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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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2.2.2.2 Les prisons françaises: une prise en charge des séropositifs sans véritable réduction des risques

Le problème des risques encourus par les toxicomanes incarcérés ne fut reconnu que très tardivement par les pouvoirs publics français. Les premières mesures de prévention des infections apparaissent au sein des prisons françaises au milieu des années quatre-vingt-dix595(*). La circulaire du 5 décembre 1996, qui prévoyait l'initialisation des traitements de méthadone dans le cadre de la lutte contre l'infection à VIH a permis la généralisation de la distribution périodique d'eau de javel, en quantité et en concentration déterminées, à tous les détenus. Les pratiques de mise à disposition de préservatifs sont quant à elles très aléatoires. Le contexte réglementaire joue un rôle dans cette inégalité de traitement : les relations sexuelles en prison, notamment entre détenus, sont interdites par les règlements intérieurs. L'administration pénitentiaire qui refuse de reconnaître l'existence de telles pratiques à risque délègue la distribution de préservatifs au personnel soignant.

En outre, les autorités françaises ont officialisé le refus de l'installation de programmes de seringues depuis 1997, sans que soit même expérimenté ce type de dispositif596(*). Plusieurs argumentaires fondent en général une telle position : la seringue est susceptible d'être utilisée comme une arme, l'accessibilité du matériel d'injection constituerait une incitation à la consommation de drogues par voie intraveineuse, et surtout, l'usage de drogues étant pénalisé, il serait impossible de le considérer comme une pratique acceptable an milieu carcéral. Là aussi l'argument juridico-culturel reste le plus hostile à l'application de la réduction des risques.

Concernant l'accès aux traitements spécifiques de la dépendance aux opiacés, la circulaire du 8 décembre 1994 a prévu de garantir la qualité et la continuité des soins à l'intérieur du milieu pénitentiaire, conformément aux recommandations internationales (notamment OMS et ONUSIDA). Une circulaire d'avril 1996597(*) a autorisé la poursuite des traitements de substitution à la méthadone et au Subutex598(*) ainsi que la prescription initiale du Subutex ?et une circulaire publiée en décembre 1996599(*) a défini les cadres et les modalités de la prescription initiale de méthadone durant l'incarcération, par un médecin du Centre de soins spécialisés aux toxicomanes (CSST). Dans les établissements pénitentiaires exclusivement gérés par le service public, deux types de structures de soins interviennent: les UCSA600(*) et les CSST. Les taux de prise en charge des toxicomanes incarcérés restent très bas malgré l'arsenal législatif qui fut adopté. Ainsi, seulement 3,3% des détenus bénéficiaient en 1999 de traitements de substitution, soit 1 653 usagers ; cette part est plus faible encore que celle des personnes entrant avec un traitement de substitution en cours (5,8%)601(*). Enfin, 21% des centres ne pratiquaient pas de traitements de substitution selon cette même enquête en 1999.

Le système de dépistage du VIH dans les prisons françaises s'inspire largement des pratiques ayant cours à l'extérieur : proposé à l'entrée, il est volontaire et gratuit. Les principes de volontariat et de gratuité, conformes aux soucis de facilitation de l'accès aux soins, de prévention et de respect de la liberté de choix des détenus en la matière, rendent impossible le relevé de chiffres précis et généraux sur la séroprévalence du VIH en prison. Si officiellement, la part des personnes incarcérées séropositives est de 1,6%, les différentes enquêtes situent plutôt cette séroprévalence entre 2 et 6%. En 1995, celles menées par l'ORS-PACA602(*) indiquaient une séropositivité 10 fois plus élevée chez les UDVI incarcérés que dans la population générale, et 6 fois supérieure en 1992 pour les usagers de drogues déjà incarcérés que pour ceux qui ne l'avaient jamais été. L'enquête « Réseau européen » citée précédemment (document 12) évoque une prévalence des TVI en prison de 13,3% en 1998, tandis que la moyenne nationale était évaluée à la même époque entre 15,5 et 18,3%. De même qu'en Italie, le taux d'infection à VHC chez les TVI serait plus bas en prison (avec 34% en 1998) par rapport au reste de la société (entre 62 et 70% en 1998).

Les séroconversions au VIH durant l'incarcération, n'ayant jamais pu être documentées en France, sont toutefois envisageables dès lors que subsistent des pratiques à risques de transmission sanguine ou sexuelle. Des expériences de contamination par les virus des hépatites sont connues ; elles ont révélé des taux de partage de seringues pouvant concerner jusqu'à 66% des injecteurs. Le rapport de la Commission européenne évoque un taux de 34% de TVI ayant échange du matériel lors de la dernière injection hors de la prison dans les quatre semaines précédentes, tandis que 37% des TVI déclarent s'injecter en prison. Les risques d'infection sont par conséquent réels.

Enfin en matière de prise en charge et d'accès aux soins des personnes séropositives incarcérées la réforme instituée par la loi du 18 janvier 1994, sur l'équivalence de la prise en charge sanitaire des personnes incarcérées à l'intérieur et au dehors du milieu pénitentiaire, a permis des améliorations considérables. Les centres de détention ont également avancé sur la voie d'un accès plus adapté et élargi aux soins en matière de traitements concernant le VIH et particulièrement en faveur des traitements antrirétroviraux. En 1998, 68% des détenus séropositifs au VIH étaient traités par antrirétroviraux ; 62% recevaient une trithérapie.

Les problèmes de toxicomanie et de Sida en milieu carcéral constituent en France et en Italie un problème sanitaire crucial en raison de la mauvaise prévention des risques mise en place par les autorités publiques. L'univers carcéral devrait en principe offrir des opportunités pour la prévention, le dépistage et la prise en charge de l'épidémie de VIH chez les UDVI. Les mesures sont toutefois insuffisantes et leur application donne lieu à de nombreuses inégalités de traitement entre prisonniers603(*)603(*).

Le manque de résultats des efforts entrepris par les pouvoirs publics italiens et français depuis 1995 laisse entendre que le problème est autant de nature législatif que culturel et institutionnel. Le milieu carcéral est réfractaire à toute intervention extérieure de peur d'être lésé d'une partie de son autonomie décisionnelle. Les valeurs incarnées par l'institution pénitentiaire semblent en outre s'opposer à celles de la réduction des risques. Le personnel de justice employé dans les structures carcérales a pour mission de veiller à l'administration de la peine dans le respect de la loi. Reconnaître la nécessité de l'échange de seringues suppose par exemple de prendre acte de l'existence de l'injection de drogues dont la présence est illégale en prison. Il y a un paradoxe à exiger des surveillants de collaborer à une action répressive contre les usagers, tout en veillant au bon fonctionnement de l'échange de seringues. En outre, quand bien même leur implication dans cet échange serait inexistante, son existence même peut être vécue comme la conséquence d'un échec professionnel. Le principal obstacle au traitement de la toxicomanie en prison serait ainsi d'ordre culturel.

« L'échec le plus évident de telles tentatives d'effectuer des interventions qualifiées dans une institution totale, se réfère à deux considérations : d'une part la « croyance » qu'il soit vraiment possible de rééduquer là où les conditions minimales pour le faire ne sont pas remplies [...] comment peut-on penser conduire un sujet à être compétent afin de faire des choix de vie dans un environnement dans lequel il est interdit de penser de façon contraire à la règle ? D'autre part, le fait de minimiser voire d'ignorer l'impact entre deux mondes et deux mentalités (le monde pénitentiaire et le monde externe) fondées sur des cultures profondément différentes par leurs habitudes, le vécu quotidien, niveau de scolarisation, etc. »604(*)604(*)

L'impact de la réduction des risques a été dans un premier temps d'avoir limité la diffusion de l'épidémie de VIH/Sida en réduisant les risques sanitaires encourus par les toxicomanes par voie intraveineuse. Ceux-ci n'ont cependant pas disparu et demeurent réels du fait de l'existence de pratiques à risques néfastes à la prévention, mais aussi d'endroits, tel que le milieu carcéral, où la réduction des risques demeure fragile. Les obstacles à son application sont aussi bien culturels que législatifs. Ces difficultés de mise en application traduisent l'affrontement entre deux modèles, les soins d'une part, entendus notamment au sens de « prendre soin de » (to care), et la répression d'autre part. Ce phénomène traduit la portée de la réduction des risques qui ne se réduit pas à un ensemble de mesures sanitaires mais qui comporte une forte dimension socioculturelle.

* sques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique., op.cit.

595 Conseil national du sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique., op.cit.

* 596 Conseil national du sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une re

* formulation du cadre législatif, op.cit., p.47.

597 Circulaire n°96/239/DGS/DH du 3 avril 1996 relative aux orientations dans le domaine de la prise en charge des toxicomanes.

* 598 Le Subutex est un produit de substitution, de même que la méthadone, particulièrement utilisé en France. Celui-ci sera traité par la suite.

* 599 Circulaire DGS/DH/DAP du 5 décembre 1996 relative à la lutte contre l'infection par le VIH en milieu pénitentiaire.

* l600 Chaque établissement pénitentiaire est jumelé avec un établissement de santé de proximité responsable de la prise en charge en milieu fermé, de l'accueil en milieu hospitalier, de l'organisation du suivi médical après incarcération, et de la coordination des actions de prévention. Pour répondre à ces missions, il est créé une structures de soins, l'Unité de Consultations et de Soins Ambulatoires (UCSA), placée sous l'autorité d'un praticien hospitalier. La nomination et l'affe

* ctation du personnel repose sur le volontariat.

601 Cf., Tortay (Isabelle), Morfini (Hélène), Enquête sur les traitements de subs

* titution en milieu pénitentiaire, novembre 1999, DGS/DHOS, 2000.

602 ORS-PACA (Observatoire Régional de Santé Provence - Alpes - Côte-d'Azur.), Prévalence des pratiques à risques en milieu carcéral : une étude pilote à la maison d'arrêt des B

* aumettes, Marseille, ANRS-CEE, juin 1997, 153 p

* 603 Il y a d'une part, comme l'explique Spella Fernanda, les détenus les plus marginaux tels que les immigrés qui ne peuvent jouir de mesures alternatives et qui sont contenus grâce à l'administration de puissantes doses de médicaments tandis que les toxicomanes les plus adaptés aux règles du milieu carcéral bénéficient de programmes thérapeutiques spécifiques comme par exemple au sein d'instituts plus souples. Spella Fernanda, « Fattori di rischi per i tossicodipendenti

* nelle carceri italiane », art.cit, pp.213-227.

* 604 Spella Fernanda, « Fattori di rischi per i tossicodipendenti nelle carceri italiane », art.cit.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo