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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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1.3 De la substance à l'acteur 

La première définition du toxicomane fut apportée par le législateur. Celui-ci n'explicita pas directement qui était le toxicomane mais l'établissement d'une norme et d'un clivage entre le licite et l'illicite permit de déterminer la ligne de démarcation entre toxicomanie et usage de substances. La première définition du toxicomane fut construite à partir d'une considération des substances. La distinction entre le légal et l'illégal n'est toutefois pas immuable et fut remise en cause dès les années quatre-vingt sur la base de l'étude de la dangerosité pharmacologique des drogues, mais surtout à partir des usages qui en sont fait.

1.3.1 Le législateur face aux drogues : entre jugements normatifs et considérations pragmatiques

1.3.1.1 Le clivage légal/illégal

La consommation de drogues apparaît d'emblée comme un phénomène privé, relevant uniquement de la sphère personnelle. Se droguer, c'est un choix. Le législateur a pourtant été rapidement amené à réguler l'usage de substances au sein de la société. Pourquoi un régime de prohibition pour les substances psychoactives?

Cette intervention trouve sa justification dans la finalité protectrice dont est mandaté le législateur face à l'ensemble du corps social. La modification des états de conscience et de l'activité mentale est une entrave, outre les risques sanitaires encourus, pour le plein contrôle du comportement individuel. La répétition de ces comportements et la recherche de ces états de conscience comme fin en soi, l'instauration d'un lien organique entre l'individu et la substance, que l'on appelle communément « dépendance » entendue comme une réduction de la liberté de choix, constitue une menace non seulement pour l'individu mais pour le corps social dans son ensemble. L'intervention du législateur dans la sphère individuelle se justifie donc par les risques qu'un comportement singulier entraîne sur l'ensemble de ses concitoyens. Ces risques sont de nature aussi bien sécuritaires que sanitaires157(*).

Il a paru par conséquent nécessaire d'établir des règles encadrant l'usage et la circulation des drogues. La première attitude adoptée par les autorités publiques face aux substances psychoactives fut de réglementer leur usage selon les catégories normatives licite/illicite en opérant une distinction entre drogues illégales et drogues légales. Cette distinction varie selon les législations nationales, elle reste néanmoins très similaire. La majorité des pays occidentaux considèrent comme des drogues légales l'alcool, le tabac et les anti-dépresseurs. Parmi les drogues illégales figurent le cannabis (marijuana étant le nom mexicain), les opiacées, la cocaïne, les amphétamines et les hallucinogènes. Le critère de distinction retenu entre les deux groupes est celui de la toxicité, c'est à dire la capacité de la substance à induire une dépendance psychophysique. Cette distinction juridique a servi pendant longtemps de principe fondamental à la considération de l'usage de drogues. Les actions répressives des services policiers étaient ainsi tournées jusqu'à la fin des années quatre-vingt vers toutes les drogues illicites sans qu'il soit établi une distinction entre cannabis et héroïne158(*)159(*).

Mais la distinction licite/illicite correspond t-elle aux risques réels encourus par les consommateurs de substances ? Comme le rappelle Simonetta Piccone Stella, on doit reconnaître d'un point de vue épidémiologique (c'est à dire l'étude de l'évolution des maladies et de leurs conséquences spatio-temporelles) que les dégâts à l'organisme et le risque de maladies potentiellement liées à l'alcool et au tabac sont plus élevés que ceux dérivants du cannabis et même des opiacées160(*). La représentation sociale constitue le véritable frein à une juste distinction entre les drogues : aux yeux de l'opinion publique un buveur de bière est une personne normale, c'est-à-dire un simple usager, tandis qu'un fumeur de marijuana est automatiquement un toxicomane161(*).

C'est pour beaucoup, en fonction de la menace qu'elle associe à une drogue que la collectivité énonce de façon explicite (par des règles tangibles) ou induit de façon implicite (par ses représentations culturelles) l'idée que les membres doivent s'en faire. Celle-ci n'est pas immuable et varie en fonction des époques. On peut prendre l'exemple du tabac envers qui les représentation sociales ont connu de nombreux bouleversements162(*). Le tabac était ainsi un objet de condamnation dès le début du 17ème siècle. Les premiers écrits de médecine en dénonçaient les effets au début du 20ème siècle163(*). Le tabac ne fut cependant pas pris dans la tourmente prohibitionniste contrairement à l'alcool en raison de ses effets moins flagrants. Les premières mesures de restriction remontent aux années soixante-dix. L'Oms considère aujourd'hui le tabac comme une drogue en raison de son pouvoir cancérigène et de son potentiel addictif.

L'alcool est encore plus emblématique de l'évolution des opinions sur la dangerosité d'une substance164(*). Il fut perçu comme un fléau sanitaire dès 1851, date à laquelle Magnus Huss lui donne le nom d'alcoolisme. La dangerosité de l'alcool est perçue très tôt à travers ses conséquences sociales et notamment sur la famille. Le second argument, qui justifiera l'interdiction de l'absinthe en France en 1916, est l'affaiblissement des énergies combattantes en temps de guerre. La France ne met cependant pas en place une politique restrictive. Ce phénomène est à mettre en lien, selon Alain Morel, avec le statut dont le vin bénéficie depuis la révolution française du statut de « boisson égalitaire républicaine et patriotique » puis de « boisson nationale ». Des mesures de prévention sont néanmoins mises en place au cours des années cinquante. C'est la loi Evin, votée en 1991, qui statut une restriction sur la publicité de l'alcool. Ces deux exemples du tabac et de l'alcool montrent que la notion de dangerosité relève avant tout d'une construction. La distinction entre substances légales et illégales est très fragile. Un nouveau clivage plus représentatif de la dangerosité des drogues est alors venu s'ajouter au précédent.

* 157 Il s'agit dans ce second cas de l'émergence d'une notion de « Santé publique » entendue comme les conditions de vie et de maladie auxquelles est exposé l'ensemble du corps social. L'épidémie de Sida a par ailleurs fortement contribué à intégrer les préoccupations de santé publique dans la prise en charge de la toxicomanie.

Albert Ogien qui définit la notion de santé publique comme une modalité d'intervention (publique) dans le domaine de la santé souligne ce passage du caractère privé au caractère d'intérêt général d'un problème sanitaire. « Autrement dit, le phénomène crucial dans la définition d'un problème de santé publique est l'opération au terme de laquelle une préoccupation à caractère sanitaire est élevée au rang de question d'intérêt général et provoque l'intervention des pouvoirs publics » Ce passage constitue le fondement mais également la limite intrinsèque des politiques publiques sanitaires. Ainsi, « la première limite des politiques de santé publique est l'existence d'une limite entre liberté individuelle et défense du bien collectif. Cette limite se trouve à l'intersection de deux conceptions concurrentes de la santé : une première conception individuelle qui considère la santé comme un bien privé, et une seconde conception collective de la santé ». Ogien Albert, « Qu'est ce qu'un problème de santé publique ? », in Faugeron C., Kokoreff M., Société avec drogues. Enjeux et limites, op.cit, pp.225-244

* i

158

* 159 Piccone Stella relate la trace de quelques interventions policières assez fortes en Italie durant les années quatre-vingt, suivies de nombreuses arrestations, durant lesquelles la substance la plus rencontrée était le haschich mais où aucune distinction n'étant opérée parmi les drogues. Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit., p.25.

* 160 Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit., p.1

* 3

161 Ibid., p.17

* .

162 Morel A.(dir.), Prévenir les toxicomanies, op.cit., pp.106-107

* 163 Les dangers de l'abus du tabac par le docteur Delobel en 1900 et Les dangers du tabac par le docteur Petit en 1903.

* 164 Ibid., pp.108-109.

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