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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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2.1.2.2 Un réseau de services intégrés centrés autour du toxicomane

Villa Maraini a été initialement fondée comme une communauté thérapeutique. De nouvelles structures sont cependant rapidement apparues pour répondre aux nouveaux besoins jusqu'à constituer un véritable réseau ou chaîne thérapeutique qui propose une pluralité d'interventions980(*). Celles-ci interviennent selon trois niveaux : un seuil d'exigences bas, un seuil moyen et un seuil élevé. Parmi les structures répondant aux critères de seuil bas, on peut citer le centre nocturne qui accueille les personnes les plus marginalisées tels que les sans-logis ou encore les toxicomanes immigrés non-régularisés (qui représentent 18% des accueillis). Le centre nocturne tente d'apporter une réponse d'urgence d'ordre sanitaire et social et psychologique, notamment par le biais du counselling, et de réorienter les toxicomanes vers des structures de prise en charge.

La principale structure à « bas seuil » est toutefois l'unità di strada, dont il était question dans les premières lignes de cette recherche. La première unité de proximité a été mise en place auprès de la gare de Termini le 25 mars 1992. Il s'agissait alors de répondre d'une part au constat que de nombreux toxicomanes ne sont pas pris en charge par le système sanitaire et « sont abandonnés à eux-mêmes et courent de graves risquent », et d'autre part à l'épidémie de VIH/Sida qui décimait alors les toxicomanes de Rome en apportant les besoins nécessaires à la survie. Les objectifs de l'unità di strada sont de quatre ordres : réduire le nombre de morts par overdose, approcher et aider les toxicomanes qui n'ont aucun contact avec les structures de prise en charge, diminuer le risque de transmission des maladies infectieuses, orienter les toxicomanes qui en font la demande vers des programmes thérapeutiques. La présence du camper est assurée de façon quotidienne de 18h30 à minuit. Une seconde équipe est venue s'ajouter à Tor Bella Monaca, une banlieue proche de Rome qui comporte une forte précarisation sociale et un taux très élevé de toxicomanes par voie intraveineuse. Au terme de dix ans d'activité, le bilan de l'unité de proximité de Villa Maraini est très positif comme en témoigne une étude981(*). Le total du nombre d'interventions s'élève à 408 942. On peut citer quelques chiffres qui témoignent des efforts de prévention : 147 352 préservatifs, 380 787 seringues, 186 293 fioles d'eau distillée, 6 240 doses de Narcan distribués. Mais l'activité de l'unité de proximité ne se limite pas à cela, c'est ainsi que 128 764 opérations d'information sur le VIH/Sida et 16 802 interventions de counselling ont été réalisées. Enfin, 1453 personnes ont été dirigées vers des Sert. L'activité de proximité de Villa Maraini s'intègre pleinement au sein d'une politique de réduction des risques. Cette activité a connu cependant dès son lancement de fortes oppositions municipales ou encore de la part des habitants locaux.

Villa Maraini s'est également dotée pour répondre à l'épidémie de VIH/Sida d'une unité de soin et de prévention polyvalente. Celle-ci remplit plusieurs missions : informations, counselling, activités sanitaires ambulatoires, consultations téléphoniques, analyses sérologiques et projets de prévention. Des activités d'entraide entre pairs ont également été initiées. Un centre de premier accueil a été ouvert dès 1992. il ne présente aucune condition d'accès. Il s'agit là aussi d'opérer des missions de prévention, de conseil, de soins ponctuels et d'orientation aux toxicomanes. Les activités prodiguées par le centre sont adaptées en fonction des demandes de chaque toxicomane. La multiplication des structures à bas seuil ne doit pas être perçue comme un manque d'organisation des services mais comme la volonté d'offrir une multiplicité d'opportunités autour du toxicomane.

Les activités de Villa Maraini ne se réduisent aux structures à bas seuil qui ne représentent qu'une première phase dans la chaîne thérapeutique. C'est ainsi qu'un service d'orientation permet un suivi plus particularisé des toxicomanes982(*). Il s'agit d'un centre qui occupe la fonction de communauté intermédiaire. Les toxicomanes pris en charge par Villa Maraini suivent un parcours thérapeutique divisé en trois étapes : après un premier contact avec le centre d'accueil et une première stabilisation comportementale, obtenue le plus souvent sous méthadone, il s'agit d'effectuer un séjour en centre d'orientation. Certaines interventions d'ordre psychothérapeutique y sont effectuées, notamment à travers le groupe. Au terme de cette étape, certains toxicomanes sont alors habilités à intégrer la communauté thérapeutique qui constitue la troisième étape du programme. On peut d'ailleurs remarqué que la structure initiale est devenue la phase finale de la thérapie.

La communauté thérapeutique de Villa Maraini est apparue en 1976. Elle est de type semi-résidentielle, c'est-à-dire que les toxicomanes y passent la journée (de 9h du matin à 18h00) à la suite de quoi ils rentrent dormir chez eux. La communauté repose sur un ensemble de mécanismes complexes dont il est possible de donner les grandes lignes983(*). La première fonction de la CT est d' « occuper » la journée du toxicomane en ne limitant pas le traitement à une série d'interventions sporadiques. La journée repose ainsi sur un ensemble de « temps » qui sont consacrés aux travaux (de rénovation, de nettoyage, de jardinerie, de bricolage, etc.). Ceux ci participent pleinement à la thérapie puisqu'il s'agit de responsabiliser le toxicomane par son action. Les autres activités sont d'ordre ludique, sportive et enfin thérapeutique. Ces dernières sont de nature psychologiques, elles comprennent d'une part des entretiens réguliers avec des psychologues et d'autre part un important travail de groupe. La prise en charge du toxicomane est « globale » puisqu'il s'agit également d'entretenir un rapport avec sa famille à qui il s'agit de reconnaître un réel rôle au sein de la thérapie. Enfin, un troisième aspect est celui de la prise en charge sociale et de la réinsertion du toxicomane qui est préparée notamment par l'acquisition de nouvelles compétences professionnelles. La CT répond, contrairement aux précédentes structures, à un ensemble de règles strictes auxquelles le toxicomane ne peut déroger sous peine d'exclusion.

Le programme thérapeutique du toxicomane est conçu à Villa Maraini comme un parcours marqué par de nombreuses étapes. La durée du parcours n'est jamais fixée par avance mais change d'un toxicomane à un autre, le temps moyen étant de deux-troix ans. Ce parcours ne doit pas en outre être perçu comme une ligne homogène mais il se constitue de nombreuses ruptures, d'échecs et de succès qui amènent peu à peu le toxicomane à sortir de la dépendance. Parmi les activité de Villa Maraini, on peut citer l'existence de groupes de discussion qui ont lieu au sein des prisons de Rome depuis 1979984(*). Il s'agit d'apporter aux toxicomanes incarcérés une première écoute et de prévenir les comportements à risque. Une assistance d'ordre administrative est également fournie.

Villa Maraini a développé également un ensemble de programmes de prévention. On peut par exemple citer le « telefono in aiuto » qui fut créé en 1986. Il s'agissait initialement d'un groupe de 15 volontaires composé de psychologues, de médecins et d'anciens toxicomanes. L'objectif est de permettre la mise en relation des différentes structures intervenant dans le domaine de la toxicomanie (hôpitaux, services publics, communautés, etc.). Il s'agit avant tout d'orienter les personnes vers les centres les plus accessibles et de diffuser l'information nécessaire. Une brochure préventive a également été conçue, la « Toxicard » qui a été mise en place en mars 1999 pour répondre aux overdoses croissantes dans la capitale italienne985(*). Il s'agit d'un dépliant qui apporte toutes les informations sur la réaction à adopter en cas d'overdose (premiers gestes à adopter, utilisation du Narcan, numéros de secours). Plus de 10.000 Toxicard ont été imprimées et distribuées. Les activités de la Fondation sont particulièrement orientées vers la population héroïnomane de Rome. Villa Maraini a néanmoins tenté de s'adapter aux évolutions de consommations en ouvrant par exemple une unité d'alcoologie depuis juin 1997 pour répondre notamment aux problèmes de polyconsommation.. On peut noter une carence d'activités dans le domaine des drogues synthétiques et des nouveaux modes de consommation en raison d'une spécialisation en matière de toxicomanie « classique ».

La Fondation Villa Maraini a connu une histoire mouvementée depuis sa création. Elle a bénéficié du soutient de la Croix Rouge Italienne (CRI)986(*). Le fonctionnement de la structure a notamment été possible grâce au soutien financier de la CRI. Villa Maraini bénéficie en outre de subventions étatiques ou municipales. Elle a cependant du affronter de nombreuses oppositions politiques. Une particularité de Villa Maraini est sa déclaration d'indépendance politique et son refus de se rallier à la droite comme à la gauche Italienne. Cette prise de position correspond a l'un des sept principes fondamentaux du Mouvement International de la Croix-Rouge. Les intervenants de la Fondation ont d'ailleurs déclenché plusieurs mouvement de protestation face aux retards de paiements987(*). Les financements d'abord promis dans un premier temps ont souvent été refusés à la Fondation, comme c'était le cas pour le projet du « Telefono in Aiuto »988(*). L'Usl à laquelle est rattachée Villa Maraini a par ailleurs refusé à plusieurs reprises d'accorder son soutien à la Fondation989(*). La structure a fréquemment été menacée de fermeture et sa situation demeure précaire malgré ses vingt-cinq années d'activité990(*).

Ces difficultés s'expliquent en partie par le rôle « politique » qu'occupe Villa Maraini dans le champ de la toxicomanie romaine. Même si Massimo Barra refuse de prendre position pour un parti, celui-ci a effectué à de nombreuses reprises des critiques ou des « appels » au sein de la sphère publique locale ou nationale. Villa Maraini a par exemple plaidé à de nombreuses reprises en faveur de l'intervention et de l'administration de méthadone au sein des prisons italiennes en critiquant sévèrement la position des pouvoirs publics991(*). Massimo Barra a également pris position contre la loi Jervolino-Vassali en critiquant la place donnée aux communautés thérapeutiques dans la prise en charge des toxicomanes au détriment du service public992(*). Massimo Barra a d'ailleurs bénéficié d'une position politique qui lui a permis de développer ses principes sur l'ensemble de la ville de Rome. Il fut nommé en avril 1991 Assesseur aux politiques de Solidarité auprès de la municipalité. Massimo Barra a ainsi critiqué le manque de ressources attribuées par la commune aux malades du Sida993(*). Constatant que la méthadone n'était pas disponible dans la plupart des pharmacies de Rome et 5 villes de la province du Lazio, Massimo Barra a critiqué le boycottage de la méthadone opéré par les pharmaciens994(*). A la suite de cet appel, il a établi un accord avec 200 pharmacies qui s'engagèrent à mettre à disposition la méthadone et à fournir des conseils sanitaires à tous les toxicomanes qui en font la demande995(*). Il s'agissait de transformer à réintégrer les pharmacies dans le réseau de prise en charge de la toxicomanie. Enfin, Massimo Barra a constitué un plan de réforme des services publics italiens compétents en matière de toxicomanie, les Serts, situés à Rome dans le sens d'une prise en charge plus homogène996(*).

Les exemples de San Patrignano et de Villa Marini sont significatifs de la diversité des communautés thérapeutiques. Tandis que la première demeure centrée sur un modèle classique de « soin de la toxicomanie », la seconde a progressivement développé un ensemble de services fondés sur le besoin de « prendre soin » du toxicomane sans pour autant abandonner les activités thérapeutiques initiales. Les services de Villa Maraini traduisent la constitution d'un réseau de services intégrés au sein d'un réseau qui visent à former une chaîne ou « filet » thérapeutique autour du toxicomane. Le soin n'est d'ailleurs plus perçu comme un processus homogène mais comme une opération qui s'adapte aux spécificités de l'individu pris en charge. C'est en cela que Villa Maraini est très représentative du passage à la réduction des risques au sein des communautés thérapeutiques.

Les communautés thérapeutiques ont bénéficié en Italie d'un fort développement. Elles constituent souvent une alternative reconnue des services spécialisés publics, les Sert, comme c'est le cas à Rome. Les communautés ont ainsi toujours bénéficié d'une bonne réputation auprès de l'opinion publique. Elles ont souvent fait de l'ombre au système sanitaire public qui a toujours été assez mal considéré. Un sondage effectué en 1996 auprès de la population italienne (enquête sur un échantillon de 5.108 personnes) est très significatif de la préférence qui existe en faveur des communautés thérapeutiques997(*). En cas de problème de toxicomanie, 75,1% des sondés déclarent qu'ils se tourneraient de préférence vers les communautés contre 16% pour les services publiques (hôpitaux, Sert). De plus, 62,1% des sondés estimaient que le meilleur mode pour aider un toxicomane était de l'accueillir dans une communauté. En France, en revanche, les services de soin spécialisés bénéficient d'un très fort dynamisme. C'est dans ces contextes que se développèrent les services de soin spécialisés pour toxicomanes.

* 980 Fondazione Villa Maraini, I nostri servizi, brochure d'information , 13p.

* 981 Villa Maraini, «Ne abbiamo fatto di strada... Unità di strada», compte rendu d'activité, août 2001.

* 982 Fondazione Villa Maraini, I nostri servizi, brochure d'information , p.10.

* 983 Barca Vincenzo (dir)., «La comunità terapeutica semiresidenziale», Quaderni della Fondazione Villa Maraini, juillet 1998, 31p.

* 984 Fondazione Villa Maraini, I nostri servizi, brochure d'information , p.11.

* 985 « Toxicard Salvavita », Corriere della Sera, 26 mars 1999.

* 986 La Fondation Villa Maraini est considérée comme une structure de la Croix Rouge Italienne bien qu'elle dispose d'un personnel essentiellement composé de professionnels (psychologues, éducateurs, ex-toxicomanes).

* 987 «Sciopera Villa Maraini , Il Manifesto, 25 juillet 1993.

* 988 »I finanziamenti dirottati» , Roma Circoscrizione XVI" marzo1992

* 989 «La Fondazione potrebbe perdere medici e psicologi», Momento Sera, del 2 marzo 1995,
Problemi in vista per Villa Maraini Lo a deciso la Usl Rm D; « La Usl "contro" Villa Maraini », L'Unità, del 2 marzo 1995.

* 990 «Il centro antidroga funziona ma è a corto finanziamenti», Il Giornale, 9 février 2001.

* 991 « Cure vietate per i tossicodipendenti detenuti nelle carceri romane. La denuncia della Fondazione Villa Maraini», Il Giornale D'Italia, 7 décembre 1985.

* 992 Massimo Barra, "RES - Risposte Esperienze Servizi" Agenzia di informazione sociale», Anno IV - n.12 del 15 ottobre 1994.

* 993 «Sussidi ai malati di Aids», Momento Sera, 18 novembre 1993.

* 994 «Farmacie. Boicottata la vendita del metadone», L'Unità, 8 octobre 1993.

* 995 « Farmacie contro la droga », L'Opinione, 13 aprile 1994.

* 996 «Parla l'assessore Barra :"Le Usl smettano di fingere di non sapere"», Il Tempo, 27 août 1993.

* 997 Osservatorio sulle tossicodipendenze, I Quaderni di Datamedia, octobre 1996, Milan.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera