WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2.1.2 Substituer l'héroïne : vers un usage thérapeutique des drogues

2.1.2.1 Un principe reconnu universellement mais inégalement appliqué

La méthadone s'est imposée comme le produit de substitution le plus utilisé dans le monde. Bien que la méthadone fut connue dès les années 70 en Europe, (en 68 à Londres et à Amsterdam), son développement a suivi des mouvements très différents d'un pays à l'autre, dans des contextes de politiques sanitaires variés. Elle est aujourd'hui utilisée dans certains pays en voie de développement comme le Népal et se trouve mise en discussion dans d'autres pays réputés pour leur conservatisme idéologique comme la Turquie et le Bengladesh. Le nombre de personnes en traitement sous méthadone dans le monde serait estimé à près de 250.000 selon Fazzi et Scaglia482(*)483(*). Didier Touzeau Jacques Bouchez comptabilisent en revanche plus de 300 000 patients en traitement en Europe, 180 000 aux États-Unis et 20 000 en Australie484(*).

La méthadone est apparue en Europe dans le cadre de l'application de la politique de réduction des risques et de la lutte contre l'épidémie de Sida485(*). Les pays européens n'ont toutefois pas tous accordé la même importance aux traitements de méthadone, en fonction notamment de leur culture thérapeutique. La mise en place inégale des programmes s'est ainsi répercutée par d'importants écarts de prise en charge entre les différents pays européens486(*). La France s'est pendant longtemps caractérisée par un important retard en confrontation de ses voisins. En février 1994, le dispositif de soins aux toxicomanes français ne comprend que 77 places pour les traitements de substitution de méthadone pour une population d'héroïnomanes pris en charge estimée entre 13 000 et 18 000 individus487(*). A la même date on compte 9 500 traitements en Espagne, 17 000 en Grande Bretagne (soit 10% de la population héroïnomane), 15 650 en Italie, 10 300 en Suisse (soit 35%), 8 400 aux Pays-Bas (soit 35 à 40%)488(*)488(*). En septembre 1993, seules six institutions de soins spécialisés françaises possèdent un programme de substitution, tandis qu'on en recense à la même époque 250 en Grande-Bretagne.

La méthadone constitue la principale substance utilisée dans les programmes de substitution et il est par conséquent important d'en retracer l'histoire489(*). La méthadone est un médicament analgésique narcotique à longue durée d'action, synthétisé en Allemagne à la fin des années 1930. Il a été utilisé en tant qu'opiacé de synthèse durant la seconde Guerre mondiale pour calmer les douleurs des blessés. Son utilisation thérapeutique a été abandonnée durant l'après-guerre, mis à part quelques médecins américains qui l'utilisaient pour sevrer les consommateurs d'opium ou d'héroïne. Puis la méthadone a connu un regain d'intérêt au début des années 60. Son utilité a alors été démontrée dans le traitement des dépendances aux opiacés par les Docteurs Dole et Nyswander de l'Université Rockfeller de New York. L'équipe de Vincent Dole, spécialisé dans les maladies métaboliques, avait reçu en 1962 la responsabilité du Health Research Council de New York d'étudier les possibilités de traitement de la toxicomanie.

Dole et Nyswander partent de l'idée que les toxicomanes pourraient stabiliser leur mode de vie si la prescription d'un agoniste opiacé leur permettait de ne plus ressentir ce besoin renouvelé de drogues. Parmi les substances étudiées (héroïne, morphine, codéine et d'autres opiacés à courte durée d'action) la méthadone fut la substance qui s'est révélée la plus apte à normaliser le comportement du patient sans qu'il présente des symptômes d'anxiété liés au désir de drogue (craving)490(*). Dole notait également que le dosage de méthadone présentait la particularité de bloquer les effets des autres opiacés. En outre, le seuil de tolérance restait identique permettant ainsi un traitement indéfini. La méthadone gardait enfin son efficacité en étant ingéré par voie orale, permettant ainsi de réduire les risques d'infection par voie intraveineuse.

C'est en 1963 qu'un chercheur canadien, le Docteur Robert Halliday, mit en place le premier programme de traitement par la méthadone en Colombie britannique. Ce traitement se révéla très efficace et il bénéficia d'un fort développement aux Etats-Unis où les pouvoirs publics en reconnaissent le principe et en étendent l'usage. Les programmes de substitution de méthadone s'amplifièrent alors très rapidement dès les années 60 jusqu'au début des années soixante-dix491(*)491(*). Les toxicomanes sous traitement étaient 1 000 en 1968 mais plus de 25.000 en 1971.

L'approche thérapeutique américaine à partir de la méthadone est toutefois très similaire à celle opérée à partir de l'héroïne : il s'agissait d'une approche uniquement médicale et individuelle qui ne tenait pas compte du contexte social dans lequel avait lieu la consommation de substances. L'approche sociale a été négligée au profit d'une simple distribution de méthadone. La méthadone a alors été vendue au marché noir et de nombreux effets pervers sont apparus (création d'un trafic, overdoses) chez des consommateurs qui n'étaient auparavant pas dépendants aux opiacés.

Le président Nixon déclare l'état d'urgence national en 1972, date à partir de laquelle vont proliférer un ensemble de traitement divers, des communautés thérapeutiques aux centres de désintoxication. La principale critique adressée à la méthadone était de considérer cette substance comme une drogue ce qui revenait ainsi à « substituer une drogue par une autre ». La nouvelle moralité lancée par Reagan durant les années quatre-vingt et la réduction du budget des programmes sociaux vont mettre fin à l'expérience de la méthadone. Ainsi de 1976 à 1987 les fonds publics pour la méthadone de substitution subissent une baisse de 30% entre 1976 et 1987.

Dans les années 80, les évaluations sont aussi nombreuses, que contradictoires. Toutefois, c'est aux études de Ball et Ross492(*) que l'on doit d'avoir mis à jour les différences de résultats obtenus par les centres, essentiellement liés à la qualité des programmes et non en priorité à l'évolution de la toxicomanie sous traitement de substitution. En analysant les facteurs prédictifs de réussite des programmes dans cinq centres (villes de New York, Baltimore et Philadelphie), ils ont pu mettre en évidence que la durée de rétention était liée à la qualité de l'accompagnement psychosocial, aux actions de réinsertion menées, aux orientations thérapeutiques prises et nécessitaient des cures de long terme et des dosages de méthadone suffisants (pas moins de 60 mg par jour) ainsi qu'une équipe compétente, stable et connaissant les produits.

Le développement de la méthadone n'a pas suivi un schéma régulier en Italie493(*). Elle est apparue en Italie dés le début des années quatre-vingt et a fait l'objet d'une forte utilisation (1ère phase), les pouvoirs publics ont alors préféré limiter son développement dans la seconde moitié des années quatre-vingt (2nd phase), après quoi ils ont été contraints de ré-envisager les traitements de méthadone face à l'épidémie de VIH au début des années quatre-vingt -dix (3ème phase).

La méthadone a été utilisée de façon très forte dans toute l'Italie au début des années 80 suite aux « Décrets Aniasi » qui en définissaient les modalités d'applications. Elle représentait alors pour les toxicomanes et leurs familles un « droit pour trouver la voie du salut ». Puis les communautés furent jugées comme la seconde « solution magique » à la sortie de l'état de toxicomanie. La création des Sert a contribué à reléguer la méthadone au second plan en développant l'idée de « traitement multidisciplinaire » et en reléguant les médecins dans un rôle secondaire en faveur d'une approche psychosociale démédicalisée. Le fait de ne pas recourir à la méthadone constituait au milieu des années 80 une fierté de certains services, tandis que les traitements médicamenteux étaient limités pendant plusieurs années au seul traitement des symptômes physiques.

A la fin des années 80, l'épidémie de VIH a contraint à substituer massivement l'héroïne par la méthadone tandis que certains critiquaient les Services de « bar metadonici » c'est à dire de « café de la méthadone ». Le ministère de la Santé italien rappelait en 1994 qu'un traitement de substitution à partir de méthadone est indispensable pour les cas de dépendance aux opiacés stabilisés494(*). Ils sont cependant décrits comme des programmes socio-réhabilitatifs dont l'objectif principal reste le dépassement de toute forme de dépendance aux substances dont le médicament substitutif.

La mise en place des programmes de substitution s'est heurtée en Italie à une culture professionnelle qui privilégie l'approche communautaire ou sociale. L'usage de la méthadone reste encore souvent lié à la perspective de l'abstinence, et par conséquent au sens étroit de la réduction des risques. Ces réticences du milieu professionnel ne sont pas sans conséquences sur les traitements eux-même. Marc Orsenigo accuse certains opérateurs spécialisés publics de sous-doser volontairement la méthadone pour condamner par avance les thérapies entreprises495(*)495(*). L'application de la réduction des risques connaît donc un bilan très mitigé en Italie au point de vue des traitements de substitution.

L'acceptation de la politique de réduction des risques par la France a rencontré, comme nous l'avons établi, de nombreux obstacles. Toutefois alors que la mise en vente libre des seringues est confirmée par les pouvoirs publics en 1987 et que les Programmes d'Echange de Seringues sont assurés par la DGS dés 1992, l'introduction de la méthadone n'aura pas lieu avant 1995. Comment rendre compte de ce décalage et plus généralement de cette « exception française » ?

* evenzione delle tossicodipendenze, op.cit, p.57

482

* 483 Fazzi L., Scaglia A., «Introduzione», in Tossicodipendenze

* e politiche sociali in Italia, op.cit., p.15.

484 Touzeau Didie

* r, Bouchez Jacques, La Méthadone, op.cit., 12p.

485 Le développement de la méthadone est fortement associé à une diminution des risques de transmission VIH ou d'hépatites. Il a été établit que la prévalence des infections par le VIH parmi les patients recevant de la méthadone est généralement inversement proportionnelle à la durée du traitement. Alors que 50% environ des toxicomanes qui injectent sont actuellement séropositifs à New York, parmi ceux qui ont débuté leur traitement depuis 1978, les prévalences sont quasi-nulles. Touzeau Didie

* r, Bouchez Jacques, La Méthadone, op.cit., 12p.

486 Dans des villes où la méthadone est facilement accessible comme à Amsterdam ou à Genève, jusqu'à 70% des sujets dépendants de l'héroïne peuvent être admis dans des programmes de traitement. Des pays comme la Finlande ou la Grèce ont moins de 5% de patients dépendants bénéficiant de traitements méthadone. Touzeau Didie

* r, Bouchez Jacques, La Méthadone, op.cit., 12p.

487 Henri Bergeron, L'Etat et la toxicoma

* nie. Histoire d'une singularité française,op.cit., p.8.

* 488 Zecchini Laurent, « Drogués en Europe : aider ou sévir. Des policiers pragmatiques en Grande-Bretagne », Le Monde, 6 janvier 1994.

*

489 Richard D., Pirot S., Senon J.L., « Les principales drogues », art.cit., pp.97-98 ; Touzeau Didier, Bouchez Jacques, La Méthadone, op.cit.

* 490 D'où, en 1967, l'hypothèse que la toxicomanie bouleverse profondément le métabolisme créant ce besoin «physiologique » d'opiacés, rendant difficile (pour ne pas dire impossible) l'objectif d'abstinence à court terme. L'héroïnomane, en « déficience » métabolique avait, dans cette hypothèse, besoin de ses opiacés, comme un diabétique insulino-dépendant de son insuline. Depuis, cette façon d'appréhender les rechutes et de proposer une nouvelle approche thérapeutique est

* devenue un modèle repris dans le monde entier.

* 491 Le système américain de traitement de la toxicomanie disposait déjà d'une première expérience en terme de substitution. Les pouvoirs publics américains avaient en effet mis en place au début du 20e siècle un système de traitement de la toxicomanie fondée sur la prescription d'opiacés avec l'ouverture des narcotic clinics. Il avait toutefois été vivement critiqué

* durant le prohibitionnisme et s'était achevé en 1925.

492 Cf., Ball J.C., Ross A., The effectiveness of Methadone Maintenance Treatment, Springer, New York, 1991.

* 493 Gatti R.C., Lavorare con i tossicodipendenti. Manuale per gli operatori del servi

* zio pubblico, op.cit.

494 Ministero della Sanità, « Linee guida per il trattamento della dipendenza da oppiacei con farmaci sostitutivi », Circolare 30.9.1994, n.20, Gazzetta ufficiale de

* lla Rep. italiana, 14.10.1994, serie gen., n.4.

* 495 Orsenigo Marco, Tra clinica e controllo sociale. Il lavoro psicologico nei servizi per tossicodipendenti, op.cit.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon