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Les archives de famille entre cinéma et histoire


par Jean-René Garandet
Université de Lille - Master 1ère année en à‰tudes Cinématographiques et Archives 2022
  

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Master 1ère année en Études Cinématographiques et Archives. Parcours Lille -Udine. Année 2021-2022.

Les images d'archives de famille entre cinéma et Histoire.

L'étude archéologique de l'avènement de la raconteuse dans la pratique média-photographique

de famille.

Par GARANDET Jean-René.

Direction de mémoire par Monsieur Arnoldy Édouard en qualité de professeur de l'Université de Lille.

Puis, cela va paraître peu académique, mais j'aimerais remercier la personne qui m'a transmis ce goût si je puis dire de la transmission de l'anecdote de famille, ainsi

REMERCIEMENTS.

Ce mémoire est l'aboutissement d'un travail de recherche qui m'a emmené vers des contrées théoriques et pluridisciplinaires riches d'enseignements. Il m'a fallu, à cet effet, prendre appui sur le travail des chercheurs et chercheuses, que je remercie aujourd'hui à travers cet écrit. Tout d'abord, mon directeur de recherche, Monsieur Arnoldy Édouard. Celui-ci, m'a en effet guidé vers les différents domaines de lectures d'une histoire qui m'était jusqu'à ce jour insoupçonnée. Celle concernant un cinéma qui permet une approche différente du monde et de ces individus. Il faut sans cesse douter, pour avancer sans idées préconçues, quant à la nature de son objet de recherche. Il m'a transmis ce goût de l'archive et d'une histoire qu'il faut sans cesse interroger. Ses écrits ont été par ailleurs d'une aide précieuse. Mon entretien avec Madame Gignac Mélissa, qui quant à elle m'a permis d'entrevoir des chemins qui, sur le long terme de ma recherche, s'avéreraient sinueux, et qui m'a conseillé de les éviter afin de rester dans une démarche concrète. Il y a eu également des éclaircies, je pense notamment à Monsieur Walbrou Sonny, m'envoyant un lien présentant un travail inédit sur les archives de famille. Je ne peux faire l'impasse sur les conseils de Madame Sfez Géraldine et son travail sur la représentation de l'image de famille idéalisée. Les cours d'écriture de Madame Martin Jessie qui m'ont permis d'élaborer une méthodologie d'analyse en regard de ces films, malheureusement encore trop méconnus pour un plus large public de spectateur. Ma rencontre avec la cinéaste Madame Casagrande Giulia, dont l'humilité ainsi que la générosité à partager de son expérience du cinéma et à m'accorder un temps précieux à échanger autour de son film, qui demeure à mon sens, une découverte inoubliable pour le monde du cinéma contemporain. Puis, Madame Pavy Nicole, qui m'accorda son temps, partageant autour d'un thé savoureux, ses anecdotes de familles. Je tiens également à remercier Mr Dorchain Jean-Paul et Mme Tucci Ariana ainsi que la Cinematek Royale de Belgique, pour leur enseignement ainsi que leur bienveillance tout du long de cette année. Mr Pigaglio Pierre du centre des archives départementales du nord, pour sa disponibilité et la découverte du fonds Pavy-Delangle.

que de l'importance de rester fidèle à cette tradition du racontage, Madame Garandet Josiane, ma maman. Enfin, ce mémoire est en hommage à Karl Eschborn, notre cousin de Heidesheim am Rhein, petit village à l'époque, situé en Rhénanie-Palatinat. Il était un tout jeune adolescent âgé d'une quinzaine d'années, lorsqu'il fut envoyé de force sur le front au Mont Cassino en Italie, durant la Seconde Guerre mondiale en 1944. Lors de ses adieux à notre famille en gare de Nantes, il avoua ne pas savoir se servir d'une mitraillette et ne pas en avoir envie. Cependant, il ne voulait pas être fusillé comme ses camarades et leurs familles en refusant de partir se battre. C'est en 1963, que sa maman apprendra que Karl avait été inhumé à l'abbaye du Mont-Cassin. Il avait été recueilli par une soeur italienne, après que ses camarades et lui furent abattus à leur arrivée, tandis qu'ils se trouvaient à bord du train. Sa maman fut soulagée d'apprendre, que son fils n'était pas mort seul, mais dans les bras d'une autre femme. Ce sont ces raisons qui font qu'aujourd'hui, je vous présente ce travail.

Enfin, cette recherche est issue de quatre années passées au sein d'une université qui me permettent à ce jour d'entrevoir un avenir, dont je ne pouvais me douter qu'il devienne une réalité. Celui de la recherche et de la possibilité à travers l'étude du cinéma et des archives, d'explorer un monde qui ne nous dévoilera jamais tous ses secrets, mais dont l'exaltation qui nous animent, tous et toutes, et de tout tenter pour y parvenir.

Table des matières

INTRODUCTION. 1

Chapitre I - L'individu de famille comme paradigme de la « trace ». 12

I. L'aliénation de l'homme par la machine 13

a) Un monde sous verre. 13

b) Des images d'archives sans parole. 18

II. La pratique artisanale comme reconstruction de l'expérience . 25

a) La fêlure du « masque de l'adulte». 25

b) Pour la pratique d'une « Histoire autre ». 31

Chapitre II - L'engendrement d'un univers critique par la raconteuse de famille. 38

I. Le temps des familles : salvateur de notre présent. 39

a) La naissance de l'ange. 39

b) La parole de famille comme archive sonore. 45

II. Une relecture du monde contemporain. 50

a) De l'imaginaire au politique : des archives de la révolte. 50

b) À la rencontre d'une expérience sociale souterraine. 55

CONCLUSION. 62

BIBLIOGRAPHIE. 68

FILMOGRAPHIE. 77

ANNEXES. 79

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INTRODUCTION.

Pourquoi devrions-nous faire parler nos archives de familles ?

Nous sommes devenus pauvres. Nous avons sacrifiés bout après bout le patrimoine de l'humanité ; souvent pour un centième de sa valeur, nous avons dû le mettre en dépôt au mont de piété pour recevoir en échange

la petite monnaie de l'« actuel »1.

C'est à partir du propos du philosophe et théoricien des arts, Walter Benjamin, qui concerne la modalité de transmission du passé, en regard d'un monde au sein duquel nous assistons à une primauté d'une information immédiate et brute, que nous débuterons notre recherche. Sa réflexion s'est élaborée par la constatation de l'appauvrissement de la tradition du récit transmis aux générations suivantes, dès la fin de la Première Guerre mondiale. Les hommes de famille en revenaient atteints de mutismes. Cette incapacité à échanger à propos du conflit le plus acharné et le plus inventif dans la destruction des corps, avait fait basculer la capacité humaine à se prémunir par l'étude des événements passés. Désormais, l'homme serait forgé à même les technologies modernes, outrepassant sa condition mortelle, dans le dessein de ne plus dépendre, ni de la tradition, pas plus que de son acceptation d'homme historique. Au cours de notre recherche, nous en distinguerons deux enjeux. D'une part, l'idée que l'homme a façonnée le XXe siècle par le sacrifice de la tradition, au profit d'une modernité l'aliénant, au point de n'avoir cure de l'élaboration d'un individu comme sujet, et non objet d'un patrimoine commun. Puis d'autre part, cela nous amène à questionner notre présent, conditionné par une actualité sans cesse plus industrialisée et immédiate, au détriment de la construction artisanale et progressive d'un récit à transmettre. Ce faisant, de nous interroger des moyens mis à notre disposition afin de proposer une démarche critique, comme possible alternative au règne du progrès technique prenant le pas sur l'individu. Il sera dès lors sujet d'étudier l'homme à son rapport à l'histoire. Cette mise en dépôt, comme le souligne Benjamin, se doit d'être levée, car nous sommes engagés à travers une course avec le temps, dont les errances que nous attachons à une pensée salvatrice véhiculée par la modernité, peut rendre inexpugnable toute acquisition critique autour de notre historicité2. Nous sommes au sein

1 Benjamin Walter, Expérience et pauvreté, suivi de Le conteur et la Tâche du traducteur, Paris, Éditions Payot & Rivages, coll. Petite bibliothèque Payot, 2011, p. 48.

2 Nous entendrons par cela, l'étude des faits qui constituent l'histoire d'une personne et dont la réalité est attestée par elle. Soit une dimension de l'Histoire, voire d'une temporalité d'une existence mise en situation.

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d'une jonction inédite autour d'une réflexion contemporaine commune dédiée aux vaincus de l'histoire, et de la nécessité de les faire advenir de nouveau visibles au sein de notre présent. Notre démarche sera de permettre de discuter d'une alternative envers une histoire, qui fût enclavée parmi les grilles et les barbelés dévoilés par l'icône photographique de guerre survenue après le premier conflit mondial. L'utilisation des outils média-photographiques était dès lors de capter notre regard vers une unique instance de l'événement, occultant la constellation des récits gravitants autour de celui-ci. Cette acception de ce temps de l'image au détriment de la transmission d'un récit de vie, à coloniser nos esprits, au point de nous demander aujourd'hui, si l'homme est encore dans la capacité à apprendre de son propre vécu.

C'est en effet, à partir de ces photographies prisent bien souvent après la bataille, que demeure pérenne l'élaboration d'un langage politique et historique dominant. Il est un fait, que la photographie est notamment un instrument de premier ordre, depuis le premier conflit mondial, comme assurant un règne d'une information immédiate et dont le point de vue de son observateur est conscrit par ce qui lui est donné à voir. Notre capacité de réflexion est par ce fait conditionnée, à ne jamais se détourner de cette ligne inflexible, sous peine de nous retrouver sur des sentiers peuplés par des traditions mises aux rebuts. Toutefois, c'est précisément par le retour de certaines de ces traditions, que nous allons proposer de déterminer cette alternative, à l'encontre d'une histoire rattachée au culte du patrimoine et non plus seulement élaborée à partir de l'individu lui-même. En effet, il subsiste deux actants inextricablement corollaires à cet état de fait. La perte progressive de l'expérience, soit autrement énoncée, de notre capacité à nous échanger nos propres vécus, puis la pratique photographique vouée au culte de la modernité. L'individu devint alors happé par ces foules suivant les sillons tracés par un discours dominant érigé par les détenteurs de l'Histoire. Il ne sera pas le propos d'établir un procès d'intention à l'approche méthodiste, puisqu'il est un fait, qu'une ligne directrice se devait d'exister aux lendemains de ces événements. Il ne sera pas non plus question de porter à notre propos, ce que devrait-être le rôle de la photographie. Voire d'y établir une quelconque condamnation de la technique, mais davantage d'entreprendre l'étude des outils média-photographiques dans cette reconquête d'un passé pouvant aider notre compréhension du présent. L'homme dans une première intention, se doit d'arpenter le chemin d'un présent

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escamoté par des années de barbaries acharnées, détruisant corps et esprits, pour ensuite apprendre à le reconnaître. Pour déterminer comment nous pourrions arriver à ce cheminement d'une réflexion critique contemporaine, nous engagerons deux traditions, tant à la fois complémentaires, mais qui peuvent être mises en discussion l'une envers l'autre.

La première étant celle concernant le retour de la tradition du récit, notamment par la figure du raconteur, comme étant de l'ordre d'une modalité de l'expérience qu'il nous faut de nouveau nous réapproprier. Elle se doit d'être communicable auprès des générations nous succédant, en rapport à un discours des détenteurs de la grande Histoire. Elle est cet hors-champ dont l'approche critique s'avère être en inadéquation avec une ligne historique positiviste. Par expérience du récit, nous l'entendrons par cette approche benjaminienne, du récit et des anecdotes, véhiculée par le rôle du raconteur. Cette tradition du verbe a de tout temps été associée à deux grandes figures de l'imaginaire social, le marin et le paysan. Que cela soit par les mers ou les contrées terrestres, ils partagent avec leurs contemporains ces histoires de passages, mais qui enseignent d'une réalité de notre temps. La mort et la maladie peuplent ses récits. Ils sont désormais éludés dans l'élaboration d'une construction historiographique tout aussi bien dans l'imaginaire que dans la politique, comme source d'expérience. Nous admettrons que cette tradition est désormais proscrite, puisque révélatrice que nous sommes mortels à plus d'une acception, et que la maladie représente cette hantise d'être comparable à ces civilisations que nous avons étudiées jusque dans leurs derniers instants. Ce retour à la tradition du raconteur, peut nous permettre d'aborder notre présent dans son actualité, en ayant ce souci d'une histoire autrement assumée, que celle actuellement présente et cadencée dans les livres d'histoire.

La seconde, concerne celle de la constitution d'un patrimoine intime par la pratique média-photographique de famille. En effet, les images d'archives de famille sont une source d'enseignement concernant une histoire alternative. Ce sont des moments intimes, mais qui peuvent être mis en relation avec un événement du collectif, aussi bien social que politique. Ce sont des matériaux dans le prolongement d'une pensée Benjaminienne au sujet des oubliés de la grande histoire, tout du moins, celles et ceux, dont le récit intime fut écarté par un mouvement historique dominant. Toutefois, nous pourrons les considérer

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comme ces « grands acteurs de l'Histoire bien qu'ils aient disparu des sphères organisées de la visibilité 3». En cette considération, ces images d'archives permettent l'élaboration d'une réflexion commune autour d'une histoire souterraine. Qui plus est, ces images de familles, demeurent d'autant plus importante à notre propos que celles-ci sont ce « point de départ dans une expérience très particulière et d'autant plus significative qu'elle n'avait eu ni le genre du portrait4», dans la mesure où elles sont destinées dans un premier mouvement à la sphère intime. Du reste, elles ne sont pas attachées à une quelconque « volonté d'art pour sources véritables5 ». ll est vrai, que celles-ci, sont considérées comme étant le fruit d'une pratique amatrice et de ce fait, non conventionnée à permettre l'élaboration d'un discours. Pourtant, elles sont signifiantes des « mouvements migratoires qui marquent au présent le quotidien de nos sociétés6 ». En conséquence, ces images d'archives de familles sont autant de « registres d'expériences humaines qu'il importe de consulter [...] avec le même souci de découvrir dans le passé quelque chose de l'avenir7». C'est par la pratique des albums média-photographiques de familles, que nous trouverons notre insertion à cette recherche. Cependant, nous n'allons guère aborder notre propos du point de vue, conventionnel et académique, concernant notre approche critique.

En effet, nous allons établir un dialogue entre ces deux notions par une voie inédite et singulière. Celle du point de vue des femmes de familles, regroupant ces fragments de vie, entre photographies et anecdotes. Ce détail est tout aussi signifiant, dans la mesure où la technique de prise de vue est associée à un geste du patriarcat. De ce fait, semblable à l'acte de l'archiviste, elles collectent des « traces » pouvant constituer une histoire tout aussi personnelle, qu'elle peut dialoguer avec celle de tout un collectif. Les images de familles sont alors une sorte d'acte de résistance pour ces femmes de familles, désireuses de conserver le lien entre un récit intime, souterrain et critique, en regard de son appropriation sur les temps de l'Histoire dominante.

3 Bazin Philippe, Pour une photographie documentaire critique, Paris, Créaphis Éditions, 2017, p. 9.

4 Didi-Huberman Georges, Peuples exposés, peuples figurants. L'oeil de l'histoire, Paris, Minuit, 2012, p. 35.

5 Idem.

6 Ibidem. p. 12.

7 Brunet François, La naissance de l'idée de photographie, Paris, Puf, 2000, p. 193.

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De plus, les images d'archives de familles et la pratique du racontage ont un fondement commun, c'est la parole féminine. Celle-ci y tient une place toute particulière dans la mesure où elle détient son origine depuis la création d'une image jusqu'à sa présence au sein de l'histoire. Il est vrai que c'est depuis Pline l'ancien que l'écriture d'une image dépend avant tout de la parole qui va l'annoncer. Dans le mythe de la fille de Butadès, celle-ci demande à son père, potier de la ville de Sicyone, de préserver l'ombre de son jeune amant avant que celui-ci ne parte pour livrer bataille. Les contours du corps du jeune homme sont dessinés par sa jeune amante, afin que son père puisse y appliquer du plâtre afin de conserver son image auprès d'elle. Cet acte d'amour est avant tout celui d'une nostalgie à venir, puisque son amant trouvera la mort. Cette image serait le premier geste funéraire, ce besoin de conserver une trace, pour s'abjurer d'une absence. C'est par la parole de la fille, que le père va créer cette image. Dès lors, la parole féminine restera associée à une histoire souterraine aux prises avec celle patrimoniale et média-photographique dominante. Celle à visée politique, créatrice d'un imaginaire social, dont l'art visuel sera le masque d'un modèle patriarcal, ayant les instruments pour modeler une réalité, dont la femme en sera l'objet et non plus l'instigatrice. La fille de Butadès n'a que sa parole afin que son histoire trouve un cheminement à travers la mort et le souvenir. Ses compagnons d'infortune sont pourtant ceux qui vont lier la pratique des images à celle du récit, comme fondement du racontage.

Il est vrai que la parole féminine est du reste présente comme impulsion créatrice pour les cinéastes de famille. Dans le film, Mort à Vignole (1999), d'Olivier Smolders, c'est à la demande de sa femme, à la suite de la perte de leur enfant, dont aucune image ne subsiste, que celui-ci va entreprendre un voyage média-photographique parmi ses images de famille. Celui-ci nous fait part de son sentiment face à la mort. Il procède à une déconstruction de ses images de l'ordre d'une mise à nu des artifices de mises en scène. Dans une séquence du film, une morgue nous est ainsi représentée. Une vue en plongée sur ces corps, dont l'utilisation progressive du gros plan, nous les révèlent comme fragmentés. Des images proscrites, des instants de famille, que le cinéma refuse usuellement de nous dévoiler. Cette vérité qu'est la mort, la décomposition des chairs, la fin prochaine de ce qu'a pu être la représentation d'un corps en tant qu'image dans un album de famille. La parole de la femme de famille incite le cinéaste à entreprendre un

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voyage parmi le passé et le présent d'une image. Dans le film, Deuxième nuit (2012), le cinéaste Éric Pauwels écoute la voix de sa maman enregistrée sur des cassettes audios. Les anecdotes de celle-ci suscitent chez le cinéaste ce désir de nous raconter à travers ses histoires de familles, un récit dans lequel s'entrecroise des anecdotes historiques et ses propres souvenirs de petits garçons. Du fait de l'utilisation de ses images de familles, entre photographie et cinéma, il retrace le fil de son existence, au côté de ses proches disparus. Il y a une séquence notamment, dans laquelle nous apercevons la photographie de sa maman défunte, projetée sur un drap blanc. Une chaise vide est située en frontalité de celui-ci. Le point de vue subjectif usité par le cinéaste, ainsi que le seuil de la porte apparaissant dans le cadre, nous indiquent que nous sommes au sein d'un espace entre deux régimes de représentation d'une image. Celui de son absence en même temps que de celui de son souvenir. C'est ainsi que ces cinéastes, à l'instar du potier de Sicyone, perpétuent l'art du devenir d'une image intime en regard d'une Histoire collective. Pourtant, il subsiste d'autres voies souterraines nous menant à ces oubliés de famille et à leurs expériences. C'est précisément celles-ci qui retiendront notre attention à travers notre recherche. La jeune fille du potier a grandi dans l'obscurité de la pratique des arts et de l'Histoire. Désormais, ses héritières ne dessinent plus l'ombre de ses disparus, elles s'emparent de ses images afin de les convoquer dans notre présent. La particularité de notre recherche étant qu'il s'agit des filles et petites filles des cinéastes de familles. Ce sont elles qui façonnent les corps et la matière du film, interrogeant notre société présente à travers ces images du passé. Cela nous amène à penser une nouvelle figure qui jadis fut celle du voyageur, et qui devient désormais celle de la raconteuse. Celle mis à la marge du récit historique, tout aussi bien familial que politique, accompagne désormais les images d'archives de famille au sein du dispositif cinématographique, prêtant sa voix aux mots écrits, griffonnés sur des lettres, et dont l'existence restait éludée. Les « sans-voix 8», peuplant les pages des albums média-photographiques de famille sont pourtant les derniers résistants d'une « histoire autre9 ». Nous sommes désormais dans un temps, où les héritières de famille désirent un retour à la tradition. Celle des récits et anecdotes qui hantent une histoire demeurée trop longtemps souterraine. C'est un enjeu de notre

8 Farge Arlette, Essai pour une histoire des voix au dix-huitième siècle, Paris, 2009, p. 17.

9 Despoix Philippe, « Une histoire autre », in Philippe Despoix, Peter Schottler (dir.), Siegfried Kracauer, penseur de l'histoire, Montréal, Presses de l'université de Laval, 2006.

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présent, une vérité qui se doit de transparaître à travers les outils médias-photographiques contemporains. Les archives de familles sont également de notre actualité, et leurs donner voix, c'est redonner vie à un passé se devant de nous interroger sur notre présent.

Notre interrogation directrice se portera sur la figure de la raconteuse de famille. Comment celle-ci peut-elle devenir formatrice d'un univers cinématographique critique, entre les images d'archives de famille et une histoire collective souterraine ? Notre manière d'amener notre propos s'effectuera par un mouvement dialectique entre les images d'archives de famille et la pratique média-photographique de famille, entre passé et présent. Nous situerons notre propos à travers la pratique cinématographique contemporaine. Notre hypothèse de recherche étant que la raconteuse de famille accompagne les images d'archives de famille au sein du dispositif cinématographique, permettant l'émergence d'un univers critique autour d'une pensée sociale et politique actuelle. Cependant, une image d'archive peut-elle se substituer au témoignage de celles et ceux qui en sont les objets de représentation ? Par ce fait, sans la tradition du racontage, les « images d'archives peuvent-elles répondre à ce désir de compréhension de l'autre, à cette volonté de déchiffrer l'indéchiffrable ? 10 ». À cet effet, comment pouvons-nous appréhender une pensée historique au regard d'images ayant été pensées à la construction d'une histoire intime ? La parole, permet-elle l'émergence d'un univers cinématographique singulier, autour des images d'archives de familles, nous révélant une histoire sociale souterraine ? Celle-ci a la possibilité de faire entendre cette parole, mais comment peut-elle proposer une relecture critique de notre société contemporaine, tant dans le domaine politique que sociale ?

C'est à travers ces questionnements que le travail des cinéastes Alina Marazzi et Giulia Casagrande s'imposeront au coeur de notre recherche. En effet, dans son film Un'ora sola ti vorrei, (2002), la cinéaste Alina Marazzi, il est question de l'exploration d'une histoire souterraine à travers ses images de familles. Elle révèle une réalité calfeutrée concernant un temps des familles et les images de bonheur mises à nu. C'est en révélant la dépression post-partum de sa maman Luisa, que la violence et le déni d'une société régie par les apparences nous est dévoilé. Il est question de l'étude de la condition féminine au coeur

10 Le Maître Barbara, Entre film et photographies, Essai sur l'empreinte, Paris, Presse Universitaire de Vincennes, 2003, p. 73.

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d'une Italie, dont les enjeux politiques et sociaux se dessinent dans un pays d'après-guerre. Tandis que dans le film Clara e le vite immaginarie (2019), la cinéaste Giulia Casagrande retrace l'existence de Clara, sa grand-mère. C'est à partir d'une photographie prise dans les années 1930, que nous allons suivre Clara, de son enfance pendant le fascisme à l'élaboration de son identité sociale en tant que femme de famille, entre un imaginaire cinématographique et les images propagandistes d'une Italie qui panse ses blessures. C'est ainsi qu'à travers ces deux oeuvres filmiques, nous porterons à l'étude les images d'archives, tout aussi bien cinématographiques que photographiques, comme un point de jonction entre réalité et imaginaire, fiction et réalité.

Qui plus est, nous analyserons les séquences d'autres films étayant davantage notre sujet de recherche. Il sera question de la cinéaste Michaela Tashenk et de son oeuvre Doppelgänger (2019), oscillant entre fiction et réalité, en rapport à cette duplicité de l'opérateur de famille, concernant un besoin compulsif de compiler des images de familles, sans toutefois parvenir à en exposer une narration. D'une approche fictionnelle comme dans le film 66 moon questions (2019), de la cinéaste Jacqueline Lantzou, au sujet de la perte de communication entre l'opérateur de famille et les femmes de famille. Nous effectuerons une jonction entre les images d'archives de famille et le cinéma par le film La Famiglia (1987) du cinéaste Ettore Scola. Cela nous permettra d'introniser la question de la libération de l'archive par la parole des femmes de famille. Nous analyserons également le film Correspondencia (2020), à travers lequel, les cinéastes Carla Simon et Domingua Sotomayor Castillo, échangent leurs images de familles afin d'en discuter du besoin de transmission. Puis, le film de la cinéaste Alexandra Kaufmann, Being you, Being me (2013), nous permettra de porter à notre étude, l'expérience inexploitée de la jeunesse contemporaine.

Il est à noter que nous effectuerons des mouvements entre la pratique média-photographique contemporaine, par l'analyse de ses films et celle liée aux prémices de la photographie de famille, et l'observation du fonds d'archive de la famille Pavy-Delangle, de 1919 à 1925. Nous évoquons le terme d'archéologie comme qualificatif de notre recherche, dans la mesure où il est question d'une construction diachronique, en ce sens, où nous effectuerons des croisements et non une élaboration de manière synchroniques. Nous tenterons d'établir un dialogue, ponctué de correspondances entre les différentes

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temporalités de ces images d'archives ainsi que leurs dispositions au sein d'une réflexion contemporaine.

Notre propos sera structuré de la façon suivante. Nous étudierons dans une première intention l'individu de famille comme étant de l'ordre d'un paradigme de l'indice, nous permettant de remonter à une histoire souterraine. Il sera sujet d'évoquer la pratique artisanale comme un possible moyen de reconstruire une expérience mise à mal à l'issue des deux conflits mondiaux. C'est par ce désir de pratiquer une histoire alternative, que la voix des femmes de familles associée aux images d'archives de famille, peuvent instituer un univers singulier et critique. Cela ayant pour conséquence de nous permettre d'envisager un nouveau temps des familles, comme inquiétant notre présent, par la naissance de la raconteuse de famille à travers le dispositif cinématographique. Il s'agira de penser à une relecture du monde contemporain, par l'utilisation de ces archives de familles. Puis nous étudierons la parole des femmes de famille, comme étant des documents archivistiques, ayant leur place concernant une restitution historiographique d'un passé commun. Nous engagerons l'idée qu'étant donné ces faits, nous serons à même de porter à l'analyse d'une expérience sociale contemporaine souterraine.

En vous souhaitant une bonne lecture de notre recherche.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe