CONCLUSION
En s'appuyant sur leur légitimité croissante, les
structures de l'économie collaborative peuvent, à travers
l'économie solidaire, inventer des solutions d'autorégulation aux
problématiques sociétales qui relevaient jusqu'ici de
l'intervention centralisée de l'Etat : transition écologique et
alimentation responsable, crise du système agro-alimentaire,
régulation du système de transport de personnes, crise du
logement...
Ces défis sociétaux pourraient trouver des
réponses, ou dans une moindre mesure des propositions alternatives,
grâce à `action transversale d' initiatives de l'économie
solidaire et collaborative. Leur extension sur le territoire numérique,
lieux d'expression de la société civile et de réinvention
de la solidarité, à travers des outils et pratiques innovantes,
entraine un changement d'échelle dans la portée que ces
initiatives peuvent avoir.
Un encastrement du politique dans l'économique est
cependant un préalable indispensable, car la société
civile subit un phénomène d'acculturation de la
société de marché, prolongement d'une économie de
marché largement dominante.
Glissement entre société civile et
société de marché
On assiste à un retour du travail à la tâche,
porteur d'insécurité pour les travailleurs dans l'économie
collaborative, suivant un modèle où l'exécutant est
sollicité pour une tâche ponctuelle et n'est
rémunéré que pour celle-ci, avec peu ou pas de saisie
à l'impôt, avec des conséquences sur le système de
production.
Le modèle Uber génère de nombreuses
frustrations auprés de la masse de chauffeurs auto-entrepreneurs qui
compose sa flotte informelle. L'absence de réelle système
redistributif équitable empêche la plupart d'entre eux de vivre
dignement de leur activité professionnelle, les plongeant dans une
précarité à la fois économique et sociale. De plus
en plus de politiques osent, face à cette captation de la valeur, poser
certaines régulations afin de préserver les secteurs
d'activité impactés par une concurrence frisant avec la
déloyauté. C'est le cas du maire de
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Londres qui a interdit, sous la pression de syndicats de
chauffeurs, d'exercer sa licence à Londres.
Mais ces nouveaux modèles ont apporté à la
fois des changements dans les modes de pensée, de consommation, de
production, mais aussi dans l'organisation du travail.
Alors que le XXe siècle a entrainé
l'avènement du salariat, généralisant l'idée d'un
travail avec des revenus réguliers, et offrant aux entreprises une
main-d'oeuvre stable et expérimentée, et à l'Etat des
ressources fiscales lui permettant d'équilibrer le système social
, le XXIé siècle, après plusieurs décennies de
choâge de masse et de crises successives a remis en cause ce
système. On assiste, ainsi, à la précarisation du
salariat.
L'émergence du modèle colaboratif s'appuie sur deux
mouvements simultannées permettant la rencontre de l'offre et la demande
au moment le plus opportun : la crise de 2008 et la
généralisation à la même période de
l'utilisation de smartphones et d'applications.
Il faut rappeler, par ailleurs, que la motivation
financière est la première raison avancée pour justifier
son achat dans la consommation collaborative. On assiste à
l'avènement d'une société du client, au détriment
de l'entrepreneur indépendant sur lequel s'opère la variable
d'ajustement.
Entre le XIXe et le XXIe siècle, on
retrouve les mêmes problématiques de travail à la
tâche et de précarisation, et les mêmes solutions (De
Bonnard et Bauwens).
Des solutions dans la dynamique
réciprocitaire
La théorie de la commune sociétaire de De Bonnard
rejoint celle du capital distributif de Bauwens : « La plus-value est
une capacité productive obtenue du fait du travail et rendant
copropriétaires les salariés. »71
Les initiatives collaboratives les plus solidaires sont
finalement celles qui placent la dynamique réciprocitaire au coeur de
leur modèle de développement économique. D'une part, une
hybridation des ressources leur permet à la fois de
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gagner en pérennité en réduisant les risques
de déséquilibre financier. Mais surtout, la dimension politique
est omniprésente dans l'économie non monétaire de
l'économie réciprocitaire face à un système de plus
en plus financiarisé et coupé des réalités
immédiates des territoires locaux.
Le caractère subversif et militant dé
l'économie non-monétaire et réciprocitaire n'est pas sans
rappeler celui du le peer-to-peer à ses débuts, a
été au début, dans les années 2000 (pas
d'échanges d'argent, liberté totale...). Le danger de
récupération du potentiel de transformation sociétal de
l'économie collaborative et solidaire ne se trouve pas tant dans une
possible acculturration que dans sa dépolitisation, qui permetrait une
complète neutralisation de sa subversion et capacité de
changement sociétal.
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