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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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2.3.2.2 Vers une culture de la réduction des risques

Les intervenants du champ de la toxicomanie sont caractérisés par des cultures spécifiques très divergentes. Celles ci ont profondément influencé, comme il a été établi précédemment, la reconnaissance et la mise en place du principe de la réduction des risques. Ces conflits professionnels ont constitué dans certains pays un obstacle au changement.

Marco Orsenigo décrit les oppositions entre professionnels de la toxicomanie en Italie643(*)643(*). Un premier conflit catégoriel oppose d'une part les médecins, selon lesquels la toxicomanie serait une maladie organique (altération de la transmission des neurotransmetteurs) qui doit être résolu par une thérapie pharmacologique, et d'autre part les psychologues, qui privilégient la psychothérapie. Les opérateurs et les psychologues ont ainsi longtemps considéré que les médicaments de substitution comme la méthadone couvraient le conflit lié à la substance et empêcher ainsi la guérison. A l'inverse, le corps médical auquel se rattache Marco Orsenigo, considère que « l'utilisation de méthadone libère le toxicomane non seulement du besoin d'héroïne mais aussi de la dynamique de la toxicomanie et il permet ainsi de gagner de l'espace afin de mentaliser les conflits »644(*). Les intervenants des communautés thérapeutiques s'opposent également de façon virulente aux méthodes de substitution644(*). Ils considèrent qu'il est nécessaire d'utiliser la souffrance comme outil thérapeutique. Le toxicomane doit ainsi « toucher le fond » afin d'accepter l'idée d'un changement de mode de vie. Cette méthode thérapeutique  découle de la considération du toxicomane comme un être irresponsable et hédoniste.

Face aux divergences de point de vue, Lucca Fazzi défend l'idée de la création d'une culture professionnelle commune construite à partir du principe de la réduction des risques646(*). Les interventions de réduction des risques, selon lui, doivent être conçues comme des instruments pour réaliser un changement du mode de vie du toxicomane par le biais de projets de réhabilitation individualisés. Ces interventions doivent unir les différents acteurs pouvant influencer le toxicomane et multiplier ainsi les points de vue et d'action ; c'est à ce titre que les secteurs sanitaires et sociaux doivent opérer de façon conjointe. C'est pourquoi le personnel travaillant auprès des toxicomanes doit bénéficier d'une formation complète permettant de dépasser le savoir lié à sa culture professionnelle d'appartenance (sanitaire, thérapeutique, sociale).

Afin de favoriser l'émergence d'une « culture commune », le Conseil national du Sida formule une recommandation similaire aux pouvoirs publics français647(*)647(*). Il propose d'accroître les efforts visant à doter les professionnels des compétences nécessaires en matière de réduction des risques, en privilégiant en ce domaine la formation initiale des professionnels concernés (policiers, magistrats, pharmaciens, médecins, travailleurs sociaux, enseignants...). L'objectif étant de « dépasser les cloisonnements entre les services, de susciter des logiques de fonctionnement transversales, à tous les niveaux hiérarchiques ».

La constitution d'une culture transversale et commune aux corps professionnels intervenant en matière de toxicomanie permettrait de joindre les efforts des acteurs individuels et d'entreprendre un véritable travail en réseau. La formation d'une culture de la réduction des risques impose cependant de réaliser une clarification du concept de « réduction des risques » qui recouvre une pluralité de définition.

Les politiques de réduction des risques peuvent poursuivre deux objectifs : elle peut viser la reconnaissance que l'interruption du rapport aux substances relève de la seule décision du toxicomane, la désintoxication est alors considérée comme un objectif secondaire en comparaison avec la limitation des risques. La réduction des risques consiste dès lors à « mettre à la disposition des usagers de drogues tous les moyens disponibles (produits de substitution, seringues, etc.) pour réduire les accidents les plus graves (overdoses, infections par le VIH, suicides), préserver l'insertion sociale ou la rétablir et, pour la plupart, de sortir de la toxicomanie sans que l'avenir soit irrémédiablement compromis, sans faire de l'arrêt une condition préalable »648(*).

Simone Piccone Stella remarque que le parcours thérapeutique se trouve dans ce second cas inversé puisque désormais le toxicomane est accepté pour ce qu'il est, sans qu'on lui impose de changer de comportement649(*)649(*). Le toxicomane peut alors, après une longue réflexion personnelle et qui peut durer des années, choisir de lui-même d'entreprendre une cure thérapeutique. La stratégie de la réduction des risques vise la survie du toxicomane. L'aspect pragmatique de cette idée est sans cesse mis en évidence par les opérateurs du secteur de la toxicomanie « il est possible d'aider un toxicomane vivant, mais nous ne pouvons aider un toxicomane mort ».

La réduction des risques peut également avoir comme objectif la désintoxication du toxicomane en privilégiant, plutôt que la voie classique de l'abstinence (intégration sociale, réhabilitation par le travail) celle de l'intégration sociale, stabilisation sanitaire, réhabilitation par le travail jusqu'à l'abstinence, il s'agit alors de reconnaître la multiplicité des voies pouvant mener à la désintoxication tout en affirmant qu'elle reste la finalité thérapeutique première. Les politiques de réduction des risques sont alors une forme d'intervention qui ont pour objectif d'agir sur un plan que les stratégies classiques centrées sur l'abstinence ne réussissent pas à rejoindre. La méthadone est utilisée comme un soutien au sein d'un programme de réhabilitation et dont l'objectif principal et premier doit toujours resté la « récupération » du toxicomane650(*). La réduction des risques reste un principe second, limité à l'objectif d'abstinence.

« La limitation des risques est toutefois un concept dangereux puisque, pris en soi, il exclut toute obligation professionnelle, éthique et morale, à encourager, promouvoir et accompagner le changement d'un état de dépendance vers un état de réelle conscience et autonomie [...] Les politiques de réduction des risques peuvent avoir une signification seulement si elles ont une fonction de soutien et/ou renfort vérifiable à des processus de réhabilitation, aussi bien absolue que relative, ou bien si elles deviennent un élément fonctionnel d'un système complexe de stratégies et de services qui ont pour objectif l'amélioration de la condition de dépendance des sujets toxicomanes »651(*)

La réduction des risques est menacée dans ce second cas de prendre un aspect sécuritaire que souligne Umberto Nizzoli : «  Mais avec les années l'idéologie du mouvement pour la réduction des risques a radicalement changé. On est passé de la défense des intérêts individuels - réduire les risques pour le consommateur de drogue - à la défense de l'environnement social, en réduisant les dommages »652(*)652(*). La réduction des risques s'entend alors non plus comme la prévention des risques encourus par les toxicomanes mais avant tout comme la limitation des risques que le toxicomane fait encourir au corps social du fait de son comportement. Bot illustre cette dérive par l'exemple du « dilemme hollandais » qui confond l'approche de santé publique en terme de réduction des risques pour la collectivité et l'approche judiciaire qui vise à réduire les conditions d'insécurité liées à la toxicomanie653(*). Certains prohibitionnistes convaincus sont dès lors devenus les défenseurs de la réduction des risque en raison des opportunités de « contrôle social » qu'elle offre654(*).

Il apparaît nécessaire de se demander quel objectif attribuer à la politique de réduction des risques655(*) : celui d'aboutir à une consommation socialement et sanitairement inoffensive ou rejoindre un état définitif d'abstinence ? La réduction des risques est née comme un ensemble de mesures sanitaires et sociales pour répondre de façon pragmatique à l'épidémie de Sida. Elle est cependant devenue aujourd'hui une philosophie et un principe de l'action publique en matière de toxicomanie et n'est pas, par conséquent, un concept neutre. Les termes sont à l'inverse chargés de significations qui renvoient à des conceptions distinctes et inconciliables de la toxicomanie.

Il apparaît dès lors nécessaire d'établir le sens attribué au principe de la « réduction des risques ». Ce n'est qu'au terme d'un effort de clarification et de définition que la création d'une culture commune d'intervention pourra être établie. Il faut que celle-ci puisse dépasser les divergences qui opposent les catégories professionnelles entre elles. C'est pourquoi, cette tâche ne peut relever que du législateur qui, ensemble aux acteurs intervenant en matière de toxicomanie, a pour charge d'inscrire dans les termes de la loi, les objectifs et les moyens attribués à la réduction des risques656(*). Cette culture commune ne doit pas seulement être entendue au plan national mais pourrait être favorisée par des coopérations établies entre les pays européens657(*). Enfin, la réflexion peut également être portée au niveau international par le rôle de l'ONU et de ses agences (ONUSIDA par exemple). L'émergence d'une culture européenne de la réduction des risques permettrait de décloisonner les milieux professionnels du soin et la prévention de la toxicomanie qui se caractérisent par des modèles thérapeutiques spécifiques.

Partie 3 Soigner et prévenir la toxicomanie

* formulation du cadre législatif, op.cit., p.95.

* 643 Marco Orsenigo, Tra clinica e controllo sociale. Il lavoro psicologico nei servizi per tossicod

* ipendenti, Fran

* coAngeli, 1996, Milan, pp.56-57.

644 Ibid., p.57.

645 P. Castrogiovanni, I. Maremmani, P. Sarteschi, «Atteggiamento psicoterapico e rapporto con il tossicodipendente in trattamento», in Bollettino delle f

* armacodipendenze e alcolismo, X, n.1-2-3, 1987.

646 Fazzi L.,« Les politiqu

* es de réduction des risques » , art.cit, p.132.

* 647 Conseil national du sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une re

* formulation du cadre législatif, op.cit., p.95.

648 France Lert, « La stratégie de réduction des risques », Syanopsis, paris, n°10, novembre 1993, p.2 in Nouvelles orientations en matière de lutte contre la toxico

* manie : 1993-1995, Sydney Hercule, op.cit, p.75

* 649 Piccone Stella

* S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit., p.102.

650 Fazzi L.,« Les politiq

* ues de réduction des risques » , art.cit, p.131

651 Fazzi L.,« Les politiq

* ues de réduction des risques » , art.cit, p.134

* 652 Nizzoli Umberto, «Assistere persone con Aids, tossicodipendenti e no», La cura delle persone con Aids. Interventi e contesti culturali , Nizzoli Umberto, Oberto

* Bosi (dir.), Erickson, Trento, 2001, pp.13-48.

653 Bot M., «Il dilemma olandese», in

* Personalità- dipendenze, vol. 4, n. 2, pp.5-10.

654 « La réduction des risques, conclut Nizzoli, semble être devenue le cheval de bataille de ceux qui poussent vers une augmentation du contrôle sociale afin de rendre les villes plus sûres. Une orientation semble s'affirmer, jusqu'à présent, en Italie ». Nizzoli Umberto, «Assistere persone co

* n Aids, tossicodipendenti e no», art.cit., p.32

655 Fazzi L.,« Les politiq

* ues de réduction des risques » , art.cit, p.12.

656 Cette démarche fait l'oeuvre d'une recommandation du Conseil national du sida au législateur. Celui ci a remarqué une contradiction entre la loi régissant la toxicomanie (et notamment la loi du 31 décembre 1970) qui reste orientée vers une politique répressive de la toxicomanie et les circulaires les plus récentes qui privilégient l'approche de la réduction des risques. Hors, en vertu du principe de hiérarchie des normes, tout individu dépositaire de l'autorité publique, qu'il s'agisse d'un magistrat, d'un policier ou d'un gendarme, fonde sa pratique sur la loi, plutôt que sur les règlements ou instructions administratives. Rien ne garantit donc que les services concernés par chacune des circulaires soient tous à même d'en prendre la mesure et d'agir en conséquence. En conséquence, « le Conseil national du sida souhaite-t-il que cette volonté de réduction des risques soit clairement l'objet d'une priorité inscrite dans la loi. Cela non seulement parce que les textes ont vocation à garantir l'engagement public dans la durée, mais aussi pour soumettre l'ensemble de l'action publique à un principe d'opportunité explicite et répété si nécessaire ». Conseil national du sida, Les risques liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique. Propositions pour une reformulati

* on du cadre législatif, op.cit., p.52 et p.95.

657 Une expérience semble intéressante au regard de la constitution d'une culture commune de la réduction des risques. Il s'agit de l'ONG professionnelle Erit, qui constitue la fédération européenne des associations des opérateurs de toxicomanie. Plusieurs conférences internationales ont eu lieu à Lièges (1993), Paris (1996) et Bologne (1998). Cette dernière s'est conclue par la publication d'un document intitulé « l'Appel de Bologne » dans lequel est fréquemment cité la réduction des risques. Le texte fait, en outre, référence à « possibilité de prescrire de l'héroïne injectable seulement dans certains cas particuliers ». Nizzoli rappelle que cette proposition fut un point d'accords trouvés entre les partisans de la prescription d'héroïne, majoritairement des opérateurs du nord Europe et laïques, et entre ses opposants, généralement catholiques et du sud de l'Europe. Nizzoli Umberto, «Assistere persone con Aids, tossicodipendenti e no», art.cit.

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