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UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isère


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble -   2002
  

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2.1.2.2 Une entreprise morale ?

« Qu'est ce qui fait courir les militants ? ». Plusieurs auteurs ont répondu à cette question en affirmant que le militantisme serait, avant tout, une « entreprise morale »410(*). Caroline Guillot a pu remarquer, au cours d'une étude consacrée à la Ligue des Droits de l'Homme, que c'était le cas pour le militantisme humanitaire411(*). Stanislas Varennes rend également compte de l'engagement associatif, par la présence d'une exigence morale412(*). Les militants seraient motivés par la défense d'une cause à laquelle ils se consacreraient. Qu'en est-il au sein d'Attac ? On peut à priori faire crédit aux militants de cette même exigence morale. L'engagement des adhérents semble être situé au plus loin de leurs préoccupations personnelles. La lutte contre les inégalités économiques, la revendication du plein emploi, la lutte contre les désastres écologiques liés aux intérêts financiers, le refus d'une marchandisation de l'éducation; toutes ces revendications semblent manifester une même exigence morale. La revendication de l'annulation de la dette des pays du tiers-monde est emblématique de la dimension morale, si ce n'est humanitaire, sur laquelle est fondée l'association413(*).

Pourtant dans l'analyse du discours des enquêtés, le vocabulaire lié à « l'humanitaire » apparaît très rarement. Peu d'enquêtés évoquent, dans les motifs de leur engagement, un but altruiste. François et Thomas sont les deux à se référer durant l'entretien à certains buts « humanitaires ». Les revendications portées par Attac relèveraient selon Thomas de la « survie de l'humanité ». Il met en avant la sincérité et le désintéressement de son engagement. Toutefois ces deux enquêtés sont caractérisés par deux spécificités communes par rapport à l'ensemble des interviewés. Tout d'abord, il s'agit de deux militants professionnels qui ont déjà adhéré à la LCR414(*). Mais surtout, Thomas et François ont des parcours biographiques spécifiques qui les ont amenés à faire face à de fortes inégalités économiques et sociales. Thomas est d'origine italienne. Ses parents issus d'un milieu populaire, son père était tapissier peintre et sa mère femme au foyer, ont immigré en France en 1959. Thomas a poursuivi des études techniques en cours du soit jusqu'en 1978, date à laquelle il a été embauché à l'usine Nerpick où il travaille encore actuellement. François est iranien, il a immigré en France avec ses parents en 1984. François n'a pas connu personnellement la misère puisque son père était professeur. Toutefois, il évoque le souvenir d'un bidonville qui jouxtait son habitation. Ces deux enquêtés ont été confrontés à une situation sociale plus difficile, ils sont par conséquent plus sensibles aux problèmes d'exclusion ou de pauvreté, ce qui pourrait expliquer leur discours « humanitaire ».

Isabelle considère également que son engagement à Attac relève de l'humanitaire. Selon elle, la revendication de l'annulation de la dette des pays pauvres indique que l'association participe au champ humanitaire. Toutefois, Lionel n'a pas la même perception de son engagement. Son soutien à cette revendication ne témoigne pas, selon lui, d'un « altruisme » et il ne relève pas d'une « dimension morale ». Il explique qu'il s'agit avant tout pour lui de lutter contre l' « hypocrisie environnante », qu'il attribue, selon nous, aux dirigeants politiques mais aussi à l'ensemble de la société. Les autres enquêtés n'évoquent pas au sujet de leur engagement l'annulation de la dette. On peut supposer que cette revendication ne rencontre pas chez eux un très grand écho. Cette hypothèse serait confirmée par l'étude menée par Thomas Marty sur les militants toulousains puisque parmi les « thèmes de réflexion prioritaires d'Attac », l' « annulation de la dette des pays pauvres » n'apparaît qu'en neuvième position (5,8%)415(*).

Comment rendre compte de cette disproportion entre l'importance qu'accorde la direction nationale416(*) à cette revendication et le faible rôle qu'elle occupe au niveau des adhérents ? On peut se demander, comme le fait Stanislas Varennes au sujet du discours humaniste des militants417(*), si les militants ont adhéré à l'association parce qu'elle défendait cette revendication ou s'ils ont intégré cette idée après avoir adhéré à Attac ? On peut supposer que si cette idée est défendue par l'association, c'est avant tout par une volonté des dirigeants de l'inscrire comme une priorité du mouvement. En soutenant l'annulation de la dette, dès la création d'Attac, les fondateurs souhaitaient peut-être élargir la portée de l'association. Snow a mis en évidence les processus par lesquels une organisation développe une idéologie mobilisatrice. Selon lui, une organisation peut chercher à étendre ses soutiens en agrégeant à ses revendications des thèmes qu'elle s'efforce alors de relier idéologiquement à sa préoccupation initiale418(*). Le rattachement de l'annulation de la dette à la revendication initiale d'Attac (la lutte contre les marchés financiers) aurait permis de produire de nouvelles sympathies vis-à-vis de l'association. L'adhésion à Attac ne relèverait donc peut-être que faiblement d'un engagement moral. Cette conclusion amène donc à s'interroger sur la nature des revendications défendues par les militants. Les revendications peuvent-elles s'identifier à la promotion de certaines valeurs, dans la continuation des nouveaux mouvements sociaux ou, à l'inverse, se résument-elles à la défense d'un ensemble d'intérêts matériels et catégoriels ?

François : J'ai commencé par les inégalités sociales par ces deux raisons, quand même, fortes. C'est-à-dire aider des gens de l'humanité, du monde, qui est autre, mais vraiment autre de ce qu'on vit au quotidien. Et je pense que je retrouve ça dans mon engagement depuis dix ans, c'est un fil conducteur [...] À côté de chez nous, il y avait un terrain vague et ces terrains se sont transformés en bidonville et c'est ma première expérience avec les inégalités sociales... Ma première rencontre forte et au fur et à mesure ces choses-là ont rejaillit plus tard... Vers mes quinze-seize ans, ça commençait à me titiller un peu quand même... Non, effectivement... Ce sont des images fortes... Devoir jouer au foot avec des enfants qui n'ont même pas de souliers et leur écraser les pieds. Ça commence comme ça... Avoir un voisin qui remplit la piscine et celui d'à côté qui n'a pas d'eau potable... C'est ça, les bidonville à côté d'un quartier résidentiel. Donc ça, ça marque.

Thomas : Il y a des tas de gens qu'il faut...si Attac se débrouillent bien... Il faut que ces gens-là se positionnent par rapport à tous ces thèmes là et après le terrain politique sera clarifié par rapport à toutes ces questions qui sont des questions de l'ordre de la survie de l'humanité. On ne peut pas aujourd'hui plaisanter avec les OGM, plaisanter avec le réchauffement de la planète, plaisanter avec l'endettement du tiers-monde et ainsi de suite... C'est... C'est vraiment de l'ordre de la survie de l'humanité ou d'une partie de l'humanité [...] Moi mon combat il est ailleurs, je n'en ai rien à foutre de devenir célèbre à l'intérieur d'Attac. J'étais sincère et tout ça, ça les a complètement désarçonnés parce qu'ils avaient affaire à quel qu'un qui était complètement... Je ne devais pas dire altruiste, il ne faut pas déconner... Mais qui le fait pour faire avancer les choses, qui est pour que l'humanité demain puisse voir de l'eau potable, respirer de l'air respirable, se soigner et ainsi de suite. Moi c'est pour ça, je fais ce que j'ai à faire.

Isabelle : Il y a le domaine humanitaire qui m'intéressait un petit peu, j'ai fait des actions ponctuelles mais je n'ai pas adhéré sur le long terme. J'ai fais un stage à Handicap International, j'ai un peu été là-dedans, ça m'a permis de voir comment ça fonctionnait. Mais je ne suis pas encore très engagé. Attac ça m'a paru un bon équilibre entre tout ce qui peut exister, car ça touche à la fois au domaine économique et à la fois au domaine humanitaire, parce que malgré tout le but aussi au départ c'était d'annuler la dette des pays pauvres.

Lionel : Il y a des associations que je pourrais trouver intéressantes comme Amnesty International ou la Ligue des Droits de l'Homme mais jamais ça ne me serait venu à l'idée d'y adhérer. Il y a un aspect humaniste et sentimental qui m'est relativement étranger. La souffrance humaine bien sûr peut m'émouvoir mais la souffrance humaine seule ne m'amènera pas à militer parce que je pense qu'elle sera toujours là. On peut la dénoncer et c'est important [...] Pour moi si je fais ça je ne peux pas parler d'altruisme, effectivement il y a la dette du tiers-monde que j'ai découvert à Attac. C'est l'aspect de la justice et de l'hypocrisie sociale qui provoquent une révolte, c'est-à-dire le fait de tenir un autre type de discours que le discours officiel, un autre regard. Ce regard peut être considéré comme altruiste, pour moi il n'y a pas de dimension morale. Il s'agit de dire les choses au plus près de ce que je peux percevoir, en tous cas essayer de se débarrasser d'une hypocrisie environnante qui m'insupporte. Oui je pense que c'est l'hypocrisie surtout contre laquelle je lutte.

* 410 Becker (Howard), Outsiders. Etude sociologique de la déviance, Paris, Ed Métaillé, 1985.

* 411Guillot (Caroline), Le militantisme à la Ligue des Droits de l'Homme : une entreprise morale et politique, Grenoble, Mémoire IEP , Ihl (Olivier) sous la responsabilité de, 1998-1999.

* 412Cf., Varennes (Stanislas), op.cit, p. 24.

* 413 Gustave Massiah, membre du Conseil scientifique d'Attac, a tenu une conférence, à l'occasion de la première université d'été d'Attac, au sujet de l'annulation de la dette du tiers-monde : « La question du partage ne concerne pas seulement les différents acteurs de l'économie au sein de la nation. Elle s'applique au moins autant à l'échelle de la planète ». Massiah (Gustave), « De l'ajustement structurel au respect des droits humains », Une économie au service de l'homme, Paris, Ed Mille et une nuits, 2001, p.248.

* 414 L'engagement au sein de la LCR ne correspond pas pour autant à un engagement humanitaire. Toutefois, les problèmes internationaux occupent dans ce parti politique, au moins dans leur discours, une place assez importante. Ceci explique que les enquêtés ayant milité à la LCR se référent plus régulièrement aux préoccupations d'ordre « humanitaire ».

* 415 Marty (Thomas), op.cit, annexes, p. 12.

* 416 L'annulation de la dette des pays pauvres est un thème très récurrent au sein des conférences organisées par Attac. Beaucoup de comités disposent d'ailleurs d'un groupe de réflexion thématique qui est dédié à cette revendication.

* 417 « En fait, il ressort un certain humanisme, un certain altruisme du discours de ces personnes; un discours dont il faut noter qu'il est très proche de celui de leurs organisations. Reste à savoir, et cela est difficile, si elles ont adhéré à l'association parce que celles ci défendaient des valeurs auxquelles elles étaient très attachées, ou si c'est l'association qui, une fois qu'elles y sont rentrées, les a imprégnées de ces valeurs. En fait, il semble que ces deux aspects soient complémentaires ». Varennes (Stanislas), op.cit, p. 24.

* 418 Cf., Fillieule (Olivier), Sociologie de la protestation, Paris, L'Harmattan, 1993, p. 44.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo