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UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isère


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble -   2002
  

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2.1.2.2 Une génération 68 ?

Parmi les principaux événements structurant la vie politique française, mai 68 semble particulièrement pertinent pour comprendre l'engagement au sein d'Attac. Plusieurs analogies semblent témoigner d'une proximité entre les deux « évènements ». Tout d'abord, comme le rappelle Jean-Pierre Le Goff, mai 68 était avant tout l'oeuvre des classes moyennes392(*). Or comme on l'a déjà noté, les classes moyennes bénéficient également d'une forte représentation au sein de l'associati&on. D'autre part, dans Attac, la référence au thème de l'utopie semble renvoyer à mai 68393(*). Ainsi, certains slogans d'Attac proches de ceux de mai 68394(*) témoigne d'une « philosophie » semblable. Enfin, suite à mai 68, le courant de l'écologie politique s'est développé avec lequel Attac semble avoir plusieurs points communs395(*). Thomas Marty a d'ailleurs remarqué que beaucoup de militants du comité Toulouse se déclarent proche de l'écologie politique396(*).

Il semblerait que certaines correspondances existent entre Attac et mai 68. Peut-on en conclure pour autant que l'engagement au sein d'Attac soit lié à la participation à mai 68 ? Selon l'étude de Thomas Marty, il est possible de noter la présence de nombreux « soixante-huitards » parmi les militants du comité Toulouse. 39,4% des personnes interrogées déclarent y avoir participé397(*). De plus, parmi les personnes ayant assistées aux événements de mai 68, 72,5% déclarent y avoir participé de façon « active ». Toutefois, au delà de cette correspondance générationnelle, est-il possible d'en déduire un lien de cause à effet entre l'engagement au sein d'Attac et la participation à mai 68 ?

Pour cela, il est possible d'analyser les représentations que les enquêtés ont de mai 68. Parmi les cinq enquêtés qui ont « vécu » mai 68, quatre ont participé directement aux événements398(*). Pour Luc et Julie, mai 68 semble avoir représenté un événement assez important. Julie qualifie mai 68 de « réveil » qui l'a amené à « descendre dans la rue ». Cet événement a d'ailleurs eu plusieurs répercussions dans la vie de Julie, puisque suite à mai 68 Julie a fait le choix de militer dans des comités de quartiers et dans une « organisation progressiste » catholique. D'autre part, la remise en cause des modes éducatifs traditionnels l'a incité à inscrire ses enfants dans des écoles « alternatives » fondées sur la méthode « Freinet »399(*). On peut par ailleurs noter que la représentation de mai 68 de Julie semble s'accorder avec son engagement à Attac. En effet, elle évoque au sujet de l'AMI un « déclic » qui l'a amené à militer400(*). Mai 68 semble également représenter un événement important pour Luc. Sa participation à mai 68 s'est essentiellement située au niveau de son entreprise. Il s'agissait, selon lui, d'une réflexion sur la réorganisation du travail et sur la place du salarié dans l'entreprise. Enfin, Luc évoque avec nostalgie un « respect humaniste » qui existait alors au sein des entreprises. En revanche, il semblerait que mai 68 n'ait pas représenté quelque chose de fondamental pour Fabien. Il qualifie cet événement de « bouffée d'oxygène ». Il adopte d'ailleurs une position assez critique vis-à-vis des manifestants. Toutefois, il apparaît que cette représentation coïncide avec celle de son engagement au sein d'Attac. Fabien définit son adhésion comme une « sympathie » pour l'association qui lui procure également une « bouffée d'oxygène ». Cette similitude des termes employés par Fabien pour qualifier d'une part sa participation à mai 68 et d'autre part son adhésion à Attac traduit peut-être l'existence d'un lien entre les deux faits. Il est probable qu'il existe une relation entre l'engagement des enquêtés et leur participation à mai 68. Toutefois, il est difficile d'évaluer son importance. Un échantillon plus large permettrait d'analyser précisément la nature de ce rapport.

Julie : J'ai participé à mai 68, enfin disons que mai 68 a été... J'avais déjà trois enfants et je me suis réveillé en me disant le monde ne doit pas bouger sans moi je suis descendue dans la rue. Mai 68 a sûrement eu un impact important sur ce que nous étions, je dis bien ce que nous étions mon mari et moi et nos enfants puisque nous les avons mis à l'école nouvelle, c'est-à-dire tout ce qui étaient les grandes idées en mai 68. C'était l'éducation un petit peu particulière et elle remettait au goût du jour tout ce qui était Freinet... Avec soi-disant une prise en compte très importante de la personnalité de chaque enfant. À la fois il y ait eu des efforts mais ceci dit nos enfants ont fait le primaire et après ils se sont retrouvés dans le secondaire très traditionnel et ça a été très dur, et c'est pour ça que je dis soi-disant car comme il n'y avait pas de continuité dans le secondaire, il y a eu une confrontation assez forte avec une pédagogie très ouverte et puis tout ce qui est traditionnel. Ça été très difficile. Alors pour mai 68 on a manifesté, mon mari et moi on a été très parti prenante et ça nous amener à militer... Enfin militer, c'est beaucoup dire, on faisait partie de groupes de quartiers et puis nous étions des militants catholiques chrétiens et ça nous a amené à militer dans certaines organisations progressistes et ça nous a amené à rompre complètement avec l'église et maintenant nous sommes sans religion, athées [...] J'ai eu l'impression que le monde bougeait sans moi et ça c'était insupportable ! Il y avait quelque chose de phénoménal qui se passait et je n'allais pas rater ça !

Luc : Moi en 1968, j'ai fait des piquets de grève, sans être syndiqué. La CFDT m'a plus ou moins demandé, dans la mesure où ils sentaient que j'étais partie prenante d'un certain nombre de choses, j'ai été très bien vu à la CFDT mais je n'ai pas adhéré, je travaillais à Paris chez Marcel Dassault. Il devait y avoir la CFDT et la CGT. Reste la grève en 1968 et à la fin Dassault a donné une prime à tout monde, on a pas eu à se battre pour nos salaires. Il a donné une prime supplémentaire. Parce que c'était une période qui n'était pas la période de maintenant. C'est une période riche et il ne voulait pas se mettre les syndicats à dos. En mai 68 on avait des réunions pour dire comment on peut travailler, on avait des réunions avec la direction pour dire ce qui ne va pas, comment on peut améliorer les choses. Il y avait le respect humaniste dans les entreprises à l'époque, les patrons étaient des patrons humanistes, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui [...]

F.E : Et mai 68, qu'est-ce que ça représentait pour vous ?

Luc : Ça représentait une frustration de ne pas pouvoir s'exprimer, d'être pieds et poing liés entre les mains de plein de gens qui décidaient de plein de choses pour nous, avec lesquels on n'était pas forcément d'accord et avec lesquels on ne pouvait pas discuter.

Fabien : En 1968 j'étais à Grenoble et des événements de mai 68 étaient beaucoup plus intéressant à l'Institut d'Études Politique, que dans les facultés de droit ou de sciences économiques. J'ai regardé là où ça me paraissait le plus intéressant et je suis venu suivre ça ici [l'Institut d'Études Politique de Grenoble]. J'ai participé à une manifestation [...] Au début j'étais assez favorable à certain nombre de choses, car on avait quand même un besoin d'un peu d'oxygène. Et puis ensuite j'ai trouvé que ça prenait des proportions un peu languissantes. Je suis resté au niveau des troupes, des fantassins qu'on ne pouvait pas envoyer non plus à n'importe quel combat immédiatement. J'ai dû participer à deux manifestations [...] Il y avait un petit aspect psychodramatique qui m'agaçait, mais d'un autre côté je trouvais que c'était pas mal d'essayer de remettre en cause un certain nombre de choses et de torpeur. De ce point de vue, c'était un mouvement qui m'était relativement sympathique [...] Les slogans étaient beaucoup plus farfelus que ceux d'Attac [...] Moi j'ai pris ça comme une bouffée d'oxygène, ça été un mouvement d'espoir. On a cru pendant un moment, qu'on pourrait se révolter contre une certaine médiocrité. On est toujours un peu entouré de médiocrité. Vous n'avez pas cette impression-là, de temps en temps ? Vous n'avez pas l'impression d'étouffer parfois ? [...] Ça a été l'occasion de manifester... Je ne dirais pas un certain mécontentement mais plutôt dire qu'on existe [...] Il y avait un plaisir pas malsain mais un petit peu espiègle. Le plaisir de s'apercevoir qu'on pouvait faire bouger l'ordre établi. Je me rappelle il y en avait qui disaient « La bourgeoisie tremblotante ! », il y en avait qui aimaient faire peur. Il y a des gens qui avaient peur. Il y avait un sentiment de peur, et les jeunes dans la mesure où ils sentaient qu'ils propageaient un certain mouvement de peur, il y avait un certain aspect ludique [...] Après dans toutes les sphères où il y avait du mécontentement, les gens se sont exprimés [...] C'était un peu la mode d'être mécontent. Alors qu'auparavant on le supportait plus ou moins. Il est devenu normal d'exprimer son mécontentement. J'ai vu tout ça comme une manière de s'exprimer.

F.E : Et pourquoi avoir décidé d'adhérer à Attac après tant d'années de "sommeil" militant ?

Fabien : Pour moi, ça a été une bouffée d'oxygène ! Il y a quand même une pensée unique assez forte, même en économie. Même si elle est moins forte qu'il y a quelques années. Il y a également un certain fatalisme. Et avec Attac, j'ai trouvé quelque chose d'un peu rafraîchissant et puis aussi, parce que comme vous l'avez dit tout à l'heure, un autre monde est possible. En tous cas, une autre vision du monde, une autre conception du monde est possible. Il ne faut pas exagérer, ce n'est pas dire qu'on va changer la vie, et encore moins l'homme. Mais s'affranchir un tout petit peu d'une certaine forme de tyrannie économique.

F.E : C'est étrange, à propos de mai 68, vous avez utilisé la même expression qu'à propos d'Attac, vous avez parlé d'une bouffée d'oxygène...

Fabien : [...] Ce que j'appelle bouffées d'oxygène, ce sont certains modes de pensées qui sont un peu nouveaux. Quelque chose d'un peu innovateur au niveau de la pensée, cette contestation m'a paru plus raisonnable, plus réfléchie et plus conforme à ce que je pense. Le plan Juppé je ne peux pas le mettre là-dedans car je ne suis pas d'accord. Mais les contestations comme celle du parti communiste, ce n'est pas quelque chose qui me branche beaucoup. Je pense qu'il y a beaucoup d'automatismes, beaucoup de réflexes conditionnés. Au point de vue d'Attac, je pense que c'est un peu nouveau. J'utilise le terme « oxygène », quand je vois quelque chose qui est à contre-courant. À contre-courant... J'allais dire au bon sens du terme... À contre-courant mais de manière réfléchie, pas de manière épidermique.

* 392 « C'est toute une génération de couches moyennes qui acquiert alors une certaine vision du monde, un système de normes et de valeurs dont elle restera imprégnées, malgré les évolutions diverses. Cette nouvelle culture va être transmise plus ou moins consciemment aux générations diverses ». Le Goff (Jean-Pierre), Mai 68, l'héritage impossible, Paris, Ed La découverte, 1998, p. 20.

* 393 Un tract du comité isérois, diffusé à l'occasion de la conférence de Susan George qui a eu lieu sur Grenoble le 13/11/2000, s'intitule « Utopie », on peut y lire : « L'utopie ?, c'est rêver, penser, faire que cela se réalise. Mais certains rêvent et appliquent un monde qui devient un cauchemar pour l'immense majorité du monde. A nous de se le réapproprier. Semez de l'utopie vous récolterez du réel ! ». On peut également noter que plusieurs articles du Monde diplomatique parus lors de la création d'Attac se réfèrent explicitement au thème de l'utopie. Cf., Halimi (Serge), « Notre utopie contre la leur », Le Monde diplomatique, mai 1998, p. 14. Igniacio Ramonet, « Besoin d'utopie », Le Monde diplomatique.

* 394 Par exemple, un slogan comme « Un autre monde est possible » nous semble relever du même esprit que celui de mai 68.

* 395 En effet, les mouvements se réclamant de l'écologie politique étaient des groupes non-violents, fondés sur la convivialité et qui visaient à une prise de conscience écologique à l'aide d'un travail pédagogique d'explication. Le principal ressort de l'engagement de ses groupes était la référence à la citoyenneté. Les similitudes avec Attac sont très importantes comme en témoigne ce tract de « Paris écolo » publié en 1978 : « Les écolos sont des simples citoyens que leur vie et leur avenir leur appartient. La politique est d'abord affaire de citoyens ». Cité dans Le Goff (Jean-Pierre), op.cit, p. 388.

* 396 Parmi les différentes « sensibilités politiques », celle à laquelle les enquêtés toulousains se réfèrent le plus est celle de l'écologie politique (45,5%). Cf., Marty (Thomas), op.cit, annexes, p. 12.

* 397 Ibid, p. 9.

* 398 Lionel effectuait à l'époque son service militaire en Lybie. A son retour, en 1970, il a participé à des manifestations « qui étaient dans la lignée de mai 68. C'était, ajoute t-il, un peu une revanche sur mai 68 ».

* 399 Freinet (1896-1966) était un instituteur français qui refusa de pratiquer une pédagogie qu'il considérait comme trop autoritaire. Il expérimenta une méthode éducative « active » fondée sur la personnalité de l'enfant et le travail en groupe. Il créa sa propre école qui devint une école expérimentale et qui servit de modèle à plusieurs réformes éducatives. Cf., Rey (Alain) dirigé par, Le petit Robert des Noms Propres, op.cit, p. 783.

* 400 Julie : « Je suis venu à Attac car un jour dans Marianne j'ai vu un petit entrefilet sur l'accord de l'AMI. Cet article analysait cet accord et là je me suis dit : « Ce n'est pas possible, ce n'est pas possible qu'on laisse faire un truc pareil ! » Je crois que ça été mon déclic. Un mois après il y avait la création d'Attac et je me suis dit Attac c'est ce qu'il me faut [...] Je me suis dit ce n'est pas possible que les gouvernements laissent faire ça ».

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