3-4, 2017, p 87.

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Par exemple, pour le métier d'entrepreneur. Une étude sur la surenchère engagementale a été réalisée, par McCarthy, Schoorman, Cooper (1993), DeTienne et Allen (2008)25. Elle démontre que la plupart des entrepreneurs préfèrent surenchérir plutôt que de perdre leur investissement. La faculté cognitive entre en jeu, toutes les alternatives sont étudiées, et le choix se fait. Même si la possibilité de garder le même métier, et de devenir entrepreneur mais d'une nouvelle entreprise, la plupart préfère garder la même. L'engagement affectif vient comme deuxième facteur.

En ce qui concerne l'engagement normatif, ainsi le côté moral de l'engagement, le côté loyal. C'est ce qui pousse un individu à rester dans une entreprise.

2) L'engagement lors des conduites sociales

Autrefois, et comme énoncé plus haut, l'engagement n'avait pas le même sens qu'aujourd'hui. Militaire, religieux, sanitaire : peu importe d'où l'on venait, le sens était communautaire, goût de vocation, la population se trouvait dans des casernes, des églises ou encore des hôpitaux.

Mais les moeurs ont changé. Jean-François Lyotard appellera ça La fin des grands récits, les engagements sont de moins en moins collectifs mais plus individuels. L'engagement ne tire plus sur l'autorité, mais sur la motivation, et sur la sincérité de cet engagement individuel. Lorsque l'on s'engage, nous le faisons de notre plein gré.26

Mais que joue-t-on, lorsque l'on s'engage ? Car, il a été rappelé plus haut l'étymologie du mot « engagement ». Lorsque l'on s'engage, il y a un échange d'une promesse. Jean-Philippe Pierre rappelle alors que :

L'engagement n'est donc pas gratuit. Il coûte, il est coûteux, voire onéreux. Le prix

à payer de l'engagement, c'est la mobilisation de sa liberté. Forme d'enduré du temps, l'engagement se fait par-là exercice plénier de la liberté.27

L'engagement se trouve, de façon tendue, entre les envies d'agir, et les raisons d'agir. En ce qui concerne les raisons d'agir, cela se fait souvent délibérément, sur un coup de tête. L'énergie du désir prend le dessus, on parle en termes de motivations, la justification ici n'a

25 Patrick Valéau, « Les effets de l'engagement affectif, continu et normatif sur l'intention de rester dans le métier d'entrepreneur », Revue de l'Entrepreneuriat, vol. 16, no. 3-4, 2017, p 88.

26 Ibid, p. 83.

27 Jean-Philippe Pierron, « L'engagement. Envies d'agir, raisons d'agir », Sens-Dessous, vol. 0, no. 1, 2006, p. 53.

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plus sa place. Les raisons d'agir sont alors extérieurs, lorsque les envies, elles, seront intérieures. Elles sont de l'ordre du discutable, de l'argumentaire, du public. C'est pourquoi les deux se tirent mutuellement vers le haut, et vers le bas, ce qui créé un environnement tendu pour l'engagement.

L'engagement fil, et re-fil au cours du temps. Il peut être le début d'un match lorsque l'arbitre siffle, le début d'une relation amoureuse, le début d'une collaboration. Il peut être une chance, une opportunité, une pseudo-fatalité. Il coupe court à de longues conversations lorsque quelqu'un se décide enfin à dire « bon, on y va ? ». De l'envie de s'engager, aux raisons de notre engagement, la ligne est fine. C'est pourquoi savoir dans quoi, ou pour qui on s'engage est très important.28

Au niveau motivationnel, les envies passent avant les raisons. Et la force de l'engagement se mesure non seulement sur le tas, mais il faut également de la persévérance, de la constance et être volontaire.

Tenir son engagement, c'est beau : Faites comme si l'engagement était votre meilleur ami. Triste est de s'accrocher à lui seulement car vous avez promis de vous engager, par habitude ou ne le voyez pas comme une obsession. Comme dit ci-dessus, il fil et re-fil, il changera, mais c'est aussi le but.

Ce n'est jamais le bon moment pour s'engager, quelques que soient les raisons. L'engagement doit se lancer, raisons, envies et motivations : toutes voiles dehors. Les questions ne se posent plus, s'il n'y a jamais de bon ou de mauvais moment, de bonnes ou de mauvaises situations, pour un engagement clair et mesuré, il suffit de se lancer.

Mais peut-on s'engager sur un coup de tête ? Il est important de ne pas confondre ce pour quoi on s'engage, et la finalité de cet engagement. C'est pourquoi rester vigilant est important.

L'engagement ne revient pas à perdre sa liberté. Il a cependant bien un rapport avec la promesse, comme dit plusieurs fois précédemment. Nous un peu plus nous-même à chaque choix engrangeant un engagement, de par les valeurs de ses choix qui nous ressemblent, et dans la persévérance avec laquelle nous continuons à suivre cet engagement. Cela touche l'image et

28 Jean-Philippe Pierron, « L'engagement. Envies d'agir, raisons d'agir », art. cit., p. 65.

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l'estime que l'on a de soi-même, ce qui accentue encore plus la quête de notre identité vue auparavant.

3) La dimension psychologique et sociologique

Comment parler de psychologie, sans parler d'émotions ? Isabelle Sommier, professeur de sociologie politique à la Sorbonne, rappelle que « le terme emotions en anglais est très polysémique puisqu'il qualifie aussi bien les émotions au sens strict que les sentiments (feelings) voire les humeurs (moods) »29.

Cela implique alors que l'engagement ne peut pas être pris en compte de la façon, selon les outils mis en place, les personnalités et les valeurs présentes dans l'environnement dans lequel il sera présent.

Pour citer le Larousse, un sentiment est un « Trouble subit, agitation passagère causés par un sentiment vif de peur, de surprise, de joie, etc. », ou une « Réaction affective, transitoire d'assez grande intensité, habituellement provoquée par une stimulation venue de l'environnement »30. Toujours d'après Isabelle Sommier, que ce soit dans la langue française, ou dans la langue anglaise, l'emploi du mot « émotion » est quelque peu relâché. Et au vu des travaux psychologiques et des neurosciences, son acception ne devrait être strictement arrêtée à la définition même du dictionnaire, peu importe lequel.

Les émotions, étymologiquement « mouvements », poussent alors à passer à l'action. Elles participent aux prises de décisions. C'est en observant les réactions émotionnelles, comme la peur, le dégoût, la tristesse, mais aussi la joie, la surprise, et l'amour, que l'on peut réagir au quotidien. Les émotions sont universelles, peu importe la culture. Notre cerveau va interpréter ces modifications physiologiques, et c'est pourquoi nous ne réagissons pas tous de la même façon face à un événement. Cela dépend de beaucoup de facteurs, et de notre état psychologique.

Sueur, battements de coeur, rougeur sur le visage, respiration accélérée : il n'y a effectivement pas que courir un marathon qui provoque ces effets corporels, qui sont souvent suivis d'une rumination mentale, puis d'un partage social. Autrement dit, retourner la situation

29 Isabelle Sommier, « Sentiments, affects et émotions dans l'engagement à haut risque », OpenEdition Journals - Terrains Théories, https://journals.openedition.org/teth/236, consulté le 5 avril 2022.

30 Définition du mot « sentiment », Larousse, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/émotion/28829

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encore et encore depuis l'élément déclencheur sous un angle cognitif, pour ensuite en parler à ses proches.

Les émotions sont fondamentalement sociales, et fondamentales pour les interactions sociales. Et ce, de par les expressions et l'accès social qu'elles apportent, ainsi que dans l'échange des réactions entre les individus. Rajoutez à ça les adaptations de comportements entre ces interactions.

Les émotions s'inscrivent donc dans une dimension d'engagement normatif, puisqu'il repose avant tout sur un sentiment d'appartenance moral et social. Cependant, son emploi en sciences sociales n'est jamais clair sur ce sujet. Plusieurs approches ont déjà tentées ; une philosophique s'attachant aux idéologies et à la propagande des passions et une par la sociologie politique, s'attaquant aux sentiments plus stables et longs des relations sociales.

Plus récemment, des spécialistes dits de « mouvements sociaux » prennent les émotions pour évoquer le choc moral et le dispositif de sensibilisation, en deux points. De prime abord, parler des émotions en fonction des réactions qu'il provoque, et ensuite, amener le sujet à y réfléchir. Ce deuxième point correspond à « l'ensemble des supports matériels, des agencements d'objets, des mises en scène, que les militants déploient afin de susciter des réactions affectives qui prédisposent ceux qui les éprouvent à s'engager ou à soutenir la cause défendue »31.

Le point de vue individuel n'est cependant jamais abordé. C'est alors qu'entre en jeu l'affect, vu comme la « dimension subjective des états psychiques élémentaires depuis l'extrême de la douleur jusqu'au plaisir intense »32. Il ne viendrait pas, comme le rappelle Madeleine Grawitz, des sciences sociales, en parlant des états d'âme. Cette dernière considère que « la tonalité affective est intérieure {É} et se distingue du sentiment qui est inspiré par un objet extérieur »33. C'est d'abord aux États-Unis que les sentiments d'un point de vue individuel sont abordés, avec James Jasper, qui distingue les bodily urges, comme la souffrance, des affects de base, du type de l'amour, la confiance, ou encore la haine. Les émotions morales

31 Christophe Tra
·ni, Emotion... Mobilisation !, Paris, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 13.

32 André Akoun et Pierre Ansart, Dictionnaire de sociologie, Paris, Le Seuil, 1999, 587 p., cités par Isabelle Sommier, hélas le numéro de page n'était pas indiqué.

33 Madeleine Grawitz, Lexique des sciences sociales, Paris, Dalloz, 1999, 421 p., citée par Isabelle Sommier, hélas le numéro de page n'était pas indiqué.

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entrent aussi en compte, avec la honte et la compassion, et les humeurs, qui n'ont, elles, pas d'objets intentionnels, comme l'espoir par exemple.

Un lien intéressant se forme entre les études de James Jasper et celles de Christophe Ta
·rini. Premièrement, les liens pouvant se créer après les différentes phases de typologies d'affects, qu'elles soient sociales ou non. D'après James Jasper34, suite un à un choc moral, les émotions réflexes peuvent faire passer les affects de l'espoir à la joie par exemple. Si l'on prend Christophe Tra
·ni, tout dépend du tempérament de nos sentiments.

En psychologie sociale, l'engagement se définit comme tel : « le processus qui relie l'individu à ses actes »35. Nos idées et nos actes n'ont donc rien à voir avec nos engagements, ce sont seulement nos actes qui comptent. On agit, puis on réfléchit. C'est en voulant maîtriser cette théorie de l'engagement qu'en 1940, des experts, des professeurs et sociologues se sont penchés sur la question. Car créer de l'engagement, comme l'on dit si bien de nos jours en communication, c'est à la base emmener les individus à faire ce qu'ils n'avaient pas forcément prévu ou envie de faire.

C'est ainsi que Kiesler avec la théorie de l'engagement, Beauvois, et Joule avec leur théorie de l'engagement dans les conduites sociales, ou encore Meyer et Allen, vus plus haut, se sont lancés dans tous ces questionnements.

Il est possible de prendre six exemples que ces experts de l'engagement ont théorisés lors de leurs recherches. Pour tous ces exemples, je prendrais un héros en particulier : Harry Potter, dans sa quête d'éliminer Voldemort.

- Plus l'individu pense que son acte a atteint son point de « non-retour », plus cet acte est engageant. Dans un des tomes, lorsqu'il se jette dans le vide avec Voldemort et qu'il lui dit « Nous allons finir comme nous avons commencé. Ensemble. »

- La répétition est un des facteurs clé de l'engagement. Sur un plateau télé, le doubleur faisant la voix française du personnage éponyme d'Harry Potter a expliqué que la phrase étant la plus dite lors des films (et donc des livres) était « Ron, Hermione, il faut que

34 James Jasper, « Emotions and Social Movements: Twenty Years of Theory and Research », Annual Review of Sociology, 2011, article cité par Isabelle Sommier.

35 Benjamin Stock, « L'engagement, ça fonctionne dans la tête ? », Make sense,

https://france.makesense.org/media/engagement-ca-fonctionne-comment-dans-la-tete/, consulté le 5 avril 2022.

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nous détruisions les horcruxes. » Ce qui est effectivement un des éléments clé de la quête finale de la suite romanesque.

- Un acte coûteux doit être précédé d'un acte moins coûteux, pour qu'il soit accepté. Dans Harry Potter, si on lui avait dit tout de suite d'éliminer Voldemort, cela aurait été compliqué.

- À l'inverse, un acte peu coûteux précédé d'un acte très coûteux a de grandes chances d'être refusé.

- Plus une personne se sent libre de faire quelque chose, plus celle-ci sera susceptible de faire. Lorsqu'Hermione accepte de danser avec Viktor Krum lors du bal de la Coupe des 3 sorciers, elle accepte, bien qu'elle aurait préféré danser avec Ron. Si elle y avait été forcée, elle aurait sûrement refusé.

- Un acte est plus engageant s'il est fait sous le regard d'autrui. Harry Potter aurait peut-être abandonné s'il n'avait pas été entouré de tous ses amis.

Après avoir étudié le point de vue individuel, et les affects des différents professionnels, entre autres Christophe Tra
·ni et James Jasper, le point de vue collectif est maintenant adopté, sous un autre angle. Pour les sociologues, lorsque l'on s'engage, ce n'est pas nécessairement seulement en fonction de nos convictions et de vos valeurs. Pour eux, c'est une question d'action collective.

Mancur Olson, pionnier de la sociologie de l'engagement, a fortement étudié le syndicalisme américain. Pour lui, cela n'avait pas de sens du côté économique. Pourquoi ces syndicats existent ? L'engagement, et nous l'avons vu ensemble, a un coût au niveau du temps, et de l'argent. Pourquoi un individu ne laisserait pas ses collègues faire grève à sa place ? Au fond, est-ce quelqu'un remarquerait vraiment son absence ?36

Le sociologue utilise alors des incitations négatives et positives pour essayer de comprendre ce comportement. Par exemple, il est obligatoire d'adhérer à un syndicat dans certains métiers, ou encore, adhérer à un syndicat permet de bénéficier de l'assurance maladie. Bien que ce modèle ne soit plus d'actualité, il a permis de sortir « d'une vision idéalisée, du militantisme

36 Benjamin Stock, « L'engagement, ça fonctionne dans la tête ? », Make sense, consulté le 5 avril 2022.

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»désintéressé», pour voir que les individus sont aussi motivés des intérêts particuliers : ils s'engagent parce qu'ils ont des choses à gagner {É} ou des à perdre »37.

Pour donner un autre exemple, dans les années 1970, Anthony Oberschall est allé plus loin en observant les conditions sociales dans lesquelles peuvent être poussées un engagement, ou non. Les sociétés segmentées sont alors plus aptes à recevoir de l'engagement.

C'est cette définition, qui aide à comprendre tout en mettant en lien les six exemples de théories de l'engagement énoncées plus haut. Pour reprendre Harry Potter, il vit la plupart du temps à Poudlard, environnement segmenté, et isolé par rapport au pouvoir.

Pour finir, en 1976 et en 1978, les sociologues Charles Tilly et Daniel Gaxie ont porté l'attention sur deux points, pouvant avoir un fort impact sur l'engagement. Un groupe à identité forte, qu'elle soit choisie ou non, a beaucoup plus de capacités à engager des troupes d'individus. Deuxième point, pour engager, il faut des capacités, comme savoir bien parler, convaincre, ou encore rassembler. Encore une fois, notre héros semble remplir toutes les caractéristiques.

Que ce soit en psychologie ou en sociologie, notre libre arbitre se trouve souvent atténué. C'est alors que l'engagement semble alors venir de l'extérieur.

Affectif, social, psychologique, sociologique. L'engagement peut être vu sous bien des angles. Rapprocher de façon professionnelle, dans des associations, dans le monde de l'entreprenariat, dans des livres. Peu importe la situation, toute comparaison peut être faite pour le rapprocher de l'univers des marques, sujet principal de ce mémoire, et à quel point l'on peut se retrouver engager envers elles.

L'engagement, et nous l'avons vu ensemble, est une quête d'identité. Et comme Jacques Derrida, cité plus haut, a dit, il est possible de la choisir. Elle n'est cependant « n'est jamais donnée, reçue et atteinte car seul s'endure le processus interminable, indéfiniment fantasmatique, de l'identification »38 . Cette quête, et donc cet engagement, devient alors un fantasme.

37 Benjamin Stock, « L'engagement, ça fonctionne dans la tête ? », Make sense, consulté le 5 avril 2022.

38 Jacques Derrida, Le monolinguisme de l'autre, p. 53.

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En repartant de l'étymologie, on dépend alors de ce phantasme, on en a besoin. Et comparé à d'autres époques, il devient maintenant individuel.

Pour se satisfaire, on se reporte donc sur les marques, on appelle maintenant cela, « une quête identitaire du consommateur »39 comme dirait Gilles Lipovetsky. Cette quête est tellement importante, que si l'on a l'opportunité de la toucher du bout des doigts, on met à jour notre individualisation. Il est alors possible de choisir qui l'on veut devenir, de rejoindre une communauté.

« To commit », par conséquent, « mettre avec », lorsque que l'on rejoint l'univers d'une marque, on lui accorde sa confiance, et inversement. Une promesse est née.

Les trois approches de Meyer et Allen entrent en jeu.

Pour l'approche affective, les émotions acquises sur le long terme peuvent jouer un impact énorme sur le choix d'une marque et pas une autre. De même que pour l'engagement continu, ou calculé. La conscience entre en jeu, les alternatives aussi. Cette marque coûtera plus cher que celle-ci, actuellement sur mon compte en banque, je n'ai plus assez pour mon premier choix, ce sera donc le deuxième.

Tout comme un entrepreneur aime ce qu'il a créé, son entreprise, il ne voudra pas la lâcher. Pour une marque, c'est pareil. On peut être très attachée à elle, et ne plus s'en détacher. L'idée de surenchérir est présente. Pour ne pas perdre son engagement envers une marque, un individu peut être prêt à mettre beaucoup, même s'il n'a plus beaucoup d'argent, pour l'amour qu'il a pour cette marque.

Et enfin, pour l'obligation morale, on aura plus tendance à se tourner vers un magasin où les vendeurs sont sympathiques plutôt qu'un magasin où l'on se fait mal accueillir, ou alors, tout simplement, vers une marque envers laquelle l'on est fidèle.

Dans les engagements des conduites sociales, il a été dit qu'en ce qui concerne les raisons d'agir, cela se faisait souvent délibérément sur un coup de tête. Ce qui est également

39 Claudine Batazzi, Anne Parizot, « Identités de Marques et marqueurs d'identité. Vers une construction identitaire et sociale des individus par et dans la consommation ? », art. cit. p. 93.

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vrai lors d'un engagement envers une marque. Et les raisons sont alors extérieurs, il faut seulement savoir pourquoi, et chacun a ses raisons. Pascal n'a-t-il pas dit un jour « Le coeur a ses raisons que la raison ignore » ? Ici, la tête est également un facteur clé. Vouloir rentrer dans une case, pour un simple effet de mode, les raisons sont très nombreuses.

Faire comme si l'engagement était son meilleur ami est une solution. Mais dans cet univers-là, c'est la marque qui devient votre meilleur ami. Comme dit précédemment, lors de la partie « L'engagement lors des conduites sociales », s'engager touche l'estime que l'on a de soi-même. L'univers d'une marque dans laquelle nous nous engageons partage les mêmes valeurs que nous. C'est pourquoi nous nous rapprochons de la quête identitaire et du fantasme que celle-ci occasionne.

Comme nous l'avons vu, les émotions sont un élément très important en termes d'engagement. Pour ce qui est d'univers de marque aussi. Et que ce soit pour l'approche philosophique, avec la propagande des passions, ou l'approche par la sociologie politique s'attaquant aux sentiments plus stables et longs dans les relations sociales, tout concorde avec notre quête d'engagement.

Deuxième partie

II - Le storytelling dans le temps

Le storytelling, dont la définition a été donnée lors de l'introduction de ce mémoire, crée des histoires puissantes et mémorables. Il s'adresse à tout le monde, et fait l'effet d'un coup de foudre dans le ciel. Selon le domaine dans lequel il se trouve, il n'a d'ailleurs pas la même « évocation ». Sébastien Durand cite par exemple les marques de luxe, où le storytelling a la connotation d'un mythe, où « Eugène Schueller découvre les secrets de la teinture qui donne aux cheveux une teinte dorée qui donnera son nom à l'Oréal »'0. Dans un monde où le « Il était une fois... » a fait briller les yeux et rêver plus encore, le storytelling a pris le relai pour captiver la population de nos jours.

40 Sébastien Durand, Le storytelling, le guide pratique pour raconter efficacement votre marque, France, Dunod, p. 3.

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A - Le storytelling a-t-il toujours la même place au fil des années ?

1) Est-ce que tout n'est que storytelling ?

Les mots donnent un sens au monde. Sans eux, tout n'est que silence. Pourtant, le storytelling était utilisé avant l'usage des histoires actuelles et des techniques utilisées aujourd'hui, qui seront développées plus tard.

Dès l'Antiquité, le storytelling était utilisé, sans que l'on utilise ce terme, pour raconter les histoires de ce qui rapprochait la population à ce moment de l'Histoire : la religion. Et pour parler religion, c'est à l'Église que l'on se rejoignait. Ce sont alors les vitraux qui racontaient les histoires d'antan, et par conséquent, de la Bible.

Au fur et à mesure du temps, ces représentations se sont développées. Les histoires étaient les mêmes, mais sont devenues, des statues, puis des peintures, puis des opéras, puis des pièces de théâtre.

Avant même l'Antiquité, les chercheurs rappellent que les peintures rupestres étaient également présentes, pour raconter des histoires. Ils appellent cela le « Grand livre des mythologies primitives »41.

Cependant, les Homo Sapiens, espèces humaines de l'époque, ont bien vite compris qu'ils avaient affaire à quelque chose très fort, et de très puissant. Ces peintures, premières manifestations de raconter, sont une première tentative « d'orchestration du temps et de l'espace »42.

Mais Guillaume Lamarre s'est posé la question : comment l'Homo Sapiens est arrivé à l'emporter sur les autres espèces, dont l'Homme de Neandertal ? Et bien tout simplement grâce à cette forme de langage qu'il maîtrisait, au détriment des autres. Il pouvait concevoir la religion, et développer une sorte de culture. Non seulement l'Homo Sapiens pouvait se protéger des autres animaux, mais il pouvait également échanger et se développer avec ses semblables. C'est alors que grâce au langage et à la communication, littéralement mettre en commun « les

41 Guillaume Lamarre, L'art du storytelling, Italie, Pyramyd éditions, 2020, p. 19.

42 Idem.

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histoires font partie de notre patrimoine génétique. Il s'agirait même du principal élément expliquant notre survie »43.

Mis à part les textes religieux, il y a aussi les grandes histoires, telles que les Odyssées, dont celles d'Ulysse et d'Homère. Une histoire est avant tout un divertissement. Quelque chose qui fait rêver, les fameux « Il était une fois », les étoiles dans les yeux.

Aujourd'hui, autour de nous, tout n'est que storytelling. Par exemple, le calendrier de l'année, avec Noël, ou les anniversaires. Chaque individu est lui-même un storytelling à part entière, et son histoire se déroule ses yeux. Avec les anniversaires, les Noëls, les déceptions, les diplômes, les premières amours, les premières joies, les rencontres également, qui jouent de grands tournants dans les différentes vies.

Le fait même d'avoir un prénom : chaque individu est le début d'une grande Histoire.

La puissance du storytelling peut se mesurer autrement. Par exemple, l'écrivain Paul Auster a raconté qu'un jour, il a demandé en direct aux auditeurs de la National Public Radio de lui envoyer des anecdotes de leur vie. C'est ainsi qu'il expliqua que beaucoup de ces récits comptent plus de péripéties qu'un écrivain pourrait en raconter dans un livre.

Le storytelling n'est donc pas nouveau. Comme l'a dit Jeanne Bordeau, styliste en langage, dans son article La véritable histoire du storytelling44. Le storytelling explore l'irruption au sensible, mais les histoires ont toujours été là, et ont toujours structuré les imaginaires. Le storytelling provoque l'émotion et sollicite l'intelligence sensible.

Cependant, Christian Salmon, écrivain et chercheur français, y voit « une technique de manipulation »45 au service d'un « nouvel impérialisme narratif »46.

Grâce à cette pratique, on ne parle plus, on raconte, on emmène par le texte. Par exemple, on ne parle plus de simples caractéristiques techniques d'une chaussure, mais on raconte l'histoire d'un athlète sur le chemin d'un sommet olympien.

43 Guillaume Lamarre, L'art du storytelling, Italie, Pyramyd éditions, 2020, p. 19.

44 Jeanne Bordeau, « La véritable histoire du storytelling », L'Expansion Management Review, vol. 129, no. 2, 2008, p. 93-99.

45 Christian Salmon, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Saint-Amand-Montrond, La découverte, 2008, p. 98.

46 Idem.

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Pour les spins doctors47 James Carville et Paul Begela : « Si vous ne communiquez pas avec des histoires, vous ne communiquez pas. Les faits parlent mais les images font vendre. »48 L'ère de la publicité pure et dure est finie, dites bonjour à l'émotion, au rêve et au besoin de raconter. C'est le retour au rééquilibrage entre le texte et l'image, comme à l'époque des Homo Sapiens. Jeanne Bordeau confirme cependant que cela ne veut pas dire que les histoires remplacent l'expertise, et que l'émotion ne remplace les arguments et les preuves.

Bien que Christian Salmon regrette l'utilisation du storytelling, ce procédé est-il réellement un problème ? Que ce soit L'Iliade, l'Odyssée, Les Contes des mille et une nuits, les histoires ont toujours existé et structuré nos imaginaires. Lorsqu'il parle d'impérialisme, de grands orateurs ont usé de storytelling sans qu'on ne leur en tienne rigueur, tel que Martin Luther-King, Nelson Mandela, John Kennedy, entre autres.

Le chercheur rappelle cependant que les histoires sont séduisantes, et peuvent être dangereuses. Elles provoquent des sentiments et peuvent être tournées en mensonges, voire à la propagande.

La propagande, qui n'est pas une science exacte me direz-vous. Et bien, selon Edward Bernays, publicitaire des années 50 à 70, on peut la déclarer comme telle :

Bien que la propagande ne soit pas une science au sens expérimental du terme, ce n'est plus tout à fait la pratique empirique à quoi elle se résumait avant l'avènement de la psychologie des foules. Elle est scientifique au sens où elle cherche autant à fonder ses opérations sur des connaissances précises tirées de l'observation directe de la mentalité collective que sur des principes dont la cohérence et la relative constance ont été démontrées.'9

Pour Christian Salmon, avec ce procédé, même les marques perdent leur aura. Elles cherchent des mythes et des récits, ce que nous verrons plus tard, mais elles ne vendent plus. Elles engagent seulement.

Les marques deviennent des mots dans la vie du consommateur. Tous les marketeurs n'ont plus qu'un seul objectif : devenir un mythmaker, des faiseurs de mythes. C'est d'ailleurs comme cela que se décrivait Ashraf Ramzy, consultant en marketing. Le marketeur devient l'écrivain de la communication.

47 Expression anglo-saxonne utilisée pour désigner un conseiller en communication, souvent au service d'une marque. - https://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Spin-doctor-243204.htm.

48 Jeanne Bordeau, « La véritable histoire du storytelling », art. cit., p. 93.

49 Edward Bernays, Propaganda, comment manipuler l'opinion en démocratie, France, Zones, 2004, p. 60.

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Selon lui : « Les gens n'achètent pas des produits, mais les histoires que ces produits représentent {É} »50.

Les marques. Elles nous captivent, elles nous engagent et nous rassemblent. Et ce, grâce à des histoires comme lorsque l'on était petit et que l'on écoutait nos parents nous lire toutes sorte de contes. Retour aux « Il était une fois ».

C'est d'ailleurs ce que raconte Barbara B. Stern, professeur au département marketing de l'université de Rutgers : « {É} Lorsque vous avez un produit qui est identique à un autre produit, il y a différents moyens de le concurrencer. Soit - et c'est la solution stupide - on baisse le prix. Soit on change la valeur du produit en racontant son histoire. ».51

La raison est très simple : on ne s'attache plus à un univers narratif qu'à produit.

Et c'est l'effet boule de neige. Les plans stratégiques deviennent des campagnes, les marques deviennent des récits, les campagnes deviennent des séquences narratives, et pour finir, les consommateurs deviennent des audiences.

Il ne s'agit plus de convaincre ou de séduire, mais de produire un effet de croyance. C'est d'ailleurs dans cette logique que les logos de marque deviennent des personnages.

C'est dans cette logique que bassiner du sensible dans des discours, dont certains sont vrais ou vraisemblables, possibles de personnes morales ou physiques, dans le but de capter l'attention ou d'emporter l'adhésion, ou ne serait-ce que l'attention, d'un auditoire, sous le poids du fait et de la preuve, sans être certain d'y arriver : cette conquête semble bien riche d'illustrations dans l'imaginaire des marques.

Simplement, c'est dans ce contexte que Christian Salmon explore « l'irruption du sensible dans le discours {É} dans la sphère politique et économique »52.

2) Le storytelling fait-il tourner le monde ?

Le storytelling est utilisé dans de nombreux domaines, et non pas seulement dans la publicité. Par exemple, et ils ont été cités plus haut, Nelson Mandela et Martin Luther-King s'en sont grandement servis pour lutter contre la ségrégation. Le domaine de la politique est également très touché par le domaine de la politique.

50 Christian Salmon, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, opt. cit. p. 178.

51 Sébastien Durand, Le storytelling, le guide pratique pour raconter efficacement votre marque, op. cit. p. 83.

52 Jeanne Bordeau, « La véritable histoire du storytelling », art. cit, p. 2.

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Pour ce, il doit s'adresser à des segments électoraux, afin d'être en cohérence avec l'image perçue du candidat, ainsi que les valeurs que ce dernier veut véhiculer. Les tendances sociétales sont autant à prendre en compte, afin de surfer sur l'actualité des moeurs, ou de jouer sur le côté conservateur de ses électeurs.

Pour citer un des candidats récent, Emmanuel Macron crée son storytelling par des verbes d'action, d'abord sur ses réseaux sociaux, avec des verbes d'action pour introduire ses lectorats. Puis avec son célèbre « Parce que c'est notre projet »53.

Le storytelling est donc une nouvelle arme politique. Les spins doctors, énoncés plus haut, toujours présents au côté des candidats lors d'une campagne présidentielle, sont là pour armer ces derniers.

Christian Salmon dit d'ailleurs des campagnes qu'elles « se déroulent désormais dans un espace performatif où les arguments rhétoriques priment sur les programmes politiques et les qualités exigées d'un futur président »54. Les modèles d'aujourd'hui sont désormais des grands gourous et les plus grands spins doctors que le monde est connu, et plus les John Kennedy, Nelson Mandela ou Martin Luther-King d'autrefois. Une ère nouvelle est arrivée. Le « Il était une fois » prend une nouvelle tournure dans la sphère politique.

Jeanne Bordeau a dit « On n'a jamais autant écrit »55. Dans le monde économique également, le storytelling s'est fait une place qui ne peut plus être détrônée, et dont le point de non-retour a été atteint. En moins de vingt ans seulement, les grandes marques sont passées de leur produit au logo, puis se sont décidées à raconter des histoires. Elles adoptent aujourd'hui un positionnement d'adaptabilité et de flexibilité, grâce à celles-ci.

Cette nouvelle technique de manipulation, d'après Christian Salmon, une forme d'économie fiction fondée sur « une nouvelle forme d'organisation du travail, mutante, décentralisée et nomade, qui cherche à générer du profit sur des cycles de plus en plus courts »56. Ce serait alors la façon de procéder la plus efficace afin de parvenir à ses fins, et de manipuler les consciences. Avec le storytelling, jouer avec le pathos n'aura jamais été aussi facile.

53 Christian Salmon, «Le degré Xerox de l'écriture", Le Monde,

https://www.lemonde.fr/idees/article/2008/02/29/le-degre-xerox-de-l-ecriture-par-christian-salmon10173533232.html, consulté le 18 avril 2022.

54 Idem.

55 Jeanne Bordeau, « La véritable histoire du storytelling », art. cit, p. 2.

56 Christian Salmon, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Saint-Amand-

Montrond, La découverte, 2008, p. 8.

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Au quotidien, et dans tous les secteurs, le storytelling prend une place de plus en plus importante, voire un subterfuge, et devient un emblème de la désinformation. « Les histoires sont devenues si convaincantes que les critiques craignent qu'elles ne deviennent un substitut dangereux aux faits et aux arguments rationnels »57. Pour Christian Salmon, il y a une certaine religion, un immense lien, entre le storytelling, les fameux gourous, et leurs adeptes. Ce lien a une connotation malsaine et perverse.

Les histoires, les « Il était une fois » endormaient et enchantaient peut-être les enfants, mais le storytelling endort également les consciences des clients et de la population. Dès Platon, la population était avertie des vices et des moeurs des discours subtils, à base de raisonnement à base de subtilité, ayant pour but de battre son adversaire. Aujourd'hui encore, cela a lieu. Les intellectuels de nos jours essaient de mettre en garde la population contre les discours des communicants, et le déclin des hommes politiques face à leurs spins doctors.

Les discours peuvent cependant avoir du beau, de l'espoir. Tout comme les histoires que nous racontaient nos parents, qui n'avaient pas seulement pour but de nous endormir, mais également de nous apprendre et de nous éduquer, nourrir notre créativité et nous amener à réfléchir sur la vie. Nous apprendre le Beau, la poésie, les contes et les mythes. Pour Roland Barthes, « le récit est l'une des grandes catégories de connaissances mises à la disposition de l'homme pour comprendre et ordonner le monde »58. Pour lui, il y a des « vertus structurantes et socialisantes »59.

Le storytelling aide donc à façonner une construction identitaire, tout comme l'engagement. Yannick Jaulin, conteur, auteur et dramaturge, explique d'ailleurs que, pour lui, le storytelling est une méthode :

Intéressante pour déclencher des émotions, libérer des frustrations. Quand on se sert de cette maïeutique pour révéler l'âme collective d'une entreprise, cela reste favorable ; beaucoup moins quand on se sert d'un mythe pour vendre un produit ou entraîner des gens dans des croyances politiques ou religieuses. Mais il faut arrêter de croire que le conte n'est que pure manipulation.60

57 Lynne Smith, éditorialiste au Los Angeles Time, article cité par Christian Salmon.

58 Roland Bartes, « Introduction à l'analyse structurale des récits », Persée, 1966, p. 12.

59 Idem.

60 Yannick Jaulin, cité par Jeanne Bordeau, dans « La véritable histoire du storytelling », art. cit, p. 5. L'auteur n'a pas donné plus d'informations quant à la provenance de la citation.

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Environ 71% de la population travaille aujourd'hui. L'entreprise est donc le lieu parfait pour créer des liens. Christine Cayol appelle alors « l'intelligence sensible »61 le fait de créer ce lien, en rebondissant sur cette opportunité, d'une entreprise en quête de rentabilité. Pour elle, un bon dirigeant est avant tout un artiste. Il doit aligner ouverture d'esprit, prendre de nouveaux risques, avoir de l'imagination. « Le dirigeant qui est obligé d'inventer, de mobiliser, de surprendre, doit donc associer en lui la luminosité de l'ingénieur et la lumière créative de l'artiste »62. En d'autres termes, il doit utiliser le storytelling dans son quotidien, pour éveiller la créativité de ses salariés, leur imagination, et leur flexibilité que nous avons vu plus haut.

Le storytelling peut être perçu comme « un art de la rhétorique et de la séduction qui nous fait perdre toute capacité à réfléchir »63. Mais au de-là de ça, si le storytelling marche aussi bien que le laisse à penser tous les chercheurs, écrivains et professionnels, et même, philosophes de l'Antiquité, pourquoi ne pas se servir de cet outil en tant qu'outil de maïeutique ? Le philosophe Alain Etchegoyen se demandait, déjà en 1990 si les entreprises avaient une âme. Selon l'éthique de certaines, il se peut qu'aujourd'hui l'on peut se permettre de répondre oui. Par un souci d'image, et par un storytelling constructif, une entreprise peut avoir une âme.

Autour de 2010, une marque d'eau française a sollicité l'Institut de la qualité de l'expression, lieu de recherche et cabinet de conseil ayant pour but de faire progresser la langue écrite et parlée. Parce que pour eux, « les écrits restent et la parole aussi désormais ». Leur objectif était de communiquer par une action de développement durable, par un storytelling impactant, en matière d'intelligence d'eau, par des histoires de sensibilisation nous menant jusqu'à l'Himalaya. Pour faire court, une histoire pour nous faire comprendre et décoller.

Cet exemple est là pour prouver que le storytelling n'est pas seulement manipulateur. L'association Sea Sheaperd pourrait également être donnée, pour prouver que le storytelling peut être utilisé pour ramener une population à sa cause, et dans le cas présent, pour la sauvegarde des océans.

61 Christine Cayol, L'intelligence sensible, Pearson France, 2003, 192 p., citée par Jeanne Bordeau. Hélas le numéro de page n'était pas indiqué.

62 Idem.

63 Jeanne Bordeau, « La véritable histoire du storytelling », art. cit, p. 6.

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De plus, la population et les citoyens ont de plus en plus conscience que le storytelling peut être une menace pour eux, notamment grâce à Naomi Klein, et son livre No Logo, La Tyrannie des marques64. Elle se bat contre Nike et le travail des enfants en Chine, Schell et l'abus au Nigeria contre les communautés autochtones, McDonald's pour de nombreuses raisons. Et grâce à tout cela, les français ont réussi à prendre leur distance avec tous les storytelling qu'ils reçoivent et voient à longueur de journée.

Dans une société où les entreprises veulent avant tout de la rentabilité, l'important est de communiquer, peu importe ce que l'on communique. Le storytelling ne serait donc pas la solution ?

Varier les registres, varier les écrits : le storytelling peut amener un développement notable d'une entreprise. Impossible d'échapper à l'agora médiatique dans laquelle la société est plongée au quotidien, cet outil de communication est le moyen idéal d'améliorer sa qualité d'expression. Les sociétés narcissiques et soucieuses d'apparence et de cohérence peuvent enfin jouer sur le fond et la forme. Le storytelling n'est alors plus si menaçant.

Jeanne Bordeau parle alors ici d'un réel rééquilibrage entre le texte et l'image. L'iconographie peut ici avoir des mots et du contenu. Une entreprise éprouve maintenant des émotions, des rêves, de l'affirmation. Un individu surnourri d'informations, les marques et hommes politiques gagneront sur le long terme un équilibrage rationnel et sensible.

Qu'il soit rhétorique ou non, menaçant puis un outil de maïeutique, le storytelling est avant tout un art. Et comme toute pratique artistique, il faut savoir la maîtriser avant de s'en servir, que ce soit le storytelling, ou bien l'art de narrer.

B - La construction du récit

1) L'art de narrer

« Les bonnes histoires sont éternelles, leur morale est temporelle. {É} Les entreprises sont les nouveaux narrateurs, les consommateurs les nouveaux narrataires. »65

64 Naomie Klein, No Logo, La tyrannie des marques, Actes sud, 2002, 752 p., citée par Jeanne Bordeau, hélas le numéro de page n'était pas indiqué.

65 Sébastien Durand, Le storytelling, le guide pratique pour raconter efficacement votre marque, France, Dunod, 2018, p. 9.

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Pour reprendre L'Illiade et l'Odyssée, que tout le monde pense connaître, sans forcément les avoir lues, il s'agit bien de deux camps : des héros, au sens strict comme au sens figuré, de chaque côté. Aujourd'hui, le genre cinématographique américain triomphant le plus est celui des super-héros. New-York, Gotham City, Métropolis : tous des super-héros sans talon d'achille (ou presque, en faisant abstraction de Superman et de sa kryptonite).66

Autrement dit : une seule trame narrative suffit à conquérir une population à travers les siècles, à la différence de l'issue du combat. Dans L'Illiade, les assaillants remportent la bataille grâce au cheval de Troie, alors que dans les films du type Avengers, ce sont les assiégés.

Un autre genre connaît une montée fulgurante, les héros solitaires. Tout comme Ulysse de l'Odyssée, ils veulent rentrer chez eux après un long voyage, ou situation similaire. Mais sur le chemin, il rencontrera vents et marées l'en empêchant, pour tout de même y arriver.

Autrement dit, les schémas narratifs se répètent, au fur et à mesure des siècles, pour conquérir le coeur de la population.

« Les moyens de communication actuels permettent de retrouver l'interactivité des contes premiers »67. Jusqu'à maintenant, et nous le verrons dans la troisième partie de ce mémoire, les mythes ont été très utilisés à travers la littérature, la poésie, et le cinéma. Cependant, il semblerait qu'aujourd'hui, la plupart des personnes que l'on écoute ne savent plus nous faire rêver. « Notre époque est en manque de mythes »68.

Mais ce manque n'a pas été très long. Les marques se sont empressées de foncer dans ce vide. Elles sont devenues les narrateurs, et les consommateurs, les narrataires.

La mythologie reste toujours dans un coin, avec comme exemple Nike, et son logo représentant les ailes de la déesse de la victoire, Nikê, faisant donc un empire de cette marque, avec des champions ayant aux pieds des chaussures les menant vers la victoire.

N'oublions pas non plus que les fondateurs des entreprises deviennent des hérauts/héros, comme Steve Jobs, dont l'exemple a été donné avec Apple.

Au fur et à mesure du temps, des méthodes ont été développées pour créer un storytelling fort et impactant. Ces méthodes sont d'ailleurs très utilisées chez Disney par exemple, pour émouvoir son public. Deux des méthodes les plus connues sont P.A.S et A.I.D.A.

66 Sébastien Durand, Le storytelling, le guide pratique pour raconter efficacement votre marque, opt. cit. p. 14.

67 Idem.

68 Ibid, p. 16.

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Il faut d'abord imaginer une situation où tout va bien, un personnage auquel vous pouvez vous identifier. Puis d'un seul coup tout s'effondre, cela crée de l'empathie pour ce personnage, comme vous vous identifiez à lui. Il trouve ensuite une solution, puis tout s'effondre à nouveau, il y a de la tension, mais le héros arrive.

Ce schéma se calque donc sur deux méthodes : PAS (Problem Ð Agitate Ð Solve), et AIDA (Attirer Ð Intéresser Ð Désir Ð Action)69.

La méthode AIDA a été créée en 1898, par un des pionniers de la publicité, Elias St-Elmo. C'était au départ un outil de vente pratique, et AIDA était seulement un entonnoir créé à partir d'études de clients sur le marché américain. C'est le « pape de la vente » Heinz Goldmann qui l'adapte définitivement à la vente en 195470.

AIDA, c'est passer par l'accroche avec le A. Le I passe par le rationnel. Il prouve qu'il a bien fait d'être là, et raconte toutes les choses passionnantes qu'il a à dire pour que le D tout ce qu'il a, pour finir avec le A.

Pour PAS, c'est à peu près la même chose. On commence par chercher le problème de notre audience, et on en parle. Les cerveaux de ces derniers vont donc être en alerte et vont automatiquement se sentir concernés. On agite ce problème, jusqu'à ce qu'il fasse mal. Ensuite, on explique comment en sortir71.

Le point culminant de ces deux méthodes est bien entendu l'émotion, que ce soit pendant la face du désir pour AIDA, ou encore lorsque l'on touche au coeur du problème pour PAS. Et, à chaque fois, c'est juste avant de trouver la solution72.

Cependant, comme énoncé lors de l'introduction, la société actuelle fuit, consciemment ou non, les publicités. Jakob Nielsen, titulaire d'un doctorat dans les interactions homme-machine, a d'ailleurs prouvé que les internautes détournent leurs visages des messages publicitaires dans les pages web.

69 Ballot, Estelle, Le storytelling ? - Épisode 45, podcast, Le podcast du marketing, diffusé le 29 octobre 2020, 19min17.

70 Baffert, Aurélie, « Revivez un siècle d'histoire de la vente », ActionCo.fr, 26 octobre 2015, https://www.actionco.fr/Thematique/process-vente-1216/Diaporamas/revivez-siecle-histoire-vente-260305/1954-methode-aida-260315.htm, consulté le 21 mars 2022.

71 Ballot, Estelle, Le storytelling ? - Épisode 45, podcast, Le podcast du marketing, diffusé le 29 octobre 2020, 19min17. Cette référence concerne tout le paragraphe.

72 Idem.

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Et pour cette réalité, il en va de même pour les campagnes.

C'est pourquoi agences, annonceurs, entreprises et hommes politiques lors de leurs campagnes ne veulent plus perdre de temps : ils se concentrent directement sur la deuxième étape de la méthode AIDA : l'intérêt.

Maintenant, il faut divertir et provoquer des émotions. Les émotions, voilà ce qui rend quelque chose de mémorable. Pour les marques, c'est le plus important, et c'est ce qui fera la différence au moment de l'achat, de même pour les campagnes.

Si les histoires sont efficaces, si les émotions marquent le consommateur, c'est parce que le chemin de la tête passe par le coeur. Pascal, le philosophe, le disait déjà à son époque, et c'est encore vrai dans la nôtre. Les émotions donnent du sens à ce qui nous arrive, nous en tant qu'individu, et nous place dans la linéarité de notre vie73.

Les histoires ont pour propriété, de rassurer, en plus de donner un sens à ce que la population peut vivre. Dans un premier temps, une certaine longévité peut être un premier facteur, surtout lors d'une crise économique. Lorsqu'un produit de luxe portera la mention « depuis 1918 », un gage de qualité s'effectuera tout de suite.

Pour cette réassurance, c'est-à-dire donner du sens et rassurer, il n'y a pas besoin d'être un produit de luxe. Il suffit seulement qu'un produit soit gage de longévité, et deviendra automatiquement transgérationnel : un individu le consommera dans son enfance, puis à l'âge adulte, puis le fera consommer à ses enfants.

Le but de rassurer sur la longévité a un objectif : ces années d'expérience sont la base numéro du storytelling : le storytelling projectif.

Les Grecs croyaient-ils à leurs mythes ? Peut-être. Storytelling, vrai ou faux ? Telle est la question. S'il fonctionne, c'est parce que les consommateurs veulent bien y croire. Le désir passe avant la réalité. L'émotion avant tout. On accepte que Mario ait plusieurs vies dans le jeu vidéo parce qu'on le désire, notre cerveau est notre complice. Mais jusqu'où l'émotion peut rendre un individu crédule ?

La ligne est fine, et si l'on accepte ces conventions artificielles, le lien entre narrataire et narrateur se resserre.

73 Durand, Sébastien, Le storytelling, le guide pratique pour raconter efficacement votre marque, opt. cit. p. 20.

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C'est pourquoi l'émotion doit surpasser la raison, tout en dosant la crédulité. Elle n'a pas pour autant la raison comme ennemie.

L'émotion est là pour susciter de l'intérêt, comme nous l'avons vu. Cependant, même si certaines marques sont très émotionnelles, elles doivent répondre à d'autres aspects sur lesquels elles sont attendues au tournant. Comme Nespresso, avec la qualité/prix, son impact environnemental, etc. Si une marque est juste émotionnelle, elle n'a plus aucune plus-value. Le storytelling est avant tout un vecteur d'émotions au sens de la raison, au service d'une stratégie.

Pour mener à bien une stratégie de marque, il faut certes des émotions, mais également de l'intuition, pour créer un storytelling intuitif. Lorsque les consommateurs ont commencé à devenir de moins en moins crédules, il a fallu arrêter de vendre des produits avec des histoires, mais se concentrer sur la marque. Sébastien Durand parle alors de « brand storytelling »74.

À la manière des grands films hollywoodiens, les marques s'ancrent dans le paysage des consommateurs grâce à de belles histoires, en redoublant leur créativité. Comme dit plus haut, depuis les peintures rupestres, des histoires sont racontées. Lorsque l'on voit, deux zones de notre cerveau s'activent. Alors que lorsque l'on raconte, c'est différent : au fur et à mesure de l'histoire, des zones de traitement se mettent en mouvement. Arnaud Hacquin75 parle de dégustation dans le cortex sensoriel.

Le narrataire et le narrateur sont alors en « totale synchronisation émotionnelle »76. L'auteur du livre blanc explique également que d'après un chercheur de Princeton, dont le nom n'est pas cité, les cerveaux agissent de façon synchronisée. C'est-à-dire que lorsqu'un narrateur va raconter une histoire, la personne en face va ressentir les mêmes émotions.

La domination de la narration est bien présente. C'est à elle seule la clé irrésistible du

succès.

74 Sébastien Durand, Le storytelling, le guide pratique pour raconter efficacement votre marque, opt. cit. p. 73.

75 Hacquin, Arnaud, « Transmédia Storytelling, Comment tirer parti des nouvelles d'écritures médiatiques ? », Jardin des marques, expérience transmédia, http://www.jardindesmarques.com/LivreBlanc.Transmedia.Storytelling.Jardindesmarques.pdf, consulté le 17 novembre 2021.

76 Ibid, p. 24.

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Oui, « On n'a jamais autant écrit »77, comme l'a dit Jeanne Bordeau. De l'Homo Sapiens à nos jours, en passant par l'Antiquité, le storytelling a toujours été présent, sous toutes les formes possibles, mais surtout, dans tous les domaines. De nombreux chercheurs et professionnels de la communication l'ont étudié et les avis divergent à son sujet. Technique de commercialisation, de manipulation, une fois positif et une fois négatif. Dans tous les cas, ils sont d'accord sur un point : le storytelling est indispensable. La publicité banale est finie, et les émotions dues à cet art narratif sont maintenant une priorité.

De grands narrateurs, tels que Martin Luter-King ou Nelson Mandela ont eu recours à cet art. Il structure nos imaginaires, comme le font les histoires depuis toujours. Mais au de-là de ça, le storytelling structure également le monde dans lequel les individus d'aujourd'hui vivent, d'où la présence de ce dernier des domaines tels que la politique.

Le mot-clé de cet art : émotion. Les émotions créent du lien, s'ancrent dans le temps et mobilisent. Et pour ce, pour créer ses sentiments, diverses méthodes ont été créées au cours de toutes ces années.

Et pour que ça marche, il faut que notre cerveau accepte d'y croire. C'est ainsi que les marques sont devenues les Nelson Mandela de notre époque, et que, comme nous avons commencé à le voir, elles cherchent à recréer des mythes et légendes.

Troisième partie

III - Le storytelling des marques et l'engagement des consommateurs

Plus que jamais, aujourd'hui, les marques définissent leur identité à travers un storytelling. Cela définit qui elles sont, ce qu'elles sont et pourquoi elles sont. C'est à ce moment précis qu'un consommateur va pouvoir développer une relation amoureuse avec celle-ci. C'est d'ailleurs ainsi que Signal ne représente pas seulement un dentifrice, mais un sourire éclatant. L'engagement des consommateurs pour ces marques n'est donc plus un hasard. Certaines n'hésitent d'ailleurs plus à aller plus loin, en élaborant de toute pièce leurs produits avec leurs futurs narrataires afin de créer une base de consommateurs forts.

77 Jeanne Bordeau, « La véritable histoire du storytelling », art. cit, p. 2.

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A - Comment les marques s'approprient-elles le storytelling 1) Les marques, ces grands orateurs

Nous l'avons vu ensemble dans la deuxième partie, la société a besoin de savoir ce qui est bon ou non pour elle. Par exemple, elle besoin d'histoires pour impliquer les individus dans l'armée. Cela permettait à cette société de fonctionner. Avec les grands orateurs, il en est de même.

À la manière de ces derniers, certaines marques arrivent à faire tomber amoureux leurs consommateurs, nous pas pour une cause, mais pour elles-mêmes. Et ce, grâce aux émotions de l'art du storytelling.

Iligo et AOL ont d'ailleurs réalisé une étude sur l'impact des émotions lors d'une publicité sur les consommateurs. Pour ce faire, ils ont eu recours à la reconnaissance faciale pouvant décrypter 6 émotions différentes (la joie, la tristesse, la surprise, le dégoût, la peur et la confusion) via webcam. L'étude a été réalisée en 2016 sur 800 personnes différentes, tous âges et sexes confondus, devant 8 spots publicitaires, à l'internationale afin d'avoir les résultats les plus riches possibles.

Cette étude a donc permis de prouver que les émotions sont ce qui touchent le plus un individu, et ce qui l'aide à se remémorer une publicité. « Les résultats montrent que les réponses émotionnelles aux annonces sont plus influentes sur l'intention d'achat d'une personne que le contenu en lui-même »78.

C'est pourquoi le storytelling est également très important lors de la notion de zapping (notion dans laquelle un spectateur aura tendance à changer de chaîne lorsqu'il voit une publicité commerciale, ou du moins, à ne pas la regarder jusqu'au bout). Par exemple, ça n'a pas été le cas pour la publicité « L'amour, l'amour »79 d'Intermarché de l'agence Romance, qui fait preuve d'un réel storytelling. Encore maintenant, elle est citée par beaucoup de consommateurs. Elle a été un précurseur de spot publicitaire pour beaucoup d'autres marques et la première d'une longue saga pour Intermarché.

78 Mydigitalweek, « Étude AOL : l'émotion au coeur de l'efficacité publicitaire », My Digital Week, 7 février 2017, https://mydigitalweek.com/etude-aol-lemotion-coe%%9Cur-de-lefficacite-publicitaire/, consulté le 23 avril 2022.

79 Romance Agency, « On a tous une raison mieux manger », Romance, https://www.romance-agency.com/works/lamour-lamour/?lang=fr, consulté le 24 mars 2022.

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Ce n'est bien sûr qu'un exemple parmi tant d'autres ou la notion de zapping n'est pas pris en compte. Il existe cependant une corrélation certaine entre une réaction émotionnelle positive, et le fait de ne pas « zapper » la publicité.

Se remémorer une marque, c'est également en tomber amoureux : c'est ce qu'on appelle avoir des Lovemarks. Les marques utilisent alors le système de réassurance de storytelling, vu précédemment, pour qu'un produit marche sur la longueur par exemple. « J'utilise depuis toujours le même shampoing : Head & Shoulders. Cela peut vous sembler ridicule. Effectivement, c'est un shampoing antipelliculaire et je n'ai pas de cheveux, encore moins de pellicules ! Pourtant, j'aime Head & Shoulders et je n'achèterai jamais rien d'autre »80.

Pour créer une lovemark, les orateurs vont faire appel à trois émotions : le mystère, l'intimité et la sensualité. Et ces lovemarks n'appartiennent alors plus fabricants, plus aux producteurs, et plus entreprises. Elles appartiennent à ceux qui les aiment.

Kevin Roberts fait alors la différence entre deux types d'émotions : les primaires, et les secondaires. Liste qu'il établit81 selon le chercheur du King's College de Londre, Dylan Evans : la joie, le chagrin, la colère, la peur, la surprise et le dégoût. L'auteur explique également qu'en ce qui concerne les émotions primaires, elles peuvent se ressentir en étant seul. Alors que les émotions secondaires quant à elles (amour, culpabilité, honte, fierté, envie et jalousie), ne

80 Kevin Roberts, Lovemarks : le nouveau souffle des marques, Organisation, 2004, p. 22.

81 Kevin Roberts, Lovemarks : le nouveau souffle des marques, opt. cit., p. 44.

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naissent qu'en présence de quelqu'un d'autre. « Elles forment la combinaison volatile à partir de laquelle se créent les relations et sont, par conséquent, essentielles »82.

Partout, et tout le temps, les gens veulent de l'émotion. « L'émotion est aujourd'hui un sujet de recherche sérieux et légitime. D'ailleurs, dès que les scientifiques s'y sont mis, il leur a fallu très peu de temps pour démontrer ce qui était déjà évident aux yeux de ceux qui se donnaient le mal d'y prêter attention. »83

Le produit vient à séduire, comme le ferait un orateur. Il lit son produit avec des émotions spécifiques. Psychologiquement, l'émotion fera remonter le produit en mémoire ce qui l'ancrera de façon durable. Typiquement, et nous y reviendrons plus tard, les publicités de Noël sont très fortes là-dessus pour promouvoir cet esprit bon enfant à leur marque. Comme par exemple la publicité de Bouygues Telecom84, promouvant l'amour d'un père envers son fils, et la joie d'une famille grandissante. Ou encore le célèbre « C'est pas Versailles »85 ici de TotalEnergies. Il reste en tête car il joue sur les émotions, la joie dans le cas présent, là où une représentation tarifaire générique n'aurait eu aucun impact.

Capture d'écran de la publicité « C'est pas Versailles ici ! » de Bouygues Telecom.

82 Idem.

83 Ibid, p. 39.

84 ArtboxLTproduction, Le Noël inoubliable de Bouyges Telecom | 2018 Artbox Production Home, publicité, YouTube, diffusée le 15 novembre 218, 1min31.

85 PubTélé, Total direct « c'est pas Versailles ici ! » - Publicité, publicité, YouTube, diffusée le 18 décembre 2019, 21s.

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« Aimer, c'est agir »86. Pour revenir au mystère, à l'intimité et à la sensualité, ce ne sont pas seulement des mots, c'est l'Amour avec un grand A, dont nous parlions dans l'introduction. Ce sont des histoires légendaires, des rêves, des mythes et leurs icônes encore une fois, de l'inspiration. De l'empathie, de l'engagement et de la passion. Ce sont également les cinq sens.

Ce qu'il faut retenir de ces Lovemarks, c'est qu'elles sont avant tout personnelles. Lorsque qu'un individu en choisit une (peut-on vraiment dire que l'on choisit sa Lovemark ? n'est-ce pas comme lorsque l'on tombe amoureux de quelqu'un ?), il la défendra envers et contre tout.

Les marques fortes ont toujours été des Lovemarks. Ce que le concept de Lovemark apporte, c'est une structure pour guider la réflexion. Je pense que les marques ayant été créé des relations et une fidélité basées sur l'émotionnel méritent déjà le nom de Lovemark. Il y a un moyen de comprendre ce qu'est une Lovemark. Il suffit de regarder quel serait le sentiment du consommateur si l'on supprimait une marque à laquelle il est attaché ! Comment réagirait-il ? Dans notre cas, je sais que si l'on retirait du marché les Pampers que la mère trouve parfaites pour son enfant, nous entendrions ses récriminations ! De la même manière, si l'on ôtait le rouge à lèvres Covegirl qu'une ado estime parfaitement assorti à son teint, elle serait furieuse. Cela serait également vrai de Tide avec chlore et d'Ariel. Il suffit donc de la mesure d'un lien affectif, d'un attachement à la marque qui ne repose pas seulement sur la raison.87

La fidélité pour une marque se définirait alors comme « un engagement à racheter régulièrement un produit ou un service préféré dans le futur, provoquant ainsi l'achat répété de la marque, en dépit des influences situationnelles et des efforts marketing pouvant inciter à un changement de comportement »88. En effet, cela provoquerait un sentiment amoureux si fort, et une relation si particulière, qu'un nouveau concept est arrivé. Des coeurs sont arrivés dans les logos, comme Miko, et des marques de parfums par exemple, s'appellent « Amour », ou « Amor », pour intensifier ce concept. D'autres marques vont plus loin, et ne passent pas par quatre chemins, comme Volkswagen, en demandant directement à sa cible s'ils veulent « uns histoire d'amour qui tienne la route ».

86 Kevin Roberts, Lovemarks : le nouveau souffle des marques, opt. cit., p. 76.

87 Jim Stengel cité par Kevin Robert dans Lovemarks : le nouveau souffle des marques, opt. cit., p. 79. Malheureusement, l'ouvrage de base n'était pas cité.

88 Lubica Hikkerova, Ltifi, Moez, « Antécédents et rôles modérateurs de la fidélité à la marque », Gestion 2000, vol. 35, no. 6, 2018, p. 102, citant Oliver, sans donner plus de précisions.

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Pour Kevin Roberts, plus de doute. « L'amour était le maillon manquant, le seul moyen de renforcer l'émotionnel et de créer les nouveaux types de relations nécessaires aux marques »89.

L'amour qu'un individu porte pour une personne et pour une marque reste cependant différent. Lorsque l'on ressent de l'amour pour une marque, Albert Noël90 nous explique que la composante du souvenir rentre en jeu, ainsi que la passion pour la marque, la connexion positive et la certitude de l'attitude pour celle-ci, la longue relation ainsi que la confiance que l'on lui porte. Des limites sont néanmoins à noter. L'angoisse de la séparation est bien présente, car l'individu à tendance à idéaliser la marque. La sphère de l'intimité est à prendre en compte, ainsi que l'univers du rêve, du plaisir et du souvenir.

Toujours d'après Albert Noël, la fidélité envers une marque relève de variables psychologiques, d'éléments cognitifs comme l'idéalisation et la qualité, affectifs comme l'intimité et les émotions ressenties, ou encore les deux, avec la confiance mutuelle qui se crée.

Pour Kaufman91, cinq caractéristiques sont à inclure dans le sentiment d'amour envers une marque. La passion, l'attachement, l'évaluation, les émotions et les déclarations. Ce sont ces caractéristiques qui vont aider les chercheurs à établir des échelles de mesure.

Pour apporter une définition claire du concept de confiance envers la marque, voici la proposition de Gefen et Straub :

La confiance est un ensemble de croyances relatives à l'intégrité (honnêteté du partenaire qui devrait tenir ses promesses), la bienveillance (le partenaire devrait agir dans les intérêts de l'autre partie), la compétence (la capacité du partenaire à répondre aux besoins de l'autre partie) et la prédictibilité (le partenaire devrait agir de manière prévisible et avoir un comportement constant) du fournisseur ou de la marque.92

La confiance qu'un individu va accorder à une marque va alors de pair avec l'attachement, l'amour et la fidélité qu'il lui porte. Plus le consommateur va avoir une image

89 Kevin Roberts, cité par Noël Albert dans « Le sentiment d'amour pour une marque : déterminants et pertinence managériale », Management & Avenir, vol. 72, no. 6, 2014, p. 72. Nous n'avons pas plus d'informations quant à la source de la citation d'origine.

90 Noël Albert dans « Le sentiment d'amour pour une marque : déterminants et pertinence managériale », Management & Avenir, vol. 72, no. 6, 2014, p. 72.

91 Cité par Lubica Hikkerova et Ltifi, Moez, « Antécédents et rôles modérateurs de la fidélité à la marque », art. cit. p. 103.

92 Gefen et Straub cités par Lubica Hikkerova et Ltifi, Moez, « Antécédents et rôles modérateurs de la fidélité à la marque », art. cit. p. 104. Hélas, il n'y a pas plus de précisions quant à la provenance de la source initiale.

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positive vers celle-ci, plus il va l'aimer, plus il va lui faire confiance, plus l'attitude positive va se renforcer, notamment le bouche-à-oreille, et ainsi, la confiance également.

Comme on tombe amoureux d'un discours d'un orateur, on tombe amoureux d'un discours de marque. Mais les marques ont réussi à faire mieux : faire tomber amoureux d'elles-mêmes directement. Et les émotions sont le moyen le plus facile pour elles d'arriver à leur fin. Lorsqu'il y a sentiments, il y a amour. Et lorsqu'il y a amour, il y a souvenir, ce qui permet à la marque de s'ancrer dans le paysage du consommateur. Plusieurs types d'émotions existent, tout comme il y a plusieurs critères à prendre en compte pour accorder sa confiance à une marque. On ne tombe pas amoureux d'une marque comme l'on tomberait amoureux d'une personne.

Lorsque l'amour apparaît entre un consommateur et une marque, nous avons vu que la composante du souvenir arrive. Mais pourquoi ?

2) Mythes, contes et légendes, sont-ils (re)vus ?

Ulysse, personnage principal de l'Odyssée d'Homère, roi d'Ithaque, époux de Pénélope et père de Télémaque, part pour la guerre de Troie. Après cette guerre qui dura dix ans, il essaya de rentrer chez lui.

Cependant, sur le chemin, ses compagnons et lui rencontrèrent le cyclope Polyphème, qui les garda prisonniers. C'est grâce à une ruse d'Ulysse, qui lui creva l'oeil, qu'ils réussirent à s'échapper. Malheureusement, ce cyclope n'était pas n'importe qui. Ce n'était qu'autre que le fils de Poséidon, qui lui jeta un sort. Dès lors, Ulysse et ses camarades furent maudits à naviguer pendant dix ans avant de pouvoir rentrer chez eux.

C'est ainsi que pendant une vingtaine d'années, voguant d'aventures en aventures, traversant vents et marrées, Ulysse dû attendre de rentrer chez lui. C'est grâce à Circée que le héros aux mille ruses pût enfin retrouver sa femme et son fils.

Cette histoire a pour but de rappeler le schéma narratif d'une histoire. Il y a tout d'abord la situation initiale (Ulysse part en guerre, puis il va rentrer chez lui), puis l'élément perturbateur (sur la route il crève l'oeil de Polyphème, donc le père de celui-ci lui lance un sort). S'en suit les péripéties (toutes les aventures durant dix ans), le dénouement (l'aide de Circée), et enfin, la situation finale (Ulysse rentre chez lui).

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Il y a d'ailleurs une différence notoire entre schéma narratif et schéma actanciel. Par définition, le schéma actanciel met l'accent sur les personnages et les relations qu'ils ont entre eux, alors que le schéma narratif, quant à lui, mettra l'accent sur les actions.93

La point différenciant majeur entre les deux est que certains éléments peuvent manquer dans le schéma actantiel, ce qui n'est pas le cas dans le schéma narratif, qui lui, est fixe.

Le schéma actantiel a lui aussi ses composants. Le sujet (qui accomplit la mission), l'objet (ce que le sujet cherche à obtenir, qui peut être réel ou abstrait), le destinateur (ce qui pousse le sujet à agir), le destinataire (tous ceux qui obtiennent un bénéfice/avantage à la fin de la mission), les opposants (ceux qui nuisent au bien de la mission), et enfin, les adjuvants (ceux qui aident au bien de la quête, ils peuvent être humains, abstraits, etc.).94

Ce qui nous intéresse ici, c'est l'adjuvant. Toutes les marques répondent non seulement au schéma narratif, mais également au schéma actantiel, grâce à leur storytelling de plus en plus puissant. Et c'est dans ce deuxième schéma qu'elles se mettent le plus en valeur.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la marque ne répond pas au sujet principal. Elle aura pour rôle l'adjuvant, et aidera le consommateur à accomplir sa quête. Elle n'est pas le but de la quête mais le moyen d'arriver à la fin d'une quête narrative.

Par exemple, dans la publicité Hollywood Chewing-gum « Extra Gum Ð L'histoire de Juan et Sarah È95. La marque est seulement là pour rassembler et faire tomber les deux personnes, elle n'est pas le sujet principal, qui, dans le cas présent, est Juan et Sarah, à la quête de l'amour.

93 Anonyme, « Schéma actantiel (ou actanciel) », https://www.alloprof.qc.ca/fr/eleves/bv/francais/le-schema-actantiel-ou-actanciel-f1051, Alloprof, consulté le 28 avril 2022.

94 Anonyme, « Schéma actantiel (ou actanciel) », https://www.alloprof.qc.ca/fr/eleves/bv/francais/le-schema-actantiel-ou-actanciel-f1051, consulté le 28 avril 2022.

95 Anthem Entertainment, Extra Gum - Can't Help Falling In Love Feat. Haley Reinhart, publicité, YouTube,

diffusée le 14 octobre 2015, 1min58.

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Capture d'écran de la publicité « Extra-Gum - L'histoire de Juan et Sarah » de Holywood Chewing-Gum

Pour qu'une histoire soit bonne, certaines caractéristiques sont à prendre en compte. Ces caractéristiques, Guillaume Lamarre les a répertoriées96.

Une histoire doit d'abord être simple. Qui dit simple, dit facile à retenir, comme les « légendes urbaines » par exemple. Elle doit également être surprenante, d'où les méthodes du type PAS et AIDA. Ensuite, il faut que l'histoire soit concrète. Le storytelling parle à celui qui l'écoute, et de même que le simple, plus ce sera concret, plus on retient. Une histoire doit être crédible. Comme pour l'engagement, une promesse, voire un contrat, se crée entre le storyteller et le lecteur. Un pacte de confiance. Si quelque chose cloche dans une scène, c'est qu'en réalité, quelque chose clochait déjà dans celle d'avant.

D'ailleurs, ce que les marques font en habillant les acteurs d'une certaine façon selon le produit vendu joue dans ce critère, d'où les importances des égéries. Et enfin, dernier critère, l'histoire doit être émouvante. Nous avons déjà fait tout un point sur les émotions. Le point culminant d'une histoire, c'est déclencher des émotions. Par exemple, bien qu'il ne s'agisse pas d'une marque en soit, dans le film Vice-Versa de Disney, la joie ne va pas sans la tristesse. Ici, c'est une question de pathos. C'est l'ensemble des éléments qui vont permettre de déclencher de la passion, et des émotions. Le but est que le consommateur devienne acteur et se mette à la place des protagonistes.

96 Guillaume Lamarre, L'art du storytelling, opt. cit, p. 76.

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Guillaume Lamarre97 rappelle que le plus important est de toujours bien garder son thème en tête. Comme les fables de La Fontaine, afin que le public retienne la morale de l'histoire.

En parlant de Jean de La Fontaine, rien de mieux que ses fables pour plaire et instruire. Dans le cas de ce mémoire, n'en déplaise au lièvre et à la tortue ce ne sera plus à la plus connue d'elles que l'on s'intéressera ici.

Avec son pouvoir d'illustrer les travers humains part des mises en scène d'animaux anthropomorphes, « Le Pouvoir des fables »98 parue en 1678 s'en démarque en faisant parler des humains.

Cette fable porte bien son nom, en mettant en avant, non seulement des comportements sociaux, mais surtout une certaine narration captivante et rythmée, et un exemple réel de pratique de storytelling, déjà à cette époque-là.

Deux personnages s'affrontent : l'orateur et le peuple d'Athènes. Dans cette fable se trouve également une autre fable : une fable dans la fable. Jean de La Fontaine s'adresse lui aussi directement à l'Ambassadeur Paul de Barillon, lors d'un conflit entre la France et l'Angleterre.

C'est pourquoi l'utilisation d'un « nous », « Nous sommes tous d'Athène en ce point »99. Procédé toujours utilisé, nous l'avons vu, par Emmanuel Macron lors de ces campagnes comme par exemple « Parce que c'est notre projet » !

L'orateur était avant tout présent pour prévenir le peuple qu'ils étaient en danger, mais personne ne l'écoute. « L'Orateur recourut A ces figures violentes »100, mais cela ne marcha toujours pas. C'est lorsqu'il se mit à raconter des histoires qu'enfin... « A ce reproche l'assemblée, »101 « Par l'apologue réveillée, »102, « Se donne entière à l'Orateur : »103.

97 Guillaume Lamarre, L'art du storytelling, opt. cit, p. 112.

98 Anonyme, « LE POUVOIR DES FABLES », Abstemius, emprunté à l'anecdote de l'apologue ésopique de L'Orateur Démade, http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/pouvfabl.ht, consulté le 17 mars 2022.

99 Ibid. - Vers 65.

100 - Vers 61

101 Anonyme, « LE POUVOIR DES FABLES », Abstemius, emprunté à l'anecdote de l'apologue ésopique de L'Orateur Démade, http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/pouvfabl.ht, consulté le 17 mars 2022.

102 Ibid. - Vers 62.

103 Ibid. - Vers 63.

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Jean de La Fontaine prouve donc que déjà à l'époque, les histoires étaient utilisées afin de se faire écouter, et pour cibler directement les personnes à qui l'on voulait envoyer un message, même si elles se trouvaient loin de nous. De bonnes histoires ainsi que des bonnes émotions sont bien plus efficaces que mille discours. Un art subtil pour illustrer des propos pouvant avoir un fort impact dans le monde du discours en touchant l'Homme à la tête, mais surtout au coeur.

Pour revenir sur le dernier point de Guillaume Lamarre, il est important de garder son thème en tête non seulement pour ne pas se perdre soi-même, mais également pour ne perdre son auditoire. Et pour cela, quoi de plus simple que de reprendre des histoires.

Car oui, les mythes, contes et légendes sont-ils vus et vécus, ou bien revus ?

Selon Yuval Noah Harari, « de grands nombres d'inconnus peuvent coopérer avec succès en croyant à des mythes communs »104. Comme expliqué avec l'Homo Sapiens, c'est grâce à sa capacité à s'adapter et à mettre au point des récits que l'homme a dominé sur la planète.

Les histoires racontées et rappelées sont ce qui marche le mieux. Par exemple, dans les publicités, beaucoup de ce qui est diffusé vient de ce que l'on connaît déjà sont des parodies d'histoires ou encore d'épisodes historiques.

Par exemple, la publicité pour Amazon Prime de novembre 2021. La plateforme de streaming a donc choisi la princesse Raiponce105 prenant elle-même son destin en compte, pour prouver que sur Amazon Prime, tout est possible.

104 Yuval Noah Harari, cité par Sébastien Durand dans Le storytelling, le guide pratique pour raconter efficacement votre marque, op.cit., p. 10. La citation provient de Sapiens, Une brève histoire de l'humanité de l'éditeur Albin Michel.

105 PubTélé, Amazon Prime - Raiponce « et tout devient possible » Pub 30s, publicité, YouTube, diffusée le 19 novembre 2021, 31s.

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Capture d'écran de la publicité « Raiponce, et tout devient possible » de Amazon Prime

Arnaud Hacquin a une explication à tout ça106. Le fait de rattacher une histoire à une expérience ou à des émotions déjà vécues, cela a un certain impact sur notre cerveau. Ce dernier a été programmé pour raconter et écouter des histoires. Depuis toujours, c'est ce qu'un individu fait toute la journée, la nuit comme le jour. Dès qu'il entend une histoire, il veut automatiquement la rattacher à une expérience passée, et donc à une émotion similaire. C'est d'ailleurs pour cela que certaines fois, comme nous l'avons vu, les cerveaux agissent de façon synchronisée. Qui n'a jamais dit « ah tient, ça me rappelle... ! » ?

Comme nous l'avons vu également, tout individu est lui-même à part entière un storytelling, dès lors qu'il naît et jusqu'à sa mort. C'est pourquoi certaines publicités arrivent à toucher autant. Comme pour la publicité Ouigo « Vous avez 20 ans, profitez-en »107. Ayant pour but de vendre ses bons plans voyages à prix réduits pour voyager en France, cette publicité a tout pour toucher les jeunes de 20 ans, mais pas que. Avec cette musique de Charles Aznavour « Hier encore j'avais 20 ans », une musique qu'un grand homme aurait d'ailleurs qualifiée « que les gens de 20 ans ne peuvent pas connaître », et toutes ces minis séquences regroupant des situations dans lesquelles tout individu de 18 à 25 ans environ peu se reconnaître, cette publicité est un succès.

106 Hacquin, Arnaud, « Transmédia Storytelling, Comment tirer parti des nouvelles d'écritures médiatiques ? », Jardin des marques, expérience transmédia, http://www.jardindesmarques.com/LivreBlanc.Transmedia.Storytelling.Jardindesmarques.pdf, consulté le 17 novembre 2021.

107 Stratégies, Rosapark pour Ouigo - « Vous avez 20 ans, profitez-en » - Mai 2019, publicité, YouTube, diffusée le 16 mai 2019, 1min33.

Capture d'écran de la publicité « Vous avez 20 ans, profitez-en » de Ouigo

En parlant de musique, deux genres se dégagent ici. La musique extradiégétique et intradiégétique.

Ces deux procédés cinématographiques sont de plus en plus utilisés en publicité pour faire passer des émotions. À la base, ce n'était que le son extradiégétique. Puis petit à petit, le son intradiégétique a fait son apparition, pour que l'on se sente transporté par le personnage. Par exemple, lorsqu'un personnage met ses écouteurs, et que la musique commence à ce moment-là, il est encore plus facile de s'identifier à lui que si la musique débutait dès le départ

C'est exactement ce qu'il se passe pour la publicité « Lait drôle la vie »108 de Monoprix. Encore une fois, la marque joue le rôle d'adjuvant pour réunir deux personnes.

108 Stratégies, Rosapark pour Monoprix, « Lait drôle la vie » - mai 2017, publicité, Youtube, diffusée le 16 mai 2017, 4min02.

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Ici, le chant commence lorsque l'enfant met les écouteurs dans ses oreilles. Tout du long, le spectateur pourra se trouver à la place de ce petit garçon et grandira avec lui, avec une seule attente : que la fille comprenne que c'est lui, donc nous, qui glisse les étiquettes d'emballage dans ses affaires.

La musique intradiégétique a un rôle d'identification au même rôle que le storytelling. Et la musique au sens large du terme est un vecteur d'émotions puissant, permettant au public d'être plus réceptif au son. Effectivement, ce dernier possède un véritable vocabulaire verbal, ce qui fait que « les ressentis de chaque cible en entendant la musique sont bien différents. Il en est de même en ce qui concerne les réactions »109.

Le style de musique joue également un rôle important comme outil de persuasion. Une étude a été réalisée en 1993110 par Areni C.S et KIM D dans un magasin de vins. IL a été démontré que lorsque de la musique classique était diffusée, les consommateurs étaient plus à même d'acheter, que lorsque de la musique du type « Top 50 » était mise. De même, un magasin a fait un test de diffuser de la musique française. Les clients allaient automatiquement vers le rayon vins français, et vers les vins allemands lorsque de la musique allemande était en route.

Il est pertinent de notifier que la musique favorise la mémoire. Lorsqu'une publicité possède une musique, elle sera plus facile à se remémorer, surtout lorsque le client apprécie la musique. Cela lui apporte une note positive. D'ailleurs, non seulement le type de musique n'est pas choisi par hasard, mais le mode de diffusion non plus. Une femme aura plus de plaisir à regarder une publicité avec une ambiance calme et paisible, alors que pour un homme, le volume sera un peu plus fort111.

De plus, la musique favorise le produit. Par exemple, les publicités avec un solo de piano mettront en avant la beauté de leur produit, tandis qu'une publicité avec une musique d'opéra du type du thème de l'Hiver des Quatre Saisons de Vivaldi, ce sera pour mettre en avant l'élégance et la robustesse de ce produit.

109 Bertrand, « Le rôle de la musique dans la publicité », MusiClic, 1er avril 2020, https://www.musiclic.com/blog/le-role-de-la-musique-dans-la-publicite.asp, consulté le 3 mai 2022.

110 Bertrand, « Le rôle de la musique dans la publicité », MusiClic, 1er avril 2020, https://www.musiclic.com/blog/le-role-de-la-musique-dans-la-publicite.asp, consulté le 3 mai 2022.

111 Idem.

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En conclusion, « rappelons d'abord que le storytelling n'invente pas un mythe ; il met au jour une part sensible qui a toujours existé dans l'univers des marques »112.

Joseph Campbell a développé, dans la fin des années 1940, le concept du monomythe113. Ce concept aurait pour but de démontrer que chaque histoire serait au final la même. Dans tous les cas, on raconte l'histoire d'un héros. Ce sera également la même structure. Les histoires peuvent être racontées de façon différente, mais dans le fond, elles sont seulement rappelées, et non réinventées. Le schéma actanciel le prouve d'ailleurs, et c'est pourquoi certaines caractéristiques sont à prendre en compte pour réussir ces cinq étapes.

Si l'Homo Sapiens a réussi à s'imposer grâce à son adaptabilité à raconter des histoires, les histoires rappelées et les parodies historiques sont aujourd'hui ce qui se fait de mieux, avec une adaptabilité dont nos ancêtres seraient fiers.

Le cerveau humain veut pouvoir se rattacher de ce qu'il connaît déjà. L'Humain s'aime tellement qu'il veut pouvoir tout rattacher à lui, tout connaître et tout savoir. Lorsqu'il voit une publicité, un individu veut pouvoir se dire « ah mais je reconnais ! », ou encore « oh mais c'est moi ! ». C'est pour cela que la publicité Ouigo marche si bien. L'identification n'a jamais aussi bien marché qu'au XXIe siècle, que ce soit de par les images ou par la musique, comme avec l'usage du son intradiégétique.

Cependant, certains ne sont pas en faveur du storytelling et des mythes pour vendre des produits. Pour citer Yannick Jaulin, comme dit plus haut : « Le storytelling est une méthode intéressante pour déclencher des émotions, libérer des frustrations. Quand on se sert de cette maïeutique pour révéler l'âme collective d'une entreprise, cela est favorable ; beaucoup moins quand on se sert d'un mythe pour vendre un produit {É} »114.

C'est pourquoi d'autres veulent aller encore plus loin, et cherchent d'autres moyens de conquérir et acquérir de nouveaux clients, afin de susciter de l'engagement.

112 Jeanne Bordeau, « La véritable histoire du storytelling », L'Expansion Management Review, art. cit. p. 97.

113 1000 idées de culture générale, LE MONOMYTHE (Joseph Campbell) - Comment devenir un héros ?,

documentaire, YouTube, diffusé 25 février 2018, 14min21.

114 Yannick Jaulin, cité par Jeanne Bordeau, dans « La véritable histoire du storytelling », art. cit, p. 5. L'auteur n'a pas donné plus d'informations quant à la provenance de la citation.

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B - Le crowdfunding et la co-création de marque : de nouveaux modes d'engagement participatifs

Il est d'abord important de définir ces deux termes. Pour ce qui est du crowdfunding, c'est un financement participatif, permettant de mettre en avant des start-ups, des particuliers (ou non) sur des plateformes prévues à cet effet. Le but est de récolter des fonds sous forme de petits ou gros montants auprès d'un large public afin de financer un projet, sans intérêts.115 En ce qui concerne la co-création de marque, c'est tout simplement une stratégie marketing visant à collaborer adroitement avec les consommateurs de sa marque.116

1) Le crowdfunding, un engagement solidaire

Cécile Palusinski rappelle que bien que les termes crowdfunding ou encore campagne de financement sont dès lors utilisés :

Le monde grec ancien pratiquait déjà la souscription privée : des amis ou membres de confréries religieuses se cotisaient pour aider l'un d'entre eux, racheter un prisonnier, restaurer un sanctuaire ou un gymnase, consacrer une statue ou une offrande. Les Grecs initiaient également des collectes de fonds, à l'initiative de l'Assemblée, sous forme de contributions volontaires et gratuites, en vue d'un objet commun.117

Plus le temps passe, et plus les campagnes participatives voient le jour, et surtout, voient grand. La statue de la Liberté, la Sagrada Fam«liaÉ Il en faut plus pour décourager ces financements, et ça marche. Avoir la possibilité de participer d'une façon ou d'une autre à ces constructions, cela donne une dimension proportionnelle à la taille et à la réputation de ces architectures à l'engagement.

Dès la Première Guerre Mondiale, « l'État français décide d'accorder des subventions communes qui doivent trouver les financements complémentaires »118. C'est alors que les premières stratégies de crowdfunfing commencent : on se dirige vers le grand public, les mécènes, et la presse.

115 Définition du crowdfunding, Capital avec Management, https://www.capital.fr/votre-carriere/crowdfunding-1316742.

116 Définition de la co-création de marque, Infonet, https://infonet.fr/lexique/definitions/co-creation/.

117 Cécile Palusinski,, Le crowdfunding. Presses Universitaires de France, p. 7., citant Léopold Migeotte, Les Souscriptions publiques dans les cités grecques, édition Droz, 1992, p. 4.

118 Cécile Palusinski, Le crowdfunding, opt. cit. p. 9.

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KissKissBankBank, Ulule, Cocorico... Que des noms originaux dont on ne se serait pas douté qu'un jour, ils deviendraient des mastodontes du crowdfunding. Ce mode de fonctionnement, mettant donc en lien les entreprises et les particuliers, s'ouvrent de plus en plus au monde de l'engagement pour les marques. Effectivement, les marques se montrent aujourd'hui de plus en plus créatives. C'est donc tout simplement vers les campagnes de crowdfunding qu'elles vont s'orienter pour leur lancement, ou tout simplement pour le lancement d'un de leur produit, si ce n'est pour se faire connaître.

Faire une campagne de financement participatif, c'est comme faire du « gagnant-gagnant », « des partenariats bénéfiques aux entreprises comme aux plateformes de dons »119. La marque va se faire connaître et pourra financer son produit (dans le cas d'un jeu de société par exemple), et la plateforme de dons prendra une commission. Le taux d'engagement sera alors de plus en plus élevé. Par exemple, La Grand scène à Lille est un concept store, street-food, coffe shop et organise des événements culturels tout au long de l'année. Ils ont ouvert grâce à leur campagne de crowdfunding. Pour chaque personne faisant un don, non seulement celle-ci recevait un verre en cadeau (selon le montant donné, et à récupérer sur place), mais elle avait également son prénom écrit sur le mur derrière le bar. Un moyen ingénieux d'engager le consommateur de façon durable ! De même pour Mozart, qui à partir du XVIIIe siècle (début des grandes initiatives de financement participatif), offrait certaines de ces partitions signées de sa main pour ceux finançant ses concertos joués à Vienne, afin de financer les frais d'impression, très chers à l'époque120.

Le BtoB s'inscrit de plus en plus dans cet univers de plateforme de dons. Bien qu'il y en existe une multitude, les deux plus grosses, que ce soit en BtoB ou en BtoC datent de 2010 et de 2013 : KissKissBankBank et Ulule. Il suffit que les marques veuillent sponsoriser un projet qui leur tient un coeur pour le faire. « Quand on leur demande s'ils souhaitent être accompagnés par une marque, dans 99% des cas la réponse est oui »121.

119 Anonyme, « {LU} Le crowdfunding, un nouveau levier d'engagement pour les marques », Carenews, 25 avril 2018 et mis à jour le 27 avril 2018, https://www.carenews.com/fr/news/10534-lu-le-crowdfunding-un-nouveau-levier-d-engagement-pour-les-marques, consulté le 16 février 2022.

120 Cécile Palusinski,, Le crowdfunding. Presses Universitaires de France, p. 8.

121 Alexandre Boucherot, patron d'Ulule, cité dans « {LU} Le crowdfunding, un nouveau levier d'engagement pour les marques », Carenews, 25 avril 2018 et mis à jour le 27 avril 2018, https://www.carenews.com/fr/news/10534-lu-le-crowdfunding-un-nouveau-levier-d-engagement-pour-les-marques, hélas sans donner plus de précisions.

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Ici, l'engagement des consommateurs n'est pas direct. Cependant, il pousse et favorise l'engagement par la suite.

En 2017, afin de renforcer la relation donnant-donnant-engagement-consommateur-plateforme de dons, Ulule avait organisé le « Ulule Tour Québec », en parcourant 12 villages grâce au soutien de la Banque Nationale du Canada. Cette tournée avait pour but de rechercher des porteurs de projets. Une façon d'engager, à la fois des consommateurs ne connaissant pas la plateforme et des porteurs de projets séduits par l'idée.

C'est alors que KissKissBankBank s'est équipée de « Goodeed : une start-up de dons en ligne financés par la publicité {É} qui va devenir une plateforme dédiée aux marques »122. Ne serait-ce pas le moment de faire appel au storytelling ?

Pour conclure, le crowdfunding, que l'on lui donne ce nom ou non, ne date pas d'hier. Son évolution au fil du temps a fait voir des projets mondialement connus, d'où la démocratisation vers une cible plus large, la création de plateforme, pour que chacun puisse monter son propre projet à son échelle, en espérant qu'un jour, celui-ci puisse voir le jour. Que ce soit en BtoB ou en BtoC, plus important pour ces personnes est de faire en sorte que leurs participants à la campagne soient engagés, que le projet devienne le leur également.

2) Mieux comprendre ses consommateurs : la co-création de marque

« Gagnant-gagnant ». Bien que le crowdfunding soit basé sur ce principe, il n'y a rien de plus vrai en ce qui concerne la co-création de marque. Cette stratégie de marketing participatif marque des avantages et des inconvénients, et les « conso-makers »123 sont les acteurs au coeur de cette stratégie.

Univers retail donne l'exemple de l'Ikea Madelaine, « conçu par et pour les parisiens »124. Ce magasin a été imaginé par 1200 personnes ayant adhéré au programme de fidélité d'Ikea. Petite parenthèse, le fait même que les membres de la communauté d'Ikea soient appelés la Ikea Family provoque un engagement certain pour la marque.

122 Anonyme, « {LU} Le crowdfunding, un nouveau levier d'engagement pour les marques », Carenews, 25 avril 2018 et mis à jour le 27 avril 2018, https://www.carenews.com/fr/news/10534-lu-le-crowdfunding-un-nouveau-levier-d-engagement-pour-les-marques, consulté le 16 février 2022.

123 Anonyme, « La co-création, une stratégie d'innovation gagnant-gagnant ? », Univers retail, 4 juin 2019,

https://www.universretail.com/la-co-creation-une-strategie-dinnovation-gagnant-gagnant/, consulté le 16 février

2022.

124 Idem.

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Pour revenir au cas, lors du jour d'ouverture, ce n'est pas moins de 29 000 personnes qui sont arrivées, record battu. Et ce, grâce à cette stratégie de co-création de marque. Les conso-makers ont alors l'impression de faire partie de la marque, de l'avoir créée également, et d'avoir participé à quelque chose de grand. Dans le cas présent, en regardant autour d'eux dans le magasin Ikea, il peut être facile de penser pour eux que telle ou telle table a été posée ici grâce à eux, que ça devient en quelque sorte « leur » magasin.

« 62% des Français ont déclaré souhaiter aider leur marque préférée à créer des produits et des services »125. La co-création de marque marche de plus en plus au fil des années car les consommateurs sont de plus en plus difficiles. Ils veulent devenir des consom'acteur. Ils savent ce qu'ils aiment car ils consomment en masse, c'est pourquoi leur demande devient de plus en plus approfondie. C'est ainsi que grâce à cette stratégie, l'expérience utilisateur devient une plue value reconnaissante et engageante du côté du consommateur, mais également du côté de la marque afin d'accroître sa visibilité. L'inventivité et le savoir-faire du consommateur lui revient à lui-même et l'engage dans un processus de création engageant.

L'auteur de l'article « La co-création, une stratégie d'innovation gagnant-gagnant ? » met cependant en garde contre deux risques majeurs126. Les consommateurs impliqués dans la stratégie doivent dans un premier temps garder en tête que leurs besoins et désirs ne sont pas les seuls, et que l'attente finale doit satisfaire toute la cible concernée. Elle doit également être raccord avec l'image de marque. De plus, la co-création ne doit pas être le final de son projet. Ce qu'il est, c'est la rentabilité, comme le montre le projet Ikea Madeleine. La co-création est avant tout un justificatif à une stratégie.

Cependant, avant d'être une stratégie, la co-création de marque une création de valeurs entre les consommateurs et les marques. L'image de cette dite marque est en jeu. C'est pourquoi une création de valeurs est en vigueur et ne doit pas être prise à la légère. Nous avions parlé, au début de ce mémoire, du prisme de Kapferer (p. 12) en ce qui concerne l'identification de marque. Dans le cas présent, cette identité ne doit jamais être oubliée.127

125 Chiffre tiré du baromètre de l'utilité des marques 2018, Opinionway & Supper - Anonyme, « La co-création, une stratégie d'innovation gagnant-gagnant ? », Univers retail, 4 juin 2019, https://www.universretail.com/la-co-creation-une-strategie-dinnovation-gagnant-gagnant/, consulté le 16 février 2022.

126 Idid, cependant, ce n'est pas une donnée chiffrée.

127 Zeitoun, Valérie, Haddad, Samuel, Michel, Géraldine, « Chapitre 7. La marque coopérative : comment concilier engagement social et réalité du marché », Aude Deville éd., Valeurs coopératives et nouvelles pratiques de gestion. EMS Editions, 2020, p. 137.

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« Aujourd'hui, la marque est considérée comme un objet social porteur de sens et de valeurs qui crée de la valeur auprès des clients sur la base de trois dimensions : la confiance, l'identification, et l'attachement »128

Si l'on prend La Grand Scène, toujours à Lille, les consommateurs ont confiance en elle. Elle est bienveillante et crédible. Sur leur Instagram, ils réalisent régulièrement des votes pour savoir si telle ou telle ambiance l'on a préféré, et ainsi de suite. Pour l'identification, le processus est le même. Lorsque l'on y est, on sait exactement le type de personne que l'on va rencontrer grâce à l'ambiance par exemple. Et pour la troisième dimension, l'attachement, grâce à leurs différents choix de consommations, que ce soit au bar ou pour les différents stands de nourritures, ou leurs différentes animations, il est facile de s'attacher au lieu et de retrouver les mêmes habitués.

Un autre exemple concret : la marque de jeux pour enfants Oxybul. Depuis 1993, ils proposent de faire tester les jeux qu'ils produisent aux familles. En voulant encore plus loin, il est possible de garder les jouets pendant 10 jours, et de donner une note sur 10 avec des commentaires afin de garantir une expertise poussée pour la marque. Une réelle expérience de co-création de marque entre la marque et les consommateurs.129 L'engagement de ces derniers n'aura jamais été aussi fort.

Mais cela va encore plus loin. Trois dimensions pour créer de la valeur auprès des consommateurs, et trois dimensions pour créer de la valeur auprès des collaborateurs : signification (le sens construit), vision (le sens qui fonde l'action), émotions (le sens vécu)130. Selon Valérie Zeitoun, Samuel Haddad et Géraldine Michel, « des dirigeants, des gestionnaires et des experts s'accordent aujourd'hui pour dire que la marque joue un rôle déterminant auprès des collaborateurs, et que le management par la marque est une source d'innovation »131.

128 Zeitoun, Valérie, Haddad, Samuel, Michel, Géraldine, « Chapitre 7. La marque coopérative : comment concilier engagement social et réalité du marché », Aude Deville éd., Valeurs coopératives et nouvelles pratiques de gestion. EMS Editions, 2020, p. 140.

129 Anonyme, « La co-création, une stratégie d'innovation gagnant-gagnant ? », Univers retail, 4 juin 2019, https://www.universretail.com/la-co-creation-une-strategie-dinnovation-gagnant-gagnant/, consulté le 16 février 2022.

130 Zeitoun, Valérie, Haddad, Samuel, Michel, Géraldine, « Chapitre 7. La marque coopérative : comment concilier engagement social et réalité du marché », Aude Deville éd., Valeurs coopératives et nouvelles pratiques de gestion. EMS Editions, 2020, p. 145.

131 Idem.

Pour la signification, dès lors que chaque employé prend soin d'une marque, elle devient alors une copropriété, et chacun en est co-responsable. Tout le monde peut donc se retrouver en elle, elle prendra de la valeur au fil du temps et cela lui assurera de la pérennité. Pour la dimension de la vision, lorsque les collaborateurs ont les mêmes valeurs, dont nous avons parlé précédemment, cela donne plus de sens à la marque et au projet, qui devient alors commun. Et enfin, les émotions. Nous en avons parlé tout au long de ce mémoire. Consommateurs, comme collaborateurs, lorsque les émotions entrent en jeu, l'identification en fait de même, ainsi que l'estime de soin, et le fameux engagement.132

En conclusion, basée sur une stratégie « gagnant-gagnant », la co-création de marque ne pourrait pas marcher sans les consommateurs et les collaborateurs. Les français aiment ce principe, et veulent aider leurs marques préférées à évoluer et devenir des consom'acteurs. Confiance, identification, attachement, signification, vision et émotions. Voilà les mots-clés de cette stratégie. Bien que des risques soient présents, il ne devient rien de plus engageant que la co-création de marque.

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132 Zeitoun, Valérie, Haddad, Samuel, Michel, Géraldine, « Chapitre 7. La marque coopérative : comment concilier engagement social et réalité du marché », Aude Deville éd., Valeurs coopératives et nouvelles pratiques de gestion. EMS Editions, 2020, p. 140.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams