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UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isère


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble -   2002
  

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1.3.3 L'adhésion comme acte individuel

Sans la présence de personnes morales, Attac n'aurait sans doute pas eu l'attractivité dont il a bénéficié dés son départ. D'ailleurs, la plupart des enquêtés considèrent que les membres fondateurs ont eu un rôle nécessaire dans le lancement d'Attac. La participation des personnes morales à l'association faciliterait, selon certains, la mise en réseau des organisations. Par exemple, pour Thomas qui connaît beaucoup d'associations sur Grenoble, l'adhésion de diverses organisations à Attac permet de mener des actions en commun. Le travail en collectif est facilité par le fait que des organisations soient représentées dans l'association. Lorsque Thomas était président du comité isérois, l'une de ses principales tâches était justement d'établir une coordination des associations et des syndicats à travers Attac.

D'autres sont moins enthousiastes, et sont défavorables à ce que les membres fondateurs puissent participer au fonctionnement de l'association. Par exemple, Luc reconnaît que les personnes morales ont eu un rôle important dans le lancement. Leur soutien a permis de créer une dynamique qui a été profitable. En revanche, la participation des membres fondateurs au déroulement de l'association n'est pas souhaitable. Tout d'abord, selon Luc, l'adhésion d'une organisation risque de déclencher des conflits. Selon lui, des divergences peuvent survenir sur certaines prises de position, ce qui peut amener à un blocage. L'adhésion des individus lui semble plus logique que celle des personnes morales, car, en cas de difficulté, un individu peut se désengager plus facilement qu'une association. D'autre part, la participation des membres fondateurs n'est, selon Luc, matériellement pas réalisable. Le fait de militer dans plusieurs associations empêche une implication qui soit suffisamment forte. C'est pourquoi, il regrette que les membres fondateurs ne soient pas plus présents aux Conseils d'administrations nationaux ou encore que certains membres du C.A d'Attac Isère soient retenus dans leurs organisations respectives. Le principal risque, selon Luc, c'est que l'adhésion des personnes morales remplace celle des individus. Les membres fondateurs ont donc un rôle à jouer lors du lancement de l'association, mais ils ne doivent pas participer à son développement. Il est préférable que les organisations présentes se retirent progressivement du mouvement. Luc rappelle que c'est ce qui s'est déroulé après la fondation d'Attac Isère345(*). Les membres fondateurs ont peu à peu quitté l'association qui a été reprise par des personnes ne disposant pas, pour la plupart, de plusieurs adhésions.

Certains, enfin, sont hostiles aux membres fondateurs et regrettent que l'association ait été lancée par un ensemble d'organisations. Lionel, qui a adhéré en 1998, ne savait pas lors de son adhésion que des associations ou des syndicats avaient adhéré à Attac. Il considérait l'association comme un regroupement « spontané d'individus » agissant dans une démarche commune mais propre à chaque individu. C'est progressivement qu'il a pris conscience du fait que certains militants représentaient d'autres organisations et étaient « appuyés par une structure ». La présence de cette « machine » dans le lancement d'Attac introduit le « risque d'une instrumentalisation ».

Pour répondre à ces différentes réactions, un débat s'est déroulé, au cours de l'assemblée plénière du 10 janvier, au terme duquel une proposition a été votée : « Attac est un mouvement citoyen. N'importe qui peut, dans la mesure où il adhère à la charte nationale, demander son adhésion à Attac, quels que soient ses engagements pris dans d'autres mouvements (partis, syndicats, associations, collectivités, élus, etc.). [Ce fût une] position très majoritaire. »346(*). Toutefois, dans ce cas de figure, l'initiative de l'adhésion qui est attribuée à l'individu prime sur le fait qu'elle soit la représentante d'une personne morale. L'adhésion individuelle prime sur la représentation de l'organisation. Mieux, l'individu est perçu, comme en témoigne Julie, comme le résultat d'une combinaison d'adhésions distinctes.

F.E : Le fait que des personnes morales puissent adhérer à Attac, pour toi...

Thomas : pour moi ça ne pose pas de problème, il y a des statuts qui ont été mis en place, même s'il y a certaines choses dans les statuts qui me déplaisent par rapport à la représentativité des comités locaux qui est difficile à digérer... par rapport aux personnes morales ça me dérange absolument pas. Moi je suis un forcené, un collectiviste forcené et je peux travailler en comité, en collectif... [...] Dès qu'on peut travailler ensemble... Quand j'étais président, j'essayais justement de faire fonctionner les réseaux avec les gens que je connaissais d'ailleurs et mettre en place un collectif pour moi c'est très important.

Lionel : [...] J'ai découvert assez rapidement qu'il y avait beaucoup de personnalités morales qui servaient de barrage dans Attac ce qui assez curieux. Je l'ai découvert à la fin de la première année où j'ai participé à Attac de façon assez naïve car j'imaginais que c'était des gens un peu comme moi qui s'étaient rassemblés individuellement. Et en fait, je me suis rendu compte que pour un certain nombre, les uns et les autres sont appuyés par une structure. Même si l'initiative s'est faite à titre individuel, derrière il y a déjà des groupes constitués. Des groupes de journalistes ou des associations ou alors au niveau des syndicats. [...] Ce n'était plus seulement pour moi un mouvement spontané d'individus. J'ai trouvé ça curieux. Sûrement Attac ne serait pas créé sans ces groupements. Alors c'est vrai que Igniacio Ramonet a une certaine part de charisme et c'est très insuffisant pour lancer une association, il y a toujours une machine. Qui dit machine dit le risque d'une instrumentalisation. C'est toujours le risque... Enfin pour moi !

F.E : Par contre, Attac a été lancé au niveau national par plusieurs associations...

Luc : [...] Mais c'est pareil au niveau national, s'ils ne s'étaient pas réunis, Attac n'aurait pas existé. Sur l'Isère s'ils ne s'étaient pas réunis pour dire « On lance une section locale Isère d'Attac », il n'y aurait pas eu Attac Isère. Donc ils ont bien parrainés. Sur Attac national, les associations sont membres du Conseil d'administration mais elles n'y participent pas ! Elles ne participent pas aux réunions parce que chacun va dans sa propre association, leurs propres conseils d'administration. Ils s'investissent dans les Conseils d'administration de leur association. Il n'y a même pas de vote la plupart du temps dans le Conseil d'administration national [...] Moi je suis contre l'adhésion d'autres associations. Parce que une association a ses objectifs propres ! Ça ne veut pas dire qu'on ne travaille pas avec celles qui ont des objectifs communs, il y a des conseils d'administration qui discutent entre eux et au risque d'avoir des contradictions avec ces associations là. Il y a des jours où on risque d'avoir des contradictions avec le citoyen lambda et s'il y a une position majoritaire et que quelqu'un ne la partage pas, il s'en va !

Luc : Moi j'étais prêt dès le départ à donner un coup de main, dès la deuxième réunion j'ai été voir les membres qui me semblaient actifs et je leur ai dit que j'étais prêt à leur donner un coup de main et ils m'ont proposé d'aider au conseil d'administration [...] A l'époque, ils étaient très nombreux et les effectifs du Conseil d'administration se sont réduits. On s'est retrouvé à 7/8, car des gens ont abandonné [...] C'était, je pense des gens qui avaient participé à la création du comité. Ça devait être des gens venant des autres associations membres fondatrices d'Attac. Parce que un Conseil d'administration doit être créé par les membres fondateurs d'Attac. Ils ont décidé de lancer ça et puis petit à petit ils sont partis.

Julie : Car de toute façon chaque individu adhère à plusieurs associations et il est le résultat de tout ça, c'est-à-dire de toutes ces adhésions et de ses réflexions. Attac fait partie d'une association qui permet de réfléchir, de se positionner.

Ces divergences d'appréciation au sein du comité local ont provoqué récemment des débats347(*), à l'occasion de la participation du comité isérois au lancement d'une association. Le C.ADTM (Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde) est un réseau d'associations qui milite sur la question des inégalités entre le Nord et le Sud mais qui a considérablement élargi son champ de revendications348(*). Le C.ADTM soutient, entre autres, l'idée d'une taxation des transactions financières. Son président, Eric Toussaint, est par ailleurs, membre du Conseil scientifique d'Attac et journaliste au Monde diplomatique. Un groupe du C.ADTM a récemment été créé sur Grenoble. Les membres du comité isérois ont accepté de prendre part à son lancement car ils ont estimé que les deux associations présentent des similitudes d'objectifs. En effet, l'annulation de la dette du tiers-monde est une des principales revendications d'Attac et le comité dispose d'un groupe de réflexion qui est consacré à ce thème. Attac a participé au lancement du C.ADTM, en coordination avec le Centre d'information inter-peuples (CIIP). Toutefois, deux difficultés sont apparues. En premier lieu, il n'y a pour l'instant que des associations qui peuvent adhérer au C.ADTM et, d'autre part, certains membres du comité voudraient qu'Attac Isère adhère. Le président du comité local, Luc, se positionne parmi ceux qui refusent cette adhésion. La participation au lancement était, selon lui, conditionné au retrait de l'association. Il ne s'agit donc pas d'adhérer, en tant qu'association, au C.ADTM. Ce que Luc souhaite établir, c'est une coordination et une coopération des deux associations sur un thème commun.

Luc : Lors du précédent conseil d'administration, on a parlé du C.ADTM où il y a une ambiguïté. On a participé au lancement d'une section sur Grenoble pour le comité d'annulation de la dette du tiers-monde, on a parrainé la première réunion avec le centre inter peuple. Moi, j'y allais avec l'esprit de dire qu'on est là pour lancer une section du C.ADTM mais on n'est pas là pour s'occuper d'une section du C.ADTM. On est là, s'il y a des gens qui sont volontaires mais si personne n'est volontaire on ne le fait pas. Et par rapport à ça actuellement, ils ne sont pas clair du tout, parce que dans leur comité d'annulation de la dette du tiers-monde, il n'y a pour le moment que des ces associations qui adhèrent, donc des gens qui sont déjà dans le milieu associatif. Nous, on a lancé un groupe C.ADTM afin d'engager un thème de recherche sur la dette du tiers-monde et moi ça m'a paru clair de dire que les gens de ce groupe, s'il participent au C.ADTM, ils décident de ce qu'ils font par rapport à lui mais la discussion qui a eu lieu, c'était les gens qui disaient « il faut qu'on adhère au C.ADTM en tant qu'Attac Isère », il y a des gens qui disaient dont moi « non, on adhère pas au C.ADTM ! ». Si nécessaire, on peut aller sur des actions sur le thème de la dette, si le groupe de la dette décide de participer avec eux il le décide mais on adhère pas en tant qu'association, on travaille avec eux. Parce qu'il y a que des associations qui adhèrent et il n'y a pas d'individus. Qu'est-ce que ça recouvre ?

Les années quatre-vingt-dix ont été marquées par une vague de conflits sociaux. Il s'avère qu'ils ont eu peu de conséquences sur l'engagement des militants isérois. En effet, seuls les militants déjà insérés dans des organisations ont eu une participation active à ces évènements. En revanche, ils ont amorcé un changement dans la forme des mobilisations. La structure du réseau s'est généralisé. Ce phénomène s'est accentué lors des mobilisations « anti-mondialistes ». Les contre-sommets regroupent un nombre d'acteurs relativement restreint qui ont établi des liens au fil des mobilisations. Attac a une double spécificité. L'association est née de ses réseaux. Mais d'autre part, elle souhaite regrouper et fédérer les organisations anti-mondialistes. C'est ainsi que des réseaux se sont renforcés entre les syndicats et les associations. Toutefois, cette configuration qui a été établie au niveau national est beaucoup moins présente au niveau local. Comment rendre compte de cette différence ? Il semblerait que les militants du comité soient plus réfractaires à la participation des personnes morales dans Attac. L'enthousiasme des dirigeants nationaux pour le réseau n'est pas de mise au sein du comité isérois. Beaucoup de militants sont des déçus de l'engagement syndical. Ils sont également assez hostiles vis-à-vis des partis politiques. Ces deux caractéristiques expliquent que les militants isérois témoignent une certaine méfiance. Ils craignent une tentative de récupération politique.

Toutefois, les militants isérois semblent aller, une fois de plus, à l'encontre des évolutions que connaît le militantisme. Le nouveau mode de participation qu'esquissent Martine Barthélémy et Jacques Ion suppose une conception individuelle de l'adhésion. C'est effectivement la représentation des militants. En revanche, elle ne s'accompagne pas d'une transitivité des adhésions. Très peu d'enquêtés multiplient les appartenances349(*). Il apparaît donc nécessaire de remettre en cause la nouveauté par laquelle on qualifiait initialement les militants.

Le militantisme propre à Attac serait inscrit dans la modernité. A l'inverse des engagements ponctuels et matériels, il symboliserait le retour des engagements pour les « grandes causes ». Le militant n'est plus entendu comme celui qui « suit » passivement à l'image des grandes machines syndicales et politiques qui ont provoque une crise de l'engagement à la fin des années quatre-vingt. Désormais, l'Attacant serait un militant qui allie réflexion et action. Pour cela, il opère un intense travail de formation économique qui le rend apte à se réapproprier un discours dont se sont longtemps emparés les spécialistes. C'est en interrogeant ces hypothèses qu'il sera possible de déterminer quel type de militance a lieu au sein d'Attac.

* 345 Nous rappelons, qu'actuellement, parmi les membres du C.A d'Attac Isère, une seule personne (Thomas) a participé à la création du comité.

* 346 Attac Isère, Position d'Attac Isère sur l'adhésion des partis et collectivités. Cf., annexe n°17, p. 35.

* 347 Ces discussions ont eu lors du C.A du 5 juin 2001d'Attac Isère.

* 348 « Le Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde est un réseau international qui milite pour [...] l'information, la sensibilisation du plus large public possible sur la question des inégalités Nord-Sud (ouvrages, revue, conférences-débats, formations, rencontres internationales, etc.) [...] L'angle d'attaque du C.ADTM est la dette du Tiers Monde, avec comme objectif d'annuler la dette extérieure publique du Tiers Monde et d'ensuite briser la spirale infernale de l'endettement par l'établissement de modèles de développement socialement justes et écologiquement durables. Dans ce but, le C.ADTM milite pour la constitution d'un fonds de développement démocratiquement contrôlé par les populations locales et alimenté par l'annulation de la dette extérieure publique du Tiers Monde; la rétrocession des biens mal acquis; la taxation des transactions financières (taxe de type Tobin); l'augmentation de l'Aide Publique au Développement à 0,7% du PIB des pays riches; l'établissement d'un impôt mondial exceptionnel sur les grosses fortunes; la conversion des dépenses militaires mondiales en dépenses sociales et culturelles. Enfin, le C.ADTM encourage l'émancipation des femmes, la réforme agraire radicale et la réduction généralisée du temps de travail ». Site internet : http://users.skynet.be/cadtm/.

* 349 Parmi les enquêtés, Cécile, François et Thomas cumulent des appartenances politiques, associatives ou syndicales. Toutefois, Cécile et François sont peu engagés dans le comité isérois. Ils ne sont pas par ailleurs des « nouveaux militants ». Ils n'apparaissent pas, selon nous, représentatifs des militants isérois.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand