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Les passerelles entre économie solidaire et économie collaboratve


par Eugenie Lobe
Conservatoire national des arts et métiers  - Master Sciences humaines et sociales 2017
  

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Partie 2 : L'économie collaborative

Dans la Partie 1, nous avons observé que l'économie solidaire vise à démocratiser l'économie sur la base de l'engagement citoyen. Elle se distingue, d'une part, par un mode de gouvernance privilégiant une organisation horizontale sur le modèle « 1 homme = 1 voix » et, d'autre part, par des formes économiques fondées sur une hybridation des ressources prouvant ainsi sa vitalité.

Dans le sillon de l'économie solidaire, l'économie collaborative a connu un essor fulgurant au cours de ces dernières années dû à la démocratisation d'Internet, des terminaux numériques et de l'évolution des modes de consommation. Cependant, est-elle une simple variable d'ajustement de l'économie de marché qui lui permet une adéquation demande/offre en temps réel ? Ou son projet sociétal, fort de ses valeurs solidaires, lui permettrait-elle de faire face à la crise structurelle que nous traversons actuellement ?

Cette deuxième partie se subdivise également en trois axes : une relecture de l'économie collaborative à travers, notamment, la question de « commun » chère à Elinor Ostrom ; les sources d'inspiration et les défis auxquels elle est confrontée ; enfin, la proposition d'une grille de lecture énumérant les principes qui la caractérisent.

II.1 Economie collaborative et commun

II.1.a Prise de conscience de l'aspect limité des ressources

En 1968, le socio-biologiste Garrett Hardin, dans son article intitulé « la tragédie des communs »26The tragedy of the commons »), explique comment « le libre usage des communs conduit à la ruine de tous », en prenant en exemple l'usage abusif des pâturages communaux par les bergers. Le parallèle entre le modèle évoqué

26 Dans « Science », le 13 décembre 1968.

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par Hardin et le modèle de développement libéral est inévitable, et l'article soulève une vive polémique.

Cette vision est complètement remise en cause par Elinor Ostrom dans sa théorie des biens communs, publiée dans Understanding Knowledge as a Commons27, ouvrage pour lequel elle reçoit en 2009 le prix Nobel d'économie. Concevant les communs, non seulement comme une ressource disponible et épuisable à l'instar de Garett Hardin, elle corrèle son existence à celle d'une communauté capable de l'administrer et en assurer la pérennité. A travers cela, se décline une pluralité de droit de propriété autour duquel s'articule également un droit d'accès à la ressource, le droit d'usage.

Le commun, selon Elinor Ostrom, est avant tout une ressource partagée, matérielle comme immatérielle autour de laquelle sont définis l'exercice de droits et obligations, et un mode de gouvernance. En cela le commun n'est pas une négation de la propriété, mais plutôt une redéfinition de celle-ci. Elle semble s'être inspiré, dans sa démarche, de l'économiste américain Paul Samuelson, qui sépare les biens privatifs des biens collectifs, non exclusifs (on ne peut exclure un individu de l'usage de ce bien) et non rivaux (la consommation du bien par un individu ne limite pas sa consommation du bien par un autre), l'air et les océans par exemple.28

Elinor Ostrom va développer l'idée d'un faisceau de droits de propriété allant du niveau le plus bas, celui qui autorise un droit d'accès au pôle commun de ressources, au niveau supérieur qui confère un droit de gestion (management), d'exclusion (droit d'exclure) et d'aliénation (droit de cession ou de vente). La définition d'Ostrom,ici explicitée par Benjamin Coriat, suivant laquelle un commun est «un ensemble de ressources collectivement gouvernées, au moyen d'une structure de gouvernance assurant une distribution des droits entre les partenaires participant au commun (commoners) et visant à l'exploitation ordonnée de la ressource, permettant sa reproduction à long terme»29 (Coriat, 2014) fait largement consensus dans le milieu académique, en dépit du fait qu'elle n'aborde que très peu la question du rôle des

27Understanding Knowledge as a Common, Elinor Ostrom et Charlotte Hess, MIT Press, 2006.

28 Benjamin Coriat, Le retour des communs, LLL, 2015

29 Elinor Ostrom, Understanding Knowledge as a Commons, MIT Press , 2006

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logiques de pouvoir dans son approche du faisceau de droits de propriétés, et de la gestion du conflit.

Car des enjeux relatifs à la répartition des pouvoirs et des rapports de force sont susceptibles de se dessiner et nécessite la mise en place d'un jeu de compromis, au sein du groupe, condition sine qua non à toute bonne auto-gouvernance. Or l'idée même de hiérarchisation des droits pose la question du pouvoir et des positions sociales, et donc de stratégies de conflictualité. Une dimension que n'a pas développée Elinor Ostrom, et qui pose question tant au niveau des communs qu'à celui de l'économie collaborative.

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