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La parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou Kourouma


par Théogène Hakuzimana Bizimana
ISP/Goma  - Licence 2017
  

Disponible en mode multipage

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INSTITUT SUPÉRIEUR PÉDAGOGIQUE DE GOMA

www.ispgoma.org, ispgoma2016@gmail.com

Section des Lettres et Sciences Humaines

Département de Français-Langues Africaines

La parenthèse comme stratégie d'ÉCRITURE dans ALLAH N'EST PAS Obligé DE AHMADOU KOUROUMA

Par

Théogène HAKUZIMANA BIZIMANA

Mémoire présenté et défendu en vue

de l'obtention du Diplôme de Licencié

en Pédagogie Appliquée

Option : Français

Directeur : Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI

Professeur Associé

Co-directeur : Anatole BATEGERA SIBOMANA

Année universitaire : 2016-2017

Assistant

ÉPIGRAPHE

« L'écriture n'est pas la communication d'un message qui partirait de l'auteur et irait au lecteur ; elle est spécifiquement la voix même de la lecture : dans le texte, seul parle le lecteur.»

(Roland BARTHES)

DÉDICACE

À mes parents SININGINGA SINZABAKIRA Cheusi et MUKANKUSI UWIDUHAYE Velina ;

À mes oncles, frères et amis, Augustin MUNYAZOGEYE, Emmanuel MICHOMYIZA RWAGASORE, Twaha NSENGIYUMVA HAMISI, Alphonse NIYONZIMA KAMANA et Néhémie LUMOO MIANYO.

REMERCIEMENTS

Ce travail est un fruit de divers apports. Nous tenons ainsi à remercier tous ceux qui ont apporté un morceau de bois au feu que nous avons allumé qu'est ce mémoire.

Premièrement, nous adressons nos remerciements au Professeur Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI qui nous a formé (mes camarades et moi) à la manipulation des outils d'analyse de discours littéraires. Par son encadrement à l'auditoire, son accompagnement scientifique, ses rigueur et clairvoyance animées d'une grande éthique scientifique, il nous a fait profiter, à toutes les étapes de travail, de toutes les richesses que peuvent procurer les études et la recherche en Littérature.

Deuxièmement, nous remercions notre co-directeur de mémoire qui, très soucieux de nous voir décrocher à notre tour le diplôme de Licencié en Pédagogie Appliquée, nous a fait bénéficier de ses corrections constructives et ses appréciations encourageantes, lesquelles font partie de ce dont nous nous sommes servi pour réaliser ce travail.

Enfin, nous remercions le Corps Académique qui nous a formé à l'Institut Supérieur Pédagogique de Goma : les Professeurs, les Chefs de Travaux et tous les Assistants du Département de Français-Langues Africaines, pour nous avoir conduit à l'épanouissement dans le domaine de Lettres à travers leurs exposés et encadrements scientifiques.

INTRODUCTION GÉNÉRALE

1. CADRE ET CHOIX DU SUJET

Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA est l'une des oeuvres parsemées de parenthèses. Ce foisonnement de parenthèses constitue l'une des stratégies scripturaires et des voies d'accès à la lecture de cette oeuvre. En effet, par le biais des parenthèses, non seulement le narrateur offre au narrataire l'occasion de faire corps avec une forme narrative complexe, où l'omniprésence de parenthèses se pose en même temps comme fondement de l'écriture, mais aussi il imprime au texte un rapport entre l'activité scripturaire et les matériaux textuels de grande taille.

Pour saisir la portée de cette complexité, nous avons choisi de mener l'étude intitulée « La parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA ». Cette étude s'enracine dans le champ de la poétique, voire de la stylistique.

2. PROBLÉMATIQUE

Le problème qui se pose au coeur de cette étude axée sur la parenthèse appréhendée comme stratégie d'écriture se présente de la manière suivante : Comment la parenthèse comme stratégie d'écriture se présente-t-elle dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA ? Comment s'articulent les composantes de cette stratégie d'écriture dans l'oeuvre en étude ? Quelles sont les manifestations des esthétiques littéraires engendrées par la parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA ? Cette triade de questions nécessite des réponses provisoires, mais avant leur formulation, il est nécessaire de présenter l'objectif de cette étude.

3. OBJECTIF DU TRAVAIL

Notre finalité est de scruter les manifestations de la parenthèse en tant que stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé et de montrer dans quelle mesure elle participe de la création littéraire dans cette oeuvre.

4. HYPOTHÈSES DU TRAVAIL

Les réponses provisoires formulées aux questions suggérées par la problématique sont les suivantes : la parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé se présenterait comme les manifestations énonciatives et typographiques par lesquelles l'instance d'énonciation procède à l'insertion, à la rectification et au commentaire de ses propos. Les composantes de cette stratégie d'écriture dans l'oeuvre en étude s'articuleraient comme une métatextualité ou une métadiscursivité, dont les effets seraient la rupture de la linéarité discursive et la connivence énonciative. Les manifestations des esthétiques littéraires engendrées par la parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA seraient le scriptible, la transgénéricité, ,l'intertextualité et le fragmentaire.

5. INTÉRÊT DU SUJET

L'intérêt de cette étude est à la fois littéraire et linguistique. En effet, étudier la parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé revient à scruter les rapports entre les matériaux textuels et la création littéraire dont l'oeuvre est un fruit. Il est linguistique parce que les manifestations de la parenthèse comme stratégie d'écriture constituent des manipulations, par le scripteur, des moyens linguistiques et langagiers mis en oeuvre dans l'économie narrative.

6. ÉTAT DE LA QUESTION

Nous ne sommes pas le premier à aborder une étude ni dans Allah n'est pas obligé, ni sur son auteur. Cependant, nous n'avons pas eu accès à tous les travaux qui y portent un regard. Toutefois, il s'avère important d'évoquer, parmi les travaux scientifiques dont cette oeuvre est le corpus, les suivants :

1. AMANI MAHANO Étienne, La question de la langue dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA, ISP/GOMA, 2011. Dans ce travail, le chercheur a rappelé que la langue étant un élément littéraire formel et fonctionnel, elle permet un régime de littérarité dans Allah n'est pas obligé. Il ajoute que toutes les variétés possibles de la langue proviennent de la manière dont les locuteurs s'approprient ladite langue lors de l'opérativité communicationnelle et que ces variétés ont des incidences sur l'esthétique de l'oeuvre.

2. BATEGERA SIBOMANA Anatole, La connotation dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA, ISP/RUTSHURU, 2009. Le chercheur y a montré ce que traduisent les sens connotatifs, les indices qui marquent les connotations dans l'oeuvre et la façon dont celles-ci agissent sur le cadre stylistico-communicationnel de l'oeuvre.

3. BUJANDA SIBOMANA Jean de Dieu, L'endophonisation dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA, ISP/RUTSHURU, 2013. Scrutant l'aspect stylistique qui coiffe l'oeuvre à travers la répétition de certaines expressions, le chercheur a conclu que l'endophonisation reste justifiée par les mécanismes d'antéposition et de postposition des expressions considérées comme références. Celles-ci sont, a-t-il estimé, l'anaphore et la cataphore.

4. KAMBALE KITAHERUKA, Le picaresque dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA, ISP/GOMA, 2014. Ce travail fait un examen des aspects du picaresque dans cette oeuvre dont la matière, la forme, les thèmes et l'intrigue. Il y est affirmé que KOUROUMA se revêt du couvert de Birahima pour véhiculer un ton picaresque par le biais du langage discourtois, irrespectueux ainsi que l'alternance de niveaux de langue pour ainsi atteindre un grand nombre de lecteurs.

5. KANYAMANZA BAHATI, L'imaginaire dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA , ISP/LUBUMBASHI, 2003. Lors de son étude, cet auteur s'est focalisé sur les réseaux métaphoriques qui fondent ce texte de KOUROUMA.

6. KAZINDU NGABONZIZA Matthieu, Du métatextuel dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA, ISP/RUTSHURU, 2009. Le protexte et le métatexte, leurs visages tels qu'utilisés par le scripteur dans son oeuvre, ce sont là les éléments qui constituent l'armature de ce travail.

7. KUSIMWERAY RUNUSI Deogratias, Inscription de la prison dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA, ISP/BUKAVU, 2005. Ce mémoire cadre la prison dans une thématique linguistique rendue tout à fait particulière par l'emploi de quatre dictionnaires dont se sert le narrateur dans sa narration. La prison y est donc perçue au niveau discursif.

8. LUKOGHO VAGHENI, Écriture du chaos et afro- pessimisme dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA, ISP/Bukavu, 2006. Pour lui, ces deux termes (le chaos et l'afro-pessimisme) peuvent se lire aussi bien dans le lexique, le discours que dans la rhétorique à travers le roman étudié.

Par ailleurs, l'oeuvre de Kourouma est beaucoup étudiée. C'est le cas de cette réflexion :

« Comme il l'a fait avec le verbe opérateur ``signifier'', pour parler de sexe féminin, il en fait autant avec les parenthèses pour le sexe masculin. [...] Les mots malinkés constituent des mots `'muets'' dans la langue française car ils n'ont aucun sens. Sans explication ces mots sont des indices de silence. Et Kourouma, pour le faire, utilise des signes d'insertion en l'occurrence les parenthèses pour mieux les mettre en exergue sans fioriture et sans ambages. » (Séraphin KOUAKOU KONAN, 2013 :106-107)

Bien que cette dernière étude comporte une mention sur la parenthèse, elle ne fait que l'effleurer. Ce n'est que ce paragraphe que ce chercheur réserve à la parenthèse. De la sorte, ce petit détail ne peut en aucun cas empiéter sur le sujet abordé ici.

À l'opposé de toutes ces études portant sur Allah n'est pas obligé, dont celles-ci ne présentent qu'un échantillon réduit, cette recherche vise à analyser cet élément formel récurrent dans l'économie narrative afin d'en examiner les incidences qu'il engendre sur l'écriture. En d'autres mots, cette étude cherche à examiner le fonctionnement énonciatif de la parenthèse et son impact esthétique sur la construction de l'oeuvre sous examen.

7. MÉTHODOLOGIE

Cette recherche s'appuie sur trois approches à savoir la stylistique, l'énonciation et la poétique. En effet, ces trois approches permettent de scruter la notion typographique de « parenthèse » dans ses rapports avec l'écriture de l'oeuvre en étude. Car la parenthèse est un paramètre stylistique et énonciatif qui produit des effets formels sur les facettes de l'écriture. Aussi est-elle un matériau textuel qui sous-tend en quelque sorte la littérarité de cette oeuvre à des niveaux qui seront plus tard examinés. Ainsi donc, le recours à ces trois méthodes dans nos analyses s'avère indispensable.

Outre ces approches, les techniques documentaire et d'observation ont facilité la collecte des données relatives au sujet et à la présentation desdites méthodes. Leur apport à notre lecture et la description de ces approches sont indiqués dans le premier chapitre du présent travail.

8. SUBDIVISION DU TRAVAIL

Ce travail est constitué de trois chapitres. Le premier intitulé « Cadre conceptuel et méthodologique » présente les données théoriques sur la parenthèse ainsi que sur la méthodologie choisie. Le deuxième s'intitule « Les composantes de la parenthèse dans Allah n'est pas obligé ». Il analyse le fonctionnement de la parenthèse dans ses articulations énonciatives et stylistiques. Le troisième chapitre est « La parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé». Ce dernier se base sur la matérialité de la parenthèse comme participant de la création littéraire de cette oeuvre, à travers les effets esthétiques qu'elle engendre.

9. DIFFICULTÉS RENCONTRÉES

La réalisation de ce travail nous a coûté des efforts et une endurance fort remarquables. En effet, l'état de santé longtemps fragile marqué par l'incapacité de nous concentrer sur la lecture a été une entrave à la rédaction. À cela s'est ajoutée l'insuffisance des moyens financiers.

Cependant, quelque difficile que soit toute recherche scientifique, le courage suffit pour l'affronter. Ainsi donc, le peu de bravoure que nous avons eue nous a suffi pour contourner ces obstacles.

CHAPITRE I. CADRE CONCEPTUEL ET MÉTHODOLOGIQUE

I.1. INTRODUCTION

Ce chapitre présente, en premier lieu, les notions théoriques qui corroborent notre sujet. Celles-ci sont notamment la parenthèse, la stratégie et l'écriture que nous présentons tout en croisant le regard sur leurs extensions théoriques adéquates à notre sujet. Dans la suite, il est question de la méthodologie permettant de placer la parenthèse dans les stratégies d'écriture fondatrices de Allah n'est pas obligé. Le chapitre se clôt sur une présentation du corpus.

I.2. CADRE CONCEPTUEL

I.2.1. LA PARENTHÈSE 

En français, les parenthèses font partie des signes de ponctuation entre lesquels on place les composantes linguistiques que l'on veut soit isoler, soit expliquer. Ces signes apportent une information supplémentaire suivant leur contexte d'apparition. Cependant, des auteurs leur reconnaissent plusieurs définitions. En effet :

« Les parenthèses marquent l'insertion d'un élément, plus ou moins court, détaché et isolé par rapport à la phrase. Obligatoirement doubles (ouverte et fermée), elles encadrent l'élément qui est appelé lui-même parenthèse et elles correspondent à une suspension mélodique à l'oral. Le groupe entre parenthèses possède sa mélodie propre, indépendante du discours où il est inséré [...]. L'élément isolé par les parenthèses peut être totalement indépendant du contexte où il est inséré, alors qu'un terme détaché à l'aide de la virgule garde un lien syntaxique avec son contexte. Généralement, cet élément que le locuteur n'a pas jugé bon de faire figurer directement dans son texte de base, a une importance secondaire et pourrait être retranché sans affecter le sens ni la construction de la phrase[...].Les parenthèses servent ainsi à insérer des réflexions incidentes, des commentaires ou des rectifications... » (Martin RIEGEL et al., 2016 :158-159)

Cette définition montre que la parenthèse est une marque typographique. En effet, elle est un espace d'insertions isolantes, explicatives au milieu ou à la fin des unités syntaxiques. Typographiquement limitée à gauche (parenthèse ouvrante) et à droite (parenthèse fermante), elle peut constituer une brisure ou un prolongement de l'énoncé qui l'abrite. Ce qui revient à dire qu'elle remplit des rôles discursif, métadiscursif et énonciatif. À l'oral, on la reconnaît donc grâce aux traits prosodiques tels la pause, le groupe rythmique. Elle peut aussi être perçue, dans une chaîne parlée, comme un silence dont le locuteur a besoin pour respirer. En d'autres termes :

« La parenthèse est un fragment discursif inséré entre deux éléments d'une phrase [...]. Les dimensions de la parenthèse sont très variables : d'un mot à un long fragment de discours. Le statut de la parenthèse par rapport à la phrase dans laquelle elle s'insère est également variable : apposition explicative, commentaire métalinguistique, incise, digression, etc. Au niveau de la manifestation écrite, la parenthèse [...] est l'un des éléments qui permettent de signaler le statut de la parenthèse[...] d'un élément du discours. » (Michel ARRIVÉ et al., 1986 : 469-470)

On constate que la notion de parenthèse renvoie, non seulement à l'idée de ponctuation, mais aussi et surtout aux opérations discursives. Elle est, en fait, un des participants de l'organisation de l'énoncé textuel, et pour ainsi dire, une stratégie d'écriture. Pour mieux saisir sa portée, nous présentons ces notions soeurs de la parenthèse qui font d'elle une notion relative à la syntaxe, à la grammaire et aux études énonciatives. Les auteurs qui définissent les parenthèses s'accordent donc sur le fait qu'elle se rapproche des formes énonciatives d'ajout que nous présentons dans les lignes suivantes.

I.2.1.1. La suspension

Par suspension, il faut entendre une opération qui :

« Consiste en effet en une manipulation opérée sur la distribution habituelle des syntagmes : avec la suspension, ceux-ci ne se suivent plus dans l'ordre ordinaire des contiguïtés de dépendance, mais voient leur succession morcelée entre les groupes fonctionnels (et non à l'intérieur des groupes comme dans la tmèse). Des éléments adventices viennent segmenter les contiguïtés attendues.» (Georges MOLINIÉ, 2009 :311)

La suspension contrarie donc l'organisation ordinaire de la phrase qu'elle se charge de morceler en fragments non successifs. Elle participe donc du bouleversement de l'ordre linéaire des composantes syntaxiques. Ce bouleversement peut parfois conduire au commentaire.

I.2.1.2. Le commentaire narratif

Le commentaire désigne un ajout au thème ou sujet traité. Il se définit comme suit :

« Cette notion s'apparente à une sorte de digression que le narrateur ou le personnage place dans son discours, pour des raisons et convenances personnelles, lors des activités de narration ou de discours. Dans l'économie narrative, le commentaire assume les fonctions de pause narrative en soulignant les valeurs explicatives de retardement, de clause narrative, de distraction, de précision, d'incise ou de modalisation d'un récit. On est tenté de dire que le commentaire narratif peut rejoindre les fonctionnements de la clause narrative avec comme caractéristiques fondamentales, l'installation des marques intertextuelles. » (Laurent MUSABIMANA, 2015a : 43)

De cette considération, il ressort que le commentaire est mis en oeuvre par un narrateur pour ses raisons particulières. Ainsi donc, il est un subjectivème. Il peut aussi surgir pour installer une pause dans la narration, ou pour la retarder. Le commentaire peut aussi référer à un intertexte qui devient une forme d'explication.

I.2.1.3. La glose

Ce concept s'apparente à son tour à celui de la parenthèse. En effet :

« La glose désigne une annotation brève, portée sur la même page que le texte, qui sert à expliquer le sens d'un mot inintelligible ou tout passage obscur. La glose était surtout un commentaire de la Bible ou des textes pratiques. [...] On distinguait la glose interlinéaire, ensemble des notes explicatives d'ordre grammatical ou historique, de la glose marginale ou ordinaire, qui était destinée à éclairer les différents sens cachés d'un énoncé. » (Paul ARON et al., Op.cit., 324)

La glose est donc destinée à éclairer le sens d'un mot ou d'un passage dans un texte. Il peut s'agir d'un terme rare ou spécifique le narrateur explicite pour faciliter la compréhension dudit terme par le narrataire. La glose prend alors la facture d'un autre texte dans le texte global.

I.2.1.4. L'intertexte

La notion d'intertexte est liée à celle d'intertextualité. En effet :

« Au sens strict, on appelle intertextualité le processus constant et peut-être infini de transfert de matériaux à l'intérieur de l'ensemble de discours. Dans cette perspective, tout texte peut se lire comme étant à la jonction d'autres énoncés, dans des liens que la lecture et l'analyse peuvent construire et déconstruire à l'envi. En un sens plus usuel, intertextualité désigne les cas manifestes de liaison d'un texte avec d'autres. » ( Paul ARON et al., Op.cit. : 392)

L'intertextualité postule donc l'idée que le texte est la somme d'autres ayant existé avant son existence. Dans ces conditions, les traces de ces prototextes constituent alors des intertextes. Ces derniers deviennent comme des textes seconds.

I.2.1.5. Le métatexte

La racine grecque « méta » désigne à la fois ce qui est « au-dessus » ou « au-delà » et ce qui est l'objet d'un changement. Ainsi, les concepts métatexte, métadiscours et métalangage ont en commun ce caractère qui indique le passage au second degré. Cependant, pour les démarquer, il convient de signaler que :

« Le terme métatexte et l'adjectif qui en est dérivé, métatextuel, sert à désigner les écarts narratifs dans lesquels l'auteur se propose de nous fournir un commentaire du texte qu'il est en train d'écrire ou une réflexion à caractère littéraire personnel. La diégèse est abandonnée au profit d'un ``discours second ''où l'auteur apparaît en tant que personne réelle. » (Yves STALLONI, 2012 : 148)

Le métatexte constitue donc un retour sur ce qui est dit pour en fournir des informations jugées importantes par celui qui produit les illocutions. En outre, le métatexte est une sortie du texte qui affiche la présence du scripteur. Bref, le métatexte est un texte sur le texte.

I.2.1.6. Le métalangage

Le métalangage, lui aussi, est bâti sur la racine grecque « méta » et désigne à son tour un langage sur le langage. Roman JAKOBSON en parle quand il présente les six fonctions du langage en indiquant que « La fonction métalinguistique consiste à expliciter les composantes et le fonctionnement du code. » (Jean MILLY, 2O1O : 13) Le métalangage est donc l'ensemble des informations tenues pour rehausser une forme langagière donnée. L'auteur ci-dessus renchérit :

« Par sa dimension métalinguistique, le texte présente et commente son propre langage, lorsqu'il fournit des définitions, des paraphrases, des traductions, des explications des termes (c'est-à-dire des gloses), des exemples linguistiques. Il utilise, voire modifie ou complète le dictionnaire idéal, parfois la grammaire que nous portons tous plus ou moins consciemment dans notre mémoire. » (Jean MILLY, Op.cit :20)

Le métalangage est donc lui aussi une explication, un commentaire du langage du texte par celui-ci. Les grammaires et les dictionnaires en sont truffés parce qu'ils décrivent les mots, dans leurs origines, leurs catégories, leurs sens, etc. qui sont autant des facettes d'un langage sur le langage et peuvent se retrouver intégrés dans le texte littéraire.

I.2.1.7. Le métadiscours

Quant au sujet du métadiscours, il convient de noter que :

« Le métadiscours se présente comme un jeu avec le discours ; il constitue en réalité un jeu à l'intérieur de ce discours. Ce qui suppose, une fois de plus, que l'on ait une conception appropriée de la discursivité, non pas un bloc de mots et de propositions s'imposant massivement aux énonciateurs, mais un dispositif qui fraye ses chemins, qui négocie continuellement au travers d'un espace saturé par des mots, des paroles autres. » (Dominique MAINGUENEAU, 1987 :68)

De ce qui précède, nous pouvons dire que le métadiscours se présente comme un retour sur et dans le dit. Il constitue une parole sur la parole du locuteur, un texte sur le texte du scripteur ou encore un discours sur le discours du locuteur et par lui-même.

I.2.1.8. L'incise.

Par cette notion, il convient de noter que :

« Dans le discours narratif, les incises désignent des procédés linguistiques et typographiques accompagnant la reproduction des paroles ou des pensées des personnages au style direct par le narrateur.[...] Les incises jouent des rôles fondamentaux dans le tissu narratif dialogal. Elles font transparaître que le dialogue romanesque n'est pas autonome dans le récit. [...] Elles constituent la marque de l'énonciation première, source unique de toutes les voix, qui, découpant et distribuant le discours d'autrui, manifestent leur activité d'instance organisatrice du texte qui règle paroles et mouvements. » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015a : 147-148)

Les incises désignent donc des composantes énonciatives qui indiquent celui qui a proféré telle ou telle parole et sont ainsi liées au discours rapporté.  Autrement dit, les incises se manifestent comme des marques d'insertion syntaxique se présentant comme des commentaires ou des indications opérées par la personne qui prend la parole dans l'énoncé.

I.2.1.9. La digression

La digression est une sorte de déviation ou de glissement vers l'à-côté du propos du locuteur sans le perdre de vue. Mais elle peut être prolongée de manière à faire oublier la voie initialement tracée. Yves STALLONI la définit en ces termes :

« En littérature, on parle de digression pour désigner un développement qui s'écarte du sujet principal, qui n'est pas indispensable au sens. Le procédé est fréquent dans les textes de la subjectivité, qui imitent le monologue ou la correspondance qui prolonge la parole libre de la conversation. » (Yves STALLONI, Op.cit : 64)

Ainsi considérée, la digression déstabilise la linéarité de la narration, voire un micro-récit et la dévie de façon plus ou moins prolongée. Du côté de l'action du sujet de la narration, la digression retarde son dénouement. Dans ces conditions, le lecteur court le risque de se sentir ennuyé et est susceptible de se perdre dans les chemins de lecture. La digression peut amener des considérations de commentaire.

I.2.1.10. L'autocorrection

On parle d'autocorrection, lorsqu'on « retrace en quelque sorte ce qu'on vient de dire à dessein pour y substituer quelque chose de plus fort, de plus tranchant ou de plus convenable. » (FONTAINIER cité par Bernard DUPRIEZ, 1984 : 86). L'autocorrection est donc une correction effectuée par le locuteur sur son propre dire lorsqu'il s'adresse à d'autres ou à soi-même. Et ce, en vue d'expliciter profondément ce que l'on dit.

I.2.1.11. L'explication

Une explication est un développement destiné à éclairer, à faire comprendre. En d'autres termes :

« Expliquer nous semble constituer une intention particulière qui ne se confond pas avec informer ; le texte explicatif a sans doute une base informative, mais se caractérise, en plus, par la volonté de faire comprendre les phénomènes : d'où, implicite ou explicite, l'existence d'une question comme point de départ, que le texte s'efforcera d'élucider. Le texte informatif, en revanche, ne vise pas à établir une conclusion : il tra nsmet des données, certes organisées, hiérarchisées [...], mais pas des fins démonstratives. Il ne s'agit pas, en principe, d'influencer l'auditoire, de le conduire à telle ou telle conclusion, de justifier un problème qui serait posé. »(Bernard COMBETTES et Roberte TOMASSONE cités par Jean-Michel ADAM, 2011 :158)

L'explication est donc destinée à éclaircir une situation donnée. Elle peut porter sur la causalité, la contextualité, les effets de la situation contextuelle. Elle présente ainsi des liens serrés avec la parenthèse, car celle-ci est aussi une extension d'un énoncé pour en faciliter soit la compréhension, soit le contexte, selon ce que veut exprimer le locuteur. Pareille composante énonciative peut occasionner plusieurs fonctions syntaxiques.

I.2.1.12. L'apposition

L'apposition s'inscrit dans le tableau des fonctions du nom. Cela veut dire que :

« Cette dénomination est acceptable si on la prend dans son sens strictement formel et étymologique où apposition signifie `'mettre à côté de''. Le GN apposé est en effet placé à la suite d'un autre GN [...] On ajoute généralement que les deux GN sont dans un rapport d'identité référentielle. » (Martin RIEGEL et al., 2009 :354)

On comprend que l'apposition désigne un groupe nominal placé à côté d'un autre groupe nominal avec lequel il noue un rapport d'identité référentielle. Ceci revient à dire que les groupes nominaux apposés désignent la même réalité que ceux auxquels ils sont joints. Ainsi, l'apposition rencontre l'apparent comportement d'une insertion de parenthèse, car celle-ci est toujours en rapport d'identité référentielle avec son déclencheur.

I.2.1.13. La rectification

La rectification est une notion qui « repose sur des processus d'ajustement permettant de concilier les représentations du locuteur et le consensus dénominatif d'une langue. » ( http://questionsdecommunication.revues.org, consulté le 07 août 2017). La rectification désigne donc le fait qu'un locuteur fait l'analyse de sa propre locution en vue de l'ajuster, de la conformer soit à la langue, soit au contexte. Il ne s'agit pas d'un échec de communication, mais plutôt d'un mode de multiplication des perspectives de l'énonciation. Dans ces conditions, la parenthèse noue des liens fortement sémantiques avec la rectification car elle surgit dans l'énoncé dans le cadre de l'ajuster selon les visées du locuteur dans son propre discours. La rectification peut parfois conduire à des reprises.

I.2.1.14. La répétition

La répétition désigne un procédé narratif par lequel :

« On attend d'une phrase qui suit une autre qu'elle apporte un certain nombre d'informations nouvelles, mais qu'elle reprenne également des éléments présentés dans celle qui précède. C'est ce que l'on nomme en linguistique la `'chaîne de référence'', c'est-à-dire la suite d'expressions linguistiques qui, dans un texte, désignent le même référent. » (Karl COGARD, Op.cit : 219)

La répétition consiste en une reprise d'un événement déjà raconté dans le déploiement narratif. La répétition peut engendrer une lenteur narrative lorsque le narrateur revient à maintes fois sur le même événement, les mêmes faits.

I.2.1.15. Le détachement

La parenthèse est syntaxiquement perçue comme une forme de détachement. En effet, cette notion renvoie à  :

« Des modificateurs non pas du nom mais du GN entier ; ils sont facultatifs et leur occurrence dans la phrase est subordonnée à celle du GN dont ils dépendent. Leur position détachée est matérialisée à l'écrit par des pauses (et parfois par une mélodie `'parenthétique'').» ( Martin RIEGEL et al., 2016 : 353)

La notion de détachement fait donc penser à des constituants syntaxiques non essentielles dans une unité syntaxique, modificatrices du groupe nominal. Autrement dit :

« [...] on note que le détachement sert à désigner tout à la fois : (I) un phénomène très général de discontinuité syntaxique, qui, selon les approches et les types de segments visés, présuppose ou non une conception dérivationnelle de la formation des constructions, autrement dit la dislocation d'un segment linéaire ; (II) certains faits relatifs aux positions syntaxiques [...] ; (III) les opérations linguistiques dont ces faits sont censés résulter (prédication seconde, topicalisation, thématisation, référenciation, etc.). » (Franck NEVEU, 2011 : 120-121)

Il est clair que la parenthèse entre dans la ligne de ces phénomènes car ceux-ci reposent sur la ponctuation, notamment la virgule, les guillemets, les tirets, qui, par ailleurs, sont des signes immédiatement repérables et interprétables comme des marqueurs de détachement syntaxique. Ceci permet de rappeler qu'une parenthèse est d'ailleurs typographiquement marquée par les inclinations, les tirets doubles et qu'elle est toujours une résultante d'un référent antérieur à elle.

1.2.1. 16. La ponctuation

La parenthèse est un signe de ponctuation. Ainsi trouvons-nous utile de rappeler que la ponctuation se présente de la manière suivante :

«La ponctuation désigne l'ensemble des signes typographiques qui marquent, dans un texte, les ruptures de rythme que l'auteur entend accentuer soit pour des raisons grammaticales, soit pour respecter une intonation, soit encore pour faciliter la compréhension du lecteur.» (Paul ARON et al., Op.cit. : 595)

La ponctuation est donc un ensemble de signes idéographiques qui ne sont présents et perceptibles qu'à l'écrit. Trois rôles sont dévolus à la ponctuation : organiser le texte écrit, orienter sa prosodie, voire ses réseaux de sens. Ceci revient à dire que la ponctuation est l'un des éléments clés pour déchiffrer le texte. Les signes de ponctuations sont multiples : la virgule, le point, le point-virgule, les deux points, les tirets, les points d'interrogation ou d'exclamation, les guillemets, les parenthèses, le trait d'union, le blanc graphique, l'astérisque, etc. L'usage de la ponctuation dans le discours littéraire participe de son organisation esthétique.

I.2.2. LA STRATÉGIE

Le terme `'stratégie'' peut s'appliquer à n'importe quel domaine de l'activité humaine. Dans le domaine littéraire, il s'entend de la manière suivante :

« Appliqué au domaine littéraire, il sert à décrire des réalités internes au champ (la carrière littéraire proprement dite), et externes à celui-ci (les effets de cette carrière sur la mobilité sociale des écrivains), mais aussi, des façons de conduire la rédaction des oeuvres. » (Paul ARON et al., Op.cit. : 734)

La stratégie regroupe tout ce qui est mis en jeu, quelle que soit la manière, pour atteindre un objectif. En corrélation avec l'écriture, une stratégie est donc tout ce que le scripteur aura mis en jeu pour atteindre sa fin, pour architecturer son texte. La stratégie littéraire joue sur la manière dont le texte est rédigé. Elle touche ainsi à des traits de création.

I.2.3. L'ÉCRITURE

L'écriture doit être appréhendée dans le contexte où l'ont placée les travaux de Roland BARTHES ou encore ceux de Oswald DUCROT et Tzvetan TODOROV. En effet :

« L'écriture est précisément ce compromis entre une liberté et un souvenir, elle est cette liberté souvenante qui n'est liberté que dans le geste du choix, mais déjà plus dans sa durée. Je puis sans doute aujourd'hui me choisir telle ou telle écriture, et dans ce geste affirmer ma liberté, prétendre à une fraîcheur ou à une tradition, je ne puis déjà plus la développer dans une durée sans devenir peu à peu prisonnier des mots d'autrui et même de mes propres mots. » (Roland BARTHES, 1972 :16)

L'écriture est perçue ici comme la création. C'est, autrement dit, le fait que des écrivains choisissent d'exprimer leurs pensées indépendamment des normes prétracées. L'écriture repose sur des matériaux linguistiques, langagiers, syntaxiques, pragmatiques, thématiques, idéologiques, etc. qui rendent tel ou tel texte singulier. Cette façon singulière de conduire telle ou telle architecture littéraire amène des considérations esthétiques postmodernes. Mais avant d'en être là, il importe d'évoquer la littérature lisible.

I.2.3.1. Le texte lisible

Le texte est dit lisible, c'est :

« Ce qui n'est plus possible d'écrire, ce qui est sorti de la pratique de l'écriture, ce qui peut être lu mais non écrit, ce qui me place dans une sorte d'oisiveté, d'intransitivité, de désireux, ce qui ne me laisse plus en partage que la pauvre liberté de recevoir ou de rejeter le texte, ce qui ne me fait pas accéder pleinement au jeu et à l'enchantement du signifiant , à la volupté de l'écriture, ce qui me sépare de l'auteur, de l'écrivain. » ( https://sortiedelaconfusion.wordpress.com ; consulté le 08 aout 2017)

Ainsi, le texte lisible dit aussi classique se caractérise par le respect du conventionnel, c'est-à-dire les normes classiques qui sont la logique du récit et la syntaxe comme points prépondérants. Il met l'accent sur le contenu, le message et accorde moins de valeur au travail de la forme qu'il considère comme un simple outil au service du message.

I.2.3.2. Le texte scriptible

L'écriture scriptible ou constructiviste est celle, qui :

« se caractérise non par la lecture passive du lecteur, mais par la participation active du lecteur, qui devient alors coauteur du texte. [...] Cette esthétique scriptible contraint la littérature à ne travailler que sur le signifiant, pour produire des textes à l'infini. Le lecteur n'est plus un consommateur oisif du texte, mais devient coproducteur du texte en participant à son engendrement. Cette participation du lecteur à la production du texte devient l'objectif primordial qui remplace la production du signifié dans la lecture. La lecture devient réécriture, reconstruction du signifiant. » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015a : 291)

Le texte lisible rend donc le lecteur non passif d'une activité critique, extérieure au texte, mais actif, c'est-à-dire reproducteur du texte qu'il est en train de lire, co-écrivain de ce texte en quelque sorte.

I.2.3.3. Le texte fragmentaire

Le texte fragmentaire, quant à lui, fait penser à la notion de `'fragment''. Il peut éclater en fragments car il en est constitué. Autrement dit :

« Toute structure inachevée, tout texte inachevé, tout texte qui devient un moule à remplir, est un texte fragmentaire. [...] Ce qui revient à dire que le texte fragmentaire se caractérise par l'inachèvement du texte : présence des micro-récits indépendants, d'aposiopèse ; il n'y a plus de suite logique entre parties consécutives du texte. On dirait qu'il évolue du coq-à-l'âne ; le roman est brisé par des récits de rêves, de coupures de presse ou de digressions de toutes sortes.» (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015a :133-134)

L'écriture fragmentaire ne se conforme donc pas à la progression de nature linéaire. Le texte paraît un agglomérat d'unités hybrides et n'a pas d'extrêmes : le début et la fin. Il est segmenté de ruptures, de retours, de déplacements, de secousses, etc. Il est ainsi incomplet, inachevé, voire précaire.

I.2.3.4. Le texte recevable

Au sujet de l'écriture dite recevable, il est à noter que :

« `'Texte érotique'', `'texte à sexualité crue'', `'texte pornographique'', `'texte obscène'', `'littérature du corps'', etc., le texte recevable ou l'audace reçoit quantité de dénominations. En effet, avant l'avènement de la modernité, le texte n'était recevable que par le travail du signifié. La recevabilité se propose, aujourd'hui, de le rendre recevable autrement, c'est-à-dire par l'empire des signes. La recevabilité des textes loge désormais dans la sécrétion des pulsions par l'inscription de l'érotique dans le signifiant. L'érotisme désigne donc la part de la littérature amoureuse qui insiste sur les plaisirs de la chair. » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015a : 263)

L'écriture recevable est celle qui est relative à l'expression de l'érotisme. Elle se reconnaît donc par ses marques langagières qui font écho de l'expression des sentiments amoureux qui insistent sur le plaisir sexuel.

I.2.3.5. Le texte transgénérique

Celui-ci, quant à lui, fait penser à celui dont les caractéristiques se présentent dans le passage ci-dessous :

« Par mélange des genres, que l'on nomme aussi `'texte transgénérique'' ou `'cumul des genres'' ou texte limite, on désigne tout texte regorgeant, dans sa trame, d'une rencontre de genres d'autres types de textes qui lui sont différents, de niveaux de langue, de néologismes, etc. [...] Les genres littéraires se mêlent dans une même oeuvre : le roman, par exemple, peut contenir à la fois le conte, le proverbe, la poésie, la comptine, la lettre, le recours incessant aux couleurs locales, etc. Comme on peut le remarquer, le transgénérique réside non seulement dans le mixage de plusieurs genres, oraux ou écrits, discours de toutes sortes dans une oeuvre littéraire écrite, mais aussi dans le foisonnement de plusieurs cultures dans une même culture ou même oeuvre littéraire qui a le statut d'homogénéité reconnu comme tel par l'institution littéraire. » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015a : 326-327)

De ce qui précède, il convient de souligner que l'écriture transgénérique fait penser à l'hybridité générique, c'est-à-dire le mélange de plusieurs genres littéraire dans un seul. Aussi note-t-on qu'il peut s'agir du mélange des cultures ou l'hybridité culturelle, voire de langues.

I.2.4. LA PARENTHÈSE COMME STRATÉGIE D'ÉCRITURE

Étudier la parenthèse comme stratégie d'écriture revient à examiner cette composante typographique comme fondement de l'écriture. Autrement dit, il est question de chercher à saisir la portée organisationnelle du texte engendrée par la parenthèse, de s'imprégner des traits esthétiques que génère la parenthèse. Certes, cette étude se veut donc un examen de la construction, de l'organisation du texte à travers l'un de ses matériaux qu'est la parenthèse. C'est pour souligner que la parenthèse comme stratégie d'écriture s'entend comme l'une des composantes typographiques et énonciatives à travers lesquelles l'instance énonciative rectifie, insère et commente les énoncés qu'elle met en oeuvre. Et ce, pour ériger un texte doté de traits esthétiques postmodernes.

Somme toute, les notions théoriques présentées jusqu'ici permettent de placer cette étude dans le champ de la poétique, voire de la stylistique. tributaires de la ponctuation, ou une de ses composantes. Car la parenthèse touche à la fois aux facettes formelles et matérielles du discours littéraire ainsi qu'à la manière dont le texte est organisé.

I.3. CADRE MÉTHODOLOGIQUE

Cette section présente, premièrement, les techniques qui ont concouru à la récolte des données à analyser, à savoir l'observation et la technique documentaire. Dans la suite, nous montrons que cette étude se fonde sur trois approches dont l'énonciation, la stylistique et la poétique. Leur présentation dans les lignes qui suivent part de l'aspect historique à l'aspect pratique de chacune d'elles en passant par leur caractère définitoire. Et ce, de manière succinte.

I.3.1. LES TECHNIQUES

Les techniques sont des moyens qui permettent de recueillir les données sur terrain. À cet effet, nous nous appuyons sur la technique documentaire et celle d'observation dans la collecte des extraits romanesques et des théories nécessaires à notre interprétation. En effet, au sujet de la technique d'observation, Karl KOGARD (Op.cit. :153-154) stipule que :

« Tout part de l'observation. [...] c'est avant tout de l'examen attentif de la forme du texte que peut se dégager un sens. [...] commencer par l'observation implique que l'on ait à sa disposition un certain nombre de connaissances préalables, linguistiques notamment, qu'il s'agit de mettre à l'épreuve du passage étudié. Cependant, rien de plus dommageable pour le texte que de lui imposer un outillage linguistique, poétique et rhétorique sans l'avoir questionné au préalable. »

C'est pour dire que l'observation est aisée lorsque l'observateur dispose des connaissances préalables pouvant lui permettre de remarquer, reconnaître, mesurer ou évaluer les données textuelles qui se présentent en sa face. La technique documentaire, par contre, nous conduit dans la sélection des documents utiles pour notre recherche. C'est pourquoi :

« Une fois rassemblés, ces différents documents peuvent contribuer [...] à cacher le terrain ou certaines situations et/ou peuvent faire l'objet d'une analyse de contenu [...]. Cette documentation permet d'étoffer les données et de donner de l'air aux perspectives, les `'matériaux [devenant ainsi] très divers, de façon à autoriser une compréhension de l'ordre des choses dans les fouillis du réel ». (Gérard DERÈZE, 2009 : 154)

Il convient de souligner que les documents sélectionnés pour la réalisation de cette recherche ont servi à rassembler les données théoriques de toutes sortes dont ce travail est un réservoir. Pour les interpréter, les approches sont nécessitées.

I.3.2. LES MÉTHODES

I.3.2.1. L'énonciation

Au sujet de cette approche d'inspiration linguistique, Fossion et Laurent (1981 :65) estiment que :

« Depuis les années 60 s'élabore, à la suite du linguiste Émile Benveniste, une linguistique de l'énonciation. Il s'agit d'aborder les actes de parole en tant qu'appropriation de la langue par un individu. Benveniste veut tenter de dépasser la séparation langue/parole en montrant comment la parole est un exercice particulier d'appréhension de la langue par le sujet parlant. »

Il en résulte que l'énonciation doit sa présentation systématique au linguiste français Émile BENVENISTE dans ses Problèmes de linguistique générale. Cependant, les premiers jalons de l'énonciation ont été posés par le russe Mickaïl BAKHTINE vers 1920, soit douze ans avant que Charles BAILLY ne vînt lui proposer sa première définition dans le monde francophone. C'est aussi avec BAILLY et BENVENISTE que l'énonciation a quitté le contexte phrastique vers celui de la profération interlocutoire, vers la subjectivité du langage et la prise en compte des énoncés par leur producteur. C'est ainsi que Benveniste conçoit cette méthode :

« L'acte individuel par lequel on utilise la langue introduit d'abord le locuteur comme paramètre dans les conditions à l'énonciation. Avant l'énonciation, la langue n'est que la possibilité de la langue. Après l'énonciation, la langue est effectuée en une instance de discours, qui émane d'un locuteur, forme sonore qui atteint un auditeur et qui suscite une autre énonciation en retour. En tant que réalisation individuelle, l'énonciation peut se définir par rapport à la langue, comme un procès d'énonciation. Le locuteur s'approprie l'appareil formel de la langue et il énonce sa position de locuteur par des indices spécifiques, d'une part, et au moyen de procédés accessoires, de l'autre.» (Émile Benveniste, 1974 :81-82)

Il y a donc énonciation dès qu'un locuteur ou énonciateur adresse un énoncé (le produit de l'acte d'énonciation) dans des circonstances spatio-temporelles particulières. Le locuteur et l'allocutaire sont appelés des interlocuteurs. Avec les indices de lieu, de temps, et de la subjectivité du locuteur dans ses énoncés, l'énonciation se voit ainsi dotée d'une si noble tâche d'aider à les analyser dans toute forme de production discursive. Autrement dit :

« Les recherches linguistiques qui intègrent la dimension énonciative suivent deux orientations différentes. L'une s'attache avant tout au fonctionnement référentiel des formes linguistiques, notamment des pronoms (deixis et anaphore). L'autre, partant des actes de langage, est représentée par différents courants pragmatiques, notamment la pragmatique cognitive (Sperber & Wilson 1989) et l'approche interactionniste (Kerbrat-Orecchioni 1990-1994). » (Martin Riegel et al., 2016 :971)

Toute énonciation suppose en effet des protagonistes (le locuteur et l'interlocuteur), la situation spatio-temporelle et le cadre environnemental comprenant les objets présents et visibles dans le circuit interlocutif. Cela veut dire que l'énonciation peut s'occuper des indices de l'énonciation, notamment les déictiques ainsi que les modalités d'énoncé et d'énonciation. Elle peut aussi intégrer les actes de langage vus dans leur configuration de la pragmatique cognitive. Sans entrer, en effet, dans le détail des courants de l'énonciation, l'on peut retenir celui qui intéresse cette recherche. Plus précisément :

« Dans l'analyse de textes littéraires, les concepts énonciatifs permettent des analyses des formes langagières et des stratégies littéraires (textuelles) qu'elles réalisent. Ainsi dans l'étude du roman, en particulier contemporain, ils contribuent à rendre compte de phénomènes narratifs tels que les glissements des pronoms personnels et l'imbrication de différents niveaux de récit et différents registres. De la sorte, ils se combinent avec les données de la narratologie. » (Paul ARON et al., Op.cit. :234)

Au fait, scruter les formes langagières et des stratégies littéraires, c'est convoquer les méandres de création littéraire que cherche à appréhender la linguistique de l'énonciation :

« Celle-ci permet donc de cerner le texte comme création : on doit de la sorte cerner les traces du sujet producteur du discours, dans ses formes grammaticales, dans le statut des temps, dans la hiérarchie des dépendances narratives, dans l'insertion et le rapport des interventions des personnages. Sont aussi à considérer sous ce point de vue toute une masse de variations sur les modalités, par les adverbes, ordre des mots, mélodie, l'emploi de certains axiologiques dans le discours ; des valeurs pragmatiques de diverses figures ; l'usage de stratégies argumentatives. [...] La linguistique de l'énonciation forme donc un puissant outil de relativisation en même temps de différentiation dans l'appréciation de la valeur littéraire d'une oeuvre, c'est-à-dire dans sa saisie comme littéraire. » (Georges MOLINIÉ : 1989 : 58-60)

À partir de cette réflexion, l'énonciation permet d'analyser les investissements linguistiques, formels et langagiers mis en forme par la parenthèse. Il s'agit principalement d'étudier les ressources énonciatives que provoque la parenthèse dans l'économie narrative de l'oeuvre en étude. Ce qui ne va pas sans convoquer la stylistique.

I.3.2.2. La stylistique

Elle est issue de la rhétorique. Oswald DUCROT et Tzvetan TODOROV (1972 : 101) estiment d'ailleurs que « la stylistique est l'héritière la plus directe de la rhétorique et ce n'est certainement pas un hasard si elle s'est constituée à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. » Elle comprend plusieurs orientations, car maints auteurs s'y sont intéressés. Parmi ces diverses orientations, retenons d'abord « la stylistique de la langue ou linguistique » de Bally. En effet :

« Ce qui intéresse en effet c'est l'étude des `'faits d'expression du langage organisé au point de vue de leur contenu affectif, c'est-à-dire l'expression des faits de la sensibilité par le langage et l'action des faits de langage sur la sensibilité''. » (Karl COGARD, 2001 :28)

Partant donc de l'idée que le langage exprime la pensée et les sentiments, ce courant considère que l'expression des sentiments constitue l'objet propre de la stylistique. On l'appelle aussi « stylistique de l'expression ». Charles BALLY, pris pour le premier théoricien de la stylistique, en est le représentant. Il a focalisé son attention sur les manifestions linguistiques et langagières dans leur dimension du contenu affectif. En d'autres mots, la stylistique de la langue ou de l'expression se limite à l'étude des faits de langue vus dans leurs facettes intellectuelles et affectives.

La deuxième orientation de la stylistique est celle dite « stylistique de la parole ». Par elle, il convient de noter que « Marouzeau définit la langue comme `'la somme des moyens d'expression dont nous disposons pour mettre en forme l'énoncé, le style comme l'aspect et la qualité qui résultent du choix entre ces moyens d'expression.'' » (Karl COGARD, Op.cit :42) Eu égard à ce passage, la stylistique de la parole s'intéresse à l'infinité des moyens ou des possibilités d'usage de l'expression ou de la parole dont les interlocuteurs usent à chaque prise de parole. Elle décrit systématiquement tous les sons, les classes syntaxiques, les constructions syntaxiques, le lexique, etc. en s'attachant chaque fois à ce qui est extérieur au contenu notionnel.

Le troisième courant de la stylistique est celui de Léo SPITZER. Il considère que « la personne de l'écrivain est bien le principe de cohérence qui commande la mise en forme de l'oeuvre » (DELCROIX, M. & HALLYN, F., 1995 :87). Ce courant dit aussi stylistique de l'individu repose sur la notion d'écart ou déviation qu'est l'écart entre la langue commune et l'usage particulier qu'en font les écrivains.

En quatrième lieu, mentionnons la stylistique structurale qu'est la théorie de Riffaterre qui se centre sur le contexte défini comme étant « la notion clé, qui permet, selon Riffaterre, de déterminer si un fait de la langue incarne aussi un fait de style. (Karl COGARD, Op.cit :63) Ce courant stylistique, quant à lui, s'attache donc à examiner la structure et le contexte pour pallier les obstacles auxquels conduit l'inattention à ces éléments. Ces obstacles sont dits « effets » stylistiques.

La stylistique fonctionnelle, prônée par Roman Jakobson, est la cinquième orientation qui aborde la stylistique d'un point de vue fonctionnel. Ses études reposent donc sur le schéma de la communication linguistique dont les composants sont : l'émetteur, l'allocutaire (récepteur), le contexte, le message, le canal de communication et le code. À ces six éléments constitutifs du procès de communication correspondent six fonctions linguistiques à savoirs les fonctions émotive, conative, référentielle, poétique, phatique et métalinguistique. Au total :

« Les six fonctions ainsi distinguées interviennent rarement de façon isolée. Ainsi, les fonctions phatique et métalinguistique sont souvent liées de façon intime, au moins dans le langage quotidien : l'emploi d'un mot inconnu du destinataire détermine nécessairement une interruption de la communication. Elle est rétablie par un commentaire métalinguistique qui se charge, par surcroît, de la fonction phatique, susceptible d'ailleurs d'être manifestée spécifiquement. » (Michel ARRIVÉ et al., 1986 : 365)

La sémiostylistique, enfin, résulte bien entendu de deux disciplines : la sémiotique et la stylistique. Georges Molinié qui la prône considère que les autres écoles de la stylistique sont dépassées :

« Cette théorie, en cours de constitution, s'apparente à ce que j'ai appelé la sémiotique de second degré, c'est-à-dire l'étude de la représentativité culturelle des systèmes de valeur anthropologique, étude qui s'insère elle-même dans la sémiotique de culture [...] La théorie de la sémiostylistique, déjà amplement développée et exploitée, repose évidemment sur une élaboration qui s'apparente à du bricolage épistémologique : je revendique ce bricolage comme une nécessité scientifique...» (Georges MOLINIÉ, 1998 :5)

La sémiostylistique, tout en mixant deux domaines divers mais mêlés, analyse, comme les autres écoles, les composantes formelles et matérielles de l'art verbal : la littérature. Autrement dit, toute étude stylistique s'attache aux investissements formels du discours. Ceci justifie notre recours à l'approche stylistique pour nos analyses. En effet :

«[...] en stylistique, le texte est appréhendé comme un objet complexe dans lequel forme et sens sont indissolublement liés. Le stylisticien a donc pour tâche de repérer -c'est-à-dire de construire- et d'organiser les faits stylistiques en fonction d'un principe interprétatif de convergence : les divers niveaux de réalisation du texte peuvent concourir à un même effet. Le texte stylistique d'un texte implique donc une analyse grammaticale, linguistique, rhétorique et éventuellement poétique, de celui-ci. » (Nicolas LAURENT, 2005 :8)

On se rend compte que la stylistique est mise en oeuvre pour déterminer les conditions matérielles et formelles de l'art littéraire. En d'autres mots, elle permet de cadrer les composantes textuelles qui fondent le style même de l'auteur. Cela passe par l'analyse des composantes formelles avant de déterminer la portée matérielle qu'elles engendrent et les effets qui en sont tributaires tant sur la réception que sur la création elle-même. Ici, la poétique est sollicitée.

I.3.2.3. La poétique

La poétique est entendue comme ayant trois acceptions différentes. D'abord, elle réfère à l'idée de la science poétique plutôt qu'à la méthode. Ensuite, elle renvoie à la pratique littéraire et enfin à l'ensemble des règles ou lois dont se réclament les mouvements ou les courants littéraires. Elle peut être aussi appréhendée dans ce sens :

« La poétique vient rompre la symétrie ainsi établie entre interprétation et science dans le champ des études littéraires. Par opposition à l'interprétation d'oeuvres particulières, elle ne cherche pas à nommer le sens mais vise la connaissance des lois générales qui président à la naissance de chaque oeuvre. [...] La poétique est donc une approche de la littérature à la fois ``abstraite'' et ``interne''. Ce n'est pas l'oeuvre littéraire elle-même qui est l'objet de la poétique, c'est ce qu'elle interroge, ce sont les propriétés de ce discours particulier qu'est le discours littéraire. Toute oeuvre n'est pas alors considérée comme la manifestation d'une structure abstraite et générale dont elle n'est qu'une des réalisations possibles. C'est en cela que cette science se préoccupe non plus de la littérature réelle, mais de la littérature possible, en d'autres mots, de cette propriété abstraite qui fait la singularité du fait littéraire, la littérarité. » (Tzvetan TODOROV, 1968 : 19-20)

Par cette définition, on considère la poétique comme une approche qui permet de saisir ce qui fait qu'une oeuvre littéraire soit dite littéraire, ce qui a présidé à la construction de l'objet d'art littéraire. Au fait, comme d'autres méthodes, la poétique connaît des approfondissements et élargissements. Cela veut dire que :

« La poétique généralisée devra rompre avec l'universalisme traditionnel de la poétique transcendantale et assumer une tâche nouvelle : décrire la diversité des discours (littéraire, juridique, religieux, scientifique, etc.) et leur articulation aux genres. L'enjeu n'est pas mince car les textes sont configurés par les situations concrètes, auxquelles ils participent ; en outre par la médiation des genres et les discours, ils s'articulent aux pratiques sociales dont les situations d'énonciation et d'interprétation sont des concurrences. » ( François RASTIER, 2001 :227-228)

Dire que les textes - notamment le discours narratif- sont configurés par les situations concrètes auxquelles ils participent, c'est noter que la poétique interroge les propriétés textuelles, littéraires, syntaxiques, etc. formelles et matérielles qui fondent la singularité d'une oeuvre littéraire. Et ici, l'oeuvre prise en considération reste Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA. Notre recours à cette approche permet donc de saisir la parenthèse comme propriété particulière qui fonde la singularité de Allah n'est pas obligé. En d'autres mots, nous cherchons à scruter les trais esthétiques qui fondent l'oeuvre en étude par le biais de la parenthèse.

Somme toute, toutes les trois méthodes s'entrecroisent en ce sens qu'elles appréhendent les propriétés matérielles, formelles, langagières et linguistiques, et donc énonciatives qui président à la composition et à la construction singulière de l'oeuvre en étude. À y regarder de près, cependant, ces trois approches touchent à une dimension de la narratologie, bien que celle-ci ne soit pas développée ici. En effet :

« La narratologie sert de matière à plusieurs méthodes à l'instar de la stylistique, de l'énonciation, de l'argumentation, etc. Et d'ailleurs, appliquer n'importe quelle méthode au texte narratif nécessite absolument le recours à la narratologie. On doit savoir, par exemple, l'instance qui parle dans le récit, de quoi elle parle, ce que disent les personnages, comment se présentent les composantes temporelles et spatiales, etc. avant de déterminer une terminologie appropriée à telle ou telle méthode d'interprétation que le chercheur se propose d'appliquer au discours narratif. » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015a : 4-5)

Ainsi présentées, les approches énonciative, stylistique et poétique sollicitent donc l'appui de la narratologie pour nous permettre à bien analyser les données du texte narratif qu'est Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA.

I.4. PRÉSENTATION DU CORPUS

I.4.1. Kourouma : l'homme et l'oeuvre

Ahmadou KOUROUMA, est né en Côte d'Ivoire en 1927. Son premier roman Les soleils des indépendances (1968), rejeté d'abord par les éditeurs français, reçut au Canada le Prix à la Francité, ce qui lui vaudra la reconnaissance des éditeurs français et lui permettra d'être publié en France par les éditions du Seuil en 1970. Puis il écrivit une pièce de théâtre : Le diseur de vérité (1972). Il reprend sa plume vingt ans après avec Monné outrages et défis (1990). Son troisième roman est En attendant le vote des Bêtes sauvages (1995). En 2000, il publie son quatrième roman Allah n'est pas obligé. La mort l'a frappé en 2003 laissant inachevé le prochain Quand on refuse on dit non (2004).

I.4.2. Contenu sémantique de l'oeuvre

Allah n'est pas obligé est une oeuvre parsemée de nombreuses parenthèses. Sa lecture fait penser que par delà leurs caractéristiques formelles, les parenthèses y assument une fonction majeure, sinon le fondement même de l'écriture qui la cimente. Il en résulte que le scripteur a bâti l'architecture textuelle sur cette stratégie d'écriture qui fait de la parenthèse le matériau sous-tendant la poéticité du roman. Ainsi donc, cette étude s'y attèle pour en expliquer l'opérativité.

I.5. CONCLUSION PARTIELLE

Au bout de ce premier chapitre, qui a porté sur les cadres théorique et méthodologique de notre travail, il importe de rappeler qu'il s'est agi de définir les concepts clés de notre sujet. Nous avons aussi indiqué les approches de lecture sur lesquelles s'appuie ce travail : l'énonciation, la stylistique et la poétique. Enfin avons-nous présenté le corpus dans lequel sont puisées certaines données qui seront plus tard soumises à l'interprétation, ce qui constitue l'objet des chapitres qui suivent.

CHAPITRE II : LES COMPOSANTES DE LA PARENTHÈSE DANS ALLAH N'EST PAS OBLIGÉ

II.1. INTRODUCTION

Le premier chapitre de ce travail a présenté les contours théorique et méthodologique de son sujet ainsi que le corpus. Ce chapitre, quant à lui, va s'atteler sur les leurres et lueurs de la parenthèse dans Allah n'est pas obligé. Il est question, plus précisément, de présenter les manifestations matérielles de la parenthèse à travers la structure syntaxique, le cadre énonciatif du texte, etc.

II.2. LA PARENTHÈSE COMME COMMENTAIRE NARRATIF

Commenter, rappelons-le, c'est formuler une illocution sur une autre en vue d'en faciliter la compréhension. De ce fait, lors des activités énonciatives, le locuteur place un commentaire dans son illocution, selon ses intentions. Dans Allah n'est pas obligé, cela se constate dans l'extrait suivant :

« ...Et deux...Mon école n'est pas arrivée très loin ; j'ai coupé cours élémentaire deux. J'ai quitté le banc parce que tout le monde a dit que l'école ne vaut plus rien, même pas le pet d'une vieille grand-mère. (C'est comme ça on dit en nègre africain indigène quand une chose ne vaut rien. On dit que ça vaut pas le pet d'une vieille grand-mère parce que le pet de la grand-mère foutue et malingre ne fait pas de bruit et ne sent pas très, très mauvais.) L'école ne vaut pas le pet de la grand-mère parce que, même avec la licence de l'université, on n'est pas fichu d'être infirmier ou instituteur dans une des républiques bananières corrompues de l'Afrique francophone. (République bananière signifie apparemment démocratique, en fait régie par des intérêts privés, la corruption.) Mais fréquenter jusqu'à cours élémentaire deux n'est pas forcément autonome et mirifique. » (pp. 9-10)

Il ressort de cet extrait que les énoncés mis entre parenthèses, à savoir les modalités assertives confinées dans « (C'est comme ça en on dit en nègre africain indigène quand une chose ne vaut plus rien. On dit que ça vaut pas le pet d'une vieille grand-mère parce que le pet de la grand-mère foutue et malingre ne fait pas de bruit et ne sent pas très, très mauvais.) » et dans « (République bananière signifie apparemment démocratique, en fait régie par des intérêts privés, la corruption) » constituent des commentaires narratifs. Car le narrateur les formule en vue d'étendre la compréhension des composantes linguistiques « valoir le pet d'une vieille grand-mère » et « république bananière ». Ainsi considérés, ces énoncés constituent des freins de la voix narrative parce qu'en les proférant, le narrateur désigné par les déictiques personnels « mon » et « je » dans les« Mon école n'est pas arrivée très loin ; j'ai coupé cours élémentaire deux. J'ai quitté le banc parce que tout le monde a dit que l'école ne vaut plus rien », abandonne la narration où il est homodiégétique en faveur d'une narration où il s'efface totalement. Le narrateur y véhicule l'explication des sociolectes « Valoir le pet d'une vieille grand-mère » et « république bananière » qui se dégagent de son illocution.

Dans ces conditions, la parenthèse constitue une rupture narrative et génère comme effet stylistique la déviation énonciative. En déviant le fil énonciatif, la parenthèse comme commentaire fait du locuteur « je » une entité (car il raconte sa propre histoire) dotée des capacités interprétatives. En d'autres mots, le commentaire inséré dans les parenthèses constitue une anticipation interprétative ordinairement tributaire des activités de lecture. C'est ce que l'on constate encore dans cet extrait :

« Yacouba blessé, hospitalisé, a été guéri par Allah parce qu'il courbait tous les jours ses cinq prières et égorgeait très souvent plein de sacrifices. (Chez les Africains noirs, c'est quand les sacrifices qu'on fait sont exaucés qu'on a beaucoup de chance.)

De son accident, de son hospitalisation, il tira deux choses. Primo il devint boiteux, on l'appela bandit boiteux. Secundo il tira la pensée que Allah dans sa bonté ne laisse jamais vide une bouche qu'il a créée. » (p.41)

Cette séquence renferme, elle aussi, un commentaire narratif inséré dans les parenthèses à savoir l'énoncé « Chez les Africains noirs, c'est quand les sacrifices qu'on fait sont exaucés qu'on a beaucoup de chance». Celui-ci rompt la linéarité énonciative de l'histoire portant sur les malheurs de Yacouba, en commentant sur les causes de la guérison de ce personnage. Cet énoncé encadré n'est pas indispensable du reste de l'histoire racontée, ce qui veut dire que le commentaire est facultatif. Toutefois, la précision des sources de l'illocution par le locuteur « Je » témoigne de la pratique intertextuelle à laquelle recourt le locuteur pour commenter ses propos. En effet, le  « Chez les Africains indigènes» fait penser au discours préexistant au texte que le locuteur intègre dans le sien en le puisant là. Cette technique ralentit les activités de lecture. À l'ouverture de la parenthèse, l'énonciation est retardée et reprend son fil dès que la parenthèse est refermée. Cet effet de ralentissement de la lecture fait du texte un fil tordu en dents de scie, truffé de pauses, de soupirs, qui, du coup, sont synonymes de la beauté textuelle car le texte impose un rythme à sa lecture.

II.3. LA PARENTHÈSE COMME GLOSE

Allah n'est pas obligé est un texte saturé de gloses. Celles-ci concernent les annotations explicatives des lexèmes par le narrateur au cours de ses activités de narration, ou par le locuteur au cours de ses activités de lecture. En d'autres mots, les gloses sont les illocutions que l'énonciateur formule au sujet des unités lexicales contenues dans ses énoncés. En tant que telles, les gloses jouent donc une fonction explicative ou additive. Ceci se confirme en lisant le passage ci-dessous :

« Le général Baclay était une femme. (On devrait dire générale au féminin. Mais d'après mon Larousse, « générale » est réservé à la femme d'un général et non au général lui-même.) Donc ils nous ont présentés à Onika Baclay Doe. » (p.106)

La lecture de ce passage révèle que l'énonciateur justifie le choix de sa lexie pour l'intimer à l'énonciataire. Cette justification rendue aisée par la parenthèse constitue en quelque sorte une norme imposée au lecteur, à savoir la considération des variations génériques de la lexie « général » dictée par le Larousse. Cet énoncé inséré comporte le modalisateur de doute « on devrait » qui indique que l'énonciateur formule une glose susceptible de générer un débat, lequel est aussi un niveau de décrochage énonciatif tant dans la structure énonciative que pendant la lecture. En effet, à peine qu'il commence à conter le récit du personnage Onika, le locuteur rompt l'illocution pour formuler la remarque normative qui suspend ainsi l'énonciation historique où la glose surgit. Celle-ci place le lecteur dans une attente due à la curiosité de poursuivre le récit du personnage. Ces éléments se rencontrent encore dans l'extrait suivant :

« Il faut expliquer parce que mon blablabla est à lire par toutes sortes de gens : des toubabs (toubab signifie blanc) colons, des noirs indigènes sauvages d'Afrique et des francophones de tout gabarit (gabarit signifie genre). » (p.11)

Cet extrait témoigne de la rupture au sein de l'unité syntaxique rendue par la glose. En effet, cette rupture s'observe, d'une part, dans le syntagme nominal « toubabs colons» où le nom « toubabs » et son épithète « colons » sont distanciés. D'autre part, il y a rupture syntaxique entre la phrase et sa marque finale, qu'est le point. Ceci fonde l'idée que la glose crée une rupture énonciative, outre le retardement des activités de lecture qui en est tributaire. Toujours est-il perceptible que la reprise du sujet de la glose qui est ici le lexème « toubab » pour le premier cas et «gabarit » pour le second, cherche à pallier ladite rupture. Une telle configuration peut être interprétée comme étant une trace de l'insécurité langagière de la part du locuteur. En effet, l'instance énonciative interrompt son énoncé en faveur d'une glose lorsqu'elle lui semble mieux pour se mettre en adéquation avec ses interlocuteurs quant au choix lexical qu'il opère à travers les énoncés insérés, « toubab signifie blanc » et « gabarit signifie genre ». L'énonciateur estime que ses mots sont encombrants de la part de l'énonciataire, ignorés par ce dernier. Il se résout ainsi à rompre, perturber la structure syntaxique en faveur de la glose qui y apporte précision et explication. Au fait, la glose s'appréhende comme une stratégie énonciative de raillerie qui consiste à placer l'interlocuteur et le narrataire sur le terrain de la naïveté interprétative.

Par ailleurs, on peut dire que la glose est une composante facultative car, si elle était supprimée de l'énoncé où elle est insérée, elle pallierait le problème d'alinéarité et accélèrerait la vitesse de la lecture. Cependant, loin d'être considérée comme une activité secondaire, la parenthèse comme glose rentoile le texte, l'étend, contribue à son enregistrement dans le genre autre que celui dont on serait tenté de lui reconnaître. La glose devient donc une base de littérarité, surtout en ce sens qu'en véhiculant les intertextes signalés par les fréquents « D'après mon... », « Signifie.... », elle fait voir que le texte ne se réfère qu'à lui-même. La glose touche ainsi aux composantes du signifiant dont le jeu réside dans le commentaire immobilisant la lecture progressive des investissements linguistiques. Autrement dit :

« Le travail sur le signifiant constitue ici un véritable jeu de mots. Il imprime ainsi une distorsion du matériau linguistique qui permet deux instances. D'un côté, un renouvellement poétique et la formulation d'une lecture attentive et exigeante, de l'autre. » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015b : 233)

La glose permet donc de lire cette oeuvre de Kourouma avec une attention particulière car ses composantes linguistiques se présentent comme expliquées au lecteur, au départ, par le narrateur.

II.4. LA PARENTHÈSE COMME DIGRESSION

 En rappel, la digression est une stratégie narrative qui permet de dilater le récit, de ménager les pauses, de divertir ou d'ironiser ou, enfin, d'insérer un commentaire dans la narration. Autrement dit, c'est ce qui, dans un récit, est hors du principal sujet. Ainsi, des unités discursives qui reviennent à l'appui du récit fictionnel dans cette oeuvre de Kourouma peuvent être lues comme de petites digressions mises entre parenthèses. En voici un cas :

« Pendant que Yacouba alias Tiécoura était à l'hôpital, un de ses amis est venu lui rendre visite. Il s'appelait Sekou Doumbouya. C'était un camarade de groupe d'âge, un camarde d'initiation, donc un très vieil ami. (Dans les villages noirs nègres africains, les enfants sont classés par groupe d'âge.) Sekou est venu lui rendre visite en Mercedes Benz. » (pp.41-42)

En considérant son sujet, cette narration présente le personnage de Yacouba. En son fond surgit une autre voix narrative intradiégétique qui présente un élément de la culture des « Noirs nègres africains » qui classe les enfants selon leur âge. Cette deuxième voix énonciative profère un énoncé digressif car son thème s'écarte de celui au sein duquel il est inséré. Cet écartement se voit aussi à travers les cadres spatio-temporels de ces deux énoncés. En effet, le premier porte sur des faits qui se sont déroulés à l'hôpital et ayant pris fin. Ce qui se justifie par l'usage du tiroir verbal du passé composé dans l'assertion :« Un de ses amis est venu lui rendre visite. », bien que la temporalité et la durée de l'action ne soient pas précises. L'énoncé digressif, lui, reprend des faits vivifiés, qui perdurent, tel qu'en témoigne l'usage du tiroir verbal du présent de vérité générale et/ou d'habitude dans «les enfants sont classés par groupe d'âge ». La digression crée donc une double rupture énonciative du récit : elle installe de nouveaux actants de l'énonciation et un nouveau cadre spatio-temporel du récit digressif. On vient dire que cette voix énonciative recèle sa force dans le niveau intradiégétique :

« C'est pour dire que le niveau intradiégétique désigne une narration mise en charge par un narrateur personnage dans un récit encadré ou abymé. L'histoire qu'il raconte peut avoir comme régimes linguistiques, la première ou la troisième personne, les indices verbaux au passé ou au présent, voire au futur dans une narration homodiégétique ou hétérodiégétique. » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015a : 216)

Cela renforce l'idée que le comportement de la parenthèse face au récit principal est, en outre du statut facultatif, très déviant. À la suite de cet effet stylistique de déviation, il naît l'attente, voire le suspense pendant les activités de lecture. Ceci se lit encore dans l'extrait ci-dessous :

« Comme la loi du coran et de la religion interdit à une musulmane pieuse comme ma maman de vivre un an de douze lunes en dehors d'un mariage scellé avec attachement de cola ( cola signifie graine comestible du colatier, consommée pour ses vertus stimulantes. La cola constitue le cadeau rituel de la société traditionnelle), ma maman a été obligée de parler, de dire ce qu'elle voulait, de choisir. » (pp.29-30)

Il résulte de cette séquence que l'énonciateur, désigné par le déictique personnel « ma », fait irruption dans son énoncé pour apporter un sujet différent du principal. En effet, la modalité assertive confinée dans « La cola constitue le cadeau rituel de la société traditionnelle » est digressive en ce sens qu'elle véhicule un hors sujet par rapport au sujet de l'énoncé où elle est insérée. Les effets de cette digression sont la déviation et l'attente ou le suspense dans lesquels elle plonge le lecteur. Le texte qui en est truffé ne peut être lu qu'avec lenteur, car le lecteur est contraint de suspendre le fil énonciatif en de « petites digressions » sans toutefois le perdre de vue, vu les limites de cette parenthèse que sont les inclinaisons. Elles font donc figure de garde fou de la digression, la restreignent. Bref, dans Allah n'est pas obligé, on peut considérer que la parenthèse fonctionne comme une digression circonscrite, étouffée ou réduite qui ne crée qu'un décrochement énonciatif, une déviation et un certain suspense. C'est ici l'occasion de rappeler, avec Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI (2015a : 89) que la digression est « une sorte de séquence narrative ajoutée à la chronologie logique du récit qui repose sur un thème, un motif étranger à la consécution des faits relatés ». la digression énonciative/narrative suspend ainsi le récit pour installer une stratégie de déroute pragmatique. Déroute parce qu'elle mobilise les ressources cognitives de l'instance de réception dans ses activités de déchiffrement du texte.

II.5. LA PARENTHÈSE COMME SUSPENSION

La suspension concerne la distribution inhabituelle des syntagmes dans l'unité syntaxique. Elle engendre des perturbations dans la succession des groupes fonctionnels. Dans Allah n'est pas obligé, les unités syntaxiques sont segmentées de manière à biffer la contigüité entre les groupes fonctionnels des énoncés. Cette pratique énonciative engendrée par la parenthèse s'observe ci-dessous :

« Balla était le seul Bambara (Bambara signifie celui qui a refusé), le seul cafre du village. Tout le monde le craignait. Il avait le cou, les bras, les cheveux et les poches tout plein de grigris. Aucun villageois ne devait aller chez lui. Mais en réalité tout le monde entrait dans sa case la nuit et même parfois le jour parce qu'il pratiquait la sorcellerie, la médecine traditionnelle, la magie et mille autres pratiques extravagantes (extravagant signifie qui dépasse exagérément la mesure). » (p.16)

En considérant la modalité assertive : « Balla était le seul Bambara, le seul cafre du village », on constate que les groupes fonctionnels attribut et apposition qui caractérisent le sujet « Balla » sont perturbés sur le plan de la succession à cause de l'insertion de la parenthèse « Bambara signifie celui qui a refusé ». Cette perturbation se lit encore dans le changement brusque du tiroir verbal, à savoir le passage de l'imparfait qui situe les faits dans le passé au présent qui les décrit comme si on les vivait. Pareille temporalisation énonciative déborde la conception des plans d'énonciation par Émile Benveniste, où, selon lui, aucun présent n'est disponible dans le récit. Cette double rupture énonciative s'appelle suspension. Celle-ci suspend donc la modalité assertive car elle segmente ses syntagmes en perturbant l'ordre de ses groupes fonctionnels. Cependant, cette stratégie permet au locuteur d'apporter des éléments nécessaires aux groupes fonctionnels entre lesquels elle s'opère, ou du moins à celui qui la déclenche. Ces traces peuvent encore être analysées dans cette séquence :

« Yacouba ne voulait pas le revoir parce que, d'abord, c'était un concurrent et secundo, chaque fois qu'il l'avait revu, c'était pour entendre des malheurs. Sekou marchait comme un herniaire (celui qui a une grosse hernie au cul) tellement, tellement il portait des bourses de diamants et d'or dans le bouffant du pantalon. [...] Un chef de guerre malinké, nommé El Hadji Koroma du Liberia (à ne pas confondre avec Johnny Koroma de Sierra Leone), avait décidé de sauver les Malinkés. Il les regroupait dans les villages de l'est. » (pp.208-209)

Cette séquence fait preuve de la suspension sous couvert des parenthèses. En effet, la modalité déclarative «  Sekou marchait comme un herniaire tellement, tellement il portait des bourses de diamants et d'or dans le bouffant du pantalon », est morcelée par l'insertion des parenthèses telles « celui qui a une grosse hernie au cul ». Elles brisent la contiguïté des groupes fonctionnels comparatif et consécutif qu'elle contient. Les mêmes indications se rencontrent dans l'assertion « Un chef de guerre avait décidé de sauver les Malinkés » où le syntagme nominal « un chef de guerre » se trouve distancié du syntagme verbal « avait décidé de sauver les Malinkés». Passant par le changement des tiroirs verbaux, à savoir le passage du passé au passé segmenté par le présent « celui qui a... », la suspension génère aussi une attente car elle retient le souffle du lecteur par le biais des précisions qu'elle apporte au groupe fonctionnel qui la déclenche. Bref, avec la suspension, le texte est donc truffé d'éléments métatextuels suspendants, au niveau minimal (dans les unités syntaxiques) et maximal (entre les énoncés). Ce qui fait de la parenthèse une stratégie sur laquelle repose l'écriture même de l'oeuvre de Kourouma. Elle touche encore à d'autres investissements énonciatifs.

II.6. LA PARENTHÈSE COMME DÉTACHEMENT

Le phénomène de détachement s'apparente à la position des groupes fonctionnels dans les unités syntaxiques. Il désigne, en effet, des modificateurs du groupe nominal dont ils sont tributaires, voire dépendants. Cela s'explique si nous considérons le passage romanesque suivant :

« Mamadou faisait toujours pipi au lit. Il n'était pas propre ; il était dégueulasse. De gros asticots grouillaient partout sur la natte. (Asticots signifie larves de mouches.) Saydou conçut une idée pour se débarrasser du petit Mamadou. Une nuit, il fit un caca, un gros caca sur la natte du pied du lit et, le matin, soutint mordicus (opiniâtrement, obstinément, sans démordre) que ce n'était pas lui Saydou, que c'était le petit Mamadou qui s'était soulagé. Comme le petit Mamadou était un froussard, un timide, il n' a pas su se défendre. Il s'assit et pleura ; ce fut une preuve ; la preuve que c'était lui qui avait fait le caca. La mère de Saydou, Tania, se fâcha. Pour punir le petit Mamadou, on l'envoya dormir dans la case des boys, avec les boys (les serviteurs). Les boys le mirent au fond de la case, à part. Il continua à faire pipi au lit, continua à vivre au milieu du grouillement des asticots. Le grouillement qui apparaît sous la natte d'un enfant pas propre. » (p.213)

Le narrateur place la parenthèse en détachement du groupe « envoya se coucher ». Ce détachement s'explique par la présence de la virgule, qui indique que le complément de la phrase « avec les boys (les serviteurs) » détaché est facultatif, voire mobile. Dans l'énoncé ci-dessus, ce détachement véhicule la précision qui fait corps avec l'insistance générée par la reprise de l'élément « avec les boys » qui fait corps avec la parenthèse par voie explicative. Le détachement résulte donc des raisons intentionnelles du locuteur. Cette caractéristique se retrouve dans le passage ci-dessous :

« Voilà Manada Bio au Palais le 16 janvier de Lumbey BEACH (c'est la résidence des présidents, des maîtres de Sierra Leone) L'ONU et les États de la CDEAO font pression sur Manada Bio. Ils l'obligent à maintenir le processus électoral du 26 février comme promis par Strasser. Le 28 janvier il entre en discussion avec une délégation de Foday Sankoh. Foday Sankoh ne veut pas d'élections démocratiques. Il n'en veut pas ; pas du tout (il s'en fout, il tient à la région utile de Sierra Leone). (pp.169-170)

De ces lignes, l'on aperçoit que les insertions des parenthèses « c'est la résidence des présidents, des maîtres de Sierra Leone » et « il s'en fout, il tient la région utile de Sierra Leone » sont des unités en adéquation avec les lexèmes « Lumbey Beach » et « pas du tout » qui les déclenchent. Dans le premier cas, le détachement passe par le gallicisme « c'est » qui fait de la parenthèse une composante à effet d'insistance ; alors que dans le « il s'en fout... », le locuteur vise à étendre la causalité de l'indifférence du personnage. En ce sens, la parenthèse comme détachement étend le texte, l'élargit, en souligne les segments capitaux ou les explique facultativement.

Cependant, la facette énonciative du détachement prend plusieurs places à l'intérieur du discours. C'est comme le confirme Maurice DESSAINTES (1971 :350) en stipulant que « sous la poussée du sentiment ou de la conviction, un terme peut être détaché, soit au début, soit à la fin. La phrase conserve son articulation normale. Le terme détaché n'est pas toujours repris par un pronom ». Ce n'est pas malheureusement pas la situation qui se présente dans l'oeuvre en étude. La construction syntaxique reçoit un tel chamboulement énonciatif que plusieurs phénomènes stylistiques, énonciatifs et narratologiques se font montre, comme le soulignent les analyses dans ce présent mémoire.

II.7. LA PARENTHÈSE COMME INCIDENTE

L'incidence, avons-nous dit précédemment, désigne une proposition insérée à l'intérieur ou placée à la fin d'une phrase pour introduire un commentaire sur un discours à l'intérieur de ce dernier. Ceci est une manifestation de la parenthèse dans le passage suivant :

« T'as pas de chance, petit Birahima, tu pourras jamais devenir un bon petit lycaon de la révolution, il faut d'abord tuer de tes propres mains (tu entends, de tes propres mains), tuer un de tes propres parents (père ou mère) et ensuite être initié. » (p.179)

Dans cette séquence, le locuteur insère dans son discours le segment « Tu entends, de tes propres mains» qui constitue une proposition incidente insérée dans les parenthèses. Celle-ci déstructure l'unité syntaxique où elle est insérée. Elle y garde une valeur emphatique et interpellative. Car le locuteur « je » sous-entendu comme interagissant avec le « tu » présent dans l'extrait qui désigne Birahima, est en train de donner des injonctions à son interlocuteur. Cette injonction s'observe à travers le modalisateur « il faut » suivi du verbe « tuer » qui matérialise ce devoir que Tieffi confie à Birahima pour qu'il devienne une des « chiens sauvages » ou lycaons. L'insistance se dégage aussi de l'usage du qualificatif « propres » en antéposition à « mains » pour montrer que la réussite de l'acte de Birahima est conditionnée par son auto-investigation.

II.8. LA PARENTHÈSE COMME INCISE

Les incises se rapportent aux activités dialogales où elles accompagnent la reproduction des paroles ou des pensées des personnages ou du locuteur au discours direct. Ainsi considérée, l'incise comme composante de la parenthèse se dégage de l'extrait suivant :

« Il ne nous a pas laissé aligner les salutations kilométriques que s'alignent les Dioulas, les Mandingos (Comme on le dit en pidgin) lorsqu'ils se rencontrent. » (p.208)

Ce passage renferme un élément qui souligne le contexte d'usage du lexème « Mandingos ». Cet élément considéré comme proposition incise est « Comme on le dit en pidgin ». Elle fait penser aux habituels locuteurs du mot dont se sert Birahima. En tant que tel, l'élément incisé introduit un commentaire sur le texte, une précision. Il rompt la linéarité de la structure syntaxique où il est inséré. Ici, l'effet qui en est tributaire est une précision sur la source de l'énonciation. Quoique les règles de la reproduction des paroles d'autrui ne soient pas respectées ici- les guillemets ou les tirets, les verbes introducteurs, etc.-, on peut penser que le patronage énonciatif reste le « on ». Cet indice devient véritablement flottant. Il peut non seulement renvoyer à « Monsieur -Tout-le -Monde », à « nous », à « ce peuple », mais également au locuteur « je » lui-même, qui refuse la responsabilité énonciative :

« Mais ce `'on'' indique le `'je'' qui efface son identité, car il se trouve inclus dans ce `'tout le monde'' par ce fait d'intemporalité. Cette dimension subjective induit deux sortes de distance : la valeur de `' tout le monde'' accordée à `'on'' lui donne la facture de simulation énonciative, alors que dans sa valeur de `'je'', il témoigne d'une stratégie de tension. C'est l'une des traces même qui valide l'élasticité énonciative de cette unité linguistique. » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2016 : 124)

La question de l'intemporalité loge justement dans la parenthèse saisie comme incise. Elle transparaît dans le « Comme on le dit en pidgin ». Le producteur de cette illocution semble parler au nom de tout le monde dont il fait partie. Car on l'a dit, on le dit, et on continuera de le dire. Le déictique temporel « dit » se coiffe de toutes ces dimensions temporelles. Cependant, ce tiroir du présent dépasse le présent intemporel pour devenir « gnomique ».  « Ce tiroir verbal montre, non seulement que les actions sont contemporaines du moment de la parole, mais encore elles l'étaient, le sont le continueront à l'être » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015a : 136) La parenthèse comme incise peut donc véhiculer la référence du locuteur au cours de ses activités discursives. Toutefois, il convient de noter que la parenthèse comme incise est également une fissuration de la structuration syntaxique dans l'unité syntaxique, voire de la linéarité énonciative. Elle maintient le contact, car le « on » désigne le groupe dont le locuteur parle et fait partie.

II.9. LA PARENTHÈSE COMME APPOSITION EXPLICATIVE

L'apposition, comme dit précédemment, désigne un mot ou groupe de mots placés à côté du nom ou du pronom avec lequel il noue un rapport d'identité référentielle. Ainsi considérées, certaines appositions dans cette oeuvre semblent mises en parenthèses comme en témoignent celles qui suivent :

« Tout ce que je parle et déconne (déconner, c'est faire ou dire des bêtises) et que je bafouillerai, c'est lui qui me l'a enseigné. Il faut toujours remercier l'arbre à karité sous lequel on a ramassé beaucoup de bons fruits pendant la bonne saison. Moi je ne serai jamais ingrat envers Balla. Faforo(sexe de son père) ! Gnamokodé(bâtard) ! » (p.16)

Les énoncés mis entre parenthèses dans cet extrait sont de deux ordres : d'abord le « déconner, c'est faire ou dire des bêtises » qui relève de la fonction explicative ; puis les jurons « sexe de son père » et « bâtard » qui se présentent comme traduisant le lexèmes « faforo » et « gnamokodé ». Ceux-ci jouent la fonction appositive en ce qu'ils sont directement joints à ces lexèmes, sans verbe intermédiaire ou introductif. Ces parenthèses que nous qualifions d'appositives apportent une information référentielle identique à celle véhiculée par les lexèmes qui les font naître. Pour bien se la faire voir, il importe de supprimer les parenthèses et ne rester qu'avec les énoncés du genre « Faforo, sexe de son père !» ou encore « Gnamokodé, bâtard ! ». Ces jurons jetés à la fin du passage précédent corroborent également la subjectivité énonciative. Car ils traduisent des modalités exclamatives qui font preuve de l'indifférence dans laquelle se sent plongé Birahima. Étant des illocutions dues à ce sentiment d'indifférence que ressent le narrateur, ils créent de même une rupture énonciative. Car ils font voguer le fil énonciatif vers un deuxième niveau où l'intrusion de l'instance énonciative est synonyme de ces subjectivèmes de l'énonciateur. Encore trouve-t-on une parenthèse apposée dans l'extrait ci-dessous :

« À Noël 1989 , dans la nuit, ils attendirent que tous les gardes-frontières du poste de Boutoro (ville frontalière) soient ivres morts, tous cuits, pour les attaquer. » (p.104)

Il revient à considérer que le segment mis entre parenthèses « ville frontalière » est apposé au nom «Boutoro » car ils sont en relation d'identité référentielle. Cette parenthèse, contrairement à celles que nous avons dégagées des jurons ci-dessus, véhicule les informations locatives sur le nom auquel elle est apposée. Vu sa présence brusque dans l'unité syntaxique, ou du moins l'énoncé, elle est à la base de la rupture de la linéarité et traduit la subjectivité de l'énonciateur soucieux d'apporter une information métadiscursive sur son illocution.

Par ailleurs, bien que les structures linguistiques prennent la dimension d'apposition à travers le fonctionnement énonciatif de la parenthèse, rien ne peut rassurer à l'instance réceptrice que « Faforo » désigne le « sexe de son père »,  Gnamokodé « bâtard », si elle n'est pas de la même communauté linguistique que le lecteur. Il en est de même pour « Boutoro » qui traduit dans l'univers de la fiction en étude ici, cette « ville frontalière », si le récepteur n'habite pas le même site que celui du narrateur. Tout au plus, cette valeur de la parenthèse est-elle dictée par le narrateur, et l'instance de réception y croit, car le narrateur reste le principal organisateur de toutes les matières narratives.

II.9. LA PARENTHÈSE COMME MÉTADISCOURS RECTIFICATIF OU AUTOCORRECTIF

Le métadiscours correctif ou rectificatif vise l'ajustement du dire d'un locuteur par lui-même au cours de sa production des illocutions. Ce texte de Kourouma regorge de telles configurations énonciatives et stylistiques :

« Les enfants-soldats étaient en colère, rouges de colère. (On ne doit pas dire pour des nègres rouges de colère. Les nègres ne deviennent pas rouges : ils refrognent.) Donc les smal-soldiers s'étaient renfrognés ; ils pleuraient de rage. » (pp. 56-57)

Dans ce passage, on aperçoit que la parenthèse constitue un métadiscours rectificatif du parler. En effet, le « on ne doit pas dire » fait figure d'une modalité injonctive, car le locuteur profère une défense à l'interlocuteur au sujet de la façon de parler. En tant que matériaux du texte, les métadiscours rectificatifs ou correctifs restreignent l'activité critique du texte sur le plan sémantique. Car après avoir défini la contextualité des constituants encombrants de son discours, le locuteur limite l'effort interprétatif des lexies textuelles pour le lecteur. Du côté du texte, on peut estimer que cette autocorrection ou rectification découd, elle aussi, le texte dans sa linéarité. En tant qu'adresse au destinataire, elle crée l'effet stylistique de « mise en description », car le locuteur offre à l'allocutaire une réflexion via laquelle il l'interpelle à la partager en refusant d'adopter la lexie « rougir de colère » pour adopter celle de « renfrogner » qu'il estime convenable. C'est ce que l'on appelle, en stylistique des figures de style, l' « épanorthose ». celle-ci désigne une « figure de correction qui consiste à reprendre un terme pour le corriger, le préciser ou [le] développer » (Frédéric Calas, 2013 : 272). La parenthèse comme rectification se rencontre encore dans cet extrait :

« Me voilà présenté en six points en os avec en plume ma façon incorrecte et insolente de parler. (Ce n'est pas en plume qu'il faut dire, mais en prime. Il faut expliquer en plume aux nègres noirs africains indigènes qui ne comprennent rien à rien. D'après Larousse, en prime signifie ce qu'on dit en plus, en rab.) » (p.12)

Il résulte de cet extrait que le locuteur désigné par le « je » opère lui-même l'adéquation du dire en rejetant le « dire en plume » pour considérer le « dire en prime ». Il occupe un statut autoritaire car la parenthèse qu'il insère dans sa narration laisse sous-entendre qu'il maîtrise toute chose. Le fait de se poser comme incontestable se trouve encore renforcé par l'argument d'autorité que constituent ses références dictionnairiques. Car en se plantant devant la strate narrataire prédéfinie dans l'histoire, Birahima ne peut qu'être agréé comme tel grâce à la suprématie qu'il s'arroge au cours de sa narration à travers la parenthèse.

II.10. LA PARENTHÈSE COMME RÉPÉTITION

La répétition fait penser aux différents procédés qui consistent en une reprise totale ou partielle des fragments d'énoncés. En stylistique, ce sont des figures de style qui participent de la construction des énoncés. La parenthèse rencontre ces figures de répétition telle l'anaphore car, pour en sortir, l'énonciateur ne saurait se passer de la reprise dont l'anaphore est une indiscutable représentante. En effet :

« La cohésion du texte repose en partie sur la répétition. Divers éléments linguistiques y contribuent ; les groupes nominaux en particulier, assurent, par leur articulation et leurs relations au fil du texte, la reprise et la continuité de l'information. La notion d'anaphore permet de décrire cet aspect de l'organisation du texte. L'anaphore se définit traditionnellement comme toute reprise d'un élément antérieur dans un texte. » (Martin RIEGEL et al., Op.cit :1029)

L'anaphore suppose une interprétation référentielle d'une expression qui dépend nécessairement d'une autre expression qui figure dans le contexte antérieur. Ceci se rapproche de la relation qui s'établit entre la parenthèse et son déclencheur. Car l'aspect répétitif est par ailleurs la caractéristique principale d'une insertion de la parenthèse. Étant donné que l'anaphore renvoie toujours à un élément antérieur du texte, la parenthèse peut être considérée comme une diversité anaphorique : elle aussi n'a de référent que son déclencheur toujours antérieur à elle. Ceci peut être explicité en lisant l'extrait du roman ci-dessous :

Le foyer fumait ou tisonnait. (Tisonner, c'est remuer les tisons d'un feu pour l'attiser.) Autour du foyer, des canaris. (Canaris signifie, d'après Inventaire des particularités lexicales, vase en terre cuite de fabrication artisanale.) Encore des canaris, toujours des canaris pleins de décoctions. (Décoctions, c'est la solution obtenue par l'action de l'eau bouillante sur des plantes.)Des décoctions pour laver l'ulcère de maman. » (p.15)

La répétition a l'air de dominer l'aspect stylistique de cet extrait. Elle se lit dans l'anaphore (car les reprises présentes entre parenthèse notamment «Tisonner, c'est remuer les tisons d'un feu pour l'attiser. », « Canaris signifie, d'après Inventaire des particularités lexicales, vase en terre cuite de fabrication artisanale. » et « Décoctions, c'est la solution obtenue par l'action de l'eau bouillante sur des plantes »), sont fondées sur la reprise d'un élément du discours du locuteur précédemment présenté. C'est notamment les lexèmes `'tisonnait'', `'canaris'', `'décoctions'' qui sont pères des insertions des parenthèses présentes dans l'extrait.

Leur reprise dans et par les parenthèses constitue, non seulement une rupture du cours normal du déploiement énonciatif, mais aussi une distanciation du locuteur qui le met de côté en faveur des métadiscours explicatifs. Aussi s'agit-il d'une instanciation de l'allocutaire qui, étant le destinataire de ces énoncés, est interpellé, prié de saisir ces lexèmes dans la seule dimension sémantique que leur attribue le locuteur. En tant que procédé de répétition, la parenthèse génère donc des effets d'insistance et fonde ainsi une écriture d'interpellation de l'instance réceptrice contrainte de s'enregistrer dans la voie et le mode de réception de l'oeuvre voulus par son producteur. Ces manifestations de la parenthèse comme répétition se relisent dans cet extrait :

« La vieille, devant l'accumulation des preuves, a fait makou, bouche bée. Et puis elle a reconnu, elle fut confondue. Elle avoua. (Avouer se trouve dans mon Larousse. Il signifie dire de sa propre bouche que les faits incriminés sont vrais). La vieille qui avoua s'appelait Jeanne. Elle et trois de ses adjointes furent conduites sous bonne escorte en prison. Là, le colonel Papa le bon allait les désensorceler. (Désensorceler, c'est délivrer de l'ensorcellement.) Walahé ! (au nom d'Allah) ! Faforo ! » (p.66)

Ce passage abrite, lui aussi, deux insertions des parenthèses énonciatives qui font explicitement figure de la répétition. En effet, les énoncés « avouer se trouve dans mon Larousse » et « Désensorceler, c'est délivrer de l'ensorcèlement » constituent d'abord des gloses en ce sens qu'ils reformulent des explications sur les lexèmes déclencheurs des parenthèses qui sont « avouer » et « désensorceler ». L'énoncé assertif « elle avoua » et la parenthèse qu'elle génère se trouvent liés par la reprise du segment que le locuteur considère comme étant le noyau de sa discursivité. Ainsi comprise, la répétition qui, dans la plupart des cas, s'observe dans le processus d'ouverture-fermeture des parenthèses dans tout ce texte de Kourouma, fonctionne à double tranchant. D'une part, elle est une rupture de la linéarité », au départ née de l'ouverture d'une parenthèse en cherchant ainsi à retordre le fil textuel linéairement. D'autre part, elle fait du texte une ondulation, une mosaïque de va-et-vient à travers le caractère insérant, dans les parenthèses, de leurs déclencheurs, et le caractère répétitif de mêmes segments dès que l'insertion parenthétique est close. Loin d'être un phénomène énonciatif des redites, la répétition participe de l'étrangeté du discours littéraire Allah n'est pas obligé. Normalement :

« Ce dépassement des constructions des énoncés littéraires confère non seulement à l'oeuvre [...] une sorte de rupture d'avec le commun des mortels, avec ``monsieur-Tout-le -Monde'', mais aussi de facettes esthétiques dont la manifestation formelle reste sans pareil. » Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015b : 221-222).

De ce fait, la parenthèse comme répétition est une forte mise en relief du caractère linguistique dont le texte se veut vecteur : l'insécurité langagière du narrateur qui veut oser son génie en malinkéisant le français. La répétition engendre aussi l'interpellation de l'instance lectrice dont le narrateur sollicite une lecture retardée et attentive par ce va-et-vient intronisé par la parenthèse.

II.11. LA PARENTHÈSE COMME MÉTALANGAGE ET MÉTADISCOURS

Perçue comme métalangage et métadiscours, la parenthèse mêle deux niveaux énonciatifs. Car l'énonciation principale ressort du niveau assertif alors que la parenthèse est tributaire du niveau méta-énonciatif ou métalangagier appelé narratologiquement parlant '' niveau métanarratif''. Ses composantes, bien qu'appartenant au locuteur, instancient la distance que ce dernier affiche vis-à-vis de ses illocutions. Cela s'illustre dès lors que Birahima installe une parenthèse dans ses activités de narration pour commenter, corriger, parler de son histoire. Il importe de constater qu'en tant que marqueur énonciatif, la parenthèse devient donc un outil d'ajustement du langage par le locuteur. Elle se revêt certes de diverses fonctions énonciatives : autocorrection, commentaire, digression, etc. Ce qui fait que toutes ses composantes sont considérés comme des métalangages du discours sur lui-même. Ce qui s'élucide dans ce passage :

« Nous (c'est-à-dire le bandit boiteux, le multiplicateur de billets de banque, le féticheur musulman, et moi, Birahima, l'enfant de la rue, sans peur ni reproche, the small-soldier), nous allions vers le sud quand nous avons rencontré notre ami Sekou, le paquet à la tête, qui montait du sud vers le nord. » (p.131)

Dans ce passage, le locuteur désigné par l'indice personnel « Nous » apporte un métalangage en précisant les composantes de ce « nous » qui réfère au groupe dont il fait partie. Les autres marques de sa présence sont le « moi » et le « notre » qui sont tous employés par référence au « je » qui parle. Passant par la particule explicative « c'est-à-dire », le métalangage est aussi une composante qui déchire la linéarité du fil textuel. Car il est sollicité et mis en oeuvre selon l'intention du narrateur sans espace réservé à l'unité syntaxique ou à l'énoncé. L'effet de précision, d'explicitation est celui qui le caractérise dans l'extrait ci-dessus. Il peut aussi être retrouvé dans cet autre passage :

« Le spectacle était si désolant que le colonel Papa le bon en a pleuré à chaudes larmes. (Désolant signifie ce qui apporte des grandes douleurs. Mon Larousse.) Mais il fallait voir un ouya-ouya comme le colonel Papa le bon pleurer à chaudes larmes. Ça aussi c'était un spectacle qui valait le déplacement. (Ouya-ouya, c'est un désordre, un vagabond d'après Inventaire). (p.81)

Dans cette séquence extraite de l'oeuvre sous examen, la parenthèse métalinguistique « Ouya-ouya, c'est un désordre, un vagabond d'après Inventaire » intervient loin de son déclencheur : «ouya-ouya». Cela confirme l'idée hautement évoquée que le métalangage n'a pas de position prédéfinie dans la phrase, dans l'énoncé. Jeté comme pour conjurer les difficultés de lecture, le métalangage constitue ici un mouvement rétrospectif du locuteur sur son dire. Fréquemment vue chez Birahima quand il ajuste son langage en cours de production en recourant à l'explication lexicale de ses lexies, la parenthèse comme métalangage provoque également la rupture énonciative parce que l'énonciateur, dans les énoncés encadrés, compromet la suite des faits énoncés en faveur de ses empreintes identitaires. Mais la subjectivité de l'énonciateur dans ses énoncés, rendue par la métalangue, ne véhicule pas seulement les empreintes identitaires de l'instance émettrice, mais aussi elle est une stratégie d'intimation de réception des énoncés. Ce qui rejoint ce qu'affirme Franck NEVEU (2011 :227-228) au sujet du métadiscours :

« Le terme de métadiscours sert à désigner l'ensemble des faits relatifs à la réflexivité langagière susceptible d'être à l'oeuvre dans un discours (gloses, reformulations, paraphrases, deixis discursive, etc.), l'énonciateur prenant l'énonciation comme objet de discours( métaénonciation) pour l'évaluer, la confirmer, l'ajuster, la corriger, la désigner, etc. »

Se fondant sur Inventaire des particularités lexicales, comme pour installer la fonction d'attestation et la modalité de croyance ou épistémique, le locuteur ajuste, pour ainsi dire, ses propres illocutions. C'est la facture de la subjectivité langagière que le narrateur plaque à ses propos. Au fait, «les modalités épistémiques [...] marquent l'expression d'une croyance ou d'une opinion, elles portent sur la vérité subjective. » (Franck NEVEU, Op.cit. : 233).En fait, dire que « d'après Inventaire » la parenthèse mise en exergue désigne telle propriété sémantique, c'est lui affecter un tel degré de croyance que la vérité linguistique mise en place reste incontournable. Donc telle vérité provient de la source des illocutions confinées dans la référence que le locuteur institue.

II.12. CONCLUSION PARTIELLE

Ce chapitre a analysé les composantes de la parenthèse au sein de Allah n'est pas obligé. Il a révélé que la parenthèse rompt l'architecture syntaxique de l'oeuvre, crée le décrochage énonciatif en installant des niveaux énonciatifs différents dans le déploiement narratif. Elle génère un suspense, une interpellation de l'instance réceptrice et une insistance à travers son caractère immuable de répétition des segments qui l'engendrent. Il nous reste à chercher à nous imprégner de sa participation de l'écriture du roman kouroumien.

CHAPITRE III. LA PARENTHÈSE COMME STRATÉGIE D'ÉCRITURE DANS ALLAH N'EST PAS OBLIGÉ

III.1. INTRODUCTION

Le deuxième chapitre vient de montrer que la parenthèse dans Allah n'est pas obligé fonctionne à travers les composantes énonciatives et stylistiques qui engendrent la rupture de la linéarité du texte tout en assurant un retour à l'énonciation. Dans ces conditions, la parenthèse engendre des turbulences syntaxiques et énonciatives qui traduisent l'esthétisation de la parenthèse comme technique d'écriture. C'est l'objet du présent chapitre. Il s'agit, précisément, d'examiner les incidences de création littéraire dans l'oeuvre sous examen qu'engendre le fonctionnement des parenthèses.

III.2. LE SCRIPTIBLE COMME EFFET DE LA PARENTHÈSE

Le scriptible, rappelons-le, repose sur le postulat de la primauté de la matérialité du texte sur son message. En d'autres termes, l'écriture scriptible oppose une résistance formelle au lecteur et l'invite à interroger le signifiant. Entendue de cette manière, la parenthèse touche à la dimension de la forme en sollicitant la participation du lecteur. D'où sa manifestation de cet extrait :

« ...Et trois...suis insolent, incorrect comme barbe d'un bouc et parle comme salopard. Je ne dis pas comme les nègres noirs africains indigènes bien cravatés : merde ! putain ! salaud ! J'emploie les mots malinkés comme faforo ! (Faforo ! signifie sexe de mon père ou du père ou de ton père.) Comme gnamokodé !(Gnamokodé ! signifie bâtard ou bâtardise.) Comme Walahé !(Walahé ! signifie Au nom d'Allah.) Les malinkés, c'est ma race à moi. C'est la sorte de nègres noirs africains indigènes qui sont nombreux au nord de la Côte-D'ivoire, en Guinée et dans d'autres républiques bananières et foutues comme Gambie, Sierra Leone et Sénégal là-bas, etc. » (p. 10)

Dans cet extrait, l'esthétisation du scriptible ressort du fait que le texte est truffé de métatextes qui compromettent le signifié, notamment à la suite de l'irruption de l'énonciateur dans ses énoncés. C'est pourquoi, dans l'énoncé : « J'emploie les mots comme faforo ! (Faforo !signifie sexe de mon père ou de ton père ou du père.», l'énonciateur met en oeuvre la parenthèse en plein cours de ses activités d'énonciation. Ladite parenthèse rompt celles-ci en faveur des jugements ou des points de vue personnels sur tel ou tel autre segment du texte. En ce sens, l'instance énonciative construit un récit dont la forme arrête le regard du lecteur de par même les mots étrangers à la langue française couronnant la parenthèse.

Encore constate-t-on que l'emploi de différentes modalités pourtant constitutives d'une même unité syntaxique compromet lui aussi la lisibilité du texte. En effet, les « J'emploie les mots comme faforo ! » ; « Comme gnamokodé ! » et « Comme Walahé ! » sont des modalités exclamatives qui traduisent l'indifférence du scripteur dans ses choix lexicaux. Jointes aux contenus des parenthèses qu'elles introduisent, ces modalités exclamatives sont constitutives des unités syntaxiques si complexes en leur sein à cause des parenthèses qu'elles contiennent des éléments formels importants. Dans ces conditions, ces parenthèses déclenchent des difficultés de lecture qui sollicitent l'apport du lecteur pour en constituer un réseau de signifiants. Ce qui impose pareille stratégie exprimée dans la réflexion suivante :

« Le lecteur se trouve de cette manière pleinement associé à la construction du texte dont il a à mettre au jour les relations internes et l'unité propre, en dehors de toute référence à un ordre ou à une réalité extérieurs. Il est invité à participer activement au montage des différents plans du texte... » (Philippe SABOT, 2010 : 2017)

Un autre niveau d'esthétisation du texte de Kourouma mobilisant la participation du lecteur passe par l'autoréférence. En effet, la figure narrative de Allah n'est pas obligé semble vouloir faire aboutir un projet d' (in)formation du lectorat et s'appui sur la procédure de référence. Ainsi elle fait passer ses illocutions référentielles par des parenthèses, lesquelles créent une illusion de la réalité en évoquant les quatre Dictionnaires de Birahima. Pourtant, le texte littéraire n'a de référent que lui-même. Ainsi, nous pouvons considérer que la parenthèse fonde une écriture du texte qui se réfère à lui-même, qui se cite. Cette autoréférence montre que le texte met en scène sa propre problématique de création que tente de diluer la parenthèse. Ceci peut se justifier par la séquence ci-dessous :

« Suis pas chic et mignon parce que suis poursuivi par les gnamas de plusieurs personnes. (Gnama est un gros mot nègre noir africain indigène qu'il faut expliquer aux Français blancs. Il signifie, d'après Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire, l'ombre qui reste après le décès d'un individu. L'ombre qui devient une force immanente mauvaise qui suit l'auteur de celui qui a tué une personne innocente.) Et moi j'ai tué beaucoup d'innocents au Liberia et en Sierra Leone où j'ai fait la guerre tribale, où j'ai été enfant-soldat, où je me suis bien drogué aux drogues dures. Je suis poursuivi par les gnamas, donc tout se gâte chez moi et avec moi. Gnamokodé (bâtardise) ! Me voilà présenté en six points pas un de plus en chair et en os avec en plume ma façon incorrecte et insolente de parler. (Ce n'est pas en plume qu'il faut dire mais en prime. Il faut expliquer en prime aux nègres noirs africains indigènes qui ne comprennent rien à rien. D'après Larousse, en prime signifie ce qu'on dit en plus, en rab.) » (p.12)

À travers ce passage, on remarque que le texte est construit de manière à se référer à lui-même pour se faire lire. Cela passe par les marques linguistiques d'explication : « qui signifie » et de référence : « d'après », qui semblent indiquer que l'énonciateur cite un texte hors du narré, pour postuler qu'il s'agit d'une intertextualité. Mais vu que les dictionnaires cités sont ceux de Birahima, ceux de la fiction et non donc des reproductions fidèles, voire partielles des théories préexistantes, les parenthèses deviennent des références du texte au sein de lui-même. Ce sont des reflets de la fiction sur elle-même. En d'autres termes, les quatre dictionnaires dont Birahima se sert pour commenter, expliquer, voire corriger son langage ne sont pas entendus comme ayant préexisté à la composition de Allah n'est pas obligé, mais comme des matériaux de la fiction. Il s'agit des Larousse, Robert, etc. de Birahima et non de ceux que l'on peut trouver en dehors du texte. Ce qui fait de cette autoréférence un des éléments qui participent de la mise en oeuvre d'une stratégie d'esthétique scriptible issue de la parenthèse. Avec le scriptible :

« Le commentaire, fondé sur l'affirmation du pluriel, ne peut donc travailler dans le `'respect'' du texte : le texte tuteur sera sans cesse brisé, interrompu. Sans aucun égard pour ses divisions naturelles (syntaxiques, rhétoriques, anecdotiques) ; l'inventaire, l'explication et la digression pourront s'installer au coeur du suspense, séparer même le verbe et son complément, le nom et son attribut. Le travail du documentaire, dès lors qu'il se soustrait à toute idéologie de la totalité, consiste précisément à malmener le texte, à lui couper la parole. Cependant, ce qui est nié, ce n'est pas la qualité du texte (ici incomparable), c'est son `'naturel'' ; » (Roland BARTHES, 1970 :19)

Le travail sur le signifiant qu'engendrent les facettes de la parenthèse engage donc le commentaire, l'explication, la digression, etc. pour « malmener » le signifié cher à la littérature lisible. Quant à la pratique intertextuelle proprement dite, elle peut être étudiée comme un deuxième effet d'esthétisation de la parenthèse comme stratégie d'écriture dans cette oeuvre.

III.3. L'INTERTEXTUALITÉ COMME EFFET DE LA PARENTHÈSE

L'intertextualité concerne les relations qu'un texte entretient avec un ou plusieurs autres textes par voie de citations, d'allusion ou de référence. De ce fait, tout texte peut se lire comme l'intégration et la transformation d'autres textes. Cela étant, il importe de constater que la parenthèse est un vecteur de ces relations intertextuelles dans Allah n'est pas obligé. Ceci se confirme en lisant l'extrait suivant :

« Sekou avait été obligé de quitter Abidjan et d'abandonner sa Mercedes et tous ses biens à cause d'une sombre affaire de multiplication de billets comme Yacouba (sombre affaire signifie déplorable, lamentable affaire, d'après le Petit Robert). Dès que nous nous sommes assis dans la case, Sekou, par une prestidigation de maître, a sorti de la manche de son boubou un poulet blanc. Yacouba a crié son émerveillement. Moi j'ai été pris par un effroi (effroi signifie frayeur mêlée d'horreur qui saisit, d'après le Petit Robert). Sekou nous a recommandé beaucoup de sacrifices, des durs sacrifices. Nous avons tué deux moutons et deux poulets dans un cimetière. Le poulet qu'il avait sorti de sa manche et un autre. » (p.48)

Dans cet extrait, nous constatons que le narrateur recourt à la parenthèse pour fournir des explications sémantiques. En effet, le « sombre affaire signifie déplorable, lamentable affaire, d'après le Petit Robert» et le « effroi signifie frayeur mêlée d'horreur qui saisit, d'après le Petit Robert» sont des énoncés explicatifs des lexèmes contenus dans les illocutions traduisant les parenthèses. Cette explication s'appuie sur le « Petit Robert ». Ce qui montre que le narrateur cite ou reprend des composantes linguistiques préexistant à la mise en oeuvre du discours textuel qu'il construit. La parenthèse est donc citative, car le connecteur référentiel « d'après », utilisé dans la parenthèse, justifie la stratégie autrement dit : «une telle reproduction est un interdiscours vu que le texte intègre un autre. [...] Et ici l'instance énonciative se dédouble. Citer est, en fait, synonyme de culture. » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015b :246)

Dans ces conditions, le texte est une condensation d'autres textes. Ce qui vient montrer que la parenthèse fait de Allah n'est pas obligé un réservoir de segments textuels offerts à la lecture. Encore ces insertions créent-elles la rupture car, d'un côté, elles ne sont pas régies par le tiroir verbal du récit qui les héberge, celui-ci étant au passé alors que le cadre temporel des insertions est présent. D'un autre côté, elles rompent, elles aussi, la linéarité de l'énoncé en faveur de la référence, trace intertextuelle qui impose un rythme de lecture à son lecteur. Car ce lui-ci ne s'arrête pas au simple constat que le texte entre en relation avec les autre textes, mais il pense cette parenthèse comme outil de compréhension du texte qu'elle complète ou modifie. L'effet d'interpellation résulte donc de cette pratique intertextuelle, à côté de l'insistance naissant de la reprise du segment textuel dans l'intertexte comme pour le « effroi signifie... » où le narrateur reprend le mot «effroi » duquel naît l'intertexte de la parenthèse.

L'autre impact de l'intertexte sur le texte est la résonnance. Le fragment référentiel crée des échos sur le texte au cours des activités de lecture. Car le texte est construit de manière à se faire approfondir. D'abord, par la première voix interprétative qu'est le narrataire, ensuite par la voix du lecteur. Ces manifestations sont présentes dans cet autre passage :

« Après, il annonça ce que ça allait entreprendre. Walahé ! Rechercher le sorcier mangeur d'âmes. Le mangeur d'âmes qui avait bouffé le soldat-enfant, le capitaine Kid, djoko-djoko. (Djoko-djoko signifie de toute manière d'après Inventaire des particularités.) Ça allait le débusquer sous n'importe quelle forme ça se cachait. Ça allait danser toute la nuit et, s'il le fallait, une journée entière encore. Ça n'arrêtera tant qu'il ne l'aura pas trouvé. Tant que ça n'aura pas été totalement confondu. (Confondu signifie, d'après Larousse, que le sorcier reconnaît par sa propre bouche son forfait). (p.64)

Cette séquence présente des marques intertextuelles en passant par les parenthèses. En effet, les assertions «Djoko-signifie de toute manière d'après Inventaire des particularités » et « Confondu signifie, d'après Larousse, que le sorcier reconnaît par sa propre bouche son forfait », témoignent de la pratique intertextuelle. Les titres d'ouvrages cités, bien que propres à la fiction, engendrent l'illusion fictionnelle de la réalité. Car l'intertexte fait penser au texte ayant préexisté à la composition de l'oeuvre. L'intertextualité se lit ici comme une injonction au lecteur car, même peu indispensable au texte, elle montre que le narrateur canalise la lecture du texte, la restreint aux seules précisions qu'il véhicule. Loin d'ennuyer le lecteur, pareille stratégie pallie en quelque sorte le retardement narratif que les limites de la parenthèse provoquent.

III. 4. LE TRANSGÉNÉRIQUE COMME EFFET DE LA PARENTHÈSE

Évoquer une écriture transgénérique, c'est repenser le texte comme étant le résultat du mélange de plusieurs genres, de plusieurs cultures. Cela s'appelle également une hybridatité générique ou encore cumul des genres. Kourouma fait preuve de cette pratique scripturaire à travers les parenthèses. On le voit à travers cette séquence :

« Faforo (bangala du père) ! Nous étions maintenant, nous étions à présent bien loin de Zorzor, loin de la forteresse du colonel Papa le bon. Le soleil avait bondi comme une sauterelle et commençait à monter doni-doni.(Doni-doni signifie petit à petit d'après Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire.) Nous devions faire attention. » (pp.83-84)

Avec cet extrait, on remarque que la narrateur provoque un écueil de lecture à travers le mélange des langues à savoir le malinké dans « faforo », « bangala » et « doni-doni » auxquels sont jointes les unités linguistiques du français. Cette hybridité linguistique ou encore hétérolinguisme est l'une des traces de l'esthétique postmoderne dite transgénérique. La langue en tant que vecteur de la culture, fait de cet hétérolinguisme la fondation de la diversité culturelle, que la parenthèse « Doni-doni signifie... » vient légitimer pour diluer les effets nés de ce cumul de langues. À travers ce mélange de langues dans ce texte de Kourouma, le narrateur montre que le français ne suffit pas, à lui seul, pour cerner l'univers des personnages, et en même temps celui des consommateurs de sa narration. Il recourt ainsi aux autres langues, qu'il explique à travers ses dictionnaires, eux-mêmes traces de la diversité culturelle. En tant qu'indice de l'esthétique postmoderne, la parenthèse devient alors une stratégie d'écriture transgressive. Car le narrateur y décide d''abandonner le fil narratif pour justifier ses choix lexicaux, syntaxiques, etc. en empruntant les outils de l'univers normatif que sont les dictionnaires, textes appartenant à un genre autre que le narratif.

Avec cet aspect, l'écriture de Allah n'est pas obligé se place au centre d'un vaste champ linguistique complexe. Elle ne se fait pas en « une langue », ni ne véhicule « une culture » mais en « des langues » et est un espace culturel diversifié que le narrateur mobilise pour s'adresser à son narrataire à travers les parenthèses. Ici, l'écriture se présente comme consciente de sa réception. C'est ce qui ressort encore de cet extrait :

« Ça portait sur la sorcellerie, les méfaits de la sorcellerie. Ça portait sur la trahison, sur les fautes des autres chefs de guerre : Johnson, Koroma, Robert Sikié, Samuel Doe. Ça portait sur le martyre que subissait le peuple libérien chez ULIMO (United Liberian Movement of Liberia), Mouvement uni de libération pour le Liberia, chez le LPC (Le Liberian Peace Concul) et chez NPFL-Koroma. » (p.72)

Cet extrait fait transparaître deux configurations linguistiques différentes à savoir l'anglais et le français. Il fait aussi penser à la culture langagière abréviative qui est synonyme d'une diversité culturelle de l'usage de l'outil linguistique. Pareille configuration laisse entendre que la parenthèse est un vecteur des variantes intentionnelles du narrateur soucieux de s'adresser à un monde de narrataires diversifiés. En corrélation avec l'écriture, l'on peut donc dire que le scripteur veut diversifier son lectorat, ce qui fait de la parenthèse une stratégie d'écriture consciente de sa réception.

III.5. LE FRAGMENTAIRE COMME EFFET DE LA PARENTHÈSE

L'écriture fragmentaire caractérise un texte qui affiche une incapacité à se faire délimiter. En d'autres mots, le texte est dit fragmentaire lorsqu'il n'a pas d'extrêmes : le début et la fin. Il repose sur l'inachèvement, l'incomplétude. Pour scruter les indices de cette esthétisation dans Allah n'est pas obligé, il importe d'abord de considérer son aspect paratextuel, notamment son titre. Celui-ci présente le caractère de troncation et signale ainsi le parti pris du narrateur. En effet, le « Allah n'est pas obligé » est une partie du titre même de ce roman, qui est en vérité Allah n'est pas obligé d'être juste dans toutes ses choses ici-bas . (pp. 9 et 224)

De ce fait, on constate que l'élément titrologique n'apparaît pas sous sa forme finale ; il est inachevé, fragmenté. En tant que première structure énonciative, le titre imprime une connexion entre lui et les composantes textuelles. Celles-ci sont, comme on vient de le constater dans les analyses précédentes, fragmentées par les parenthèses. Cette fragmentation résulte du fait que l'énonciateur rejette explicitement la ligne droite de la prose continue dans sa narration, faisant ainsi écho de l'esthétisation postmoderne pour laquelle la linéarité énonciative étouffe la création. Cette esthétisation titrologique qui se révèle aux première et dernière pages du texte dans ce roman fonde une écriture à structure narrative en boucle ou circulaire. Car le roman finit tel qu'il commence. Elle crée la résonnance comme effet majeur. Par cette résonnance du texte, il faut entendre que la lecture n'est pas orientée vers la « sortie » comme le supposerait la ligne droite, mais elle constitue un approfondissement vers le centre du texte qui, du coup, tourne alors en spirale à travers les va-et-vient précédemment évoqués comme effets de la parenthèse.

C'est pourquoi, au coeur de l'esthétique dans ce roman de Kourouma apparaît cette forme particulière d'écriture qui rompt avec la linéarité du récit classique. Cette écriture participe sans doute d'un travail d'invention opéré sur le langage du texte. Ce travail se matérialise par les parenthèses présentes dans Allah n'est pas obligé. Elles peuvent être considérées comme des fragments textuels dont le sens ne peut se construire qu'au moyen de la lecture qu'on en fait. Ces fragments matérialisent ainsi l'écriture fragmentaire où le texte dispose de deux modalités d'existence à savoir l'histoire sur laquelle elle se tisse et les commentaires qui la corroborent. Cette stratégie d'écriture peut s'éclaircir bien plus en considérant l'extrait ci-dessous :

« Les organisations non gouvernementales vinrent affluer (affluer, c'est se porter en foule vers ; c'est arriver en grand nombre) tant de manchots aux manches courtes et longues. Elles paniquèrent et firent pression su Manada Bio. (Paniquer, d'après le Petit Robert, c'est être pris de peur, d'angoisse.) Manada Bio s'agite, veut négocier ; il lui faut une personne que Foday Sankoh puisse écouter. Une personne dont l'autorité morale est reconnue par tout le monde. Il va frapper à la porte du sage de l'Afrique noire de Yamoussoukro. Ce sage s'appelle Houphouët-Boigny. C'est un dictateur ; un respectable vieillard blanchi et roussi d'abord par la corruption, ensuite par l'âge et beaucoup de sagesse. Houphouët envoie gnona-gnona son ministre des Affaires étrangères Amara cueillir Foday Sankoh dans son maquis (maquis signifie lieu peu accessible où se groupent les résistants), dans la forêt tropicale, impénétrable et sauvage. » (p.171)

Cet extrait peut être lu comme un réservoir des fragments textuels car, d'une part, la coupure, la violence le heurtent. Cela se constate dans les modalités assertives : « Les organisations non gouvernementales vinrent affluer (affluer, c'est e porter en foule vers ; c'est arriver en grand nombre) tant de manchots aux manches courtes et longues», où la parenthèse interrompt l'unité syntaxique en faveur des précisions sémantiques qu'elle apporte sur le verbe « affluer » en le distanciant de son complément. La brisure le heurte encore au niveau du changement brusque du tiroir verbal dans un énoncé centré sur un seul sujet, à savoir le passage du passé simple : « vinrent, paniquèrent » au présent « Manada Bio s'agite, veut négocier ; il lui faut une personne que Foday Sankoh puisse écouter » alors que cette deuxième assertion relate des faits consécutifs à ceux de deux premières modalités assertives écrites au passé simple. Ce changement brusque du temps du récit dans une même structure énonciative est une trace qui sape les deux plans d'énonciation d'inspiration benvenitienne. « C'est-à-dire que ce présent historique, qui équivaut au passé simple, matérialise une astuce de la langue, pour rendre le récit vivant. Il rend vivantes les actions énonciatives » (Laurent MUSABIMANA NGAYABAREZI, 2015b : 149). Le roman en étude conjugue plusieurs traces verbales qui brisent ledit plan. Tantôt le narrateur recourt, dans le récit, au présent, au passé composé, à l'imparfait, au passé simple.

D'autre part, la rupture textuelle affecte la progression des énoncés rompus par les parenthèses à des niveaux différents à savoir le niveau intrasyntagmatique. On le voit dans « Les organisations non gouvernementales vinrent affluer (affluer, c'est e porter en foule vers ; c'est arriver en grand nombre) tant de manchots aux manches courtes et longues». Ici, la parenthèse éclate en deux les constituants du syntagme verbal « affluer tant de manchots ». Le niveau intersyntagmatique illustré par le « Houphouët envoie gnona-gnona son ministre des Affaires étrangères Amara cueillir Foday Sankoh dans son maquis (maquis signifie lieu peu accessible où se groupent les résistants), dans la forêt tropicale, impénétrable et sauvage» reçoit une insertion entre deux syntagmes fonctionnels ; ainsi que le niveau interphrastique où l'insertion de la parenthèse est jetée en fin de phrase. Ceci fait de la parenthèse une figure maîtresse des ruptures énonciatives dans ce texte de Kourouma qui se présente alors comme déstructuré, tordu en ligne brisée. Vu sa fréquence, la parenthèse génère l'inconfort, l'astabilité, le choc, la déchirure textuels. Mais cela n'est pas synonyme de l'absence du sens du texte, c'est par contre la stratégie de creuser la possibilité des sens car en y recourant, le narrateur sollicite du lecteur l'enjeu de la consommation de la forme qui résiste à sa logique de la pensée. Le texte devient ainsi une moule à remplir. Ce qui s'explique par le fait que certaines parenthèses ne sont pas ponctuées- à l'instar de la première introduite par le verbe « affluer ». le lecteur peut ainsi compléter, ajouter, renforcer, suppléer, torturer, etc. à sa guise la parenthèse. Il peut lui ajouter, comme le narrataire, d'autres illocutions selon ses convenances personnelles. La parenthèse constitue donc le morcellement du texte.

Somme toute, l'écriture fragmentaire vécue dans Allah n'est pas obligé fonde une esthétique de la dislocation sociale qu'est le sujet même de l'histoire racontée. Le texte est inachevé en sens que la parenthèse, même répondant à une question d'ordre lexico-sémantique, comme c'est souvent le cas ici, constitue une non-réponse car l'émiettement du texte en fragments textuels se pose comme directeur de la lecture à y apporter, alors que celle-ci ne peut aucunement être dictée. Cela porte à dire que les parenthèses sont des trous, des zones d'ombre, des questions que le narrateur crée en ses illocutions en se posant comme la première voix interprétative de son texte, alors que ses commentaires- comme ses illocutions narratoriales- sont, aux yeux du lecteur, des segments dont il faut reconstruire le sens au cours des activités de lecture.

III.6. CONCLUSION PARTIELLE

Ce chapitre a porté sur les facettes de la parenthèse considérée comme stratégie d'écriture, c'est-à-dire comme participant créatif de la matérialité du texte. Il a été question de montrer qu'en tant que telle, la parenthèse participe de la création littéraire dans Allah n'est pas obligé à travers ses différentes esthétisations qui génèrent les effets de l'écriture dont ce texte se réclame, à savoir le scriptible, le fragmentaire, le transgénérique et l'intertextualité.

CONCLUSION GÉNÉRALE

Au terme de notre étude sur « La parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA », il sied de préciser que notre finalité était de scruter les manifestations de la parenthèse en tant que stratégie d'écriture qui participe de la création littéraire de cette oeuvre. Cet objectif découle des questions de la problématique suivantes : Comment la parenthèse comme stratégie d'écriture se présente-t-elle dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA ? Comment s'articulent les composantes de cette stratégie d'écriture dans l'oeuvre en étude ? Quelles sont les manifestations des esthétiques littéraires engendrées par la parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA ?

Les réponses provisoires formulées aux questions suggérées par la problématique sont les suivantes : la parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé se présenterait comme les manifestations énonciatives et typographiques par lesquelles l'instance d'énonciation procède à l'insertion, à la rectification et au commentaire de ses propos. Les composantes de cette stratégie d'écriture dans l'oeuvre en étude s'articuleraient comme une métatextualité ou une métadiscursivité, dont les effets seraient la rupture de la linéarité discursive et la connivence énonciative. Les manifestations des esthétiques littéraires engendrées par la parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou KOUROUMA seraient le scriptible, la transgénéricité et le fragmentaire.

Cette tâche a conduit à opter pour une chapitration en trois moments. Le premier intitulé « cadre conceptuel et méthodologique» a permis d'inscrire cette recherche au croisement du champ de l'énonciation, de la stylistique et de la poétique. Il a montré que la parenthèse désigne une des stratégies énonciatives, typographiques, stylistiques, permettant plusieurs facettes d'insertions énonciatives. Ces derniers jouent sur la composante formelle et sur la texturalité, en engendrant des ruptures énonciatives complexes et puissantes. Ce chapitre a, en outre, présenté la méthodologie assignée à cette étude. Les méthodes ont examiné en commun les propriétés textuelles, matérielles, énonciatives engendrées par les parenthèses comme éléments d'élaboration singulière du discours littéraire qu'est Allah n'est pas obligé de Kourouma. Cette singularité du texte narratif de Kourouma se remarque dans les deuxième et troisième chapitres.

Le deuxième moment de ce travail a montré que la parenthèse crée un décrochage syntaxique et énonciatif dans la structure organisationnelle du texte. Cette procédure scripturaire assoit ainsi la subjectivité du narrateur dans les énoncés et le changement de niveaux énonciatifs chez lui. Il se dote en même temps du rôle narratif et métanarratif. C'est ainsi que la parenthèse s'analyse comme l'un des matériaux de construction du discours narratif kouroumien avec comme facettes plusieurs ingrédients formels. Lesdits ingrédients prennent la facture de métadiscours, de rectification, d'épanorthose, d'incidente, d'incise, et beaucoup d'autres insertions textuelles provoquant le jeu sur la matérialité du texte.

Le troisième moment, quant à lui, a porté sur les facettes de la parenthèse considérée come stratégie d'écriture, c'est-à-dire comme participant à l'esthétisation du texte. Il a été question de montrer qu'en tant que telle, la parenthèse participe de la création littéraire dans Allah n'est pas obligé à travers les différentes esthétiques littéraires. C'est notamment le scriptible, le fragmentaire, le transgénérique et l'intertextualité. Ces esthétiques permettent de classer Allah n'est pas obligé dans les productions littéraires postmodernes. Loin de paraître comme un signe de ponctuation secondaire, la parenthèse, à travers les traits esthétiques qu'elle engendre, permet à l'oeuvre analysée ici, de postuler la participation du lecteur à son engendrement. L'oeuvre se dédouble : en effet, grâce à la parenthèse, les sens du lecteur sont mobilisés à l'égard du morcellement narratif et de la rupture énonciative que la parenthèse imprime à Allah n'est pas obligé.

À la suite de ce qui vient d'être dit, il est temps de dire que nos hypothèses sont confirmées. Car la structuration de ce roman repose sur les insertions des parenthèses qui, le long du fil narratif, installent la rupture syntaxico-énonciative dès qu'elles sont patronnées par l'instance énonciative. Elles appellent les effets divers dont l'insistance née de leur caractère répétitif et la résonance du texte sur lui-même. Cette double incidence des parenthèses sur le texte fait de celui-ci un réservoir de métatextes, de métalangages, des commentaires explicatifs, référentiels ou correctifs qui le segmentent à tous les niveaux, du syntagme au texte en entier en passant par les énoncés considérés comme tels. Cela permet d'enregistrer Allah n'est pas obligé dans les textes scriptible, fragmentaire, intertextualisé et transgénérique qui font écho de l'esthétique postmoderne dont le fondement majeur est le rejet de la structure linéaire du texte et surtout le rejet de la lecture oisive par le lecteur. De la sorte, l'objectif assigné à cette recherche est atteint. Car les analyses ont prouvé que la parenthèse constitue l'une des stratégies d'écriture dans Allah n'est pas obligé de Kourouma. Pareilles stratégies classent cette oeuvre comme figurant parmi les textes littéraires postmodernes.

Sans prétendre que nous avons épuisé toutes les manifestations de la parenthèse comme stratégie d'écriture dans Allah n'est pas obligé de Ahmadou Kourouma, nous nous contentons d'inviter les recherches ultérieures à s'intéresser à la question énumérative ou arithmétique.

BIBLIOGRAPHIE

a. Ouvrage de base

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MUSABIMANA NGAYABAREZI, L., « Les stratégies de débrayage comme écriture de la dissimulation chez Pie Tshibanda Wamuela » in L'écriture comme dissimulation dans les littératures contemporaines, française et francophone (fin du XXe et XXIe siècles), Alger-Bouzaréah, ENS de Bouzaréah, 2016, pp. 119-139.

e. Mémoires de licence

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f. Webographie

https://sortiedelaconfusion.wordpress.com; consulté le 08 aout 2017.

http://questionsdecommunication.revues.org, consulté le 07 août 2017.

TABLE DES MATIÈRES

ÉPIGRAPHE i

DÉDICACE ii

REMERCIEMENTS iii

INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

1. CADRE ET CHOIX DU SUJET 1

2. PROBLÉMATIQUE 1

3. OBJECTIF DU TRAVAIL 2

4. HYPOTHÈSES DU TRAVAIL 2

5. INTÉRÊT DU SUJET 2

6. ÉTAT DE LA QUESTION 3

7. MÉTHODOLOGIE 5

8. SUBDIVISION DU TRAVAIL 6

9. DIFFICULTÉS RENCONTRÉES 6

CHAPITRE I. CADRE CONCEPTUEL ET MÉTHODOLOGIQUE 7

I.1. INTRODUCTION 7

I.2. CADRE CONCEPTUEL 7

I.2.1. LA PARENTHÈSE 7

I.2.1.1. La suspension 9

I.2.1.2. Le commentaire narratif 9

I.2.1.3. La glose 10

I.2.1.4. L'intertexte 10

I.2.1.5. Le métatexte 11

I.2.1.6. Le métalangage 12

I.2.1.7. Le métadiscours 12

I.2.1.8. L'incise. 13

I.2.1.9. La digression 13

I.2.1.10. L'autocorrection 14

I.2.1.11. L'explication 14

I.2.1.12. L'apposition 15

I.2.1.13. La rectification 16

I.2.1.14. La répétition 16

I.2.1.15. Le détachement 17

1.2.1. 16. La ponctuation 18

I.2.2. LA STRATÉGIE 18

I.2.3. L'ÉCRITURE 19

I.2.3.1. Le texte lisible 20

I.2.3.2. Le texte scriptible 20

I.2.3.3. Le texte fragmentaire 21

I.2.3.4. Le texte recevable 21

Au sujet de l'écriture dite recevable, il est à noter que : 21

I.2.3.5. Le texte transgénérique 22

I.2.4. LA PARENTHÈSE COMME STRATÉGIE D'ÉCRITURE 23

I.3. CADRE MÉTHODOLOGIQUE 23

I.3.1. LES TECHNIQUES 24

I.3.2. LES MÉTHODES 25

I.3.2.1. L'énonciation 25

I.3.2.2. La stylistique 28

I.3.2.3. La poétique 31

I.4. PRÉSENTATION DU CORPUS 33

I.4.1. Kourouma : l'homme et l'oeuvre 33

I.4.2. Contenu sémantique de l'oeuvre 34

I.5. CONCLUSION PARTIELLE 34

CHAPITRE II : LES COMPOSANTES DE LA PARENTHÈSE DANS ALLAH N'EST PAS OBLIGÉ 35

II.1. INTRODUCTION 35

II.2. LA PARENTHÈSE COMME COMMENTAIRE NARRATIF 35

II.3. LA PARENTHÈSE COMME GLOSE 37

II.4. LA PARENTHÈSE COMME DIGRESSION 40

II.5. LA PARENTHÈSE COMME SUSPENSION 42

II.6. LA PARENTHÈSE COMME DÉTACHEMENT 44

II.7. LA PARENTHÈSE COMME INCIDENTE 46

II.8. LA PARENTHÈSE COMME INCISE 47

II.9. LA PARENTHÈSE COMME APPOSITION EXPLICATIVE 48

II.9. LA PARENTHÈSE COMME MÉTADISCOURS RECTIFICATIF OU AUTOCORRECTIF 50

II.10. LA PARENTHÈSE COMME RÉPÉTITION 52

II.11. LA PARENTHÈSE COMME MÉTALANGAGE ET MÉTADISCOURS 55

II.12. CONCLUSION PARTIELLE 57

CHAPITRE III. LA PARENTHÈSE COMME STRATÉGIE D'ÉCRITURE DANS ALLAH N'EST PAS OBLIGÉ 58

III.1. INTRODUCTION 58

III.2. LE SCRIPTIBLE COMME EFFET DE LA PARENTHÈSE 58

III.3. L'INTERTEXTUALITÉ COMME EFFET DE LA PARENTHÈSE 62

III. 4. LE TRANSGÉNÉRIQUE COMME EFFET DE LA PARENTHÈSE 64

III.5. LE FRAGMENTAIRE COMME EFFET DE LA PARENTHÈSE 66

III.6. CONCLUSION PARTIELLE 70

CONCLUSION GÉNÉRALE 71

BIBLIOGRAPHIE 74

TABLE DES MATIÈRES 77






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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore