WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2.2.1.2 La persistance de pratiques à risques

Plusieurs enquêtes statistiques témoignent de la présence de pratiques à risques, notamment chez les toxicomanes par voie intraveineuse. Une étude portant sur les modes de consommation des toxicomanes réalisée auprès de 529 toxicomanes de l'Emilie Romagne (pris en charge au sein des Serts et des communautés thérapeutiques) a permis de mettre en évidence la persistance de pratiques à risques chez les toxicomanes italiens555(*). Le mode de consommation principal des opiacés reste l'injection : 91% des consommateurs d'héroïne et 63% des consommateurs de cocaïne déclarent recourir à l'injection. L'échange de seringues semble rester inchangé puisqu'en 1996, 26,5 % des sondés déclaraient échanger les seringues de « façon occasionnelle » tandis qu'ils étaient entre 23 et 29% en 1993. Les personnes déclarant « ne  jamais s'échanger les seringues » étaient en revanche 73,2%, ce qui traduit une assez bonne connaissance des risques encourus en cas d'échange. En revanche les risques liés à l'échange des instruments utilisés pour se « trouer » restent moins perçus puisque 52,5% déclaraient en 1996 s'échanger occasionnellement les instruments utilisés tendaient que 12,6% déclaraient le faire systématiquement. .

Les toxicomanes présentent en outre des difficultés à adopter des relations sexuelles moins risquées. 52,9% des patients déclaraient avoir eu des relations sexuelles avec un partenaire au cours des six derniers mois tandis que 21,2% déclaraient avoir eu entre deux et cinq partenaires. L'usage du préservatif reste une pratique encore fragile puisque le pourcentage de patients déclarant ne jamais utiliser le préservatif était de 40,2% lors d'un rapport vaginal et de 58,9% pour un rapport anal.

On observe également la persistance, voire la résurgence, de pratiques à risques en France. Il semblerait que depuis 1996 une part, certes minoritaire mais non négligeable, d'injecteurs continue à partager les seringues556(*). Cette proportion constitue entre 13%557(*) et 20%558(*) du nombre total d'UDVI, avec d'importantes variations géographiques. Une étude française menée par un groupe de chercheurs558(*) soulignent un certain nombre de données statistiques importantes caractérisant 421 usagers de drogues séropositifs pour le VIH. 45% des répondants au questionnaire déclarent n'avoir pas fait usage de préservatifs systématiquement dans les six derniers mois, alors que moins d'un quart (23,5%) déclarent avoir partagé une seringue dans le même temps. 64,3% des usagers déclarant un partage de seringues ne se protègent pas systématiquement lors d'un rapport sexuel (contre 32,4%), 60% de ceux dont le partenaire régulier est usager de drogues ou ex-usager contre un tiers de ceux dont le partenaire n'a pas d'expérience d'usager, et 2/3 de ceux dont le partenaire est séropositif contre 1/3 de ceux dont il est séronégatif.

On peut noter enfin l'apparition d'un usage à risque de la buprénorphine, opiacé utilisé comme substitut de la méthadone au sein des traitement de substitution. Ce produit peut faire, contrairement à la méthadone l'objet d'une injection par voie intraveineuse, reportant ainsi les risques d'infection. Les enquêtes réalisées pour apprécier le problème de l'injection de buprénorphine démontrent que ce phénomène est réel, il varie de 10 à 20% pour des personnes suivies en centre ou en ville, jusqu'à 70% pour des populations très marginalisées rencontrées sur les lieux d'échange de seringues560(*). Les injections de sulfates de morphine semblent plus importantes mais aucune étude n'a encore été réalisée sur le sujet.

Les études témoignent ainsi de la présence de pratiques à risques aussi bien chez les toxicomanes pris en charge (étude italienne) que chez les toxicomanes séropositifs (étude française). Ces chiffres laissent entendre que le message de prévention de la réduction des risques n'est pas perçu par l'ensemble des toxicomanes. Les recherches en prévention mettent en évidence que certaines typologies de toxicomanes sont plus réfractaires à la prévention des comportements à risques en matière d'infection à VIH. Plusieurs variables rentrent alors en jeu. Il est possible d'en distinguer quatre : la variable socio-culturelle met en évidence la fragilité des plus marginaux, le facteur clinico-démographique souligne les risques encourus par les plus jeunes, le critère toxicologique selon lequel les polyconsommateurs présentent des risques d'infection majeurs, enfin la manifestation de troubles psychopathologiques est un facteur particulièrement néfaste aux tentatives de prévention des comportements à risques561(*)561(*). Il est possible de développer les trois premiers critères cités.

Selon une variable socioculturelle, les toxicomanes les plus marginaux et les moins insérés socialement sont moins sensibles aux actions de prévention et présentent plus de fragilité face aux maladies infectieuses. C'est ce qui ressort d'une recherche effectuée du 01/01/1999 au 31/08/1999 auprès de Centre nocturne de la Fondation Villa Maraini auprès de 99 patients dont 80,8% d'hommes et une moyenne d'âge de 33 ans562(*). D'un point de vue sanitaire, 41,4% étaient positifs au test de l'hépatite B et 60,6% étaient positifs au test de l'hépatite C. Ces taux sont globalement équivalents aux moyennes nationales. En revanche, 30,3% étaient positifs au test du VIH tandis que la prévalence moyenne de cette infection parmi les toxicomanes intraveineux entre 1996 et 1999 en Italie était de 16,2%. La prévalence de l'échantillon est donc particulièrement élevée (le double de la moyenne nationale). Enfin, parmi ceux ci, 16,1% des toxicomanes cumulaient l'hépatite B et C ainsi que le VIH. En outre, 24% des personnes reçues durant cette période n'avait jamais effectué de test ou l'avait effectué il y a plus d'un an. Les conditions de marginalité des occupants du centre nocturne se vérifient puisque 61,9% des enquêtés se déclaraient chômeurs et 61,5% avaient un niveau inférieur au baccalauréat (licenzia media inferiore).

Une véritable politique de réduction des risques doit par conséquent nécessairement tenir compte de la précarisation sociale des usagers de drogue. Certains facteurs doivent être pris en considération comme, par exemple, l'interpellation policière, le non-accès à des moyens de désinfection adéquats ou à une source d'eau propre dans l'espace public pour la préparation des substances injectées, le dérangement voire l'agression au moment des injections dans la rue, l'absence de ressources financières suffisantes pour se procurer les drogues recherchées, la perte du logement, des solidarités familiales, etc. Autant de facteurs à risques qui se conditionnent mutuellement et favorisent l'exposition aux affections virales et infectieuses.

Selon un facteur clinico-démographique, les jeunes toxicomanes sont, quelle que soit la substance, moins susceptibles de modifier leurs comportements. Des données datant de 1998563(*)563(*) indiquent un taux de partage élevé des seringues chez les usagers les plus jeunes (20%). On peut alors s'interroger, comme le fait le Conseil National du Sida563(*) sur la pertinence des affirmations relatives à la modification positive des comportements à risque dans la durée, et sur les progrès de la prévention chez les jeunes usagers de drogue. Cette forte présence de pratiques à risque pourrait s'expliquer par la pression subie par leur entourage. En effet comme le note Friedman « le meilleur facteur prédictif de la consommation de comportements protecteurs serait la fréquentation d'amis qui pratiquent des comportements protecteurs »563(*).

Du point de vue du critère toxicologique, les polyconsommateurs présentent une plus forte résistance aux messages de prévention. Il est nécessaire de rappeler que la fin des années quatre-vingt-dix a été marquée par une diminution de la prévalence de l'usage d'héroïne chez les consommateurs d'opiacés, et l'augmentation de la prévalence de l'usage, jusqu'alors inexistant ou minoritaire, de certaines substances par voie intraveineuse. Parallèlement, on a identifié et documenté une multiplication de polyconsommations de drogues licites (tabac et alcool) et illicites, de médicaments psychoactifs et de médicaments de substitution parfois détournés de leur finalité. Un enjeu à ce jour trop timidement exploré concerne la modification des pratiques de prise de risques liées à ces changements de consommation.

De nouvelles associations apparaissent qui introduisent de nombreux risques sanitaires et sociaux. Ces polyconsommations, dont le caractère inédit repose avant tout dans l'agencement des substances et des effets recherchés, sont massivement le fait d'usagers en situation d'extrême vulnérabilité sociale, voire marginalisés. Tout semble indiquer que cette « recomposition » des profils de consommation dépend en grande partie de la précarisation, matérielle et sociale, d'un grand nombre d'UDVI au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, notamment de ceux n'ayant plus accès aux opiacés pour des raisons de coût (ils sont devenus trop chers) et de qualité (jugée trop mauvaise).

La réduction des risques a permis de limiter les infections par voie intraveineuse et par voie sexuelle chez les toxicomanes. Un ensemble de pratiques à risques paraît pourtant résister aux mesures adoptées par les Etats. Ces pratiques sont à mettre en lien avec une modification des comportements et des usages des substances (setting) auxquels les politiques de réduction des risques ne répondent pas de façon adéquate. Ainsi, l'ensemble des structures s'adressent à des usagers socialement précarisés, sans répondre précisément aux besoins des plus marginalisés, pour lesquels des dispositifs plus souples ont été proposés dans d'autres pays (lieux d'injection, distribution d'héroïne sous contrôle médical...). Le Conseil National du Sida remarquait dans son rapport publié en juin 2001 la nécessité de prendre en compte certaines innovations qui furent entrepris en Suisse ou aux Pays-Bas afin de répondre aux nouvelles pratiques.

« Ces expériences ne doivent pas être systématiquement considérées comme des modèles. Néanmoins, là où elles ont été évaluées, elles s'avèrent proposer des réponses adaptées aux besoins d'une frange d'usagers particulièrement désocialisés, refusant les contacts avec le système de soins, insensibles parfois aux messages de prévention parce que mobilisés par la consommation de drogues. Pour ces usagers, la prise en charge doit se faire au plus près des lieux et des gestes de consommation ; c'est une condition de leur engagement individuel progressif dans des démarches de soins, et de l'adoption d'attitudes de prévention de la contamination des infections virales »566(*)

Le principal obstacle au traitement des toxicomanes fut, comme il a été établi, l'absence de reconnaissance sociale dont ils bénéficiaient. Le corps social considérait le toxicomane comme un être déviant qui, du fait de son attitude, perdait le droit à disposer de soin. La réintégration du toxicomane dans le système de soin de droit commun n'a pu avoir lieu que grâce à la situation d'urgence sanitaire causée par l'épidémie de Sida qui a joué un rôle de révélateur. Si l'obstacle au soin des toxicomanes et à la réduction des risques fut un problème de reconnaissance sociale et de droits, il est alors possible de se demander quelle a été la situation des toxicomanes en prison. La prison est en effet le lieu par excellence de la non-considération de la personne qui est traitée comme un individu déviant et dangereux pour le corps social. Quelle prévention des risques a dès lors pu s'appliquer dans le milieu carcéral ?

*

555 Montanari L., Bassi R., Bosi R., «Indagine sui comportamenti sessuali e tossicomanici dei tossicodipendenti dai Sert e dalle comunità terapeutiche dell'Emilia Romagna», La cura delle persone con Aids. Interventi e contesti culturali , Nizzoli U

* mberto, Oberto Bosi (dir.), op.cit, pp.289-300.

556 Conseil national du sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions po

* ur une reformulation du cadre législatif, op.cit.

557 Ingold François-Rodolphe (sous la direction de), Etude multicentrique sur les attitudes et les comportements des toxicomanes face au risque de contamination par le VIH et les virus de l'hépatite, Institut de Recherche en Epidémiologie de la Pharmacodépendance,

19

* 96.

* 558 Lert F., Candiller C., Imbert E., Belforte B., « Pratiques de protection des usagers de drogues et exposition au risque de transmission du VIH », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n°50, 11 décembre 1995.

559 Bouhnik, Rey, Escaffre, Gastaut, Cassu

* to, Gallais, Moreau, Obadia et MANIF 2000, 1999

560 Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en Franc

* e. Bilan et recommandations, op.cit.

* 561 Avanzi Maurizio, Bontà Flavio, « Il counselling per l'Hiv nei Sert », La cura delle persone con Aids. Interventi e contesti culturali , Nizzoli U

* mberto, Oberto Bosi (dir.), op.cit, pp.173-190.

562 Carminati Paolo, « Avvio all'assistenza sanitaria per Hiv/Aids di tossicodipendenti emarginati e senza fissa dimora », La cura delle persone con Aids. Interventi e contesti culturali , Nizzoli U

* m

* b

* e

* rto, Oberto Bosi (dir.), op.cit, pp.329-350.563 Ibid.

564 Conseil national du sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulation du cadre législatif, op.cit., p.23

565 Friedman S.R. et autres, « Aids and self-organization among intravenous drug users », The internationa

* l journal of the Addictions, n.22, 1987, p.183.

566 Conseil national du sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulation du cadre législatif, op.ci

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"